Language of document : ECLI:EU:T:2005:428

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

29 novembre 2005 (*)

« Concurrence – Article 81 CE – Entente – Marché du phosphate de zinc – Amende – Article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 – Chiffre d’affaires pertinent – Recours en annulation »

Dans l’affaire T-33/02,

Britannia Alloys & Chemicals Ltd, établie à Gravesend (Royaume-Uni), représentée par Mmes S. Mobley, H. Bardell et M. M. Commons, solicitors,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. Wainwright et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision 2003/437/CE de la Commission, du 11 décembre 2001, relative à une procédure engagée au titre de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E‑1/37.027 – Phosphate de zinc) (JO 2003, L 153, p. 1), ou, à titre subsidiaire, une demande de réduction du montant de l’amende imposée à la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas et J. D. Cooke, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er juillet 2004,

rend le présent

Arrêt

 Faits

1        Britannia Alloys & Chemicals Ltd (ci-après la « requérante » ou « Britannia »), société de droit anglais, est une filiale de M. I. M. Holdings Ltd (ci-après « MIM »), une société de droit australien. En octobre 1993, Pasminco Europe (ISC Alloys) Ltd a vendu ses activités dans le secteur du zinc à MIM, qui les a transférées à Britannia. Cette entreprise produisait et vendait des produits à base de zinc, y compris du phosphate de zinc. En mars 1997, Trident Alloys Ltd (ci-après « Trident »), une société autonome constituée par la direction de Britannia, a racheté les activités de Britannia dans le secteur du zinc pour 14 359 072 livres sterling (GBP). Cette dernière existe toujours en tant que filiale de MIM, mais elle a cessé d’exercer toute activité économique et n’a donc plus aucun chiffre d’affaires.

2        Bien que leurs formules chimiques puissent varier légèrement, les orthophosphates de zinc constituent un produit chimique homogène, désigné par l’appellation générique « phosphate de zinc ». Le phosphate de zinc, obtenu à partir de l’oxyde de zinc et de l’acide phosphorique, est fréquemment utilisé comme pigment minéral anticorrosion dans l’industrie de la peinture. Il est commercialisé sur le marché soit en tant que phosphate de zinc standard, soit en tant que phosphate de zinc modifié ou « activé ».

3        En 2001, la plus grosse partie du marché mondial de phosphate de zinc était détenue par les cinq producteurs européens suivants : Dr. Hans Heubach GmbH & Co. KG (ci-après « Heubach »), James M. Brown Ltd (ci-après « James Brown »), Société nouvelle des couleurs zinciques SA (ci-après la « SNCZ »), Trident (anciennement Britannia) et Union Pigments AS (anciennement Waardals AS) (ci-après « Union Pigments »).

4        Les 13 et 14 mai 1998, la Commission a procédé, simultanément et sans préavis, à des vérifications dans les locaux de Heubach, la SNCZ et de Trident, en vertu de l’article 14, paragraphe 2, du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204). Du 13 au 15 mai 1998, agissant à la suite d’une demande de la Commission en application de l’article 8, paragraphe 3, du protocole 23 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE) a procédé, simultanément et sans préavis, à des vérifications dans les locaux d’Union Pigments, en vertu de l’article 14, paragraphe 2, du chapitre II du protocole 4 de l’accord entre les États de l’AELE relatif à l’institution d’une Autorité de surveillance et d’une Cour de justice.

5        Le 11 décembre 2001, la Commission a adopté la décision 2003/437/CE relative à une procédure engagée au titre de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/37.027 – Phosphate de zinc) (JO 2003, L 153, p. 1). La décision prise en considération aux fins du présent arrêt est celle qui a été notifiée aux entreprises concernées et qui est annexée à la requête (ci-après la « décision attaquée »). Cette décision est, sous certains aspects, différente de celle qui a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne.

6        Dans la décision attaquée, la Commission indique qu’une entente réunissant Britannia (Trident à compter du 15 mars 1997), Heubach, James Brown, la SNCZ et Union Pigments a existé entre le 24 mars 1994 et le 13 mai 1998. L’entente se serait limitée au phosphate de zinc standard. Les membres de l’entente auraient, premièrement, mis en place un accord de partage du marché avec des quotas de vente pour les producteurs. Deuxièmement, ils auraient fixé des prix « planchers » ou « recommandés » à chaque réunion et les auraient généralement suivis. Troisièmement, il y aurait eu, dans une certaine mesure, répartition des clients.

7        Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

Britannia […], Heubach […], James […] Brown, [la SNCZ], Trident […] et [Union Pigments] ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, du traité et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE, en participant à un accord continu et/ou une pratique concertée dans le secteur du phosphate de zinc.

La durée de l’infraction a été la suivante :

[…]

b) en ce qui concerne Britannia […] : du 24 mars 1994 au 15 mars 1997.

[…]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1er :

a) Britannia […] : 3,37 millions d’euros ;

b) […] Heubach […] : 3,78 millions d’euros ;

c) James […] Brown […] : 940 000 euros ;

d) [la SNCZ] : 1,53 million d’euros;

e) Trident […] : 1,98 million d’euros ;

f)  [Union Pigments] : 350 000 euros.

[…] »

8        Pour le calcul du montant des amendes, la Commission a mis en œuvre la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») et la communication du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur les ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »).

9        La Commission a, tout d’abord, considéré que le montant de base approprié pour la requérante s’élevait à 3,75 millions d’euros (considérant 313 de la décision attaquée). Ensuite, elle a rappelé la limite que, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, l’amende à imposer à chacune des entreprises concernées ne pouvait dépasser. Aux fins de la fixation du plafond de 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent prévu par cette disposition, la Commission a, pour ce qui est de la requérante, « pris en compte son chiffre d’affaires global pour l’exercice social au 30 juin 1996, qui représente le chiffre disponible le plus récent reflétant une année complète d’activité normale » (considérant 345, note 196 en bas de page). Ce chiffre d’affaires étant de 55,7 millions d’euros (considérant 50), la limite supérieure de l’amende a été fixée à environ 5,5 millions d’euros. Le montant de l’amende avant application de la communication sur la coopération étant inférieur à ce plafond, la Commission ne l’a pas réduit à ce titre.

10      Enfin, la Commission a consenti à la requérante une réduction de 10 % au titre de la communication sur la coopération (considérant 366). Le montant final de l’amende infligée à la requérante s’est ainsi élevé à 3,37 millions d’euros (considérant 370).

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 février 2002, la requérante a introduit le présent recours.

12      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et a, au titre des mesures d’organisation de la procédure, demandé à la Commission de répondre par écrit à une question concernant la définition du marché et de fournir la version intégrale de déclaration du 23 avril 1999 de Trident concernant l’entente. La Commission a déféré à ces demandes dans le délai imparti.

13      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 1er juillet 2004.

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler l’article 3 de la décision attaquée dans la mesure où elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, réformer l’article 3 de la décision attaquée de sorte à réduire sensiblement le montant de l’amende qui lui est infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      La requérante invoque un moyen unique. Ce moyen se compose de trois branches dans lesquelles la requérante fait valoir que, en utilisant le chiffre d’affaires qu’elle avait réalisé au cours de l’exercice social se terminant le 30 juin 1996 aux fins de calculer la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires, la Commission a violé :

–        l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et le principe de proportionnalité ;

–        le principe d’égalité de traitement ;

–        le principe de sécurité juridique.

 Sur la première branche, tirée d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et du principe de proportionnalité

 Arguments des parties

17      La requérante fait valoir que la Commission a violé l’article 15, paragraphe 2, du règlement n17 en ce que, pour calculer la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires, elle a pris en compte le chiffre d’affaires qu’elle a réalisé au cours d’un exercice social autre que celui précédant la décision attaquée.

18      Selon la requérante, cette disposition offre deux possibilités pour fixer le montant de l’amende à infliger à une entreprise. La Commission pourrait imposer soit une amende se situant entre 1 000 et 1 million d’euros, soit une amende supérieure à 1 million d’euros, à condition toutefois que le montant final ne dépasse pas 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de « l’exercice social précédent », à savoir l’exercice social précédant la décision infligeant l’amende. La requérante souligne que le texte de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n17 est clair et sans ambiguïté, en ce sens que la Commission doit se référer à l’exercice social précédent lorsqu’elle détermine la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires. La Commission n’aurait pas le pouvoir discrétionnaire de se référer à un autre exercice social pour fixer ce plafond. La requérante ajoute que, lorsque le chiffre d’affaires de l’entreprise concernée ne dépasse pas 10 millions d’euros, la Commission ne peut infliger d’amende supérieure à 1 million d’euros en vertu de la seconde partie de l’article 15, paragraphe 2, dès lors que le montant d’une telle amende dépasserait nécessairement le plafond de 10 %.

19      La requérante soutient que, en l’espèce, la Commission a erronément utilisé le chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social se terminant le 30 juin 1996 pour calculer la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires applicable à son amende (considérant 345 de la décision attaquée, note 196 en bas de page). La décision attaquée datant du 11 décembre 2001, l’exercice social précédent, qui aurait dû être utilisé pour déterminer ce plafond, serait celui se terminant le 30 juin 2001. La requérante avance qu’elle était une société non commerciale à cette époque et que son chiffre d’affaires était donc nul. Elle considère que la Commission n’était donc pas autorisée à lui infliger une amende supérieure à 1 million d’euros sur la base de la deuxième partie de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n17. Elle aurait dû appliquer la première partie de cette disposition et lui imposer une amende se situant entre 1 000 et 1 million d’euros. La requérante prétend que le fait qu’elle a réalisé un chiffre d’affaires nul pour l’exercice social précédent n’a pas pour conséquence de modifier l’exigence selon laquelle la Commission doit se référer à ce même exercice social lorsqu’elle fixe le plafond de 10 %. Si la Commission avait décidé d’imposer une amende de 1 million d’euros, elle aurait dû réduire cette amende du pourcentage qu’elle a jugé approprié dans le cadre de la communication sur la coopération, à savoir 10 %, et la porter à 900 000 euros.

20      Il ressortirait de la jurisprudence que « l’exercice social précédent » au sens de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 vise le « dernier exercice complet » de l’entreprise concernée (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 5009). Les lignes directrices utilisant indifféremment les expressions « exercice social » et « exercice comptable » [point 5, sous a)], le sens naturel de l’expression « dernier exercice complet » utilisé par le Tribunal dans son arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, précité, désignerait le dernier exercice financier complet à des fins comptables.

21      Dans sa réplique, la requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle le Tribunal ne devrait pas se limiter à une interprétation littérale de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, mais également recourir aux méthodes d’interprétation historique et téléologique. Il serait de jurisprudence constante que la méthode d’interprétation littérale prévaut lorsque le texte d’une disposition est clair et sans ambiguïté et qu’il vise manifestement la situation en cause (arrêts de la Cour du 14 décembre 2000, Allemagne/Commission, C‑245/97, Rec. p. I‑11261, point 72, et du 4 octobre 2001, Bowden e.a., C‑133/00, Rec. p. I‑7031, points 38 à 44 ; conclusions de l’avocat général M. Mayras sous l’arrêt de la Cour du 28 février 1980, Fellinger, 67/79, Rec. p. 535, 547). En l’espèce, la Commission elle-même admettrait que l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 est clair lorsqu’elle affirme, dans son mémoire en défense, que « la référence à l’exercice social précédent à l’article 15, paragraphe 2, semble logiquement se rapporter à l’exercice qui précède l’adoption de la décision d’infliger une amende ».

22      En outre, l’interprétation littérale de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 serait conforme aux objectifs poursuivis par le législateur communautaire. La référence à l’exercice social précédent dans cette disposition, plutôt qu’au chiffre d’affaires de la dernière année de l’infraction, par exemple, montrerait que le législateur voulait assurer une évaluation de l’impact probable sur l’entreprise et donc la proportionnalité de l’amende à la lumière de la situation financière de l’entreprise à l’époque où l’amende est imposée. En effet, selon la requérante, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 vise précisément le cas, comme en l’espèce, où l’entreprise responsable de l’infraction continue à exister, mais jouit d’une puissance économique très faible par rapport à celle dont elle disposait à l’époque de l’infraction et, dès lors, ne devrait pas se voir infliger une amende excessive et disproportionnée.

23      La requérante critique l’argumentation de la Commission selon laquelle son interprétation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 est nécessaire pour garantir que l’amende infligée ait un effet suffisamment dissuasif. Tout d’abord, elle conteste que cette disposition se fonde sur l’hypothèse que le chiffre d’affaires réalisé par une entreprise pendant l’exercice social précédant une décision reflète de manière satisfaisante son chiffre d’affaires au moment où l’infraction est commise. Elle estime que rien ne permet d’affirmer que le législateur se soit fondé sur une telle hypothèse et que le choix de l’exercice social précédent plutôt que, par exemple, de la dernière année de l’infraction, indique que le but poursuivi est d’évaluer l’impact probable sur l’entreprise, et donc le caractère proportionnel de l’amende, au regard de la situation financière de l’entreprise à la date où l’amende est infligée. Ensuite, en réponse à l’argument de la Commission selon lequel une amende de 1 million d’euros est trop faible, la requérante relève qu’un tel montant a été considéré comme suffisamment dissuasif dans la décision 1999/271/CE de la Commission, du 9 décembre 1998, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO 1999, L 109, p. 24, ci-après la « décision Transbordeurs grecs »). Par ailleurs, elle affirme que l’argument de la Commission concernant le risque de détournement de chiffre d’affaires par une entreprise pour éviter l’imposition d’une amende plus élevée n’est pas pertinent en l’espèce puisqu’il n’a pas été suggéré qu’elle-même avait agi de la sorte. Elle soutient que le Tribunal devrait limiter son examen aux faits tels qu’ils ressortent du dossier dans la présente affaire.

24      La requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle elle a interprété l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 en vue d’en garantir l’effet utile, conformément à la jurisprudence. Elle considère comme non pertinente la jurisprudence invoquée par la Commission et établissant que, lorsqu’il s’agit d’infliger une amende à une association d’entreprises ou à une entreprise agissant au nom de ses membres, le plafond de 10 % doit être calculé par rapport au chiffre d’affaires total des membres. La signification qui a été donnée, dans cette jurisprudence, au terme « chiffre d’affaires » ne serait pertinente que dans le contexte des affaires concernées.

25      Dans sa pratique antérieure, la Commission aurait respecté le principe selon lequel la fixation du montant de base et l’application du plafond de 10 % sont des étapes distinctes dans la détermination du montant de l’amende et elle n’aurait pas jugé nécessaire d’appliquer ce plafond à l’année qui est la plus proche possible de celle au cours de laquelle l’entreprise a commis l’infraction lorsqu’il existait une différence significative entre le chiffre d’affaires de l’exercice social précédent et sa taille au moment de l’infraction. Ainsi, dans sa décision 2002/271/CE, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/36.490 – Électrodes de graphite) (JO L 100, p. 1), la Commission aurait fixé le montant de base en fonction du chiffre d’affaires d’UCAR International, soit 1 022 millions d’euros, en 1998, année précédant la fin de l’infraction. Bien que le chiffre d’affaires d’UCAR en 2000, année précédant l’adoption de la décision, était inférieur de 181 millions d’euros par rapport à son chiffre d’affaires de 1998, la Commission aurait appliqué le plafond de 10 % au chiffre d’affaires de 2000.

26      La requérante ajoute que la Commission, en se référant à un exercice social autre que l’exercice social précédent aux fins du calcul de la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires, ne tient pas compte de sa situation financière à l’époque de l’adoption de la décision attaquée et, dès lors, viole le principe de proportionnalité. Ce principe exigerait que toute action entreprise par la Commission n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif légitime [arrêt de la Cour du 24 septembre 1985, Man (Sugar), 181/84, Rec. p. 2889, point 20]. La décision de la Commission, en l’espèce, d’appliquer le plafond de 10 % à un exercice social de la requérante n’ayant aucun rapport avec sa situation financière, calculée en termes de chiffre d’affaires, à l’époque de la décision attaquée, aurait pour résultat que l’amende infligée ne refléterait pas son pouvoir économique et ne serait donc pas proportionnée. La requérante rappelle qu’elle n’avait aucun chiffre d’affaires à l’époque de l’adoption de cette décision et que, de plus, l’amende en question est substantiellement plus importante que ses actifs actuels totaux, soit environ 1,9 million d’euros d’après ses comptes révisés relatifs à l’exercice financier se terminant le 30 juin 2001.

27      À titre liminaire, la Commission rappelle, pour sa part, que la requérante était responsable de l’infraction en cause et que, lorsque la décision attaquée a été adoptée, elle existait toujours. En conséquence, il y aurait lieu de lui infliger une amende (considérants 242 à 250 de la décision attaquée) (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T‑6/89, Rec. p. II‑1623, point 236).

28      La Commission admet que la référence à l’exercice social précédent figurant dans l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 « semble logiquement se rapporter à l’exercice qui précède l’adoption de la décision d’infliger une amende ». Toutefois, elle estime que, lorsque le chiffre d’affaires de l’exercice social précédent donne une vision totalement faussée de la taille de l’entreprise en question, elle est autorisée à prendre en considération le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise concernée au cours d’un exercice antérieur.

29      La Commission conteste l’interprétation totalement littérale de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 à laquelle procède la requérante. Il ressortirait de la jurisprudence que, même si le libellé d’une disposition semble clair, il est nécessaire de se référer à l’esprit, à l’économie générale et au contexte de la disposition en question (arrêts de la Cour du 5 février 1963, van Gend en Loos, 26/62, Rec. p. 3, et du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215).

30      S’agissant du cas d’espèce, où le chiffre d’affaires de l’entreprise était nul, la Commission considère que, pour apprécier la taille et la puissance économique de celle-ci, elle pouvait prendre en considération soit le chiffre d’affaires du groupe auquel ladite entreprise appartient, soit le chiffre d’affaires de la dernière année où elle a eu une activité économique normale. Le règlement se référant à « l’entreprise concernée », elle a considéré qu’il convenait de choisir la seconde possibilité. Les deux options entraîneraient un certain écart par rapport au libellé du règlement n° 17, mais cela aurait déjà été admis par le juge communautaire, et la seconde possibilité serait probablement la plus favorable à l’entreprise concernée.

31      Ensuite, la Commission invoque plusieurs arguments pour justifier son interprétation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Notamment, elle fait valoir que son interprétation est nécessaire pour garantir un effet dissuasif suffisant de l’amende. À cet égard, elle indique que, lorsqu’une entreprise reste en activité jusqu’à l’adoption de la décision finale, elle-même et le règlement n° 17 se fondent sur l’hypothèse que l’exercice social précédent reflète de manière satisfaisante l’ordre de grandeur du chiffre d’affaires de l’entreprise au moment où l’infraction a été commise. L’interprétation de la requérante anéantirait l’objectif d’une dissuasion suffisante et, dès lors, la possibilité d’infliger des amendes serait totalement privée d’effet utile.

32      Par ailleurs, la Commission prétend que l’interprétation qu’elle donne de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 est entièrement conforme à la jurisprudence. D’une part, le juge communautaire aurait interprété ce règlement de manière à garantir son effet utile. D’autre part, le lien entre cette disposition et l’appréciation de la taille réelle de l’entreprise au moment de l’infraction serait confirmé dans la jurisprudence (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157, point 66 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T‑338/94, Rec. p. II‑1617, point 282, et du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T‑39/92 et T‑40/92, Rec. p. II‑49, points 136 et 137).

 Appréciation du Tribunal

33      Il convient de relever, à titre liminaire, que la requérante ne conteste pas sa participation à l’entente, ni la violation de l’article 81 CE qui lui est imputée ni l’appréciation faite par la Commission de la gravité et de la durée de l’infraction. Elle entend seulement obtenir l’annulation de l’amende infligée ou la réduction de son montant, au motif que la Commission aurait violé l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en lui imposant une amende dépassant le seuil maximal de 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent prévu par cette disposition.

34      Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut infliger aux entreprises « des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction […] »

35      Selon la jurisprudence, le plafond de 10 % prévu par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 vise à éviter que les amendes soient disproportionnées par rapport à l’importance de l’entreprise et, en particulier, il vise à éviter que soient infligées des amendes dont il est prévisible que les entreprises ne seront pas en mesure de s’acquitter. Comme seul le chiffre d’affaires global peut effectivement donner une indication approximative à cet égard, il convient de comprendre ce pourcentage comme se référant au chiffre d’affaires global (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 119).

36      Il y a lieu d’ajouter que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 a pour objet de donner à la Commission le pouvoir d’infliger des amendes en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 3545 supra, point 105, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 105). Cette mission comprend la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles ainsi que le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises. Il s’ensuit que la Commission doit veiller au caractère dissuasif des amendes (voir, en ce sens, arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, précité, points 105 et 106).

37      Il ressort également de la jurisprudence, ce qui n’est pas contesté par les parties, que, au sens de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, l’« exercice social précédent » vise, en principe, le dernier exercice complet de chacune des entreprises concernées à la date de l’adoption de la décision attaquée (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 20 supra, point 5009 ; arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, point 85).

38      Il découle, toutefois, tant des objectifs du système dans lequel cette disposition s’insère (voir points 35 et 36 ci-dessus), que de la jurisprudence citée au point 37 ci-dessus, que l’application du plafond de 10 % présuppose, d’une part, que la Commission dispose du chiffre d’affaires pour le dernier exercice social qui précède la date d’adoption de la décision et, d’autre part, que ces données représentent un exercice complet d’activité économique normale pendant une période de douze mois.  

39      Ainsi, par exemple, si l’exercice social s’est terminé avant l’adoption de la décision mais que les comptes annuels de l’entreprise en cause n’ont pas encore été établis ou n’ont pas encore été communiqués à la Commission, cette dernière est en droit, voire obligée, de recourir au chiffre d’affaires réalisé au cours d’un exercice social antérieur pour appliquer l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. De même, si, en raison d’une réorganisation ou d’une modification des pratiques comptables, une entreprise a, pour l’exercice social précédent, produit des comptes qui concernent une période inférieure à douze mois, la Commission est en droit de recourir au chiffre d’affaires réalisé au cours d’un exercice complet antérieur pour appliquer cette disposition.

40      Il ne s’agit donc pas d’une simple question de choix entre une amende maximale de 1 million d’euros et un plafond fixé par référence au seul chiffre d’affaires pour l’exercice social qui précède la date de l’adoption de la décision.

41      En l’espèce, la décision attaquée datant du 11 décembre 2001, l’exercice social précédent était celui du 1er juillet 2000 au 30 juin 2001. Or, la requérante avait cédé ses activités dans le domaine du zinc en 1997 et avait, par la suite, cessé d’exercer toute activité économique (voir point 1 ci-dessus). Plus particulièrement, elle n’avait exercé aucune activité durant la période s’étendant du 1er juillet 2000 au 30 juin 2001 et n’avait donc réalisé aucun chiffre d’affaires au cours de cette période.

42      Par voie de conséquence, au moment de l’adoption de la décision attaquée, la Commission ne disposait pas, pour ce qui est de la requérante, d’un chiffre d’affaires représentant une activité économique exercée par celle-ci lors de l’exercice social précédent. Le Tribunal considère que cette situation ne diffère pas fondamentalement de celles mentionnées au point 39 ci-dessus. Si une entreprise n’a pas exercé d’activité économique au cours de l’exercice social précédent, le chiffre d’affaires pour cette période ne donne aucune indication de l’importance de ladite entreprise, contrairement à ce que requiert la jurisprudence (voir point 35 ci-dessus), et, dès lors, ne peut servir de base pour la détermination du plafond prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

43      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le but poursuivi par ce plafond est d’évaluer l’impact probable de l’amende sur l’entreprise au regard de la taille de celle-ci à la date où elle est infligée et selon lequel la Commission a violé le principe de proportionnalité (voir points 22 et 26 ci-dessus), il convient de rappeler que l’objectif spécifique dudit plafond est d’éviter que les amendes soient disproportionnées par rapport à l’importance de l’entreprise et, en particulier, d’éviter que les entreprises concernées ne soient pas en mesure de s’acquitter des amendes infligées (voir point 3550 ci-dessus). L’application du plafond de 10 % pour réaliser cet objectif présuppose que l’entreprise concernée soit engagée dans une activité commerciale à la date où l’amende est infligée. Or, en l’espèce, une décision commerciale a été prise en 1997 de céder l’entreprise de zinc de la requérante à Trident, de mettre un terme aux activités de la requérante dans le marché en cause et de distribuer les revenus de cette cession au lieu d’entreprendre une nouvelle activité commerciale. La requérante ayant réalisé la valeur de son activité commerciale par voie de cette cession, elle n’a pas fait valoir d’une incapacité de payer l’amende en raison d’absence d’une activité commerciale courante (voir point 1 ci-dessus). Dans ces circonstances, le Tribunal considère qu’il n’était pas disproportionné de déterminer le plafond de l’amende par rapport à la taille de la requérante avant la cession des opérations commerciales.

44      L’argumentation de la requérante selon laquelle il ressort de son interprétation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 que la Commission est toujours en mesure d’infliger une amende de 1 million d’euros, un montant que celle-ci a d’ailleurs considéré comme suffisamment dissuasif, ne saurait être retenue. Le seul fait que la Commission ait considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure et, au demeurant, dans des circonstances différentes de celles de l’espèce, qu’une amende de 1 million d’euros avait un effet suffisamment dissuasif n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans ses décisions ultérieures. Il convient d’ajouter que les lignes directrices indiquent que les montants envisageables pour des infractions « très graves » peuvent dépasser 20 millions d’euros et que la requérante ne conteste pas que l’infraction en cause dans la présente affaire est « très grave ». La Commission était donc en droit de considérer qu’une amende de 1 million d’euros n’était pas suffisante.

45      Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n’était pas obligée, pour fixer le plafond de 10 % prévu par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, de se référer au chiffre d’affaires nul de la requérante afférent à l’exercice social se terminant le 30 juin 2001.

46      Ensuite, il y a lieu d’examiner si, comme elle l’a fait dans la décision attaquée, la Commission était en droit d’utiliser le chiffre d’affaires réalisé par la requérante au cours de l’exercice social se terminant le 30 juin 1996 et, ainsi, de ne pas tenir compte des exercices sociaux plus récents.

47      La Commission expose, dans la décision attaquée, que, afin de fixer le plafond de 10 %, elle a pris en compte le chiffre d’affaires global de la requérante pour l’exercice social se terminant le 30 juin 1996, qui représente « le chiffre disponible le plus récent reflétant une année complète d’activité normale » (voir point 9 ci-dessus). Le chiffre d’affaires de la requérante pour l’exercice social se terminant le 30 juin 1996 était de 55,7 millions d’euros. Il ressort du dossier, ce qui a été confirmé par les parties lors de l’audience, que la requérante a, en fait, poursuivi normalement ses activités jusqu’en mars 1997, date à laquelle elle a cédé à Trident son entreprise de zinc (voir point 11 ci-dessus). En outre, il ressort des comptes de la requérante pour l’exercice social se terminant le 30 juin 1997 que, après cette cession, la requérante a exercé des activités commerciales réduites, consistant en l’achat de zinc auprès d’un fournisseur dans le cadre d’un accord préexistant et en sa revente au prix coûtant à Trident. Ainsi, le chiffre d’affaires de la requérante pour l’exercice social se terminant le 30 juin 1997 était de 34,8 millions de GBP. Au cours de l’année suivante, elle a mis fin à cette activité résiduelle, de sorte que, pour l’exercice social se terminant le 30 juin 1998, elle n’a réalisé qu’un chiffre d’affaires de 7,3 millions de GBP. Elle n’a réalisé aucun chiffre d’affaires lors des exercices sociaux postérieurs.

48      Comme indiqué au point 38 ci-dessus, pour fixer le plafond prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission doit disposer d’un chiffre d’affaires représentant un exercice complet d’activité économique normale pendant une période de douze mois.

49      Force est de constater que, même lors d’un exercice d’activités économiques normal, le chiffre d’affaires d’une entreprise pourrait baisser d’une façon importante, voire substantielle, par comparaison aux années précédentes, pour des raisons diverses comme un contexte économique difficile, une crise dans le secteur en cause, un sinistre ou une grève. Toutefois, dès qu’une entreprise a en fait réalisé un chiffre d’affaires pendant un exercice complet pendant lequel des activités économiques, bien que réduites, ont été exercées, la Commission doit tenir compte de l’entreprise telle qu’elle est pour déterminer le plafond prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Dès lors, à tout le moins dans les situations où il n’y a aucune indication qu’une entreprise a cessé ses activités commerciales ou détourné son chiffre d’affaires pour éviter l’imposition d’une lourde amende, le Tribunal considère que la Commission est obligée de fixer la limite maximale de l’amende par rapport au chiffre d’affaires le plus récent reflétant une année complète d’activité économique.

50      À cet égard, le Tribunal considère que, s’agissant de la requérante, l’exercice social se terminant au 30 juin 1996 est le dernier exercice « complet » au sens de l’arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 20 supra (point 5009). La requérante a exercé ses activités normales au cours de seulement neuf mois de l’exercice social se terminant au 30 juin 1997 jusqu’à la cession à Trident en mars 1997. En effet, à partir de la fin du mois de mars 1997, la requérante était en train de cesser ses activités commerciales. Pour autant qu’elle a continué d’exercer une activité lors du dernier trimestre de 1997, elle s’est limitée à l’achat de zinc dans le cadre d’un accord préexistant et à sa revente au prix coûtant. Ces dernières activités de la requérante ne sauraient être considérées comme une activité économique normale en ce que, dans le cadre de son accord de cession de son entreprise de zinc, la requérante agissait en tant que canal entre le fournisseur et Trident. Ces activités doivent donc, à partir du mois de mars 1997, être considérées comme relevant des arrangements comptables faisant partie de la cession de l’entreprise de zinc.

51      Il s’ensuit que l’exercice social clos au 30 juin 1996 était le dernier exercice complet précédant la décision attaquée au sens de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et que, dès lors, la Commission n’a pas enfreint cette disposition en fixant le plafond par rapport à cet exercice.

52      Quant à l’argument de la requérante tiré de la violation du principe de proportionnalité, il doit être rejeté pour les raisons indiquées au point 43 ci-dessus.

 Sur la deuxième branche, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement

 Arguments des parties

53      La requérante invoque deux arguments au soutien de la deuxième branche, tirée d’une violation du principe d’égalité de traitement.

54      En premier lieu, elle fait valoir que, en se référant à un exercice social autre que l’exercice social précédent aux fins de calculer le plafond de 10 %, la Commission s’est écartée de sa pratique antérieure et a donc violé le principe d’égalité de traitement. Selon la requérante, dans le passé, la Commission a toujours utilisé l’exercice social précédent aux fins de ce calcul. Elle indique notamment que lorsque l’entreprise concernée avait vendu ses activités pertinentes à une autre entité au cours de la période infractionnelle, la Commission n’appliquait pas le plafond au chiffre d’affaires relatif à un exercice au cours duquel des activités étaient encore exercées par cette entreprise, mais elle tenait compte du chiffre d’affaires réalisé par ladite entreprise au cours de l’exercice social précédant sa décision [décision 86/398/CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CEE (IV/31.149 – Polypropylène) (JO L 230, p. 1) et décision 94/599/CE de la Commission, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/31.865 – PVC) (JO L 239, p. 14)]. La requérante estime que la Commission a constaté, à juste titre, qu’elle ne bénéficiait pas d’un pouvoir discrétionnaire d’appliquer la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires en tenant compte d’un exercice social autre que celui précédant la décision attaquée.

55      La requérante relève que, dans sa décision Transbordeurs grecs, point 23 supra, où le chiffre d’affaires de Karageorgis, une des entreprises concernées, pour l’exercice social précédent n’était pas disponible, la Commission a invoqué la première partie de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n17 pour infliger une amende de 1 million d’euros à cette entreprise. Selon la requérante, sa situation en l’espèce est très semblable à celle de ladite entreprise en ce qu’elles se sont toutes les deux retirées du marché très longtemps avant l’adoption par la Commission de sa décision.

56      En deuxième lieu, la requérante soutient que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement en ne la traitant pas de la même manière, pour ce qui est de la fixation du plafond de l’amende, que Union Pigments et la SNCZ, alors qu’elle se trouvait dans la même situation que ces entreprises. Aux fins de déterminer le plafond des amendes infligées à Union Pigments et à la SNCZ, la Commission aurait tenu compte du chiffre d’affaires qu’elles avaient réalisé au titre de l’exercice social précédent et aurait ainsi réduit leurs amendes. En revanche, en ce qui concerne la requérante, la Commission se serait référée à un exercice social antérieur et n’aurait donc pas réduit son amende. Alors que la situation financière de Union Pigments et de la SNCZ en termes de chiffre d’affaires lors de l’adoption de la décision attaquée avait été prise en compte, tel n’aurait pas été le cas en ce qui concerne la requérante.

57      La Commission rejette les arguments de la requérante relatifs à la prétendue violation du principe d’égalité de traitement.

58      En premier lieu, elle prétend ne pas avoir modifié sa pratique antérieure dans un sens contraire à ce principe. Elle admet qu’elle utilisait normalement, afin de fixer le plafond de 10 %, le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise concernée au cours de l’exercice social précédant l’adoption de la décision. Elle avance que, contrairement à ce que soutient la requérante, elle agissait de la sorte non pas parce qu’elle considérait qu’elle n’était pas en droit d’utiliser un autre exercice social, mais parce qu’elle n’était pas confrontée à la situation existant en l’espèce, dans laquelle un membre de l’entente avait cédé la totalité de ses activités tout en continuant d’exister sur le plan juridique. La Commission rappelle, à cet égard, que sa pratique antérieure ne peut servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, ce cadre étant uniquement défini par le règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23/99, Rec. p. II-1705, point 234).

59      En deuxième lieu, la Commission conteste le bien-fondé de l’argument de la requérante selon lequel elle a été traitée différemment d’autres entreprises se trouvant dans la même situation.

 Appréciation du Tribunal

60      Selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement n’est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 36 supra, point 69, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309).

61      Le premier argument de la requérante, tiré de ce que la Commission se serait écartée de sa pratique antérieure, est non fondé. Elle ne se trouve, en effet, pas dans une situation comparable à celles des entreprises dans les affaires citées au point 54 ci-dessus puisqu’elle n’avait réalisé aucun chiffre d’affaires au cours de l’exercice social précédant la décision attaquée. Dès lors, elle ne saurait exiger d’être traitée de la même manière que les entreprises dans des affaires antérieures.

62      Le deuxième argument de la requérante, tiré d’une prétendue discrimination entre elle-même, d’une part, et la SNCZ et Union Pigments, d’autre part, doit également être rejeté. Au vu de la jurisprudence rappelée au point 60 ci-dessus, le Tribunal considère que la requérante se trouve clairement dans une situation différente de celle de la SNCZ et Union Pigments. Ces dernières, à la différence de la requérante, étaient toujours présentes dans le secteur du phosphate de zinc au moment où la décision attaquée a été adoptée, de sorte que leur chiffre d’affaires au cours de l’exercice social précédent constituait un indice fiable de leur importance économique. Un chiffre d’affaires nul donnant une image faussée de l’importance de la requérante, la Commission était en droit de recourir à un exercice antérieur et, dès lors, de traiter la requérante d’une façon différente de la SNCZ et Union Pigments.

63      Il y a lieu d’ajouter que l’argument de la requérante tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement méconnaît le fait que si la Commission n’avait pas eu recours au chiffre d’affaires réalisé au cours d’un exercice social antérieur, il y aurait eu une discrimination claire et injustifiée en faveur de la requérante, surtout par rapport à Trident. Si la Commission s’était limitée à imposer à la requérante une amende de 1 million d’euros, pour une infraction qui avait duré trois ans (du 24 mars 1994 au 15 mars 1997), cette amende représenterait seulement la moitié de celle infligée à Trident, qui avait acheté les activités de la requérante dans le domaine du zinc et qui avait participé à l’infraction en tant que son « successeur » pendant une période de quatorze mois (du 15 mars 1997 au 13 mai 1998).

64      Il y a lieu, dès lors, de rejeter la deuxième branche du moyen unique.

 Sur la troisième branche, tirée d’une violation du principe de sécurité juridique

 Arguments des parties

65      La requérante fait valoir que la Commission, en se référant à un exercice social autre que celui précédant la décision attaquée pour fixer le plafond de 10 % du chiffre d’affaires, a violé le principe de sécurité juridique. Selon ce principe, les entreprises devraient être en mesure de mener leurs activités de manière prévisible. Les mesures qui ont des effets juridiques devraient être certaines et leurs applications prévisibles. Ce principe devrait être observé de manière particulièrement stricte lorsqu’il s’agit de mesures qui ont des conséquences financières, telle l’imposition d’amendes (arrêt de la Cour du 15 décembre 1987, Pays-Bas/Commission, 326/85, Rec. p. 5091, point 24). Selon la requérante, le principe de sécurité juridique exige que l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 soit interprété strictement en ce sens que le plafond de 10 % doit toujours être appliqué à l’exercice social qui précède immédiatement l’adoption de la décision infligeant une amende. Si la Commission avait le pouvoir arbitraire d’appliquer ce plafond aux exercices sociaux antérieurs, les entreprises ne seraient plus en mesure de prévoir les sanctions qui pourraient leur être imposées.

66      La requérante ajoute que l’interprétation que la Commission donne à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, en vue d’être autorisée à choisir une année qui reflète plus ou moins la puissance économique de l’entreprise en cause à l’époque de l’infraction lorsque le chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent donne une image totalement déformée de cette entreprise, entraîne un degré inacceptable d’incertitude juridique dans le cas d’une entreprise dont le chiffre d’affaires connaît une baisse au cours de l’exercice social précédant la décision. Elle ne pourrait aucunement déterminer si la Commission tiendra compte du chiffre d’affaires réalisé au cours d’une année différente de l’exercice social précédent et quelle année elle jugera acceptable. La seule manière de garantir la sécurité juridique serait d’utiliser l’exercice social précédent comme référence pour déterminer le plafond conformément au texte de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17.

67      Par ailleurs, la requérante considère qu’il ne saurait être déduit du fait qu’elle n’a prétendument pas soulevé cette question dans sa réponse à la communication de griefs, qu’elle avait prévu l’approche retenue par la Commission. Elle rappelle qu’elle a souligné, dans cette réponse, qu’elle ne pouvait être tenue responsable pour une amende et que la Commission devait imposer une amende relative à la totalité de la période infractionnelle à Trident, qui lui avait succédé d’un point de vue économique. La requérante aurait toujours considéré que si la Commission décidait de lui imposer une amende, le montant maximal de celle-ci serait de 1 million d’euros, avant réduction pour coopération. Une telle amende ne saurait être qualifiée de « symbolique » pour une entreprise qui, comme elle, n’avait aucun chiffre d’affaires et ne disposait que de très peu d’actifs. Elle ne se serait pas prononcée sur l’interprétation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 dans sa réponse à la communication des griefs, parce qu’elle considérait que le texte de cette disposition était tout à fait clair et contraignant.

68      La Commission estime que la troisième branche doit être rejetée dans son intégralité. D’une part, elle conteste l’argument de la requérante selon lequel l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 doit être interprété de manière restrictive. D’autre part, elle affirme que l’interprétation qu’elle a donnée de cette disposition était prévisible.

 Appréciation du Tribunal

69      Le principe de sécurité juridique exige que les règles de droit soient claires et précises, et vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques relevant du droit communautaire (arrêt de la Cour du 15 février 1996, Duff e.a., C‑63/93, Rec. p. I‑569, point 20, et arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 113).

70      Force est de constater que les dispositions régissant la mise en œuvre de l’article 81 CE, et notamment le règlement n° 17 et les lignes directrices, permettent aux entreprises de prévoir avec certitude qu’une amende sera imposée en cas d’infraction aux règles communautaires de la concurrence et que le montant de l’amende sera déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction.

71      L’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 garantit que lorsque le montant de l’amende se situe au-dessus de 1 million d’euros, il ne dépassera pas la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise concernée au cours de l’exercice social précédent. Toutefois, l’interprétation et l’application de cette disposition dépendent des circonstances de chaque affaire et, comme indiqué au point 39 ci-dessus, de la disponibilité et du caractère complet des comptes annuels démontrant le chiffre d’affaires en cause.

72      De plus, les conséquences de l’application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 doivent assurer l’effet utile du règlement n° 17.

73      En l’espèce, il était parfaitement prévisible qu’une amende serait imposée à la requérante dès lors qu’elle avait participé à une infraction que la jurisprudence qualifie d’« infraction patente aux règles communautaires de la concurrence » (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T‑148/89, Rec. p. II‑1063, point 109, et BPB de Eendracht/Commission, point 60 supra, points 303 et 338). Il était également prévisible que cette amende serait déterminée en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction et qu’elle serait modulée en fonction des circonstances propres à l’entreprise concernée, y compris sa taille, ses capacités économiques, et d’éventuelles circonstances aggravantes et atténuantes. En revanche, le principe de sécurité juridique n’a pas donné à la requérante la garantie que la cessation de ses activités commerciales aurait pour conséquence qu’elle échapperait à une amende.

74      Contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n’a pas le pouvoir arbitraire d’appliquer le plafond de 10 % aux exercices sociaux antérieurs à l’exercice social précédant la date d’adoption de la décision. La Commission peut recourir à un tel exercice social antérieur seulement dans des circonstances exceptionnelles. En outre, comme cela est exposé au point 49 ci-dessus, elle ne dispose pas, même dans un tel cas, d’une large marge d’appréciation dans le choix de l’exercice social à utiliser pour fixer la limite maximale de l’amende. Elle est en effet obligée de se référer au dernier exercice social complet reflétant une année complète d’activités économiques normales.

75      Dans ces circonstances, il convient de rejeter également la troisième branche du moyen unique et, partant, ledit moyen.

76      Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

77      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.



2)      La requérante est condamnée aux dépens.


Lindh

García-Valdecasas

Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 novembre 2005.


Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      P. Lindh


* Langue de procédure : l’anglais.