Language of document : ECLI:EU:T:1998:89

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

14 mai 1998 (1)

«Concurrence — Article 85, paragraphe 1, du traité CE — Preuve de la participation à des collusions — Amende — Chiffre d'affaires — Détermination du montant — Circonstances atténuantes»

Dans l'affaire T-304/94,

Europa Carton AG, société de droit allemand, établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Mes Gerhard Wiedemann et Wolfgang Kirchhoff, avocats à Düsseldorf, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Alex Bonn, 7, Val Sainte-Croix,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, initialement représentée par MM. Bernd Langeheine et Richard Lyal, membres du service juridique, en qualité d'agents, puis par M. Lyal assisté de Me Dirk Schroeder, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët, Mme P. Lindh, MM. A. Potocki et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    La présente affaire concerne la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1), rectifiée avant sa publication par une décision de la Commission du 26 juillet 1994 [C(94) 2135 final] (ci-après «décision»). La décision a infligé des amendes à 19 fabricants fournisseurs de carton dans la Communauté, du chef de violations de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2.
    Le produit faisant l'objet de la décision est le carton. Trois types de carton, désignés comme relevant des qualités «GC», «GD» et «SBS», sont mentionnés dans la décision.

3.
    Le carton de qualité GD (ci-après «carton GD») est un carton à intérieur gris (papiers recyclés) qui sert habituellement à l'emballage de produits non alimentaires.

4.
    Le carton de qualité GC (ci-après «carton GC») est un carton présentant une couche extérieure blanche et servant habituellement à l'emballage de produits alimentaires. Le carton GC est d'une qualité supérieure à celle du carton GD. Dans la période couverte par la décision, il a généralement existé entre ces deux

produits un écart de prix d'environ 30 %. Dans une moindre mesure, le carton GC de haute qualité sert également à des utilisations graphiques.

5.
    SBS est le sigle utilisé pour désigner le carton entièrement blanc (ci-après «carton SBS»). Ce carton est un produit dont le prix est d'environ 20 % supérieur à celui du carton GC. Il sert à l'emballage des aliments, des produits cosmétiques, des médicaments et des cigarettes, mais il est destiné principalement à des utilisations graphiques.

6.
    Par lettre du 22 novembre 1990, la British Printing Industries Federation, organisation professionnelle qui représente la majorité des fabricants de boîtes imprimées du Royaume-Uni (ci-après «BPIF»), a déposé une plainte informelle auprès de la Commission. Elle a fait valoir que les fabricants de carton approvisionnant le Royaume-Uni avaient introduit une série de hausses de prix simultanées et uniformes et demandé à la Commission de vérifier l'existence d'une éventuelle infraction aux règles communautaires de la concurrence. Afin d'assurer la publicité de son initiative, la BPIF a publié un communiqué de presse. Le contenu de ce communiqué a été relaté par la presse professionnelle spécialisée dans le courant du mois de décembre 1990.

7.
    Le 12 décembre 1990, la Fédération française du cartonnage a également déposé une plainte informelle auprès de la Commission, dans laquelle elle présentait des observations relatives au marché français du carton en des termes analogues à ceux de la plainte déposée par la BPIF.

8.
    Les 23 et 24 avril 1991, des agents de la Commission, agissant au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après «règlement n° 17»), ont procédé à des vérifications simultanées sans avertissement préalable dans les locaux de plusieurs entreprises et associations professionnelles du secteur du carton.

9.
    A la suite de ces vérifications, la Commission a adressé des demandes de renseignements et de documents au titre de l'article 11 du règlement n° 17 à tous les destinataires de la décision.

10.
    Les éléments obtenus dans le cadre de ces vérifications et demandes de renseignements et de documents ont amené la Commission à conclure que les entreprises concernées avaient, du milieu de l'année 1986 à avril 1991 au moins (dans la plupart des cas), participé à une infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

11.
    En conséquence, elle a décidé d'engager une procédure en application de cette dernière disposition. Par lettre du 21 décembre 1992, elle a adressé une communication des griefs à chacune des entreprises concernées. Toutes les

entreprises destinataires y ont répondu par écrit. Neuf entreprises ont demandé à être entendues oralement. Leur audition a eu lieu du 7 au 9 juin 1993.

12.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision, qui comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

Buchmann GmbH, Cascades SA, Enso-Gutzeit Oy, Europa Carton AG, Finnboard — the Finnish Board Mills Association, Fiskeby Board AB, Gruber & Weber GmbH & Co KG, Kartonfabriek De Eendracht NV (dont le nom commercial est BPB de Eendracht NV), NV Koninklijke KNP BT NV (anciennement Koninklijke Nederlandse Papierfabrieken NV), Laakmann Karton GmbH & Co KG, Mo Och Domsjö AB (MoDo), Mayr-Melnhof Gesellschaft mbH, Papeteries de Lancey SA, Rena Kartonfabrik AS, Sarrió SpA, SCA Holding Ltd [anciennement Reed Paper & Board (UK) Ltd], Stora Kopparbergs Bergslags AB, Enso Española SA (anciennement Tampella Española SA) et Moritz J. Weig GmbH & Co KG ont enfreint l'article 85 paragraphe 1 du traité CE en participant:

—    dans le cas de Buchmann et de Rena, de mars 1988 environ jusqu'à fin 1990 au moins,

—    dans le cas de Enso Española, de mars 1988 au moins jusqu'à fin avril 1991 au moins,

—    dans le cas de Gruber & Weber, de 1988 au moins jusqu'à fin 1990,

—    dans les autres cas, à compter de mi-1986 jusqu'à avril 1991 au moins,

à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté européenne:

—    se sont rencontrés régulièrement dans le cadre de réunions secrètes et institutionnalisées, afin de négocier et d'adopter un plan sectoriel commun de restriction de la concurrence,

—    ont décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale,

—    ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté européenne,

—    se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles,

—    ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées,

—    ont échangé des informations commerciales sur les livraisons, les prix, les arrêts de production, les commandes en carnet et les taux d'utilisation des machines, afin de soutenir les mesures mentionnées ci-dessus.

[...]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour les infractions constatées à l'article 1er:

[...]

iv) Europa Carton AG, une amende de 2 000 000 d'écus;

[...]»

13.
    Selon la décision, l'infraction s'est déroulée au sein d'un organisme dénommé «Groupe d'étude de produit Carton» (ci-après «GEP Carton»), composé de plusieurs groupes ou comités.

14.
    Cet organisme a été doté, au milieu de l'année 1986, d'un «Presidents Working Group» (ci-après «PWG») réunissant des représentants de haut niveau des principaux fournisseurs de carton de la Communauté (environ huit).

15.
    Le PWG avait notamment pour activités la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix et les capacités. En particulier, il a pris des décisions d'ordre général concernant le calendrier et le niveau des augmentations de prix à mettre en oeuvre par les fabricants.

16.
    Le PWG faisait rapport à la «President Conference» (ci-après «PC») à laquelle participait (plus ou moins régulièrement) la quasi-totalité des directeurs généraux des entreprises concernées. La PC s'est réunie deux fois par an pendant la période en cause.

17.
    A la fin de l'année 1987 a été créé le «Joint Marketing Committee» (ci-après «JMC»). Son objet principal consistait, d'une part, à déterminer si, et, dans l'affirmative, comment des augmentations de prix pouvaient être mises en oeuvre et, d'autre part, à définir les modalités des initiatives en matière de prix décidées par le PWG pays par pays et pour les principaux clients en vue d'établir un système de prix équivalent en Europe.

18.
    Enfin, le comité économique (ci-après «COE») débattait, notamment, des fluctuations de prix sur les marchés nationaux et des commandes en carnet et faisait rapport sur ses conclusions au JMC ou, jusqu'à la fin de l'année 1987, au prédécesseur du JMC, le Marketing Committee. Le COE était composé de directeurs commerciaux de la plupart des entreprises en cause et se réunissait plusieurs fois par an.

19.
    Il ressort, en outre, de la décision que la Commission a considéré que les activités du GEP Carton étaient soutenues par un échange d'informations par l'intermédiaire de la société fiduciaire Fides, dont le siège est à Zurich (Suisse). Selon la décision, la plupart des membres du GEP Carton fournissaient à la Fides des rapports périodiques sur les commandes, la production, les ventes et l'utilisation des capacités. Ces rapports étaient traités dans le cadre du système Fides et les données agrégées étaient envoyées aux participants.

20.
    La requérante Europa Carton AG (ci-après «Europa Carton») est non seulement un producteur de carton, mais également le plus grand transformateur (fabricant de boîtes pliantes) d'Allemagne. Selon la décision, elle a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant à un accord et une pratique concertée àcompter du milieu de l'année 1986 jusqu'à avril 1991 au moins. Elle aurait participé à certaines réunions de la PC et du JMC.

Procédure

21.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 octobre 1994, la requérante a introduit le présent recours.

22.
    Seize des dix-huit autres entreprises tenues pour responsables de l'infraction ont également introduit un recours contre la décision (affaires T-295/94, T-301/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94).

23.
    La requérante dans l'affaire T-301/94, Laakmann Karton GmbH, s'est désistée de son recours par lettre déposée au greffe du Tribunal le 10 juin 1996, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal par ordonnance du 18 juillet 1996, Laakmann Karton/Commission (T-301/94, non publiée au Recueil).

24.
    Quatre entreprises finlandaises, membres du groupement professionnel Finnboard et, à ce titre, tenues pour solidairement responsables du paiement de l'amende infligée à celui-ci, ont également introduit des recours contre la décision (affaires jointes T-339/94, T-340/94, T-341/94 et T-342/94).

25.
    Enfin, un recours a été introduit par une association CEPI-Cartonboard, non destinataire de la décision. Cependant, celle-ci s'est désistée par lettre déposée au greffe du Tribunal le 8 janvier 1997, et l'affaire a été radiée du registre du Tribunal

par ordonnance du 6 mars 1997, CEPI-Cartonboard/Commission (T-312/94, non publiée au Recueil).

26.
    Par lettre du 5 février 1997, le Tribunal a invité les parties à participer à une réunion informelle, notamment en vue de présenter leurs observations sur la jonction éventuelle des affaires T-295/94, T-304/94, T-308/94, T-309/94, T-310/94, T-311/94, T-317/94, T-319/94, T-327/94, T-334/94, T-337/94, T-338/94, T-347/94, T-348/94, T-352/94 et T-354/94 aux fins de la procédure orale. Lors de cette réunion, qui a eu lieu le 29 avril 1997, les parties ont accepté une telle jonction.

27.
    Par ordonnance du 4 juin 1997, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a joint les affaires précitées aux fins de la procédure orale, en raison de leur connexité, conformément à l'article 50 du règlement de procédure, et a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-334/94.

28.
    Par ordonnance du 20 juin 1997, il a accueilli une demande de traitement confidentiel introduite par la requérante dans l'affaire T-337/94 relativement à un document produit en réponse à une question par écrit du Tribunal.

29.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a pris des mesures d'organisation de la procédure en demandant aux parties de répondre à certaines questions écrites et de produire certains documents. Les parties ont déféré à ces demandes.

30.
    Les parties dans les affaires mentionnées au point 26 ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée du 25 juin au 8 juillet 1997.

Conclusions des parties

31.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler l'article 1er, huitième et neuvième tirets, de la décision à l'égard de la requérante;

—    réduire le montant de l'amende infligée à la requérante par l'article 3 de la décision;

—    condamner la Commission aux dépens.

32.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la requérante aux dépens.

Sur la demande d'annulation partielle de l'article 1er de la décision

Arguments des parties

33.
    La requérante invoque un moyen tiré du caractère infondé des griefs de collusion sur les parts de marché et sur les capacités.

34.
    Elle précise qu'elle est l'un des plus petits producteurs de carton pour boîtes pliantes de la Communauté, qu'elle ne dispose que d'une seule machine et qu'elle est le plus grand transformateur (fabricant de boîtes pliantes) d'Allemagne. De ce fait, elle aurait détenu une faible part de marché, essentiellement en Allemagne, et aurait été le principal client de sa propre cartonnerie. Cette dernière circonstance l'aurait conduite à ne jouer qu'un rôle purement passif dans les structures du GEP Carton, ce que sa participation à sept réunions du JMC (sur un total de 32) ne remettrait pas en cause.

35.
    Elle n'aurait pas participé à des accords ou pratiques concertées visant à maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, ni à des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire.

36.
    S'agissant du grief de collusion sur les parts de marché, elle affirme n'avoir jamais été membre du PWG et n'avoir jamais fait partie des grands groupes de producteurs. Or, selon la décision (points 36, 37, 52, 56 et 130 des considérants), les arrangements concernant les parts de marché auraient été convenus entre les participants au PWG, c'est-à-dire entre les grands groupes de fabricants. La Commission admettrait même que les accords de répartition des marchés, en particulier le gel des parts de marché, ont principalement concerné, par leur nature même, les grands producteurs. Elle reconnaîtrait en outre explicitement l'absence de participation des petits producteurs (point 57 des considérants), ceux-ci n'ayant été qu'informés de la nécessité d'adapter leur propre conduite à la politique du prix avant le tonnage des grands producteurs (point 58 des considérants).

37.
    En ce qui concerne le grief de collusion sur les capacités, la requérante, se référant à la décision (points 69, 70, 71, 130 et 131 des considérants), soutient que seules les entreprises membres du PWG ont participé à la pratique concertée comportant une organisation coordonnée des temps d'arrêt de production.

38.
    Elle conteste qu'elle ait eu connaissance d'un plan global adopté avec sa collaboration, dans le cadre duquel la collusion sur les prix et le contrôle des volumes auraient été inextricablement liés (voir point 116 des considérants).

39.
    Elle conteste également l'affirmation de la Commission (point 116 des considérants de la décision) selon laquelle rien n'indiquerait que les entreprises aient pu

sélectionner les aspects de l'entente auxquels elles souhaitaient participer et qu'elles aient pu renoncer à d'autres.

40.
    La Commission répond que l'infraction ne saurait être divisée en plusieurs infractions indépendantes les unes des autres. La requérante aurait été impliquée dans une infraction unique ayant consisté, pour l'essentiel, dans l'association de producteurs pendant plusieurs années au sein d'un plan illégal poursuivant un objectif commun (points 116 et suivants des considérants de la décision). Dès lors, chacune des entreprises destinataires de la décision aurait commis l'infraction dans sa totalité, même si elle n'a pas participé ou s'il n'est pas prouvé qu'elle a participé à toutes les manifestations de l'entente.

41.
    La Commission estime que la collusion sur les prix et le contrôle des volumes étaient des aspects inextricablement liés du même plan global. Elle ne soutient pas pour autant qu'une collusion sur les prix ne peut s'élaborer qu'en liaison avec des accords sur les parts de marché et les capacités. A cet égard, une entente sur les prix se révélerait en principe peu efficace, d'un point de vue économique, lorsqu'elle s'accompagne d'une augmentation de l'offre. La Commission en déduit qu'établir une distinction entre les accords sur les prix et les accords sur les volumes, tous deux incontestablement présents en l'espèce, serait inexact. Le fait que les accords sur les parts de marché et sur les contrôles de volume aient concerné principalement les gros producteurs ne changerait rien à son appréciation, car, grâce à leurs manoeuvres, tous les participants à l'entente auraient été assurés qu'aucune augmentation importante de l'offre ne surviendrait. En d'autres termes, toutes les entreprises auraient eu conscience, en raison de l'interdépendance existant entre les prix et les volumes, que le succès de l'entente dépendait aussi d'un contrôle des volumes.

42.
    Par voie de conséquence, l'argument de la requérante selon lequel elle n'aurait pas joué un rôle actif dans l'entente serait dénué de fondement. En effet, en participant régulièrement et à de nombreuses reprises (sept participations seraient prouvées) aux réunions du JMC, dont la description non contestée des activités figure dans la décision (point 44 des considérants), la requérante aurait pris part à l'élaboration des stratégies destinées à imposer une majoration commune et uniforme des prix à l'intérieur de l'ensemble du secteur. Dès lors, les discussions au sein du JMC auraient aussi abordé nécessairement les questions de contrôle des volumes et de répartition des marchés. La seule participation régulière de la requérante à ces réunions justifierait donc le grief formulé contre elle et signifierait qu'elle a souscrit aux accords qui y ont été adoptés, aucun indice permettant d'affirmer le contraire n'étant produit (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/89, Rec. p. II-867, points 56, 66 et suivants).

43.
    Par sa participation aux réunions du JMC ainsi qu'aux différentes initiatives en matière de prix, la requérante aurait clairement démontré qu'elle adhérait aux objectifs de l'entente. A supposer même qu'elle ait adopté un comportement passif,

celui-ci aurait, en tout état de cause, facilité l'accomplissement de l'infraction (arrêts de la Cour du 1er février 1978, Miller/Commission, 19/77, Rec. p. 131, point 18, et du 12 juillet 1979, BMW Belgium e.a./Commission, 32/78 et 36/78 à 82/78, Rec. p. 2435, points 49 et suivants).

44.
    Le fait que la requérante n'ait peut-être pas participé à toutes les mesures de contrôle des volumes ne modifierait pas cette situation, car ces mesures, qui concernaient essentiellement les gros fabricants, bénéficiaient à tous les participants à l'entente, étant donné qu'elles ne pouvaient être séparées des aspects de l'infraction relatifs à la fixation des prix et que la participation de tous les fabricants aux initiatives en matière de prix en assurait le succès (arrêts du Tribunal du 24 octobre 1991, Petrofina/Commission, T-2/89, Rec. p. II-1087, point 267, et du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 272).

Appréciation du Tribunal

45.
    Aux termes de l'article 1er de la décision, les entreprises visées par cette disposition ont enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant, dans le cas de la requérante du milieu de l'année 1986 jusqu'à avril 1991 au moins, à un accord et une pratique concertée remontant au milieu de 1986, en vertu desquels les fournisseurs de carton de la Communauté ont notamment «décidé d'un commun accord des augmentations régulières des prix pour chaque qualité de produit dans chaque monnaie nationale» et «ont planifié et mis en oeuvre des augmentations de prix simultanées et uniformes dans l'ensemble de la Communauté», «se sont entendus pour maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles» et «ont pris, de plus en plus fréquemment à partir de début 1990, des mesures concertées de contrôle de l'approvisionnement du marché communautaire, afin d'assurer la mise en oeuvre desdites augmentations de prix concertées».

46.
    Il s'ensuit que, selon la décision, chacune des entreprises mentionnées à l'article 1er de celle-ci a enfreint l'article 85, paragraphe 1, du traité en participant à une seule infraction constituée par des collusions portant sur trois sujets différents mais poursuivant un objectif commun. Ces collusions doivent être considérées comme les éléments constitutifs de l'entente globale.

47.
    La requérante ne conteste ni sa participation à une collusion sur les prix ni la durée de l'infraction constatée dans son chef. De plus, elle admet sa participation à sept réunions du JMC durant la période allant du 13 janvier 1988 jusqu'à avril 1991. Elle reconnaît également avoir participé à quelques réunions de la PC.

48.
    A la lumière de ces éléments, il y a lieu de vérifier si la Commission a établi que la requérante a pris part aux deux autres éléments constitutifs de l'entente globale, à savoir une collusion sur les temps d'arrêt et une collusion sur les parts de marché.

Sur la participation de la requérante à une collusion sur les temps d'arrêt

49.
    Selon la décision, les entreprises présentes aux réunions du PWG ont participé, à partir de la fin de 1987, à une collusion sur les temps d'arrêt des installations, et des temps d'arrêt ont été effectivement appliqués à partir de 1990.

50.
    En effet, il ressort du point 37, troisième alinéa, des considérants de la décision que la véritable tâche du PWG, telle que décrite par Stora, «consistait notamment dans 'la discussion et la concertation concernant les marchés, les parts du marché, les prix ainsi que les hausses de prix et les capacités‘». Par ailleurs, se référant à «l'accord conclu au sein du PWG en 1987» (point 52, premier alinéa, des considérants), la Commission expose qu'il visait notamment au maintien «des niveaux d'approvisionnement constants» (point 58, premier alinéa, des considérants).

51.
    Quant au rôle joué par le PWG dans la collusion sur le contrôle de l'approvisionnement, que caractérisait l'examen des temps d'arrêt des machines, la décision énonce que cet organe du GEP Carton a joué un rôle déterminant dans la mise en oeuvre des temps d'arrêt lorsque, à partir de 1990, la capacité de production s'est accrue et que la demande a décliné: «[...] au début de 1990, les principaux fabricants [...] ont jugé utile de se concerter dans le cadre du PWG sur la nécessité d'appliquer des temps d'arrêt. Les grands producteurs ont reconnu qu'ils ne pouvaient accroître la demande en réduisant les prix et que maintenir la production à pleine capacité ne ferait que faire baisser les prix. En théorie, les temps d'arrêt nécessaires pour rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités [...]» (Point 70 des considérants de la décision.)

52.
    La décision relève en outre: «Le PWG n'indiquait cependant pas formellement le temps d'arrêt à respecter par chaque producteur. Selon Stora, l'établissement d'un plan coordonné d'arrêt des machines couvrant tous les producteurs soulevait des difficultés d'ordre pratique. Stora indique que c'est la raison pour laquelle il n'existait qu''un système relâché d'encouragement‘.» (Point 71 des considérants de la décision.)

53.
    Il convient de souligner que Stora, dans sa deuxième déclaration (annexe 39 à la communication des griefs, point 24), explique: «Avec l'adoption, par le PWG, de la politique du prix avant le tonnage et la mise en oeuvre progressive d'un système de prix équivalents à partir de 1988, les membres du PWG ont reconnu qu'il était nécessaire de respecter des temps d'arrêt en vue de maintenir ces prix face à une croissance réduite de la demande. Faute pour les fabricants d'appliquer des temps d'arrêt, il leur aurait été impossible de maintenir les niveaux de prix convenus face à une capacité excédentaire croissante.»

54.
    Au point suivant de sa déclaration, elle ajoute: «En 1988 et 1989, l'industrie pouvait fonctionner pratiquement à pleine capacité. Les temps d'arrêt autres que la fermeture normale pour les réparations et les vacances sont devenus nécessaires à partir de 1990. [...] Par la suite, il s'est avéré nécessaire de pratiquer des temps d'arrêt lorsque le flot de commandes s'arrêtait afin de maintenir la politique du prix avant le tonnage. Les temps d'arrêt à respecter par les producteurs (pour assurer le maintien de l'équilibre entre la production et la consommation) pouvaient être calculés sur la base des rapports concernant les capacités. Le PWG n'indiquait pas formellement le temps d'arrêt à respecter, bien qu'il existât un système relâché d'encouragement [...]»

55.
    La Commission fonde également ses conclusions sur l'annexe 73 à la communication des griefs, note confidentielle datée du 28 décembre 1988, adressée par le directeur commercial responsable des ventes du groupe Mayr-Melnhof en Allemagne (M. Katzner) au directeur général de Mayr-Melnhof en Autriche (M. Gröller) et ayant pour objet la situation du marché.

56.
    Selon ce document, cité aux points 53 à 55 des considérants de la décision, la coopération plus étroite au sein du «cercle des présidents» («Präsidentenkreis»), décidée en 1987, avait fait des «gagnants» et des «perdants». L'expression «cercle des présidents» a été interprétée par Mayr-Melnhof comme visant à la fois le PWG et la PC dans un contexte général, c'est-à-dire sans référence à un événement ou à une réunion particulière (annexe 75 à la communication des griefs, point 2.a), interprétation qu'il n'y a pas lieu de discuter dans le présent contexte.

57.
    Les raisons fournies par l'auteur pour expliquer qu'il considère Mayr-Melnhof comme «perdant» à l'époque de la rédaction de la note constituent des éléments de preuve importants de l'existence d'une collusion entre les participants aux réunions du PWG sur les temps d'arrêt.

58.
    En effet, l'auteur constate:

«4)    C'est sur ce point que la conception des parties intéressées quant à l'objectif poursuivi commence à diverger.

[...]

    c) Toutes les forces de vente et agents européens ont été libérés de leur budget en termes de volume et une politique de prix rigide, ne souffrant quasiment aucune exception, a été suivie (nos collaborateurs n'ont souvent pas compris notre changement d'attitude à l'égard du marché — auparavant, la seule exigence était celle du tonnage, alors que, désormais, seule compte la discipline en matière de prix avec le risque d'un arrêt des machines).»

59.
    Mayr-Melnhof soutient (annexe 75 à la communication des griefs) que le passage ci-dessus reproduit vise une situation interne à l'entreprise. Cependant, analysé à

la lumière du contexte plus général de la note, cet extrait traduit la mise en oeuvre, au niveau des équipes commerciales, d'une politique rigoureuse arrêtée au sein du «cercle des présidents». Le document doit donc être interprété comme signifiant que les participants à l'accord de 1987, c'est-à-dire au moins les participants aux réunions du PWG, ont indéniablement mesuré les conséquences de la politique arrêtée, dans l'hypothèse où celle-ci serait appliquée avec rigueur.

60.
    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission a établi l'existence d'une collusion sur les temps d'arrêt de la production entre les participants aux réunions du PWG.

61.
    Selon la décision, les entreprises ayant participé aux réunions du JMC, dont la requérante, ont également pris part à cette collusion.

62.
    A ce sujet, la Commission indique notamment:

«En plus du système géré par la Fides, qui donnait des données agrégées, il était d'usage que chaque producteur révèle à ses concurrents le niveau de ses commandes en carnet lors des réunions du JMC.

Les informations concernant les commandes converties en journées de travail étaient utiles à la fois:

—    pour décider si les conditions étaient propices à la mise en oeuvre d'une augmentation des prix concertée.

—    pour déterminer les temps d'arrêt nécessaires pour maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande [...]» (Point 69, troisième et quatrième alinéas des considérants de la décision.)

63.
    Elle relève également:

«Les comptes rendus non officiels de deux réunions du JMC qui ont eu lieu respectivement en janvier 1990 (considérant 84) et en septembre 1990 (considérant 87), ainsi que d'autres documents (considérants 94 et 95), confirment [...] que, dans le cadre du GEP Carton, les grands producteurs tenaient leurs concurrents plus petits constamment informés de leurs projets d'appliquer des temps d'arrêt supplémentaires pour éviter de diminuer les prix.» (Point 71, troisième alinéa, des considérants de la décision.)

64.
    Les preuves documentaires se rapportant aux réunions du JMC (annexes 109, 117 et 118 à la communication des griefs) confirment que des discussions relatives à des temps d'arrêt ont eu lieu dans le contexte de la préparation des augmentations de prix concertées. En particulier, l'annexe 118 à la communication des griefs, note de Rena portant sur la réunion du JMC du 6 septembre 1990, mentionne les montants

des augmentations de prix dans plusieurs pays, les dates des annonces futures de ces augmentations, ainsi que l'état des commandes en carnet exprimé en jours de travail pour plusieurs fabricants. L'auteur du document note que certains fabricants prévoyaient des temps d'arrêt, ce qu'il exprime par exemple de la manière suivante:

«Kopparfors    5-15 days

            5/9 will stop for five days.»

65.
    En outre, bien que les annexes 117 et 109 à la communication des griefs ne contiennent pas d'indications portant directement sur les temps d'arrêt prévus, elles révèlent que l'état des commandes en carnet et l'état des entrées des commandes ont été discutés au cours des réunions du JMC du 6 septembre et du 16 octobre 1989.

66.
    Ces documents, lus ensemble avec les déclarations de Stora, constituent une preuve suffisante de la participation à la collusion sur les temps d'arrêt des fabricants représentés aux réunions du JMC. En effet, les entreprises participant à la collusion sur les prix ont nécessairement été conscientes de ce que l'examen de l'état des commandes en carnet et les entrées des commandes ainsi que les discussions sur les éventuels temps d'arrêt n'avaient pas seulement pour objet de déterminer si les conditions du marché étaient propices à une augmentation de prix concertée mais également de déterminer si des temps d'arrêt des installations s'imposaient pour éviter que le niveau de prix convenu ne soit compromis par un excédent d'offre. En particulier, il ressort de l'annexe 118 à la communication des griefs que les participants à la réunion du JMC du 6 septembre 1990 se sont mis d'accord sur l'annonce d'une prochaine augmentation des prix, bien que plusieurs fabricants aient déclaré qu'ils s'apprêtaient à arrêter leur production. Par suite, les conditions du marché ont été telles que l'application effective d'une future augmentation des prix allait nécessiter, selon toute vraisemblance, que des temps d'arrêt (supplémentaires) soient appliqués, ce qui constitue donc une conséquence acceptée, au moins implicitement, par les fabricants.

67.
    Sur cette base, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision (annexes 102, 113, 130 et 131 à la communication des griefs), il doit être considéré que la Commission a prouvéque les entreprises participant aux réunions du JMC et à la collusion sur les prix ont pris part à une collusion sur les temps d'arrêt.

68.
    La requérante doit donc être considérée comme ayant participé à une collusion sur les temps d'arrêt.

Sur la participation de la requérante à une collusion sur les parts de marché

69.
    La requérante conteste sa participation à une collusion sur les parts de marché sans toutefois contester l'affirmation, contenue dans la décision, selon laquelle les producteurs ayant participé aux réunions du PWG ont conclu un accord prévoyant

«le 'gel‘ au niveau existant des parts de marché détenues par les principaux producteurs en Europe occidentale, ainsi que l'absence de toute tentative d'acquérir de nouveaux clients ou d'améliorer leur position existante par une politique agressive en matière de prix» (point 52, premier alinéa, des considérants).

70.
    Dans ces conditions, il doit être souligné que, en ce qui concerne les entreprises n'ayant pas participé aux réunions du PWG, la Commission expose ce qui suit:

«Si les autres producteurs de carton qui assistaient aux réunions du JMC n'étaient pas dans le secret des discussions approfondies sur les parts de marché qui avaient lieu au PWG, ils étaient néanmoins parfaitement informés, dans le cadre de la politique du 'prix avant le tonnage‘ à laquelle ils souscrivaient tous, de l'accord général conclu entre les principaux producteurs pour maintenir 'des niveaux d'approvisionnement constants‘ et, cela ne fait aucun doute, de la nécessité d'y adapter leur propre conduite.» (Point 58, premier alinéa, des considérants de la décision.)

71.
    Bien que cela ne ressorte pas expressément de la décision, la Commission entérine, sur ce point, les déclarations de Stora selon lesquelles:

«D'autres fabricants qui ne participaient pas au PWG n'étaient pas informés, en règle générale, du détail des discussions relatives aux parts de marché. Néanmoins, dans le cadre de la politique du prix avant le tonnage, à laquelle ils participaient, ils auraient dû avoir connaissance de l'entente des principaux fabricants visant à ne pas baisser les prix en maintenant des niveaux d'offre constants.

Pour ce qui est de l'offre [de carton] GC, en tout état de cause, les parts des fabricants qui ne participaient pas au PWG avaient un niveau tellement peu significatif que leur participation ou non-participation aux ententes sur les parts de marché n'avait pratiquement aucune incidence dans un sens ou dans l'autre.» (Annexe 43 à la communication des griefs, point 1.2.)

72.
    La Commission se fonde donc principalement, comme Stora, sur la supposition selon laquelle, même en l'absence de preuves directes, les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG mais dont il est prouvé qu'elles ont souscrit aux autres éléments constitutifs de l'infraction décrits à l'article 1er de la décision doivent avoir eu conscience de l'existence de la collusion sur les parts de marché.

73.
    Un tel raisonnement ne saurait être retenu. En premier lieu, la Commission n'invoque aucun élément de preuve susceptible de démontrer que les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG ont souscrit à un accord général prévoyant, notamment, le gel des parts de marché des principaux producteurs. A cet égard, l'annexe 73 à la communication des griefs constitue une preuve corroborant les déclarations de Stora relatives à l'existence d'une collusion sur les parts de marché entre les entreprises admises au sein du «cercle des présidents»,

d'une part, et d'une collusion sur les temps d'arrêt, d'autre part (voir ci-dessus points 49 et suivants). Toutefois, aucun autre élément de preuve ne démontre que la PC a eu pour objet, notamment, de discuter de la collusion sur les parts de marché et de la régulation des volumes de production. Par conséquent, les termes «cercle des présidents» («Präsidentenkreis») employés dans l'annexe 73 à la communication des griefs ne sauraient, malgré les explications fournies par Mayr-Melnhof, être interprétés comme comportant une référence à des organes autres que le PWG. Il s'ensuit que la requérante ne peut être considérée comme ayant souscrit à l'accord général en raison de sa participation à des réunions de la PC.

74.
    En second lieu, le seul fait que lesdites entreprises ont participé à une collusion sur les prix et à la collusion sur les temps d'arrêt n'établit pas qu'elles aient également pris part à une collusion sur les parts de marché. A cet égard, la collusion sur les parts de marché n'était pas, contrairement à ce que semble affirmer la Commission, intrinsèquement liée à la collusion sur les prix et/ou à celle sur les temps d'arrêt. Il suffit de constater que la collusion sur les parts de marché des principaux producteurs réunis au sein du PWG visait, selon la décision (points 52 et suivants des considérants de la décision), à maintenir des parts de marché à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles, même au cours des périodes pendant lesquelles les conditions du marché, et notamment l'équilibre entre l'offre et la demande, étaient telles qu'aucune régulation de la production n'était nécessaire pour garantir la mise en oeuvre effective des augmentations de prix convenues. Il s'ensuit que l'éventuelle participation à la collusion sur les prix et/ou à celle sur les temps d'arrêt ne démontre pas que les entreprises n'ayant pas assisté aux réunions du PWG ont participé directement à la collusion sur les parts de marché, ni qu'elles en ont eu ou devaient nécessairement en avoir connaissance.

75.
    En troisième lieu, il convient de constater que, au point 58, deuxième et troisième alinéas, des considérants de la décision, la Commission invoque, en tant qu'élément de preuve supplémentaire de l'affirmation en cause, l'annexe 102 à la communication des griefs, note obtenue de Rena concernant, selon la décision, une réunion spéciale du Nordic Paperboard Institute (ci-après «NPI») tenue le 3 octobre 1988. A cet égard, il suffit de constater, d'une part, que la requérante n'était pas membre du NPI et, d'autre part, que la référence, dans ce document, à l'éventuelle nécessité d'appliquer des temps d'arrêt ne saurait, pour les raisons déjà évoquées, constituer la preuve d'une collusion sur les parts de marché.

76.
    Or, pour que la Commission puisse tenir chacune des entreprises visées par une décision comme celle de l'espèce pour responsable, pendant une période déterminée, d'une entente globale, il lui faut établir que chacune d'elles soit a consenti à l'adoption d'un plan global recouvrant les éléments constitutifs de l'entente, soit a participé directement, pendant cette période, à tous ces éléments. Une entreprise peut également être tenue pour responsable d'une entente globale même s'il est établi qu'elle n'a participé directement qu'à un ou plusieurs des éléments constitutifs de cette entente dès lors qu'elle savait, ou devait nécessairement savoir, d'une part, que la collusion à laquelle elle participait

s'inscrivait dans un plan global et, d'autre part, que ce plan global recouvrait l'ensemble des éléments constitutifs de l'entente. Lorsqu'il en est ainsi, le fait que l'entreprise concernée n'ait pas participé directement à tous les éléments constitutifs de l'entente globale ne saurait la disculper pour la responsabilité de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. Une telle circonstance peut néanmoins être prise en considération lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction constatée dans son chef.

77.
    En l'espèce, force est de constater que la Commission n'a pas prouvé que la requérante savait, ou devait nécessairement savoir, que son propre comportement infractionnel s'inscrivait dans un plan global recouvrant, en sus de la collusion sur les prix et de la collusion sur les temps d'arrêt auxquelles elle a effectivement participé, une collusion sur les parts de marché des principaux fabricants.

78.
    Il convient dès lors d'annuler, à l'égard de la requérante, l'article 1er, huitième tiret, de la décision selon lequel l'accord et la pratique concertée auxquels elle a participé ont eu pour objet de «maintenir les parts de marché des principaux fabricants à des niveaux constants, avec des modifications occasionnelles».

Sur la demande de réduction du montant de l'amende

Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce qui concerne le niveau général des amendes

Arguments des parties

79.
    Selon la requérante, le montant de l'amende est inapproprié. En retenant un niveau de base beaucoup plus élevé que dans d'autres cas, la Commission aurait méconnu le principe d'égalité de traitement, applicable à la politique en matière d'amendes.

80.
    La requérante fait valoir que, même si la Cour a déjà admis le principe d'un renforcement possible de la rigueur de la politique en matière d'amendes (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80, 101/80, 102/80 et 103/80, Rec. p. 1825, point 108), toute augmentation du niveau des amendes devrait être justifiée par une modification générale de la politique de la Commission. Elle étaye son argument en se référant au pourcentage de base du chiffre d'affaires des entreprises concernées dans le secteur du carton retenu pour le calcul de l'amende. Ce pourcentage s'élèverait à 7,5 %, taux qui serait supérieur de plus de 50 % à celui retenu dans des affaires précédentes (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43/92, Rec. p. II-441, point 174). Or, la Commission aurait retenu, dans la décision 94/815/CE, du 30 novembre 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/33.126 et 33.322 — Ciment) (JO L 343, p. 1), un taux de 4 % du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises concernées dans le domaine du ciment

dans la Communauté, tout en reconnaissant une atteinte d'une gravité particulière aux règles de la concurrence justifiant des amendes importantes, et alors que la durée de l'infraction était d'environ dix ans. La politique de fixation des amendes de la Commission serait donc incohérente et incompatible avec le principe communautaire d'égalité de traitement.

81.
    Une différence de traitement entre des entreprises de différents secteurs devrait, en tout cas, être justifiée par des motifs objectifs exposés dans la décision.

82.
    La Commission rétorque qu'elle n'est pas tenue d'annoncer une modification générale de sa politique en matière d'amendes, lorsqu'elle élève le niveau des amendes (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 109).

83.
    Dans le cas d'espèce, un pourcentage d'environ 7,5 % de la part concernée du chiffre d'affaires des entreprises en cause constituerait un montant tout à fait raisonnable, compte tenu de la gravité de l'infraction (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, ICI/Commission, T-13/89, Rec. p. II-1021, point 386). Lorsqu'elle sanctionne des infractions aux dispositions de l'article 85 du traité, la Commission ne serait pas tenue de se fonder sur les mêmes paramètres.

84.
    De plus, quand la requérante a reçu la communication des griefs, elle aurait eu connaissance de l'intention de la Commission de renforcer l'effet dissuasif des amendes, telle qu'annoncée dans le XXIe Rapport sur la politique de concurrence (point 139). De même, la requérante et les autres sociétés concernées auraient dû avoir pleinement conscience qu'elles se verraient infliger des amendes importantes, puisque la décision 86/398/CEE de la Commission, du 23 avril 1986, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.149 — Polypropylène) (JO L 230, p. 1, ci-après «décision Polypropylène»), aurait été publiée avant le début de la période prise en compte pour le calcul des amendes dans le cadre de la décision litigieuse. La Commission rappelle à cet égard que le Tribunal a considéré que le niveau général des amendes infligées aux entreprises destinatairesde la décision Polypropylène était amplement justifié compte tenu des circonstances de l'espèce (arrêt Rhône-Poulenc/Commission, précité, point 164).

85.
    Enfin, la Commission estime que la référence au montant total des amendes infligées ne revêt pas d'intérêt, celui-ci variant selon le nombre des entreprises concernées et leurs chiffres d'affaires respectifs.

Appréciation du Tribunal

86.
    Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité des amendes de 1 000 écus au moins et de 1 000 000 écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction. Le

montant de l'amende est déterminé en considération à la fois de la gravité de l'infraction et de sa durée. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54).

87.
    En l'espèce, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte de la durée de l'infraction (point 167 des considérants de la décision), ainsi que des considérations suivantes (point 168 des considérants):

«—     la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence,

—     l'entente couvrait quasiment tout le territoire de la Communauté,

—     le marché communautaire du carton est un secteur économique important qui totalise chaque année quelque 2,5 milliards d'écus,

—     les entreprises participant à l'infraction couvrent pratiquement tout le marché,

—     l'entente a fonctionné sous la forme d'un système de réunions périodiques institutionnalisées ayant pour objet de réguler dans le détail le marché du carton dans la Communauté,

—     des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres‘, etc.),

—     l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs».

88.
    De plus, il est constant que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées selon que les entreprises ont été considérées comme des «chefs de file» ou comme des «membres ordinaires» de l'entente.

89.
    Il y a lieu de souligner, en premier lieu, que, dans son appréciation du niveau général des amendes, la Commission est fondée à tenir compte du fait que des

infractions patentes aux règles communautaires de la concurrence sont encore relativement fréquentes et que, partant, il lui est loisible d'élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif. Par conséquent, le fait que la Commission a appliqué dans le passé des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau, dans les limites indiquées dans le règlement n° 17, si cela s'avère nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de la concurrence (voir, notamment, arrêts précités Musique Diffusion française e.a./Commission, points 105 à 108, et ICI/Commission, point 385).

90.
    En second lieu, la Commission a soutenu à bon droit que, en raison des circonstances propres à l'espèce, aucune comparaison directe ne saurait être opérée entre le niveau général des amendes retenu dans la présente décision et ceux retenus dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, en particulier, dans la décision Polypropylène, considérée par la Commission elle-même comme la plus comparable à celle du cas d'espèce. En effet, contrairement à l'affaire à l'origine de la décision Polypropylène, aucune circonstance atténuante générale n'a été prise en compte en l'espèce pour déterminer le niveau général des amendes. En outre, l'adoption de mesures visant à dissimuler l'existence de la collusion démontre que les entreprises concernées ont été pleinement conscientes de l'illégalité de leur comportement. Partant, la Commission a pu prendre en compte ces mesures lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction, car elles constituaient un aspect particulièrement grave de l'infraction de nature à la caractériser par rapport aux infractions antérieurement constatées (voir ci-après points 150 à 154).

91.
    En troisième lieu, il convient de souligner la longue durée et le caractère patent de l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité qui a été commise malgré l'avertissement qu'aurait dû constituer la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, et notamment la décision Polypropylène.

92.
    Sur la base de ces éléments, il convient de considérer que les critères repris au point 168 des considérants de la décision justifient le niveau général des amendes fixé par la Commission.

93.
    Enfin, en fixant en l'espèce le niveau général des amendes, la Commission ne s'est pas écartée de sa pratique décisionnelle antérieure de manière telle qu'elle aurait dû motiver plus explicitement son appréciation de la gravité de l'infraction (voir, notamment, arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 31).

94.
    Dès lors, le présent moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'un défaut, au moins partiel, de fondement de l'amende

Arguments des parties

95.
    La requérante estime qu'il doit être tenu compte, pour la fixation du montant de l'amende, de son absence de participation à une collusion sur les temps d'arrêt et à celle sur les parts de marché (voir ci-dessus points 33 à 39).

96.
    De plus, il devrait être tenu compte du caractère erroné de l'affirmation de la Commission selon laquelle l'entente a connu un large succès sur le marché. Cette dernière affirmation serait d'ailleurs démentie par la Commission elle-même, qui constate que des remontrances ont été adressées à certains membres du PWG (point 59 des considérants de la décision) et que de grands fabricants ont accru leurs parts de marché malgré la prétendue collusion sur les quotas (point 60 des considérants). Le fait que la Commission qualifie de sanctions les reproches formulés à l'égard de certains membres du PWG ne pourrait cependant exclure que les fabricants concernés aient agi largement dans leur intérêt personnel, et que l'entente n'ait pour cette raison pas fonctionné.

97.
    La Commission renvoie à ses développements (voir points 40 à 44 ci-dessus) en ce qui concerne la participation pleine et entière de la requérante à une infraction unique.

98.
    S'agissant du succès de l'entente, elle considère que, sans ces accords collusoires, les prix et les parts de marché auraient connu une évolution fondamentalement différente. Il conviendrait donc de rejeter l'assertion de la requérante selon laquelle l'entente n'aurait fonctionné qu'imparfaitement, l'existence de sanctions et l'augmentation des parts de marché de certains gros producteurs ne signifiant pas le contraire.

Appréciation du Tribunal

99.
    Il a déjà été constaté (voir ci-dessus point 77) que la Commission n'a pas établi la participation de la requérante à une collusion sur les parts de marché.

100.
    Cependant, le Tribunal estime, dans l'exercice de sa compétence de pleine juridiction, que l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité constatée dans le chef de la requérante reste d'une gravité telle qu'il n'y a pas lieu de réduire le montant de l'amende.

101.
    A cet égard, il convient de relever que la requérante n'a pas participé aux réunions du PWG et n'a donc pas été sanctionnée en tant que «chef de file» de l'entente. N'ayant pas joué, selon les termes mêmes de la Commission, un rôle de «moteur» de l'entente (point 170, premier alinéa, des considérants de la décision), le niveau de l'amende retenu contre elle s'est élevé à 7,5 % de son chiffre d'affaires

communautaire réalisé dans le secteur du carton en 1990. Or, ce niveau général des amendes est justifié (voir ci-dessus points 86 et suivants).

102.
    En outre, même si la Commission a considéré à tort que les producteurs non représentés au sein du PWG étaient «parfaitement informés» de la collusion sur les parts de marché (point 58, premier alinéa, des considérants), il n'en reste pas moins qu'il ressort de la décision elle-même que ce sont les entreprises réunies au sein du PWG qui se sont concertées au sujet du «gel» des parts de marché (notamment, point 52 des considérants) et qu'aucune discussion n'a porté sur les parts de marché détenues par les producteurs qui n'y étaient pas représentés. D'ailleurs, ainsi que la Commission l'a déclaré au point 116, deuxième alinéa, des considérants de la décision, «par leur nature même, les accords de répartition des marchés (en particulier le gel des parts de marché décrit aux considérants 56 et 57) concernent principalement les gros producteurs». La collusion sur les parts de marché erronément imputée à la requérante n'a donc revêtu, selon la Commission elle-même, qu'un caractère accessoire par rapport, notamment, à la collusion sur les prix.

103.
    Quant au grief de la requérante selon lequel l'entente n'a pas connu un large succès sur le marché, il vise l'appréciation de la Commission selon laquelle «l'entente a largement réussi à atteindre ses objectifs» (point 168, septième tiret, des considérants de la décision). Il est constant qu'une telle considération se réfère aux effets sur le marché de l'infraction constatée à l'article 1er de la décision.

104.
    Toutefois, l'argumentation de la requérante doit être comprise en ce sens que celle-ci ne conteste pas l'appréciation portée par la Commission sur les effets de la collusion sur les prix. En effet, la requérante soutient qu'elle a subi, en sa qualité d'acheteur de carton, les effets des augmentations de prix concertées (voir ci-après points 132 et suivants). De plus, les arguments et les références qu'elle invoque au soutien du présent moyen visent uniquement les effets de la collusion sur les parts de marché.

105.
    Dès lors, l'argumentation de la requérante doit être comprise en ce sens que celle-ci conteste que la collusion sur les parts de marché ait largement réussi à atteindre ses objectifs.

106.
    Or, il ressort de la décision que la constatation relative à la large réalisation des objectifs est essentiellement fondée sur les effets de la collusion sur les prix. Si ceseffets sont analysés aux points 100 à 102, 115, et 135 à 137 des considérants de la décision, la question de savoir si la collusion sur les parts de marché et la collusion sur les temps d'arrêt ont eu des effets sur le marché n'y fait, en revanche, l'objet d'aucun examen spécifique.

107.
    Au demeurant, s'agissant de la collusion sur les parts de marché, la Commission ne soutient pas que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG avaient pour objectif le gel absolu de leurs parts de marché. Selon le point 60, deuxième alinéa,

des considérants de la décision, l'accord sur les parts de marché n'était pas figé, «mais périodiquement adapté et renégocié».

108.
    Il s'ensuit que le grief de la requérante n'est pas fondé.

109.
    Au vu de ce qui précède, le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la prise en compte d'un chiffre d'affaires erroné

Arguments des parties

110.
    La requérante souligne que la Commission a tenu compte, pour déterminer l'amende à infliger à chaque entreprise, de la situation de celle-ci dans le secteur (taille, gamme de produits, part de marché, chiffre d'affaires du groupe et chiffre d'affaires dans le domaine du carton) (point 169, premier alinéa, troisième tiret, des considérants de la décision).

111.
    En ce qui concerne la requérante, les renseignements individuels joints à la communication des griefs feraient apparaître que son chiffre d'affaires et sa part de marché (calculée sur la base de son chiffre d'affaires) ont été déterminés en incluant les «ventes internes», c'est-à-dire les besoins propres. Dans sa réponse à une demande de renseignements du 8 octobre 1993, la requérante n'a communiqué que le chiffre d'affaires réalisé avec des tiers dans le domaine du carton (soit 63,86 millions de DM en 1991), au motif qu'il serait le seul chiffre d'affaires au sens du droit commercial. En dépit de cette réponse, la Commission a demandé à ce que la valeur des livraisons internes destinées à ses usines de fabrication de boîtes pliantes lui fût fournie (celles-ci représentaient 14,1 millions de DM en 1991).

112.
    La requérante fait valoir que la prise en compte des livraisons internes pour la fixation du montant de l'amende est incompatible avec l'article 85 du traité et avec l'article 15 du règlement n° 17.

113.
    En effet, les livraisons internes ne feraient pas partie du chiffre d'affaires extérieur et ne devraient donc pas être prises en compte. Le chiffre d'affaires réalisé grâce aux livraisons internes ne réapparaîtrait que lorsque les boîtes pliantes fabriquées par les usines de la requérante sont livrées aux tiers, ce chiffre étant alors considéré dans le chiffre d'affaires global.

114.
    La requérante ajoute, en réponse à l'affirmation selon laquelle elle aurait profité des augmentations du prix du carton, que la Commission n'a pas vérifié si lesdites recettes internes au consortium étaient pertinentes dans le domaine du droit des ententes. En effet, l'utilisation par une entreprise de produits qu'elle fabrique pour ses besoins propres ou l'utilisation de prestations pour des branches d'entreprises juridiquement dépendantes (entreprises, usines, services, bureaux de vente, etc.), auxquelles manque l'autonomie décisionnelle juridique et économique, ne seraient

pas soumises à l'article 85 du traité, sans préjudice de la comptabilisation de ces activités. La requérante en déduit que la livraison de carton à ses usines de fabrication de boîtes pliantes pour leurs besoins propres était dénuée de pertinence et qu'il convenait en conséquence de ne pas la prendre en considération.

115.
    La distinction entre les livraisons externes et les livraisons internes correspondrait à une pratique décisionnelle bien établie de la Commission en droit des concentrations [décision Mannesmann/Boge (IV/M.134) du 23 septembre 1991, point 19, et décision 93/9/CEE de la Commission, du 30 septembre 1992, déclarant la compatibilité d'une concentration avec le marché commun (Affaire n° IV/M.214 — Du Pont/ICI) (JO 1993, L 7, p. 13, point 31 des considérants)] et la Commission ne pourrait s'en départir dans le cadre de l'article 85 du traité ou de l'article 15 du règlement n° 17. En outre, l'article 5, paragraphes 1, deuxième phrase, et 5, sous a), du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, ci-après «règlement n° 4064/89»), montrerait que les recettes internes ne sont pas retenues dans le calcul du chiffre d'affaires.

116.
    Le Tribunal aurait indirectement confirmé une telle distinction dans son arrêt du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission (T-77/92, Rec. p. II-549), en jugeant que, pour la prise en compte du chiffre d'affaires lors de la détermination du montant de l'amende, il est loisible de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise que du chiffre d'affaires provenant des marchandises faisant l'objet de l'infraction. Dans cet arrêt, il aurait visé seulement le chiffre d'affaires externe.

117.
    La Commission relève que la requérante a commercialisé des boîtes pliantes fabriquées à partir des produits concernés par la décision. Elle aurait ainsi bénéficié d'un avantage concurrentiel illégitime, étant donné qu'elle ne peut pas affirmer sérieusement avoir facturé les transactions internes au groupe aux prix excessifs facturés par l'entente. Dès lors, elle aurait tiré profit, sous une forme ou sous une autre, de la vente des produits ayant fait l'objet des accords collusoires. Par conséquent, il ne serait pas justifié de ne pas tenir compte des chiffres d'affaires dits «internes». Admettre le point de vue de la requérante conduirait à accorder un traitement de faveur injustifié aux producteurs intégrés.

118.
    Il serait en outre inexact de soutenir qu'aucun chiffre d'affaires n'a été réalisé avec les produits de carton en cause puisque ceux-ci ont été utilisés pour la production de boîtes pliantes écoulées sur le marché.

119.
    La Commission conteste l'argument de la requérante selon lequel la livraison de carton à ses usines en vue de leur transformation correspondrait à une consommation propre ne relevant pas du champ d'application de l'article 85 du traité. La référence à la pratique de la Commission dans le domaine du contrôle des opérations de concentration serait dépourvue de fondement, puisque, dans ce domaine, il s'agirait de déterminer, lors du calcul du chiffre d'affaires sur la base des articles 1er et 5 du règlement n° 4064/89, si les entreprises concernées disposent

d'un potentiel économique suffisamment important pour justifier la mise en oeuvre du mécanisme communautaire de contrôle des opérations de concentration.

Appréciation du Tribunal

120.
    Il est constant que des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées selon que les entreprises ont été considérées comme des «chefs de file» ou comme des «membres ordinaires» de l'entente. La requérante a été considérée par la Commission comme relevant de la seconde catégorie d'entreprises.

121.
    Il ressort du dossier que le montant à partir duquel l'amende infligée à la requérante a été déterminé est constitué par la somme, d'une part, du chiffre d'affaires réalisé au moyen des ventes de carton à des tierces personnes et, d'autre part, de la valeur des livraisons internes de carton aux usines de fabrication de boîtes pliantes, usines qui, appartenant à la requérante, ne constituent pas des personnes juridiques distinctes de celle-ci.

122.
    Il y a lieu d'admettre que la Commission a retenu à bon droit un tel chiffre d'affaires construit pour déterminer le montant de l'amende.

123.
    Il doit être relevé que la prise en compte de la valeur des livraisons internes à une société, aux fins de la détermination du montant de l'amende, n'est prohibée par aucune disposition textuelle.

124.
    Selon l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis, de propos délibéré ou par négligence, une infraction aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité des amendes de 1 000 écus au moins et de 1 000 000 écus au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction.

125.
    La limite supérieure d'une amende dépassant 1 000 000 écus est établie par référence expresse au chiffre d'affaires de l'entreprise. Ainsi que la Cour l'a jugé, cette limite vise à éviter que les amendes soient disproportionnées par rapport à l'importance de l'entreprise et, comme seul le chiffre d'affaires global peut effectivement donner une indication approximative à cet égard, il convient de comprendre ce pourcentage comme se référant au chiffre d'affaires global (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, points 118 et 119).

126.
    En déterminant, comme elle l'a fait à l'égard des entreprises visées par l'article 3 de la décision, le montant des amendes sur la base du seul chiffre d'affaires réalisé par les ventes du produit concerné par l'infraction, la Commission a retenu comme

base de son calcul la partie du chiffre d'affaires global des entreprises reflétant le mieux le profit tiré de l'entente.

127.
    A cet égard, l'argument de la requérante selon lequel elle n'a tiré aucun profit de l'entente lorsqu'elle a fourni son carton à ses usines ne peut être retenu. En effet, la requérante n'a pas produit le moindre élément de preuve concernant la valeur de ces livraisons internes, en dépit de l'affirmation de la Commission, contenue dans son mémoire en défense, selon laquelle ces livraisons n'ont pas été affectées par les augmentations de prix du carton illégalement convenues. Dès lors, il convient de considérer que les usines de fabrication de boîtes pliantes de la requérante, c'est-à-dire la requérante elle-même, ont tiré profit de l'entente en utilisant, en tant que matière première, le carton de sa propre production. En effet, contrairement aux transformateurs concurrents, la requérante n'a pas eu à supporter les augmentations de coûts causées par les augmentations de prix décidées de manière concertée.

128.
    Ne pas tenir compte de la valeur des livraisons de carton internes à Europa Carton reviendrait nécessairement à avantager, sans justification, les sociétés verticalement intégrées. Le profit tiré de l'entente pourrait, dans une telle situation, ne pas être pris en compte, et l'entreprise en cause échapperait à une sanction proportionnée à son importance sur le marché des produits faisant l'objet de l'infraction.

129.
    Enfin, dans la mesure où ne se pose en l'espèce aucune question relative au champ d'application ratione materiae de l'article 85 du traité, l'analogie proposée par la requérante (voir ci-dessus point 114) avec le traitement des accords intragroupe est dénuée de pertinence.

130.
    De même, n'est pas pertinent l'argument tiré de la réglementation applicable aux opérations de concentration entre entreprises. A cet égard, il suffit de relever que l'exclusion des éventuelles «ventes internes» dans le calcul du chiffre d'affaires global des entreprises en matière de concentrations, prévue par certaines dispositions de l'article 5 du règlement n° 4064/89, s'explique par le fait que la prise en compte de telles transactions aurait pour conséquence que le même chiffre d'affaires ferait l'objet d'une double prise en compte. Or, en l'espèce, le chiffred'affaires relatif aux ventes des boîtes pliantes n'a pas été pris en compte afin de déterminer le montant de l'amende infligée à la requérante.

131.
    Au vu de ce qui précède, le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de l'existence de circonstances atténuantes liées au fait que la requérante a été affectée par les mesures concertées en sa qualité d'acheteur de carton

Arguments des parties

132.
    Selon la requérante, la Commission a omis de prendre en compte le fait qu'elle est le plus important transformateur allemand de carton pour boîtes pliantes, activité

de transformation dont le poids économique est trois fois supérieur à celui de sa cartonnerie. Dès lors, les augmentations de prix du carton auraient eu des répercussions économiques défavorables, car elles auraient augmenté les prix de revient de ses usines de production de boîtes pliantes.

133.
    Cet argument de la requérante aurait d'autant plus dû être retenu que le secteur des boîtes pliantes n'aurait pas pu répercuter les augmentations des coûts sur les acheteurs. Les augmentations de prix auraient donc constitué une charge pour les transformateurs, dont la requérante, comme l'a attesté la plainte déposée par la BPIF.

134.
    La Commission ne pourrait être admise à soutenir que la requérante ne subissait pas d'effets négatifs, dans la mesure où elle aurait livré du carton à ses usines de transformation à des prix avantageux. Ce raisonnement serait économiquement artificiel, car, dans une entreprise intégrée, ce qui est concédé d'un point de vue comptable par une branche de l'entreprise à une autre branche doit être finalement «regagné» sur le marché, si l'entreprise poursuit un objectif de rentabilité. Ensuite, la Commission aurait ignoré le fait que les cartonneries de la requérante n'ont couvert qu'environ 20 % des besoins en carton de ses usines de transformation. En d'autres termes, elle n'aurait pas tenu compte d'un approvisionnement étranger pourtant facturé aux prix de l'entente.

135.
    Au soutien de sa thèse, la requérante invoque des décisions de la Commission dans lesquelles il aurait été admis que l'importance des répercussions économiques, notamment le fait que l'entreprise a agi sous la pression, contre son gré ou contre son intérêt économique, peut être prise en compte pour apprécier le rôle joué dans le cadre d'une infraction. Elle se fonde également sur l'arrêt Parker Pen/Commission, précité, duquel il ressortirait que la Commission a infligé une amende de 40 000 écus au distributeur concerné et une amende de 700 000 écus au fournisseur.

136.
    La Commission considère que ce moyen doit être rejeté.

137.
    Il n'y aurait aucune raison de croire que la requérante s'est facturé le carton pour boîtes pliantes aux prix fixés artificiellement par l'entente et qu'elle a subi, de ce fait, comme les autres fabricants de boîtes pliantes, les conséquences économiques des augmentations de prix. Par ailleurs, la requérante n'établirait pas avoir payé aux prix convenus par l'entente le carton livré à ses usines de transformation par d'autres producteurs.

138.
    Au vu des éléments du dossier, la requérante ne pourrait finalement prétendre avoir agi sous la pression de ses partenaires, contre son gré ou à l'encontre de ses intérêts économiques.

Appréciation du Tribunal

139.
    Il a déjà été rappelé que la gravité des infractions doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 54).

140.
    La requérante ne conteste pas qu'elle a participé à la collusion sur les prix constatée à l'article 1er de la décision.

141.
    Le fait qu'une entreprise ayant participé à une collusion sur les prix avec ses concurrents ait agi contre ses propres intérêts économiques et qu'elle ait subi, en conséquence, les effets de cette collusion ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger. En effet, une entreprise qui continue de se concerter avec ses concurrents sur les prix, malgré le prétendu préjudice qu'elle subit, ne peut être considérée comme ayant commis une infraction moins grave que celle des autres entreprises également impliquées dans la collusion.

142.
    Le cas échéant, il pourrait en être autrement si une telle entreprise établissait qu'elle a agi de manière illégale sous la contrainte. Or, en l'espèce, la requérante n'a même pas soutenu qu'elle aurait été contrainte de se concerter sur les prix avec ses concurrents.

143.
    En outre, elle n'a pas établi qu'elle n'a pas tiré profit des augmentations de prix concertées en ce qui concerne l'approvisionnement, par sa propre cartonnerie, de ses usines de fabrication de boîtes pliantes.

144.
    Enfin, s'agissant de l'approvisionnement de ses usines de fabrication de boîtes pliantes par des producteurs de carton concurrents, elle se contente de soutenir, sans fournir la moindre preuve, avoir subi un préjudice économique lié au fait que les ventes de carton lui auraient été facturées aux prix illégalement convenus.

145.
    Dans ces circonstances, la Commission n'a commis aucune erreur de droit. Partant, le moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de ce que la prétendue dissimulation de l'entente ne serait pas constitutive d'une circonstance aggravante

Arguments des parties

146.
    La requérante constate que la Commission a considéré, d'une part, que la collusion en matière de fixation des prix et la répartition des marchés constituent en soi des restrictions graves de la concurrence (point 168, premier tiret, des considérants de

la décision) et, d'autre part, que des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (point 168, sixième tiret, des considérants). Ces prétendues tentatives de dissimulation auraient constitué l'un des aspects les plus graves de l'infraction (point 167 des considérants). La Commission aurait donc, pour déterminer le montant général des amendes, retenu la dissimulation comme un aspect particulièrement grave de l'infraction, en sus de la gravité de cette dernière. Il aurait donc été tenu compte deux fois d'une seule et même considération.

147.
    Il ne pourrait d'ailleurs être fait grief à la requérante de ne pas avoir ouvertement accompli les actes constitutifs d'infractions. De tels agissements, constituant des restrictions graves de la concurrence et susceptibles d'être sanctionnés par des amendes, auraient dû par nature être dissimulés.

148.
    La Commission concède que les restrictions de la concurrence décidées dans le cadre d'une entente ne sont généralement pas mises en oeuvre au grand jour. Elle estime toutefois que ce type d'infraction, commise de propos délibéré, ne s'accompagne pas nécessairement d'une pratique du secret comme celle constatée en l'espèce. Elle fonde ses affirmations sur le procès-verbal de l'audition (p. 46, duquel il ressort que les membres avaient reçu instruction de ne pas prendre de notes lors des réunions) et sur le point 73 des considérants de la décision.

149.
    Enfin, elle réfute avoir porté une appréciation isolée sur les manoeuvres de dissimulation, celles-ci ne constituant qu'un des éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l'infraction.

Appréciation du Tribunal

150.
    Aux termes du point 167, troisième alinéa, des considérants de la décision, «l'un des aspects les plus graves de [l'infraction] est que, pour tenter de dissimuler l'existence de l'entente, les entreprises ont été jusqu'à orchestrer à l'avance la date et la séquence des différentes annonces de nouvelles augmentations de prix par chacun des principaux fabricants». La décision relève en outre que «les fabricants auraient pu, grâce à cette duperie élaborée, attribuer les séries d'augmentations des prix uniformes, régulières et touchant l'ensemble du secteur au phénomène du 'comportement en situation oligopolistique‘» (point 73, troisième alinéa, des considérants). Enfin, selon le point 168, sixième tiret, des considérants, la Commission a déterminé le niveau général des amendes en tenant compte du fait que «des mesures complexes ont été prises pour cacher la véritable nature et la portée de la collusion (absence de compte rendu officiel ou de documentation concernant les réunions du PWG et du JMC; les participants étaient dissuadés de prendre des notes; la date et l'ordre des lettres annonçant les augmentations de prix étaient orchestrés de façon à pouvoir proclamer que ces augmentations 'faisaient suite à d'autres‘, etc.)».

151.
    La requérante ne conteste pas l'affirmation de la Commission selon laquelle les entreprises ont programmé les dates et l'ordre d'envoi des lettres annonçant les augmentations de prix. En outre, s'agissant de la conclusion de la Commission selon laquelle cette orchestration des dates et de l'ordre des lettres d'annonce des augmentations de prix avait pour objectif de tenter de dissimuler l'existence de la concertation sur les prix, la requérante n'a fourni aucune explication susceptible d'établir que la concertation sur les dates et l'ordre des lettres d'annonce des augmentations de prix aurait eu un objectif différent de celui constaté par la Commission.

152.
    Quant à l'absence de comptes rendus officiels et à l'absence presque absolue de notes internes portant sur les réunions du PWG et du JMC, elles constituent, eu égard à leur nombre, à leur durée dans le temps et à la nature des discussions en cause, une preuve suffisante de l'allégation de la Commission selon laquelle les participants étaient dissuadés de prendre des notes.

153.
    Il ressort de ce qui précède que les entreprises ayant participé aux réunions de ces organes ont non seulement été conscientes de l'illégalité de leur comportement mais ont aussi adopté des mesures de dissimulation de la collusion. Partant, c'est à bon droit que la Commission a retenu ces mesures comme circonstances aggravantes lors de l'appréciation de la gravité de l'infraction.

154.
    Le présent moyen doit donc être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement dans la détermination des amendes infligées aux divers producteurs de carton

Arguments des parties

155.
    La requérante fait valoir que, dans la détermination des montants des amendes respectivement infligées aux différents producteurs mis en cause, l'article 3 de la décision viole le principe d'égalité de traitement (arrêt Dunlop Slazenger/Commission, précité, points 173 et suivants). Comparant le montant de l'amende qui lui a été infligée à celle infligée à une entreprise ayant participé au PWG et disposant d'une capacité double de la sienne, elle constate que la différence n'est que de un million d'écus. Elle relève aussi que l'amende qui lui a été infligée et celle infligée à Stora ne s'accordent pas, en dépit de la collaboration de cette dernière avec la Commission, compte tenu des éléments pris en considération, à savoir le rôle et la puissance de Stora.

156.
    En tout état de cause, la différenciation établie par la Commission entre les chefs de file de l'entente et les autres entreprises serait trop globale, et le rôle des entreprises simplement «suiveuses» n'aurait donc pas été correctement apprécié.

157.
    La Commission rappelle qu'elle a établi une double distinction, d'une part, entre les entreprises qui étaient les chefs de file de l'entente et celles qui ne l'étaient pas

et, d'autre part, entre celles qui ont coopéré avec la Commission et les autres (points 170 à 172 des considérants de la décision). Dès lors, toute différence constatée dans le montant des amendes s'expliquerait par la combinaison de ces facteurs avec le chiffre d'affaires pris en considération dans le cas de chacune des entreprises, ce qui ne constituerait pas une violation du principe d'égalité. En ce qui concerne Stora, la Commission constate que, malgré la coopération de cette entreprise, l'amende qui lui a été infligée est presque six fois supérieure à celle infligée à la requérante.

158.
    Enfin, elle estime avoir correctement apprécié le rôle et la participation de toutes les entreprises parties à l'entente et considère comme non pertinente la notion de «suiveurs» suggérée par la requérante.

Appréciation du Tribunal

159.
    Ainsi que cela a déjà été relevé, des amendes d'un niveau de base de 9 ou de 7,5 % du chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises destinataires de la décision sur le marché communautaire du carton en 1990 ont été infligées, respectivement, aux entreprises considérées comme les «chefs de file» de l'entente et aux autres entreprises. Il est en outre constant que Rena et Stora ont bénéficié d'une réduction des deux tiers du montant de leurs amendes en raison de leur coopération active, dès le départ, avec la Commission, alors que certaines autres entreprises, dont la requérante, ont bénéficié d'une réduction d'un tiers du montant de leurs amendes du fait qu'elles n'avaient pas contesté, dans leurs réponses à la communication des griefs, les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs à leur égard (voir points 171 et 172 des considérants de la décision).

160.
    L'amende infligée à la requérante correspond ainsi, conformément aux critères susmentionnés, à 7,5 % du chiffre d'affaires retenu par la Commission, taux réduit ensuite d'un tiers au motif que l'entreprise n'a pas, dans sa réponse à la communication des griefs, contesté les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission fondait ses griefs à son égard.

161.
    Il ressort enfin d'un tableau fourni par la Commission, contenant des indications quant à la fixation du montant de chacune des amendes individuelles, que celles-ci ont été déterminées en tenant compte, en sus des critères susvisés, de la durée de participation de chaque entreprise à l'infraction. Il en découle que les taux de base généralement appliqués, à savoir de 7,5 ou de 9 % selon les cas, ont été rapportés pro rata temporis à la période pendant laquelle l'entreprise concernée avait commis l'infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité.

162.
    Le montant de chacune des amendes infligées résultant ainsi d'une combinaison de facteurs propres à la situation de l'entreprise concernée, l'argument de la requérante tiré d'une comparaison du montant de l'amende qui lui a été infligée,

exprimé en valeur absolue, avec celui, également exprimé en valeur absolue, d'autres entreprises destinataires de la décision est dénué de fondement.

163.
    En ce qui concerne plus spécifiquement la comparaison établie par la requérante entre le montant de l'amende qui lui a été infligée et celui de l'amende infligée à Stora, il y a lieu de souligner que la taille et la puissance économique de cette dernière entreprise dans le secteur du carton ont nécessairement été prises en compte aux fins de la détermination du montant de l'amende, puisque la Commission a retenu, pour ce faire, le chiffre d'affaires réalisé au moyen des ventes de carton. A cet égard, il ressort de l'article 3 de la décision que l'amende infligée à Stora s'élève, malgré une réduction des deux tiers du montant de ladite amende, à 11 250 000 écus alors que celle de la requérante, qui été réduite d'un tiers, s'élève à 2 000 000 écus. Cette différence s'explique, notamment, par la taille et la puissance économique de chacune de ces deux entreprises et le degré de coopération avec la Commission dont il a été tenu compte. L'argument de la requérante est, dès lors, inopérant.

164.
    Pour ce qui est de la question de savoir si les taux de base retenus à l'égard des entreprises considérées respectivement comme les «chefs de file» et comme des «membres ordinaires» prennent suffisamment en compte le rôle effectivement joué par chacune des entreprises dans l'entente, il convient d'abord de souligner que la Commission a considéré à juste titre que les entreprises ayant participé aux réunions du PWG devaient porter une responsabilité particulière pour l'infraction (point 170 des considérants de la décision).

165.
    Elle a par ailleurs fait une juste appréciation de la gravité de l'infraction commise, respectivement, par les «chefs de file» de l'entente et par les «membres ordinaires» de celle-ci en retenant, aux fins du calcul des amendes infligées à ces deux catégories d'entreprises, des taux de base de 9 et de 7,5 % du chiffre d'affaires pertinent.

166.
    Il s'ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

Sur le moyen portant sur un sujet traité dans le cadre des plaidoiries communes

167.
    Lors de la réunion informelle du 29 avril 1997, les entreprises ayant introduit des recours contre la décision ont été invitées à considérer, dans l'hypothèse d'une éventuelle jonction des affaires aux fins de la procédure orale, la possibilité de la présentation de plaidoiries communes à plusieurs d'entre elles. Il a été souligné que de telles plaidoiries communes ne pourraient être présentées que par des parties requérantes ayant effectivement invoqué dans leurs requêtes introductives d'instance des moyens correspondant aux thèmes à plaider en commun.

168.
    Par télécopie du 14 mai 1997, déposée au nom de l'ensemble des parties requérantes, celles-ci ont communiqué leur décision de traiter six sujets dans le cadre de plaidoiries communes, et notamment la motivation relative aux amendes.

169.
    Dans sa requête introductive d'instance, la requérante n'a formulé aucun moyen ou argument portant sur ce sujet. Elle a néanmoins indiqué, lors de l'audience, qu'elle se ralliait à la plaidoirie commune concernée.

170.
    Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. En l'espèce, la requérante n'a invoqué aucun élément de droit ou de fait révélé pendant la procédure de nature à justifier la production du nouveau moyen concerné.

171.
    Dès lors, le moyen en cause, invoqué par la requérante pour la première fois lors de l'audience, n'est pas recevable.

172.
    Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que l'article 1er, huitième tiret, de la décision doit être annulé à l'égard de la requérante et que, pour le surplus, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

173.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    L'article 1er, huitième tiret, de la décision 94/601/CE de la Commission, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/C/33.833 — Carton), est annulé à l'égard de la requérante.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La requérante est condamnée aux dépens.

Vesterdorf             Briët     Lindh

     Potocki      Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

     Procédure

II - 6

     Conclusions des parties

II - 7

     Sur la demande d'annulation partielle de l'article 1er de la décision

II - 8

         Arguments des parties

II - 8

         Appréciation du Tribunal

II - 10

             Sur la participation de la requérante à une collusion sur les temps d'arrêt

II - 11

             Sur la participation de la requérante à une collusion sur les parts de marché

II - 14

     Sur la demande de réduction du montant de l'amende

II - 17

         Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement en ce qui concerne le niveau général des amendes

II - 17

             Arguments des parties

II - 17

             Appréciation du Tribunal

II - 18

         Sur le moyen tiré d'un défaut, au moins partiel, de fondement de l'amende

II - 21

             Arguments des parties

II - 21

             Appréciation du Tribunal

II - 21

         Sur le moyen tiré de la prise en compte d'un chiffre d'affaires erroné

II - 23

             Arguments des parties

II - 23

             Appréciation du Tribunal

II - 25

         Sur le moyen tiré de l'existence de circonstances atténuantes liées au fait que larequérante a été affectée par les mesures concertées en sa qualité d'acheteur de carton

II - 26

             Arguments des parties

II - 26

             Appréciation du Tribunal

II - 28

         Sur le moyen tiré de ce que la prétendue dissimulation de l'entente ne serait pas constitutive d'une circonstance aggravante

II - 28

             Arguments des parties

II - 28

             Appréciation du Tribunal

II - 29

         Sur le moyen tiré d'une violation du principe d'égalité de traitement dans la détermination des amendes infligées aux divers producteurs de carton

II - 30

             Arguments des parties

II - 30

             Appréciation du Tribunal

II - 31

         Sur le moyen portant sur un sujet traité dans le cadre des plaidoiries communes

II - 32

     Sur les dépens

II - 33


1: Langue de procédure: l'allemand.