Language of document : ECLI:EU:C:2013:700

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 24 octobre 2013 (1)

Affaire C‑461/12

Granton Advertising BV

contre

Inspecteur van de Belastingdienst Haaglanden/kantoor Den Haag

[demande de décision préjudicielle formée par le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (Pays-Bas)]

«Fiscalité – TVA – Article 13, B, sous d), points 3 et 5, de la sixième directive 77/388/CEE – Exonération des opérations concernant des effets de commerce ou portant sur des titres – Émission de cartes de réduction»





I –    Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle concerne une nouvelle fois les difficultés que des systèmes complexes de distribution suscitent dans le régime de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») (2). Le régime fiscal de cartes spéciales de réduction, faisant l’objet de la procédure au principal, touche à la fois deux aspects du système de la TVA de l’Union européenne qui posent des problèmes.

2.        D’une part, la finalité des exonérations d’opérations financières, qui reste toujours l’une des grandes énigmes du système de la TVA. Ainsi que la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen l’a en effet relevé, il n’y a pas si longtemps, aucune raison précise n’a clairement été avancée pour expliquer cette exonération (3).

3.        D’autre part, la présente procédure soulève aussi incidemment des questions sur le régime de la TVA des bons. La Commission européenne a observé récemment en substance que le monde économique a évolué et que les règles de la TVA pourraient ne plus en suivre le rythme (4).

4.        La présente procédure permet à présent à la Cour de développer et de préciser la jurisprudence qu’elle a rendue à ce jour sur ces aspects problématiques du système de la TVA pour soulager la perplexité des institutions de l’Union et remédier au mutisme des règles de l’Union.

II – Le cadre juridique

5.        Durant la période 2001-2005, qui intéresse la procédure au principal, le régime des taxes sur le chiffre d’affaires de l’Union était régi par la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (5) (ci-après la «sixième directive»).

6.        Aux termes de l’article 13, B, sous d), de la sixième directive, les États membres exonèrent notamment:

«[…]

3.      les opérations, y compris les négociations, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l’exception du recouvrement de créances,

[…]

5.      les opérations, y compris la négociation mais à l’exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d’associations, les obligations et les autres titres, à l’exclusion:

des titres représentatifs de marchandises,

des droits ou titres visés à l’article 5 paragraphe 3;

[…]»

7.        La loi sur la taxe sur le chiffre d’affaires (Wet op de omzetbelasting) est calquée sur ces dispositions de la sixième directive.

III – La procédure au principal et la procédure devant la Cour

8.        La procédure au principal concerne en substance un rappel de TVA de 643 567 euros pour la période 2001-2005. Ce rappel est adressé à la société néerlandaise Granton Advertising BV (ci-après «Granton Advertising») qui avait vendu au cours de cette période des cartes dites «Granton» entre 15 et 25 euros en exonération de la TVA, à tort aux yeux de l’administration fiscale.

9.        Le titulaire d’une carte Granton avait droit, pour une durée déterminée, à une réduction de prix sur la commande de certaines prestations aux entreprises reprises sur la carte. Y figuraient certaines offres de restaurants, de cinémas et d’hôtels. Une réduction de prix typique consistait à ne payer le prix que d’une unité à l’achat de deux. La carte Granton ne conférait en revanche aucun droit à des espèces ni à des prestations gratuites.

10.      Les entreprises reprises sur la carte s’étaient contractuellement engagées envers Granton Advertising à accorder les réductions de prix. À cet effet, Granton Advertising ne devait faire aucun versement aux entreprises.

11.      Devant les autorités et juridictions nationales, Granton Adverstising invoque l’exonération de la vente des cartes Granton. Le Gerechtshof ’s‑Hertogenbosch, saisi à présent du litige, estime nécessaire d’interpréter la sixième directive sur ce point. Il a dès lors posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes au titre de l’article 267 TFUE:

«1)      Faut-il interpréter les termes ‘autres titres’ figurant à l’article 13, B, initio et sous d), point 5, de la sixième directive 77/388/CEE en ce sens qu’ils incluent une carte Granton, carte cessible utilisée pour payer (partiellement) des biens et services, et, si tel est le cas, l’émission et la vente d’une telle carte sont-elles exonérées de la TVA?

2)      Si la première question appelle une réponse négative, faut-il interpréter les termes ‘autres effets de commerce’ figurant à l’article 13, B, initio et sous d), point 3, de la sixième directive 77/388/CEE en ce sens qu’ils incluent une carte Granton, carte cessible utilisée pour payer (partiellement) des biens et services, et, si tel est le cas, l’émission et la vente d’une telle carte sont-elles exonérées de la TVA?

3)      Si la carte Granton est un ‘autre titre’ ou un ‘autre effet de commerce’ dans le sens cité ci-dessus, le fait qu’il soit en pratique irréalisable de percevoir, à l’occasion de son utilisation, une TVA afférente au (à une partie proportionnelle du) prix payé pour la carte, a-t-il une incidence sur la question de l’exonération de la TVA sur son émission et sa vente?»

12.      Dans la procédure devant la Cour, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites.

IV – Appréciation juridique

13.      Nous estimons avec toutes les parties qui ont présenté des observations devant la Cour qu’une carte Granton n’est pas un «autre titre» au sens de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive (point A, ci-dessous) ni un «autre effet de commerce» au sens du point 3 de cette même disposition (point B, ci-dessous). Bien qu’il n’y ait plus lieu de répondre à la troisième question au vu de cette analyse, nous l’examinerons néanmoins en ordre subsidiaire.

A –    L’exonération des opérations portant sur des titres, conformément à l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive

14.      Par sa première question, le juge de renvoi souhaite savoir si une carte Granton est un «autre titre» au sens de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive et si la vente d’une telle carte est dès lors exonérée de la TVA.

15.      D’après la jurisprudence, une opération devrait remplir deux conditions générales pour être exonérée au titre de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive. Tout d’abord, elle doit être réalisée «sur le marché des valeurs mobilières» et, ensuite, elle doit changer la situation juridique et financière entre les parties (6). Il suffit à cet égard que l’opération soit simplement susceptible de créer, de modifier ou d’éteindre les droits et les obligations des parties sur des titres (7).

16.      Le Royaume-Uni semble vouloir déduire de cette jurisprudence que l’exonération de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive n’est pas applicable en l’espèce pour la simple raison que l’émission de la carte Granton ne modifie pas encore à ses yeux la situation juridique et financière des parties.

17.      Il doit néanmoins être souligné que c’est non pas le titre lui‑même qui doit changer la situation juridique et financière entre les parties, mais bien l’opération «portant» sur un titre au sens de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive. C’est ce qui se produit d’ordinaire dans la cession d’un titre qui change à l’évidence la situation juridique et financière entre les parties à l’égard du titre, mais tel peut aussi être le cas d’une garantie d’émission d’actions (8). En l’espèce, comme les cartes Granton ont été cédées, il y a eu en tout cas un changement de la situation juridique et financière entre les parties à l’égard de la carte Granton.

18.      La seule question qui se pose dès lors en l’espèce est de savoir s’il s’agit d’une opération intervenant «sur le marché des valeurs mobilières». Cela présuppose que la carte Granton soit un titre.

19.      La Cour n’a pas encore précisé à ce jour en quoi consiste le titre visé par l’exonération de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive. Deux questions fondamentales se posent à cet égard: quels types de droits relèvent de la notion de «titre» et ce type de droit doit-il être matérialisé, c’est-à-dire attaché à un document précis ou à un autre objet?

20.      La deuxième question est dénuée de pertinence dans la procédure au principal dès lors que la carte Granton matérialise en tout cas un droit en ce qu’elle doit être présentée à chaque entreprise pour faire valoir les droits qui y sont attachés. On doit cependant rechercher si le droit attesté par la carte Granton, à savoir le droit à une réduction pour certaines prestations de certains entrepreneurs, est un droit qui relève de la notion de «titre» au sens de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive.

21.      L’énoncé de cette disposition étant parfaitement vague, cette question doit se résoudre en considérant le contexte et la finalité de la disposition.

1.      Le contexte

22.      Le Royaume des Pays-Bas a indiqué, à juste titre, que la notion de «titre» doit être interprétée au regard des «actions, parts de sociétés ou d’associations» et «obligations» expressément mentionnées dans la disposition. La formule «et les autres titres» montre en effet clairement que les droits qui ont été mentionnés sont aussi des titres. Sous cet angle, il est évident que la notion de «titre» doit tout d’abord comprendre deux types de droits: les droits dans le capital d’une société et les créances de somme.

23.      Il doit être admis en outre avec le Royaume-Uni que les produits dérivés de ces droits, tels que les options et contrats à terme, doivent aussi être rangés dans les titres visés par l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive. Relèvent des produits dérivés exonérés les droits permettant, à certaines conditions, de prétendre à un droit dans le capital d’une société ou à une créance. L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 1777/2005 (9) confirme que les droits de cette nature relèvent de la notion de «titre» là où il suppose qu’il existe des options dont la vente relève de l’article 13, titre B, sous d), point 5, de la sixième directive. Il est vrai que, aux termes de son article 23, ce règlement n’est pas encore applicable à la période en cause dans la procédure au principal. Cependant, le comité de la TVA avait estimé dès l’année 2001, à la grande majorité des délégations, que des opérations portant sur des options négociables sur des marchés réglementés sont exonérées de TVA en vertu de l’article 13, titre B, sous d), de la sixième directive (10).

24.      L’exclusion des titres représentatifs de marchandises visés à l’article 13, B, sous d), point 5, premier tiret, de la sixième directive permet certes de conclure en outre que les droits à la livraison d’un objet peuvent en principe aussi relever de la notion de «titre». Toutefois, les opérations sur des titres représentatifs de marchandises ne seront précisément pas exonérées.

25.      L’autre exclusion inscrite à l’article 13, B, sous d), point 5, deuxième tiret, exclut de l’exonération des droits ou titres visés à l’article 5, paragraphe 3, de la sixième directive. Aux termes du point c) de cette disposition, les États membres peuvent par exemple considérer comme biens corporels les parts d’intérêts et actions dont la possession assure en droit ou en fait l’attribution en propriété ou en jouissance d’un bien immeuble ou d’une fraction d’un bien immeuble. Il s’agit donc ici d’assimiler dans certains cas la cession de droits portant sur une société, qui constitue en principe une prestation de services au sens de l’article 6 de la sixième directive (11), à la cession du bien immeuble lui-même et, de ce fait, à la livraison d’un bien au sens de l’article 5 de la sixième directive.

26.      La Cour a déterminé à cet égard que cette exception à l’exonération n’est pas applicable si l’État membre n’a pas fait usage de la possibilité prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous c), de la sixième directive (12). Il s’ensuit que les droits mentionnés dans l’exception énoncée au deuxième tiret sont en principe également susceptibles de faire l’objet d’un titre exonéré par l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive. L’exception énoncée au deuxième tiret visant toutefois non pas seulement le point c), mais l’ensemble du paragraphe 3 de l’article 5, tous les droits qui y sont mentionnés devraient dès lors relever de la notion de «titre». L’article 5, paragraphe 3, ne comporte pas seulement au point c) les cas décrits où des droits portant sur une société véhiculent le droit de propriété sur un bien immeuble. Les points a) et b) décrivent de surcroît des droits sur des biens immeubles ainsi que des droits réels qui confèrent à leur titulaire un droit de jouissance sur des biens immeubles, sans le truchement d’une société.

27.      De plus, le vaste renvoi que l’article 13, B, sous d), point 5, deuxième tiret, fait à l’ensemble de l’article 5, paragraphe 3, de la sixième directive ne veut pas forcément dire que non seulement les droits dans le capital d’une société et les créances ainsi que leurs dérivés, mais en principe aussi tous les droits sur un bien immeuble font partie des droits susceptibles de faire l’objet d’un titre. Le renvoi peut aussi être interprété plutôt en ce sens qu’il n’est censé viser que les cas de l’article 5, paragraphe 3, relevant en définitive de la notion de «titre» dans son acception générale.

28.      On doit ainsi constater que, au regard du contexte de la directive, la notion de «titre» visée à l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive comporte en tout cas les droits suivants: les droits dans le capital d’une société et les créances ainsi que leurs dérivés. Les deux premiers types de droits étant expressément mentionnés dans la disposition, les «autres titres» visent donc les produits dérivés de ces droits.

2.      La finalité

29.      Ainsi que nous le montrerons à présent, cette interprétation à laquelle nous venons d’aboutir n’est pas non plus remise en cause par la finalité de l’exonération de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive.

30.      Ainsi que l’avocat général Jääskinen l’a déjà constaté, on ne connaît pas exactement la raison de l’exonération des opérations financières puisque les travaux préparatoires sont muets sur ce point (13).

31.      La Cour, elle aussi, n’a jusqu’ici fait qu’effleurer la définition de la finalité de ces exonérations. Elle a certes indiqué à plusieurs reprises dans sa jurisprudence que les différentes exonérations que l’article 13, B, sous d), de la sixième directive prévoit pour les opérations financières serviraient à éviter une augmentation de coût du crédit à la consommation et à pallier les difficultés liées à la détermination de la base d’imposition (14). Ce début de précision ne peut toutefois pas être satisfaisant pour les exonérations étrangères à l’octroi d’un crédit ou qui ne présentent aucune difficulté liée à la détermination de la base d’imposition.

32.      Ces deux aspects valent parfaitement pour l’exonération en cause des opérations portant sur des titres conformément à l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive. Cette exonération est sans incidence sur le coût d’un crédit à la consommation, et la base d’imposition se détermine sans difficulté, notamment, en cas de vente d’un titre, dès lors que, aux termes de l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, elle peut être fondée simplement sur le prix de vente.

33.      Tout récemment encore, l’avocat général Sharpston n’est pas parvenue à saisir la finalité de l’exonération des opérations portant sur des titres (15) et nous ne lui trouvons pas non plus de justification satisfaisante. Certes, on peut déduire de la jurisprudence que la Cour a consacrée à la finalité de l’exonération de la gestion de fonds communs de placement prévue à l’article 13, B, sous d), point 6, de la sixième directive que l’exonération des opérations portant sur des titres doit affranchir les investissements financiers de la TVA (16). Mais y voir l’objectif unique serait contraire à la jurisprudence de la Cour selon laquelle même la vente d’une participation répondant à une stratégie de groupe est visée par l’exonération (17).

34.      Dans une situation aussi peu claire, il est bon de se rappeler un principe que la Cour a réaffirmé à moult reprises dans une jurisprudence constante: les termes employés pour désigner les exonérations figurant dans la sixième directive sont d’interprétation stricte, étant donné qu’elles constituent des dérogations au principe selon lequel la TVA est perçue sur chaque livraison de biens et chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti (18).

35.      La Cour a certes nuancé ce principe ultérieurement dans sa jurisprudence en ajoutant que cette règle d’interprétation stricte ne signifie pas que les termes utilisés pour définir les exonérations doivent être interprétés d’une manière qui priverait celles-ci de leurs effets et que l’interprétation doit donc être conforme aux objectifs poursuivis par les exonérations (19). Mais si, comme en l’espèce pour l’exonération de l’article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive, on ne peut repérer aucun objectif, le principe de l’interprétation stricte des exonérations doit jouer de manière absolue.

36.      Dans ces conditions, il n’y a aucune raison de qualifier de «titre» au sens de cette exonération l’octroi de droits autres que des droits dans le capital d’une société, des créances ainsi que leurs dérivés. L’interprétation stricte empêche aussi d’inclure dans la notion de «titre» tous les droits sur des biens immeubles au motif du renvoi fait à l’article 13, B, sous d), point 5, deuxième tiret, de la sixième directive (20).

3.      Conclusion intermédiaire

37.      La carte Granton ne confère pas de droit dans le capital d’une société ni de créance. Elle ne véhicule pas non plus de tels droits sous la forme d’un produit dérivé, dès lors qu’elle n’a pour objet aucun droit sous condition à une participation dans une société ou à une créance, mais permet simplement d’acquérir quelque chose à un prix d’achat réduit. Une carte de réduction, telle la carte Granton, n’est donc pas un «autre titre» au sens de l’article 13, B, sous d), point 5), de la sixième directive en sorte que sa vente n’est pas exonérée par cette disposition.

B –    L’exonération des opérations concernant des effets de commerce, conformément à l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive

38.      La deuxième question veut analyser si la carte Granton est un «autre effet de commerce» au sens de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive et si la vente d’une telle carte est donc exonérée de la TVA.

39.      En plus des opérations liées à la gestion de comptes, l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive exonère les opérations concernant les «créances, chèques et autres effets de commerce».

40.      Ainsi que l’ont relevé à juste titre tant le Royaume des Pays-Bas que le Royaume-Uni, les exemples donnés dans la disposition renferment à chaque fois un droit à une somme d’argent. Il est donc évident que par «autres effets de commerce» on ne doit entendre que les droits qui, sans être une créance ou un chèque, donnent un droit à une somme d’argent.

41.      Cette analyse est aussi conforme à la finalité que nous reconnaissons à l’exonération des opérations concernant les effets de commerce. Nous sommes convaincue qu’il s’agit ici de droits que le public assimile à de l’argent, et qui, sur le plan de la TVA, appellent le même régime que la remise d’argent elle-même. Il est unanimement admis que la remise d’argent n’est pas imposée en tant que telle, mais n’est que la contrepartie d’une prestation imposée soit parce qu’il ne s’agit là ni d’une livraison de biens ni d’une prestation de services au sens de l’article 2, point 1, de la sixième directive (21), soit parce qu’elle est soustraite à l’imposition par l’article 13, B, sous d), point 4, de la sixième directive.

42.      Une carte comme la carte Granton, qui ne donne que le droit à une réduction de prix à l’acquisition de certaines prestations, n’a pas pour objet un droit à une certaine somme d’argent et ne pourrait pas non plus être assimilée à de l’argent par le public.

43.      Il convient donc de répondre à la deuxième question qu’une carte de réduction telle la carte Granton n’est pas «un autre effet de commerce» au sens de l’article 13, B, sous d), point 3, de la sixième directive. L’exonération n’est donc pas non plus applicable à la vente des cartes Granton.

C –    Imposition de l’utilisation de la carte Granton

44.      Par sa troisième question, le juge de renvoi souhaite enfin savoir l’incidence que peut avoir sur une exonération de la carte Granton le fait qu’il soit en pratique irréalisable de percevoir, à l’occasion de son utilisation, la TVA proportionnellement au prix payé pour la carte.

45.      Le juge de renvoi ne pose certes cette question qu’au cas où la carte Granton est un «autre titre» ou un «autre effet de commerce» au sens de l’article 13, B, sous d), points 5 et 3, de la sixième directive. Tel n’étant pas le cas, comme nous l’avons exposé précédemment, la Cour ne doit pas répondre à cette question.

46.      Nous estimons toutefois utile d’apporter une précision sur cette question, car la question du juge de renvoi pourrait procéder d’idées inexactes sur le régime de la TVA des cartes ou bons de réduction. La Commission a indiqué à juste titre que, sur ce point, il convient de suivre la jurisprudence de la Cour sur l’utilisation de bons donnant droit, à leur remise, à une réduction de prix et qui sont comparables en cela à la présente carte Granton.

47.      Si la carte Granton est utilisée pour prétendre aux prestations figurant sur celle-ci, cela ne donne pas lieu à un prélèvement de la TVA au moment de son utilisation. La base d’imposition pour les prestations obtenues sur présentation de la carte n’est, conformément à l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, que le prix que l’utilisateur de la carte Granton doit effectivement payer et qui seul constitue la valeur de la contre-prestation.

48.      Dans sa jurisprudence, la Cour n’a en effet admis que dans deux cas d’utilisation d’un bon de réduction du prix normal d’une prestation que le bon ait lui-même une valeur et conduise ainsi à accroître la base d’imposition par rapport au prix payé.

49.      D’une part, tel sera le cas lorsque l’assujetti, qui accepte un bon de réduction de prix, a la possibilité d’échanger ce bon chez un tiers contre de l’argent (22). Le bon que l’assujetti reçoit a alors pour lui une valeur pécuniaire qui doit être assimilée à un moyen de paiement dans le calcul de la base d’imposition (23).

50.      D’autre part, un bon de réduction de prix intéresse le calcul de la base d’imposition lorsqu’il est utilisé si l’assujetti, qui l’accepte, a lui-même vendu le bon auparavant. Dans ce cas, le bon doit être assimilé à un moyen de paiement et estimé à la valeur qui lui a été donnée dans sa vente antérieure (24).

51.      On ne rencontre toutefois aucun de ces deux cas de figure en l’espèce. Les entreprises qui se sont engagées envers Granton Advertising à accorder des réductions sur présentation de la carte Granton n’ont pas vendu elles-mêmes la carte Granton et la présentation de celle-ci ne les investit pas non plus de créances envers un tiers.

52.      Le prix d’acquisition de la carte Granton n’a donc aucune incidence sur la base d’imposition des prestations obtenues sur présentation de la carte Granton. Il s’ensuit qu’aucune TVA ne doit être prélevée, lors de son utilisation, proportionnellement au prix payé pour la carte.

53.      On doit certes approuver le juge de renvoi lorsqu’il indique que, si la carte Granton est vendue en exonération, la taxe devrait être prélevée sur son utilisation pour garantir le prélèvement de la taxe sur l’intégralité du montant que le consommateur final a dépensé pour obtenir les prestations définies sur la carte Granton. Les exonérations prévues à l’article 13, B, sous d), points 5 et 3, de la sixième directive, n’étant toutefois pas applicables à la vente des cartes Granton, on l’a vu, la taxe couvre en deux temps, à savoir à la vente de la carte Granton et à son utilisation, tout ce que le titulaire d’une carte Granton a dépensé au bout du compte pour acquérir les prestations indiquées sur la carte Granton.

54.      Si la Cour devait estimer qu’il y a lieu de répondre à la troisième question, il conviendrait de répondre pour toutes ces raisons que, dans les circonstances qui se présentent dans la procédure au principal, aucune taxe ne doit être prélevée à l’utilisation de la carte Granton proportionnellement au prix payé pour celle-ci.

V –    Conclusion

55.      En conclusion, nous proposons toutefois de ne répondre qu’aux deux premières questions préjudicielles du Gerechtshof ’s-Hertogenbosch comme suit:

Une carte de réduction comme la carte Granton n’est pas un «autre titre» au sens de l’article 13, B, initio et sous d), point 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres, relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur le valeur ajoutée: assiette uniforme, ni un «autre effet de commerce» au sens de l’article 13, B, initio et sous d), point 3, de ladite directive.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 –      Voir à ce sujet les conclusions que nous avons présentées le 13 septembre 2012 dans l’affaire Grattan (C‑310/11), pendante devant la Cour.


3 –      Rapport de la commission des affaires économiques et monétaires, du 15 septembre 2008, sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne le traitement des services d’assurance et des services financiers (A6-0344/2008, p. 22).


4 –      Voir proposition de la Commission relative à une directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne le traitement des bons, publiée sans date ni référence sur le site http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/vat/key_documents/legislation_proposed/index_ fr.htm (consulté à la date du 5 octobre 2013).


5 –      JO L 145, p. 1.


6 –      Arrêts du 29 octobre 2009, SKF (C‑29/08, Rec. p. I‑10413, point 48); du 10 mars 2011, Skandinaviska Enskilda Banken (C‑540/09, Rec. p. I‑1509, point 30); du 5 juillet 2012, DTZ Zadelhoff (C‑259/11, point 22), et du 19 juillet 2012, Deutsche Bank (C‑44/11, point 36). Voir, également, arrêt du 28 juillet 2011, Nordea Pankki Suomi (C‑350/10, Rec. p. I‑7359, point 26).


7 –      Voir arrêts Skandinaviska Enskilda Banken (précité à la note 6, points 31 et suiv.); DTZ Zadelhoff (précité à la note 6, point 23), et Deutsche Bank (précité à la note 6, point 37). Voir, également, arrêt du 13 décembre 2001, CSC Financial Services (C‑235/00, Rec. p. I‑10237, point 33).


8 Voir arrêt Skandinaviska Enskilda Banken (cité à la note 6, point 33).


9 –      Règlement du Conseil du 17 octobre 2005, portant mesures d’exécution de la directive 77/388 (JO L 288, p. 1).


10  Orientations découlant de la 63e réunion du 17 juillet 2001 – TAXUD/2441/01; sur la portée des lignes directrices données sous la forme d’orientations par le comité de la TVA, voir points 47 et suiv. des conclusions que nous avons présentées le 31 janvier 2013 dans l’affaire RR Donnelley Global Turnkey Solutions Poland (C‑155/12).


11 –      Voir article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, premier tiret, de la sixième directive.


12 –      Arrêt DTZ Zadelhoff (cité à la note 6, point 42).


13 –      Point 22 des conclusions qu’il a présentées le 16 décembre 2010 dans l’affaire Skandinaviska Enskilda Banken, citée à la note 6.


14 –      Voir arrêts du 19 avril 2007, Velvet & Steel Immobilien (C‑455/05, Rec. p. I‑3225, point 24); du 22 octobre 2009, Swiss Re Germany Holding (C‑242/08, Rec. p. I‑10099, point 49), et Skandinaviska Enskilda Banken (cité à la note 6, point 21). Voir, également, ordonnance du 14 mai 2008, Tiercé Ladbroke (C‑231/07 et C‑232/07, point 24).


15 –      Voir conclusions présentées le 8 mai 2012 dans l’affaire Deutsche Bank (citée à la note 6, points 36 et suiv. ainsi que 51 et suiv. ainsi que jurisprudence et doctrine citées).


16 –      Voir arrêt du 7 mars 2013, Wheels Common Investment Fund Trustees e.a. (C‑424/11, point 19 et jurisprudence citée).


17 –      Arrêt SKF (cité à la note 6, points 42 et suiv.).


18 –      Voir, uniquement, arrêts du 26 juin 1990, Velker International Oil Company (C‑185/89, Rec. p. I‑2561, point 19), et du 21 mars 2013, PFC Clinic (C‑91/12, point 23).


19 –      Voir, uniquement, arrêts du 6 novembre 2003, Dornier (C‑45/01, Rec. p. I‑12911, point 42), et PFC Clinic (cité à la note 18, point 23).


20 –      Voir points 25 à 27 des présentes conclusions.


21 –      C’est bien en ce sens que doit se comprendre l’arrêt du 14 juillet 1998, First National Bank of Chicago (C‑172/96, Rec. p. I‑4387); voir en particulier Dobratz, Leistung und Entgelt im Europäischen Umsatzsteuerrecht, 2005, p. 47 et suiv. ainsi que 153 et suiv.


22 –      Arrêt du 27 mars 1990, Boots Company (C‑126/88, Rec. p. I‑1235, point 13).


23 –      Arrêt du 15 octobre 2002, Commission/Allemagne (C‑427/98, Rec. p. I‑8315, point 58).


24 –      Arrêt du 24 octobre 1996, Argos Distributors (C‑288/94, Rec. p. I‑5311, points 18 à 20).