ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
9 juillet 1997(1)
[234s«Fonctionnaires Maladie professionnelle Commission médicale Base de
calcul de l'indemnité prévue à l'article 73, paragraphe 2, du statut»[s
Dans l'affaire T-4/96,
S,
partie requérante,
contre
Cour de justice des Communautés européennes, représentée par M. Timothy
Millett, conseiller juridique pour les affaires administratives, en qualité d'agent,
ayant élu domicile auprès de ce dernier, au siège de la Cour de justice, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet, en premier lieu, une demande d'annulation de la décision de la
Cour de justice du 11 avril 1995, dans la mesure où elle retient un taux d'invalidité
de 6 % pour le calcul de l'indemnité prévue à l'article 73 du statut des
fonctionnaires des Communautés européennes, en second lieu, une demande de
reconnaissance du droit de la requérante à ladite indemnité calculée sur la base
d'un taux d'invalidité de 30 % et, en troisième lieu, une demande d'intérêts
compensatoires,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),
composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh, M. J. D. Cooke, juges,
greffier: M. A. Mair, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 5 mars 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige
- La requérante est entrée au service de la Cour de justice en (...).
(2)
- Peu de temps après son entrée en fonctions, elle est tombée malade et a été
contrainte de suspendre son service. Le (...), la commission d'invalidité prévue par
l'article 13 de l'annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés
européennes (ci-après «statut») a reconnu qu'elle était atteinte d'une invalidité
permanente totale la mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions
correspondant à un emploi de sa carrière. Le (...), l'autorité investie du pouvoir de
nomination (ci-après «AIPN») a décidé de la mettre d'office à la retraite et de
l'admettre au bénéfice d'une pension d'invalidité au titre de l'article 78 du statut.
- Suite à un rapport favorable établi par la commission d'invalidité le (...), la
requérante a repris ses fonctions auprès de la Cour de justice le (...). Néanmoins,
le (...), elle est à nouveau tombée malade et a définitivement cessé ses activités.
- Ensuite, deux procédures ont été mises en oeuvre, parallèlement et
indépendamment, au sein de la Cour de justice.
- La première procédure a été déclenchée à l'initiative de la Cour de justice sur la
base des articles 53, 59 et 78 du statut. Le (...), le président de la Cour a décidé de
soumettre le cas de la requérante à l'examen d'une commission d'invalidité, qui,
une nouvelle fois, a reconnu qu'elle était atteinte d'une invalidité permanente et
totale au sens de l'article 78. Le (...), l'AIPN a décidé de la remettre d'office à la
retraite et de l'admettre, à nouveau, au bénéfice d'une pension d'invalidité au titre
de l'article 78. Il ressort du dossier que, dans le cadre de cette procédure, la
commission d'invalidité ne s'est pas prononcée sur la question de l'origine
professionnelle de la maladie de la requérante (annexe 2 à la réplique).
- Cette procédure n'est pas en cause dans le présent litige.
- La seconde procédure a été déclenchée à l'initiative de la requérante sur la base
de l'article 73 du statut. Estimant que les troubles physiques et psychologiques dont
elle souffrait résultaient de ses conditions de travail, elle a introduit, par une lettre
du 18 décembre 1989, une demande de reconnaissance de l'origine professionnelle
de sa maladie.
- Suite à cette demande, le médecin désigné par la Cour de justice, le Dr De
Meersman, a conclu, dans un rapport médical du 4 décembre 1990, que la maladie
de la requérante ne constituait pas une «maladie professionnelle [...] ou [...]
l'aggravation professionnelle d'une maladie préexistante». Sur la base de ce rapport
et en application de l'article 21, premier alinéa, de la réglementation relative à la
couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires
des Communautés européennes (ci-après «réglementation»), l'AIPN a notifié à la
requérante, le 20 février 1991, un projet de décision rejetant sa demande de
reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie.
- Par lettre du 17 avril 1991, la requérante a demandé la saisine d'une commission
médicale conformément à l'article 21, second alinéa, de la réglementation. Cette
commission médicale a rendu deux rapports.
- Dans son premier rapport, du 3 mars 1993, elle a conclu que «l'état anxio-dépressif
présenté par Mme S s'[était] développé à l'occasion de son travail; mais que sa
personnalité pathologique [était] à 50 % à l'origine de sa pathologie médicale,
30 % [étaient] dus aux événements de vie et 20 % [étaient] dus à son travail».
Cette commission a précisé que «[l]'exercice de la profession n'[était] pas la cause
essentielle, ni prépondérante de la maladie dont souffr[ait] Mme S».
- Estimant ne pas être en mesure de prendre sa décision sur la base de ce rapport,
l'AIPN a demandé, par lettre du 20 juin 1994, que la commission médicale réponde
à cinq questions complémentaires, à savoir:
«1) fixer le taux d'invalidité permanente dont reste atteinte Mme S;
2) préciser si l'intéressée était atteinte d'une maladie préexistante à son entrée
en fonctions dans les Communautés européennes;
3) dans la négative, dire s'il est suffisamment établi qu'il existe un rapport
direct entre la maladie et l'exercice de l'activité professionnelle de Mme S
auprès des Communautés;
4) dans l'affirmative, dire s'il est suffisamment établi que la maladie a été
aggravée et qu'il existe un rapport direct entre cette aggravation éventuelle
et l'exercice de l'activité professionnelle de l'intéressée auprès des
Communautés;
5) fixer, s'il y a lieu, le taux d'invalidité résultant de cette éventuelle
aggravation.»
- Dans un second rapport, du 12 janvier 1995, la Commission médicale a répondu
aux cinq questions complémentaires de l'AIPN de la manière suivante:
«1) à la première question: le taux d'invalidité permanente dont reste atteinte
Mme S s'élève à 30 %;
2) à la deuxième question: Mme S n'était pas atteinte d'une maladie
préexistante à son entrée en fonction dans les Communautés européennes;
3) à la troisième question: le rapport direct entre l'exercice de l'activité
professionnelle de Mme S auprès des Communautés et la maladie est évalué
à 20 %. C'est-à-dire que sur une échelle de 100, l'exercice des activités
professionnelles est en cause pour 20 %, la personnalité pathologique pour
50 % et les événements de vie pour 30 %;
4) et 5) aux quatrième et cinquième questions: eu égard à la réponse
donnée à la troisième question, il n'y a pas lieu de répondre.»
- Sur la base de ce second rapport, l'AIPN a adopté, le 11 avril 1995, la décision
suivante:
«1) Conformément aux dispositions de l'article 3, paragraphe 2, de la
[réglementation], il est reconnu à Mme S une invalidité permanente partielle
de 30 % qui trouve son origine à l'occasion de l'exercice des fonctions au
service de la Cour de justice des Communautés européennes à raison de
20 %.
2) Mme S percevra une indemnité de 1 094 745 [BFR], calculée sur la base de
6 % (30 % x 20 %) et tenant compte du total des traitements de base des
douze mois précédant la date du certificat médical du (...) faisant état d'une
maladie due à des conditions de travail, soit: traitement de base mensuel,
190 060 [BFR] x 12 mois x 8 x 6 %.»
- Cette décision constitue la décision attaquée.
- Le 5 juillet 1995, la requérante a introduit une réclamation au titre de l'article 90
du statut contre cette décision. Sa réclamation a été rejetée par une décision du
comité chargé des réclamations de la Cour de justice du 2 octobre 1995, notifiée
à la requérante le 16 octobre 1995.
Procédure et conclusions des parties
- C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 15
janvier 1996, la requérante a introduit le présent recours. Sur rapport du juge
rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale
sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions posées par le Tribunal à l'audience du 5 mars 1997.
- Dans sa requête, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision de la Cour de justice, en sa qualité d'AIPN, du 11 avril
1995 dans la mesure où elle retient un taux d'invalidité de 6 % pour le
calcul de l'indemnité visée par l'article 73 du statut;
- reconnaître le droit de la requérante à l'indemnité prévue à l'article 73 du
statut calculée sur la base d'un taux d'invalidité de 30 %;
- pour autant que de besoin, annuler la décision de rejet de la réclamation de
la requérante du 2 octobre 1995 et
- condamner la défenderesse à l'ensemble des dépens.
- Dans son mémoire en réplique, la requérante conclut, en outre, à ce qu'il plaise au
Tribunal:
- condamner la défenderesse au paiement d'une somme évaluée, sous toutes
réserves, à 1 973 541 BFR à titre d'intérêts, calculés à un taux de 8 %, sur
l'indemnité à laquelle la requérante peut prétendre en vertu de l'article 73
du statut, pour la période du 18 décembre 1989 au 20 juin 1994.
- Dans son mémoire en défense, la défenderesse conclut à ce qu'il plaise au
Tribunal:
- rejeter le recours comme non fondé et
- condamner la requérante à supporter ses propres dépens.
- Dans son mémoire en duplique, la défenderesse conclut, en outre, à ce qu'il plaise
au Tribunal:
- rejeter comme irrecevable la demande, introduite pour la première fois par
la requérante dans son mémoire en réplique, visant à obtenir la
condamnation de la défenderesse au paiement d'une somme évaluée à
1 973 541 BFR à titre d'intérêts et
- en tout état de cause, rejeter le recours comme non fondé.
Sur la demande visant à faire reconnaître le droit de la requérante à l'indemnité
prévue à l'article 73 du statut, calculée sur la base d'un taux d'invalidité de 30 %
- Dans ses conclusions, la requérante demande au Tribunal de reconnaître son droit
à l'indemnité d'invalidité prévue par l'article 73 du statut, calculée sur la base d'un
taux d'invalidité de 30 %. Il y a lieu de constater que cette demande revient à
inviter le Tribunal à enjoindre à la défenderesse de calculer l'indemnité précitée
sur la base d'un taux déterminé. Or, le juge communautaire, sous peine d'empiéter
sur les prérogatives de l'AIPN, n'a pas compétence pour adresser des injonctions
à une institution communautaire (arrêts du Tribunal du 13 juillet 1993,
Moat/Commission, T-20/92, Rec. p. II-799, point 36, et du 8 juin 1995,
Allo/Commission, T-496/93, RecFP p. II-405, points 32 et 33).
- Il s'ensuit que cette demande est irrecevable.
Sur la demande visant à faire écarter partiellement une pièce des débats
- La requérante fait observer que, en annexe 4 à sa défense, la défenderesse a
produit l'intégralité du rapport médical établi le 4 décembre 1990 par le Dr De
Meersman (voir point ci-dessus). Ce rapport serait protégé par le secret médical,
de sorte que la défenderesse n'aurait pu le produire sans son autorisation
préalable. Par ailleurs, seules les conclusions de ce rapport, à l'exclusion du texte
intégral, présenteraient un intérêt pour le présent litige. En conséquence, larequérante demande que ce rapport soit écarté des débats, à l'exception de ses
conclusions.
- Le Tribunal estime que, en l'espèce, il y a lieu de réserver sa décision sur cette
demande tant que l'examen des moyens et arguments des parties n'implique pas
la prise en considération de ce rapport.
Sur les conclusions en annulation
- A l'appui de son recours, la requérante invoque quatre moyens:
- illégalité des rapports de la commission médicale;
- violation de l'obligation de motivation;
- violation de l'article 73 du statut, des articles 3, paragraphe 2, et 12,
paragraphe 2, de la réglementation et du barème des taux d'invalidité
annexé à la réglementation (ci-après «barème des taux d'invalidité»);
- violation du principe d'égalité.
- Avant de présenter l'argumentation développée par les parties, il convient de
rappeler les dispositions qui constituent le cadre juridique du présent litige.
- L'article 73 du statut fait partie des dispositions relatives à la sécurité sociale. Son
paragraphe 1er dispose, notamment, que le fonctionnaire est couvert, dès le jour de
son entrée en service, contre les risques de maladie professionnelle. Son
paragraphe 2 garantit certaines prestations en cas de décès, d'invalidité permanente
totale et d'invalidité permanente partielle causés par une maladie professionnelle.
- Selon l'article 73, paragraphe 2, sous b), le fonctionnaire a droit, en cas d'invalidité
permanente totale, au paiement d'un capital égal à huit fois son traitement de base
annuel calculé sur la base des traitements mensuels alloués pour les douze mois
précédant l'accident. Selon l'article 73, paragraphe 2, sous c), le fonctionnaire a
droit, en cas d'invalidité permanente partielle, au paiement d'une partie de
l'indemnité prévue sous b), calculée sur la base du barème des taux d'invalidité.
- Les conditions d'application de l'article 73 du statut sont fixées par la
réglementation.
- L'article 3 de la réglementation définit la notion de maladie professionnelle de la
manière suivante:
«1. Sont considérées comme maladies professionnelles les maladies qui figurent à
la 'liste européenne des maladies professionnelles annexée à la recommandation
de la Commission du 22 mai 1990 [JO L 160, p. 39] et à ses compléments
éventuels, dans la mesure où le fonctionnaire a été exposé, dans son activité
professionnelle auprès des Communautés européennes, aux risques de contracter
ces maladies.
2. Est également considérée comme maladie professionnelle toute maladie ou
aggravation d'une maladie préexistante ne figurant pas à la liste visée au
paragraphe 1, lorsqu'il est suffisamment établi qu'elle trouve son origine dans
l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions au service des Communautés.»
- L'article 12 confirme les prestations garanties par l'article 73, paragraphe 2, sous
b) et c), du statut dans les termes suivants:
«1. En cas d'invalidité permanente totale du fonctionnaire résultant [...] d'une
maladie professionnelle, le capital prévu à l'article 73 paragraphe 2, [sous] b), du
statut lui est versé.
2. En cas d'invalidité permanente partielle du fonctionnaire résultant [...] d'une
maladie professionnelle, le capital déterminé en fonction des taux prévus au
barème [des taux] d'invalidité figurant en annexe lui est versé.»
- Le barème des taux d'invalidité fixe, en pourcentage précis, le taux de différents
types d'invalidités permanentes dont peuvent être atteints les fonctionnaires. Il
dispose également que, pour les cas d'invalidité non prévus par le barème, le degré
d'invalidité du fonctionnaire est déterminé par analogie avec les taux qu'il prévoit.
- L'article 19 de la réglementation dispose que les décisions relatives à la
reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie ainsi qu'à la fixation du
degré d'invalidité permanente sont prises par l'AIPN sur la base des conclusions
émises par le ou les médecins désignés par les institutions et, si le fonctionnaire le
requiert, après consultation de la commission médicale. L'article 23, paragraphe 1,
prévoit que cette commission est composée de trois médecins: le premier est
désigné par l'AIPN, le deuxième, par le fonctionnaire concerné, et le troisième, du
commun accord des deux premiers. Au terme de ses travaux, la commission
médicale consigne ses conclusions dans un rapport qui est adressé à l'AIPN et au
fonctionnaire.
Sur le premier moyen, tiré de l'illégalité des rapports de la commission médicale
Arguments des parties
- La requérante fait valoir que les rapports de la commission médicale des 3 mars
1993 et 12 janvier 1995 sont entachés d'une double illégalité.
- D'une part, en procédant à la ventilation, en pourcentage précis, de l'importance
des différentes causes de sa maladie, la commission médicale aurait outrepassé les
limites du mandat que l'AIPN lui avait confié. En effet, par la troisième question
de sa lettre du 20 juin 1994, l'AIPN lui avait demandé de «dire s'il [était]
suffisamment établi qu'il existe un rapport direct entre la maladie et l'exercice de
l'activité professionnelle de Mme S auprès des Communautés». En répondant à
cette question par l'affirmative dans son rapport du 12 janvier 1995, la commission
médicale aurait épuisé sa mission, de sorte qu'il ne lui appartenait pas de procéder
à une ventilation que l'AIPN n'avait pas sollicitée.
- D'autre part, cette ventilation ne serait ni prévue ni requise par l'article 73 du
statut, les articles 3, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, de la réglementation et le
barème des taux d'invalidité. A cet égard, la requérante se réfère aux arguments
invoqués à l'appui de son troisième moyen. La commission médicale aurait ainsi
méconnu les notions de maladie professionnelle et de taux d'invalidité prévues par
ces dispositions, de sorte que ses conclusions seraient illégales (arrêts de la Cour
du 26 janvier 1984, Seiler e.a./Conseil, 189/82, Rec. p. 229, et du 10 décembre 1987,
Jänsch/Commission, 277/84, Rec. p. 4923).
- La défenderesse fait notamment valoir que la requérante adopte une conception
trop rigide et formaliste de la notion de «mandat» de la commission médicale.
Appréciation du Tribunal
- Le Tribunal estime que le contenu de la mission de la commission médicale doit
être examiné à la lumière des articles 19 et 23 de la réglementation.
- Selon une jurisprudence constante, ces dispositions ont pour but de confier à des
experts médicaux l'appréciation de l'ensemble des questions médicales présentant
une pertinence dans le fonctionnement du régime d'assurance organisé par la
réglementation. Elles traduisent l'intention d'aboutir, en cas de litige, à un arbitrage
définitif de toutes les questions d'ordre médical (voir, par exemple, les arrêts de la
Cour du 21 mai 1981, Morbelli/Commission, 156/80, Rec. p. 1357, points 18 et 20,
du 29 novembre 1984, Suss/Commission, 265/83, Rec. p. 4029, point 11, et du 4
octobre 1991, Commission/Gill, C-185/90 P, Rec. p. I-4779, point 24).
- Il résulte de cette jurisprudence que la commission médicale est investie d'une large
mission, consistant à fournir à l'AIPN toutes les appréciations médicales nécessaires
à l'adoption de sa décision relative à la reconnaissance de l'origine professionnelle
de la maladie du fonctionnaire ainsi qu'à la fixation du degré de son invalidité
permanente.
- Dans un souci d'efficacité, il est toutefois souhaitable que, lorsqu'elle saisit la
commission médicale, l'AIPN indique, par un mandat clair et précis, les points sur
lesquels elle cherche à obtenir des appréciations médicales définitives. Par ailleurs,
lorsqu'elle reçoit un rapport de la commission médicale, l'AIPN peut, par un
mandat complémentaire, préciser ses questions ou en soulever de nouvelles afin
d'obtenir toutes les appréciations souhaitées (voir, en ce sens, l'arrêt du Tribunal
du 23 novembre 1995, Benecos/Commission, T-64/94, RecFP p. II-769, points 46
et 58). Dans ces cas, la commission médicale est évidemment tenue de répondre,
de manière claire et précise, aux questions posées par l'AIPN. Toutefois, ces
mandats ne sauraient avoir pour effet d'empêcher la commission médicale de
communiquer à l'AIPN des constatations médicales supplémentaires, susceptibles
d'éclairer sa décision.
- En l'espèce, la commission médicale a conclu, dans ses rapports des 3 mars 1993
et 12 janvier 1995, que trois facteurs avaient contribué à l'émergence de la maladie
de la requérante. Elle a également procédé à une évaluation, en pourcentage
précis, de l'importance de ces facteurs.
- Le Tribunal estime que, même en l'absence d'un mandat requérant expressément
une telle évaluation, la commission médicale était habilitée, conformément à la
mission qui lui incombe en vertu des articles 19 et 23 de la réglementation, à
informer l'AIPN de cette constatation.
- Quant à l'argument selon lequel la ventilation litigieuse ne serait ni prévue ni
requise par l'article 73 du statut, les articles 3, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2,
de la réglementation et le barème des taux d'invalidité, le Tribunal considère qu'il
concerne le troisième moyen de la requérante. Il sera donc examiné dans le cadre
dudit moyen.
- Il s'ensuit que le premier moyen de la requérante n'est pas fondé.
Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation
Arguments des parties
- La requérante fait valoir que les rapports de la commission médicale des 3 mars
1993 et 12 janvier 1995 sont entachés de défauts de motivation. Ils n'établiraient
pas de lien compréhensible entre les constatations médicales qu'ils contiennent et
les conclusions auxquelles ils arrivent (arrêt du Tribunal du 12 juillet 1990,
Vidrányi/Commission, T-154/89, Rec. p. II-445, point 48).
- En effet, ces rapports ne préciseraient pas les raisons pour lesquelles, après avoir
constaté l'existence d'un rapport suffisamment direct entre les activités
professionnelles et la maladie de la requérante constatation suffisante pour
conclure à l'existence d'une maladie professionnelle (voir point ci-après) la
commission médicale a poursuivi ses travaux et a conclu que ladite maladie était
due, pour 20 %, aux activités professionnelles de la requérante, pour 30 %, à ses
événements de vie et, pour 50 %, à sa personnalité pathologique. En outre, les
constatations contenues dans ces rapports n'expliqueraient ni la méthode sur la
base de laquelle la commission médicale a procédé à la ventilation susvisée, ni la
quantification des trois causes de sa maladie, ni la signification des termes
«événements de vie» et «personnalité pathologique».
- Dans la mesure où elle se fonderait sur des rapports médicaux qui sont entachés
de défauts de motivation, la décision de l'AIPN du 11 avril 1995 serait entachée des
mêmes illégalités et devrait, par suite, être annulée.
- La défenderesse conteste la recevabilité du présent moyen au motif que la
requérante ne l'a pas invoqué dans sa réclamation (arrêts du Tribunal du 27
novembre 1990, Kobor/Commission, T-7/90, Rec. p. II-721, points 34 à 36, du 12
mars 1996, Weir/Commission, T-361/94, RecFP p. II-381, points 27 à 34, du 6 juin
1996, Baiwir/Commission, T-262/94, RecFP p. II-739, points 40, 41 et 42, et du 11
juin 1996, Anacoreta Correia/Commission, T-118/95, RecFP p. II-835, point 43).
- En tout état de cause, les rapports des 3 mars 1993 et 12 janvier 1995 seraient
suffisamment motivés.
Appréciation du Tribunal
- Sur la recevabilité du moyen
- Sans qu'il soit nécessaire de déterminer si, dans sa réclamation, la requérante a
invoqué le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation, le Tribunal
estime que celui-ci doit, en tout état de cause, être déclaré recevable.
- En effet, selon une jurisprudence constante, le moyen tiré du défaut de motivation
d'un acte d'une institution constitue un moyen d'ordre public qui, en tant que tel,
peut, en tout état de cause, être examiné d'office par le juge communautaire (voir
notamment les arrêts de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18/57,
Rec. p. 89, du 1er juillet 1986, Usinor/Commission, 185/85, Rec. p. 2079, point 19,
et du 20 février 1997, Commission/Daffix, C-166/95 P, non encore publié au
Recueil, point 24, ainsi que l'arrêt du Tribunal du 27 février 1997, FFSA
e.a./Commission, T-106/95, non encore publié au Recueil, point 62). Il s'ensuit
qu'aucun requérant ne saurait être forclos à se prévaloir de ce moyen au seul motif
qu'il ne l'a pas soulevé dans sa réclamation (arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994,
Grynberg et Hall/Commission, T-534/93, RecFP p. II-595, point 59, et arrêt de la
Cour Commission/Daffix, précité, point 25).
- Sur le bien-fondé du moyen
- Il y a lieu de rappeler que les appréciations médicales proprement dites formulées
par la commission médicale doivent être considérées comme définitives lorsqu'elles
ont été émises dans des conditions régulières (arrêts de la Cour Suss/Commission,précité, points 9 à 15, et du 19 janvier 1988, Biedermann/Cour des comptes, 2/87,
Rec. p. 143, point 8; arrêts du Tribunal Vidrányi/Commission, précité, point 48, du
26 septembre 1990, F./Commission, T-122/89, Rec. p. II-517, point 16, et du 14
janvier 1993, F./Commission, T-88/91, Rec. p. II-13, point 39) et que le contrôle
juridictionnel ne peut s'exercer que sur la régularité de la constitution et du
fonctionnement d'une telle commission (arrêts Morbelli/Commission, précité, points
18 et 20, Suss/Commission, précité, point 11, Biedermann/Cour des comptes,
précité, point 8, et Commission/Gill, précité, point 24) ainsi que sur la régularité
des avis qu'elle émet. Il s'ensuit que le Tribunal est compétent pour examiner si
l'avis contient une motivation permettant d'apprécier les considérations sur
lesquelles sont basées les conclusions qu'il contient (arrêt de la Cour du 12 janvier
1983, K./Conseil, 257/81, Rec. p. 1, point 17) et s'il a établi un lien compréhensible
entre les constatations médicales qu'il comporte et les conclusions auxquelles arrive
la commission médicale (arrêt Jänsch/Commission, précité, point 15, et arrêts du
Tribunal du 27 février 1992, Plug/Commission, T-165/89, Rec. p. II-367, point 75,
et du 30 mai 1995, Saby/Commission, T-556/93, RecFP p. II-375, point 35).
- C'est à la lumière de ces principes qu'il convient d'examiner s'il existe, en l'espèce,
un «lien compréhensible» entre les constatations médicales émises par la
commission médicale et les conclusions auxquelles celle-ci est parvenue.
- Le Tribunal constate que le rapport de la commission médicale du 3 mars 1993
décrit, de manière détaillée, les nombreux examens médicaux subis par la
requérante. La commission médicale a interrogé la requérante à diverses reprises
et a tenu compte de ses notes, remarques et commentaires. Elle a étudié
l'ensemble de son dossier ainsi que ses antécédents médicaux. Ainsi, elle a pu
constater, entre autres, que la requérante avait déjà connu deux épisodes dépressifs
en (...) et en (...); qu'elle était d'un «naturel scrupuleux et perfectionniste»; qu'elle
«ne [...] support[ait pas] la sommation de stress à son travail»; qu'elle était en état
de «sevrage médicamenteux total»; et que son anxiété résultait d'une «anticipation
créative (voire catastrophique) de l'avenir».
- Le Tribunal estime que l'ensemble de ces éléments indique à suffisance les raisons
pour lesquelles la commission médicale a pu identifier et évaluer l'importance des
différentes causes de la maladie de la requérante. A cet égard, il convient de
préciser que, pour émettre leurs conclusions, les experts composant la commission
médicale se fondent non seulement sur des éléments objectifs, tels que ceux
précités, mais également sur l'expérience qu'ils ont acquise dans le domaine
concerné. Or, malgré l'importance que revêt cette expérience, elle ne saurait
constituer un élément susceptible d'être motivé.
- En conséquence, il y a lieu de rejeter l'argument selon lequel les rapports litigieux
n'expliqueraient ni les raisons ni la méthode relatives à la ventilation des trois
causes de la maladie de la requérante.
- S'agissant de la signification précise des termes «événements de vie» et
«personnalité pathologique», le Tribunal rappelle que la tâche de la commission
médicale se limite à émettre des avis de nature purement scientifique, à l'exclusion
de toute appréciation d'ordre juridique (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 21
janvier 1987, Rienzi/Commission, 76/84, Rec. p. 315, points 9 à 12, et l'arrêt du 26
septembre 1990, F./Commission, précité, point 15). En l'espèce, le Tribunal estime
que la signification des termes «événements de vie» et «personnalité
pathologique» ressort non seulement du sens commun des mots mais également
des constatations médicales relatives, entre autres, à la personnalité et aux
antécédents de la requérante.
- En conséquence, il y a lieu de constater que les rapports de la commission
médicale établissent un lien compréhensible entre les constatations médicales qu'ils
comportent et les conclusions auxquelles ils arrivent.
- Il s'ensuit que le deuxième moyen de la requérante n'est pas fondé.
Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'article 73 du statut, des articles 3,
paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, de la réglementation et du barème des taux
d'invalidité
Arguments des parties
- La requérante expose que la procédure prévue par l'article 73 du statut, les articles
3, paragraphe 2, et 12, paragraphe 2, de la réglementation et le barème des taux
d'invalidité comporte deux étapes distinctes.
- La première étape consisterait à déterminer si la maladie du fonctionnaire
constitue une maladie professionnelle au sens de l'article 3, paragraphe 2, de la
réglementation. Pour ce faire, l'AIPN et, le cas échéant, la commission médicale
devraient vérifier s'il est suffisamment établi que la maladie du fonctionnaire trouve
son origine dans, ou à l'occasion de, l'exercice de ses fonctions au service des
Communautés européennes. Dès que le lien de causalité entre sa maladie et ses
activités professionnelles est établi, le fonctionnaire aurait droit à l'indemnité
d'invalidité prévue par l'article 73, paragraphe 2, du statut.
- Pour établir ce lien de causalité, aucune disposition n'exigerait que l'exercice des
fonctions soit la cause unique, essentielle ou prépondérante de la maladie du
fonctionnaire. Au contraire, selon l'arrêt Plug/Commission, précité (point 81), ce
lien de causalité serait établi dès que l'état pathologique du fonctionnaire présente
un rapport suffisamment direct avec les fonctions qu'il a exercées. A cet égard,
l'arrêt Seiler e.a./Conseil, précité, invoqué par la défenderesse au point ci-après,
ne serait pas pertinent. D'une part, il serait strictement limité à l'interprétation de
la notion de maladie professionnelle dans le cas de l'aggravation d'une maladie
préexistante. D'autre part, il aurait été rendu antérieurement à, et donc rejeté par,
l'arrêt Plug/Commission.
- En tout état de cause, il serait suffisamment établi, en l'espèce, que la maladie de
la requérante constitue une maladie professionnelle. Tant dans son rapport du 3
mars 1993 que dans celui du 12 janvier 1995, la commission médicale aurait
constaté l'existence d'un rapport direct entre sa maladie et l'exercice de ses
fonctions auprès des Communautés.
- La seconde étape de la procédure consisterait à déterminer le taux d'invalidité
permanente dont est atteint le fonctionnaire et à calculer, sur la base de ce taux,
le montant de l'indemnité d'invalidité qui lui sera versée au titre de l'article 73,
paragraphe 2, du statut.
- A cet égard, la requérante rappelle que, aux termes de l'article 73, paragraphe 2,
sous c), le fonctionnaire atteint d'une invalidité permanente partielle a droit au
paiement d'une fraction de l'indemnité d'invalidité prévue en cas d'invalidité
permanente totale, que, selon, l'article 12, paragraphe 2, de la réglementation, cette
fraction est déterminée en fonction du taux d'invalidité du fonctionnaire et que ce
taux est fixé sur la base du, ou par analogie avec, le barème des taux d'invalidité
(arrêt de la Cour du 2 octobre 1979, B./Commission, 152/77, Rec. p. 2819).
- Il résulterait de cette procédure que le facteur relatif à l'exercice des activités
professionnelles interviendrait uniquement dans la première étape, pour vérifier
l'existence d'un rapport suffisamment direct entre la maladie du fonctionnaire et
l'exercice de ses fonctions au service des Communautés. En revanche, ce facteur
n'aurait aucune incidence dans la seconde étape. En effet, en cas d'invalidité
permanente partielle, la fraction du montant de l'indemnité prévue par l'article 73,
paragraphe 2, sous c), du statut devrait impérativement correspondre au taux
d'invalidité dont est atteint le fonctionnaire.
- En conséquence, le montant de l'indemnité d'invalidité de la requérante aurait dû
être calculé sur la base de l'entièreté de son taux d'invalidité, à savoir 30 %. Ce
montant devrait donc représenter 30 % de l'indemnité prévue en cas d'invalidité
permanente totale.
- Or, en l'espèce, l'AIPN aurait illégalement tenu compte du facteur professionnel
dans la seconde étape de la procédure. En effet, pour calculer le montant de son
indemnité d'invalidité, elle a multiplié son taux d'invalidité (30 %) par la seule
fraction correspondant aux causes professionnelles de sa maladie (20 %), en
excluant la fraction correspondant aux causes extra-professionnelles de cette
maladie, à savoir sa personnalité pathologique (50 %) et ses événements de vie
(30 %).
- La défenderesse aurait ainsi méconnu la procédure décrite ci-dessus et, partant,
violé les dispositions invoquées dans le présent moyen.
- En réponse aux arguments de la requérante, la défenderesse développe une thèse
principale et une thèse subsidiaire.
- A titre principal, elle fait valoir que le but du régime d'assurance prévu par l'article
73 du statut et la réglementation consisterait à indemniser les fonctionnaires dans
la mesure où leur maladie résulte de l'exercice de leurs fonctions au service des
Communautés. Dès lors, le montant maximal de l'indemnité qu'elle pouvait
accorder à la requérante en l'espèce devrait correspondre à la partie de son
invalidité permanente partielle (30 %) qui trouvait son origine dans l'exercice de
ses fonctions (20 %). Ce montant équivaudrait donc à 6 % (30 % x 20 %) de
l'indemnité prévue en cas d'invalidité permanente totale.
- A titre subsidiaire, pour le cas où les dispositions statutaires ne lui permettraient
pas de fractionner le montant de l'indemnité à verser à la requérante, la
défenderesse estime que celle-ci ne pourrait prétendre à aucune indemnité au titre
de l'article 73 du statut. En effet, dans cette hypothèse, la maladie de la requérante
ne constituerait pas une maladie professionnelle au sens de l'article 3, paragraphe
2, de la réglementation. A cet égard, elle se réfère à l'arrêt Seiler e.a./Conseil,
précité (point 19), dans lequel la Cour, selon elle, a jugé que, lorsque la maladie
d'un fonctionnaire trouve sa cause dans plusieurs facteurs tant professionnels
qu'extra-professionnels, l'AIPN et, le cas échéant, la commission médicale ne
peuvent conclure à l'existence d'une maladie professionnelle qu'à la condition que
l'exercice des fonctions au service des Communautés présente le «lien le plus
étroit» avec la maladie du fonctionnaire. Or, ce critère ne serait pas rempli en
l'espèce.
Appréciation du Tribunal
- A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre du régime d'assurance
contre les risques de maladie professionnelle institué par le statut, le droit au
bénéfice des prestations garanties par l'article 73, paragraphe 2, du statut n'est
ouvert aux fonctionnaires que s'il est préalablement établi que leur maladie
constitue une «maladie professionnelle» au sens de l'article 3 de la réglementation.
- Eu égard aux arguments avancés par les parties, le Tribunal estime opportun de
rappeler, tout d'abord, le contenu de la notion de «maladie professionnelle» visée
à l'article 3 de cette réglementation.
- Son paragraphe 1er dispose que les maladies figurant à la «liste européenne des
maladies professionnelles», citée au point ci-dessus, constituent des maladies
professionnelles «dans la mesure où le fonctionnaire a été exposé, dans son activité
professionnelle auprès des Communautés européennes, aux risques de contracter
ces maladies». Son paragraphe 2 prévoit qu'une maladie ne figurant pas à la liste
précitée constitue également une maladie professionnelle «lorsqu'il est
suffisamment établi qu'elle trouve son origine dans l'exercice ou à l'occasion de
l'exercice des fonctions au service des Communautés».
- Il ressort de cette disposition, ainsi que de la liste des invalidités visées par le
barème des taux d'invalidité, que la notion de maladie professionnelle vise à couvrir
un très large éventail de situations médicales.
- Ainsi, si la maladie du fonctionnaire trouve sa cause unique, essentielle,
prépondérante ou prédominante dans l'exercice de ses fonctions, elle constitue une
maladie professionnelle au sens de l'article 3, paragraphe 2, précité (voir, en ce
sens, arrêts Seiler e.a./Conseil, précité, point 19, et Benecos/Commission, précité,
point 46).
- Toutefois, cette disposition serait privée de son effet utile si la reconnaissance de
l'origine professionnelle de la maladie d'un fonctionnaire devait être limitée à cette
seule hypothèse. En effet, il existe des situations, plus complexes, où la maladie
d'un fonctionnaire trouve son origine dans plusieurs causes, professionnelles et
extra-professionnelles, physiques ou psychiques, qui ont, chacune, contribué à son
émergence. Dans ce cas, il appartient à la commission médicale de déterminer si
l'exercice des fonctions au service des Communautés quelque pourrait être, parailleurs, l'évaluation de l'importance de ce facteur par rapport aux facteurs extra-professionnels présente un rapport direct avec la maladie du fonctionnaire, par
exemple, en qualité d'élément déclencheur de cette maladie (voir, en ce sens, arrêts
K./Conseil, précité, point 20, Rienzi/Commission, précité, point 10, et
Plug/Commission, précité, point 81).
- En l'espèce, le Tribunal constate que, en décidant d'accorder à la requérante une
indemnité au titre de l'article 73, paragraphe 2, sous c), du statut, l'AIPN a reconnu
qu'elle était atteinte d'une maladie professionnelle au sens de l'article 3,
paragraphe 2, de la réglementation.
- En conséquence, il convient d'examiner si la méthode utilisée par l'AIPN pour
calculer le montant de cette indemnité est conforme à l'article 73, paragraphe 2,
du statut, à l'article 12 de la réglementation et au barème des taux d'invalidité.
- A cet égard, il y a lieu de tenir compte de la finalité et de la nature de ces
dispositions.
- D'une part, la couverture prévue par l'article 73 repose sur un régime général
d'assurance (arrêt de la Cour du 8 octobre 1986, Leussink-Brummelhuis/Commission, 169/83 et 136/84, Rec. p. 2801, point 11). Comme l'a
souligné à juste titre la défenderesse, le but de ce régime consiste, notamment, à
indemniser les fonctionnaires dans la mesure où la maladie qui a causé leur
invalidité permanente résulte de l'exercice de leurs fonctions au service des
Communautés.
- D'autre part, l'article 73, paragraphe 2, du statut, l'article 12 de la réglementation
et le barème des taux d'invalidité doivent, sous peine d'être privés de leur effet
utile, permettre de refléter, sur le plan de l'indemnisation des fonctionnaires,
l'éventail des différentes situations médicales couvertes par l'article 3, paragraphe 2.
- Par ailleurs, le Tribunal relève que cette appréciation est confirmée par le libellé
de l'article 3 de la réglementation et, en particulier, de son paragraphe 1er. En effet,
il ressort de cette disposition que la notion de «maladie professionnelle» est fondée
sur l'existence d'un lien entre, d'une part, l'état pathologique du fonctionnaire et,
d'autre part, l'exercice de ses fonctions au service des Communautés. D'ailleurs,
c'est uniquement «dans la mesure où» ce lien existe que la maladie peut être
considérée comme une maladie professionnelle.
- Il en résulte que, lorsque la commission médicale constate que plusieurs causes,
professionnelles et extra-professionnelles, ont, chacune, de manière directe,
contribué à l'émergence de la maladie d'un fonctionnaire, l'AIPN est tenue de
prendre en considération cette constatation médicale pour le calcul du montant de
l'indemnité prévue par l'article 73, paragraphe 2, du statut.
- En outre, il ne saurait être exclu que, sur la base des différents examens auxquels
elle a procédé ou de son expérience dans le domaine concerné, la commission
médicale estime qu'il lui est possible d'évaluer ou de quantifier, sous une forme ou
une autre, l'importance du rôle joué par l'exercice des fonctions dans l'émergence
de la maladie du fonctionnaire. Lorsqu'une telle évaluation ressort clairement et
précisément des conclusions de la commission médicale, l'AIPN est habilitée à la
refléter dans le calcul de l'indemnité précitée.
- En conséquence, c'est à bon droit que, sur la base de l'article 73 du statut et de la
réglementation, l'AIPN a décidé d'accorder à la requérante une indemnité
équivalente à 6 % de l'indemnité prévue en cas d'invalidité permanente totale.
- Il s'ensuit que le troisième moyen de la requérante n'est pas fondé.
Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation du principe d'égalité
Arguments des parties
- La défenderesse conteste la recevabilité du présent moyen au motif que la
requérante ne l'a pas invoqué dans sa réclamation du 5 juillet 1995.
- En réponse à cet argument, la requérante, citant, notamment, les arrêts de la Cour
du 30 octobre 1974, Grassi/Conseil (188/73, Rec. p. 1099), et du 1er juillet 1976,
Sergy/Commission (58/75, Rec. p. 1139), fait valoir que le présent moyen ne
modifie ni la cause ni l'objet de sa réclamation. En effet, il viserait à mettre en
cause la validité de la ventilation, par la commission médicale, des trois causes de
sa maladie. Or, dans sa réclamation, elle aurait déjà expressément critiqué cette
ventilation. Dans le présent recours, elle aurait simplement organisé cette critique
de manière différente, par la présentation d'un moyen spécifique, mais étroitement
lié au troisième moyen.
- Quant au fond, la requérante fait valoir que la méthode utilisée par l'AIPN pour
calculer le montant de son indemnité est contraire au principe d'égalité. Elle
invoque quatre arguments à l'appui de sa thèse.
- Premièrement, cette méthode aurait pour effet de rendre le montant de l'indemnité
prévue par l'article 73, paragraphe 2, sous c), du statut inversement proportionnel
à l'importance des causes extra-professionnelles de la maladie des fonctionnaires.
En effet, en cas de maladie professionnelle, les fonctionnaires qui auraient été
rendus plus vulnérables à certaines conditions de travail au sein des Communautés
par leur personnalité et leurs événements de vie ne percevraient, en raison de
l'exclusion des causes extra-professionnelles de leur maladie, qu'une indemnité
inférieure à celle que pourraient percevoir les fonctionnaires qui ne présentent pas
le même type de personnalité ou qui ne connaissent pas les mêmes expériences de
vie. Cette différence de traitement serait injustifiée. En effet, l'article 73 du statut
et la réglementation viseraient à accorder à tous les fonctionnaires une couverture
identique contre les risques de maladie professionnelle, sans égard à leur
personnalité ou à leurs expériences de vie.
- Deuxièmement, la méthode critiquée conduirait à faire varier, sans justification
objective, le montant de l'indemnité prévue par l'article 73, paragraphe 2, sous c),
du statut selon qu'il s'agit d'une maladie professionnelle ou de l'aggravation
«professionnelle» d'une maladie préexistante. En effet, dans le cas d'un
fonctionnaire qui, comme la requérante, serait atteint d'une maladie professionnelle
après son entrée en fonctions aux Communautés, le montant de l'indemnité ne
serait déterminé que sur la base de la seule partie du taux d'invalidité permanente
partielle qui trouverait son origine dans l'exercice de ses fonctions au service des
Communautés. En revanche, dans le cas d'un fonctionnaire qui, avant son entrée
en fonctions aux Communautés, serait atteint d'une maladie en raison de sa
personnalité pathologique et de ses événements de vie, et qui verrait sa maladie
préexistante s'aggraver à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le montant de son
indemnité serait calculé sur la base de l'entièreté du taux de son invalidité
permanente partielle, en ce compris la partie relative aux causes extra-professionnelles de cette invalidité (personnalité pathologique et événements de
vie).
- Troisièmement, ni le statut, ni la réglementation, ni l'AIPN, ni même la commission
médicale ne définirait la méthode selon laquelle la commission médicale doit
procéder à l'identification et à la ventilation des différents facteurs ayant contribué
à l'émergence de la maladie professionnelle dont peut être atteint un fonctionnaire.
Or, seule une détermination préalable de cette méthode permettrait d'éviter que
la commission médicale ne traite différemment des situations identiques ou
similaires.
- Quatrièmement, la ventilation, en pourcentage précis, des trois causes de la
maladie de la requérante présenterait un caractère particulièrement théorique.
Cette maladie constituerait le résultat d'une combinaison de facteurs intimement
liés, de sorte qu'il serait impossible de déterminer si, en l'absence d'un de ces
facteurs, la maladie de la requérante se serait développée.
Appréciation du Tribunal
- Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, la règle de la
concordance entre la réclamation et le recours exige, sous peine d'irrecevabilité,
qu'un moyen soulevé devant le juge communautaire l'ait déjà été dans le cadre de
la procédure précontentieuse, afin que l'AIPN ait été en mesure de connaître d'une
façon suffisamment précise les critiques que l'intéressé formule à l'encontre de la
décision contestée. Il ressort également de la jurisprudence que, si les conclusions
présentées devant le juge communautaire ne peuvent contenir que des «chefs de
contestation» reposant sur la même cause que ceux invoqués dans la réclamation,
ces chefs de contestation peuvent cependant, devant le juge communautaire, être
développés par la présentation de moyens et arguments ne figurant pas
nécessairement dans la réclamation, mais s'y rattachant étroitement (voir,
notamment, l'arrêt de la Cour du 14 mars 1989, Del Amo Martinez/Parlement,
133/88, Rec. p. 689, points 9 et 10, et les arrêts du Tribunal du 29 mars 1990,
Alexandrakis/Commission, T-57/89, Rec. p. II-143, points 8 et 9, et
Allo/Commission, précité, point 26).
- Il y a lieu également de rappeler que, puisque la procédure précontentieuse a un
caractère informel et que les intéressés agissent, en général, à ce stade, sans le
concours d'un avocat, l'administration ne doit pas examiner les réclamations de
façon restrictive, mais doit, au contraire, les examiner dans un esprit d'ouverture
(arrêt Del Amo Martinez/Parlement, précité, point 11).
- En l'espèce, le Tribunal constate que la réclamation de la requérante du 5 juillet
1995 non seulement ne se réfère pas au moyen tiré d'une violation du principe
d'égalité mais ne contient aucun élément dont la défenderesse aurait pu déduire,
même en s'efforçant d'interpréter la réclamation dans un esprit d'ouverture, que
la requérante entendait invoquer ce principe.
- Dans ces conditions, le quatrième moyen de la requérante doit être déclaré
irrecevable.
- Il ressort de l'ensemble des considérations qui précèdent qu'il y a lieu de rejeter
la demande de la requérante visant à l'annulation de la décision de la défenderesse
du 11 avril 1995, dans la mesure où elle retient un taux d'invalidité de 6 % pour
le calcul de l'indemnité visée par l'article 73 du statut.
Sur la demande visant à la condamnation de la défenderesse au paiement d'un
montant de 1 973 541 BFR
- Dans sa réplique, la requérante demande également la condamnation de la
défenderesse au paiement d'un montant de 1 973 541 BFR (voir point ci-dessus). Cette demande tend à la réparation du préjudice qui lui a prétendument
été causé par différentes fautes et omissions de la défenderesse dans le traitement
de son dossier.
- A cet égard, le Tribunal rappelle que, selon l'article 44 de son règlement de
procédure, les parties ont l'obligation de définir l'objet du litige dans l'acte
introductif d'instance. Même si les dispositions de l'article 48, paragraphe 2, du
même règlement permettent, dans certaines circonstances, la production de moyens
nouveaux en cours d'instance, ces dispositions ne peuvent, en aucun cas, être
interprétées comme autorisant une partie requérante à saisir le juge
communautaire de conclusions nouvelles et à modifier ainsi l'objet du litige (voir,
par exemple, arrêts de la Cour du 25 septembre 1979, Commission/France, 232/78,
Rec. p. 2729, point 3, et du 18 octobre 1979, Gema/Commission, 125/78, Rec.
p. 3173, point 26, et arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Asia Motor France
e.a./Commission, T-28/90, Rec. p. II-2285, point 43, et du 5 juin 1996, Kahn
Scheepvaart/Commission, T-398/94, Rec. p. II-477, point 20).
- Or, en l'espèce, la requérante a, en cours d'instance, ajouté à ses conclusions en
annulation une demande aux fins d'indemnité, de sorte que la nature du litige
original se trouve modifiée (arrêt du Tribunal du 21 mars 1996,
Chehab/Commission, T-10/95, RecFP p. II-419, point 66).
- En outre, il y lieu de constater que la demande susvisée ne présente pas de lien
étroit avec les conclusions en annulation. S'agissant d'un litige relevant de la
fonction publique communautaire, sa recevabilité est donc subordonnée au
déroulement régulier de la procédure administrative préalable prévue par les
articles 90 et 91 du statut. Cette procédure aurait dû impérativement débuter par
une demande de la requérante invitant l'AIPN à réparer le préjudice subi et se
poursuivre, le cas échéant, par une réclamation dirigée contre la décision de rejet
de la demande (arrêts du Tribunal du 25 septembre 1991, Marcato/Commission,
T-5/90, Rec. p. II-731, points 49 et 50, du 16 juillet 1992, Della Pietra/Commission,
T-1/91, Rec. p. II-2145, point 34, du 8 juin 1993, Fiorani/Parlement, T-50/92, Rec.
p. II-555, points 45 et 46, Weir/Commission, précité, point 48, et
Chehab/Commission, précité, point 67).
- Or, une telle procédure précontentieuse fait défaut en l'espèce.
- Il s'ensuit que la demande de la requérante visant à la condamnation de ladéfenderesse au paiement d'un montant de 1 973 541 BFR est irrecevable.
- Enfin, s'agissant de sa demande visant à faire écarter des débats le texte du rapport
médical établi du Dr De Meersman du 4 décembre 1990 (voir point ci-dessus),
le présent arrêt n'étant pas fondé sur cette pièce, il n'y a pas lieu de statuer sur
cette demande.
- Il résulte des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son
ensemble.
Sur les dépens
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon
l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs
agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. En
conséquence, chaque partie supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête:
- Le recours est rejeté.
- Chaque partie supportera ses propres dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 1997.
Le greffier
Le président
H. Jung
K. Lenaerts
1: Langue de procédure: le français.
2: Certaines dates sont occultées afin de respecter l'anonymat de la requérante.