Language of document : ECLI:EU:T:2008:520

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

20 novembre 2008 (*)

« Référé – Décision de la Commission ordonnant la cessation d’une pratique concertée en matière de gestion collective de droits d’auteur – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑433/08 R,

Società Italiana degli Autori ed Editori (SIAE), établie à Rome (Italie), représentée par Mes M. Siragusa, M. Mandel, L. Vullo et S. Valentino, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Di Bucci et F. Castillo de la Torre, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de l’article 4, paragraphe 2, de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 – CISAC),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

rend la présente

Ordonnance

Antécédents et objet du litige, procédure et conclusions des parties

1        Par la présente demande en référé, la requérante, Società Italiana degli Autori ed Editori (SIAE), une société italienne de gestion collective de droits d’auteur, cherche à obtenir le sursis à l’exécution partielle de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 – CISAC; ci‑après la « décision attaquée »).

2        La décision attaquée concerne les conditions de gestion des droits d’exécution publique des œuvres musicales ainsi que d’octroi des licences correspondantes. Elle est adressée aux 24 sociétés de gestion collective établies dans l’espace économique européen (EEE) qui sont membres de la Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et Compositeurs (CISAC), parmi lesquelles figure la requérante.

3        Les sociétés de gestion collective membres de la CISAC et établies dans l’EEE (ci-après les « sociétés de gestion ») gèrent les droits que détiennent les auteurs (compositeurs, paroliers et arrangeurs) sur les œuvres musicales qu’ils ont créées. Ces droits comportent généralement le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’exploitation des œuvres protégées. C’est notamment le cas en ce qui concerne les droits d’exécution publique. Une société de gestion acquiert ces droits soit par cession directe des ayants droits originaux, soit par transmission de la part d’une autre société de gestion gérant les mêmes catégories de droits dans un autre pays de l’EEE, et concède au nom de ses membres (auteurs et éditeurs) des licences d’exploitation aux utilisateurs commerciaux, tels que les entreprises de radiodiffusion ou les organisateurs de spectacles.

4        La gestion des droits d’auteur implique pour chaque société de s’assurer que chaque ayant droit reçoive la rémunération qui lui est due pour les exploitations faites de ses œuvres, quel que soit le territoire sur lequel ces exploitations ont lieu, et de surveiller qu’aucune exploitation non autorisée d’œuvres protégées n’ait lieu. Le coût d’une telle surveillance est tel que les sociétés de gestion ont conclu entre elles des accords de représentation par lesquels elles se confient, sur une base réciproque, la gestion de leur répertoire sur leurs territoires d’exercice respectifs, afin d’éviter la multiplication des moyens de contrôle mis en place sur chaque territoire.

5        Dans ce contexte, la CISAC a élaboré un contrat type non contraignant dont la version initiale remonte à 1936 et qui doit être complété par les sociétés de gestion contractantes, notamment en ce qui concerne la définition du territoire d’exercice. Sur la base de ce contrat type, les sociétés de gestion ont constitué un réseau d’accords de représentation réciproque par lesquels elles s’accordent mutuellement le droit de concéder des licences. Ces accords couvrent non seulement l’exercice des droits pour les applications traditionnelles dites « off‑line » (concerts, radio, discothèques, etc.), mais également l’exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble.

6        Du fait de ce réseau d’accords de représentation réciproque, chaque société de gestion collective est en mesure de concéder, sur son territoire d’exercice, les licences d’exécution publique d’œuvres musicales non seulement sur le répertoire de ses propres membres, mais également sur le répertoire de toutes les autres sociétés de gestion faisant partie du réseau (licences dites « multirépertoires monoterritoriales »). Grâce au réseau créé par la conclusion de l’ensemble des accords de représentation réciproque, chaque société de gestion peut donc offrir un portefeuille global d’œuvres musicales aux utilisateurs commerciaux. Cela permet auxdits utilisateurs de bénéficier d’un accès à tous les répertoires auprès de la même société de gestion, à savoir la société établie dans le pays où les répertoires sont destinés à être exploités, sans avoir à solliciter une autorisation auprès de chaque société de gestion dont le répertoire est concerné par l’utilisation envisagée (« guichet unique »).

7        Lorsque les sociétés de gestion se font concéder par leurs auteurs membres le droit de gestion mondiale des droits d’utilisation et à condition qu’elles ne se cèdent pas leur répertoire de façon exclusive dans le cadre de leurs accords de représentation réciproque, elles sont habilitées, en dépit du réseau d’accords de représentation réciproque, à gérer elles-mêmes le répertoire de leurs propres membres également en-dehors de leur propre territoire d’exercice (licences dites « monorépertoires multiterritoriales »).

8        À cet égard, il ressort de la décision attaquée (considérant 193) que les sociétés de gestion britannique et allemande, la Performing Right Society (PRS) et la Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA), ont créé une entreprise commune destinée à servir de « guichet unique » à l’échelle paneuropéenne pour concéder aux utilisateurs commerciaux établis dans tout pays de l’EEE des licences multiterritoriales sur les droits dits « on‑line » et « mobiles » en ce qui concerne le répertoire anglo-américain de la société Electric & Musical Industries (EMI).

9        En 2000, RTL, un groupe de radio- et télédiffusion, a déposé auprès de la Commission une plainte contre une société de gestion membre de la CISAC pour dénoncer le refus par celle-ci de lui accorder, pour ses activités de radiodiffusion musicale, une licence à l’échelle communautaire. En 2003, Music Choice Europe, qui fournit des services de radiodiffusion et de télévision sur Internet, a déposé une seconde plainte, dirigée contre la CISAC et visant le contrat type de cette dernière. Ces plaintes ont amené la Commission à ouvrir une procédure d’application des règles communautaires de concurrence, qui a été close par l’adoption de la décision attaquée.

10      Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de certaines clauses contenues dans les accords de représentation réciproque, à savoir la clause d’affiliation des auteurs membres et la clause d’exclusivité, ainsi que celle de la pratique concertée des sociétés de gestion en ce qui concerne la délimitation territoriale du mandat d’octroi des licences, ayant comme résultat une exclusivité territoriale. Selon la Commission, ces clauses et cette pratique concertée sont contraires à l’article 81 CE.

11      S’agissant de la clause d’affiliation, l’article 11, paragraphe 2, du contrat type de la CISAC prévoit que les sociétés de gestion ne peuvent accepter comme membre un auteur déjà affilié à une autre société de gestion ou ayant la nationalité de l’un des pays dans lesquels une autre société de gestion exerçait son activité, que sous certaines conditions. Selon la décision attaquée, un certain nombre de contrats bilatéraux contiennent toujours une telle clause, qui restreint la possibilité pour un auteur de devenir membre de la société de gestion de son choix ou d’être simultanément membre de plusieurs sociétés de gestion opérant au sein de l’EEE pour la gestion de ses droits dans différents territoires.

12      En ce qui concerne la clause d’exclusivité, l’article 1er, paragraphe 1, du contrat type de la CISAC prévoit que l’une des sociétés de gestion confère à l’autre le droit exclusif, sur les territoires où cette dernière opère, d’octroyer les autorisations nécessaires pour toute exécution publique. Selon la décision attaquée, cette clause – par laquelle les sociétés de gestion se garantiraient réciproquement un monopole sur leurs marchés nationaux pour l’octroi de licences « multirépertoires » aux exploitants commerciaux – est encore présente dans les accords bilatéraux signés par 17 sociétés de gestion.

13      Il ressort de la décision attaquée que la CISAC et l’ensemble des sociétés de gestion auraient reconnu, lors de la procédure administrative devant la Commission, que ces deux clauses étaient anti-concurrentielles et injustifiées.

14      Quant à la prétendue pratique concertée relative à la délimitation territoriale, il ressort de la décision attaquée que chaque société de gestion limiterait, dans ses accords bilatéraux, le droit de délivrer des licences couvrant son répertoire au seul territoire national de l’autre société de gestion contractante. Dans la mesure où toutes les sociétés de gestion ont conclu des accords réciproques entre elles, chaque société de gestion aurait un portefeuille global d’œuvres et octroierait des licences couvrant l’utilisation de ce portefeuille global uniquement dans son propre pays.

15      Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de cette pratique concertée uniquement en ce qui concerne les modes d’exploitation par Internet, le satellite et la retransmission par câble, tandis que les modes d’exploitation dits « off-line » (concerts, radio, discothèques, bars, etc.) ne font pas l’objet de la décision attaquée. La Commission estime que, en raison de la pratique concertée, la concurrence est restreinte à deux niveaux : sur le marché des services d’administration que les sociétés de gestion s’offrent mutuellement et sur le marché de l’octroi des licences.

16      Selon la décision attaquée, ladite pratique concertée entraîne une délimitation systématique du territoire au niveau national, qui aurait été précédée de contacts et ne pourrait être expliquée par un prétendu besoin de proximité géographique entre la société de gestion qui délivre la licence et l’utilisateur commercial, car une présence locale ne serait pas nécessaire pour vérifier l’utilisation qui est faite de la licence dans le cadre d’une exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble. La pratique concertée ne serait pas davantage objectivement nécessaire pour assurer que les sociétés de gestion se donnent des mandats réciproques.

17      La Commission se limite à constater, dans le dispositif de la décision attaquée, les infractions décrites ci-dessus, sans infliger des amendes. Ce dispositif se lit comme suit :

« Article premier

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en utilisant, dans leurs accords de représentation réciproque, les restrictions d’affiliation contenues à l’article 11 (II) du contrat type de la [CISAC] (‘ le contrat type de la CISAC ’) ou en appliquant de facto ces restrictions d’affiliation :

[…]

SIAE

[…]

Article 2

Les dix-sept entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en conférant, dans leurs contrats de représentation réciproque, des droits exclusifs comme prévu à l’article 1[er] (I) et (II) du contrat type de la CISAC :

[SIAE n’est pas mentionnée]

Article 3

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en coordonnant les délimitations territoriales de manière à restreindre la portée d’une licence au territoire national de chaque société de gestion collective :

[…]

SIAE

[…]

Article 4

1.      Les entreprises visées aux articles 1er et 2 mettent immédiatement fin, si elles ne l’ont pas déjà fait, aux infractions visées auxdits articles et informent la Commission de toutes les mesures qu’elles ont prises à cette fin.

2.      Les entreprises visées à l’article 3 mettent fin, dans un délai de cent vingt jours à compter de la date de notification de la présente décision, à l’infraction visée audit article et informent la Commission, dans le même délai, de toutes les mesures qu’elles ont prises à cette fin.

En particulier, les entreprises visées à l’article 3 devront revoir de manière bilatérale avec les autres entreprises visées à l’article 3 la portée territoriale de leurs mandats en ce qui concerne la retransmission par satellite et par câble et l’utilisation sur Internet dans chacun de leurs accords de représentation réciproque, et fournir à la Commission des copies des accords réexaminés.

3.      Les destinataires de la présente décision s’abstiennent dorénavant de tout acte ou comportement décrit aux articles 1er, 2 et 3, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 5

La Commission peut, à sa seule discrétion sur la base d’une demande raisonnée faite dans les temps par une ou plusieurs entreprises mentionnées à l’article 3, accorder une extension du délai prévu à l’article 4, paragraphe 2.

[…] »

18      Par lettre du 10 septembre 2008, la requérante a sollicité, en vertu de l’article 5 de la décision attaquée, une prorogation du délai visé à l’article 4, paragraphe 2, de cette même décision, en invoquant l’illégalité de la décision attaquée et l’existence de plusieurs éléments attestant de l’urgence.

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2008, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision attaquée.

20      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 31 octobre 2008, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        adopter toute autre mesure jugée nécessaire.

21      Par lettre du 31 octobre 2008, la Commission a rejeté la demande de prorogation sollicitée par la requérante, en faisant valoir que l’article 5 de la décision attaquée suppose que la société de gestion soit activement engagée à procéder à une révision des accords de représentation mutuelle et qu’elle justifie adéquatement de la nécessité d’un délai plus long pour conclure ladite révision. Cette disposition ne serait pas en revanche destinée à être utilisée pour surseoir à l’exécution de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, dans l’attente du jugement définitif à rendre par le Tribunal dans l’instance au principal.

22       Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 14 novembre 2008, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

23      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

24      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

25      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

26      Enfin, il importe de souligner que l’article 242 CE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C‑377/98 R, Rec. p. I‑6229, point 44, et ordonnance du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 R II, Rec. p. II‑2551, point 42). Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires.

27      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

28      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

 Arguments des parties

29      Au soutien de sa demande en référé, la requérante invoque, en premier lieu, le degré élevé d’incertitude qui caractériserait les mesures de révision des délimitations territoriales des accords de représentation réciproque. Bien que le dispositif de la décision attaquée indique que, pour se conformer à cette dernière, la requérante devrait revoir bilatéralement les accords, il serait difficile de discerner ce que la Commission entend par cette révision. En particulier, la requérante aurait de grandes difficultés à comprendre si l’action requise par la Commission se borne à une révision de la disposition en matière de délimitations territoriales contenue dans chaque accord de représentation réciproque à conclure avec chacune des vingt-trois autres sociétés de gestion, ou si cette action doit nécessairement comporter une modification de l’extension du territoire attribué à chaque société de gestion et des modalités de réalisation de cette extension. En outre, en ce qui concerne ce dernier scénario, la requérante observe que la décision attaquée ne contient aucun élément de référence ou critère quant au nombre d’États membres auquel le territoire devrait être étendu pour que la Commission puisse s’estimer satisfaite. Selon la requérante, le caractère indéterminé des mesures prescrites accroîtrait les coûts associés à la révision, en raison de ce que les sociétés de gestion interpréteraient de façon divergente les conséquences juridiques de la décision attaquée et les mesures nécessaires pour s’y conformer. À défaut de surseoir à l’exécution de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, les coûts déjà encourus par la requérante pour appliquer une décision qu’elle considère illégale augmenteraient de façon exponentielle. Situation qui serait encore aggravée par le fait qu’il serait difficile pour la requérante, eu égard à la jurisprudence communautaire en matière de responsabilité extracontractuelle de la Communauté, d’être ensuite indemnisée par la Commission pour le préjudice subi.

30      En deuxième lieu, la requérante fait grief de ce que, ne pouvant savoir qu’a posteriori si les mesures adoptées seront considérées par la Commission comme appropriées pour se conformer à l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, elle se trouve dans la situation de devoir obtempérer à une décision qu’elle estime illégale, tout en courant le risque que, avant même que le Tribunal ne se prononce, la Commission constate qu’à son avis il n’a pas été mis fin effectivement à l’infraction constatée par l’article 3 de la décision attaquée et partant, qu’elle en vienne à lui infliger des astreintes conformément à l’article 24 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

31      En troisième lieu, la requérante soutient que les mesures ordonnées par la Commission ne relèvent pas de sa compétence décisionnelle exclusive, puisque leur mise en œuvre serait soumise aux décisions autonomes de vingt-trois autres sociétés de gestion. Si certaines ou même toutes les autres sociétés refusaient de rencontrer la requérante aux fins de la révision des délimitations territoriales, la requérante se trouverait dans l’impossibilité de se conformer complètement à la décision attaquée et risquerait de se voir reprocher un manquement à l’article 4, paragraphe 2, de cette décision. Le fait même que la requérante soit en théorie exposée à ce risque constituerait une nouvelle preuve de la nécessité du sursis à l’exécution demandé.

32      En quatrième lieu, toujours selon la requérante, l’exécution de la décision attaquée mettrait en péril l’efficacité d’un réseau d’accords ayant démontré sa totale fiabilité au cours des années, et serait dès lors contraire à la jurisprudence suivant laquelle, dans le cadre de procédures sommaires, des situations dans lesquelles l’ensemble des conditions existantes sur le marché sont modifiées par une décision de la Commission, applicable dans un délai relativement court, représentent, pour les destinataires de la décision, un risque de préjudice grave et irréparable, dans la mesure où elles impliquent des modifications importantes du cadre dans lequel s’exerce leur activité. Cette modification serait susceptible de créer sur le marché une évolution qu’il serait très difficile de renverser ultérieurement, au cas où il serait fait droit au recours au principal (ordonnance du président du Tribunal du 20 novembre 1995, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑395/94 R II, Rec. p. II- 2893, p. 55).

33      À cet égard, la requérante précise que la probabilité d’un changement de scénario se trouve renforcée du fait que les intérêts des différents opérateurs du secteur ? à savoir les sociétés de gestion, les utilisateurs, les auteurs et les éditeurs ? sont souvent divergents. En outre, il y aurait le risque que l’application de la décision attaquée se traduise par un transfert de ressources des auteurs vers les utilisateurs, en raison du « nivellement par le bas » qui pourrait s’opérer entre les sociétés de gestion. Ce « nivellement par le bas » ne concernerait pas seulement le montant des redevances (royalties), mais également l’éventuelle concurrence pour attirer les utilisateurs, ce qui laisse entrevoir la possibilité que certaines sociétés de gestion fassent preuve de laxisme dans les activités de contrôle et de perception des droits d’auteur, d’où une incitation, à l’adresse des utilisateurs, à faire appel à leurs services.

34      La Commission rétorque, en substance, que l’argumentation de la requérante se fonde sur une lecture erronée du dispositif de la décision attaquée. En tout état de cause, le préjudice grave invoqué serait de nature purement hypothétique et sa probabilité n’aurait pas été démontrée de manière suffisante. De plus, ce préjudice ne saurait être tenu pour irréparable, étant donné que rien n’empêcherait la requérante de prévoir, dans ses relations contractuelles avec d’autres sociétés de gestion, un retour à la situation critiquée dans la décision attaquée, une fois que cette dernière aurait été annulée dans le cadre de l’instance au principal.

Appréciation du juge des référés

35      Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C’est à cette dernière qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende la requérante présente un caractère grave et irréparable et justifie, par conséquent, la suspension, à titre exceptionnel, de l’exécution d’une décision, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées. Il n’est toutefois pas nécessaire que l’imminence du préjudice allégué soit établie avec une certitude absolue. Il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance du président du Tribunal du 18 octobre 2001, Arisoteleio Panepostimio Thessalonikis/Commission, T-196/01 R, Rec. p. II-3107, points 32 et 33, et la jurisprudence citée). Néanmoins, un préjudice de nature purement hypothétique, basé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées (ordonnances du président du Tribunal du 15 juillet 1998, Prayon-Rupel/Commission, T-73/98 R, Rec. p. II‑2769, points 22, 26 et 38, et du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T‑241/00 R, Rec. p. II-37, point 37).

36      Dans le cas d’espèce, s’agissant de la condition relative à l’urgence, force est de constater que la présente demande en référé se caractérise par l’absence d’indications concrètes permettant d’établir la nature grave et irréparable du préjudice appréhendé par la requérante dans l’hypothèse où il ne serait pas sursis à l’exécution de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, étant donné que la requérante se borne à formuler de simples suppositions non corroborées par des éléments de preuve.

37      En effet, pour ce qui a trait au premier grief de la requérante, qui se plaint de la difficulté qu’il y aurait à comprendre la portée des injonctions découlant de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, il importe d’observer que la Commission n’a pas qualité pour adopter des injonctions spécifiques imposant aux sociétés de gestion un choix déterminé parmi plusieurs possibilités de conduite licites en ce qui concerne la révision de leurs accords de représentation réciproque, comme l’abandon total ou la modification ponctuelle de ces accords (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24/90, Rec. p. II‑2223, points 51 à 53). Il n’appartient donc pas à la Commission de décider du contenu précis de ces accords, suite à leur révision.

38      En conséquence, la requérante, tout comme chaque autre société de gestion, dispose d’une liberté indubitable quant à la révision des accords en question.

39      À cet égard, la Commission a énoncé, dans la décision attaquée ? dont le dispositif doit être interprété en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (voir arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C-91/01, Rec. p. I-4355, point 49) ? qu’elle offrirait aux sociétés de gestion collective la possibilité d’adapter le système de représentation réciproque aux besoins de l’environnement en ligne et, ce faisant, de le rendre plus attractif pour les ayants droit et les utilisateurs. Dans la décision attaquée, la Commission a mis en avant qu’elle ne contestait pas le système de représentation réciproque en tant que tel, ni n’empêchait les sociétés de gestion de mettre en pratique certaines délimitations territoriales, tout en considérant illégal le caractère coordonné de l’approche adoptée à cette fin par l’ensemble des sociétés. La décision attaquée admet que la concession d’une licence limitée à un territoire donné ne restreint pas automatiquement la concurrence, étant donné que le donneur de licence peut normalement limiter celle-ci à un territoire bien précis sans violer l’article 81, paragraphe 1 CE (voir notamment points 95, 201 et 215).

40      C’est donc à bon droit que la Commission affirme qu’il est possible de respecter l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée sans démanteler le réseau d’accords de représentation réciproque.

41      Quant à l’augmentation des coûts afférents à la révision, induits par la situation de prétendue incertitude, il y a lieu de constater que la requérante n’a produit aucun élément de preuve au soutien de ses affirmations. En outre, la requérante n’a pas soutenu, et encore moins prouvé, que la Commission ? tout en ayant, certes, rejeté sa demande de prorogation du délai visé à l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée ? ait refusé un dialogue en vue de résoudre d’éventuels problèmes d’exécution de l’obligation de révision. En outre, il est de jurisprudence constante que, sauf circonstances exceptionnelles, non invoquées ni a fortiori démontrées dans le cas d’espèce, un préjudice d’ordre purement pécuniaire ne peut, en principe, être regardé comme irréparable, ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut faire l’objet d’une compensation financière ultérieure (voir ordonnance du président du Tribunal du 15 mai 2003, Sison/Conseil, T-47/03 R, Rec. p. II-2047, point 29, et la jurisprudence citée).

42      En outre, s’agissant des faibles probabilités de succès d’un éventuel recours en dommages et intérêts, il importe d’observer que l’incertitude liée à la réparation d’un préjudice pécuniaire dans le cadre d’une telle action ne saurait être considérée, en elle-même, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable d’un tel préjudice [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a., C-414/01 P (R), Rec. p. I-10367, point 71].

43      Pour ce qui est de l’argument invoqué en second lieu par la requérante, selon lequel cette dernière, en raison de l’insécurité juridique qui résulterait de la décision attaquée, s’exposerait au risque d’être sanctionnée par la Commission pour violation de l’obligation de révision des accords de représentation réciproque, il suffit de constater que ce risque est de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains. En tout cas, quand bien même elle entendrait infliger une sanction, la Commission, qui supporte la charge de la preuve, aurait l’obligation de démontrer que le comportement futur de la requérante réunit les éléments d’une infraction. Dans l’hypothèse où la requérante estimerait ne pas pouvoir accepter la décision éventuellement adoptée par la Commission, rien ne l’empêcherait de contester devant le juge communautaire la légalité de la sanction qui lui a été infligée, en faisant valoir l’ambiguïté de l’obligation de révision mise à sa charge dans la décision attaquée.

44      En conséquence, le risque invoqué par la requérante ne saurait être considéré comme générant en lui-même un préjudice grave et irréparable.

45      La même conclusion s’impose, en rapport avec le troisième grief soulevé par la requérante, suivant lequel, eu égard au fait que les mesures ordonnées par la Commission échapperaient à sa sphère décisionnelle exclusive, elle se trouverait dans l’impossibilité d’obtempérer sur tous les points à la décision attaquée dans l’hypothèse où toutes les autres sociétés, ou certaines d’entre elles, refuseraient de coopérer pour parvenir à une révision des accords en question. En effet, la requérante n’est qu’abstraitement exposée à ce risque, ainsi qu’il résulte de ses propres affirmations et de l’absence, dans sa demande, de tout élément de preuve relatif à un manque de coopération dans le chef des autres sociétés de gestion.

46      C’est d’autant plus vrai si l’on considère que les autres sociétés de gestion sont elles aussi soumises à l’obligation de revoir les délimitations territoriales dans le même délai, de sorte que le risque auquel la requérante dit être exposée présuppose donc que lesdites sociétés ne se conforment pas à la décision attaquée.

47      Force est néanmoins de constater qu’un tel risque n’est pas de nature à justifier l’urgence de la présente demande en référé (ordonnance Prayon-Rupel/Commission, précitée, points 39 à 42).

48      En ce qui concerne le quatrième grief de la requérante, suivant lequel, à défaut de sursis à l’exécution de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, les conditions existant actuellement sur le marché seraient modifiées de manière substantielle et irréversible alors qu’elles avaient démontré leur totale fiabilité au cours des années, il convient d’observer que la révision des accords, visée à l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, concerne exclusivement la partie des accords relative à la retransmission par satellite, la retransmission par le câble et l’utilisation via Internet. Or, comme l’a expressément indiqué la Commission, la requérante elle-même a affirmé, au cours de la procédure administrative, que de tels modes d’utilisation des droits d’auteur, d’ailleurs relativement récents, ne constituent qu’une très faible part des droits perçus par elle en 2006.

49      La requérante n’a, pour sa part, présenté aucune donnée chiffrée en vue de rectifier ou actualiser les chiffres produits par la Commission, ni pour établir que la gravité du préjudice allégué tient au fait que le secteur des activités « on-line » représenterait la majeure partie de ses recettes. De telles données concernant directement ses activités étaient du ressort de la requérante, et auraient déjà dû figurer dans la demande de sursis à l’exécution. En effet, cette dernière doit être suffisamment claire et précise pour permettre, par elle-même à la défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, compte tenu de ce que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels la demande en référé se fonde doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande (ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T-236/00 R, Rec p. II-15, point 34; du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II-2387, point 52, et du 23 mai 2005, Dimos Ano Lioson e.a./Commission, T-85/05 R, Rec. p. II-1721, point 37).

50      Pour autant que la requérante prétende que les injonctions à elle décernées provoqueraient une évolution irréversible sur le marché, même en cas d’annulation, par le juge du fond, de la décision attaquée, force est de constater que ses affirmations se fondent sur de simples hypothèses que rien ne vient étayer.

51      La requérante n’a notamment pas précisé, et encore moins établi, les raisons pour lesquelles il lui serait impossible, même si elle obtenait l’annulation de la décision attaquée, de modifier à nouveau les accords de représentation réciproque résultant de la révision ou de prévoir dès à présent le retour au système actuel dans l’hypothèse où elle obtiendrait gain de cause dans la procédure au principal. Elle s’est en effet bornée à affirmer abstraitement qu’à la lumière des différents intérêts en jeu, ce retour serait peu vraisemblable. Quant au risque d’un « nivellement par le bas » tel que le craint la requérante, il y a lieu d’observer que ce risque se fonde sur une interprétation anticipée de la réaction des autres acteurs, de sorte que le préjudice invoqué reste, pour le moment, de nature purement hypothétique en ce qu’il est basé sur la survenance d’événements futurs et incertains. Un préjudice de ce genre ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires demandés (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II-3915, point 101).

52      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris est remplie.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 20 novembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’italien.