Language of document : ECLI:EU:T:2021:619

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

16 septembre 2021(*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative Swisse – Recours incident – Objet du recours – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑486/20,

Health and Happiness (H&H) Hong Kong Ltd, établie à Hong Kong (Chine), représentée par M. D. Rose, Mme L. Flascher, solicitors, et M. N. Saunders, QC,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. J. Ivanauskas et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Giuliani SpA, établie à Milan (Italie), représentée par Me S. de Bosio, avocat,

ayant pour objet, d’une part, un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 25 mai 2020 (affaire R 2185/2019‑5), relative à une procédure de nullité entre Giuliani et Health and Happiness (H&H) Hong Kong, et, d’autre part, un recours incident formé, à titre subsidiaire, à l’encontre de la même décision,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. A. M. Collins, président, Z. Csehi et Mme G. Steinfatt (rapporteure), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 août 2020,

vu les mémoires en réponse de l’EUIPO et de l’intervenante déposés au greffe du Tribunal respectivement le 20 octobre et le 3 novembre 2020,

vu le recours incident de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 3 novembre 2020,

vu l’acte déposé au greffe du Tribunal le 18 novembre 2020 par lequel l’Association pour la protection de l’origine des cosmétiques suisses (Swisscos) a demandé à intervenir, sur le fondement des articles 142 et 143 du règlement de procédure du Tribunal, d’une part, dans le recours principal au soutien des conclusions de l’intervenante et de l’EUIPO et, d’autre part, dans le recours incident au soutien des conclusions de l’intervenante,

vu les exceptions d’irrecevabilité relatives au recours incident soulevées par l’EUIPO et par la requérante par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 5 et 11 janvier 2021,

vu les observations sur ces exceptions d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 26 février 2021,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 2 juillet 2003, Swisse Vitamins Pty. Ltd., prédécesseur en droit de la requérante, Health and Happiness (H&H) Hong Kong Ltd, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant, avec revendication des couleurs rouge, noire et blanche :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 5 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Vitamines, préparations de vitamines, formules à base d’herbes, compléments minéraux et éléments nutritifs comprenant des vitamines, minéraux, éléments nutritifs et formules à base d’herbes en capsules, tablettes et en forme liquide ».

4        Le 4 février 2005, la marque a été enregistrée en tant que marque de l’Union européenne sous le numéro 3252152 pour l’ensemble des produits visés au point précédent.

5        Le 9 mars 2018, l’intervenante, Giuliani SpA, a présenté une demande en nullité, au titre de l’article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec son article 7, paragraphe 1, sous b), g), h) et i), et de l’article 59, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, contre la marque contestée, pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        Par décision du 26 juillet 2019, la division d’annulation a annulé la marque contestée. Elle a considéré, en substance, que cette marque était dépourvue de caractère distinctif sans qu’il eût été nécessaire d’examiner les autres causes de nullité invoquées.

7        Le 26 septembre 2019, la requérante a formé un recours contre la décision de la division d’annulation, au titre des articles 66 à 68 du règlement 2017/1001.

8        Par décision du 25 mai 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. Dans la motivation de ladite décision, la chambre de recours a examiné la cause de nullité prévue à l’article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec son article 7, paragraphe 1, sous b). Elle a estimé que c’était à juste titre que la division d’annulation avait accueilli la demande en nullité sur la base de cette dernière disposition, dans la mesure où il ressortait des arguments et des éléments de preuve dont elle disposait que la marque contestée ne serait pas considérée comme indicative d’une origine commerciale, mais plutôt comme une indication de ce que les produits provenaient de Suisse. Ces informations seraient dépourvues de caractère distinctif. Par ailleurs, la division d’annulation aurait estimé à juste titre qu’il n’était pas nécessaire d’évaluer le caractère prétendument trompeur de la marque contestée. Enfin, la chambre de recours a indiqué qu’elle partageait la position de la requérante selon laquelle les autres causes de nullité n’étaient invoquées que de manière fragmentaire par l’intervenante. Toutefois, ce constat n’aurait eu aucune incidence en l’espèce, étant donné qu’elle approuve la décision de la division d’annulation rendue sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

 Procédure et conclusion des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 août 2020, la requérante a introduit un recours dans la présente affaire tendant à l’annulation de la décision attaquée.

10      La requérante, d’une part, soulève trois moyens, tirés de la violation, premièrement, de l’article 63, paragraphe 2, et de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, deuxièmement, de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et, troisièmement, des formes substantielles relatives à la traduction et aux preuves postérieures à la date de dépôt de la marque contestée, et, d’autre part, présente les conséquences de ces prétendues violations.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 novembre 2020, l’intervenante a introduit un recours incident en vertu des articles 182 et suivants du règlement de procédure du Tribunal.

12      Dans le recours incident, l’intervenante conclut, s’il devait être jugé que la marque contestée ne pouvait pas être déclarée nulle en raison de l’absence de caractère distinctif, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        accueillir dans son intégralité la demande en nullité et déclarer nulle la marque contestée pour l’ensemble des produits visés sur le fondement des autres moyens de nullité invoqués ;

–        condamner la requérante aux dépens exposés dans la procédure devant l’EUIPO, évalués à 2 710 euros, et devant le Tribunal.

13      Dans son exception d’irrecevabilité, l’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours incident comme irrecevable ;

–        condamner l’intervenante aux dépens du recours incident.

14      Dans son exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours incident comme manifestement irrecevable ;

–        condamner l’intervenante aux dépens du recours incident.

15      Dans ses observations sur les exceptions d’irrecevabilité du recours incident, l’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter lesdites exceptions d’irrecevabilité ;

–        s’il devait être jugé que la marque contestée ne pouvait pas être déclarée nulle en raison de l’absence de caractère distinctif, déclarer nulle la marque contestée pour l’ensemble des produits visés sur le fondement des autres moyens de nullité invoqués.

 En droit

16      À titre liminaire, contrairement à ce que soutient l’intervenante dans sa réponse au recours principal, dans la mesure où celui-ci a été introduit le 3 août 2020, soit avant la fin de la période de transition fixée, en vertu de l’article 126 de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7), au 31 décembre 2020, les avocats de la requérante, habilités à exercer devant les juridictions de l’Angleterre et du Pays de Galles, parties du Royaume-Uni, peuvent, en application l’article 91, paragraphes 1 et 3, de cet accord, continuer à la représenter dans le cadre du présent recours et doivent être traités à tous égards comme les avocats habilités à exercer devant les juridictions des États membres qui représentent ou assistent une partie devant la Cour de justice de l’Union européenne.

17      Il convient de préciser également que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 2 juillet 2003, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 40/94 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée). En outre, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), et du règlement d’exécution (UE) 2018/626 de la Commission, du 5 mars 2018, établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) 2017/1431 (JO 2018, L 104, p. 37).

18      En ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée, ainsi que par les parties au présent litige à l’article 7, paragraphe 1, sous b), g), h) et i), du règlement 2017/1001 ou du « règlement sur la marque de l’Union européenne », voire du « RMUE », et à l’article 59, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement 2017/1001 comme visant respectivement l’article 7, paragraphe 1, sous b), g), h) et i), du règlement no 40/94 et l’article 51, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 40/94, d’une teneur identique.

19      Au soutien de leurs exceptions d’irrecevabilité, l’EUIPO et la requérante font valoir, en substance, que le recours incident est conditionnel, qu’il modifierait l’objet du litige tel qu’il s’était présenté devant la chambre de recours, que la décision attaquée a fait droit aux prétentions de l’intervenante et que cette décision ne saurait être réformée dans le sens souhaité par l’intervenante, puisqu’une telle réformation impliquerait que le Tribunal procède à un examen qui n’avait pas été effectué par la chambre de recours.

20      L’intervenante soutient que, si le Tribunal devait accueillir le recours de la requérante, elle aurait intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée, afin qu’il soit statué sur les autres motifs de nullité.

21      La question de savoir si, dans cette hypothèse, le Tribunal serait en mesure de statuer sur ces autres motifs ou s’il y aurait lieu de renvoyer l’affaire à la chambre de recours serait une question procédurale et ne serait pas pertinente en ce qui concerne la recevabilité ou non du recours incident. Ce dernier serait recevable même si le Tribunal devait renvoyer l’affaire à la chambre de recours.

22      La décision sur la nécessité ou non de renvoyer l’affaire à la chambre de recours devrait se fonder sur le rôle du Tribunal dans les affaires en nullité introduites devant l’EUIPO. En effet, contrairement à la procédure d’opposition devant l’EUIPO où le litige serait de nature administrative et où le rôle du Tribunal se limiterait à vérifier si l’EUIPO s’est conformé aux dispositions réglementaires, en cas de procédures en nullité, le Tribunal agirait ab initio en tant que pouvoir judiciaire en charge d’un litige en matière de propriété intellectuelle dans le cadre duquel il devrait prendre une décision sur la validité de la marque contestée. En revanche, l’EUIPO ne disposerait pas ab initio de la compétence pour décider de la question de la validité d’une marque. Il n’aurait que la possibilité de corriger sa décision antérieure d’accorder l’enregistrement de la marque. Cependant, toute partie aurait toujours le droit de porter l’affaire devant le Tribunal auquel appartient l’affaire. Dès lors, le Tribunal ne saurait renvoyer une demande en nullité devant l’EUIPO en cas d’erreurs procédurales commises par celui-ci.

23      Cette conclusion serait corroborée par d’autres raisons.

24      En premier lieu, lorsqu’un droit de propriété intellectuelle est enregistré par l’EUIPO, les juridictions des États membres seraient tenues, en vertu de l’article 127 du règlement 2017/1001, de le considérer comme valide, même si l’affaire est pendante devant le Tribunal, et si ce dernier devait la renvoyer à l’EUIPO. Conformément à cette disposition, la validité d’une marque de l’Union européenne ne saurait être contestée devant les juridictions nationales si le concurrent ne cherche pas à faire usage de la marque, mais seulement à en empêcher le titulaire, comme en l’espèce où c’est l’intervenant qui a initié la procédure en nullité. Le fait de renvoyer l’affaire devant l’EUIPO aurait pour conséquence de retarder la procédure ce qui constituerait une violation de la garantie d’un recours effectif dans un délai raisonnable découlant de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »), qui fait également partie des principes généraux du droit de l’Union européenne, au sens de l’article 6, paragraphe 1, du traité UE, ainsi que de l’article 47, paragraphes 1 et 2, de la Charte. Une telle situation pourrait entrainer un préjudice irréparable pour les consommateurs et pour les concurrents.

25      En deuxième lieu, bien que la chambre de recours n’ait pas fondé sa décision sur d’autres motifs d’annulation que celui de l’absence de caractère distinctif, elle en aurait apprécié et confirmé toutes les circonstances pertinentes. En tout état de cause, même dans l’hypothèse où le Tribunal estimerait devoir examiner des circonstances factuelles qui n’auraient pas encore été appréciées par la chambre de recours, il devrait le faire sans devoir renvoyer l’affaire devant cette dernière.

26      En troisième lieu, la chambre de recours aurait également considéré, au point 31 de la décision attaquée, que les motifs de nullité tirés de la mauvaise foi et de l’utilisation indue de symboles de l’État suisse n’étaient exposés que de manière fragmentaire. Or, la requérante ferait valoir que la chambre de recours aurait considéré que le motif tiré du caractère trompeur de la marque contestée n’a été, lui aussi, exposé que de manière fragmentaire. Dès lors, si l’interprétation que fait la requérante de ce point de la décision attaquée devait être exacte, le recours incident viserait également à obtenir une modification dudit point et il existerait un intérêt spécifique et distinct de l’intervenante à ce que l’appréciation erronée soit annulée au cas où le Tribunal partagerait les arguments invoqués par la requérante à l’encontre de la décision attaquée.

27      À cet égard, conformément à l’article 173, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenant dispose des mêmes droits procéduraux que les parties principales.

28      L’intervenante a présenté un recours incident visé à l’article 182 du règlement de procédure.

29      Conformément à l’article 191 du règlement de procédure, sous réserve des dispositions particulières de son titre quatrième, concernant le contentieux relatif aux droits de la propriété intellectuelle, les dispositions du titre troisième sont applicables aux procédures visées par le titre quatrième. Il en est ainsi, en particulier, de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure [voir, en ce sens, ordonnance du 11 janvier 2017, Aydin/EUIPO – Kaporal Groupe (ROYAL & CAPORAL), T‑95/16, non publiée, EU:T:2017:3].

30      En vertu de cette dernière disposition, si le défendeur le demande, le Tribunal peut statuer sur l’exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Selon l’article 130, paragraphe 6, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider d’ouvrir la phase orale de la procédure sur les demandes visées au paragraphe 1. En l’espèce, l’EUIPO et la requérante ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité du recours incident présenté par l’intervenante. Le Tribunal s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, il n’est pas nécessaire d’ouvrir la phase orale de la procédure.

31      En premier lieu, ainsi que le font valoir à bon droit l’EUIPO et la requérante, aux termes de l’article 72, paragraphe 4, du règlement 2017/1001, le recours devant le Tribunal contre une décision d’une chambre de recours de l’EUIPO est « ouvert à toute partie à la procédure devant la chambre de recours pour autant que la décision de celle-ci n’a pas fait droit à ses prétentions ».

32      Cette disposition est l’expression de l’intérêt à agir qui, selon une jurisprudence constante, constitue la condition essentielle de tout recours en justice et doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci, sous peine d’irrecevabilité. Il suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. Il s’ensuit que, pour autant qu’une décision d’une chambre de recours fait entièrement droit aux prétentions d’une partie concernée, cette dernière n’a pas la qualité pour former un recours devant le Tribunal [voir arrêt du 5 février 2020, Globalia Corporación Empresarial/EUIPO – Touring Club Italiano (TC Touring Club), T‑44/19, non publié, EU:T:2020:31, point 27 et jurisprudence citée].

33      Une décision d’une chambre de recours doit être considérée comme ayant fait droit aux prétentions de l’une des parties devant cette chambre lorsqu’elle a accueilli la demande de cette partie sur la base d’un des motifs de refus d’enregistrement ou de nullité d’une marque ou, plus généralement, d’une partie seulement de l’argumentation présentée par ladite partie, quand bien même elle aurait omis d’examiner ou elle aurait rejeté les autres motifs ou arguments invoqués par cette même partie (voir arrêt du 5 février 2020, TC Touring Club, T‑44/19, non publié, EU:T:2020:31, point 28 et jurisprudence citée).

34      En l’espèce, la chambre de recours a rejeté le recours formé par la requérante contre la décision de la division d’annulation, qui avait accueilli la demande en annulation de la marque contestée formée par l’intervenante. Ainsi, nonobstant le fait que l’intervenante ne partage pas l’ensemble des considérations de la chambre de recours, cette dernière a fait entièrement droit à ses prétentions.

35      En deuxième lieu, ainsi que le font valoir, à juste titre, l’EUIPO et la requérante, il ressort d’une jurisprudence constante qu’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où le requérant a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Cet intérêt doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé. Si l’intérêt dont se prévaut un requérant concerne une situation juridique future, celui-ci doit établir que l’atteinte à cette situation se révèle, d’ores et déjà, certaine. Dès lors, un requérant ne saurait invoquer des situations futures et incertaines pour justifier son intérêt à demander l’annulation de l’acte attaqué [voir arrêt du 16 septembre 2004, Metro-Goldwyn-Mayer Lion/OHMI – Moser Grupo Media (Moser Grupo Media), T‑342/02, EU:T:2004:268, point 44 et jurisprudence citée, et du 5 février 2020, TC Touring Club, T‑44/19, non publié, EU:T:2020:31, point 27 et jurisprudence citée].

36      En l’espèce, le recours incident déposé par l’intervenante est soumis à la condition que le recours introduit par la requérante soit fondé. Or, cette condition n’était pas remplie lors du dépôt du recours incident. Ainsi, l’intérêt dont se prévaut l’intervenante afin de justifier le dépôt de ce recours n’existait pas au jour où il a été formé. L’intervenante n’a pas non plus établi que la situation juridique future dont elle se prévaut se révèle, d’ores et déjà, certaine.

37      En troisième lieu, ainsi que le soutient, en substance, la requérante, le recours incident modifie, en violation de l’article 188 du règlement de procédure, l’objet du litige, tel qu’il s’est présenté devant la chambre de recours.

38      En effet, la chambre de recours n’a pas été valablement saisie des motifs de nullité tirés de l’article 7, paragraphe 1, sous g) à i), et de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94. À cet égard, d’une part, l’article 67 du règlement 2017/1001 dispose que toute partie à une procédure ayant conduit à une décision peut recourir contre cette décision pour autant que cette dernière n’a pas fait droit à ses prétentions. Or, la décision de la division d’annulation a entièrement fait droit aux prétentions de l’intervenante, nonobstant le fait qu’elle n’a été fondée que sur l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 et que les autres motifs de nullité n’ont pas été examinés. Ainsi, l’intervenante n’a pas disposé d’un intérêt à introduire un recours devant la chambre de recours à l’encontre de cette décision.

39      D’autre part, l’intervenante n’a pas présenté, devant la chambre de recours, un recours incident à l’encontre de la décision de première instance de l’EUIPO au moyen d’un document distinct des observations en réponse, comme cela est requis par l’article 25, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625. Elle s’est bornée à demander à la chambre de recours, dans le cadre de ses observations sur le recours, de déclarer la marque contestée nulle sur le fondement des autres motifs de nullité invoqués dans sa demande en annulation.

40      En quatrième lieu, ainsi que l’affirme à bon droit l’EUIPO, le pouvoir de réformation reconnu au Tribunal en vertu de l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 n’a pas pour effet de conférer à celui-ci le pouvoir de substituer sa propre appréciation à celle de la chambre de recours et, pas davantage, de procéder à une appréciation sur laquelle ladite chambre n’a pas encore pris position. L’exercice du pouvoir de réformation doit par conséquent, en principe, être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par la chambre de recours, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 72). Or, la chambre de recours n’a pas apprécié d’autres motifs de nullité que celui tiré de l’absence de caractère distinctif de la marque contestée. En effet, il ressort du point 30 de la décision attaquée que la chambre de recours a approuvé la position de la division d’annulation selon laquelle, après avoir constaté que la marque était dépourvue de caractère distinctif en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, il n’était pas nécessaire d’évaluer le caractère prétendument trompeur de la marque contestée. Ensuite, ayant considéré, au point 31 de ladite décision, que les autres revendications n’étaient exposées que de manière fragmentaire, la chambre de recours ne les a pas appréciées. Comme le fait valoir à bon droit l’EUIPO, dans une telle hypothèse et au cas où le Tribunal considèrerait que la décision attaquée serait erronée, la décision attaquée devrait être annulée et la chambre de recours devrait apprécier la demande en nullité au regard des autres motifs invoqués.

41      Il s’ensuit que, en l’espèce, l’intervenante n’est pas recevable à former un recours incident contre la décision attaquée.

42      La prétendue nécessité de considérer le recours de l’intervenante comme étant recevable ne ressort pas non plus des arguments de celle-ci tirés de la violation du droit à un recours juridictionnel effectif (voir point 24 ci-dessus).

43      En effet, aux termes de l’article 47, premier alinéa, de la Charte, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article. Ce principe constitue un principe général du droit de l’Union, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH. Selon les explications afférentes à l’article 47 de la Charte, lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération pour l’interprétation de celle-ci, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (arrêts du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09, EU:C:2010:811, points 29 et 32, et du 16 mai 2017, Agria Polska e.a./Commission, T‑480/15, EU:T:2017:339, point 92).

44      Il ressort d’une jurisprudence constante que l’article 47 de la Charte n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union, ainsi qu’il découle également des explications afférentes à cet article 47 (voir arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 43 et jurisprudence citée ; ordonnance du 2 avril 2020, Gerber/Parlement et Conseil, T‑326/19, non publiée, EU:T:2020:142, point 63). Ainsi, les considérations tirées de la validité de la marque contestée au cours de la procédure devant le Tribunal, voire, en cas d’annulation de la décision attaquée et du renvoi de l’affaire devant la chambre de recours, au cours de la procédure administrative devant cette dernière, ne sauraient écarter les motifs pour lesquels il y a lieu de considérer le recours incident comme irrecevable.

45      Par ailleurs, la marque contestée a été enregistrée le 4 février 2005 (voir point 4 ci-dessus). L’intervenante n’a présenté une demande en nullité devant l’EUIPO que le 9 mars 2018, soit treize ans plus tard. Ainsi, le prétendu préjudice découlant pour l’intervenante de la validité de la marque contestée est principalement imputable à elle-même.

46      Partant, le recours incident de l’intervenante doit être rejeté comme irrecevable.

47      Par ailleurs, compte tenu de l’article 191 du règlement de procédure, lu en combinaison avec l’article 142, paragraphe 2, du même règlement, l’intervention est accessoire au litige principal et perd son objet, notamment, lorsque la requête est déclarée irrecevable. Il en va de même dans l’hypothèse de l’irrecevabilité d’un recours incident, comme cela est le cas en l’espèce. Partant, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention présentée par l’Association pour la protection de l’origine des cosmétiques suisses (Swisscos), en tant que celle-ci vise les conclusions présentées par l’intervenante dans son recours incident.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

49      L’intervenante ayant succombé en ses conclusions figurant dans le recours incident, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’EUIPO et la requérante, conformément aux conclusions de ces derniers, afférents à cette procédure.

50      Conformément à l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, s’il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il ne soit statué sur une demande d’intervention, le demandeur en intervention et les parties principales supportent chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention. Cette disposition s’applique, par analogie, dans l’hypothèse où il est mis fin à l’instance en ce qui concerne le recours incident, comme cela est le cas en l’espèce. Ainsi, Swisscos, la requérante, l’EUIPO et l’intervenante supporteront chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention de Swisscos au soutien des conclusions formées par l’intervenante dans le recours incident.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours incident est rejeté comme irrecevable.

2)      Giuliani SpA est condamnée aux dépens afférents à la procédure relative au recours incident.

3)      L’Association pour la protection de l’origine des cosmétiques suisses (Swisscos), Health and Happiness (H&H) Hong Kong Ltd, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle et Giuliani supporteront chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention de Swisscos dans le cadre du recours incident.

Fait à Luxembourg, le 16 septembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

A. M. Collins


*      Langue de procédure : l’anglais.