Language of document : ECLI:EU:T:2003:196

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

9 juillet 2003(1)

«Concurrence - Entente - Lysine - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Chiffre d'affaires - Circonstances atténuantes - Coopération durant la procédure administrative»

Dans l'affaire T-230/00,

Daesang Corp., établie à Séoul (Corée du Sud),

Sewon Europe GmbH, établie à Eschborn (Allemagne),

représentées par Mes J.-F. Bellis et S. Reinart, avocats, et M. A. Kmiecik, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. W. Wils et R. Lyal, en qualité d'agents, assistés de M. J. Flynn, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de réduction de l'amende infligée aux requérantes par la Commission dans la décision 2001/418/CE, du 7 juin 2000, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 - Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. M. Vilaras, président, Mme V. Tiili et M. P. Mengozzi, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 25 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Les requérantes, Daesang Corp. (ci-après «Daesang») et sa filiale européenne, Sewon Europe GmbH (ci-après «Sewon Europe»), opèrent dans le secteur de la fabrication d'aliments pour animaux et d'acides aminés. Daesang, créée à la fin de l'année 1997, est une entreprise coréenne née de la fusion de Miwon Corp. Ltd et de Daesang Industrial Ltd, antérieurement connue sous la dénomination de Sewon Corp. Ltd (ci-après «Sewon Corp.»). Au cours du premier semestre de l'année 1998, Daesang a cédé ses activités mondiales sur le marché de la lysine à une autre entreprise.

2.
    La lysine est le principal acide aminé utilisé dans l'alimentation animale à des fins nutritionnelles. La lysine synthétique est utilisée comme additif dans les aliments qui ne contiennent pas suffisamment de lysine naturelle, par exemple les céréales, afin de permettre aux nutritionnistes de composer des régimes à base de protéines répondant aux besoins alimentaires des animaux. Les aliments auxquels de la lysine synthétique est ajoutée peuvent également se substituer aux aliments contenant une quantité suffisante de lysine à l'état naturel, tel le soja.

3.
    En 1995, à l'issue d'une enquête secrète menée par le Federal Bureau of Investigation, des perquisitions ont été effectuées aux États-Unis dans les locaux de plusieurs entreprises actives sur le marché de la lysine. Aux mois d'août et d'octobre 1996, les sociétés Archer Daniels Midland Co. (ci-après «ADM Company»), Kyowa Hakko Kogyo Co. Ltd, Sewon Corp., Cheil Jedang Corp. (ci-après «Cheil») et Ajinomoto Co. Inc. ont été inculpées par les autorités américaines pour avoir formé une entente ayant consisté à fixer les prix de la lysine et à répartir les volumes de vente de ce produit entre juin 1992 et juin 1995. À la suite d'accords conclus avec le ministère de la Justice américain, ces entreprises se sont vu imposer des amendes par le juge saisi du dossier, à savoir une amende de 10 millions de dollars des États-Unis (USD) pour Kyowa Hakko Kogyo et Ajinomoto Co. Inc., une amende de 70 millions de USD pour ADM Company et une amende de 1,25 million de USD pour Cheil. Le montant de l'amende imposée à Sewon Corp. s'élevait, selon cette dernière, à 328 000 USD. Par ailleurs, trois dirigeants d'ADM Company ont été condamnés à des peines d'emprisonnement et à des amendes pour leur rôle dans l'entente.

4.
    En juillet 1996, Ajinomoto a, sur la base de la communication 96/C 207/04 de la Commission concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»), proposé à la Commission de coopérer avec elle pour établir l'existence d'un cartel sur le marché de la lysine et ses effets dans l'Espace économique européen (EEE).

5.
    Les 11 et 12 juin 1997, la Commission a procédé à des vérifications, en application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), dans les installations européennes d'ADM Company et dans celles de Kyowa Hakko Europe GmbH. À la suite de ces vérifications, Kyowa Hakko Kogyo et Kyowa Hakko Europe ont fait connaître leur souhait de coopérer avec la Commission et lui ont fourni certaines informations concernant, notamment, la chronologie des réunions entre les producteurs de lysine.

6.
    Le 28 juillet 1997, la Commission a, en application de l'article 11 du règlement n° 17, adressé à ADM Company et à sa filiale européenne Archer Daniels Midland Ingredients Ltd (ci-après «ADM Ingredients»), à Sewon Corporation et à Sewon Europe (ci-après, prises ensemble, «Sewon»), ainsi qu'à Cheil, des demandes de renseignements concernant leur comportement sur le marché des acides aminés et les réunions de l'entente identifiées dans ces demandes. En réponse à cette demande, Sewon a fait savoir qu'elle était disposée à coopérer avec la Commission. Elle a présenté des procès-verbaux des réunions entre les producteurs de lysine et fourni des informations concernant des réunions qui n'étaient pas identifiées dans la demande de la Commission. Par la suite, elle a encore fourni des informations complémentaires.

7.
    Le 30 octobre 1998, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission a envoyé une communication des griefs aux requérantes et aux autres entreprises concernées, à savoir ADM Company et ADM Ingredients (ci-après, prises ensemble, «ADM»), Ajinomoto et sa filiale européenne, Eurolysine SA (ci-après, prises ensemble, «Ajinomoto»), Kyowa Hakko Kogyo et sa filiale européenne, Kyowa Hakko Europe (ci-après, prises ensemble, «Kyowa»), et Cheil, pour violation de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord sur l'EEE (ci-après l'«accord EEE»). Dans sa communication des griefs, la Commission reprochait à ces entreprises d'avoir fixé les prix de la lysine dans l'EEE ainsi que des quotas de vente pour ce marché et d'avoir échangé des informations sur leurs volumes de vente, à partir des mois de septembre 1990 (Ajinomoto, Kyowa et Sewon), de mars 1991 (Cheil) et de juin 1992 (ADM), jusqu'au mois de juin 1995.

8.
    À la suite de l'audition des entreprises concernées le 1er mars 1999, la Commission a, le 17 août 1999, envoyé à ces dernières une communication des griefs complémentaire concernant la durée de l'entente, à laquelle les requérantes ont répondu le 8 octobre 1999.

9.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision 2001/418/CE, du 7 juin 2000, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 - Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24, ci-après la «Décision»). La Décision a été notifiée à Daesang et à Sewon Europe, respectivement, les 19 et 28 juin 2000.

10.
    La Décision comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

[ADM Company] et sa filiale européenne [ADM Ingredients], Ajinomoto Company, Incorporated, et sa filiale européenne Eurolysine SA, Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et sa filiale européenne Kyowa Hakko Europe GmbH, [Daesang] et sa filiale européenne [Sewon Europe], ainsi que [Cheil] ont enfreint l'article 81, paragraphe 1, du traité CE et l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE en participant à des accords sur les prix, les volumes de ventes et l'échange d'informations individuelles sur les volumes de ventes de lysine synthétique, couvrant l'ensemble de l'EEE.

La durée de l'infraction a été la suivante:

a)    dans le cas d'[ADM Company] et d'[ADM Ingredients]: du 23 juin 1992 au 27 juin 1995;

b)    dans le cas d'Ajinomoto Company Incorporated et d'Eurolysine SA: au moins à partir de juillet 1990 jusqu'au 27 juin 1995;

c)    dans le cas de Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et de Kyowa Hakko Europe GmbH: au moins à partir de juillet 1990 jusqu'au 27 juin 1995;

d)    dans le cas de [Daesang] et de [Sewon Europe]: au moins à partir de juillet 1990 jusqu'au 27 juin 1995;

e)    dans le cas de [Cheil]: du 27 août 1992 au 27 juin 1995.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l'article 1er, en raison de l'infraction constatée audit article:

a)    [ADM Company] et

    [ADM Ingredients]

    (solidairement responsables) une amende de:

47 300 000 euros

b)    Ajinomoto Company, Incorporated et

    Eurolysine SA

    (solidairement responsables) une amende de:

28 300 000 euros

c)    Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et

    Kyowa Hakko Europe GmbH

    (solidairement responsables) une amende de:

13 200 000 euros

d)    [Daesang] et

    [Sewon Europe]

    (solidairement responsables) une amende de:

8 900 000 euros

e)    [Cheil], une amende de:

12 200 000 euros

[...]»

11.
    Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application, dans la Décision, de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices») ainsi que de la communication sur la coopération.

12.
    En premier lieu, le montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, a été fixé, en ce qui concerne les requérantes, à 21 millions d'euros. S'agissant d'Ajinomoto, d'ADM, de Kyowa et de Cheil, le montant de base de l'amende a été fixé, respectivement, à 42, à 39, à 21 et à 19,5 millions d'euros (considérant 314 de la Décision).

13.
    Pour la fixation du montant de départ des amendes, déterminé en fonction de la gravité de l'infraction, la Commission a, tout d'abord, considéré que les entreprises concernées avaient commis une infraction très grave, eu égard à sa nature, à son impact concret sur le marché de la lysine dans l'EEE et à l'étendue du marché géographique concerné. Estimant ensuite, sur la base de leurs chiffres d'affaires totaux réalisés au cours de la dernière année de la période infractionnelle, qu'il existait une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs de l'infraction, la Commission a procédé à un traitement différencié. En conséquence, le montant de départ des amendes a été fixé à 30 millions d'euros pour ADM et Ajinomoto, et à 15 millions d'euros pour Kyowa, Cheil et les requérantes (considérant 305 de la Décision).

14.
    Pour tenir compte de la durée de l'infraction commise par chaque entreprise et déterminer le montant de base de leur amende respective, le montant de départ ainsi déterminé a été majoré de 10 % par an, soit une majoration de 30 % pour ADM et Cheil, et de 40 % pour Ajinomoto, Kyowa et les requérantes (considérant 313 de la Décision).

15.
    En second lieu, au titre des circonstances aggravantes, les montants de base des amendes pour ADM et Ajinomoto ont été majorés de 50 % chacun, soit 19,5 millions d'euros pour ADM et 21 millions d'euros pour Ajinomoto, au motif que ces entreprises avaient joué un rôle de meneur dans la commission de l'infraction (considérant 356 de la Décision).

16.
    En troisième lieu, au titre des circonstances atténuantes, la Commission a diminué de 20 % la majoration appliquée à l'amende des requérantes à raison de la durée de l'infraction, au motif que Sewon avait joué un rôle passif dans l'entente à compter du début de l'année 1995 (considérant 365 de la Décision). La Commission a, en outre, diminué de 10 % les montants de base des amendes de chacune des entreprises concernées, au motif qu'elles avaient toutes mis fin à l'infraction dès les premières interventions d'une autorité publique (considérant 384 de la Décision).

17.
    En quatrième lieu, la Commission a procédé à une «réduction significative» du montant des amendes, au sens du titre D de la communication sur la coopération. À ce titre, la Commission a consenti, à Ajinomoto et aux requérantes, une réduction de 50 % du montant de l'amende qui leur aurait été infligée en l'absence de coopération, à Kyowa et à Cheil, une réduction de 30 % et, enfin, à ADM, une réduction de 10 % (considérants 431, 432 et 435 de la Décision).

Procédure et conclusions des parties

18.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2000, les requérantes ont introduit le présent recours.

19.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a, au titre des mesures d'organisation de la procédure, demandé à la Commission de répondre par écrit à diverses questions. La défenderesse a déféré à cette demande dans le délai imparti.

20.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 25 avril 2002.

21.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    réduire le montant de l'amende qui leur a été infligée;

-    condamner la Commission aux dépens.

22.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner solidairement les requérantes aux dépens.

En droit

23.
    Le recours s'articule autour de quatre griefs principaux. En premier lieu, les requérantes font grief à la Commission d'avoir effectué le calcul du montant de l'amende sur la base des critères établis par les lignes directrices. En deuxième lieu, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte du chiffre d'affaires pertinent dans le cadre de son appréciation de la gravité de l'infraction. En troisième lieu, les requérantes soutiennent que la Commission n'a pas tenu compte de certaines circonstances atténuantes. Enfin, en quatrième lieu, les requérantes font grief à la Commission d'avoir apprécié de manière erronée leur coopération durant la procédure administrative.

24.
    Lors de l'audience, les requérantes ont renoncé au grief tenant à l'application prétendument rétroactive des lignes directrices, tel qu'exposé au point II B de la requête, ce dont le Tribunal a pris acte au procès-verbal d'audience.

Sur le chiffre d'affaires pris en compte au titre de la gravité de l'infraction

Arguments des parties

25.
    Les requérantes soutiennent que, dans le cadre de la détermination du montant de départ de l'amende en considération de la gravité de l'infraction, la Commission a commis une violation du principe de proportionnalité et du principe d'égalité de traitement.

- Sur la violation du principe de proportionnalité

26.
    Les requérantes font grief à la Commission d'avoir fixé le montant de départ de l'amende, déterminé en fonction de la gravité de l'infraction, en tenant compte du chiffre d'affaires mondial de Sewon plutôt que du seul chiffre d'affaires afférent aux ventes de lysine dans l'EEE. Le défaut de prise en compte de ce dernier chiffre serait constitutif d'une violation du principe de proportionnalité, au motif que le montant de départ de l'amende représenterait, en l'espèce, 100 % du total des ventes de lysine réalisées par Sewon dans l'EEE en 1995.

27.
    Selon les requérantes, la Commission a considéré, à tort, que le chiffre d'affaires afférent aux ventes du produit faisant l'objet de l'infraction sur le marché géographique en cause ne constitue pas un facteur pertinent aux fins du calcul du montant de base de l'amende (considérant 318 de la Décision). Ce faisant, elle aurait méconnu le principe de proportionnalité, consacré par l'article 5 CE, qui impose d'adopter des mesures qui n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi.

28.
    Selon les requérantes, il résulte de l'arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 121), que le chiffre d'affaires total n'est pas pertinent dans la détermination du montant de l'amende et qu'un chiffre d'affaires peu élevé pour les ventes du produit faisant l'objet de l'infraction doit être pris en compte. Cette analyse serait confirmée par l'arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission (T-77/92, Rec. p. II-549), dans lequel le montant de l'amende a été réduit pour tenir compte du faible chiffre d'affaires provenant des ventes du produit ayant fait l'objet de l'infraction par rapport à celui résultant de l'ensemble des ventes réalisées.

29.
    Le défaut de prise en compte du chiffre d'affaires afférent aux ventes du produit ayant fait l'objet de l'infraction sur le marché géographique en cause aboutirait à méconnaître l'ampleur réelle de l'infraction aux fins de la détermination du montant de base de l'amende. En effet, aucun des facteurs pris en compte ne permettrait d'évaluer l'impact de l'infraction. Tout d'abord, le critère relatif à la nature de l'infraction, bien que pertinent, serait distinct de celui concernant son ampleur. Ensuite, la Décision, bien qu'elle évoque l'impact de l'entente sur les producteurs (considérants 261 à 296), ne procéderait à aucune quantification à cet égard, ce qui aurait exigé de se référer au volume de transactions réalisées avec le produit en cause. La Décision évoquerait également le fait que l'infraction s'est étendue sur le marché de l'EEE (considérant 297 de la Décision), mais le nombre de pays affectés par une entente ne signifierait pas nécessairement qu'elle a eu un impact important. Quant à la comparaison de la taille de Sewon avec les autres participants à l'entente, elle ne permettrait pas non plus de tenir compte de l'importance de l'incidence de l'infraction sur la concurrence.

- Sur la prise en compte d'un chiffre d'affaires erroné et sur la violation du principe d'égalité de traitement

30.
    Les requérantes soutiennent que, lorsqu'elle a procédé à la comparaison des tailles des entreprises concernées afin de fixer le montant de départ des amendes en fonction de la gravité de l'infraction (considérants 303 à 305 de la Décision), la Commission s'est fondée sur un chiffre d'affaires erroné en ce qui concerne Sewon, ce qui a conduit à une discrimination au détriment de cette dernière.

31.
    Les requérantes soulignent que le chiffre d'affaires total de Sewon auquel la Commission se réfère, c'est-à-dire, selon la première colonne du tableau figurant au considérant 304 de la Décision, 946 millions d'euros en 1995, est erroné, ledit chiffre n'étant que de 295 millions d'euros.

32.
    Les requérantes en déduisent que, dans la mesure où le chiffre d'affaires de Sewon était trois fois inférieur à celui indiqué, la comparaison effectuée par la Commission est manifestement erronée. En particulier, le chiffre d'affaires mondial de Sewon ne représenterait que 10 % de celui de Kyowa et 15 % de celui de Cheil, alors que ces entreprises ont été considérées comme étant de taille comparable.

33.
    Afin d'effectuer un traitement différencié reflétant ces différences de taille, il aurait donc fallu placer Sewon dans une troisième catégorie d'entreprises. En l'état, le montant de départ de l'amende infligée à Sewon, au titre de la gravité de l'infraction, équivaudrait à 50 % de celui concernant ADM et Ajinomoto, alors que, sur la base des chiffres d'affaires totaux réalisés en 1995, Sewon ne représenterait que 2 % de la taille d'ADM et 6 % de la taille d'Ajinomoto. En outre, le montant de départ de l'amende pour Sewon correspondrait à environ 5 % de son chiffre d'affaires total en 1995, contre 0,5 et 0,79 % pour Kyowa et Cheil, respectivement.

34.
    Dans leur réplique, les requérantes estiment que la thèse de la Commission, exposée dans le mémoire en défense, selon laquelle elle se serait fondée sur le chiffre d'affaires total réel de Sewon, de 227 millions d'euros, pour procéder à la comparaison contestée, est difficile à comprendre. En effet, ce chiffre d'affaires représenterait 8 % de celui de Kyowa et 12 % de celui de Cheil. À supposer même que la Commission se soit véritablement fondée sur ce chiffre, le traitement de Sewon n'en serait pas moins discriminatoire.

35.
    Quant à l'argument de la Commission selon lequel le chiffre d'affaires de Sewon pour les ventes de lysine dans l'EEE en 1995 était, en tout état de cause, comparable à ceux de Cheil et de Kyowa, il s'agirait d'une justification ex post qu'elle avait, elle-même, écartée dans la Décision.

36.
    La Commission soutient, en substance, que le montant de base de l'amende déterminé en fonction de la gravité de l'infraction n'est ni disproportionné ni discriminatoire. Le montant de l'amende devrait, par ailleurs, être fixé en fonction non pas du chiffre d'affaires dans l'EEE, mais de la gravité et de la durée de l'infraction.

Appréciation du Tribunal

- Sur la violation du principe de proportionnalité

37.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59; du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127). L'application efficace desdites règles exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique communautaire de concurrence, le cas échéant, en élevant ce niveau (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109).

38.
    Il y a lieu de rappeler que, dans la Décision, la Commission a déterminé le montant de l'amende imposée aux requérantes en faisant application de la méthode de calcul qu'elle s'est imposée dans les lignes directrices. Or, il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut se départir des règles qu'elle s'est elle-même imposées (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 53, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51/92 P, Rec. p. I-4235, et la jurisprudence citée). En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu'elle compte appliquer dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu'il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu'elle s'est elle-même imposées (arrêts du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T-380/94, Rec. p. II-2169, point 57, et du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T-214/95, Rec. p. II-717, point 89).

39.
    Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l'infraction (ci-après le «montant de départ général»). La gravité des infractions est établie en fonction d'une variété d'éléments, dont certains doivent, désormais, être obligatoirement pris en compte par la Commission.

40.
    À cet égard, les lignes directrices prévoient que, mis à part la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché et l'étendue géographique de celui-ci, il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

41.
    Par ailleurs, il peut également être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension sont mieux à même d'apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent (point 1 A, cinquième alinéa).

42.
    Dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, il peut convenir de pondérer le montant de départ général, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature, et d'adapter en conséquence le montant de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (ci-après le «montant de départ spécifique») (point 1 A, sixième alinéa).

43.
    Il convient d'observer que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes est calculé en fonction du chiffre d'affaires global ou du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises sur le marché concerné. Toutefois, elles ne s'opposent pas non plus à ce que de tels chiffres d'affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l'amende afin que soient respectés les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l'exigent. En particulier, le chiffre d'affaires peut entrer en ligne de compte lors de la prise en considération des différents éléments énumérés aux points 40 à 42 ci-dessus (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23/99, Rec. p. II-1705, points 283 et 284).

44.
    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que, parmi les éléments d'appréciation de la gravité de l'infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l'objet de l'infraction, la taille et la puissance économique de l'entreprise et, partant, l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. D'une part, il s'ensuit qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. D'autre part, il en résulte qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation, de sorte que la fixation du montant d'une amende approprié ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, points 120 et 121; Parker Pen/Commission, précité, point 94, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327/94, Rec. p. II-1373, point 176).

45.
    En l'espèce, il ressort de la Décision que, pour déterminer le montant de départ de l'amende, la Commission a d'abord pris en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché et l'étendue géographique de celui-ci. La Commission a ensuite indiqué que, dans le cadre du traitement différencié qu'il convient d'appliquer aux entreprises, il importait de tenir compte de la «capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important au marché de la lysine dans l'EEE», de la portée dissuasive de l'amende et de la taille respective de ces entreprises. Aux fins de l'appréciation de ces éléments, la Commission a choisi de se fonder sur le chiffre d'affaires total réalisé par chaque entreprise en cause, au cours de la dernière année de l'infraction, estimant que ce chiffre lui permettait d'«apprécier les ressources et l'importance réelles des entreprises concernées sur les marchés affectés par leur comportement illicite» (considérant 304 de la Décision).

46.
    Les requérantes reprochent précisément à la Commission d'avoir pris en compte le chiffre d'affaires susvisé au lieu et place du chiffre d'affaires provenant des ventes du produit en cause dans l'EEE.

47.
    Il importe de souligner à ce stade que, eu égard à une certaine ambiguïté résultant de la lecture combinée de la Décision et des écrits de la défenderesse déposés dans le cadre de la présente instance, la Commission a précisé, lors de l'audience et sur question expresse du Tribunal, qu'elle a tenu compte non seulement du chiffre d'affaires «global» des entreprises en cause, c'est-à-dire celui relatif à l'ensemble de leurs activités, mais aussi du chiffre d'affaires mondial sur le marché de la lysine, ces deux types de chiffres d'affaires figurant dans un tableau inséré dans le considérant 304 de la Décision. En outre, il convient de relever que, selon le considérant 318 de la Décision, «la Commission a dûment pris en considération, dans ses conclusions sur la gravité, l'importance économique de l'activité particulière concernée par l'infraction».

48.
    Il est, toutefois, constant que la Commission n'a pas tenu compte du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises en cause sur le marché affecté par l'infraction, à savoir celui de la lysine dans l'EEE.

49.
    Or, s'agissant de l'analyse de la «capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important au marché de la lysine dans l'EEE» (considérant 304 de la Décision), qui implique une appréciation de l'importance réelle de ces entreprises sur le marché affecté, c'est-à-dire de leur influence sur celui-ci, le chiffre d'affaires global ne présente qu'une vue inexacte des choses. Il ne saurait être exclu, en effet, qu'une entreprise puissante ayant une multitude d'activités différentes ne soit présente que de manière accessoire sur un marché de produits spécifique tel que celui de la lysine. De même, il ne saurait être exclu qu'une entreprise ayant une position importante sur un marché géographique extracommunautaire ne dispose que d'une position faible sur le marché communautaire ou de l'EEE. Dans de tels cas, le seul fait que l'entreprise concernée réalise un chiffre d'affaires total important ne signifie pas nécessairement qu'elle exerce une influence déterminante sur le marché affecté par l'infraction. C'est pourquoi la Cour a souligné, dans son arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 139), que, s'il est vrai que les parts de marché détenues par une entreprise ne sauraient être déterminantes afin de conclure qu'une entreprise appartient à une entité économique puissante, elles sont en revanche pertinentes afin de déterminer l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Or, en l'espèce, la Commission n'a tenu compte ni des parts de marché en volume des entreprises en cause sur le marché affecté ni même du chiffre d'affaires des entreprises sur le marché affecté (celui de la lysine dans l'EEE), lequel aurait permis, compte tenu de l'absence de producteurs tiers, de déterminer l'importance relative de chaque entreprise sur le marché concerné en faisant indirectement apparaître leurs parts de marché en valeur (voir arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie/Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, point 99).

50.
    Par ailleurs, il ressort de la Décision que la Commission n'a pas fait référence explicitement à la prise en compte du «poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence», appréciation qu'elle doit désormais effectuer en vertu des lignes directrices lorsqu'elle estime, comme en l'espèce, qu'il y a lieu de pondérer les montants de départ de l'amende en raison du fait qu'il s'agit d'une infraction impliquant plusieurs entreprises (de type cartel) entre lesquelles il existe des disparités considérables de dimension (voir point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices).

51.
    À cet égard, la référence, dans la Décision (dernière phrase du considérant 304), à l'«importance réelle des entreprises» n'est pas de nature à combler la lacune susvisée.

52.
    En effet, l'appréciation du poids spécifique, c'est-à-dire de l'impact réel, de l'infraction commise par chaque entreprise consiste, en réalité, à déterminer l'ampleur de l'infraction commise par chacune d'entre elles et non l'importance de l'entreprise en cause en termes de taille ou de puissance économique. Or, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 121, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347/94, Rec. p. II-1751, point 369), la part du chiffre d'affaires provenant des marchandises faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une juste indication de l'ampleur d'une infraction sur le marché concerné. En particulier, ainsi que l'a souligné le Tribunal, le chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet d'une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T-151/94, Rec. p. II-629, point 643).

53.
    Il résulte de ce qui précède que, en se fondant sur les chiffres d'affaires mondiaux de Sewon sans prendre en considération le chiffre d'affaires sur le marché affecté par l'infraction, c'est-à-dire celui de la lysine dans l'EEE, la Commission a méconnu le point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices.

54.
    Dans ces circonstances, il appartient au Tribunal d'examiner si le défaut de prise en compte du chiffre d'affaires sur le marché affecté et la méconnaissance des lignes directrices qui en résulte ont conduit, en l'espèce, à une violation par la Commission du principe de proportionnalité lors de la fixation du montant de l'amende. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l'appréciation du caractère proportionné de l'amende infligée par rapport à la gravité et à la durée de l'infraction, critères visés à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, relève du contrôle de pleine juridiction confié au Tribunal en vertu de l'article 17 du même règlement.

55.
    Dans le cas présent, les requérantes font valoir, en substance, que le montant de départ spécifique de l'amende, fixé à 15 millions d'euros, est disproportionné en ce qu'il équivaut au chiffre d'affaires réalisé par Sewon sur le marché de la lysine dans l'EEE au cours de la dernière année d'infraction.

56.
    Il convient, en premier lieu, d'indiquer que le fait que le montant de départ spécifique de l'amende soit équivalent au chiffre d'affaires réalisé sur le marché concerné n'est pas, en soi, concluant. En effet, ce montant de 15 millions d'euros ne constitue qu'un montant intermédiaire qui, dans le cadre de l'application de la méthode définie par les lignes directrices, fait ensuite l'objet d'adaptations en fonction de la durée de l'infraction et des circonstances aggravantes ou atténuantes constatées.

57.
    En deuxième lieu, la nature propre de l'infraction, l'impact concret de celle-ci, l'étendue géographique du marché affecté, la nécessaire portée dissuasive de l'amende et la taille des entreprises en cause sont autant d'éléments, en l'espèce, pris en considération par la Commission, pouvant justifier un tel montant intermédiaire. La défenderesse a retenu, à juste titre, la qualification d'infraction «très grave», dans la mesure où Sewon a participé à une entente horizontale ayant eu pour objet la fixation d'objectifs de prix, de quotas de vente et l'instauration d'un système d'échange d'informations sur les volumes de vente et qui a eu un impact concret sur le marché de la lysine dans l'EEE du fait d'une hausse artificielle des prix et d'une restriction desdits volumes. En ce qui concerne la taille des entreprises et la portée dissuasive des amendes, il y a lieu de souligner que c'est à bon droit que la Commission a choisi de se fonder sur le chiffre d'affaires total des entreprises concernées. Selon la jurisprudence, le chiffre d'affaires global est, en effet, celui qui donne une indication de la taille d'une entreprise (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 121) ainsi que de sa puissance économique, laquelle est déterminante pour évaluer la portée dissuasive d'une amende à son égard.

58.
    En troisième lieu, il importe de souligner que le montant de 15 millions d'euros retenu à l'encontre des requérantes est sensiblement inférieur au seuil minimal de 20 millions d'euros qui est normalement prévu par les lignes directrices pour ce type d'infraction très grave (voir point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret).

59.
    À l'appui de leurs prétentions, les requérantes invoquent également de manière explicite l'arrêt Parker Pen/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a accueilli le moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité au motif que la Commission n'avait pas pris en considération le fait que le chiffre d'affaires réalisé avec les produits concernés par l'infraction était relativement faible par rapport à celui de l'ensemble des ventes réalisées par l'entreprise en cause, ce qui a justifié une réduction du montant de l'amende (points 94 et 95).

60.
    Il convient d'observer, d'abord, que la solution adoptée par le Tribunal dans l'arrêt Parker Pen/Commission, précité, concerne la fixation du montant final de l'amende et non, comme en l'espèce, du montant de départ de l'amende au regard de la gravité de l'infraction.

61.
    Ensuite, à supposer que la jurisprudence susvisée soit transposable à la présente espèce, il y a lieu de rappeler que le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction, le caractère approprié du montant des amendes. Or, cette appréciation peut justifier la production et la prise en considération d'éléments complémentaires d'information (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C-297/98 P, Rec. p. I-10101, points 53 à 55), tels que, en l'occurrence, le chiffre d'affaires réalisé par Sewon sur le marché de la lysine dans l'EEE, non pris en compte dans la Décision.

62.
    À cet égard, il importe de souligner que la comparaison des différents chiffres d'affaires de Sewon pour l'année 1995 fait ressortir deux éléments d'information. D'une part, il est vrai que le chiffre d'affaires provenant des ventes de lysine dans l'EEE peut être considéré comme faible par rapport au chiffre d'affaires global, le premier ne représentant que 5 % du second. D'autre part, il apparaît, en revanche, que le chiffre correspondant aux ventes de lysine dans l'EEE représente une part relativement importante du chiffre d'affaires sur le marché mondial de la lysine, en l'occurrence plus de 22 %.

63.
    Dans la mesure où les ventes de lysine dans l'EEE représentent donc, non pas une faible fraction, mais une part significative de ce dernier chiffre d'affaires, une violation du principe de proportionnalité ne peut être valablement soutenue, et cela d'autant plus que le montant de départ de l'amende n'a pas été déterminé seulement sur la base d'un simple calcul fondé sur le chiffre d'affaires global, mais également sur le fondement du chiffre d'affaires sectoriel et d'autres éléments pertinents que sont la nature de l'infraction, l'impact concret de cette dernière sur le marché, l'étendue du marché affecté, la nécessaire portée dissuasive de la sanction, la taille et la puissance des entreprises.

64.
    Au regard des motifs susvisés, le Tribunal estime, dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, que le montant de départ de l'amende déterminé en considération de la gravité de l'infraction commise par Sewon est approprié et que, la méconnaissance par la Commission des lignes directrices n'ayant pas entraîné, en l'espèce, une violation du principe de proportionnalité, il convient, dès lors, de rejeter le grief soulevé à cet égard par les requérantes.

- Sur la violation du principe d'égalité de traitement

65.
    Dans le cadre de la détermination du montant des amendes, la Commission ne saurait méconnaître le principe d'égalité de traitement, principe général du droit communautaire qui, selon une jurisprudence constante, n'est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T-311/94, Rec. p. II-1129, point 309, et la jurisprudence citée).

66.
    Conformément à ce principe, le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices prévoit que, dans l'hypothèse d'infractions impliquant plusieurs entreprises, une pondération des montants de départ des amendes pourra être effectuée afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature.

67.
    Ainsi, selon le point 1 A, septième alinéa, des lignes directrices, le principe d'égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l'exigent, à l'application de montants différents pour les entreprises concernées sans que cette différenciation n'obéisse à un calcul arithmétique.

68.
    Dans la Décision (considérants 303 et 304), la Commission a considéré qu'il existait une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs de l'infraction. En conséquence, elle a estimé que, pour tenir compte de la capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important au marché de la lysine dans l'EEE ainsi que de la nécessité de faire en sorte que le montant de l'amende ait un caractère suffisamment dissuasif, il convenait, au regard de la taille de ces entreprises, de les diviser en deux groupes, à savoir, d'une part, Ajinomoto et ADM, dont le montant de départ de l'amende a été fixé à 30 millions d'euros, et, d'autre part, Kyowa, Cheil et Sewon, à l'encontre desquelles un montant de 15 millions d'euros a été retenu.

69.
    Contrairement à l'argumentation développée dans le cadre du moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité, les requérantes n'invoquent plus, désormais, l'absence de prise en compte du chiffre d'affaires sur le marché de la lysine dans l'EEE. Elles s'appuient, au contraire, sur la comparaison des chiffres d'affaires mondiaux des entreprises concernées par l'entente pour justifier leur affirmation quant au caractère discriminatoire du montant de départ de l'amende, tout en soulignant que ledit chiffre s'élevait, en ce qui les concerne, à 295 millions d'euros en 1995, et non à 946 millions d'euros comme indiqué erronément par la Commission.

70.
    Il y a lieu de relever que la Commission a reconnu que le chiffre d'affaires total de Sewon figurant dans le tableau du considérant 304 de la Décision n'était pas exact et a précisé avoir, en réalité, retenu le chiffre d'affaires réalisé par Sewon en 1995 indiqué au considérant 16 de la Décision, soit 227 millions d'euros, qui est, cette fois, inférieur au montant indiqué par les requérantes.

71.
    Si le chiffre d'affaires total de Sewon en 1995, qu'il s'agisse de 227 ou de 295 millions d'euros, apparaît, effectivement, sensiblement inférieur à celui réalisé par Cheil et Kyowa avec lesquelles elle a été regroupée, ce constat ne saurait, toutefois, conduire à la conclusion de la violation, en l'espèce, du principe d'égalité de traitement.

72.
    En effet, la comparaison des chiffres d'affaires réalisés sur le marché mondial de la lysine par Cheil, Kyowa et Sewon, mentionnés dans la seconde colonne du tableau figurant au considérant 304 de la Décision, révèle que c'est à juste titre que ces entreprises ont été réunies dans un même groupe et se sont vu imposer un montant de départ spécifique identique.

73.
    Ainsi, il est constant que Sewon a réalisé pour l'année 1995 un chiffre d'affaires sur le marché mondial de la lysine de 67 millions d'euros et que ce dernier est très proche dans son quantum de celui de Kyowa, à savoir 73 millions d'euros, et légèrement supérieur à celui de Cheil, en l'occurrence 40 millions d'euros, voire 52 millions d'euros selon le considérant 18 de la Décision, étant précisé que la Commission pouvait légitimement raisonner, en l'espèce, en termes d'ordre de grandeur conformément au point 1 A, septième alinéa, des lignes directrices, ce que les requérantes ont admis lors de l'audience.

74.
    Par ailleurs, la Commission soutient que la subdivision opérée est, en outre, justifiée par la comparaison des chiffres d'affaires sur le marché de la lysine dans l'EEE réalisés par les entreprises concernées.

75.
    S'il est vrai que la Commission n'a pas, dans la Décision, pris en compte de tels chiffres d'affaires, il y a lieu de rappeler, comme indiqué au point 54 ci-dessus, que le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par les articles 229 CE et 17 du règlement n° 17, le caractère approprié du montant des amendes. Or, cette appréciation peut justifier la production et la prise en considération d'éléments complémentaires d'information tels que, en l'occurrence, le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises en cause sur le marché de la lysine dans l'EEE (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, précité, points 53 à 55).

76.
    La prise en considération du chiffre d'affaires réalisé par Sewon sur le marché de la lysine dans l'EEE fait précisément apparaître une quasi- identité de situation avec celle des deux autres «petits» producteurs que sont Cheil et Kyowa. Alors qu'Ajinomoto et ADM ont réalisé, en 1995, des chiffres d'affaires sur ledit marché de 75 et de 41 millions d'euros (considérants 5 et 10 de la Décision), Cheil, Kyowa et Sewon ont réalisé, respectivement, des chiffres d'affaires de 17, de 16 et de 15 millions d'euros sur ce même marché. Il apparaît, ainsi, que l'influence sur le marché affecté de Sewon était comparable à celle de ces deux autres «petits» producteurs, Cheil et Kyowa. Compte tenu du fait que ces entreprises ont toutes participé à la même infraction, il est justifié que le montant de départ de l'amende qui leur a été imposé soit identique.

77.
    Il s'ensuit que le montant de départ de 15 millions d'euros retenu à l'encontre des requérantes n'est pas discriminatoire.

Sur les circonstances atténuantes

Arguments des parties

78.
    Les requérantes soutiennent que la Commission aurait dû, conformément au point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, concernant la «non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles», leur accorder une réduction du montant de l'amende en raison du fait que Sewon aurait exécuté les accords de prix et de quantités dans une mesure beaucoup moins importante que les autres producteurs.

79.
    En premier lieu, la Commission n'aurait pas tenu compte des nettes différences dans la mise en oeuvre des accords de prix entre les producteurs. Or, ainsi qu'il ressortirait d'un tableau comparatif des prix (annexe 6 de la requête et considérant 47 de la Décision), les prix pratiqués par Sewon étaient largement inférieurs aux objectifs de prix fixés dans les accords et aux prix pratiqués par les autres producteurs. En particulier, le prix moyen mensuel pratiqué par Sewon en Europe aurait été le plus bas de l'ensemble des producteurs pendant 27 mois.

80.
    Le non-respect par Sewon des accords de prix serait également prouvé par de nombreux éléments du dossier. À cet égard, les requérantes citent les critiques formulées à l'égard de Sewon, lors de la réunion du 12 mars 1991 à Tokyo, par Ajinomoto et Kyowa (annexe 7 de la requête), puis, lors de la réunion du 2 novembre 1992 à Séoul, par Ajinomoto (considérant 89 de la Décision et annexe 8 de la requête), le rapport d'un représentant de Kyowa du 20 avril 1993 et les critiques de cette entreprise lors de la réunion du 27 mai 1993 (annexes 9 et 10 de la requête), une télécopie du 17 mai 1994 à l'attention de Kyowa (annexe 11 de la requête), des remarques formulées par ADM au cours du mois de juin 1994 (annexe 12 de la requête), des déclarations d'Ajinomoto du 23 novembre 1994 (annexe 13 de la requête) et un compte rendu d'Ajinomoto (annexe 14 de la requête).

81.
    En second lieu, la Commission n'aurait pas tenu compte du fait que Sewon a procédé à un accroissement continu de sa production et maximisé ses ventes, ce qui aurait conduit à une non-application effective des accords.

82.
    La Commission se serait limitée, au considérant 378 de la Décision, à affirmer que les accords sur les quantités avaient été respectés sans produire d'élément de preuve concluant. Sa thèse selon laquelle il s'agirait d'un accord sur des quantités minimales serait d'ailleurs malaisée à comprendre, dans la mesure où ce type d'ententes impliquent au contraire une réduction de la production en vue d'augmenter les prix. En tout état de cause, il ressortirait du dossier que Sewon a, au contraire, cherché à maximiser ses ventes. À cet égard, elles invoquent un accroissement de leurs ventes en 1991 (considérant 211 de la Décision), ainsi qu'en 1992 et en 1993, un rapport interne attestant de la politique de production à pleine capacité de Sewon (annexe 15 de la requête) ainsi que la déclaration d'un représentant d'ADM lors d'une réunion du 23 août 1994 (annexe 16 de la requête).

83.
    À l'argument de la Commission selon lequel le rôle de Sewon a été considéré comme passif à partir de 1995, ce qui lui a déjà valu une réduction d'amende de 20 %, les requérantes rétorquent que, selon les lignes directrices, le «rôle passif» d'une entreprise au sein d'une entente et la «non-application effective» d'un accord sont deux concepts distincts. En conséquence, le fait que Sewon ait obtenu une réduction du montant de l'amende en raison de son rôle passif en ce qui concerne la répartition des volumes de vente ne peut pas justifier un refus de lui accorder une réduction au titre de l'application plus limitée des accords.

84.
    La Commission conclut au rejet des prétentions des requérantes en affirmant que l'inexécution d'un accord ne doit pas être confondue avec une participation à l'infraction doublée d'une tricherie et que Sewon a déjà obtenu une réduction d'amende en raison de son attitude passive en ce qui concerne la répartition des quantités à partir de 1995 (considérant 365 de la Décision).

Appréciation du Tribunal

85.
    Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d'examiner la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune d'entre elles (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 623, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 150), afin de déterminer s'il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

86.
    Les points 2 et 3 des lignes directrices prévoient une modulation du montant de base de l'amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes.

87.
    En particulier, le point 3 des lignes directrices contient, sous le titre de circonstances atténuantes, une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent amener à une diminution du montant de base de l'amende. Ainsi est-il fait référence au rôle passif d'une entreprise, à la non-application effective des accords, à la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, à l'existence d'un doute raisonnable de l'entreprise sur le caractère infractionnel du comportement poursuivi, au fait que l'infraction a été commise par négligence ainsi qu'à la collaboration effective de l'entreprise à la procédure en dehors du champ d'application de la communication sur la coopération.

88.
    À cet égard, la Commission a fait référence dans son mémoire en défense à l'arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission (T-308/94, Rec. p. II-925), dans lequel le Tribunal a estimé que le fait qu'une entreprise, dont la participation à une entente en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger (point 230).

89.
    Il convient d'observer que, dans le cadre de l'arrêt susvisé, le Tribunal a opéré son contrôle à l'égard d'une décision de la Commission n'ayant pas fait application des lignes directrices, puisque antérieure à l'adoption de celles-ci, lesquelles envisagent désormais expressément la prise en compte de la non-application effective d'un accord infractionnel comme circonstance atténuante. Or, ainsi que cela a déjà été énoncé au point 38 ci-dessus, il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut se départir des règles qu'elle s'est elle-même imposées. En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu'elle compte appliquer dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu'il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu'elle s'est elle-même imposées (arrêts AIUFFASS et AKT/Commission, précité, point 57, et Vlaams Gewest/Commission, précité, point 89).

90.
    Reste à savoir si, en l'espèce, la Commission a pu considérer, à bon droit, que les requérantes ne pouvaient pas bénéficier d'une circonstance atténuante au titre d'une non-application effective des accords, en vertu du point 3, deuxième tiret, des lignes directrices. À cette fin, il importe de vérifier si les circonstances avancées par les requérantes sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle Sewon a adhéré aux accords infractionnels, elle s'est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, points 4872 à 4874).

91.
    En ce qui concerne, en premier lieu, la non-application prétendue des accords de prix, la Commission a fait observer, dans la Décision (considérant 376), que les accords en cause portaient sur des objectifs de prix (ou «prix cibles»), de sorte que la mise en oeuvre de tels accords implique non pas que soit appliqué un prix correspondant à l'objectif de prix convenu, mais que les parties s'efforcent de se rapprocher de leurs objectifs de prix. Elle a encore indiqué qu' «[i]l ressort des informations recueillies par la Commission que, dans la présente affaire, à la suite de la majorité des accords de prix, les parties ont fixé leurs prix conformément à leurs accords».

92.
    En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a précisé que les informations susvisées sont celles sur les prix des entreprises qui figurent au considérant 47 de la Décision et a produit un graphique faisant apparaître l'évolution des prix cibles et celle des prix pratiqués par chaque entreprise concernée.

93.
    Au vu de ce document, il peut, d'abord, être observé que si les prix pratiqués par Sewon ne coïncident pas avec les prix cibles, comme étant régulièrement inférieurs à ces derniers, il en va de même des prix pratiqués par les autres producteurs de lysine, à l'exception d'ADM, depuis mars 1992 jusqu'à la cessation de la période infractionnelle en juin 1995.

94.
    Il apparaît, ensuite, que si les prix de Sewon étaient équivalents à ceux de Cheil (parfois légèrement supérieurs ou parfois légèrement inférieurs) et régulièrement inférieurs à ceux pratiqués par les autres producteurs, les différences constatées ne sauraient être considérées comme significatives et traduisant un comportement sur le marché réellement indépendant et concurrentiel.

95.
    Enfin, il y a lieu surtout de constater que l'évolution des prix de Sewon a concordé, pendant toute la période infractionnelle, avec l'évolution des objectifs de prix convenus entre les membres de l'entente, ce qui conforte, au demeurant, la conclusion selon laquelle cette dernière a produit ses effets dommageables sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 340). Cette concordance, sur une si longue période, démontre l'absence de toute volonté de Sewon de se soustraire effectivement à l'application des accords sur les prix.

96.
    À cet égard, il convient de relever que, au courant du mois de juin 1993, les cinq producteurs de lysine se sont entendus pour fixer le prix de la lysine à 3,20 marks allemands (DEM) par kilogramme (considérants 104 et 198 de la Décision), tout en envisageant une nouvelle hausse des prix par étapes. Le prix de la lysine a, par la suite, effectivement connu une forte hausse et a été fixé à 5,30 DEM par kilogramme selon un accord conclu en octobre 1993 (considérants 114 et 199 de la Décision). Or, dès le mois d'août 1993, Sewon a pleinement participé au mouvement de hausse impliquant tous les producteurs de lysine, ses prix passant de 2,81 DEM par kilogramme en juillet 1993 à 3,45 DEM en août de la même année, puis à 3,94 DEM en septembre et, enfin, à 4,55 DEM en octobre 1993. Sewon n'a aucunement cherché, lors de cette phase importante de l'entente, à se démarquer des autres producteurs en adoptant une politique des prix réellement concurrentielle.

97.
    Quant aux réactions des autres membres de l'entente face au comportement de Sewon, elles ne peuvent être considérées comme la preuve d'une non-application effective des accords anticoncurrentiels, mais correspondent à des récriminations logiques adressées à un partenaire essayant d'obtenir des avantages commerciaux par rapport aux autres membres tout en restant dans le cadre de ladite entente.

98.
    Il résulte de ces considérations que la non-application effective des accords sur les prix par Sewon n'est pas démontrée, la différence de degré dans la mise en oeuvre des accords sur les prix, invoquée comme telle par les requérantes dans leur requête, ne pouvant, en l'espèce, être confondue avec une non-exécution effective de ceux-ci.

99.
    En ce qui concerne, en second lieu, la non-application alléguée des accords sur les volumes de vente, il convient, tout d'abord, de rappeler que, dans la Décision (considérant 378), la Commission a fait valoir que les membres de l'entente considéraient les quotas qui leur étaient attribués comme des «quantités minimales» et que, «tant que chaque partie était en mesure de vendre au moins les quantités qui lui étaient allouées, l'accord était respecté».

100.
    Ainsi qu'il a été souligné, à juste titre, par toutes les entreprises en cause, cette affirmation est, pour le moins, en contradiction avec les faits reprochés, dans la mesure où l'objectif de hausse des prix, qui était principalement poursuivi par les membres de l'entente, impliquait nécessairement une limitation de la production de lysine et donc l'allocation de quotas de vente maximaux. Cela est, notamment, confirmé par les considérants 221 et suivants de la Décision, consacrés à l'appréciation des accords sur les quantités au regard de l'article 81, paragraphe 1, CE, dans lesquels il est fait référence aux limitations des ventes. Cette affirmation de la Commission doit, dès lors, être considérée comme dépourvue de toute pertinence.

101.
    Il y a lieu, ensuite, d'indiquer que, au vu de cette même Décision, deux périodes doivent être distinguées dans le cadre de l'analyse de l'application effective des accords sur les volumes de vente par Sewon, à savoir avant et après janvier 1995.

102.
    En ce qui concerne la première période, il convient de relever que, selon le considérant 211 de la Décision, un accord est intervenu, consécutivement aux réunions des 18 février et 12 mars 1991, entre Ajinomoto, Kyowa et Sewon pour que cette dernière, en 1991 et en Europe, limite ses volumes de vente au niveau de 1990. Par ailleurs, après avoir admis le plan de répartition des ventes pour l'année 1992 proposé par Ajinomoto et Kyowa, Sewon a accepté de limiter ses ventes en Europe à 6 000 tonnes (considérant 214 de la Décision). Enfin, si les entreprises membres de l'entente ne sont pas parvenues à un accord global sur la répartition des ventes pour l'année 1993, Sewon a souscrit le 8 décembre 1993 à un accord global sur l'attribution de quotas de vente à chaque producteur pour l'année 1994, au terme duquel elle s'est vu allouer un quota de base correspondant à ses ventes en 1993 ainsi qu'un quota supplémentaire de 2 000 tonnes sur la base de l'augmentation prévisionnelle des ventes (considérants 215 et 216 de la Décision). Il convient de rappeler, à ce stade, que les requérantes ont expressément indiqué dans leur requête ne pas mettre en question ou ne contester aucune des constatations de fait contenues dans la Décision, leur contestation portant exclusivement sur le montant de l'amende qui leur a été infligée par l'article 2 de ladite Décision.

103.
    À l'appui de leur allégation de non-respect des accords sur les quantités, les requérantes invoquent un accroissement continu de la production et des ventes de lysine depuis 1990.

104.
    À cet égard, les requérantes font, en premier lieu, référence à différentes données chiffrées exposées dans la requête relatives aux activités précitées, lesquelles ne prouvent aucunement la non-application effective des accords sur les volumes de vente visés au point 102 ci-dessus.

105.
    Ainsi, les données chiffrées mentionnées dans un tableau, figurant à la page 33 de la requête et repris au considérant 48 de la Décision, expriment, en tonnes, la production et les ventes globales de lysine et ne démontrent donc pas l'absence de respect des accords de limitation desdites ventes en Europe acceptés par Sewon. En outre, pour l'année 1994, les chiffres figurant dans le tableau précité font apparaître que Sewon a bien respecté le quota qui lui avait été attribué au titre de cette année. Par ailleurs, si les requérantes n'ont fourni aucun chiffre pour les ventes de lysine en Europe au titre de l'année 1990, interdisant toute comparaison entre 1990 et 1991, les données communiquées pour l'année 1992 révèlent que les ventes de Sewon en Europe étaient bien inférieures à 6 000 tonnes.

106.
    En second lieu, la référence faite à un rapport marketing interne remontant au 3 mai 1993 (annexe 15 de la requête), dans lequel figure la mention «Poursuivez la politique de pleine production/de vente de la totalité des quantités», est également dépourvue de toute pertinence dans la mesure où cette mention ne correspond qu'à l'expression d'une simple intention qui ne démontre nullement la non-application effective des accords sur les quantités.

107.
    En troisième lieu, la déclaration d'un représentant d'ADM remontant au 23 août 1994 (annexe 16 de la requête), selon laquelle «c'est toujours [Sewon] qui demande une quantité supplémentaire alors [qu'elle est] déjà la seule [vendant] à pleine capacité», n'est pas, à elle seule, de nature à prouver la non-application susvisée. Il y a lieu, au demeurant, d'observer que, s'agissant de cette année 1994, le tableau figurant au considérant 267 de la Décision, dans lequel il a été procédé à une comparaison entre les parts de marché mondiales allouées, cette année-ci, à chaque membre de l'entente en vertu des accords et les parts qui ont été effectivement détenues, révèle que Sewon n'a manifestement pas dépassé le quota attribué en vertu des accords en cause, sa part de marché mondiale effective étant même bien inférieure à celle qui lui a été attribuée. Les requérantes n'ont fourni, à cet égard, aucun élément démontrant le caractère erroné des données figurant dans le tableau précité.

108.
    Il s'ensuit que les requérantes ne sauraient bénéficier d'une circonstance atténuante au titre de la non-application effective des accords sur les volumes de vente pour la période allant de juillet 1990 à décembre 1994.

109.
    En ce qui concerne la période couvrant les six derniers mois de l'entente, à savoir de janvier à juin 1995, il y a lieu de relever que, lors de la réunion du 18 janvier 1995, toutes les entreprises en cause sont convenues de maintenir les parts de marché qui avaient été fixées pour 1994, à l'exception de Sewon qui a refusé le quota proposé et réclamé une part de marché plus importante (considérant 154 de la Décision). En outre, lors de la réunion du 21 avril 1995, tous les membres de l'entente ont comparé les quotas de production qui avaient été fixés pour l'année 1994 ainsi que pour la période allant de janvier à mars 1995 avec les chiffres de vente effectivement réalisés durant la même période. À cette occasion, Ajinomoto, ADM, Cheil et Kyowa ont élevé de vives protestations eu égard au fait que Sewon avait accru son volume de vente de manière à dépasser son quota de 1995, ce qui n'a pas empêché cette dernière de confirmer son objectif de vente (considérant 160 de la Décision). Enfin, au cours de la réunion du 27 avril 1995, ADM, Kyowa et Cheil se sont encore plaintes de l'augmentation du volume de vente de Sewon ainsi que des informations incomplètes qu'elle fournissait (considérant 164 de la Décision).

110.
    Sur la base de ces éléments, la Commission a considéré que Sewon avait joué un rôle passif à partir de 1995 en ce qui concerne l'accord sur les quantités au motif qu'elle n'était plus partie à cet accord et qu'elle avait, par ailleurs, cessé d'informer les autres producteurs sur ses volumes de vente (considérant 365 de la Décision).

111.
    La description du comportement de Sewon effectuée au point 109 ci-dessus fait apparaître que cette entreprise s'est, en réalité, soustraite à l'application de l'accord sur les quantités pour la période allant de janvier à juin 1995, analyse en définitive partagée par le représentant de la Commission lors de l'audience du 25 avril 2002.

112.
    Il n'en demeure pas moins que, nonobstant la question de l'exacte qualification du comportement de Sewon au regard des circonstances atténuantes mentionnées dans les lignes directrices, les requérantes ont, dans la Décision, bénéficié d'une réduction de 20 % de la majoration qui avait été appliquée au titre de la durée, ce qui équivaut à une réduction de 5,71 % du montant de base de l'amende.

113.
    La réduction accordée par la Commission et celle revendiquée par les requérantes reposant exactement sur les mêmes faits, il y a lieu de considérer, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction du Tribunal, la réduction déjà octroyée aux requérantes comme pleinement appropriée, dans son amplitude, en considération du comportement de Sewon à l'égard de l'accord sur les volumes de vente pour la période allant de janvier à juin 1995.

Sur la coopération de Sewon durant la procédure administrative

Arguments des parties

114.
    Les requérantes soutiennent que la Commission a violé les dispositions du point C de la communication sur la coopération au motif qu'elle leur a refusé la réduction importante du montant de l'amende, comprise entre 50 et 75 %, et ne leur a accordé qu'une réduction de 50 %, au titre du point D de ladite communication.

115.
    À cet égard, elles font valoir, d'une part, que la Commission a conclu à tort que Sewon ne remplissait pas la condition du point B, sous d), de la communication sur la coopération, à laquelle renvoie notamment le point C de celle-ci, en considérant que sa coopération «n'était pas totalement volontaire», alors qu'elle lui avait fourni toutes les informations utiles et maintenu une coopération permanente et totale tout au long de l'enquête, conformément aux termes de cette disposition. Le fait que des vérifications avaient déjà été entamées chez Kyowa et ADM et qu'une demande de renseignements avait été adressée à Sewon serait sans pertinence, car ni le point B, sous d), ni le point C de la communication sur la coopération n'exigeraient que la coopération commence avant que ne débutent des actes d'investigation.

116.
    D'autre part, serait satisfaite la seconde condition du point C précité, à savoir que l'information soit fournie après une vérification, mais avant que la Commission ne se trouve en possession de preuves suffisantes pour engager la procédure en vue de l'adoption d'une décision. En effet, les vérifications chez ADM et Kyowa n'auraient pas permis de révéler des informations concernant l'infraction commise entre 1990 et 1992.

117.
    La Commission fait valoir, tout d'abord, que Sewon a, certes, été la première à fournir des éléments déterminants et complets concernant la durée de l'entente, mais qu'Ajinomoto a été la première à fournir des preuves décisives en ce qui concerne la période postérieure à l'entrée d'ADM sur le marché.

118.
    Ensuite, Sewon ne satisferait pas à la condition du point B, sous d), de la communication sur la coopération car, pour qu'une coopération soit considérée comme «permanente et totale», il faudrait que l'entreprise fournisse spontanément des preuves complètes et non pas, comme en l'espèce, à la suite d'une demande de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17. Cette interprétation serait confirmée par l'arrêt Cascades/Commission, précité.

119.
    En outre, selon la Commission, il ne s'agissait pas d'une situation dans laquelle, après les vérifications effectuées chez les participants à l'entente, elle ne disposait pas de renseignements suffisants pour justifier l'engagement d'une procédure.

120.
    Enfin, à supposer même que Sewon ait rempli les conditions du point C de la communication sur la coopération, elle n'aurait pas nécessairement bénéficié d'une réduction supérieure à celle obtenue au titre du point D de ladite communication, à savoir 50 % du montant de l'amende qui lui aurait autrement été infligée.

Appréciation du Tribunal

121.
    Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la Commission, dans sa communication sur la coopération, a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées de l'amende ou bénéficier d'une réduction du montant de l'amende qu'elles auraient autrement dû acquitter (voir point A 3 de la communication sur la coopération).

122.
    En ce qui concerne l'application de la communication sur la coopération à la situation de Sewon, il n'est pas contesté que celle-ci n'entre pas dans le champ d'application du point B de cette communication, visant le cas où une entreprise a dénoncé une entente secrète à la Commission avant que celle-ci n'ait procédé à une vérification (cas pouvant amener à une réduction d'au moins 75 % du montant de l'amende).

123.
    Dans la mesure où les requérantes estiment, en revanche, que la Commission leur refuse à tort le bénéfice de la réduction visée au point C de la communication sur la coopération, il convient de vérifier si la Commission n'a pas méconnu les conditions d'application dudit point.

124.
    Le point C de la communication sur la coopération, intitulé «Réduction importante du montant de l'amende», dispose:

«L'entreprise qui, remplissant les conditions exposées au titre B, points b) à e), dénonce l'entente secrète après que la Commission a procédé à une vérification sur décision auprès des entreprises parties à l'entente, sans que cette vérification ait pu donner une base suffisante pour justifier l'engagement de la procédure en vue de l'adoption d'une décision, bénéficie d'une réduction de 50 à 75 % du montant de l'amende.»

125.
    Les conditions du point B, auxquelles le point C renvoie, visent l'entreprise qui:

«b)    est la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l'existence de l'entente;

c)     a mis fin à sa participation à l'activité illicite au plus tard au moment où elle dénonce l'entente;

d)    fournit à la Commission toutes les informations utiles, ainsi que tous les documents et éléments de preuve dont elle dispose au sujet de l'entente et maintient une coopération permanente et totale tout au long de l'enquête;

e)     n'a pas contraint une autre entreprise à participer à l'entente ni eu un rôle d'initiation ou un rôle déterminant dans l'activité illicite.»

126.
    Dans la Décision, la Commission a considéré qu'aucune des entreprises en cause ne pouvait bénéficier d'une réduction importante de l'amende, en application du point C de la communication sur la coopération, au motif qu'aucune d'entre elles ne remplissait les conditions exposées au point B, sous b) à e), auxquelles le point C renvoie (considérant 429).

127.
    Il résulte des considérants 423 à 425 de la Décision que, comme le font valoir les requérantes sans être contestées, la Commission a implicitement admis, pour les raisons exposées au considérant 423 de la Décision, que Sewon satisfaisait aux conditions posées par le point B, sous b), c) et e), de la communication sur la coopération. Le bénéfice de la réduction prévue au point C de cette dernière ne leur a été refusé qu'au seul motif que la coopération de Sewon ne répondait prétendument pas aux conditions du point B, sous d), de la communication sur la coopération.

128.
    Or, les raisons invoquées par la Commission à cet égard (considérant 424 de la Décision) sont manifestement contraires tant à la lettre du point B, sous d), de la communication sur la coopération qu'à l'esprit des dispositions du point C de ladite communication.

129.
    En ce qui concerne la première raison invoquée - à savoir que, lorsque Sewon a commencé à coopérer, la Commission disposait déjà d'informations suffisantes pour prouver l'existence de l'entente à compter de l'entrée d'ADM sur le marché -, elle n'est pas de nature à justifier le refus de considérer comme remplie la condition prévue au point B, sous d), et, partant, d'appliquer le point C de la communication sur la coopération.

130.
    À cet égard, il ressort du considérant 423 de la Décision que la Commission a elle-même considéré que Sewon a été «le premier membre de l'entente à fournir des éléments déterminants et complets pour prouver l'existence de l'infraction constatée» et que les documents qu'elle a remis constituent, en ce qui concerne la première phase de l'entente comprise entre 1990 et 1992, «la principale source de preuves utilisée par la Commission dans l'élaboration de la présente décision». Dans le cadre de sa défense, la Commission admet également que Sewon a été la première à fournir des éléments déterminants et complets sur la durée de l'entente. Dans ces conditions, il ne saurait être nié que Sewon a fourni à la Commission «toutes les informations utiles, ainsi que tous les documents et éléments de preuve dont elle dispos[ait] au sujet de l'entente», au sens du point B, sous d), de la communication sur la coopération.

131.
    Il y a lieu d'observer que, dans ses écrits, la Commission a essayé de justifier sa position en invoquant la seconde condition imposée par le point C de la communication sur la coopération, selon laquelle il est nécessaire que les vérifications effectuées n'aient pas donné de base suffisante pour justifier l'engagement de la procédure en vue de l'adoption d'une décision. Elle entend ainsi faire valoir que, lorsque Sewon a coopéré, elle disposait déjà des informations fournies par Ajinomoto concernant l'existence d'une entente entre 1992 et 1995, ce qui lui permettait d'ores et déjà d'engager une procédure.

132.
    Cette argumentation ne peut être retenue par le Tribunal.

133.
    Outre le fait que la Commission ne se fonde pas dans la Décision sur cette seconde condition du point C de la communication sur la coopération mais seulement sur l'inapplicabilité du point B, sous d), de cette dernière auquel il renvoie, il n'en demeure pas moins que, en tout état de cause, ce sont les informations fournies par Sewon à propos de la préexistence de l'entente entre 1990 et 1992 qui ont permis à la Commission d'engager la procédure contre Ajinomoto, Kyowa et Sewon elle-même pour cette période d'infraction et, partant, d'augmenter substantiellement le montant de leurs amendes au titre de la durée d'infraction. En conséquence, même interprétée littéralement, la condition du point C relative à l'impossibilité d'engager la procédure sur la base des informations obtenues au stade des vérifications serait remplie dès lors que, en l'espèce, la Commission n'était pas en mesure d'engager une procédure pour la période de l'infraction comprise entre 1990 et 1992 avant que Sewon ne fournisse les éléments de preuve dont elle disposait.

134.
    Concernant la seconde raison invoquée - à savoir que Sewon avait dénoncé l'entente après que la Commission avait procédé à une vérification dans les locaux d'ADM et de Kyowa -, elle est également dépourvue de fondement, tant au regard des dispositions du point B, sous d), de la communication sur la coopération qu'en vertu des dispositions du point C de cette dernière relatives à la seconde condition. Les premières ne subordonnent pas leur application à l'absence de vérifications. Les secondes visent même précisément l'hypothèse dans laquelle des vérifications ont été effectuées auprès des entreprises parties à l'entente.

135.
    Enfin, s'agissant de la dernière raison avancée dans la Décision, relative au fait qu'une part substantielle des informations fournies par Sewon l'a été dans le cadre d'une demande de renseignements au titre de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, et que, partant, la coopération de Sewon n'était pas totalement volontaire, elle doit être rejetée.

136.
    À cet égard, la Commission invoque la jurisprudence constante selon laquelle une coopération à l'enquête qui ne dépasse pas ce qui résulte des obligations qui incombent aux entreprises en vertu de l'article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement n° 17 ne justifie pas une réduction de l'amende (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. I-907, point 341, et Cascades/Commission, précité, point 260).

137.
    Toutefois, il résulte également de cette même jurisprudence qu'une réduction d'amende est justifiée lorsque l'entreprise a fourni des renseignements allant bien au-delà de ceux dont la production peut être exigée par la Commission en vertu de l'article 11 du règlement n° 17 (voir, en ce sens, arrêt Cascades/Commission, précité, points 261 et 262).

138.
    Or, en l'espèce, il suffit de constater que les renseignements fournis par Sewon, dans sa réponse, allaient bien au-delà de ceux dont la production était demandée. En effet, ainsi que l'a constaté la Commission elle-même au considérant 172 de la Décision, «Sewon a également donné des renseignements concernant des réunions qui n'étaient pas mentionnées dans la demande de la Commission [et elle] a continué par la suite à fournir des informations complémentaires».

139.
    Par ailleurs, le fait de refuser aux requérantes le bénéfice de la réduction prévue au point C de la communication sur la coopération, au motif qu'une demande de renseignements leur avait été adressée, contrevient également aux conditions posées par cette disposition.

140.
    Ainsi qu'il a été exposé, le point C de la communication sur la coopération vise l'hypothèse dans laquelle «une vérification sur décision», acte visé par l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, a été effectuée par la Commission «auprès des entreprises parties à l'entente» sans que cela lui permette d'engager une procédure. En l'espèce, au stade où Sewon a coopéré, deux vérifications avaient été effectuées par la Commission auprès d'entreprises parties à l'entente, à savoir ADM et Kyowa (considérant 168 de la Décision), sans que cela ait permis, en soi, à la Commission d'engager une procédure en vue de l'adoption d'une décision. Postérieurement à ces vérifications, la procédure d'enquête préalable s'est poursuivie par l'envoi de demandes de renseignements en application de l'article 11 du règlement n° 17 (considérant 171 de la Décision). En outre, il peut être relevé qu'aucune vérification n'avait été entreprise dans les locaux de Sewon, ce qui, au demeurant, n'aurait pas nécessairement exclu l'application du point C de la communication sur la coopération si cette vérification n'avait pas non plus donné une base suffisante pour justifier l'engagement de la procédure en vue de l'adoption d'une décision.

141.
    Dès lors, la circonstance qu'une demande de renseignements ait été adressée à celle-ci, au titre de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, ne saurait être déterminante pour exclure le bénéfice d'une réduction importante, comprise entre 50 et 75 % du montant de l'amende, au titre du point C de la communication sur la coopération, d'autant plus qu'une telle demande est un acte moins contraignant qu'une vérification effectuée sur la base d'une décision.

142.
    Cette interprétation est clairement confirmée par l'arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission (T-352/94, Rec. p. II-1989), dans lequel le Tribunal, après avoir souligné que Stora avait fourni des renseignements allant bien au-delà de ceux dont la production pouvait être exigée dans le cadre d'une demande de renseignements (point 401 de l'arrêt), a considéré que, «même si Stora n'a coopéré qu'après que la Commission eut procédé à des vérifications auprès des entreprises en vertu de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, la Commission n'a pas, en réduisant des deux tiers le montant de l'amende infligée à Stora, dépassé la marge d'appréciation dont elle dispose lorsqu'elle détermine le montant des amendes» (point 402 de l'arrêt). Bien que cet arrêt concerne une décision antérieure à la publication de la communication sur la coopération, l'interprétation y contenue reste valable dans le cadre de l'application des dispositions du point C de ladite communication.

143.
    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la Commission a violé le point C de la communication sur la coopération.

144.
    En conséquence, il appartient au Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, de statuer sur le montant de la réduction d'amende qui doit être accordée aux requérantes au titre du point C de la communication sur la coopération. La Commission fait valoir que la réduction accordée à ce titre n'aurait pas été nécessairement supérieure à celle qui a été consentie en l'espèce au titre du point D de ladite communication, à savoir 50 %.

145.
    Il y a lieu, toutefois, de relever que les renseignements fournis par Sewon ont été déterminants pour constater l'existence d'une infraction entre 1990 et 1992 et, donc, pour la fixation de la durée de l'entente, ce qui justifie le bénéfice d'une réduction de 60 % du montant de l'amende.

Sur la méthode de calcul et le montant final de l'amende

146.
    Dans la Décision, la Commission a reconnu aux requérantes le bénéfice de deux circonstances atténuantes, l'une, au titre du rôle passif de Sewon en 1995 à propos des quotas de vente, entraînant une réduction de 20 % de la majoration appliquée à cette entreprise au titre de la durée de l'infraction (considérant 365), l'autre, en considération de la cessation de l'infraction dès les premières interventions d'une autorité publique (considérant 384), justifiant une minoration de 10 % appliquée au résultat de la première réduction susvisée.

147.
    Force est de constater que la Commission n'a pas, dans les deux cas de figure précités et à l'inverse de ce qui a été fait pour Cheil, appliqué les réductions octroyées au titre des circonstances atténuantes au montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction.

148.
    Par question écrite notifiée à la Commission le 7 février 2002, le Tribunal a invité cette dernière à, notamment, préciser et justifier sa méthode de calcul du montant des amendes.

149.
    Dans sa réponse datée du 27 février 2002, la Commission a indiqué que le juste moyen de calculer les majorations et les réductions destinées à tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes consiste à appliquer un pourcentage au montant de base de l'amende. Elle a également reconnu ne pas avoir systématiquement suivi cette méthode de calcul dans le cadre de sa Décision, s'agissant plus particulièrement de la situation d'Ajinomoto et d'ADM.

150.
    Lors de l'audience, les requérantes ont indiqué n'avoir aucune objection à formuler au sujet de la méthode de calcul du montant des amendes avancée par la Commission.

151.
    Dans ce contexte, il importe de souligner que, selon les lignes directrices, la Commission, après avoir déterminé le montant de base de l'amende en considération de la gravité et de la durée de l'infraction, procède à une augmentation et/ou à une diminution dudit montant au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes.

152.
    Eu égard au libellé des lignes directrices, le Tribunal estime que les pourcentages correspondant aux augmentations ou aux réductions, retenus au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes, doivent être appliqués au montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, et non au montant d'une majoration précédemment appliquée au titre de la durée de l'infraction ou au résultat de la mise en oeuvre d'une première majoration ou réduction au titre d'une circonstance aggravante ou atténuante. Ainsi que la Commission l'a souligné à juste titre dans sa réponse à la question écrite du Tribunal, la méthode de calcul du montant des amendes décrite ci-dessus se déduit du libellé des lignes directrices et permet de garantir une égalité de traitement entre différentes entreprises participant à un même cartel.

153.
    Il convient de rappeler que, dans le cadre de l'analyse du comportement de Sewon à l'égard des accords sur les volumes de vente, le Tribunal a estimé (point 111 ci-dessus) que cette dernière s'est en réalité soustraite à l'application desdits accords pour la période allant de janvier à juin 1995. Après avoir constaté que la réduction octroyée par la Commission au titre du rôle passif de Sewon à propos des quotas de vente et celle revendiquée par les requérantes pour la non-exécution des accords reposaient sur les mêmes faits, le Tribunal a considéré (point 113 ci-dessus) comme pleinement appropriée, dans son amplitude, la réduction de 20 % de la majoration qui avait été appliquée au titre de la durée de l'infraction. Or, cette dernière réduction équivaut à une réduction de 5,71 % du montant de base de l'amende (21 millions d'euros).

154.
    En outre, il y a lieu de relever que la réduction de 10 % octroyée par la Commission au titre de la cessation de l'infraction dès les premières interventions d'une autorité publique et appliquée au résultat de la mise en oeuvre de la première réduction retenue au titre du rôle passif de Sewon, soit sur un montant de 19,8 millions d'euros, équivaut à une minoration d'environ 9,43 % du montant de base, laquelle est effectivement appropriée dans son amplitude.

155.
    Dans ces circonstances, le Tribunal considère, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, qu'il y a lieu d'ajouter à la réduction de 5,71 % celle de 9,43 % visée au point ci-dessus, soit une réduction globale de 15,14 % au titre des circonstances atténuantes devant être appliquée au montant de base de l'amende, ce qui se traduit par une amende d'un montant de 17 820 600 euros avant application des dispositions de la communication sur la coopération.

156.
    Pour les raisons exposées ci-dessus, il convient d'accorder aux requérantes une minoration de 60 % du montant de 17 820 600 euros au titre du point C de la communication sur la coopération, ce qui équivaut à une réduction de 10 692 360 euros. En conséquence, le montant final de l'amende infligée aux requérantes doit être fixé à 7 128 240 euros.

Sur les dépens

157.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l'espèce, il y a lieu de condamner les requérantes à supporter leurs propres dépens ainsi que, solidairement, les deux tiers de ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

déclare et arrête:

1)    Le montant de l'amende infligée, solidairement, à Daesang Corp. et à Sewon Europe GmbH est fixé à 7 128 240 euros.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    Daesang Corp. et Sewon Europe GmbH sont condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que, solidairement, les deux tiers de ceux de la Commission. La Commission supportera un tiers de ses propres dépens.

Vilaras
Tiili
Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Vilaras

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

     Procédure et conclusions des parties

II - 6

     En droit

II - 7

         Sur le chiffre d'affaires pris en compte au titre de la gravité de l'infraction

II - 7

             Arguments des parties

II - 7

                 - Sur la violation du principe de proportionnalité

II - 7

                 - Sur la prise en compte d'un chiffre d'affaires erroné et sur la violation du principe d'égalité de traitement

II - 8

             Appréciation du Tribunal

II - 9

                 - Sur la violation du principe de proportionnalité

II - 9

                 - Sur la violation du principe d'égalité de traitement

II - 15

         Sur les circonstances atténuantes

II - 18

             Arguments des parties

II - 18

             Appréciation du Tribunal

II - 19

         Sur la coopération de Sewon durant la procédure administrative

II - 24

             Arguments des parties

II - 24

             Appréciation du Tribunal

II - 25

     Sur la méthode de calcul et le montant final de l'amende

II - 30

     Sur les dépens

II - 32


1: Langue de procédure: l'anglais.