Language of document : ECLI:EU:T:2008:104

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

10 avril 2008 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Contrat de financement conclu avec le Maroc – Prétendus manquements et négligences de la BEI dans le suivi d’un prêt financé par le budget communautaire – Prescription – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑336/06,

2K‑Teint SARL, établie à Casablanca (Maroc),

Mohammed Kermoudi, Khalid Kermoudi, Laila Kermoudi, Mounia Kermoudi, Salma Kermoudi, Rabia Kermoudi, demeurant à Casablanca, représentés par Me P. Thomas, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Aresu et V. Joris, en qualité d’agents,

et

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par MM. C. Gómez de la Cruz et J.‑P. Minnaert, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande en réparation du préjudice prétendument subi par les requérants à la suite des manquements et des négligences que la BEI aurait commis dans le suivi de l’affectation des fonds destinés à la réalisation du projet de 2K‑Teint, en exécution du contrat de financement conclu entre la BEI, en tant que mandataire de la Communauté, et le Royaume du Maroc,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de Mme V. Tiili (rapporteur) président, M. F. Dehousse et Mme I. Wiszniewska-Białecka, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        En vertu de l’article 267 CE, la Banque européenne d’investissement (BEI) a pour mission de contribuer, en faisant appel aux marchés des capitaux et à ses ressources propres, au développement équilibré et sans heurt du marché commun dans l’intérêt de la Communauté. À cette fin, elle facilite, par l’octroi de prêts et de garanties, sans poursuivre de but lucratif, le financement de différents projets, dans tous les secteurs de l’économie.

2        Conformément à l’article 29 des statuts de la BEI, qui font l’objet d’un protocole annexé au traité CE, dont il fait partie intégrante, les litiges entre la BEI, d’une part, et ses prêteurs, ses emprunteurs ou des tiers, d’autre part, sont tranchés par les juridictions nationales compétentes, sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice.

3        En vertu de l’article 5, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1762/92 du Conseil, du 29 juin 1992, concernant l’application des protocoles relatifs à la coopération financière et technique conclus par la Communauté avec les pays tiers méditerranéens (JO L 181, p. 1) :

« Les actions visées par le présent règlement financées par le budget des Communautés sont gérées par la Commission, sans préjudice de la gestion par la [BEI] des bonifications d’intérêt, des opérations sur capitaux à risque et des prêts à des conditions spéciales, en vertu d’un mandat confié à celle-ci par la Commission au nom de la Communauté conformément à l’article 105, paragraphe 3, du règlement financier du 21 décembre 1977 applicable au budget général des Communautés européennes. »

4        Par convention entre la Communauté et la BEI, du 17 décembre 1992 (ci-après la « convention »), la Commission, agissant au nom de la Communauté, a donné, conformément à l’article 105, paragraphe 3, du règlement financier du 21 décembre 1977 applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 356, p. 1), mandat à la BEI, qui acceptait d’assurer, au nom, pour le compte et aux risques de ladite Communauté, selon les conditions et modalités définies dans ladite convention, notamment, la gestion des prêts à des conditions spéciales, octroyés conformément aux procédures prévues par le règlement n° 1762/92 et par le règlement (CEE) n° 1763/92 du Conseil, du 29 juin 1992, relatif à la coopération financière intéressant l’ensemble des pays tiers méditerranéens (JO L 181, p. 5).

5        Conformément à l’article 3 de la convention, pour les opérations sur capitaux à risques et les prêts à des conditions spéciales, la BEI, agissant pour le compte et aux risques de la Communauté, prépare et négocie les contrats afférents aux opérations en cause, assortit ces contrats des stipulations qu’elle estime appropriées et signe ces contrats pour le compte de la Communauté. Les prêts conditionnels destinés au financement de prises de participation, et consentis au titre des capitaux à risque, sont assortis, dans toute la mesure du possible, de conditions de rémunération et de désengagement analogues à celles appliquées au capital social.

6        En vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la convention, sans préjudice des dispositions en matière de contrôle des comptes prévues par les traités et règlements financiers, les opérations financées sur les ressources de la Communauté et dont la BEI assure la gestion font l’objet des procédures de contrôle et de décharge prévues par les statuts de la BEI, notamment à leur article 14.

7        Conformément à l’article 14 de la convention, la responsabilité de la BEI se limite à la bonne exécution du mandat, conformément aux usages bancaires.

 Faits à l’origine du litige

8        Le 28 avril 1994, la BEI a conclu avec le Royaume du Maroc un contrat de financement, par lequel la BEI a octroyé à ce dernier un prêt conditionnel, au titre des concours en capitaux à risques, d’un montant équivalant à 20 000 000 euros, destiné au financement de projets productifs principalement dans le secteur industriel, notamment en association avec des entreprises de la Communauté (ci-après le « contrat de financement »). Selon ce contrat de financement, le produit du prêt de la BEI devait être rétrocédé, en vertu des conventions de rétrocession, sous forme de prêts à des établissements bancaires marocains en tant qu’intermédiaires financiers. L’octroi de chaque prêt aux opérateurs marocains devait faire l’objet d’un contrat subsidiaire conclu entre l’intermédiaire financier et l’opérateur concerné.

9        Le 16 septembre 1994, la Banque nationale pour le développement économique (BNDE), société anonyme de droit marocain, a signé avec 2K‑Teint SARL, en tant qu’opérateur, un contrat de prêt à long terme, pour un montant de 10 000 000 dirhams marocains (MAD), ayant pour objet le financement partiel d’un programme d’investissement, dont le coût total s’élevait à 26 500 000 MAD, en vue de la création à Casablanca (Maroc) d’une unité de teinture pour bonneterie.

10      Par télécopie du 8 octobre 1994, le ministère des Finances marocain a informé la BEI que le financement du projet de 2K‑Teint ne soulevait pas d’objections de sa part.

11      Le 12 octobre 1994, dans le cadre de l’exécution du contrat de financement, le Royaume du Maroc a conclu une convention de rétrocession avec la BNDE, afin que celle-ci se charge, en tant qu’intermédiaire financier, de la sélection des projets éligibles au financement (ci-après la « convention de rétrocession »). Selon les termes de cette convention de rétrocession :

« I.01 – Montant du crédit – affectations

A.      L’État ouvre au bénéfice de l’intermédiaire financier, qui accepte, un crédit d’un montant égal au montant total des affectations qui seront notifiées par la BEI en faveur de l’intermédiaire financier.

[…]

B.      Chaque demande, en vue du financement d’une prise de participation ou d’un prêt sera simultanément adressée à l’État et soumise par l’intermédiaire financier à la BEI pour approbation en concertation avec l’État.

La BEI notifiera à l’État, sous forme d’une lettre d’affectation, la fraction du crédit ouvert affecté au financement de chaque prise de participation ou prêt soumis à la BEI et ayant fait l’objet d’une approbation de sa part. La BEI communiquera une copie de cette notification à l’intermédiaire financier.

L’approbation par la BEI de la demande de l’intermédiaire financier sera subordonnée notamment aux conditions suivantes :

–        que la prise de participation ou le prêt concerne un projet tel que défini dans le préambule ;

–        que l’intermédiaire financier ait communiqué à la BEI et à l’État un dossier établi conformément aux critères figurant en annexe I à la présente convention et comportant les éléments d’information, de nature technique et financière, permettant à la BEI de se former un jugement fondé au sujet de la prise de participation ou du prêt en cause.

[…]

I.02 – Modalités de versement

Le crédit sera tenu à la disposition de l’intermédiaire financier à concurrence des montants et à partir des dates qui seront notifiés par la BEI à l’État dans les lettres d’affectation mentionnées au paragraphe 01 du présent article pour chaque prise de participation ou prêt approuvés conformément au même paragraphe 01. Le crédit ainsi disponible lui sera versé lorsqu’il en fera la demande […]

Les versements afférents à des prises de participation ou à des prêts seront effectués par l’État sur le compte ou les comptes de l’intermédiaire financier communiqué par celui-ci à l’État.

Le montant de chaque versement sera crédité au compte de la société concernée à une (des) date(s) de valeur qui sera (seront) celle(s) de la (des) date(s) de libération de la (des) fraction(s) du capital appelé.

[…] »

12      Le 14 octobre 1994, la BEI a envoyé au ministère des Finances marocain une lettre selon laquelle, au titre du crédit qui lui avait été ouvert en vertu du contrat de financement, elle avait affecté à cette date un montant de 369 500 euros (environ 4 137 734 MAD) à 2K‑Teint et a précisé que les stipulations du contrat de financement étaient d’application immédiate à l’égard des montants affectés (ci-après la « lettre d’affectation »).

13      En novembre 1995, la BNDE, en tant qu’intermédiaire financier, a conclu avec les personnes physiques requérantes, prises dans leur ensemble en tant qu’opérateur, un « contrat de prêt IIe ligne [BEI] », d’un montant de 3 450 000 MAD, destiné au financement partiel d’une prise de participation des personnes physiques requérantes dans le capital de 2K‑Teint, qui répond aux conditions prévues par la convention de rétrocession. En vertu de l’article 3 de ce contrat, ce prêt était consenti sous réserve de l’accord de la BEI et de la réception des fonds par l’intermédiaire financier. Selon l’article 4 de ce contrat, les versements de fonds au profit de l’opérateur devaient être effectués en fonction des tirages sur la ligne BEI au titre du présent prêt et au fur et à mesure de la mise à disposition des fonds par l’État à l’intermédiaire financier. En outre, les parties convenaient que toutes les contestations relatives à l’exécution de ce contrat étaient de la compétence des juridictions du lieu de domicile de l’intermédiaire financier, à moins que celui-ci ne préférât saisir les juridictions du domicile de l’opérateur.

14      En décembre 1995, la BNDE a signé avec 2K‑Teint un second contrat de prêt, celui-ci à court terme, pour un montant de 3 420 000 MAD, à titre de crédit relais dans l’attente de l’apport en capital effectué par les personnes physiques requérantes. Ledit contrat précisait que, à l’issue de la période, les personnes physiques requérantes, à l’exception de Mme S. Kermoudi, s’engageaient à verser à 2K‑Teint la somme de 3 420 000 MAD représentant le montant du déblocage à leur profit du prêt BEI destiné à l’apport en capital. De son côté, 2K‑Teint s’engageait dès à présent à rembourser à la BNDE, à l’issue de la période, ledit prêt relais.

15      Le 17 décembre 1996, la BNDE a envoyé à 2K‑Teint une lettre, dont l’objet était son « prêt de […] 10 000 000 [MAD] » (voir point 9 ci-dessus). Cette lettre était rédigée comme suit :

« Suite [à] notre visite du 4 novembre 1996, nous avons l’honneur de porter à votre connaissance que nos instances ont été informées des imputations de retard que vous attribuez à nos services pour la mise en place du prêt participatif BEI et ont aussitôt ordonné de reconstituer l’historique de ce dossier pour situer les responsabilités.

Après [une] mise au point, il s’avère que les services concernés de la [BNDE] ont fait normalement leur travail, dans le respect des règles et procédures en vigueur.

Les lenteurs qui ont présidé à la mise en place de ce crédit sont plutôt à imputer aux différents changements qui sont intervenus au niveau de l’actionnariat alors que le dossier était déjà engagé auprès des organismes intervenant dans le financement du projet : BNDE, Bank Al Amal, Dar Damane comme avaliste et la BEI. En outre, certains problèmes d’ordre juridique relatifs à des questions de validation de signatures ou de mise en place des garanties n’ont pas été de nature à faciliter la tâche de nos services.

[…]

L’accord de [la] BEI a été acquis pour la partie marocaine, en l’occurrence le groupe Kermoudi et Bahraoui, en octobre 1994. Les prêts consentis à ces actionnaires ont porté sur un montant global de […] 3 450 000 [MAD].

Nous voudrions vous rappeler que notre banque, toujours animée d’un esprit de soutien à votre projet, vous a consenti un crédit de relais en attendant le déblocage de cette tranche de […] 3 450 000 [MAD].

Par contre, s’agissant de la deuxième tranche de […] 2 300 000 [MAD] relative à la partie européenne, l’instruction de ce dossier a connu des lenteurs non pas du fait de la négligence de nos services mais essentiellement en raison des changements répétitifs intervenus au niveau de votre actionnariat et qu’il a fallu à chaque fois instruire auprès de nos instances et des organismes intervenant dans le financement et l’aval du projet.

[…]

Tous ces changements ont dû obéir à des questions de procédures et nécessité des délais d’attente pour disposer d’informations suffisantes sur ce nouveau partenaire, en particulier de renseignements bancaires pour faire aboutir sa demande auprès de la BEI.

Nous voudrions vous rappeler que vous n’avez pas été en mesure de nous communiquer ces informations […]

En octobre 1995, la [BEI] nous a notifié son accord d’agrément pour l’octroi d’un prêt participatif de […] 2 300 000 [MAD] à ce partenaire européen.

Néanmoins, cet accord fut assorti de la condition relative à l’exonération de la T[V]A et a donné lieu à un long litige avec le Trésor ; situation qui a gelé le déblocage de prêts participatifs BEI pour bon nombre de projets et qui n’a pu être surmontée que récemment.

Malheureusement, dans l’entre-temps, vous avez demandé l’annulation de cette tranche de […] 2 300 000 [MAD] et notre banque n’a pu faire autrement que de donner effet à votre décision.

[…]

Nous ne voudrions pas terminer cette lettre sans vous rappeler que votre société accuse à l’égard de notre banque des arriérés s’élevant au 30.11.1996 à […] 3 717 822,08 [MAD] répartis en :

–        [p]rincipal échu et intérêts dus au 30.11.96 sur le prêt LTD de […] 10 000 000 [MAD] : […] 2 017 324,07 [MAD]

[…] »

16      Le 21 février 1997, la BNDE a adressé une nouvelle lettre à 2K‑Teint en soulignant qu’elle n’avait aucun intérêt à retarder ni la réalisation des projets agréés ni le déblocage des sommes en cause.

17      Par lettres du 21 juillet 1997, la BNDE a informé les personnes physiques requérantes qu’elle allait procéder au déblocage des fonds, au titre du « contrat de prêt IIe ligne [BEI] » (ci-après le « prêt participatif »), s’élevant à la somme de 3 450 000 MAD.

18      Le 15 août 1997, 2K‑Teint a informé la BNDE que ce prêt participatif, qui se concrétisait trois ans après la demande de prêt, n’était « plus d’aucune utilité », et a demandé à la BNDE d’en informer la BEI.

19      Par requête du 8 décembre 1997, la BNDE a demandé au tribunal de commerce de Casablanca d’ordonner la réalisation à son profit de l’hypothèque et la vente du fonds de commerce de 2K‑Teint, sis au 1, boulevard de la Corniche, à Casablanca, et de l’autoriser à recouvrer sa créance de 17 568 689,05 MAD (12 475 368,56 MAD pour les échéances du premier crédit à long terme de 10 000 000 MAD et 5 093 320,49 MAD pour les échéances du second crédit à court terme de 3 420 000 MAD, non remboursées selon le relevé de compte arrêté au 31 août 1997).

20      Par jugement du 14 décembre 1998, le tribunal de commerce de Casablanca a ordonné la vente globale du fonds de commerce, sis au 1, boulevard de la Corniche, à Casablanca, inscrit au registre du commerce de Casablanca, sous le numéro 7 333, appartenant à 2K‑Teint.

21      Le 10 mai 1999, 2K‑Teint a envoyé une télécopie à la BEI, selon laquelle :

« […] 2K‑Teint, 1 boulevard de la Corniche à Casablanca, est actuellement en procès avec la BNDE […] qui soutient auprès de la justice marocaine que :

‘Si le projet 2K‑Teint a connu un long retard (22 mois) c’est parce que la BEI n’a pas voulu accorder de prêt participatif à cette société.’

[…]

Notre conviction avec preuve à l’appui […] c’est que la BNDE a dû avoir recours à ce mensonge pour ne pas être condamnée – mais plus grave, elle demande sur la base d’infractions fausses, que l’usine 2K‑Teint soit vendue aux enchères. S’agissant d’une affaire que vous avez aidée et soutenue, nous pensons que votre probité vous commande de nous fournir par télécopie une attestation disant :

que le crédit participatif a bien été accordé à la partie marocaine en octobre 1994 ;

qu[‘un] contrat BEI/2K‑Teint par l’intermédiaire de la BNDE a été signé et honoré par BEI.

Prière de préciser la date de déblocage de la somme de 3 450 000 [MAD].

Compte tenu de l’urgence qui s’attache à éclairer la justice dans un très bref délai, nous comptons sur votre diligence pour nous envoyer l’attestation demandée. »

22      Le 17 mai 1999, 2K‑Teint a envoyé une nouvelle télécopie à la BEI.

23      Le 20 mai 1999, la BEI a répondu à 2K‑Teint que, en vertu du contrat de financement, « les relations de la [BEI étaient] limitées à l’emprunteur (Royaume du Maroc) et aux intermédiaires financiers marocains, sur lesquels repose, in fine, la décision d’accorder ou de refuser les prêts aux bénéficiaires finals locaux » et que, ainsi, elle ne pouvait donner suite à sa demande.

24      Par arrêt du 4 novembre 1999, la cour d’appel de Casablanca a confirmé le jugement du 14 décembre 1998.

25      Le 22 novembre 2000, M. B., expert assermenté et agréé près les tribunaux marocains dans les domaines bancaire et financier, a signé une attestation selon laquelle la majorité du crédit relais de 3 420 000 MAD, prêt à court terme accordé par la BNDE à 2K‑Teint, avait été remboursée par six virements, effectués par la BEI, totalisant 3 450 000 MAD et selon laquelle ce montant était bien passé au crédit du compte à la BNDE de 2K‑Teint, à titre de remboursement du prêt à court terme le 10 juillet 1997. Selon cette attestation, le montant dû de 5 093 320,49 MAD réclamé par la BNDE à 2K‑Teint (voir point 19 ci-dessus) n’aurait pas pu correspondre au remboursement du prêt à court terme.

26      Le 30 septembre 2001, 2K‑Teint a adressé une lettre au président de la BEI, se plaignant du comportement frauduleux de la BNDE et demandant à la BEI de se joindre à son action en justice.

27      Le 17 octobre 2001, la BEI a répondu à 2K‑Teint dans les termes suivants :

« […]

Votre société a bénéficié d’un prêt accordé par la [BNDE] agréé par les autorités compétentes du Royaume du Maroc et pour lequel la BEI a donné son avis favorable. Nous nous permettons de souligner à votre attention que, dans ce contexte, les liens contractuels de la BEI sont limités à l’emprunteur (Royaume du Maroc) et aux intermédiaires financiers marocains à l’exclusion des bénéficiaires finals. Ainsi, et comme cela vous a déjà été indiqué par notre courrier […] en date du 20 mai 1999, nous regrettons de ne pouvoir donner suite à votre requête.

Nous espérons qu’une solution amiable et rapide pourra être trouvée afin de mettre fin à ce différend. À toutes fins utiles, une copie de la présente lettre est adressée à notre emprunteur [le Royaume du Maroc] ainsi qu’à l’intermédiaire financier concerné [la BNDE].

[…] »

28      Le 19 novembre 2001, les requérants ont répondu à la BEI dans les termes suivants :

« […]

Nous ne pouvons comprendre, en tant que […] 2K‑Teint comme en tant que membres de la famille Kermoudi, que votre institution, juridiquement actionnaire à hauteur de 30 % dans […] 2K‑Teint et ce jusqu’à 2013, puisse faire preuve d’une bienveillante neutralité à l’égard des agissements graves de certains responsables BNDE avec à leur tête [… le] directeur général qui a signé en votre lieu et place le contrat BEI/famille Kermoudi.

Nous estimons que votre banque […] se doit, pour des raisons d’éthique comme pour des raisons de sauvegarde de ses intérêts légitimes dans 2K‑Teint, d’entreprendre avec nous ou en dehors de nous, l’action en justice qu’appelle l’acte d’escroquerie commis à l’endroit de 2K‑Teint et de la famille Kermoudi par votre intermédiaire financier la BNDE.

Nous ne pouvons pas admettre que de tels actes puissent donner lieu à une solution amiable car ce serait donner l’aval à une opération d’escroquerie commise.

[…]

Nous espérons ainsi vous avoir suffisamment éclairé sur la nature du délit et espérons que dans un très proche avenir votre institution va diligenter une action en justice contre ceux qui directement ou indirectement se sont rendus coupables d’actes répréhensibles ayant causé des dommages aux investisseurs, 2K‑Teint et la famille Kermoudi.

[…] »

29      Par requête du 26 novembre 2002, la BNDE a demandé au tribunal de commerce de Casablanca d’ordonner la réalisation à son profit de l’hypothèque et la vente du fonds de commerce de 2K‑Teint, sis Zone Industrielle Moulay Rachid, Lotissement Khalidia, Sidi Othmane, Casablanca, au titre de la garantie de remboursement de la somme de 10 000 000 MAD.

30      Le 17 juin 2003, les requérants ont introduit une action judiciaire par citation devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg) contre la BEI.

31      Le 9 décembre 2003, la BEI a déposé ses conclusions en défense devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

32      Le 5 février 2004, 2K‑Teint a adressé une lettre au président de la BEI, se référant à la correspondance de l’année 2001 et s’étonnant du comportement de certains responsables de la BEI car « leur engagement aux côtés de la BNDE, coupable d’abus de confiance, de falsification de documents bancaires et d’escroquerie, n’[était] point compatible avec les fonctions qu’ils occup[ai]ent à la BEI ».

33      Par lettre du 23 novembre 2004, la BNDE a produit au tribunal de commerce de Casablanca une demande d’inscription du nouveau siège du fonds de commerce sur le registre du commerce et a sollicité la poursuite des formalités d’exécution à la nouvelle adresse, zone industrielle Moulay Rachid, lotissement Khalidia, Sidi Othmane, à Casablanca.

34      Le 23 novembre 2004, un procès-verbal de saisie descriptive a été établi au profit de la BNDE. Ce procès-verbal se référait au jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998.

35      Par jugement du 23 février 2005, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande introduite par les requérants contre la BEI.

36      Les avis de vente aux enchères du fonds de commerce de 2K‑Teint, se référant au jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998 et au procès-verbal de saisie descriptive du 23 novembre 2004, ont été publiés les 4 avril, 17 juin, 23 novembre 2005, 17 février 2006 et 2 mars 2007 par le commissaire judiciaire marocain.

37      Le 26 octobre 2005, le ministère de la Justice luxembourgeois a informé M. Mohammed Kermoudi, à la suite d’un courrier de ce dernier, que le ministre de la Justice n’était pas habilité à intervenir ou à se prononcer au sujet d’affaires pendantes devant les juridictions et qu’il avait transmis une copie de son courrier au procureur général d’État.

38      Le 12 décembre 2005, le procureur général d’État luxembourgeois a informé M. Kermoudi que l’ensemble de ses courriers avaient été adressés à la Cour de justice des Communautés européennes pour des raisons de compétence.

39      Le 13 mars 2006, le greffier de la Cour a informé M. Kermoudi qu’un recours en indemnité introduit sur le fondement de l’article 235 CE contre la BEI, agissant au nom et pour le compte de la Communauté, relevait de la compétence du Tribunal de première instance et lui a renvoyé le dossier.

 Procédure et conclusions des parties

40      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 novembre 2006, les requérants ont introduit le présent recours.

41      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 26 février 2007, la Commission a soulevé, conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, une exception d’irrecevabilité.

42      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 6 mars 2007, la BEI a également soulevé, au titre de ladite disposition, une exception d’irrecevabilité.

43      Les requérants ont présenté leurs observations sur ces exceptions le 13 avril 2007.

44      Dans leur requête, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner solidairement la BEI et la Communauté, ou l’une à défaut de l’autre, à payer à 2K‑Teint la somme de 56 766 684,39 MAD au titre du préjudice matériel et aux personnes physiques requérantes la somme de 18 000 000 MAD au titre du préjudice moral, à majorer d’intérêts au taux légal à partir de la première sommation judiciaire des requérants, soit l’assignation devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg en date du 17 juin 2003 et jusqu’à complet paiement ;

–        le cas échéant, ordonner une expertise sur l’étendue et le bien-fondé du préjudice matériel ;

–        ordonner à la BEI de communiquer l’intégralité de son dossier relatif au prêt participatif accordé aux personnes physiques requérantes, y compris tous les documents échangés à ce sujet avec la BNDE, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard ;

–        condamner solidairement la BEI et la Communauté, ou l’une à défaut de l’autre, à payer, à titre de somme non comprise dans les dépens, un montant provisionnel de 12 500 euros que les requérants ont dû exposer pour assurer leur défense, ainsi que leur assistance à l’audience, et qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge ;

–        condamner la BEI et/ou la Communauté aux dépens.

45      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner les requérants aux dépens.

46      Dans son exception d’irrecevabilité, la BEI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner les requérants aux dépens.

47      Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter les exceptions d’irrecevabilité.

 En droit

48      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

49      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sans poursuivre la procédure.

 Arguments des parties

50      Les requérants font valoir que la BEI assume à l’égard des destinataires des fonds, c’est-à-dire des investisseurs en tant qu’opérateurs, un rôle d’actionnaire, par l’intermédiaire d’une banque nationale du pays concerné, et qu’elle est, de ce fait, directement en relation avec l’investisseur. À supposer même que tel ne fût pas le cas, il y aurait pour le moins apparence créatrice de droits et d’obligations réciproques entre la BEI et l’investisseur. En tout état de cause, la responsabilité de la BEI serait engagée sur le fondement de l’article 1382 du code civil luxembourgeois.

51      Ainsi, selon les requérants, la BEI doit assumer non seulement les fautes de la BNDE, commises à l’occasion de ce rapport de droit, mais également les conséquences de ses propres déficiences et manquements.

52      Les requérants soutiennent que la BNDE a créé artificiellement les conditions pour débiter des intérêts intercalaires et que, au surplus, elle a invoqué, depuis décembre 1997, le « soi-disant refus de la BEI de débloquer le prêt participatif dans l’intention délibérée de se faire payer deux fois le crédit relais, soit une fois par la BEI et une autre fois par les requérants, le remboursement de ce crédit étant majoré d’intérêts à 18,75 % ».

53      La convention de rétrocession et la lettre d’affectation dont les requérants auraient appris l’existence lors du dépôt des conclusions en défense de la BEI devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg le 9 décembre 2003, démontreraient des fautes graves commises par la BEI envers les requérants. La BEI aurait ainsi sciemment dissimulé certains faits pendant cinq ans, soit de mai 1999 à décembre 2003, et énoncé des contrevérités dans les lettres des 20 mai 1999 et 17 octobre 2001 qu’elle a adressées à 2K‑Teint. Selon les requérants, ces fautes commises par la BEI ont eu pour effet de favoriser, voire de cautionner, les agissements frauduleux de la BNDE, laquelle procédait, au détriment des requérants, à la réalisation d’au moins deux opérations relevant de l’abus de confiance, de la confection de faux et de l’escroquerie.

54      Les requérants font valoir que le comportement fautif de la BNDE leur a causé un préjudice considérable. Ce comportement n’aurait jamais pu intervenir et perdurer si, d’une part, la BEI avait veillé à exercer son obligation de suivi et de contrôle des fonds destinés à 2K‑Teint dès l’envoi de la lettre d’affectation et si, d’autre part, la BEI avait répondu de manière diligente à l’appel qui lui avait été adressé le 10 mai 1999 par 2K‑Teint alors que celle-ci était confrontée à l’action judiciaire intentée par la BNDE.

55      La Commission et la BEI soulèvent, chacune, une exception d’irrecevabilité du recours au motif que l’action intentée par les requérants est prescrite au sens de l’article 46 du statut de la Cour.

56      La Commission note que le préjudice principal dont les requérants se prévalent consiste dans la condamnation de 2K‑Teint à la vente de son fonds de commerce, prononcée par le jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998 et confirmée par la cour d’appel de Casablanca le 4 novembre 1999. Si cette dernière date était retenue comme celle de la survenance du fait susceptible d’engager la responsabilité de la Communauté, l’action en indemnité serait prescrite, étant donné que la requête a été introduite le 27 novembre 2006.

57      Selon la Commission, même si l’on considère que le moment à partir duquel le délai de cinq ans devrait être calculé consiste dans la date de réalisation du dernier acte imputable à la BEI, à savoir la réponse du président de la BEI du 17 octobre 2001, le recours serait également tardif, car la requête a été introduite cinq ans et quarante jours après cet événement.

58      La BEI estime que l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999 a mis les requérants en mesure de connaître le préjudice imminent et prévisible résultant pour eux de la vente du fonds de commerce de 2K‑Teint.

59      Selon la BEI, à supposer que le prétendu comportement fautif de la BEI consiste, non dans une omission, mais dans la réponse négative du président de la BEI, le recours a été introduit plus de cinq ans après cette réponse.

60      Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants font valoir que l’existence du comportement illégal de la BEI n’a pu être décelée par eux qu’à la date du 9 décembre 2003, correspondant à la date du dépôt des conclusions en défense de la BEI devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Ce serait seulement à cette date que les requérants auraient pris connaissance des documents contractuels et des courriers échangés entre la BEI et le ministère des Finances marocain. De plus, c’est dans ses conclusions en défense déposées le 9 décembre 2003 que la BEI aurait révélé pour la première fois la circonstance que, « par courrier en date du 14 octobre 1994, [elle] indiquait au ministère des Finances marocain que le projet 2K‑Teint pouvait être imputé sur la ligne de crédit à concurrence d’un montant de 369 500 euros ».

61      Selon les requérants, les réponses des 20 mai 1999 (voir point 23 ci-dessus) et 17 octobre 2001 (voir point 27 ci-dessus) de la BEI signifient que celle-ci a renoncé au prêt participatif tandis que les conclusions en défense de la BEI apportent la preuve que celle-ci a transféré les fonds nécessaires pour accorder ce prêt participatif à 2K‑Teint. Les requérants font valoir que, partant, le crédit relais n’a aucune raison d’être, ce qui constitue une première escroquerie de la part de la BNDE, et que l’exigence de faire payer une deuxième fois ce crédit relais constitue une seconde escroquerie de la part de la BNDE. Le relevé de compte à la BNDE de 5 093 320,49 MAD serait, par conséquent, un document falsifié.

62      La BEI aurait donc failli à ses obligations. Or, avant la date du dépôt des conclusions en défense de la BEI, il aurait été impossible pour les requérants de constater ce comportement illégal de la BEI, dès lors que celle-ci aurait persisté à ne rien divulguer aux requérants qui leur aurait permis de contester les affirmations de la BNDE selon lesquelles la « BEI n’avait pas voulu accorder de prêt participatif à […] 2K‑Teint ».

63      En outre, les requérants font valoir que l’introduction de l’action judiciaire par citation du 17 juin 2003 devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a eu un effet interruptif de la prescription.

64      Par ailleurs, les requérants constatent, à propos du préjudice subi par eux à la suite de l’action judiciaire en réalisation du fonds de commerce de 2K‑Teint, que la première requête déposée par la BNDE, ayant donné lieu au jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999, était vouée à l’échec, dès lors que l’adresse du fonds de commerce de 2K‑Teint n’était pas localisée au 1, boulevard de la Corniche à Casablanca, mais zone industrielle Moulay Rachid, lotissement Khalidia, Sidi Othmane, à Casablanca. La BNDE aurait dès lors été contrainte de déposer, le 26 novembre 2002, une nouvelle requête tendant à ce que le tribunal de commerce de Casablanca ordonne la réalisation de l’hypothèque et la vente du fonds de commerce situé à cette dernière adresse.

65      Ainsi, selon les requérants, le préjudice subi par eux est continu dans le temps depuis le jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999. En effet, à ce jour, les procédures judiciaires marocaines à l’encontre des requérants et de leurs biens seraient toujours pendantes et les saisies pratiquées sur les quatorze terrains dont ils seraient propriétaires n’auraient finalement été levées que le 7 mars 2005 à la suite d’un autre arrêt de la cour d’appel de Casablanca.

66      De même, la continuité dans le temps de leur préjudice serait démontrée par les avis de vente aux enchères du fonds de commerce de 2K‑Teint, publiés les 4 avril, 17 juin, 23 novembre 2005, 17 février 2006 et 2 mars 2007 par le commissaire judiciaire marocain.

67      La persistance dans le temps de leur préjudice les aurait également déterminés à intervenir, à nouveau, auprès du président de la BEI par lettre du 5 février 2004.

68      Les requérants notent qu’ils sont également intervenus auprès du ministère de la Justice et du parquet général luxembourgeois, ce dernier ayant transmis leur dossier au greffe de la Cour.

 Appréciation du Tribunal

69      La Commission et la BEI font valoir que la demande en réparation est prescrite parce que formée tardivement.

70      Il y a lieu de rappeler que l’article 46 du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, dispose :

« Les actions contre les Communautés en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est interrompue soit par la requête formée devant la Cour, soit par la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution compétente des Communautés. Dans ce dernier cas, la requête doit être formée dans le délai de deux mois prévu à l’article 230 du traité CE et à l’article 146 du traité CEEA ; les dispositions de l’article 232, deuxième alinéa, du traité CE et de l’article 148, deuxième alinéa, du traité CEEA, respectivement, sont, le cas échéant, applicables. »

71      Selon la jurisprudence, le délai de prescription ainsi prévu ne saurait commencer à courir avant que ne soient réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation. Ces conditions sont l’existence d’un comportement illégal des institutions communautaires, la réalité du préjudice allégué et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 10 ; arrêts du Tribunal du 16 avril 1997, Hartmann/Conseil et Commission, T‑20/94, Rec. p. II‑595, point 107, et du 31 janvier 2001, Jansma/Conseil et Commission, T‑76/94, Rec. p. II‑243, point 76). La condition relative à l’existence d’un préjudice certain est remplie dès lors que le préjudice est imminent et prévisible avec une certitude suffisante, même s’il ne peut pas encore être chiffré avec précision (arrêt de la Cour du 14 janvier 1987, Zuckerfabrik Bedburg e.a./Conseil et Commission, 281/84, Rec. p. 49, point 14 ; ordonnance du Tribunal du 14 décembre 2005, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03, Rec. p. II‑5839, point 106). En outre, la prescription ne peut courir qu’à partir du moment où le préjudice pécuniaire s’est effectivement réalisé [arrêt de la Cour du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec. p. I‑2941, point 33].

72      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, la requête doit, notamment, indiquer l’objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation des dommages prétendument causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que la requérante reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles elle estime qu’un lien de causalité existe entre ledit comportement et le préjudice qu’elle prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice. En revanche, une demande tendant à obtenir une indemnité quelconque manque de la précision nécessaire et doit, par conséquent, être considérée comme irrecevable (arrêt de la Cour du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, 5/71, Rec. p. 975, point 9 ; arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T‑64/89, Rec. p. II‑367, point 73 ; du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil, T‑79/96, T‑260/97 et T‑117/98, Rec. p. II‑2193, point 181, et ordonnance du Tribunal du 5 février 2007, Sinara Handel/Conseil et Commission, T‑91/05, non encore publiée au Recueil, point 87).

73      Partant, le Tribunal est tenu de rejeter comme irrecevable un chef des conclusions de la requête qui lui est présentée dès lors que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels ce chef des conclusions est fondé ne ressortent pas d’une façon cohérente et compréhensible du texte de cette requête elle-même (arrêt de la Cour du 18 juillet 2006, Rossi/OHMI, C‑214/05 P, Rec. p. I‑7057, point 37, et ordonnance de la Cour du 13 mars 2007, Arizona Chemical e.a./Commission, C‑150/06 P, non publiée au Recueil, point 45).

74      En l’espèce, les requérants invoquent deux types de dommages. 2K‑Teint demande la réparation d’un préjudice matériel s’élevant à 56 766 684,39 MAD, tandis que les personnes physiques requérantes demandent la réparation d’un préjudice moral d’un montant de 18 000 000 MAD.

 Sur le préjudice matériel

75      Le préjudice matériel prétendument subi par 2K‑Teint est constitué, selon les requérants, comme suit :

–        19 406 915,46 MAD du fait de l’action judiciaire ;

–        3 299 219,00 MAD pour la dépréciation du matériel de production inutilisé pendant plus de deux ans ;

–        8 546 954,80 MAD pour le préjudice découlant de la saisie de quatorze lots de terrains appartenant à la famille Kermoudi « à raison de 6 % l’an », immobilisés injustement depuis mai 1999 ;

–        3 744 564,83 MAD pour les intérêts générés au bénéfice d’une banque de la place qui bénéficie d’une hypothèque de premier rang sur ces terrains en raison d’un crédit ;

–        2 195 794,68 MAD pour les intérêts intercalaires ;

–        2 576 503,62 MAD pour les « omissions bancaires et techniques » ;

–        4 996 732,00 MAD « constitués par les comptes courants associés » ;

–        12 000 000 MAD pour le manque à gagner subi par 2K‑Teint pendant six ans.

76      Il y a lieu de considérer que tous ces prétendus préjudices se sont concrétisés au plus tard au jour de l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999, confirmant le jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998.

77      En effet, en ce qui concerne le prétendu préjudice du fait de l’action judiciaire, selon les propres écritures des requérants, du fait de l’action judiciaire, de la saisie de tous les avoirs de 2K‑Teint par la BNDE, de la mise en vente forcée, bien qu’elle ait échoué, la société ne disposait plus de fonds de roulement, de facilité de caisse, de ligne bancaire d’escompte et était dans l’impossibilité d’obtenir un prêt. Elle aurait été, dans sa phase de lancement, lourdement gênée dans son expansion et, pour cette raison, elle évalue le préjudice subi à ce titre à la somme de 19 406 915,46 MAD, représentant le déficit cumulé.

78      À cet égard, il suffit de constater que ce prétendu préjudice trouve clairement son origine dans le jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999. Ainsi, au plus tard à la date de ce dernier arrêt, ce prétendu préjudice pouvait être considéré comme certain, dans la mesure où il apparaissait alors imminent et prévisible avec une certitude suffisante, même s’il ne pouvait pas encore être chiffré avec précision. En tout état de cause, il y a lieu de considérer que ce prétendu préjudice était effectivement réalisé au plus tard à la date de l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca, c’est-à-dire plus de sept ans avant l’introduction du présent recours (voir point 71 ci-dessus). Partant, ce dernier est prescrit.

79      Il en va de même en ce qui concerne le prétendu préjudice « découlant de la saisie de [quatorze] lots de terrains appartenant à la famille Kermoudi à raison de 6 % l’an immobilisés injustement depuis mai 1999 », ainsi que les intérêts générés au bénéfice d’une banque de la place qui bénéficie d’une hypothèque de premier rang sur ces terrains en raison d’un crédit.

80      En ce qui concerne le prétendu préjudice résultant de la dépréciation du matériel de production inutilisé pendant plus de deux ans, il apparaît que cette prétendue dépréciation correspond à la période 1995/1997. Ainsi, la demande qui y est relative est clairement prescrite.

81      En tout état de cause, les requérants n’expliquent aucunement, avec preuves à l’appui, comment est calculé le montant de 3 299 219,00 MAD, correspondant à la dépréciation du matériel de production. Ainsi, la demande qui y est relative ne satisfait pas aux exigences de forme de la requête prévues à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure et est, partant, irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance Sinara Handel/Conseil et Commission, précitée, points 88 et 89).

82      En ce qui concerne le prétendu préjudice découlant des intérêts intercalaires, les requérants font valoir que « la BNDE s’est généreusement servie d’intérêts intercalaires qui n’auraient pas été débités à […] 2K‑Teint si les fonds de la BEI lui avaient été versés dès leur mise à disposition auprès du Trésor marocain ». Il s’agit des intérêts que […] 2K‑Teint a remboursés sur le crédit à long terme (voir point 9 ci-dessus) entre le 8 mai 1995 et le 12 mai 1997. Il y a lieu de constater que l’argument des requérants est inopérant, car, en vertu des articles 10 et 11 du contrat du 16 septembre 1994, 2K‑Teint s’engageait à payer les intérêts échus sur les montants débloqués, ces intérêts étant payables pour la première fois le 31 août 1994. En tout état de cause, à supposer que l’argument doive être compris dans le sens que les requérants considèrent que 2K‑Teint a payé en vain ces intérêts étant donné que le projet a finalement échoué, il suffit de constater que ce prétendu préjudice trouve également son origine dans le jugement et l’arrêt susmentionnés. Ainsi, au plus tard à la date de l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca, le prétendu préjudice était imminent et prévisible avec une certitude suffisante et il était effectivement réalisé. Au surplus, à cette date, il pouvait déjà être chiffré avec précision, car 2K‑Teint avait déjà remboursé ces intérêts à la BNDE.

83      Il en va de même en ce qui concerne ce que les requérants appellent le préjudice résultant d’« omissions bancaires et techniques ». Il apparaît qu’il s’agit de frais et de commissions que 2K‑Teint avait remboursés à la BNDE.

84      En ce qui concerne le prétendu préjudice constitué par les comptes courants associés, celui-ci doit être apprécié de la même manière. Il apparaît qu’il s’agit de versements que les actionnaires ont effectués sur le compte de 2K‑Teint.

85      En ce qui concerne le prétendu manque à gagner subi par 2K‑Teint pendant six ans, il y a lieu de relever que les requérants ne précisent pas de quelle période il s’agit. De même, ils ne précisent aucunement la méthode sur la base de laquelle le montant invoqué de 12 000 000 MAD a été calculé ni en quoi ce prétendu manque à gagner consiste.

86      Dès lors, la demande concernant le prétendu manque à gagner ne satisfait pas aux exigences de forme de la requête prévues à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure et est, partant, irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance Sinara Handel/Conseil et Commission, précitée, points 88 et 89).

87      En tout état de cause, il y a lieu de relever que ce prétendu manque à gagner remonte à l’année 1995 ou tout au moins au jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999. Ainsi, il a son origine au plus tard dans ce dernier arrêt. Partant, cette demande est également prescrite.

88      Par conséquent, la requête ayant été introduite le 27 novembre 2006, soit au moins sept ans après l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999, point de départ du délai quinquennal de prescription, le présent recours, pour autant qu’il vise à la réparation desdits dommages, doit être déclaré prescrit et donc irrecevable.

89      Aucun des arguments des requérants ne saurait remettre en cause cette conclusion.

90      Premièrement, en ce qui concerne le fait que l’adresse du fonds de commerce de 2K‑Teint n’était pas correcte dans le jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998 et dans l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999, il suffit de relever que les requérants soutiennent eux-mêmes dans leurs écritures que, à la suite de l’action judiciaire ayant abouti à la saisie de tous les avoirs de 2K‑Teint et à la « mise en vente forcée, [laquelle a] échoué il est vrai », cette société se trouvait dans les difficultés constitutives du préjudice invoqué. Ainsi, ce fait, qui n’est même pas mentionné dans la requête, n’a pas d’incidence sur la détermination du point de départ du délai de prescription. En tout état de cause, aussi bien le procès-verbal de saisie descriptive du 23 novembre 2004 (voir point 34 ci-dessus) que les avis de vente aux enchères du fonds de commerce de 2K‑Teint (voir point 36 ci-dessus) se réfèrent au jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998, ce dernier étant ainsi à l’origine de ces faits.

91      Deuxièmement, il y a lieu de relever que les arguments des requérants concernant le comportement de la BEI ne sont pas de nature à reporter le point de départ du délai de prescription.

92      À cet égard, les requérants font valoir que le comportement fautif de la BNDE, agissant en sa prétendue qualité d’intermédiaire financier choisi par la BEI, n’aurait pu prospérer si, d’une part, la BEI avait scrupuleusement veillé à exercer son obligation de suivi et de contrôle des fonds destinés à 2K‑Teint dès l’envoi de la lettre d’affectation (voir point 12 ci‑dessus) et si, d’autre part, la BEI avait répondu de manière diligente à l’appel, urgent et pressant, qui lui avait été adressé le 10 mai 1999 par 2K‑Teint (voir point 21 ci‑dessus) alors que celle-ci était confrontée à l’action judiciaire intentée par la BNDE.

93      Ainsi, il ressort des propres écritures des requérants qu’ils estiment que le comportement prétendument illégal de la BEI s’est manifesté dès l’envoi de la lettre d’affectation. Partant, le fait prétendument illégal susceptible d’engager la responsabilité des Communautés est survenu bien plus de cinq ans avant l’introduction du présent recours, le 27 novembre 2006.

94      Même à supposer que le prétendu comportement illégal de la BEI réside non dans le contrôle déficient de l’usage du prêt conditionnel octroyé au Royaume du Maroc et du comportement de l’intermédiaire financier, à savoir la BNDE, mais dans la réponse de la BEI du 17 octobre 2001 (voir point 27 ci-dessus), dans laquelle celle-ci refuse de donner suite à la demande de 2K‑Teint de se joindre à son action en justice (voir point 26 ci-dessus), le délai quinquennal de prescription serait arrivé à expiration le 17 octobre 2006, c’est-à-dire quarante jours avant l’introduction du présent recours.

95      La lettre des requérants au président de la BEI en date du 19 novembre 2001 (voir point 28 ci-dessus) ne saurait davantage interrompre le calcul du délai de prescription. En effet, à supposer que cette lettre puisse être considérée comme une demande préalable adressée à l’institution compétente, l’interruption du délai n’est acquise, aux termes de l’article 46 du statut de la Cour, que si la demande est suivie d’une requête dans les délais déterminés par référence aux articles 230 CE et 232 CE (ordonnance du Tribunal du 4 août 1999, Fratelli Murri/Commission, T‑106/98, Rec. p. II‑2553, point 29). Or, il est constant que cette lettre n’a été suivie d’aucune requête introduite devant le Tribunal dans les délais requis.

96      L’argument des requérants, selon lequel ils n’ont pu se rendre compte de la prétendue illégalité commise par la BEI que le 9 décembre 2003, à savoir au moment où cette dernière a déposé ses conclusions en défense devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, ne saurait être de nature à reporter à cette date le point de départ du délai de prescription de l’action en indemnité.

97      En effet, il y a lieu de rappeler que la prescription a pour fonction de concilier la protection des droits de la personne lésée et le principe de sécurité juridique. La durée du délai de prescription a ainsi été déterminée en tenant compte notamment du temps nécessaire à la partie prétendument lésée pour rassembler des informations appropriées en vue d’un recours éventuel et pour vérifier les faits susceptibles d’être invoqués au soutien de ce recours (ordonnance de la Cour du 18 juillet 2002, Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, C‑136/01 P, Rec. p. I‑6565, point 28).

98      En outre, au cas où le fait générateur du dommage ne pourrait être connu de la victime qu’à une date tardive, le délai ne pourrait commencer à courir à son égard avant qu’elle ne puisse en prendre connaissance (arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, É.R. e.a./Conseil et Commission, T‑138/03, Rec. p. II‑4923, point 49). Cependant, il a été jugé que la thèse selon laquelle le délai de prescription ne commencerait à courir qu’à compter du moment où la victime a une connaissance précise et circonstanciée des faits de la cause est erronée, la connaissance des faits ne figurant pas au nombre des éléments qui doivent être réunis pour faire courir le délai de prescription (ordonnance Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, précitée, point 31 ; ordonnance du Tribunal du 14 septembre 2005, Ehcon/Commission, T‑140/04, Rec. p. II‑3287, point 58).

99      En tout état de cause, les requérants ont été en mesure d’introduire une action judiciaire par citation le 17 juin 2003 devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg pour voir engager la responsabilité contractuelle sinon délictuelle de la BEI et obtenir sa condamnation à leur payer les sommes de 3 895 632,92 euros et de 1 651 376,15 euros, avant d’avoir pris connaissance desdites conclusions en défense de la BEI.

100    En outre, l’argument, selon lequel le fait que la BEI a fait état dans ses conclusions en défense devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg que, par courrier du 14 octobre 1994, elle avait informé le ministère des Finances marocain que le projet 2K‑Teint pouvait être imputé sur la ligne de crédit à concurrence d’un montant de 369 500 euros démontre l’illégalité du comportement de la BEI, est inopérant. En effet, au plus tard le 21 juillet 1997, les requérants savaient que la BEI avait donné son accord concernant le projet 2K‑Teint, car, à cette date, la BNDE avait informé les personnes physiques requérantes qu’elle allait procéder au déblocage, au titre du prêt participatif, de leurs parts individuelles, s’élevant à la somme de 3 450 000 MAD (voir point 17 ci-dessus). En outre, il ressort du relevé de compte de 2K‑Teint du 1er janvier au 21 août 1997 que ces parts individuelles d’un total de 3 450 000 MAD ont été passées au crédit de son compte à la BNDE le 8 juillet 1997 et que, le 10 juillet 1997, le crédit relais de 3 420 000 MAD a été remboursé par ces virements.

101    Ainsi, les requérants ne sauraient prétendre que c’est seulement à la date du 9 décembre 2003 qu’ils ont appris que la BEI avait, effectivement, donné son approbation concernant leur projet, même si la BEI ne leur avait pas donné, au printemps 1999 et à l’automne 2001, de documents permettant de contester les affirmations de la BNDE selon lesquelles la « BEI n’avait pas voulu accorder de prêt participatif à […] 2K‑Teint ».

102    Par conséquent, contrairement à l’hypothèse selon laquelle un requérant se trouve empêché de présenter sa requête dans un délai raisonnable du fait de la prise de connaissance tardive du fait générateur du dommage, il n’y a pas lieu, en l’espèce, de fixer la date d’expiration du délai de prescription à une date postérieure à la date normale d’expiration dudit délai (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 novembre 1985, Adams/Commission, 145/83, Rec. p. 3539, points 50 et 51, et ordonnance de la Cour Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, précitée, point 32 ; ordonnance du Tribunal Ehcon/Commission, précitée, point 61).

103    En outre, le comportement de la BEI devant le juge national luxembourgeois ne saurait avoir de pertinence pour la solution du litige (voir, en ce sens, ordonnance Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, précitée, point 57).

104    Troisièmement, les requérants ne sauraient se prévaloir de l’introduction de l’action judiciaire par citation du 17 juin 2003 devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg comme ayant un effet interruptif de la prescription. En effet, il ressort du libellé même de l’article 46 du statut de la Cour que l’interruption de la prescription nécessite, dans les deux cas de figure qu’elle prévoit, une requête devant la Cour ou le Tribunal. En revanche, une action similaire devant une juridiction nationale, à savoir une requête en matière de dommages et intérêts, ne saurait avoir un tel effet interruptif (voir, en ce sens, ordonnance Autosalone Ispra dei Fratelli Rossi/Commission, précitée, point 56, et arrêt du Tribunal du 4 février 1998, Bühring/Conseil et Commission, T‑246/93, Rec. p. II‑171, point 72).

105    De même, la lettre de 2K‑Teint du 5 février 2004 au président de la BEI (voir point 32 ci-dessus), invoquée par les requérants, ne saurait constituer un acte interruptif du délai de prescription, étant donné que, à supposer que cette lettre puisse être considérée comme une demande préalable adressée à l’institution compétente, l’interruption n’est acquise que si la demande est suivie d’une requête dans les délais déterminés par référence aux articles 230 CE et 232 CE (ordonnance Fratelli Murri/Commission, précitée, point 29). Or, il est constant que cette lettre n’a été suivie d’aucune requête devant le Tribunal dans les délais requis.

106    Quatrièmement, les requérants ne sauraient se prévaloir du fait que le préjudice subi par eux a continué dans le temps depuis le jugement du tribunal de commerce de Casablanca, en faisant valoir qu’à ce jour, les procédures marocaines à l’encontre des requérants et de leurs biens sont toujours pendantes et que les saisies pratiquées sur les quatorze terrains n’ont été levées que le 7 mars 2005 à la suite d’un autre arrêt de la cour d’appel de Casablanca. En effet, si, selon une jurisprudence constante, la prescription ne s’applique qu’à la période antérieure de plus de cinq ans à la date de l’acte interruptif de prescription, sans affecter les droits nés au cours des périodes postérieures (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Hartmann/Conseil et Commission, précité, point 132, et du 7 février 2002, Kustermann/Conseil et Commission, T‑201/94, Rec. p. II‑415, point 64), ce n’est que dans l’hypothèse exceptionnelle où il est démontré que le préjudice en cause a été renouvelé quotidiennement postérieurement à la survenance du fait qui est à son origine (ordonnance Ehcon/Commission, précitée, point 67). Tel n’est pas le cas en l’espèce, les dommages décrits aux points 77 à 87 ci-dessus, à les supposer avérés, ayant été causés instantanément par le jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998, confirmé par l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999. Ainsi, une éventuelle autre procédure devant le tribunal de commerce de Rabat (Maroc), à laquelle les requérants se réfèrent dans leur requête, sans d’ailleurs donner aucune précision quant à la suite de cette procédure, n’a pas davantage d’incidence sur la détermination du point de départ du délai de prescription.

107    Pour les mêmes raisons, la continuité dans le temps du prétendu préjudice subi par les requérants n’est pas démontrée par les avis de vente aux enchères du fonds de commerce de 2K‑Teint, publiés en 2005, en 2006 et en 2007. En effet, considérer le contraire reviendrait à dire que le recours est prématuré.

108    Enfin, en ce qui concerne le fait que les requérants sont également intervenus auprès du ministère de la Justice luxembourgeois le 2 septembre 2005 (voir point 37 ci-dessus), qui a transmis une copie de leur courrier au procureur général d’État, que les requérants avaient apparemment contacté également eux-mêmes le 17 octobre 2005 et qui, à son tour, a adressé les courriers des requérants à la Cour (voir point 38 ci-dessus), laquelle, le 13 mars 2006, a informé M. Kermoudi qu’un recours en indemnité relevait de la compétence du Tribunal et lui a renvoyé le dossier (voir point 39 ci-dessus), il ne saurait affecter le délai de prescription. En effet, les requérants, qui n’ont pas estimé nécessaire de produire au Tribunal les courriers précités, n’ont pas fait valoir qu’il se serait agi d’une requête. En tout état de cause, les requérants ne se sont pas adressés directement à la Cour et la transmission par le parquet général luxembourgeois de leurs courriers à la Cour ne saurait être considérée comme l’introduction d’une requête, telle que requise par l’article 46 du statut de la Cour.

 Sur le préjudice moral

109    Le prétendu préjudice moral des personnes physiques requérantes résulte, selon les intéressées, des circonstances suivantes :

–        la famille Kermoudi a investi la somme de 5 760 000 MAD ;

–        elle a des comptes courants associés d’un montant de 4 996 732 MAD ;

–        elle a été contrainte de faire face à toutes les difficultés créées artificiellement par la BNDE, et ce depuis mai 1994 ;

–        elle a été victime de procédures téméraires et vexatoires de saisie de ses biens meubles et immeubles ;

–        elle « vit actuellement avec la sombre perspective de subir la contrainte par corps maximum, procédure toujours en vigueur au Maroc ».

110    En ce qui concerne les deux premières causes de ce prétendu préjudice moral, il y a lieu de relever que les requérants n’expliquent aucunement quel est effectivement le préjudice moral dont ils auraient souffert du fait d’avoir investi la somme de 5 760 000 MAD et du fait d’avoir des comptes courants associés d’un montant de 4 996 732 MAD. Ainsi, ils ne démontrent pas la réalité de ce préjudice. En outre, les deux premières causes de ce prétendu préjudice moral sont déjà incluses dans le prétendu préjudice matériel.

111    En tout état de cause, ce prétendu préjudice moral, même à le supposer avéré, était imminent et prévisible avec une certitude suffisante au plus tard à la date de l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca, confirmant le jugement du tribunal de commerce de Casablanca et la demande est, partant, prescrite.

112    Il en va de même du prétendu fait d’avoir été victime de procédures prétendument téméraires et vexatoires de saisie de biens meubles et immeubles. En effet, leur origine se trouve clairement dans l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca, confirmant le jugement du tribunal de commerce de Casablanca. Par conséquent, cette demande est également prescrite.

113    S’agissant de la demande relative au prétendu préjudice moral dû au fait que les requérants auraient « été contraint[s] de faire face à toutes les difficultés créées artificiellement par la BNDE, et ce depuis mai 1994 », il y a lieu de constater qu’elle est prescrite en ce qui concerne les agissements de la BNDE antérieurs au 27 novembre 2001, le présent recours ayant été introduit le 27 novembre 2006.

114    Pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 106 et 107 ci-dessus, on ne saurait considérer qu’il s’agit d’un préjudice continu, renouvelé quotidiennement postérieurement à la survenance du fait qui est à son origine. Ainsi, cette demande est entièrement prescrite.

115    En ce qui concerne le prétendu risque de la contrainte par corps, il apparaît que les requérants se réfèrent à une procédure prétendument intentée par la BNDE devant le tribunal de commerce de Rabat le 6 avril 1999 et dans laquelle la BNDE aurait demandé de fixer la « contrainte par corps au maximum » pour certaines des personnes physiques requérantes. Les requérants ne donnent aucune précision quant à la suite de cette procédure et ils n’ont même pas fourni au Tribunal la requête de la BNDE.

116    En outre, les requérants n’apportent aucune preuve d’un éventuel lien de causalité entre le comportement prétendument fautif de la BEI et l’introduction par la BNDE d’une requête devant le tribunal de commerce de Rabat demandant de fixer la « contrainte par corps au maximum ».

117    Dans ces circonstances, il y a lieu de relever que la requête n’identifie pas clairement et de manière non équivoque, cohérente et compréhensible les éléments constitutifs du préjudice allégué, ni le lien de causalité entre le comportement prétendument illégal et ce préjudice. Partant, elle ne satisfait pas, à cet égard, aux exigences de forme de la requête prévues à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure et est, partant, irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance du 13 mars 2007, Arizona Chemical e.a./Commission, précitée, point 46).

118    Il résulte de tout ce qui précède que l’action est prescrite et, partant, irrecevable, pour autant qu’elle vise à la réparation du dommage résultant de l’arrêt de la cour d’appel de Casablanca du 4 novembre 1999, confirmant le jugement du tribunal de commerce de Casablanca du 14 décembre 1998, ordonnant la vente du fonds de commerce de 2K‑Teint, et que cette action ne satisfait pas aux exigences de forme de la requête prévues à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, et est, de ce fait, également irrecevable, pour autant qu’elle vise à la réparation du manque à gagner et le prétendu préjudice moral dû au risque relatif à la contrainte par corps, ainsi que, en tout état de cause, le prétendu préjudice pour dépréciation du matériel de production inutilisé pendant plus de deux ans.

119    Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’ordonner une expertise sur l’étendue et le bien-fondé du préjudice matériel, ni d’ordonner à la BEI de communiquer l’intégralité de son dossier relatif au prêt participatif accordé aux personnes physiques requérantes.

120    En ce qui concerne la demande des requérants de condamner solidairement la BEI et la Communauté, ou l’une à défaut de l’autre, à payer, à titre de somme non comprise dans les dépens, une somme d’un montant provisionnel de 12 500 euros que les requérants ont dû exposer pour assurer leur défense, ainsi que leur assistance à l’audience, et qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge, il y a lieu de relever que la nature de ces frais non compris dans les dépens n’est pas clairement établie.

121    En effet, si la demande doit être comprise dans le sens où elle vise les dépens devant les juridictions marocaines et luxembourgeoises, il y a lieu de rappeler que la question du remboursement des dépens engagés au niveau national relève de la compétence exclusive du juge national, ce dernier devant, en l’absence de mesures d’harmonisation communautaires en ce domaine, trancher une telle question en application des dispositions du droit national applicable (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1995, Nölle/Conseil et Commission, T‑167/94, Rec. p. 2589, point 37).

122    Si la demande doit être comprise dans le sens où elle vise les dépens relatifs à la présente procédure, ils font partie des dépens sur lesquels le Tribunal statue conformément à l’article 87 du règlement de procédure.

123    Il ressort de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

124    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens exposés par la Commission et par la BEI, conformément aux conclusions de ces dernières.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      2K‑Teint SARL, MM. Mohammed Kermoudi, Khalid Kermoudi, Mmes Laila Kermoudi, Mounia Kermoudi, Salma Kermoudi et Rabia Kermoudi supporteront, outre leurs propres dépens, les dépens de la Commission et de la Banque européenne d’investissement (BEI).

Fait à Luxembourg, le 10 avril 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       V. Tiili


* Langue de procédure : le français.