Language of document : ECLI:EU:T:2021:337

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

9 juin 2021 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Rémunération – Personnel du SEAE affecté dans un pays tiers – Actualisation des coefficients correcteurs – Erreur manifeste d’appréciation – Effet rétroactif – Sécurité juridique – Devoir de sollicitude »

Dans l’affaire T‑698/19,

FJ et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Me J.-N. Louis, avocat,

parties requérantes,

contre

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt et R. Spáč, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation de la décision portant établissement de la fiche de rémunération du mois de décembre 2018 des requérants en ce qu’elle a fait application, pour la première fois, des nouveaux coefficients correcteurs applicables à leur rémunération, avec effet rétroactif au 1er février 2018,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. J. Svenningsen, président, Mme T. Pynnä (rapporteure) et M. J. Laitenberger, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

 Coefficients correcteurs

1        Aux termes de l’article 64 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013 (JO 2013, L 287, p. 15, ci-après le « statut »), et qui s’applique par analogie aux agents temporaires et contractuels conformément aux articles 20 et 92 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») :

« La rémunération du fonctionnaire exprimée en euros, après déduction des retenues obligatoires visées au présent statut ou aux règlements pris pour son application, est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie dans les différents lieux d’affectation.

Ces coefficients correcteurs sont créés ou retirés et actualisés chaque année conformément à l’annexe XI. En ce qui concerne cette actualisation, toutes les valeurs s’entendent comme étant des valeurs de référence. La Commission publie les valeurs actualisées, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne à des fins d’information […] »

2        L’article 65 du statut, qui s’applique par analogie aux agents temporaires et contractuels conformément aux articles 20 et 92 du RAA, dispose :

« 1.      Les rémunérations des fonctionnaires et des autres agents de l’Union européenne sont actualisées chaque année, en tenant compte de la politique économique et sociale de l’Union. Sont prises en considération en particulier l’augmentation éventuelle des traitements de la fonction publique des États membres et les nécessités du recrutement. L’actualisation des rémunérations est mise en œuvre conformément à l’annexe XI. Cette actualisation a lieu avant la fin de chaque année sur la base d’un rapport établi par la Commission et fondé sur les données statistiques préparées par l’Office statistique de l’Union européenne en concertation avec les services nationaux de statistiques des États membres ; les données statistiques reflètent la situation au 1er juillet dans chacun des États membres. Ledit rapport contient des informations relatives à l’incidence budgétaire des rémunérations et des pensions des fonctionnaires de l’Union. Il est transmis au Parlement européen et au Conseil.

[…]

2.      En cas de variation sensible du coût de la vie, les montants visés au paragraphe 1 et les coefficients correcteurs visés à l’article 64 sont actualisés conformément à l’annexe XI. La Commission publie les montants et les coefficients correcteurs actualisés, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne, à des fins d’information […] »

3        L’annexe X du statut contient des dispositions particulières et dérogatoires applicables aux fonctionnaires affectés dans un pays tiers. Elle est applicable par analogie aux agents temporaires et contractuels conformément à l’article 118 du RAA. Elle prévoit :

« Article 11

La rémunération, ainsi que les indemnités visées à l’article 10, sont payées en euros dans l’Union européenne. Elles sont affectées du coefficient correcteur applicable à la rémunération des fonctionnaires affectés en Belgique.

Article 12

Sur demande du fonctionnaire, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut décider de payer la rémunération, en tout ou en partie, en monnaie du pays d’affectation. Elle est alors affectée du coefficient correcteur du lieu d’affectation et convertie selon le taux de change correspondant.

Dans des cas exceptionnels dûment justifiés, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut effectuer tout ou partie de ce paiement dans une monnaie autre que celle du lieu d’affectation selon des modalités appropriées visant à assurer le maintien du pouvoir d’achat.

Article 13

En vue d’assurer dans toute la mesure du possible l’équivalence du pouvoir d’achat des fonctionnaires indépendamment de leur lieu d’affectation, les coefficients correcteurs visés à l’article 12 sont actualisés une fois par an conformément à l’annexe XI. En ce qui concerne cette actualisation, toutes les valeurs s’entendent comme étant des valeurs de référence. La Commission publie les valeurs actualisées, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne, à des fins d’information.

Toutefois, lorsque la variation du coût de la vie mesurée d’après le coefficient correcteur et le taux de change correspondant s’avère supérieure à 5 % depuis la dernière actualisation pour un pays donné, une actualisation intermédiaire de ce coefficient a lieu conformément à la procédure définie au premier alinéa. »

4        L’annexe XI du statut, qui s’applique par analogie aux agents temporaires et contractuels conformément à l’article 20 du RAA, renvoyant aux articles 64 et 65 du statut, décrit les modalités d’application de ces dispositions.

 Antécédents du litige

5        Les requérants sont neuf fonctionnaires ou agents du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) affectés à la délégation de l’Union européenne à Kinshasa (ci-après la « délégation »), en République démocratique du Congo (RDC), ou qui l’ont été pendant la période de référence, s’étendant du mois de février 2018 au mois de décembre de la même année.

6        En 2010, l’autorité investie du pouvoir de nomination a décidé de payer aux fonctionnaires et aux agents affectés à la délégation la part de leur rémunération non payée en euros à Bruxelles (Belgique) en dollars des États-Unis (USD) pour leur assurer le maintien du pouvoir d’achat en raison d’une situation exceptionnelle dûment justifiée, conformément à l’article 12, second alinéa, de l’annexe X du statut.

7        Le rapport intermédiaire Ares(2018) 527620 d’Eurostat (office statistique de l’Union européenne), reprenant les coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des requérants pour les mois de février à juin 2018, a été publié le 10 octobre 2018.

8        Avant la fin du mois d’octobre 2018, Eurostat a communiqué le rapport prévu à l’article 65 du statut, intitulé « Eurostat Report on the 2018 annual update of remuneration and pensions of EU officials », lequel a par la suite été publié le 31 octobre 2018. Ce rapport fixait en annexe le taux annuel du coefficient correcteur applicable aux rémunérations versées aux requérants.

9        Ces deux rapports ont été présentés au groupe technique de rémunération le 30 octobre 2018, en présence de représentants du personnel.

10      Le 9 novembre 2018, le directeur de la direction « Affaires juridiques et partenariat » de la Commission européenne a adressé au chef faisant fonction de la division BA.HR.3 du SEAE une note mentionnant les rapports d’Eurostat, attirant l’attention sur la modification des coefficients correcteurs et demandant que le personnel travaillant dans les délégations en soit informé.

11      Le 9 novembre 2018 également, le chef d’administration de la délégation a adressé au chef de la division « Droits, obligations et cellule médicale » de la direction générale du budget et de l’administration du SEAE un courriel par lequel il indiquait avoir pris connaissance du rapport annuel d’Eurostat et faisait état du caractère erroné du calcul effectué par Eurostat ainsi que de son incapacité à comprendre les raisons justifiant la baisse de 33,8 % du coefficient correcteur applicable au 1er juillet 2018.

12      Dans ce courriel, il précisait que toutes les données statistiques disponibles, à savoir celles de l’institut national de la statistique de la RDC et de la Banque centrale du Congo, indiquaient l’existence d’une inflation de près de 25 % pour la période considérée en RDC, c’est-à-dire de juillet 2017 à juin 2018. Il a également fait mention du rapport annuel de la société EuroCost International, qui publiait un baromètre des villes les plus chères du monde. Il signalait que, dans ce rapport, fondé sur des prix relevés en juin 2018, Kinshasa était placée en troisième place à l’échelle mondiale, du fait d’une inflation soutenue, tandis que la monnaie s’était stabilisée les derniers mois.

13      Le 13 novembre 2018, le responsable des tâches d’audit (Audit Task Manager) de la délégation a adressé un courriel au directeur de la direction C d’Eurostat précisant les éléments relatifs à la réalité du coût de la vie à Kinshasa.

14      Par note du 21 novembre 2018, enregistrée le 26 novembre 2018, le chef de la division « Droits, obligations et cellule médicale » du SEAE a attiré l’attention du chef de la délégation sur les rapports intermédiaire et annuel d’Eurostat relatifs, notamment, à l’actualisation des coefficients correcteurs, à l’effet rétroactif et à la récupération des montants trop élevés. Il a également rappelé que, conformément à l’article 12 de l’annexe X du statut, l’autorité investie du pouvoir de nomination pouvait décider de payer tout ou partie de la rémunération en monnaie locale et que le fonctionnaire ou agent pouvait demander que son traitement soit versé en euros. Dans le cas où la rémunération était payée en euros, le coefficient correcteur n’était pas applicable.

15      Par note du 4 décembre 2018 adressée au chef d’administration de la délégation ainsi qu’à son responsable des tâches d’audit, le directeur de la direction C d’Eurostat a répondu aux courriels des 9 et 13 novembre 2018. Il a précisé que trois éléments avaient été modifiés depuis janvier 2018. En premier lieu, il a indiqué que de nouvelles parités bilatérales avec Bruxelles étaient fondées sur une enquête de prix menée par l’International Civil Service Commission (ICSC) de l’Organisation des Nations unies (ONU), effectuée en septembre 2017. Les nouvelles parités de 2017 indiquaient des prix significativement inférieurs à ceux relevés en 2016. Compte tenu de l’importance de la différence (plus de 5 %), un mécanisme de lissage avait été appliqué par Eurostat. En deuxième lieu, après avoir expliqué l’absence de modification du montant de rémunération en ce que celle-ci serait calculée dans une autre monnaie, il a été précisé que, le paiement de la rémunération en dollars des États-Unis étant une exception, Eurostat avait constaté que le franc congolais (CDF) n’était plus lié au dollar des États-Unis et qu’il avait été confirmé, conformément à l’article 12 de l’annexe X du statut, que la rémunération du personnel de la délégation devait être payée dans la monnaie du pays d’affectation, et non plus en dollars des États-Unis. En troisième lieu, il a été indiqué qu’une nouvelle pondération de la consommation régionale (regional pool consumption weights) avait été introduite en juillet 2018.

16      Le 4 décembre 2018, le chef de la délégation a, dans une note, fait part à différentes autorités du SEAE et de la Commission de l’incompréhension du personnel de la délégation. Il a contesté, d’une part, l’utilisation de la monnaie du pays d’affectation (à savoir le franc congolais) pour le paiement de la part locale des salaires à compter du 1er décembre 2018 et, d’autre part, la baisse significative du coefficient correcteur, qui, de 219,3 en juillet 2017, était établi à 145,1 en juillet 2018, ce qui représentait une diminution de 33,8 % en un an.

17      Le 14 décembre 2018, la Commission a publié l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs applicables à la rémunération des fonctionnaires, agents temporaires et agents contractuels de l’Union européenne affectés dans les pays tiers (JO 2018, C 451, p. 16). Il y était fait état des coefficients correcteurs suivants :

–        février 2018 : 201,8 ;

–        mars 2018 : 188,4 ;

–        avril 2018 : 175,6 ;

–        mai 2018 : 164,9 ;

–        juin 2018 : 160,6 .

18      Le 14 décembre 2018, la Commission a publié l’actualisation annuelle du coefficient correcteur (JO 2018, C 451, p. 14), fixé à 145,1 avec effet au 1er juillet 2018.

19      Les fiches de rémunération des requérants de décembre 2018 font application, pour la première fois, des nouveaux coefficients correcteurs applicables à leur rémunération à partir du mois de février 2018.

20      Le 1er mars 2019, les fonctionnaires et les agents du SEAE ont introduit une réclamation commune, avec les fonctionnaires et les agents de la Commission affectés également à la délégation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, par laquelle ils ont demandé le retrait de leurs bulletins de rémunération et leur remplacement par de nouveaux bulletins dans le respect du principe d’équivalence du pouvoir d’achat. Ils ont invoqué l’illégalité de la baisse significative du coefficient correcteur appliqué à leur rémunération avec effet rétroactif au 1er février 2018.

21      En premier lieu, les réclamants ont fait valoir une erreur manifeste d’appréciation lors de l’actualisation des coefficients correcteurs déterminant le montant de leur rémunération. À cet égard, ils ont relevé que les données statistiques des institutions de la RDC indiquaient une inflation de près de 25 %, que les organisations de l’ONU avaient augmenté le coefficient multiplicateur applicable aux salaires de leur personnel et que le coût de la vie avait sensiblement augmenté, ce dont attestaient les prix relevés en juin 2018 par EuroCost International. Ils ont ajouté que le changement de devise ne pouvait expliquer la chute du coefficient correcteur. En second lieu, les réclamants ont invoqué la violation de l’article 13 de l’annexe X du statut, en reprochant à l’autorité de ne pas avoir, dès le mois de février 2018, pris les mesures pour faire procéder à une actualisation intermédiaire du coefficient correcteur, plutôt que d’imposer une actualisation tardive avec effet rétroactif. Outre la violation des articles 64 et 65 du statut, de l’article 13 de son annexe X et des dispositions de son annexe XI, leurs fiches de rémunération de décembre 2018 violeraient également le principe de sécurité juridique et le devoir de sollicitude.

22      Par décision du 1er juillet 2019, le SEAE a rejeté la réclamation.

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 octobre 2019, les requérants ont introduit le présent recours.

24      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal le 11 octobre et le 14 octobre 2019, les requérants ont demandé, respectivement, le bénéfice de l’anonymat et la jonction de la présente affaire avec l’affaire T‑699/19.

25      Par décision du 17 décembre 2019, le Tribunal a fait droit à la demande d’anonymat.

26      Le 5 février 2020, le SEAE a produit le mémoire en défense.

27      Le 27 mai 2020, les requérants ont déposé la réplique au greffe du Tribunal.

28      Le 11 août 2020, le SEAE a produit la duplique.

29      Les parties n’ayant pas demandé la tenue d’une audience, le Tribunal (huitième chambre) a décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans ouvrir la phase orale de la procédure et sans qu’il soit besoin de joindre la présente affaire à celle enregistrée sous le numéro d’affaire T‑699/19.

30      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–      annuler la décision du SEAE portant établissement de leur fiche de rémunération du mois de décembre 2018 en ce qu’il y est fait application, pour la première fois, des nouveaux coefficients correcteurs applicables à leur rémunération, avec effet rétroactif au 1er février 2018 ;

–      condamner le SEAE aux dépens.

31      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–      rejeter le recours ;

–       condamner les requérants aux dépens.

 En droit

32      Le recours des requérants comporte deux moyens. Le premier moyen est tiré, d’une part, d’une violation du principe d’égalité de traitement et, d’autre part, d’erreurs manifestes d’appréciation à raison, premièrement, de la réduction des coefficients correcteurs appliqués à leur rémunération à compter du 1er février 2018 et, deuxièmement, de la détermination de ceux-ci au moyen de la monnaie du pays d’affectation, et non plus du dollar des États-Unis.

33      Le second moyen est articulé en deux branches, tirées, la première, de la violation de l’article 13 de l’annexe X du statut et, la seconde, de la violation du principe de sécurité juridique, du devoir de sollicitude et de l’article 85 du statut.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement et d’erreurs manifestes d’appréciation 

 Sur la première branche du premier moyen, tirée de la violation du principe d’égalité de traitement

34      À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal, conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations (ordonnance du 13 mai 2020, Lucaccioni/Commission, T-308/19, non publiée, EU:T:2020:207, point 34).

35      En particulier, la requête doit expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen (voir arrêt du 25 mars 2015, Belgique/Commission, T‑538/11, EU:T:2015:188, point 131 et jurisprudence citée ; ordonnance du 27 novembre 2020, PL/Commission, T‑728/19, non publiée, EU:T:2020:575, point 64).

36      Or, au soutien de leur grief tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, les requérants ne développent aucune argumentation juridique spécifique, concentrant leurs écritures relatives au premier moyen exclusivement sur les erreurs manifestes d’appréciation prétendument commises dans la détermination des coefficients correcteurs appliqués à leur rémunération à compter du 1er février 2018.

37      En conséquence, il y a lieu de rejeter ledit grief comme étant irrecevable, à défaut de satisfaire aux exigences minimales de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, au sens de la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’erreurs manifestes d’appréciation

–       Sur le premier grief de la seconde branche du premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en raison de la réduction des coefficients correcteurs

38      Les  requérants se réfèrent aux données statistiques des institutions du pays d’affectation mentionnées par le chef de la délégation dans sa note du 4 décembre 2018. Selon eux, ces données attestent l’existence d’une inflation et d’une augmentation du coût de la vie à Kinshasa de près de 25 % en glissement annuel sur la période considérée, de juillet 2017 à juin 2018. Ils font valoir que cette inflation touche de la même manière toutes les composantes du « panier de la ménagère » prises en compte par l’institut national de la statistique de la RDC et la Banque centrale du Congo.

39      Selon les requérants, cette augmentation est également constatée par les organisations de l’ONU, dont le coefficient multiplicateur appliqué aux salaires de son personnel est passé de 41,3 en juillet 2017 à 43,3 en juin 2018.

40      Ils font valoir que, en effectuant, depuis 2010, le travail de collecte des données dans le cadre du Memorandum of understanding de 2009 [accord international de collaboration entre Eurostat, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’ONU], le SEAE n’explique pas comment les mêmes données aboutissent à une hausse des coefficients appliqués aux organisations de l’ONU et à un effondrement des coefficients appliqués, pour la même période, à leur rémunération.

41      Dans leur réplique, les requérants soutiennent que, par sa note du 4 décembre 2018, le directeur de la direction C d’Eurostat n’a pas répondu aux éléments objectifs relatifs à une inflation décrits par le chef d’administration de la délégation dans son courriel du 9 novembre 2018, ni aux éléments relatifs à la réalité du coût de la vie à Kinshasa décrits par le responsable des tâches d’audit de la délégation dans son courriel du 13 novembre 2018. De même, aucune suite n’aurait été donnée à la lettre du 21 novembre 2018 adressée, selon les requérants, par le chef de la délégation à sa hiérarchie afin d’attirer son attention sur les conséquences du rapport annuel d’Eurostat et sur l’information selon laquelle, dans le cas où la rémunération serait payée en euros, aucun coefficient correcteur ne pourrait être appliqué, ce qui ne garantirait pas au personnel affecté à la délégation une correspondance substantielle du coût de la vie selon les différents lieux d’affectation.

42      Ils rappellent en outre qu’Eurostat a, pendant plusieurs années, utilisé les services d’EuroCost International pour collecter des données et calculer les parités économiques et que, sur la base des données collectées en juin 2018, EuroCost International a placé Kinshasa en troisième position des villes dont le coût de la vie était le plus élevé en raison « d’une inflation soutenue, tandis que la monnaie s’[était] stabilisée ces derniers mois ».

43      Les requérants concluent que la référence au rapport de l’ICSC pour 2017 ne peut justifier une diminution du coefficient correcteur applicable à leur rémunération de 219,3 en juillet 2017 à 145,1 en juillet 2018.

44      Selon eux, le SEAE n’a pas expliqué comment les coefficients appliqués tenaient compte de ces éléments essentiels, ni comment il a recueilli les données mensuelles indispensables pour l’actualisation mensuelle des coefficients correcteurs appliqués, alors que ni l’ONU ni l’OCDE n’ont disposé de ces données. Ils soutiennent que le SEAE n’a fourni aucun élément permettant de comprendre l’importante diminution du coefficient correcteur, et donc de leur rémunération, alors que l’inflation, pour la même période, a été établie par l’institut national de la statistique de la RDC à 25 %.

45      Les requérants concluent que les bulletins de rémunération en cause sont illégaux en ce qu’ils n’assurent pas l’équivalence du pouvoir d’achat du personnel indépendamment de son lieu d’affectation, en violation des articles 64 et 65 du statut ainsi que de ses annexes X et XI.

46      Le  SEAE conteste cette argumentation.

47      Il y a lieu de rappeler que le principe d’équivalence de pouvoir d’achat entre les fonctionnaires, lequel résulte, notamment, des dispositions de l’article 64 du statut, implique que les droits pécuniaires des fonctionnaires et des agents procurent, à situations professionnelle et familiale équivalentes, un pouvoir d’achat identique quel que soit le lieu d’affectation. Ce principe est mis en œuvre par l’application de coefficients correcteurs à la rémunération exprimant le rapport entre le coût de la vie à Bruxelles, ville de référence, et celui des différents lieux d’affectation (arrêt du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 45).

48      Le coefficient correcteur est un facteur mathématique reflétant le coût de la vie dans le lieu d’affectation par rapport au coût de la vie à Bruxelles. Il est égal à la parité économique (c’est-à-dire le rapport entre le coût, à une période déterminée, d’un même panier de biens et de services en devises locales dans le pays d’affectation et en euros à Bruxelles) divisée par le taux de change officiel et multipliée par 100 (arrêt du 8 novembre 2000, Bareyt e.a./Commission, T‑175/97, EU:T:2000:259, point 4).

49      La première étape permettant d’obtenir la parité économique est l’enquête relative aux prix de biens et de services à Bruxelles et dans le pays d’affectation. Le prix de certains biens ou services peut ne pas être pris en considération, ou être évalué selon une méthode retenue par Eurostat (voir, en ce sens, arrêts du 7 décembre 1995, Abello e.a./Commission, T‑544/93 et T‑566/93, EU:T:1995:202, point 64, et du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 64).

50      Il est de jurisprudence constante que le libellé des dispositions des articles 64 et 65 et de l’annexe XI du statut ainsi que le degré de complexité de la matière impliquent que les institutions disposent d’une large marge d’appréciation quant aux facteurs et aux éléments à prendre en considération lors de l’adaptation des rémunérations des fonctionnaires et des agents de l’Union européenne (arrêts du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 47, et du 11 décembre 2014, van der Aat e.a./Commission, T‑304/13 P, EU:T:2014:1055, point 66).

51      Dès lors, l’appréciation du juge de l’Union, en ce qui concerne la définition et le choix des données de base et des méthodes statistiques utilisées par Eurostat pour l’établissement des propositions de coefficients correcteurs, doit se limiter au contrôle du respect des principes énoncés par les dispositions du statut, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ayant donné lieu à la fixation des coefficients correcteurs et de l’absence de détournement de pouvoir (arrêts du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 48, et du 11 décembre 2014, van der Aat e.a./Commission, T‑304/13 P, EU:T:2014:1055, point 67).

52      Il convient de souligner, en outre, qu’il incombe aux parties qui veulent mettre en cause les éléments et la méthode utilisés afin de fixer les coefficients correcteurs de fournir des éléments susceptibles de démontrer qu’une erreur manifeste a été commise (arrêts du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 49, et du 11 décembre 2014, van der Aat e.a./Commission, T‑304/13 P, EU:T:2014:1055, point 68).

53      En l’espèce, les requérants soutiennent d’abord que de nombreux éléments démontrent l’existence d’une inflation et d’une augmentation du coût de la vie en RDC, ce qui contredirait la réduction importante des coefficients correcteurs appliqués à leur rémunération. Ils se réfèrent notamment aux statistiques des institutions congolaises, à l’augmentation des salaires du personnel des organisations de l’ONU et au classement, établi par EuroCost International, de la ville de Kinshasa en troisième position des villes dont le coût de la vie est le plus élevé.

54      À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé aux points 47 et 49 ci-dessus, l’objectif des enquêtes relatives aux prix de biens et de services à Bruxelles et dans le pays d’affectation est d’obtenir la parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire le rapport entre le coût, à une période déterminée, d’un même panier de biens et de services en devises locales dans le pays d’affectation et en euros à Bruxelles. Cela impose de pouvoir relever les prix de biens ou de services identiques ou adéquatement comparables et, ensuite, d’agréger les prix et de les pondérer afin de pouvoir déterminer les dépenses du « fonctionnaire international moyen ». En outre, les prix de certains biens ou services ne sont pas pris en considération par Eurostat.

55      Il est également nécessaire de rappeler que les coefficients correcteurs sont l’expression de la différence de pouvoir d’achat du personnel de l’Union à Bruxelles et dans un autre lieu d’affectation et qu’ils ne reflètent pas uniquement l’évolution du coût de la vie dans cet autre lieu. Il s’ensuit que la seule baisse du coefficient correcteur, même si elle est importante et ne correspond pas à une diminution du coût de la vie dans le lieu d’affectation, n’est pas un indice permettant de conclure à l’existence d’une erreur manifeste quant au choix des méthodes d’évaluation de l’équivalence du pouvoir d’achat (arrêt du 8 novembre 2000, Bareyt e.a./Commission, T‑175/97, EU:T:2000:259, point 65).

56      En l’espèce, les requérants n’ont pas démontré en quoi les statistiques des institutions congolaises, visées au point 12 ci-dessus et citées par les requérants pour démontrer l’existence d’une inflation en RDC pour la période concernée, étaient susceptibles d’être comparées et, a fortiori, de remettre en cause les statistiques d’Eurostat élaborées en prenant en considération des éléments différents et une finalité différente, notamment celle de déterminer la différence d’évolution globale des prix entre Bruxelles et le lieu d’affectation, à savoir la RDC. Il s’ensuit que l’argumentation des requérants comparant les variations de l’indice des prix en RDC et celles des coefficients correcteurs pour Bruxelles et la RDC doit être écartée.

57      Il en va de même de l’argumentation concernant l’augmentation des salaires du personnel des organisations de l’ONU. Si les requérants ont fait valoir, dans leur requête, que le SEAE n’expliquait pas comment les mêmes données aboutissaient à une hausse des coefficients appliqués aux organisations de l’ONU et à un effondrement des coefficients appliqués, pour la même période, à leur rémunération, ils n’ont cependant pas contesté l’explication du SEAE dans son mémoire en défense, selon laquelle les données de base relevées par l’ICSC et Eurostat ne devaient pas donner lieu à des résultats finaux comparables. Notamment, ils n’ont pas contesté que certaines données étaient prises en compte dans un cas et non dans l’autre, que la méthodologie d’agrégation des données n’était pas la même dans les deux structures et que les règles administratives et statutaires de l’ONU n’étaient pas celles des institutions de l’Union.

58      En outre, il y a lieu de rappeler que, afin de respecter le principe d’équivalence de pouvoir d’achat prévu par l’article 64 du statut, Eurostat tient compte de la pondération des dépenses effectuées par les fonctionnaires et les agents afin de pouvoir déterminer le rapport entre le coût d’un même panier de biens et de services dans le pays d’affectation et à Bruxelles. Par conséquent, il s’ensuit que l’augmentation des coefficients correcteurs appliqués aux salaires du personnel des organisations de l’ONU ne saurait permettre de remettre en cause la réduction des coefficients correcteurs décidée par l’Union.

59      Quant au classement, établi par EuroCost International, de Kinshasa en troisième position des villes dont le coût de la vie est le plus élevé en raison d’une inflation soutenue, il n’est nullement établi par les requérants que cette société applique la même méthodologie que celle d’Eurostat ou de l’ICSC. Au contraire, selon les exemples présentés par le SEAE, il existe des différences de méthodologie importantes concernant, par exemple, la sélection des magasins, les critères d’analyse et la validation des données. Par conséquent, les résultats publiés par EuroCost International ne sauraient être comparables à ceux d’Eurostat.

60      Il s’ensuit que les requérants n’ont pas établi que la réduction des coefficients correcteurs procédait d’une erreur manifeste d’appréciation. Partant, le premier grief de la seconde branche du premier moyen est rejeté.

–       Sur le second grief de la seconde branche du premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en raison de l’utilisation de la monnaie du pays d’affectation en lieu et place du dollar des États-Unis pour évaluer le niveau du coefficient correcteur

61      Au soutien du second grief de la seconde branche du premier moyen, les requérants renvoient à la note du 4 décembre 2018 du chef de la délégation, dans laquelle celui-ci a expliqué les raisons qui justifiaient le paiement de tout ou partie de la rémunération des réclamants en dollars des États-Unis. Ils indiquent que cette note mentionnait, notamment, l’obligation de payer l’essentiel des biens et des services en dollars, les risques physiques d’utiliser la monnaie congolaise ainsi que les risques sérieux de non-convertibilité des francs congolais et les risques de dévaluation. Eu égard à une évolution quasi identique du dollar des États-Unis et du franc congolais relativement à l’euro, selon un graphique présenté par le chef de la délégation, celui-ci en concluait que le changement de devise de référence ne pouvait expliquer à lui seul la chute du coefficient correcteur de 219,3 en juillet 2017 à 145,1 en juillet 2018.

62      Dans la réplique, les requérants font valoir que, pour l’enquête des prix, l’instabilité tant politique qu’économique de la RDC en 2017 et l’inflation des prix en RDC ne permettent pas de justifier l’abandon de la référence au dollar des États-Unis au profit du franc congolais. À cet égard, ils soutiennent que le SEAE ne conteste pas qu’il avait été décidé de se référer au dollar des États-Unis en raison de l’instabilité économique et politique en RDC et qu’il existe une inflation constatée par l’institut national de la statistique de la RDC. Ils estiment cependant que le SEAE a commis une erreur manifeste en affirmant que le changement de devise, en tant que tel, n’a eu aucun impact sur le niveau du coefficient correcteur appliqué à leur rémunération, alors que l’enquête des prix a été réalisée près d’un an avant qu’Eurostat n’établisse son rapport et que le coefficient correcteur soit appliqué à la rémunération des fonctionnaires et des agents concernés.

63      Le SEAE conteste cette argumentation.

64      À cet égard, il convient d’emblée de relever que l’essentiel des éléments évoqués par les requérants concernant l’utilisation du dollar des États-Unis, ainsi que cela ressort expressément de la requête et ainsi qu’il est rappelé au point 61 ci-dessus, sont liés à la décision de ne plus payer tout ou partie de la rémunération des requérants en dollars des États-Unis, laquelle décision n’a été ni identifiée ni contestée dans le cadre du présent recours.

65      Il en découle que, à défaut pour les requérants d’avoir expliqué en quoi ces éléments s’avéreraient également pertinents au soutien du présent moyen, il doit être considéré qu’ils ne sont pas susceptibles d’établir l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations litigieuses.

66      Pour le surplus, les requérants reprochent essentiellement au SEAE, d’une part, d’avoir retenu, comme devise de référence utilisée dans la détermination des coefficients correcteurs, non plus le dollar des États-Unis, mais le franc congolais, et, d’autre part, d’avoir estimé, dans ses écritures, que ce changement de devise de référence n’avait, en tant que tel, eu aucun impact sur le niveau de ces coefficients.

67      Or, s’agissant du changement de devise de référence, il convient de relever que les requérants se bornent à contester l’opportunité de ce changement sans fournir le moindre élément de nature à établir l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission, compte tenu notamment des éléments d’explication fournis à cet égard par le directeur de la direction C d’Eurostat dans sa note du 4 décembre 2018.

68      En particulier, les requérants n’ont aucunement établi le caractère manifestement erroné des éléments visés dans ladite note et rappelés par le SEAE. Ainsi que ce dernier l’a relevé, premièrement, le recours au franc congolais était lié au constat que cette devise locale avait cessé d’évoluer de manière similaire au dollar des États-Unis à partir de la période 2016/2017. Deuxièmement, selon lui, à partir du moment où les indices nationaux des prix étaient établis en franc congolais, il était logique de recourir à cette monnaie aux fins de l’expression des coefficients correcteurs. Troisièmement, le SEAE a souligné que l’utilisation de la monnaie locale ne signifiait pas que les biens et les services dont les prix étaient libellés en dollars des États-Unis étaient ignorés.

69      S’agissant de l’allégation relative au fait que le SEAE aurait estimé, dans ses écritures, que le changement de devise de référence pour la détermination des coefficients correcteurs litigieux n’avait, en tant que tel, eu aucun impact sur le niveau de ces coefficients, il suffit de rappeler que les requérants ne peuvent se limiter à remettre en cause la méthode prétendument adoptée par la défenderesse sans étayer leur grief. Au contraire, il leur appartient d’apporter la preuve d’une erreur manifeste d’appréciation dans la collecte ou le traitement des données statistiques litigieuses ayant servi à l’élaboration des coefficients correcteurs litigieux, ce qu’ils n’ont clairement pas fait.

70      Par conséquent, le second grief de la seconde branche du premier moyen n’est pas fondé. Il s’ensuit que le premier moyen est rejeté.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 13 de l’annexe X du statut, du principe de sécurité juridique, du devoir de sollicitude et de l’article 85 du statut

71      Le second moyen s’articule, en substance, autour de deux branches, la première tirée d’une violation de l’article 13, second alinéa, de l’annexe X du statut et la seconde tirée de la violation du principe de sécurité juridique, du devoir de sollicitude et de l’article 85 du statut.

 Sur la première branche du second moyen, tirée de la violation de l’article 13, second alinéa, de l’annexe X du statut

72      Les requérants rappellent que l’article 13, second alinéa, de l’annexe X du statut impose une actualisation intermédiaire des rémunérations lorsque la variation du coût de la vie mesurée d’après le coefficient correcteur et le taux de change correspondant s’avère supérieure à 5 % depuis la dernière actualisation pour un pays donné. Cette disposition vise à protéger les fonctionnaires et les agents d’une diminution importante et imprévisible de leur rémunération.

73      D’après le rapport intermédiaire d’Eurostat, le coût de la vie à Kinshasa aurait diminué de 10,84 % entre juillet 2017 et janvier 2018. De même, la diminution mensuelle du coût de la vie entre les mois de février et de juillet 2018 aurait été, respectivement, de 7,54 %, de 6,06 %, de 8,58 %, de 6,14 % et de 10,03 %. Selon les requérants, dès le mois de février 2018, l’autorité aurait dû prendre les mesures nécessaires pour procéder à une actualisation intermédiaire du coefficient correcteur. Cela n’ayant pas été fait, les requérants n’ont pu ni adapter leurs dépenses à leurs revenus ni faire valoir, en temps utile, leurs observations sur la prétendue diminution mensuelle de plus de 5 % du coût de la vie. Les requérants concluent que, à défaut d’avoir respecté les obligations découlant de l’article 13 de l’annexe X du statut, le SEAE ne pouvait légalement appliquer rétroactivement les coefficients correcteurs litigieux.

74      Le SEAE conteste cette argumentation.

75      À cet égard, ainsi que l’a rappelé le SEAE, le rapport intermédiaire concernant les valeurs d’août 2017 à janvier 2018 a proposé un seul changement de coefficient correcteur, en août 2017, et les changements entre septembre 2017 et janvier 2018 n’ont pas dépassé le seuil de 5 %. Par conséquent, conformément à l’article 13, second alinéa, de l’annexe X du statut, aucune actualisation intermédiaire du coefficient n’était requise.

76      S’agissant de la nouvelle enquête de prix effectuée par l’ICSC, celle-ci a pris en compte les valeurs à partir du mois de février 2018. Contrairement à ce que font valoir les requérants, les données des enquêtes sur les prix de l’ICSC n’ont été disponibles qu’en septembre 2018 et ont été intégrées dans le rapport intermédiaire publié le 10 octobre 2018. Par conséquent, rien ne permettait ni ne justifiait de prendre, dès le mois de février 2018, les mesures nécessaires pour procéder à une actualisation intermédiaire du coefficient correcteur. Il en va d’autant plus ainsi que les requérants ne se prévalent aucunement d’un défaut de diligence d’Eurostat dans la collecte ou le traitement des données statistiques relatives à la situation en RDC et nécessaires à l’actualisation du coefficient correcteur.

77      Quant à l’effet rétroactif des actualisations intermédiaires, il y a lieu de rappeler que la finalité des articles 64 et 65 du statut est de garantir le maintien d’un pouvoir d’achat équivalent pour tous les fonctionnaires et les agents, quel que soit leur lieu d’affectation, conformément au principe d’égalité de traitement (arrêt du 23 janvier 1992, Commission/Conseil, C‑301/90, EU:C:1992:32, point 22).

78      Ainsi que le fait valoir le SEAE, le principe d’égalité de traitement est la ratio legis de l’article 13 de l’annexe X du statut, ce qui impose de faire rétroagir la prise d’effet des nouveaux coefficients correcteurs à la date à laquelle il est constaté que l’équivalence du pouvoir d’achat a cessé (arrêts du 23 janvier 1992, Commission/Conseil, C‑301/90, EU:C:1992:32, point 29 ; du 11 décembre 1996, Barraux e.a./Commission, T‑177/95, EU:T:1996:187, point 46, et du 8 novembre 2000, Ghignone e.a./Conseil, T‑44/97, EU:T:2000:258, points 87 à 89).

79      En l’espèce, ainsi qu’il a été rappelé au point 76 ci-dessus, les données des enquêtes sur les prix de l’ICSC n’ont été disponibles qu’en septembre 2018 et ont été intégrées dans le rapport intermédiaire publié le 10 octobre 2018. Eu égard à ce constat et au respect du principe d’égalité de traitement et de l’équivalence du pouvoir d’achat, les actualisations intermédiaires mensuelles, entre les mois de février et de juillet 2018, n’ont pas pu être exécutées sans rétroactivité et n’ont pas été effectuées en violation de l’article 13, second alinéa, de l’annexe X du statut.

80      Par conséquent, la première branche du second moyen, tirée de la violation de cette disposition, est rejetée.

 Sur la seconde branche du second moyen, tirée de la violation du principe de sécurité juridique, du principe de sollicitude et de l’article 85 du statut

81      Les  requérants font valoir que la recherche et l’exploitation des données sont considérables et excluent toute possibilité de procéder à des actualisations mensuelles intermédiaires avec l’assurance de la qualité des données utilisées et la garantie que leur application assure l’égalité de traitement des requérants en termes d’égalité de pouvoir d’achat par rapport à leurs collègues. De plus, les actualisations intermédiaires litigieuses, avec effet rétroactif de près d’un an, ne permettent pas aux requérants de vérifier leur bien-fondé et au juge de l’Union d’exercer son contrôle juridictionnel.

82      Dans la réplique, ils soutiennent que le SEAE reconnaît la diminution mensuelle entre les mois de février et de juillet 2018 et qu’il disposait, ainsi, de données particulièrement précises quant à la diminution mensuelle du coût de la vie sur cette même période. Ils font valoir qu’Eurostat a nécessairement dû disposer de ces données. Ils reprochent au SEAE de ne pas avoir effectué, ainsi qu’il aurait dû le faire, le contrôle des données pour vérifier si la variation du coût de la vie mesurée d’après le coefficient correcteur et le taux de change correspondant s’avérait supérieure ou non à 5 %.

83      Les requérants concluent que le SEAE ne peut légalement appliquer, avec effet rétroactif au mois de février 2018, de nouveaux coefficients correcteurs et générer, ainsi, un indu non seulement important, mais également imprévisible pour les fonctionnaires et les agents affectés à Kinshasa, et plus particulièrement pour les requérants. Ce serait donc en violation du principe de sécurité juridique que le SEAE a établi les bulletins de rémunération en cause.

84      Les requérants soulignent que l’actualisation tardive illégale de leurs rémunérations a non seulement pour conséquence la réduction sensible de leur rémunération, mais également l’obligation de rembourser mensuellement le prorata du soi-disant indu perçu, ce qui les place injustement dans une situation financière difficile.

85      Ils font valoir qu’ils ne pouvaient pas avoir connaissance de l’irrégularité de la rémunération qui leur avait été versée en vertu des coefficients correcteurs litigieux. Ils se prévalent de l’impossibilité de comparer avec les valeurs de 2017 en raison du changement de la monnaie de référence, de l’absence d’explication de la notion d’« index implicite », de la méthode utilisée pour le lissage de la baisse totale du coefficient correcteur et de la base légale qui permet de procéder de la sorte avec effet rétroactif. Ils font notamment valoir que le personnel concerné n’a pas été rapidement informé des difficultés qui pourraient survenir dans le cas d’une diminution du coefficient correcteur et de la récupération du trop-perçu. Les requérants estiment que le SEAE a violé son devoir de diligence et concluent à l’existence d’une violation du devoir de sollicitude.

86      De même, les requérants relèvent que, dans la mesure où ils ne pouvaient avoir connaissance de l’irrégularité de leur rémunération, les conditions de répétition de l’indu, prévues par l’article 85 du statut, ne sont pas réunies.

87      Le SEAE conteste cette argumentation.

88      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que le principe de sécurité juridique constitue un principe fondamental de droit de l’Union qui exige, notamment, qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 12 février 2014, Beco/Commission, T‑81/12, EU:T:2014:71, point 68).

89      Toutefois, il y a lieu de rappeler que tout fonctionnaire normalement diligent est censé connaître le statut et, plus particulièrement, les règles régissant sa rémunération. Selon la jurisprudence, la diligence normale qui peut être attendue d’un fonctionnaire ou d’un agent s’apprécie au regard de sa formation, de son grade et de son expérience professionnelle (arrêt du 12 décembre 2018, SH/Commission, T‑283/17, EU:T:2018:917, point 107).

90      En l’espèce, il y a lieu de constater que l’annexe XI du statut fixe clairement les modalités de mise en œuvre des articles 64 et 65 du statut. Ainsi que l’a souligné le SEAE, d’autres documents permettent d’avoir accès à de nombreuses informations, telles celles qui se trouvaient déjà dans le rapport d’Eurostat concernant la période couvrant les mois de février à juin 2018 ainsi que le rapport annuel d’Eurostat du 31 octobre 2018 relatif à la situation au 1er juillet 2018. De même, des explications détaillées de la méthodologie ont également été communiquées par Eurostat dans la note du 4 décembre 2018 adressée au chef d’administration de la délégation ainsi qu’à son responsable des tâches d’audit.

91      Par ailleurs, il y a lieu de constater que la plupart des requérants ne pouvaient ignorer les procédures relatives aux actualisations intermédiaires des coefficients correcteurs eu égard à leur expérience professionnelle en délégations, à leur formation, à leur grade et aux fonctions qu’ils exercent.

92      Il s’ensuit que le grief tiré de l’existence d’une violation du principe de sécurité juridique lors de l’application des articles 64 et 65 du statut conformément aux modalités de l’annexe XI dudit statut doit être rejeté.

93      S’agissant de la violation alléguée du devoir de sollicitude, il ressort des points 77 et 78 ci-dessus que le maintien d’un pouvoir d’achat équivalent pour tous les fonctionnaires et les agents impose la prise d’effet rétroactive des nouveaux coefficients correcteurs à la date à laquelle il est constaté que l’équivalence du pouvoir d’achat a cessé.

94      Pour autant, le rapport annuel de 2018 n’a pas procédé à une baisse totale du coefficient correcteur au mois de février 2018, mais a lissé son impact graduellement sur une période de douze mois. Si ce lissage n’avait pas été appliqué, le coefficient correcteur aurait été d’une valeur inférieure, ce qui aurait été moins favorable pour les requérants. Il s’ensuit que l’application de ce lissage atteste de l’absence de violation d’un devoir de sollicitude.

95      De plus, ainsi que l’a exposé le SEAE, alors que l’article 3, paragraphe 2, sixième alinéa, de l’annexe XI du statut prévoit que, en raison d’une actualisation négative rétroactive de rémunérations, la récupération du trop-perçu peut être étalée sur une période de douze mois au maximum suivant la date d’entrée en vigueur de la prochaine actualisation annuelle, l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO) de la Commission a précisé aux personnes concernées, et notamment aux requérants, qu’il étendrait exceptionnellement et à titre gracieux la période de douze mois, prévue par cette disposition, à vingt-quatre mois, de manière à alléger le remboursement du trop-perçu. Ainsi que le SEAE l’a exposé, il a ensuite, avec le PMO, produit une deuxième note consacrant un régime d’exception limitant à 15 % du salaire le montant des remboursements de la dette liée à l’évolution du coefficient correcteur sans limite temporelle.

96      En ce qui concerne la violation alléguée du devoir de sollicitude en raison de l’absence d’explication de la notion d’« index implicite » ainsi que la violation du devoir de diligence s’imposant au SEAE, il y a lieu de constater que ces griefs ne font pas partie de ceux soulevés par les requérants dans leur requête et, de ce fait, sont irrecevables, conformément à l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure.

97      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que le SEAE a tenu compte de la situation des requérants et n’a pas violé le devoir de sollicitude.

98      S’agissant de l’application de l’article 85 du statut, selon lequel toute somme indûment perçue donne lieu à répétition si le bénéficiaire a eu connaissance de l’irrégularité du versement ou si celle-ci était si évidente qu’il ne pouvait manquer d’en avoir connaissance, il ressort clairement de la réglementation applicable aux coefficients correcteurs ainsi que des bulletins de rémunération des requérants que les sommes qui leur ont été versées n’étaient pas définitives et pouvaient être soumises à des modifications ultérieures. Les requérants ne pouvaient donc manquer d’avoir connaissance du fait que la rémunération qui leur avait été versée pour un mois donné pouvait être différente de celle à laquelle ils avaient droit, pour le même mois, selon la réglementation applicable. À cet égard, le fait que le montant exact de la différence éventuelle n’était pas connu des fonctionnaires ou des agents au moment du versement de leur salaire est sans incidence, étant donné que ce montant ne peut être déterminé qu’a posteriori, après l’adoption des nouveaux coefficients correcteurs, conformément à l’article 13 de l’annexe X du statut. Il s’ensuit que la récupération du trop-perçu n’est pas contraire à l’article 85 du statut (voir, par analogie, arrêt du 8 novembre 2000, Bareyt e.a./Commission, T‑158/98, EU:T:2000:260, points 101 et 102).

99      En tout état de cause, l’article 3, paragraphe 6, second alinéa, de l’annexe XI du statut prévoit également la répétition du trop-perçu lors d’actualisations rétroactives en permettant que cette récupération soit étalée sur une période de douze mois au maximum suivant la date d’entrée en vigueur de la prochaine actualisation annuelle. En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 95 ci-dessus, des décisions favorables aux requérants ont été adoptées par le PMO et le SEAE.

100    Il résulte de ce qui précède que la seconde branche du second moyen est rejetée.

101    Ainsi, il résulte de l’ensemble de ces éléments que le second moyen, tiré de la violation de l’article 13 de l’annexe X du statut, du principe de sécurité juridique, du devoir de sollicitude et de l’article 85 du statut, doit être rejeté.

102    Aucun des moyens présentés par les requérants n’étant fondé, le recours est rejeté.

 Sur les dépens

103    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions du SEAE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      FJ et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens.

Svenningsen

Pynnä

Laitenberger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.