Language of document : ECLI:EU:T:2002:29

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

7 février 2002 (1)

«Fonctionnaires - Concours général - Épreuve orale - Non-inscription sur la liste de réserve - Stabilité de la composition du jury - Connaissances linguistiques»

Dans l'affaire T-193/00,

Bernard Felix, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Arlon (Belgique), représenté par Mes J. N. Louis et V. Peere, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du jury du concours COM/A/12/98 attribuant au requérant, pour l'épreuve orale dudit concours, une note inférieure au minimum requis et ne l'inscrivant pas sur la liste de réserve,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 23 octobre 2001,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le 31 mars 1998, la Commission a publié l'avis de concours général COM/A/12/98, en vue de la constitution d'une réserve de recrutement d'administrateurs de grade A 7/A 6 dans le domaine, d'une part, du droit et, d'autre part, de l'administration publique européenne (JO C 97 A, p. 30).

2.
    L'avis de concours indiquait notamment:

«[...]

III. Conditions d'admission

[...]

B. Connaissances linguistiques

Les candidats doivent posséder une connaissance approfondie d'une des langues des Communautés (allemand, anglais, danois, espagnol, finnois, français, grec, italien, néerlandais, portugais, suédois) et une connaissance satisfaisante d'une deuxième de ces langues. Ces connaissances doivent être précisées dans l'acte de candidature et dans le formulaire de lecture optique, sans production de piècesjustificatives, pour l'admission à concourir. Le choix fait par les candidats des langues dans lesquelles ils souhaitent passer les épreuves ne peut pas être modifié.»

3.
    Ce concours comprenait, tout d'abord, quatre tests de présélection, ensuite deux épreuves écrites [épreuves e) et f)], et enfin, une épreuve orale [épreuve g)].

4.
    Le point VII A de l'avis de concours prévoyait:

«[...]

d)    Le quatrième test de présélection est constitué d'une série de questions à choix multiple visant à tester le niveau de compréhension d'une deuxième langue communautaire, au choix du candidat, que celui-ci aura précisée dans son acte de candidature.

[...]»

5.
    Le point VII C de l'avis de concours définissait l'épreuve orale comme suit:

«g)    Entretien avec le jury permettant de compléter l'appréciation de l'aptitude des candidats à exercer les fonctions mentionnées au titre II dans un environnement multiculturel. Cet entretien portera également sur la connaissance des institutions et des politiques de l'Union européenne et sur les connaissances linguistiques.

[...]»

6.
    L'épreuve orale était notée de 0 à 50 points, le minimum requis étant fixé à 25 points.

7.
    Sous la rubrique 6 («connaissances linguistiques») de l'acte de candidature, le candidat devait indiquer une «langue principale» pour les trois premiers tests de présélection, pour les épreuves e) et f) ainsi que pour l'épreuve orale, et une «deuxième langue» pour le quatrième test de présélection et l'épreuve orale. Il devait également préciser les «autres langues connues». Ces dernières langues, à la différence de la «langue principale» et de la «deuxième langue» susvisées, n'étaient pas limitées aux langues officielles de la Communauté.

8.
    Le requérant, fonctionnaire de la Commission de catégorie B, a posé sa candidature au concours COM/A/12/98, en optant pour le domaine de l'administration publique européenne. Il a indiqué le français comme «langue principale», l'anglais comme «deuxième langue» et, sous la rubrique «autres langues connues», le néerlandais. Il a été admis à concourir et a participé aux tests de présélection ainsi qu'aux épreuves écrites et orale.

9.
    Les épreuves orales se sont déroulées du 24 janvier au 30 mars 2000. Celle du requérant a eu lieu le 1er février 2000.

10.
    Par lettre du 17 avril 2000, Mme D'Haen-Bertier, chef de l'unité 2 «Politique de recrutement; concours et sélections» de la direction A «Politique du personnel» de la direction générale «Personnel et administration» de la Commission, a, au nom du président du jury de concours, informé le requérant qu'il n'avait pu être inscrit sur la liste de réserve en raison de sa note à l'épreuve orale, qui était de 22/50 (ci-après la «décision litigieuse»). Elle lui a également communiqué les notes qu'il avait obtenues aux autres épreuves, à savoir 20,903/40, 22,443/30, 15,641/20 et 16,34/20 aux tests de présélection, 50/60 à l'épreuve e) et 34/40 à l'épreuve f). Le requérant a pris connaissance de cette lettre le 21 avril suivant.

11.
    Le 26 avril 2000, le requérant a adressé au président du jury de concours une lettre, dans laquelle il précise:

«[...]

Le détail de mes résultats indique que, outre une moyenne de 7,17/10 pour les tests de présélection, n'entrant pas en ligne de compte pour le calcul de la notation en vue de l'établissement de la liste d'aptitude, j'ai obtenu une notation pour les épreuves écrites e) et f) respectivement de 50/60 et 34/40, soit un résultat total de 84/100. Ces notes, par ailleurs très satisfaisantes, correspondaient globalement à mon estimation de ma performance à l'issue de ces épreuves. De plus, ces deux épreuves, indépendantes, donnent des résultats convergents, en ligne avec les tests de présélection.

C'est dans cet esprit que je me permets de vous faire part de ma totale surprise vis-à-vis de la note d'exclusion sanctionnant ma participation à l'épreuve orale g), à savoir 22/50 (soit 44/100). Mon analyse à l'issue de cette épreuve était en effet particulièrement positive vis-à-vis des réponses apportées aux différentes questions, à l'instar de mon impression à l'issue des épreuves rédactionnelles, lesdites réponses étant du même niveau lors de chacune des épreuves e), f) et g). C'est pourquoi je me permets d'émettre les plus forts doutes sur la possibilité d'une telle distorsion de ma perception entre les différentes épreuves, ainsi que sur la probabilité du passage particulièrement abrupt d'une moyenne de 84/100 à un résultat équivalant à une cotation de 44/100.

En outre, je m'interroge sur le fait de savoir si les conditions dans lesquelles l'entretien s'est déroulé n'ont pas été de nature à créer une situation discriminatoire par rapport aux conditions plus sereines que chaque candidat est en droit d'attendre d'un tel entretien, voire à fausser le jugement du jury.

Ces conditions sont les suivantes:

-    l'entretien, prévu à 9 h, le 1er février 2000, a débuté aux environs de 9 h 20 en présence de trois membres du jury. La quatrième personne, en l'absence de laquelle avait débuté l'interview, est arrivée plus de 20 minutes après le début de celui-ci;

-    Dans l'intervalle, et environ 10 minutes après le début de l'entretien, la sonnerie d'un téléphone cellulaire a retenti dans la salle. Après plusieurs sonneries, un membre du jury a extrait le téléphone de ses objets personnels et a quitté le local pour une durée d'environ 5 à 10 minutes, période durant laquelle le jury se composait donc de deux personnes;

-    La troisième personne a regagné le local juste avant l'arrivée du quatrième membre du jury;

-    À ce moment, le président s'est excusé de ces perturbations intervenues en cours d'interview, excuses qu'il a renouvelées en fin d'entretien.

Il faut rappeler que les conditions de cet entretien déterminent la cotation du jury, intervenant dans le décompte final pour 50 points sur 150, mais excluant aussi d'office les candidats qui n'obtiennent pas la moitié de ces 50 points.

[...]»

12.
    Le même jour, le requérant a adressé à MM. Kinnock, vice-président de la Commission, et Reichenbach, directeur général de la direction générale «Personnel et administration» de la Commission, une copie de sa lettre au président du jury de concours.

13.
    Le 15 mai 2000, Mme D'Haen-Bertier a répondu, au nom du président du jury de concours, à cette lettre dans les termes suivants:

«[...]

[Le jury] voudrait vous rappeler qu'il s'agit d'un concours - et non d'un examen de type classique - au cours duquel les mérites comparatifs de l'ensemble des candidats devaient être évalués. Le jury souhaite attirer votre attention sur le fait que le niveau moyen des candidats admis à l'oral était très élevé. Le fait que l'on ait soi-même une bonne évaluation de ses propres prestations ne permet nullement d'être en mesure de connaître celle des autres candidats et de pouvoir se comparer à eux, ce qui est le rôle du jury qui attribue ses notes en conséquence.

En ce qui concerne votre demande sur les motivations du jury quant à votre résultat de l'épreuve orale, le jury est au regret de ne pouvoir y accéder. Il est, en effet, tenu de respecter les dispositions de l'article 6 de l'annexe III du statut relatif au caractère secret des travaux du jury.

Conformément au point [VII C, sous g)] de l'avis de concours [...], le jury a apprécié votre aptitude à exercer les fonctions concernées dans un environnement multiculturel et évalué votre connaissance des institutions et des politiques de l'Union européenne, ainsi que vos connaissances linguistiques. Le jury a, en outre, tenu compte des légers contretemps intervenus au cours de votre entretien, d'une part, en vous accordant plus de temps que les trois-quarts d'heure prévus (votre oral a duré 55 minutes) et, d'autre part, en conservant en mémoire ces inconvénients lors de son évaluation. Par ailleurs, le jury tient à souligner que votre oral a débuté à 9 h 10 et non pas 9 h 20, en présence du président et de deux membres, et que sa composition paritaire était donc bien respectée. Malgré son retard involontaire, le quatrième membre du jury a pu assister à la majeure partie de l'entretien. Enfin, le membre du jury qui a dû s'absenter en raison d'un appel téléphonique est resté absent de la salle l'espace d'une ou deux minutes seulement et non cinq ou dix. Ceci ne l'a pas empêché d'avoir une connaissance complète de votre entretien.

[...]»

14.
    Par lettre du 6 juin 2000, Mme D'Haen-Bertier a répondu, au nom de M. Kinnock, à la lettre que le requérant avait adressée à ce dernier le 26 avril 2000.

Procédure et conclusions des parties

15.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 juillet 2000, le requérant a introduit le présent recours.

16.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé, d'une part, d'ouvrir la procédure orale et, d'autre part, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure prévues par l'article 64 du règlement de procédure du Tribunal, d'inviter les parties à répondre à certaines questions et la Commission à fournir une copie de la «fiche d'évaluation de l'épreuve orale» du requérant, telle que complétée par le jury de concours. Les parties ont déféré à ces demandes.

17.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience du 23 octobre 2001.

18.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision litigieuse;

-    condamner la Commission aux dépens.

19.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

En droit

20.
    À l'appui de son recours, le requérant invoque deux moyens. Le premier moyen est pris de la violation du principe d'égalité de traitement et des règles présidant aux travaux du jury. Le second moyen est tiré de la violation de l'obligation de motivation.

Arguments des parties

21.
    Le requérant prétend, dans le cadre du premier moyen, que le principe d'égalité de traitement et les règles présidant aux travaux du jury ont été violés sous plusieurs aspects dans le cadre de l'organisation et du déroulement des épreuves orales du concours COM/A/12/98. Il relève que, dans son arrêt du 23 mars 2000, Gogos/Commission (T-95/98, RecFP p. I-A-51 et II-219, point 37), le Tribunal a précisé que «le pouvoir d'appréciation particulièrement large dont jouit un jury de concours quant aux modalités et au contenu détaillé des épreuves orales d'un concours doit être contrebalancé par le respect particulièrement scrupuleux des règles régissant l'organisation de ces épreuves» et que, à cet effet, «il incombe au jury, notamment, de veiller strictement au respect du principe d'égalité de traitement - principe fondamental du droit communautaire - lors du déroulement des épreuves d'un concours». Le requérant fait également observer que, au point 41 de cet arrêt, le Tribunal a souligné qu'il appartient au jury «de veiller, dans toute la mesure du possible, à ce que ses appréciations sur tous les candidats examinés lors des épreuves orales soient portées dans des conditions d'objectivité et d'égalité» et de «garantir, en assurant notamment la stabilité de sa composition, que les critères de notation soient 'appliqués de manière cohérente' [...] à tous les candidats». Enfin, le requérant, se référant au point 43 du même arrêt, expose que le «Guide pour les jurys et comités de sélection», élaboré par la Commission, indique, dans sa version d'octobre 1996, que «la désignation pour faire partie d'un jury ne doit pas être prise à la légère et que tout président ou membre doit savoir que son premier devoir est d'être présent lors des travaux. Une absence n'est concevable qu'en cas d'impossibilité absolue ou d'obligations impérieuses».

22.
    En premier lieu, le requérant soutient que la composition du jury n'a pas été stable. Dans sa requête, il avance, à cet égard, que deux jurys différents ont été constitués aux fins des épreuves orales, l'un placé sous la présidence de M. Brackeniers et l'autre sous celle de M. Lennon. Selon lui, le jury a ainsi, dès l'organisation des épreuves orales, décidé de répartir la charge de travail entre ses membres sans que les titulaires aient été dans l'impossibilité de siéger pour des raisons impératives de service et indépendantes de la volonté de l'administration. Dans sa réplique, le requérant fait valoir que M. Brackeniers n'a présidé le jury du concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne, ni le 9 février 2000 ni durant la matinée du 25 janvier 2000, soit au début même desépreuves orales. Lors de l'audience, il a critiqué le fait que Mme Grange, qui avait été désignée comme assesseur aux fins des épreuves écrites, ait, postérieurement à ces épreuves, été nommée membre du jury pour les épreuves orales du concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne.

23.
    En second lieu, le requérant prétend que le jury présidé par M. Lennon, à la différence de celui présidé par M. Brackeniers, a établi une grille d'analyse et d'évaluation.

24.
    En troisième lieu, invoquant les incidents survenus lors de son entretien (voir ci-dessus point 11), il soutient que sa prestation n'a pas été appréciée par le jury dans des conditions d'objectivité et d'égalité par rapport aux autres candidats. Il réaffirme que cet entretien a débuté à 9 h 20 et conteste avoir bénéficié de plus de temps que les autres candidats. Il prétend que le jury ne donne aucune explication sur «l'avantage qu'un candidat pourrait retirer d'une épreuve orale plus longue appréciée successivement par trois, deux, trois et quatre membres du jury» ni sur la manière dont il a pu tenir compte des incidents susvisés lors de l'évaluation de sa prestation. Par ailleurs, le requérant considère que la Commission minimise largement l'importance de ces incidents et avance qu'elle ne saurait, sans risquer de se contredire, à la fois soutenir qu'ils étaient mineurs et prétendre que le jury en a tenu compte. En tout état de cause, une prolongation de son entretien n'aurait pas permis de remédier à la «déconcentration» et aux autres inconvénients causés par les allées et venues de membres du jury et par l'appel reçu par l'un de ceux-ci sur son téléphone portable.

25.
    En quatrième lieu, le requérant critique la manière dont le jury a apprécié ses connaissances linguistiques. À cet égard, il avance que, alors qu'il connaît le français, l'anglais et le néerlandais, l'entretien s'est déroulé en français, à l'exception d'une question de portée limitée qui lui a été posée en anglais. Aucune vérification de ses connaissances en langue néerlandaise n'aurait été effectuée par le jury alors qu'il avait fait mention de celle-ci dans son acte de candidature en tant qu'autre langue connue. Il estime que cette irrégularité est d'autant plus grave que le quatrième test de présélection ne visait qu'à apprécier le niveau de compréhension d'une deuxième langue communautaire. Lors de l'audience, il a fait valoir que l'utilisation de l'expression «les connaissances linguistiques» dans la définition de l'épreuve orale (voir point 5 ci-dessus) devait être comprise comme obligeant le jury de concours à examiner sa connaissance de chacune des trois langues qu'il avait mentionnées dans son acte de candidature.

26.
    La Commission rétorque, en substance, que les arguments du requérant se fondent sur des constatations factuelles inexactes et que ce dernier ne saurait utilement invoquer l'arrêt Gogos/Commission, précité.

27.
    En premier lieu, elle fait remarquer que le concours COM/A/12/98 a été mené en parallèle avec le concours COM/A/11/98, visant à la constitution d'une réserve de recrutement d'administrateurs de grade A 8 et que chacun de ces deux concourscomportait deux domaines, à savoir, d'une part, le droit et, d'autre part, l'administration publique européenne. Elle avance que l'autorité investie du pouvoir de nomination avait institué un jury par concours et que chaque jury avait son propre président titulaire, à savoir M. Lennon pour le concours COM/A/11/98 et M. Brackeniers pour le concours COM/A/12/98, le premier étant en outre président suppléant du jury du concours COM/A/12/98 et le second président suppléant du jury du concours COM/A/11/98.

28.
    En réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 16 ci-dessus), elle a précisé que chacun de ces deux jurys de concours comportait deux formations distinctes, à savoir une par domaine.

29.
    La Commission affirme que la composition du jury du concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne, a été d'une très grande stabilité. Selon elle, la stabilité et l'égalité dans les conditions d'évaluation entre les candidats ont été pleinement assurées à l'intérieur de chaque domaine de chaque concours, conformément aux exigences posées par la jurisprudence communautaire. Elle fait remarquer, à cet égard, que M. Brackeniers a présidé tous les entretiens du jury susvisé, à l'exception de ceux du 9 février 2000 - jour où il a été remplacé par M. Lennon -, et que la composition dudit jury a été identique pendant 19 journées sur les 24 consacrées aux épreuves orales. Renvoyant aux fiches d'évaluation relatives aux entretiens du matin du 25 janvier 2000, elle conteste l'allégation du requérant selon laquelle M. Brackeniers aurait également été absent à ce moment-là. Elle estime que, en tout état de cause, même si ce dernier n'avait pas siégé à ces deux dates, l'exigence de stabilité de la composition du jury n'aurait pas été méconnue. Enfin, la Commission précise que, à la différence de ce qui s'était passé dans le cadre de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Gogos/Commission, précité, l'absence du président du jury le 9 février 2000 n'avait pas été prévue à l'avance et celui-ci était présent dès le début des épreuves orales.

30.
    Par ailleurs, la Commission fait observer que le concours COM/A/12/98 était un concours général, à participation très nombreuse. Elle précise que, 191 candidats ayant participé aux épreuves orales du concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne, 24 journées entières ont dû être consacrées à ces épreuves, à raison de deux ou trois jours par semaine pendant une période de neuf semaines. L'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Gogos/Commission serait intervenue dans un contexte totalement différent en ce qu'elle concernait un concours interne de passage de la catégorie B à la catégorie A, à participation réduite. En outre, dans cette dernière affaire, les épreuves orales n'auraient concerné que 49 candidats et ne se seraient déroulées que durant sept journées.

31.
    En second lieu, la Commission soutient que, préalablement aux entretiens, les différents jurys de concours s'étaient réunis afin d'établir la méthode de travail à suivre pour tous les candidats. Ces jurys se seraient notamment accordés sur l'emploi d'une fiche d'évaluation standard ainsi que d'un formulaire standardintitulé «structure de l'interview - répartition indicative du temps alloué à chaque candidat». L'allégation du requérant selon laquelle le jury présidé par M. Brackeniers n'aurait pas établi de fiche d'évaluation serait donc totalement inexacte.

32.
    En troisième lieu, s'agissant des circonstances dans lesquelles s'est déroulé l'entretien du requérant, la Commission, renvoyant à la lettre de Mme D'Haen-Bertier du 15 mai 2000 (voir ci-dessus point 13), expose que:

-    cet entretien a débuté à 9 h 10, soit avec un léger retard de 10 minutes;

-    le jury était, à ce moment-là, déjà composé conformément au prescrit de l'article 3, premier alinéa, de l'annexe III du statut des fonctionnaires des communautés européennes (ci-après le «statut»), puisqu'il comptait son président, un membre désigné par l'administration et un membre désigné par le comité du personnel;

-    le quatrième membre du jury est arrivé «vers 9 h 35 au plus tard»;

-    le membre du jury appelé sur son téléphone portable n'a été interrompu que durant une ou deux minutes.

33.
    La Commission prétend que ces incidents étaient très mineurs et qu'ils n'étaient certainement pas de nature à fausser l'appréciation portée par les membres du jury sur la prestation du requérant. Elle souligne que son entretien a été prolongé de dix minutes en vue de «compenser» les désagréments que lesdits incidents ont pu avoir engendrés et que le jury en a tenu compte. La réalité de cette prolongation serait démontrée par la «fiche d'évaluation de l'épreuve orale» du requérant, qui indique que son entretien a débuté à 9 h 10 et s'est terminé à 10 h 05 alors que la durée normale des entretiens était de 45 minutes par candidat (les membres du jury délibérant ensuite durant 15 minutes). La Commission ajoute que l'octroi de dix minutes supplémentaires au requérant était une solution «rationnelle» et «parfaitement» proportionnée et estime que ce dernier est malvenu à la critiquer.

34.
    En quatrième lieu, la Commission ne conteste pas que, lors de l'entretien avec le requérant, le jury n'a pas examiné les connaissances de ce dernier en langue néerlandaise. Elle considère néanmoins que les critiques formulées par le requérant à propos de l'évaluation de ses connaissances linguistiques doivent être écartées. Elle fait observer, d'une part, que la notation de la partie linguistique de l'épreuve orale ne représentait que 5 points sur 50 et, d'autre part, que l'avis de concours n'exigeait nullement la connaissance d'une troisième langue. En outre, elle estime que, le requérant ayant déjà démontré, dans le cadre du quatrième test de présélection, une connaissance suffisante de la deuxième langue qu'il avait choisie, à savoir l'anglais, le jury pouvait raisonnablement se contenter de lui poser deux questions lors de cette partie de l'entretien.

Appréciation du Tribunal

35.
    Il importe de rappeler, à titre liminaire, qu'il résulte d'une jurisprudence constante que le jury dispose d'un large pouvoir d'appréciation quant aux modalités et au contenu détaillé des épreuves prévues dans le cadre d'un concours. Conformément à cette jurisprudence, le juge communautaire ne saurait censurer les modalités d'une épreuve que dans la mesure nécessaire pour assurer le traitement égal des candidats et l'objectivité du choix opéré entre ceux-ci (arrêt de la Cour du 24 mars 1988, Goossens/Commission, 228/86, Rec. p. 1819, point 14, et arrêt du Tribunal du 21 mai 1996, Kaps/Cour de justice, T-153/95, RecFP p. I-A-233 et II-663, point 37). Il n'appartient pas davantage au juge communautaire de censurer le contenu détaillé d'une épreuve, sauf si celui-ci sort du cadre indiqué dans l'avis de concours ou n'a pas de commune mesure avec les finalités de l'épreuve ou du concours (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1995, Pimley-Smith/Commission, T-291/94, RecFP p. I-A-209 et II-637, point 26, et arrêt Kaps/Cour de justice, précité, point 37).

36.
    Il convient de relever également que les appréciations auxquelles se livre un jury de concours lorsqu'il évalue les connaissances et les aptitudes des candidats ainsi que les décisions par lesquelles le jury constate l'échec d'un candidat à une épreuve constituent l'expression d'un jugement de valeur. Elles s'insèrent dans le large pouvoir d'appréciation dont dispose le jury et ne sauraient être soumises au contrôle du juge communautaire qu'en cas de violation évidente des règles qui président aux travaux du jury (arrêt du Tribunal du 9 novembre 1999, Papadeas/Comité des régions, T-102/98, RecFP p. I-A-211 et II-1091, point 54, et arrêt Gogos/Commission, précité, point 36).

37.
    En ce qui concerne la première branche, relative au prétendu défaut de stabilité dans la composition du jury, il y a lieu de souligner que, pour pouvoir garantir que les appréciations du jury sur tous les candidats examinés lors des épreuves orales seront portées dans des conditions d'égalité et d'objectivité, il importe que les critères de notation soient uniformes et appliqués de manière cohérente à ces candidats. Ceci suppose, notamment, que, dans toute la mesure du possible, la composition du jury reste stable lors du déroulement des épreuves du concours (arrêt Gogos/Commission, précité, point 41). En particulier, il ressort de la jurisprudence que le président suppléant ne saurait agir en tant que président du jury que lorsque le président a démissionné ou lorsqu'il apparaît que, à la suite d'événements qui ne dépendent pas de la volonté de l'administration, le président est dans l'impossibilité de siéger (arrêt du Tribunal du 17 mars 1994, Smets/Commission, T-44/91, RecFP p. I-A-97 et II-319, point 58, et arrêt Gogos, précité, point 43).

38.
    En l'espèce, ainsi que le soutient à juste titre la Commission, c'est par rapport aux candidats du concours COM/A/12/98 ayant choisi le domaine de l'administration publique européenne qu'il convient d'examiner si ces principes ont été respectés.

39.
    Dans ses écritures, le requérant fait valoir deux arguments au soutien de son grief tiré du prétendu défaut de stabilité de la composition du jury. Premièrement, il prétend que deux jurys différents ont été constitués aux fins des épreuves orales du concours auquel il a participé. Deuxièmement, il avance que M. Brackeniers n'a pas siégé lors des épreuves orales du 25 janvier 2000, au matin, et du 9 février 2000.

40.
    S'agissant du premier argument, il suffit de constater qu'il ressort du dossier que, sous réserve de cinq absences purement ponctuelles, la composition du jury, lors des épreuves orales du concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne, était identique pour tous les candidats admis à ces épreuves et que le jury était placé sous la seule présidence de M. Brackeniers.

41.
    Pour ce qui est du second argument, les fiches d'évaluation relatives aux épreuves orales qui ont eu lieu durant la matinée du 25 janvier 2000 et le «tableau de présence» fourni par la Commission en annexe à ses réponses aux questions écrites du Tribunal (voir point 16 ci-dessus) confirment que le jury du concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne, était présidé par M. Brackeniers à ce moment-là. Les épreuves orales dudit concours - qui était un concours général à participation très nombreuse - s'étendant sur plusieurs semaines, il ne saurait être déduit de l'absence de M. Brackeniers lors de la seule journée du 9 février 2000 un défaut de stabilité de la composition du jury.

42.
    Quant à l'argument soulevé par le requérant à l'audience, tiré du fait que, lors du déroulement de la procédure de concours, Mme Grange avait été nommée membre du jury pour les épreuves orales alors qu'elle avait exercé les fonctions d'assesseur aux fins des épreuves écrites, il est dépourvu de toute pertinence en l'espèce. Il ressort, en effet, du dossier que, à l'exception d'une seule journée et d'un début de matinée, Mme Grange était présente durant la totalité des épreuves orales du concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne.

43.
    Dans ces conditions, il convient de rejeter comme dénuée de tout fondement la première branche.

44.
    En ce qui concerne la seconde branche, il suffit de constater que la Commission a annexé à son mémoire en défense et à sa duplique une copie de la fiche d'évaluation standard utilisée par le jury de concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne. Cette seconde branche est donc totalement erronée en fait.

45.
    S'agissant de la troisième branche, relative aux incidents survenus lors de l'entretien du requérant, il convient de relever que, en vertu des principes de bonne administration et d'égalité de traitement, il incombe aux institutions communautaires d'assurer à tous les candidats à un concours un déroulement le plus serein et régulier possible des épreuves (arrêt du Tribunal du 24 avril 2001, Torre e.a./Commission, T-159/98, Rec. p. I-A-83 et II-395, point 46). Toutefois, uneirrégularité intervenue pendant le déroulement des épreuves d'un concours n'affecte la légalité desdites épreuves que si elle est de nature substantielle et susceptible de fausser les résultats de celles-ci. Lorsqu'une telle irrégularité intervient, il incombe à l'institution défenderesse de prouver que celle-ci n'a pas affecté les résultats des épreuves (arrêt Torre e.a./Commission, précité, point 47, et arrêt du Tribunal du 11 février 1999, Jiménez/OHMI, T-200/97, RecFP p. I-A-19 et II-73, point 55).

46.
    Dans le cas d'espèce, les perturbations intervenues lors de l'entretien du requérant ne sauraient être qualifiées d'irrégularités substantielles au sens de la jurisprudence précitée. D'une part, il ressort de la fiche d'évaluation de son épreuve orale que son entretien a débuté avec un retard, non de 20, mais de 10 minutes. D'autre part, le même document établit que l'entretien du requérant n'a pas, en raison de ce léger retard, été plus court que celui des autres candidats. Bien au contraire, alors que, ainsi que le démontre le formulaire standard relatif à la «structure de l'interview», il était alloué 45 minutes à chaque candidat, le requérant a été entendu durant 55 minutes. Par ailleurs, s'il est constant entre les parties qu'un des quatre membres du jury de concours est arrivé en retard à l'entretien du requérant, il résulte toutefois du dossier que ce membre a assisté à la majeure partie dudit entretien. Enfin, s'agissant de l'interruption provoquée par l'appel téléphonique reçu par l'un des autres membres du jury, sans qu'il soit besoin d'en établir la durée avec précision, force est de constater qu'elle n'a été que relativement brève.

47.
    L'allégation du requérant selon laquelle le fait que le jury de concours ait estimé nécessaire de prolonger son entretien de dix minutes et de tenir compte, lors de l'évaluation de sa prestation, des incidents survenus démontre que ceux-ci étaient significatifs ne saurait être retenue. Cette attitude du jury de concours répondait clairement à un souci d'égalité et de bonne administration et pouvait se justifier même en présence d'incidents mineurs.

48.
    En outre, les incidents survenus lors de l'entretien du requérant ne sauraient avoir faussé les résultats qu'il a obtenus à l'épreuve orale. D'une part, les dix minutes supplémentaires dont il a bénéficié ont suffisamment compensé le temps perdu en raison de ces incidents et les répercussions qu'ils ont pu avoir eues sur sa concentration. Elles ont, notamment, permis au membre retardataire du jury et à celui qui avait été interrompu par un appel téléphonique d'apprécier en pleine connaissance de cause, à l'instar des autres membres du jury, sa performance. D'autre part, aucun élément ne permet de mettre en doute l'affirmation de la Commission selon laquelle le jury de concours a tenu compte des incidents susvisés lors de l'évaluation de la prestation du requérant.

49.
    Il convient donc de rejeter comme non fondée la troisième branche.

50.
    S'agissant de la quatrième branche, tirée de l'absence d'examen, par le jury de concours, des connaissances du requérant en langue néerlandaise lors de l'épreuveorale, il convient de constater que l'avis de concours posait, notamment, comme condition d'admission que les candidats possèdent une connaissance approfondie d'une des langues officielles des Communautés et une connaissance satisfaisante d'une deuxième de ces langues (voir point 2 ci-dessus).

51.
    Il y a lieu d'observer, toutefois, que la rubrique 6 («connaissances linguistiques») de l'acte de candidature obligeait les candidats à mentionner non seulement ces deux langues, mais également toutes les autres langues qu'ils connaissaient, en ce compris, le cas échéant, des langues non officielles de la Communauté (voir point 7 ci-dessus).

52.
    Il ressort du point VII de l'avis de concours et de la rubrique 6 de l'acte de candidature que la «connaissance approfondie» de la première langue choisie par le candidat était requise aux fins des trois premiers tests de présélection, des épreuves e) et f) ainsi que de l'épreuve orale, et la «connaissance satisfaisante» de la deuxième langue choisie l'était aux fins du quatrième test de présélection et de l'épreuve orale (voir points 3, 4 et 7 ci-dessus).

53.
    En revanche, les connaissances des candidats dans les autres langues qu'ils avaient mentionnées dans leur acte de candidature, en ce compris les langues non officielles de la Communauté, n'étaient examinées ni dans le cadre des tests de présélection ni lors des épreuves écrites. La demande faite aux candidats d'indiquer, dans leur acte de candidature, «les autres langues connues» serait donc dépourvue de tout objet si elle n'était pas suivie d'une vérification et d'une appréciation lors de l'épreuve orale.

54.
    Il convient de relever, à cet égard, que, aux termes du point VII C de l'avis de concours, l'épreuve orale avait pour objectif de «compléter l'appréciation de l'aptitude des candidats» et portait, notamment, sur «les connaissances linguistiques» de ceux-ci. Les connaissances des candidats dans la «langue principale» et la «deuxième langue» qu'ils ont choisies ayant déjà été vérifiées sous l'angle de l'expression écrite, il est manifeste que l'épreuve orale devait avoir pour objet de compléter cette vérification par un examen de l'expression orale des candidats en ce qui concerne ces mêmes langues ainsi que toutes les «autres langues connues» mentionnées dans leur acte de candidature.

55.
    En d'autres termes, l'expression «connaissances linguistiques» contenue dans la définition de l'épreuve orale (voir point 5 ci-dessus) doit être interprétée comme englobant toutes les langues indiquées par les candidats dans leur acte de candidature et non comme une référence aux seules connaissances linguistiques exigées comme conditions d'admission au concours.

56.
    En l'espèce, il ressort de l'acte de candidature du requérant que celui-ci avait mentionné le néerlandais comme «autre langue connue». Il est constant entre les parties que, nonobstant la présence parmi ses membres d'un néerlandophone, le jury du concours COM/A/12/98, domaine de l'administration publique européenne,n'a pas apprécié la connaissance du requérant de cette langue, omettant de la sorte de vérifier la véracité de l'indication qu'il avait faite sous la rubrique 6 de son acte de candidature et de lui permettre de justifier d'une qualité supplémentaire de nature à le rendre apte à exercer les fonctions requises. Ce faisant, le jury de concours a méconnu l'avis de concours.

57.
    Il s'ensuit que la quatrième branche du premier moyen est fondée et partant que la décision litigieuse doit être annulée dans la mesure où elle porte sur la notation de l'épreuve orale du requérant sans qu'il soit nécessaire d'examiner le deuxième moyen.

Sur les dépens

58.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à l'ensemble des dépens conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision du jury du concours COM/A/12/98 est annulée dans la mesure où elle porte sur la notation de l'épreuve orale du requérant.

2)     La Commission est condamnée aux dépens.

Cooke

García-Valdecasas
Lindh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 février 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. D. Cooke


1: Langue de procédure: le français.