Language of document : ECLI:EU:C:2016:232

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

7 avril 2016 (*)

« Procédure accélérée »

Dans l’affaire C‑104/16 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 19 février 2016,

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. de Elera‑San Miguel Hurtado et Mme A. Westerhof Löfflerová, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Front populaire pour la libération de la saguia-el-hamra et du rio de oro (Front Polisario), représenté par Me G. Devers, avocat,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et E. Paasivirta ainsi que par Mme B. Eggers, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

le juge rapporteur, M. J. Malenovský, et l’avocat général, M. M. Wathelet, entendus,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, le Conseil de l’Union européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2015, Front Polisario/Conseil (T‑512/12, EU:T:2015:953, ci-après l’« arrêt attaqué »), par lequel celui-ci a accueilli le recours du Front populaire pour la libération de la saguia-el-hamra et du rio de oro (Front Polisario) tendant à l’annulation de la décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012, concernant la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles nos 1, 2 et 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO 2012, L 241, p. 2, ci-après la « décision litigieuse »).

2        Par acte séparé présenté au greffe de la Cour lors du dépôt de son pourvoi, en vertu de l’article 133 du règlement de procédure de la Cour, le Conseil a demandé que l’affaire C‑104/16 P soit soumise à une procédure accélérée.

3        À l’appui de cette demande, le Conseil se prévaut, en substance, de l’existence d’une situation caractérisée par la combinaison de différents éléments d’ordre juridique et diplomatique justifiant que son pourvoi soit soumis à une procédure accélérée. Tout d’abord, l’arrêt attaqué aurait plongé la mise en œuvre de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles nos 1, 2 et 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (ci-après l’« accord en cause ») dans l’insécurité juridique en annulant la décision litigieuse « en ce qu’elle approuve l’application [de cet] accord au Sahara occidental », alors que ledit accord prévoit un traitement préférentiel pour un ensemble de produits agricoles et de la pêche en provenance du Maroc et que ces derniers ne comportent en règle générale pas d’indication d’origine géographique plus spécifique. Ensuite, cette annulation engendrerait une insécurité juridique préjudiciable à deux autres projets d’accord en cours de négociation avec le Royaume du Maroc, dont la forme et la structure feraient l’objet d’interrogations qui ne pourraient pas être résolues aussi longtemps que la Cour n’aura pas statué sur le pourvoi. Enfin, l’insécurité juridique créée par l’arrêt attaqué se répercuterait sur l’ensemble des relations diplomatiques entre l’Union et le Royaume du Maroc.

4        La Commission européenne soutient la demande du Conseil, en soulignant que le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement du Royaume du Maroc, a publiquement déclaré, le 25 février 2016, que ce gouvernement avait pris la décision de suspendre la totalité de ses contacts avec les institutions de l’Union, à l’exception des échanges relatifs au dossier lié à l’arrêt attaqué.

5        Pour sa part, le Front Polisario conteste le bien-fondé juridique et factuel de cette demande. À cet égard, il soutient, en premier lieu, que l’affaire C‑104/16 P ne saurait être soumise à une procédure accélérée dès lors qu’elle est complexe, qu’une décision de justice telle que l’arrêt attaqué ne peut pas être regardée, en elle-même, comme un facteur d’insécurité juridique et que le Conseil s’est abstenu d’assortir son pourvoi d’une demande en référé alors qu’il en avait initialement exprimé l’intention. En second lieu, il fait valoir que l’insécurité juridique invoquée par le Conseil n’est pas démontrée dans la mesure où l’accord en cause demeure en vigueur et continue en pratique à être appliqué depuis l’arrêt attaqué, où il n’est pas établi que l’Union et le Royaume du Maroc soient empêchés de négocier d’autres accords, pour autant que ceux-ci ne s’appliquent pas au Sahara occidental, et où leurs relations bilatérales paraissent avoir été rétablies à la suite d’une rencontre organisée le 4 mars 2016 entre la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, vice-présidente de la Commission, et le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Royaume du Maroc.

6        L’article 133, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président de la Cour peut, lorsque la nature d’une affaire exige son traitement dans de brefs délais, l’autre partie entendue, décider de soumettre cette affaire à une procédure accélérée.

7        À cet égard, il doit être rappelé, en premier lieu, qu’il découle d’une jurisprudence constante que ni l’insécurité juridique entourant la légalité ou l’interprétation d’un acte ni le nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées ne sont susceptibles, en tant que tels, de constituer des circonstances exceptionnelles de nature à justifier qu’une affaire soit soumise à une procédure accélérée (voir, en ce sens, ordonnances du 21 septembre 2004, Parlement/Conseil, C‑317/04, non publiée, EU:C:2004:834, point 11, ainsi que du 15 février 2016, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, non publiée, EU:C:2016:94, points 8, 10 et 11).

8        En l’espèce, il s’ensuit que, pour autant qu’une incertitude juridique pèse sur la mise en œuvre du mécanisme de traitement préférentiel prévu par l’accord en cause, au détriment des producteurs concernés, cette situation ne justifie pas en elle-même que l’affaire C‑104/16 P soit soumise à une procédure accélérée.

9        Cela étant, il convient, en second lieu, de constater que cette affaire a pour objet un pourvoi contre un arrêt qui a annulé une décision du Conseil concernant la conclusion d’un accord de coopération commerciale entre l’Union et le Royaume du Maroc, en ce qu’une telle décision avait approuvé l’application de cet accord au Sahara occidental.

10      Ladite affaire porte donc sur le domaine tout à la fois essentiel et sensible d’activité de l’Union qu’est la conduite de ses relations avec les États tiers (voir, par analogie, ordonnance du 1er mars 2010, E et F, C‑550/09, non publiée, EU:C:2010:103, point 10), et plus particulièrement sur la conclusion d’un accord relevant de sa politique commerciale commune.

11      Or, la Cour a déjà relevé que, dans ce domaine, l’annulation d’un acte tel que la décision litigieuse, sans maintien dans le temps de ses effets, est susceptible d’avoir des conséquences négatives importantes sur les relations de l’Union avec l’État tiers concerné (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2015, Commission/Conseil, C‑28/12, EU:C:2015:282, point 61).

12      En l’espèce, il ressort du pourvoi que l’une des principales controverses opposant les parties dans l’affaire C‑104/16 P porte sur la question délicate de savoir si et, le cas échéant, de quelle manière, le Conseil devait, avant d’approuver l’accord en cause au nom de l’Union et d’adopter la décision litigieuse, tenir compte du fait que cet accord était susceptible de s’appliquer au Sahara occidental.

13      En outre, lesdites parties s’accordent toutes trois pour signaler qu’une suspension des relations diplomatiques entre l’Union et le Royaume du Maroc est intervenue dans le contexte de la présente affaire, même si elles sont en désaccord sur ses circonstances précises.

14      Enfin, il ressort des documents produits par le Front Polisario en annexe à ses observations que, si la rencontre entre la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Royaume du Maroc mentionnée au point 5 de la présente ordonnance a conduit les intéressés à « discut[er] de nouveaux mécanismes d’échange » et « laiss[e] présager un retour à la normale dans les relations entre le Royaume [du Maroc] et l’Union », à la suite du « gel de la coopération décidé par le gouvernement marocain », la reprise de cette coopération « n’a pas encore [été] décidé[e] ». Il ne peut donc pas être exclu que cette situation se prolonge.

15      Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la nature de l’affaire C‑104/16 P exige son traitement dans de brefs délais.

16      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments du Front Polisario relatifs à la complexité de ladite affaire et à l’absence de demande en référé du Conseil.

17      En effet, d’une part, la complexité éventuelle d’une affaire ne fait pas nécessairement obstacle à ce qu’il soit recouru à l’article 133 du règlement de procédure, dont les modalités de mise en œuvre permettent de tenir compte de l’ensemble des caractéristiques propres à chaque affaire.

18      D’autre part, s’il est vrai que l’article 278 TFUE permettait au Conseil d’assortir le présent pourvoi d’une demande en référé et que ce dernier n’a pas fait usage d’une telle faculté, il n’en reste pas moins que l’objet et les conditions de mise en œuvre d’une telle demande et d’une demande présentée sur le fondement de l’article 133 du règlement de procédure ne sont pas identiques. Or, en l’espèce, la demande de procédure accélérée présentée par le Conseil s’avère justifiée par la nature de l’affaire C‑104/16 P, pour les motifs énoncés aux points 9 à 14 de la présente ordonnance.

19      Partant, il convient de soumettre l’affaire C‑104/16 P à la procédure accélérée prévue à l’article 133 du règlement de procédure.

Par ces motifs, le président de la Cour ordonne :

–        L’affaire C‑104/16 P est soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 133 du règlement de procédure de la Cour.

–        Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 7 avril 2016.

A. Calot Escobar

 

      K. Lenaerts

Greffier

 

      Président de la Cour


* Langue de procédure : le français.