Language of document : ECLI:EU:T:2003:343

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
17 décembre 2003 (1)

«Concurrence – Abus de position dominante – Compétence de la Commission – Discrimination entre compagnies aériennes  – Marché sectoriel et géographique pertinent – Lien de connexité entre les marchés sectoriels prétendument affectés – Base juridique de la décision contestée – Existence de la position dominante – Exploitation abusive de la position dominante – Proportionnalité du montant de l'amende»

Dans l'affaire T-219/99,

British Airways plc, établie à Waterside (Royaume-Uni), représentée par MM. W. Allan et O. Black, solicitors, M. W. Wood et Mme H. Davies, barristers, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. M. Erhart, en qualité d'agent, assisté de M. A. Barav, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Virgin Atlantic Airways Ltd, établie à Crawley (Royaume-Uni), représentée par MM. P. Binetter, solicitor, N. Green et C. West, barristers,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation, au titre de l'article 230 CE, de la décision 2000/74/CE de la Commission, du 14 juillet 1999, relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (IV/D-2/34.780 Virgin/British Airways) (JO 2000, L 30, p. 1),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),



composé de: MM. B. Vesterdorf, président, M. Jaeger et H. Legal, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 26 février 2003,

rend le présent



Arrêt




Antécédents du litige

1
Aux termes du considérant 2 de la décision 2000/74/CE de la Commission, du 14 juillet 1999, relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (IV/D-2/34.780 Virgin/British Airways) (JO 2000, L 30, p. 1, ci-après la «décision attaquée»), British Airways plc (ci-après «BA») est la plus grande compagnie aérienne britannique. Elle exploite un réseau en étoile centré sur les aéroports de la région de Londres. Au cours de la période pertinente, le réseau de ses liaisons régulières desservait quinze destinations au Royaume-Uni et 155 destinations internationales dans 72 pays. En 1997, BA occupait la première place mondiale par le nombre de passagers-kilomètres transportés sur des vols internationaux réguliers et la neuvième en termes de passagers-kilomètres transportés sur les vols réguliers internationaux et intérieurs confondus.

2
Au cours de l’exercice clos le 31 mars 1998, BA a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de 8,642 milliards de livres sterling (GBP), dont elle a dégagé un bénéfice net de 460 millions de GBP. Au cours du même exercice, BA a employé en moyenne 60 675 personnes.

3
Virgin Atlantic Airways Ltd (ci-après «Virgin») est une entreprise privée, constituée en société de droit anglais, exploitant des services réguliers de transport de passagers sur un certain nombre de liaisons internationales. En 1997, elle occupait la vingt et unième place mondiale au regard du nombre de passagers-kilomètres transportés sur des vols internationaux réguliers et la trente et unième en termes de passagers-kilomètres transportés sur les vols réguliers internationaux et intérieurs confondus. Virgin a réalisé, au cours de l’exercice clos le 30 avril 1998, un chiffre d’affaires d’environ 942 millions de GBP. Elle employait environ 4 522 personnes à la fin de l’année 1997.

4
BA a conclu avec les agents de voyages établis au Royaume-Uni et accrédités par l’International Air Transport Association (IATA) des accords leur ouvrant droit à une commission de base type au titre des ventes des billets d’avion BA traitées par ces agents. De 1976 à 1997, cette commission s’est élevée à 9 % pour les ventes de billets internationaux et à 7,5 % pour les ventes de billets sur les vols intérieurs.

5
Outre ce système de commissions de base, BA a conclu avec les agents de voyages IATA des accords comprenant trois systèmes d’incitations financières distincts: des «accords commerciaux», des «accords mondiaux» et, enfin, un «système de primes de résultat».

Accords commerciaux et accords mondiaux

6
Le premier système d’incitations instauré par BA était constitué d’«accords commerciaux», qui permettaient à certains agents de voyages IATA établis au Royaume-Uni de recevoir des gratifications en plus de leur commission de base, à savoir:

une prime de résultat, à laquelle s’ajoutaient certaines primes spéciales, en fonction du volume de tronçons parcourus sur les vols BA;

des gratifications prélevées sur un fonds que les agents de voyages devaient affecter à la formation de leur personnel;

des gratifications perçues sur un fonds de prospection commerciale constitué par BA en vue de l’accroissement de ses recettes et dont les ressources devaient être affectées par chaque agent au financement d’actions promotionnelles en faveur de BA.

7
Les accords commerciaux imposaient également aux agents de voyages établis au Royaume-Uni l’obligation de ne pas réserver à BA un traitement moins favorable que celui qu’ils accordaient à toute autre compagnie aérienne, s’agissant notamment de l’exposition de leurs tarifs, de leurs produits, de leurs brochures et de leurs horaires.

8
Ces accords commerciaux, conclus pour une durée d’un an, étaient en principe réservés aux agents de voyages IATA établis au Royaume-Uni et réalisant plus de 500 000 GBP de ventes annuelles de billets BA (ci-après les «recettes passages»). Les agents réalisant des recettes passages annuelles supérieures à 500 000 GBP, mais inférieures à 10 millions de GBP, pouvaient conclure un accord commercial type. Les agents dont les recettes passages dépassaient 10 millions de GBP concluaient un accord commercial négocié individuellement avec BA.

9
La prime de résultat était calculée selon un barème progressif fixé en fonction de l’augmentation des recettes passages BA réalisées par un agent de voyages. En plus de la prime de résultat générale, certaines liaisons donnaient droit à une prime de résultat spéciale.

10
Le versement de la prime de résultat ou de la prime spéciale était subordonné à l’accroissement par les agents de voyages de leurs ventes de billets BA d’une année à l’autre. Bien qu’aucune de ces deux primes ne fût, en règle générale, payée au titre des tronçons parcourus sur des vols intérieurs de BA au Royaume-Uni, ces tronçons étaient pris en considération afin de déterminer si les objectifs de ventes avaient été atteints, puisque ces derniers étaient calculés en recettes passages globales, à l’inclusion des vols long-courriers, court-courriers et intérieurs.

11
Outre les accords commerciaux, BA a conclu avec trois agents de voyages IATA un deuxième type d’accords d’incitations (ci-après les «accords mondiaux»). Pour la saison d’hiver 1992/1993, BA a mis en place avec trois agents de voyages des programmes mondiaux de motivation les autorisant à percevoir des commissions supplémentaires, calculées sur la base de la progression de la part de BA dans leurs ventes mondiales.

12
Le 9 juillet 1993, Virgin a saisi la Commission d’une plainte visant, notamment, les accords commerciaux.

13
La Commission a décidé d’engager une procédure à l’égard des accords commerciaux conclus par BA avec les agents de voyages établis au Royaume-Uni et a adopté à son encontre une communication des griefs, le 20 décembre 1996. BA a été entendue en ses observations orales au cours d’une audition qui s’est tenue le 12 novembre 1997.

Nouveau système de primes de résultat

14
Le 17 novembre 1997, BA a adressé à tous les agents de voyages établis au Royaume-Uni un courrier dans lequel elle exposait les modalités d’un troisième type d’accords d’incitations, consistant en un nouveau système de primes de résultat, applicable dès le 1er janvier 1998 (ci-après le «nouveau système de primes de résultat»).

15
Outre le nouveau taux de commission fixe de 7 % appliqué à tous les billets vendus au Royaume-Uni, chaque agent pouvait obtenir une commission supplémentaire allant jusqu’à 3 % pour les billets des vols internationaux et jusqu’à 1 % pour les billets des vols intérieurs. L’importance de l’élément variable supplémentaire pour les billets des vols intérieurs et internationaux dépendait des résultats obtenus par les agents dans la vente de billets BA. Le résultat des agents se mesurait en comparant les recettes passages totales procédant des ventes de billets BA émis par l’agent au cours d’un mois civil donné avec les recettes du mois correspondant de l’année précédente.

16
En vertu du nouveau système de primes de résultat, chaque point de pourcentage d’amélioration des résultats dépassant le taux de référence de 95 % se traduisait par l’octroi à l’agent de voyages d’un élément variable supplémentaire de 0,1 % constituant la commission supplémentaire sur la vente des billets internationaux et s’ajoutant à la commission de base de 7 %. Sur la vente de billets pour des vols intérieurs, l’élément variable était de 0,1 % pour toute augmentation de 3 % des ventes au-dessus du taux de référence de 95 %. L’élément variable maximal que pouvait percevoir un agent de voyages dans le cadre du nouveau système de primes de résultat était de 3 % sur les billets internationaux et de 1 % sur les billets intérieurs, lorsque le niveau de résultat était d’au moins 125 % dans les deux cas.

17
Ainsi, lorsqu’un agent réalisait un résultat, pour un mois civil donné, de 112 %, l’élément variable sur les billets internationaux était de 1,7 % [(112 - 95) × 0,1 %] des recettes internationales prises en considération pour le calcul de la prime pour ce mois-là. En revanche, pour un même niveau de résultat, l’élément variable sur les billets intérieurs était de 0,5 % [(112 - 95) ÷ 3 × 0,1 %] des recettes intérieures prises en considération pour le calcul de la prime pour le mois civil. Les éléments variables du système de primes de résultat étaient payés tous les mois.

18
Le nouveau système de primes de résultat devait initialement être applicable jusqu’au 31 mars 1999. Pour le mois de décembre 1997, BA a instauré un régime transitoire consistant à cumuler le nouveau système de primes de résultat avec les commissions types préexistantes, de 9 et de 7,5 %, respectivement, sur les billets internationaux et intérieurs. Le 8 février 1999, BA a annoncé que ce système ne serait pas reconduit au cours de l’exercice 1999/2000.

19
Le 9 janvier 1998, Virgin a déposé une plainte complémentaire visant le nouveau système de primes de résultat de BA. Le 12 mars 1998, la Commission a adopté une communication des griefs complémentaire à l’encontre de ce nouveau système.

Décision de la Commission

20
Le 14 juillet 1999, la Commission a, sur le fondement du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), adopté la décision attaquée, laquelle retient que chacune des liaisons aériennes desservies par BA au départ et à destination des aéroports du Royaume-Uni constitue potentiellement un marché de services de transport aérien distinct (considérant 80) et que le marché géographique en cause pour le transport aérien est le marché britannique (considérant 83).

21
Selon le considérant 31 de la décision attaquée, les agents de voyages fournissent aux compagnies aériennes des prestations consistant à promouvoir les services de transport aérien fournis par les compagnies aériennes, à assister les voyageurs dans le choix des services de transport appropriés et à accomplir les tâches administratives d’émission des billets, d’encaissement de l’argent versé par le voyageur et de reversement à la compagnie aérienne. En contrepartie de ces services, les compagnies aériennes versent aux agents des commissions qui sont fonction des ventes de billets réalisées par l’intermédiaire de ces agents.

22
La Commission considère ensuite que BA est un acheteur en position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens, en raison, notamment, du pourcentage que les ventes de billets BA représentent dans le total des ventes de billets d’avion réalisées sur le territoire du Royaume-Uni dans le cadre du système de règlement de l’IATA pour les agents de voyages (considérants 90 et 91).

23
Aux considérants 29 et 30 de la décision attaquée, la Commission précise en ces termes les modalités des accords commerciaux et du nouveau système de primes de résultat:

«(29) Les systèmes de commissions applicables aux agents de voyages qui sont décrits plus haut ont une importante caractéristique en commun. Dans les deux cas, la réalisation des objectifs de progression des ventes entraîne une augmentation de la commission versée sur tous les billets vendus par l’agent de voyages considéré, et pas seulement sur les billets vendus une fois les objectifs atteints. Dans les accords commerciaux, la gratification versée sur chaque billet à l’agent de voyages augmente pour tous les billets vendus. Dans le cadre du système de primes de résultat, le pourcentage de commission versé augmente pour tous les billets vendus par l’agent. Cela signifie que, lorsqu’un agent est sur le point d’atteindre l’un des seuils requis pour bénéficier d’un accroissement du taux de commission, la vente de quelques billets BA supplémentaires peut avoir un effet très sensible sur le montant des recettes qu’il perçoit sous forme de commissions. Inversement, un concurrent de BA qui souhaiterait accorder à un agent de voyages un avantage pour l’inciter à vendre ses billets d’avion à la place de billets BA devrait, pour neutraliser cet effet, offrir un pourcentage de commission bien supérieur à celui que verse BA sur tous les billets vendus par cet agent.

(30)  Un exemple viendra utilement illustrer cet effet des systèmes de commissions de BA. Supposons un agent de voyages qui réalise, au cours d’un mois de l’année de référence, 100 000 de ventes de billets internationaux par mois. S’il vend pour 100 000 [GBP] de billets internationaux BA au cours d’un mois donné, il recevra la commission de base de 7 % et une ‘prime de résultat’ de 0,5 % [(100 % - 95 %) × 0,1 %], ce qui donne des recettes totales, sous forme de commissions sur les ventes de billets d’avion internationaux, de 7 500 [GBP] [100 000 × (7  % + 0,5 %)]. Si ce même agent consacrait 1 % de ses ventes de billets internationaux à un concurrent de BA, sa ‘prime de résultat’ serait ramenée à 0,4 % [(99 % - 95 %) × 0,1 %] et ce taux réduit serait appliqué à toutes ses ventes de billets BA. Les recettes qu’il percevrait sous forme de commission pour la vente de billets internationaux BA tomberaient ainsi à 7 326 [GBP] [99 000 × (7 % + 0,4 %)]. Un recul de 1 000 [GBP] dans les ventes de billets internationaux BA fait baisser de 174 [GBP] les recettes perçues sous forme de commissions. Le taux ‘marginal’ de commission serait donc de 17,4 %. En pratique, cela signifie qu’un concurrent de BA à même d’offrir des vols qui combleraient les 1 000 [GBP] de ventes de billets BA non réalisées devrait proposer une commission de 17,4 % sur ces billets pour dédommager l’agent de voyages de sa perte de recettes [en termes de commissions non versées par BA]. Même si BA doit aussi accorder ce taux marginal élevé pour augmenter ses ventes de billets, elle dispose d’un atout par rapport à son concurrent qui, lui, doit octroyer ce taux de commission élevé sur la totalité de ses ventes [...]

Cet effet est amplifié si le nombre de billets en question est un pourcentage plus faible des ventes de référence de billets BA réalisées par l’agent de voyages. Il en est de même si l’agent de voyages touche non seulement des commissions supplémentaires dans le cadre du système de primes de résultat, mais aussi des primes en vertu d’un’accord commercial’.»

24
La Commission constate dans la décision attaquée que, en appliquant les accords commerciaux et le nouveau système de primes de résultat aux agents de voyages aériens établis au Royaume-Uni, BA a abusé de la position dominante qu’elle détient sur le marché britannique des services des agences de voyages aériens (considérant 96).

25
L’application par BA de ses systèmes de primes de résultat aux agents de voyages établis au Royaume-Uni constitue un abus de position dominante en ce que cette application a pour effet, d’une part, d’inciter ces agents à maintenir ou à augmenter leurs ventes de billets BA, plutôt qu’à vendre leurs services aux concurrents de BA, ces incitations financières n’étant pas dépendantes du volume des ventes en chiffres absolus de billets BA réalisées par ces agents (considérant 102), et, d’autre part, d’infliger aux agents en cause des conditions inégales à des prestations équivalentes (considérant 109).

26
Enfin, la Commission estime que le comportement abusif de BA sur le marché britannique des services des agences de voyages aériens a pour effet de fausser la concurrence entre BA et les autres compagnies aériennes sur les marchés britanniques de services de transport aérien (considérants 103 et 111).

27
En conséquence, le dispositif de la décision attaquée est ainsi libellé:

            «Article premier

[BA] a enfreint l’article 82 [CE] en appliquant des systèmes de commissions et d’autres incitations aux agents de voyages auxquels elle achète des services d’agences de voyages aériens au Royaume-Uni, ces systèmes et ces incitations ayant pour objet et pour effet, en récompensant la fidélité des agents de voyages et en exerçant une discrimination entre eux, d’évincer les concurrents de BA des marchés britanniques du transport aérien.

            Article 2

Une amende de 6,8 millions d’euros est infligée à [BA] pour les infractions constatées à l’article [1er].

[...]»


Procédure

28
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er octobre 1999, BA a introduit un recours en annulation de la décision attaquée, qui lui avait été notifiée le 27 juillet 1999.

29
Par acte déposé le 10 avril 2000, Virgin a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

30
Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 avril 2000, la société Air France a également demandé à intervenir dans la présente procédure, à l’appui des conclusions en annulation de BA, en faisant valoir que la solution du présent litige aurait un impact sur la position que la Commission serait appelée à adopter dans le cadre d’une procédure dirigée contre les systèmes d’incitations commerciales appliqués par Air France aux agents de voyages.

31
Par ordonnance du 9 février 2001, il a été fait droit à la demande d’intervention de Virgin ainsi qu’à la demande de BA tendant au traitement confidentiel, vis-à-vis de Virgin, de certains documents.

32
En revanche, la demande d’intervention de Air France a été rejetée, motif pris de son défaut d’intérêt à la solution du présent litige, en ce que l’incidence éventuelle de l’arrêt à intervenir sur une décision attaquée que la Commission pourrait adopter à l’encontre de Air France ne relevait pas de l’objet de la présente procédure.

33
Par décision du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle l’affaire a, par conséquent, été attribuée.

34
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, il a invité BA et la Commission à répondre à certaines questions. BA et la Commission ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

35
Lors de l’audience du 26 février 2003, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal.


Conclusions des parties

36
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

annuler la décision attaquée dans sa totalité;

condamner la Commission aux dépens.

37
La Commission, soutenue par Virgin, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

rejeter le recours;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

38
Au soutien de son recours, BA articule huit moyens par lesquels elle soulève, respectivement, l’incompétence de la Commission, la violation du principe de non-discrimination, la définition erronée du marché sectoriel et géographique retenu, l’absence de lien de connexité suffisamment étroit entre les marchés sectoriels prétendument affectés, l’adoption de la décision attaquée sur une base juridique erronée, l’inexistence d’une position dominante, l’absence d’abus de position dominante et, enfin, le caractère excessif de l’amende.

Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de la Commission

Arguments des parties

39
BA soutient que la Commission a excédé sa compétence en adoptant le 14 juillet 1999 la décision attaquée, alors que tous ses membres, démissionnaires depuis le 16 mars 1999 afin de prévenir une motion de censure du Parlement, n’étaient habilités qu’à expédier les affaires courantes au sens de l’article 201 CE, applicable par analogie, jusqu’à la nomination des membres de la nouvelle Commission, le 15 septembre 1999.

40
Les raisons motivant la limitation des activités de la Commission prévue à l’article 201 CE, dont la principale consiste dans l’attribution au Parlement du pouvoir constitutionnel de retirer à la Commission son mandat politique, seraient au moins aussi valables lorsque la démission de la Commission en tant qu’organe est volontaire, comme en l’espèce, que lorsqu’elle fait suite à une motion de censure du Parlement.

41
À la différence du maintien en fonctions des membres de la Commission jusqu’à leur remplacement, prévu par l’article 215, quatrième alinéa, CE, qui envisage la survenance de vacances au sein d’une Commission poursuivant le mandat pour lequel elle a été nommée, la notion d’ «affaires courantes» que les membres de la Commission continuent d’expédier en vertu de l’article 201, deuxième alinéa, CE engloberait uniquement les activités quotidiennes de la Commission. En seraient exclues de nouvelles initiatives politiques telles que la décision attaquée, à laquelle la Commission aurait clairement entendu conférer la valeur d’un précédent applicable aux compagnies aériennes occupant sur le marché une position similaire à celle de BA.

42
Même à le supposer applicable, l’article 215 CE n’aurait pas habilité la Commission à adopter la décision attaquée. En son premier alinéa, cette disposition prévoirait que les fonctions d’un membre de la Commission s’achèvent avec sa démission. Le terme «fonctions» couvrirait une décision portant, comme en l’espèce, application de l’article 82 CE, comme le soulignent les termes de l’article 213, paragraphe 2, CE, selon lequel les membres de la Commission exercent leurs fonctions en pleine indépendance.

43
La Commission soutient que, à défaut d’une motion de censure du Parlement, l’article 201 CE n’est pas applicable, fût-ce par analogie, à la démission volontaire, même simultanée, de tous les membres de la Commission, une telle hypothèse relevant de l’article 215 CE.

44
Aucune restriction de leurs attributions n’étant imposée par cette dernière disposition, les membres de la Commission seraient juridiquement habilités à, et tenus de, exercer les pouvoirs qui leur sont conférés par le traité jusqu’à la nomination de leurs successeurs.

45
En tout état de cause, la décision attaquée ne constituerait pas une nouvelle initiative politique et s’insérerait dans les affaires courantes de la Commission.

Appréciation du Tribunal

46
L’article 201 CE est rédigé comme suit:

«Le Parlement européen, saisi d’une motion de censure sur la gestion de la Commission, ne peut se prononcer sur cette motion que trois jours au moins après son dépôt et par un scrutin public.

Si la motion de censure est adoptée à la majorité des deux tiers des voix exprimées et à la majorité des membres qui composent le Parlement européen, les membres de la Commission doivent abandonner collectivement leurs fonctions. Ils continuent à expédier les affaires courantes jusqu’à leur remplacement conformément à l’article 214. Dans ce cas, le mandat des membres de la Commission nommés pour les remplacer expire à la date à laquelle aurait dû expirer le mandat des membres de la Commission obligés d’abandonner collectivement leurs fonctions.»

47
Par ailleurs, l’article 215 CE dispose:

«En dehors des renouvellements réguliers et des décès, les fonctions de membre de la Commission prennent fin individuellement par démission volontaire ou d’office.

L’intéressé est remplacé pour la durée du mandat restant à courir par un nouveau membre nommé d’un commun accord par les gouvernements des États membres. Le Conseil, statuant à l’unanimité, peut décider qu’il n’y a pas lieu à remplacement.

En cas de démission ou de décès, le président est remplacé pour la durée du mandat restant à courir. La procédure prévue à l’article 214, paragraphe 2, est applicable pour son remplacement.

Sauf en cas de démission d’office prévue à l’article 216, les membres de la Commission restent en fonctions jusqu’à ce qu’il soit pourvu à leur remplacement.»

48
Par lettre du 16 mars 1999, le président de la Commission, M. Santer, a informé le président de la conférence des représentants des gouvernements des États membres de la décision des membres de la Commission de démissionner collectivement et de remettre leur mandat entre les mains des gouvernements des États membres. Dans cette lettre, le président et les membres de la Commission déclaraient que, en vertu notamment de l’article 215, quatrième alinéa, CE, ils assumeraient leurs fonctions jusqu’à ce qu’il fût pourvu à leur remplacement selon les procédures prévues par les traités.

49
Par déclaration du 22 mars 1999, le Conseil, tout en estimant nécessaire de nommer une nouvelle Commission le plus rapidement possible, a souhaité que les membres de la Commission continuent d’ici là à assumer leurs fonctions conformément aux traités.

50
Il ressort de l’article 201 CE que les membres de la Commission ne peuvent être considérés comme ayant été «obligés d’abandonner collectivement leurs fonctions», au sens du second alinéa, dernière phrase, de cet article, que pour autant que le Parlement ait préalablement adopté une motion de censure, dans les conditions définies par ce même texte.

51
À défaut, comme en l’espèce, d’une telle motion, les démissions individuelles, même simultanées, de tous les membres de la Commission constituent un cas de figure étranger aux prévisions de l’article 201 CE.

52
La circonstance selon laquelle les membres de la Commission ont pu reconnaître leur responsabilité politique en démissionnant collectivement ne revêt, en droit, aucune pertinence à cet égard. Dans le cadre du système des compétences de la Communauté, le choix de la base juridique d’un acte ne peut dépendre seulement de la conviction d’une institution, mais doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493, point 11).

53
Il y a donc lieu de considérer que les fonctions des membres de la Commission intéressés ont pris fin par leur démission individuelle volontaire, au sens de l’article 215, premier alinéa, CE, la simultanéité de ces démissions individuelles ne pouvant remettre en cause le caractère volontaire de chacune d’elles.

54
D’ailleurs, ainsi qu’il résulte de ses visas, la décision 1999/627/CE, CECA, Euratom des représentants des gouvernements des États membres des Communautés européennes, du 15 septembre 1999, portant nomination du président et des membres de la Commission des Communautés européennes (JO L 248, p. 30), est notamment fondée sur l’article 215 CE.

55
En précisant, à l’article 215, premier alinéa, CE, que les fonctions d’un membre de la Commission s’achèvent avec sa démission, les auteurs du traité ont simplement entendu définir les causes juridiques de la cessation des fonctions des membres de la Commission au cours de leur mandat, sans vouloir pour autant interdire l’exercice de leurs attributions normales à des membres démissionnaires jusqu’à la prise d’effet de leur démission volontaire à la date de leur remplacement effectif.

56
Il s’ensuit que les intéressés sont restés «en fonctions jusqu’à ce qu’il [fût] pourvu à leur remplacement», le 15 septembre 1999, selon le prescrit de l’article 215, quatrième alinéa, CE. Ils ont donc conservé, jusqu’à cette date, la plénitude de leurs compétences.

57
C’est donc sans excéder sa compétence que la Commission a adopté la décision attaquée, le 14 juillet 1999.

58
Il y a lieu, dès lors, de rejeter le premier moyen.

Sur le deuxième moyen, pris de la violation du principe de non-discrimination

Arguments des parties

59
BA reproche à la Commission d’avoir méconnu le principe de non-discrimination et de l’avoir placée dans une position concurrentielle très défavorable en lui interdisant, dans la décision attaquée, d’appliquer ses systèmes de primes de résultat aux agents de voyages établis au Royaume-Uni, sans adopter une décision similaire à l’encontre d’autres compagnies aériennes détenant une position au moins aussi forte que celle attribuée par la Commission à BA et appliquant les mêmes systèmes d’incitations financières.

60
L’antériorité de la plainte de Virgin ne justifierait pas l’adoption d’une décision d’engager une procédure d’infraction uniquement à l’encontre de BA. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission d’affecter ses ressources aux affaires en cours ne saurait autoriser une discrimination, notamment lorsque celle-ci produit elle-même des effets anticoncurrentiels au détriment de l’entreprise poursuivie.

61
La Commission n’estime nullement discriminatoire l’adoption de la décision attaquée six ans après le dépôt de la plainte de Virgin. Elle considère qu’elle dispose d’un pouvoir d’appréciation pour attribuer, en fonction de leur intérêt communautaire, des degrés de priorité différents aux affaires dont elle est saisie (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24/90, Rec. p. II-2223, point 77).

62
Selon le communiqué de presse relatif aux «principes régissant les commissions des agen[ts] de voyages», publié le jour où la décision attaquée a été adoptée, cette dernière constituerait une première étape du traitement des commissions versées par des compagnies aériennes aux agents de voyages. Les principes établis dans ce communiqué donneraient également des indications claires pour toute autre compagnie aérienne placée dans une situation similaire à celle de BA, et la Commission devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller au respect de ces principes par les autres compagnies aériennes placées dans des situations équivalentes.

63
La décision attaquée n’engendrerait pas d’effet négatif au détriment de BA sur des marchés géographiques autres que le marché britannique. Lorsqu’elle n’occupe pas sur ces autres marchés une position dominante, BA pourrait recourir à des régimes d’incitations financières pour contrer ceux utilisés par une entreprise concurrente.

64
De plus, l’offre émanant d’autres compagnies aériennes appliquant, sur le territoire du Royaume-Uni, divers systèmes de primes aux agents de voyages aériens n’aurait pas d’incidence sur la décision attaquée. Cette dernière concernerait BA en sa qualité d’entreprise dominante sur le marché britannique des services des agences de voyages aériens, en raison de la responsabilité particulière qui lui incombe en cette qualité.

Appréciation du Tribunal

65
Pour qu’on puisse reprocher à la Commission d’avoir commis une discrimination, il faut qu’elle ait traité d’une façon différente des situations comparables, entraînant un désavantage pour certains opérateurs par rapport à d’autres, sans que cette différence de traitement soit justifiée par l’existence de différences objectives d’une certaine importance (arrêt du Tribunal du 7 juillet 1999, Wirtschaftsvereinigung Stahl/Commission, T-106/96, Rec. p. II-2155, point 103).

66
La circonstance qu’un opérateur qui se serait trouvé dans une situation similaire à celle d’un requérant n’a fait l’objet d’aucune constatation d’infraction de la part de la Commission ne saurait en toute hypothèse permettre d’écarter l’infraction retenue à l’encontre de ce requérant, pour autant que celle-ci ait été correctement établie (arrêt de la Cour du 31 mars 1993, Ahlström e.a./Commission, C-89/85, C‑104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307, point 146).

67
En outre, le moyen est fondé sur la simple allégation, aucunement démontrée, de l’illégalité, au regard des articles 81 CE et 82 CE, des systèmes d’incitations financières que des compagnies aériennes concurrentes de BA appliqueraient aux agents de voyages.

68
De plus, abstraction faite de ce que la décision attaquée fait suite à la plainte introduite par Virgin contre BA dès 1993, la Commission est en droit, pour veiller efficacement à l’application des règles communautaires en matière de concurrence, d’accorder, comme en l’espèce, des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie (arrêt de la Cour du 4 mars 1999, Ufex e.a./Commission, C-119/97 P, Rec. p. I-1341, point 88), en fonction de leur intérêt communautaire, mesuré à l’aune des circonstances de chaque cas et, notamment, des éléments de fait et de droit qui lui sont présentés (arrêt Automec/Commission, cité au point 61 ci-dessus, point 86).

69
À cet égard, la Commission est tenue d’apprécier dans chaque espèce la gravité des restrictions de concurrence alléguées (arrêt du Tribunal du 13 décembre 1999, SGA/Commission, T-189/95, T-39/96 et T-123/96, Rec. p. II-3587, point 53) ainsi que l’antériorité, comme en l’espèce, de la plainte dont elle est saisie. Il incombe en effet à la Commission de mener à terme ses procédures d’instruction dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, points 55 et 56).

70
Lorsqu’elle est confrontée, comme en l’occurrence, à une situation dans laquelle de nombreux éléments permettent de soupçonner des agissements contraires au droit de la concurrence de la part de plusieurs grandes entreprises appartenant au même secteur économique, la Commission est même habilitée à concentrer ses efforts sur l’une des entreprises concernées, tout en invitant les opérateurs économiques prétendument lésés par l’éventuel comportement infractionnel des autres entreprises à saisir les autorités nationales (voir, en ce sens, arrêt SGA/Commission, cité au point 69 ci-dessus, point 59).

71
Enfin, la Commission a affirmé à l’audience, sans être contredite sur ce point par BA, avoir engagé des procédures d’instruction contre huit compagnies aériennes, à la suite de plaintes déposées par BA en juin et en septembre 1998, et avoir informé BA, par lettre du 6 février 2003, de son intention de mettre fin à ces procédures.

72
Il appartient donc à BA, si elle s’y croit fondée, de présenter ses observations à cet égard à la Commission et de contester une éventuelle décision de la Commission de ne pas donner suite à ses plaintes.

73
Le deuxième moyen ne saurait donc être accueilli.

Sur le troisième moyen, pris de la définition erronée du marché sectoriel et géographique pertinent

74
Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée (voir point 22 ci-dessus), la Commission a estimé que le marché pertinent, aux fins d’établir la position dominante de BA, était le marché britannique des services des agences de voyages aériens.

Arguments des parties

75
BA conteste cette analyse de la Commission en soutenant que, à supposer même qu’il existe, le marché des services fournis par les agents de voyages aux compagnies aériennes ne peut pas constituer, dans les circonstances de l’espèce, le marché sectoriel en cause.

76
La Commission aurait imputé les restrictions de concurrence décelées dans les systèmes de primes de résultat litigieux à la position que BA détient en sa qualité d’acheteur des services fournis par les agents de voyages établis au Royaume-Uni. Ce faisant, la Commission se serait écartée, d’une part, de sa méthode habituelle de définition du marché en cause, préjugeant ainsi de la constatation d’une position dominante et, en fin de compte, d’un abus et, d’autre part, de sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5).

77
Les agents de voyages représenteraient un canal de distribution permettant aux compagnies aériennes de vendre des places sur leurs vols et assurant une fonction de détaillants. Or, sur les marchés des produits de marque, la nature de la concurrence serait appréciée en retenant comme pertinents les marchés des produits considérés et non pas ceux de l’achat des services de vente au détail fournis par les points de vente utilisés par les fabricants pour commercialiser leurs produits.

78
La position de BA par rapport aux agents de voyages ne fournirait pas une bonne approche pour apprécier sa puissance de marché. Pour définir le marché sectoriel en cause, en vue d’apprécier les effets sur la concurrence des avantages financiers consentis aux agents de voyages, il y aurait lieu de déterminer si un fournisseur unique de services de transport aérien sur une ligne déterminée peut augmenter utilement ses prix.

79
Ainsi que la Commission l’admettrait aux considérants 80 et 81 de la décision attaquée, la réponse dépendrait de la mesure dans laquelle les voyageurs désirant emprunter une ligne déterminée considèrent que d’autres lignes sont des substituts effectifs. La Commission adopterait cette approche lorsqu’elle examine le transport aérien de personnes en direction et en provenance du Royaume-Uni, mais elle maintiendrait à tort qu’il existe un marché distinct des services d’agences de voyages aériens.

80
BA soutient que, dans l’optique de la Commission, si le marché des services de distribution des billets d’avion assurés par les agents de voyages devait diminuer jusqu’à devenir insignifiant, il demeurerait le marché en cause. Or, selon BA, les autres formes de distribution s’opposent à ce que l’on puisse conclure à l’existence d’un pouvoir sur ce marché d’une compagnie aérienne même si elle détient une part prépondérante de la distribution de billets par voie d’agences.

81
En outre, s’il existait quatre séries de destinations (États-Unis, Europe, Afrique et Extrême-Orient) et un seul fournisseur de services de transport aérien pour chacune d’elles, chaque compagnie aérienne serait en mesure d’exercer un pouvoir substantiel sur ses propres lignes, sans subir la pression des autres compagnies. Or, d’après l’analyse de la Commission, aucune de ces compagnies ne serait nécessairement en position dominante pour l’achat des services d’agences de voyages, étant donné que chacune d’elles ne représenterait que 25 % de l’achat de ces services.

82
Enfin, une compagnie aérienne ne détenant pas de position dominante sur le marché des services des agences de voyages aériens, mais assurant à elle seule la desserte d’une ligne déterminée ou d’un petit ensemble de lignes, pourrait agir de manière totalement indépendante de ses concurrents et agents sur ces mêmes lignes. Néanmoins, selon l’analyse de la Commission, cette situation ne relèverait pas de l’article 82 CE.

83
BA ajoute que, même si les services des agences de voyages aériens constituaient le marché sectoriel en cause, le marché géographique pertinent serait plus étendu que le territoire du Royaume-Uni. Un bon nombre d’agents de voyages importants opéreraient dans plusieurs pays. En outre, les agents de voyages traiteraient de plus en plus avec les compagnies aériennes à l’échelon international, comme le démontrent les accords mondiaux conclus par BA avec certaines agences.

84
La Commission rappelle que, selon le considérant 31 de la décision attaquée, les agents de voyages agissent pour le compte des compagnies aériennes, en qualité d’intermédiaires indépendants exerçant une activité de prestations de services autonome (arrêt de la Cour du 1er octobre 1987, VVR, 311/85, Rec. p. 3801, point 20).

85
Les services des agences de voyages aériens, rémunérés par les compagnies aériennes sous la forme d’une commission fondée sur les émissions de leurs billets, consisteraient à faire de la publicité en faveur des compagnies aériennes cocontractantes, à aider les voyageurs à choisir les compagnies et les vols appropriés, à émettre des billets, à encaisser l’argent des voyageurs et à le reverser aux compagnies aériennes.

86
Rien n’empêcherait la constatation d’un abus de position dominante commis par un acheteur dominant, qui n’échappe pas au droit communautaire de la concurrence.

87
La Commission rappelle avoir qualifié de marché distinct les services d’agences de voyages aériens [décision 91/480/CEE de la Commission, du 30 juillet 1991, relative à une procédure d’application de l’article [81] du traité (affaire n° IV/32.659 – IATA Passenger Agency Programme) (JO L 258, p. 18)] ainsi que d’autres marchés liés aux voyages aériens, comme les systèmes informatisés de réservation des voyages aériens [décision 88/589/CEE de la Commission, du 4 novembre 1988, relative à une procédure d’application de l’article [82] du traité (IV/32.318, London European – SABENA) (JO L 317, p. 47)].

88
Enfin, la limitation au Royaume-Uni du marché géographique en cause serait justifiée par les divers éléments de localisation des activités concernées sur le territoire britannique. En particulier, les clients réserveraient normalement leurs billets dans leur pays de résidence et les relations entre les agents de voyages et les compagnies aériennes s’établiraient pays par pays.

Appréciation du Tribunal

89
La Commission a considéré dans la décision attaquée que le marché sectoriel à prendre en considération, aux fins d’établir la position dominante de BA, comprend les services que les compagnies aériennes achètent aux agents de voyages aux fins de la commercialisation et de la distribution de leurs billets d’avion (considérant 72). De l’avis de la Commission, cette pratique des compagnies aériennes a pour effet de créer un marché des services des agences de voyages aériens distinct des marchés du transport aérien.

90
La Commission a, par ailleurs, estimé que le marché géographique pertinent était en l’espèce le territoire du Royaume-Uni, en raison de la dimension nationale que revêt l’activité des agents de voyages.

91
Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 37; arrêt du Tribunal du 30 mars 2000, Kish Glass/Commission, T-65/96, Rec. p. II-1885, point 62, confirmé sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 18 octobre 2001, Kish Glass/Commission, C-241/00 P, Rec. p. I-7759), aux fins de l’examen de la position, éventuellement dominante, d’une entreprise sur un marché sectoriel déterminé, les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l’ensemble des produits ou services qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d’autres produits ou services. En outre, étant donné que la détermination du marché en cause sert à évaluer si l’entreprise concernée a la possibilité de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective et de se comporter, dans une mesure appréciable, indépendamment de ses concurrents et, en l’espèce, de ses prestataires de services, on ne saurait, à cette fin, se limiter à l’examen des seules caractéristiques objectives des services en cause, mais il convient également de prendre en considération les conditions de la concurrence et la structure de la demande et de l’offre sur le marché.

92
Il se déduit des écritures de BA qu’elle-même admet l’existence d’un marché autonome des services d’agences de voyages aériens, puisqu’elle affirme, au point 11.34 de sa requête, que les agents de voyages opèrent eux-mêmes sur un marché compétitif en se concurrençant mutuellement afin de fournir le meilleur service possible à leurs clients.

93
À cet égard, si les agents de voyages agissent pour le compte des compagnies aériennes, qui assument tous les risques et avantages liés au service du transport lui-même et qui concluent les contrats de transport directement avec les voyageurs, ils n’en constituent pas moins des intermédiaires indépendants exerçant une activité de prestations de services autonome (voir, en ce sens, arrêt VVR, cité au point 84 ci-dessus, point 20).

94
Comme le relève la Commission au considérant 31 de la décision attaquée, cette activité spécifique des agents de voyages consiste, d’une part, à conseiller les voyageurs potentiels, à réserver et à émettre les billets d’avion, à encaisser le prix du transport et à le reverser aux compagnies aériennes et, d’autre part, à assurer en faveur de ces compagnies des services de publicité et de promotion commerciale.

95
À cet égard, BA soutient elle-même que les agents de voyages sont et resteront, au moins à court terme, pour les compagnies aériennes un canal de distribution vital leur permettant de vendre efficacement des places sur les vols qu’elles proposent et qu’il existe une dépendance mutuelle entre les agents de voyages et les compagnies aériennes qui ne sont pas, à elles seules, en mesure de commercialiser utilement leurs prestations de transport aérien.

96
Comme BA l’a encore fait observer, les agents de voyages offrent une plus grande gamme de liaisons aériennes, d’horaires de départ et d’arrivée que ne le pourrait toute compagnie aérienne. Les agents de voyages filtrent les informations relatives aux différents vols au profit des voyageurs confrontés à la prolifération des différentes structures de tarifs de transport aérien, qui procèdent des systèmes de tarification en temps réel pratiqués par les compagnies aériennes.

97
BA a reconnu par ailleurs que le rôle que les agents de voyages jouent dans la distribution des billets d’avion explique que les compagnies aériennes cherchent à leur offrir des avantages pour qu’ils vendent des places sur leurs vols. Le caractère irremplaçable des services que les agents de voyages rendent aux compagnies aériennes est ainsi attesté par l’ensemble des gratifications que celles-ci leur octroient.

98
BA a, enfin, elle-même souligné que les agents de voyages importants négocient individuellement des accords de distribution de billets d’avion et qu’ils sont donc en mesure de mettre en concurrence les compagnies aériennes.

99
Cette spécificité des services rendus aux compagnies aériennes par les agents de voyages, sans que les compagnies aériennes puissent sérieusement envisager de se substituer aux agents pour exécuter elles-mêmes les mêmes services, est corroborée par le fait que, à l’époque des faits reprochés, les billets d’avion vendus sur le territoire du Royaume-Uni étaient commercialisés à raison de 85 % par l’intermédiaire d’agents de voyages.

100
Il y a donc lieu de considérer que les services des agences de voyages aériens représentent une activité économique à laquelle, à l’époque de la décision attaquée, les compagnies aériennes ne pouvaient substituer une autre forme de distribution de leurs billets, et qu’ils constituent, par conséquent, un marché de services distinct de celui du transport aérien.

101
Quant à la circonstance selon laquelle les restrictions de concurrence que la Commission impute aux systèmes de primes de résultat de BA procèdent de la position que BA détient en sa qualité, non de fournisseur, mais d’acheteur de services d’agences de voyages aériens, elle est dépourvue de pertinence au regard de la définition du marché en cause. L’article 82 CE s’applique en effet tant aux entreprises dont la position dominante éventuelle est constatée, comme en l’espèce, par rapport à leurs fournisseurs qu’à celles qui sont susceptibles d’être dans la même position vis-à-vis de leurs clients.

102
D’ailleurs, BA a elle-même admis à l’audience qu’il est possible tant pour un vendeur que pour un acheteur de détenir une position dominante au sens de l’article 82 CE.

103
Il s’ensuit que BA ne saurait valablement soutenir que, pour définir le marché sectoriel en cause, en vue d’apprécier les effets sur la concurrence des avantages financiers qu’elle consent aux agents de voyages établis au Royaume-Uni, il y aurait lieu de déterminer si un fournisseur unique de services de transport aérien sur une ligne déterminée peut augmenter utilement ses prix.

104
Un tel paramètre, éventuellement pertinent au regard de chaque ligne aérienne, n’est pas de nature à permettre de mesurer la puissance économique dont BA dispose, en sa qualité, non pas de prestataire de services de transport aérien, mais d’acheteur de services d’agences de voyages, sur l’ensemble des lignes au départ et à destination des aéroports britanniques, à l’égard de toutes les autres compagnies aériennes considérées en la même qualité d’acheteurs de services d’agences de voyages aériens, d’une part, et vis-à-vis des agents de voyages établis au Royaume-Uni, d’autre part.

105
Sont, dès lors, dépourvues d’incidence les objections formulées par BA à l’encontre de la pertinence du marché sectoriel retenu par la Commission et tirées de l’éventuelle marginalisation de la distribution des billets d’avion par l’intermédiaire des agents de voyages, de la spécialisation exclusive des compagnies aériennes par destinations géographiques et de l’indépendance de comportement d’une éventuelle compagnie aérienne en situation de monopole sur certaines lignes.

106
Ces arguments sont tirés de situations hypothétiques ou étrangères aux conditions de concurrence s’exerçant sur le marché sectoriel en cause constitué par les services d’agences de voyages aériens aussi bien entre les agents prestataires qu’entre les compagnies aériennes bénéficiaires de ces services.

107
C’est donc sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a qualifié de pertinent le marché sectoriel des services fournis par les agents de voyages au profit des compagnies aériennes, aux fins d’établir si BA y détient une position dominante en qualité de demandeur de ces prestations.

108
Quant au marché géographique à prendre en considération, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il peut être défini comme le territoire sur lequel tous les opérateurs économiques se trouvent dans des conditions de concurrence similaires ou suffisamment homogènes, en ce qui concerne, précisément, les produits ou services concernés, sans qu’il soit nécessaire que ces conditions soient parfaitement homogènes (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 91, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333/94 P, Rec. p. I‑5951).

109
Or, il n’est guère contestable que, dans leur très grande majorité, les voyageurs réservent les billets d’avion dans leur pays de résidence. Si BA a soutenu que tous les billets vendus par des agents de voyages au Royaume-Uni ne le sont pas nécessairement à des résidents de ce pays, elle a reconnu que les transactions intervenues en dehors du Royaume-Uni ne pouvaient être quantifiées.

110
En outre, comme la Commission l’a indiqué au considérant 83 de la décision attaquée, sans que cela ait été contesté par BA, les règles de l’IATA sur l’ordre d’utilisation des coupons des billets d’avion empêchent que des billets vendus en dehors du territoire du Royaume-Uni soient utilisés pour des vols au départ d’aéroports britanniques.

111
La distribution des titres de transport aérien s’effectuant au niveau national, il s’ensuit que les compagnies aériennes achètent habituellement les services de distribution de ces titres sur une base nationale, comme l’attestent les conventions signées à cette fin par BA avec les agents de voyages établis au Royaume-Uni.

112
Il n’a pas été non plus mis en doute que les compagnies aériennes structurent leurs services commerciaux à l’échelon national, que le traitement des billets d’avion par les agents de voyages s’effectue dans le cadre des plans nationaux de règlement bancaire de l’IATA et, dans le cas d’espèce, par l’intermédiaire du plan de règlement bancaire pour le Royaume-Uni (Billing and Settlement Plan for the United Kingdom, ci-après le «BSPUK»).

113
En outre, BA n’a pas remis en cause l’affirmation de la Commission selon laquelle BA applique ses systèmes de primes de résultat aux agents de voyages établis au Royaume-Uni d’une manière uniforme sur tout le territoire de cet État membre.

114
BA n’a pas non plus contesté que les incitations financières litigieuses ne s’appliquent qu’aux ventes de billets BA réalisées au Royaume-Uni, même si ces incitations s’insèrent dans des conventions conclues avec des agents de voyages dont les activités s’étendent à plus d’un État membre.

115
Contrairement à ce qu’elle soutient, la conclusion par BA d’accords mondiaux avec certains agents de voyages n’est pas de nature à établir que ceux-ci traitent de plus en plus avec les compagnies aériennes à l’échelon international. Ainsi qu’il ressort du considérant 20 de la décision attaquée, non par BA, ces accords mondiaux n’ont été signés qu’avec trois agents de voyages et seulement pour la saison d’hiver 1992/1993. Ces accords se sont en outre simplement ajoutés aux accords locaux passés dans les pays concernés.

116
Il n’apparaît donc pas que la Commission ait retenu à tort comme marché géographique pertinent le marché du Royaume-Uni, aux fins d’y démontrer la détention d’une position dominante par BA en sa qualité d’acheteur des services d’agences de voyages aériens fournis par les agents établis au Royaume-Uni.

117
Il s’ensuit que le moyen tiré de la définition erronée du marché sectoriel et géographique pertinent ne peut être accueilli.

Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence du lien de connexité nécessaire entre les marchés sectoriels affectés

118
Dans la décision attaquée, la Commission a constaté l’existence d’effets des pratiques litigieuses sur plusieurs marchés. Ainsi qu’il ressort notamment des considérants 111 et 112 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les systèmes de primes de résultat appliqués par BA engendraient, sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens, une discrimination entre agents de voyages établis au Royaume-Uni et tendaient, d’une part, à réduire la quantité de services d’agences de voyages aériens fournis aux autres compagnies et, d’autre part, à soumettre la prestation de ces services à des conditions plus défavorables. Ce comportement abusif de BA sur le marché des services des agences de voyages aériens produirait en outre, sur les marchés britanniques du transport aérien, de graves effets anticoncurrentiels au détriment des compagnies aériennes concurrentes de BA (considérants 103 et 113).

Arguments des parties

119
BA soutient qu’il n’existe pas de lien de connexité suffisamment étroit, requis par l’article 82 CE, entre, d’une part, le marché britannique des services des agences de voyages aériens, prétendument dominé par BA, et, d’autre part, les marchés britanniques du transport aérien, où BA n’occupe pas une position dominante.

120
L’analyse de la Commission serait «circulaire» en ce qu’elle considère que la réussite de BA sur les marchés britanniques du transport aérien entraîne, sur le marché britannique des services des agences de voyages, une position dominante de BA, dont l’exploitation abusive aurait des répercussions dommageables sur les premiers marchés.

121
En outre, les parts détenues par BA sur les marchés britanniques du transport aérien seraient trop faibles pour susciter des inquiétudes, et sa qualité d’acheteur de services d’agences de voyages au Royaume-Uni ne lui permettrait pas de contrôler la fourniture de ces services.

122
La Commission estime avoir identifié le marché constitué par les services des agences de voyages aériens établis au Royaume-Uni, où BA occupe une position dominante et en a abusé, en raison de la discrimination illicite opérée entre ces opérateurs et de l’effet d’exclusion que son comportement a produit sur ce même marché. Auraient été également pris en compte les effets d’exclusion que cet abus aurait produits à l’encontre des compagnies aériennes concurrentes sur les marchés sectoriels du transport aérien au départ et à destination du Royaume-Uni.

123
Le Tribunal aurait souligné que l’article 82 CE ne comporte aucune indication explicite en ce qui concerne les exigences afférentes à la localisation de l’abus sur le marché des produits ou services (arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, cité au point 108 ci-dessus, point 113), et la Cour aurait estimé que l’appréciation du Tribunal ne pouvait être contestée sur ce point (arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, cité au point 108 ci-dessus, point 24).

124
Même si le cas d’espèce est différent de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, cité au point 108 ci-dessus, dans la mesure où l’abus de position dominante commis par BA a produit des effets tant sur le marché dominé que sur d’autres marchés, il serait indiscutable que le marché britannique des services des agences de voyages aériens entretient des rapports étroits avec les marchés du transport aérien au départ, à l’intérieur et à destination du Royaume-Uni.

125
La partie intervenante, Virgin, rappelle que BA a contesté l’autonomie du marché des services des agences de voyages aériens par rapport à celui des transports aériens. BA ne serait donc plus recevable à soutenir que ces deux marchés sont totalement séparés et sans aucun rapport.

126
Virgin ajoute que la capacité des agents de voyages à exercer une influence déterminante sur le choix d’une compagnie aérienne par le voyageur ne saurait être sérieusement contestée. Aussi les primes que leur versent les compagnies aériennes influenceraient considérablement leurs modes de réservation à l’égard des voyageurs qui leur délèguent le choix de la compagnie aérienne.

Appréciation du Tribunal

127
Un abus de position dominante commis sur le marché sectoriel dominé mais dont les effets se font sentir sur un marché distinct où l’entreprise concernée ne détient pas de position dominante peut relever de l’article 82 CE pour autant que ce marché distinct soit suffisamment connexe au premier (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 22, et du 3 octobre 1985, CBEM, 311/84, Rec. p. 3261, point 26).

128
En l’occurrence, les systèmes de primes de résultat litigieux s’insèrent dans un ensemble de conventions que BA a conclues avec les agents de voyages établis au Royaume-Uni, aux fins de la prestation de services d’agences de voyages aériens, dont la délivrance de ses titres de transport aux voyageurs, et de la prestation des services annexes de publicité et de promotion commerciale.

129
Comme il a déjà été relevé ci-dessus, il est admis que les agents de voyages aériens assurent une fonction de détaillants et que, au moins à court terme, ils conserveront ce rôle et, partant, une importance vitale pour les compagnies aériennes.

130
Les prestations que vendent ainsi aux voyageurs les compagnies aériennes par l’intermédiaire des agents de voyages établis au Royaume-Uni sont constituées par les services de transport aérien sur les vols réguliers que ces compagnies assurent au départ et à destination d’aéroports britanniques.

131
Le Tribunal rappelle à cet égard que, à l’époque des pratiques litigieuses de BA, 85 % des billets d’avion vendus au Royaume-Uni étaient écoulés par l’intermédiaire d’agents de voyages aériens.

132
Il existe donc un lien de connexité indiscutable entre, d’une part, les services d’agences de voyages aériens fournis aux compagnies aériennes par les agents établis au Royaume-Uni et, d’autre part, les services de transport aérien assurés par ces compagnies sur les marchés britanniques du transport aérien constitués par les lignes aériennes au départ et à destination des aéroports du Royaume-Uni.

133
D’ailleurs, l’argumentation de BA repose sur la prémisse selon laquelle un tel lien de connexité existe entre les marchés concernés. En effet, BA note, au point 10.28 de sa requête, que le refus d’un agent d’assurer la promotion des vols de BA est susceptible d’entraîner pour celle-ci une perte commerciale absolue. Or, un tel manque à gagner ne peut se matérialiser que par une réduction du nombre des émissions des titres de transport en faveur de BA.

134
Inversement, BA relève, au point 4.39 de sa requête, que, dans la mesure où ils peuvent entraîner une augmentation de la demande en services de transport aérien, les avantages accordés par les compagnies aériennes aux agents de voyages entraînent des économies de coûts significatives.

135
C’est donc à juste titre que la Commission a retenu l’existence du lien de connexité requis par l’article 82 CE entre le marché britannique des services d’agences de voyages que les compagnies aériennes achètent aux agents de voyages et les marchés britanniques du transport aérien.

136
Dans ces conditions, le quatrième moyen ne saurait prospérer.

Sur le cinquième moyen, pris de l’erreur de base juridique

137
Le règlement n° 17, sur le fondement duquel la décision attaquée a été adoptée, constitue le premier règlement d’application des articles 81 CE et 82 CE et prévoit le cadre juridique général de la mise en œuvre de ces deux dispositions.

138
Aux termes de l’article 1er du règlement n° 141 du Conseil, du 26 novembre 1962, portant non-application du règlement n° 17 au secteur des transports (JO 1962, 124, p. 2751), «le règlement n° 17 n’est pas appliqué aux accords, décisions et pratiques concertées dans le secteur des transports qui ont pour objet ou pour effet la fixation des prix et conditions de transport, la limitation ou le contrôle de l’offre de transport ou la répartition des marchés de transport, non plus qu’aux positions dominantes, au sens de l’article [82 CE], sur le marché des transports».

139
Selon le troisième considérant du règlement n° 141, les aspects spéciaux des transports ne justifient toutefois la non-application du règlement n° 17 qu’à l’égard des accords, décisions et pratiques concertées qui concernent directement la prestation du service des transports.

140
Enfin, le 14 décembre 1987, la Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 3975/87, déterminant les modalités d’application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens (JO L 374, p. 1).

Arguments des parties

141
BA soutient que, même à supposer que le marché sectoriel en cause soit celui des services d’agences de voyages aériens, les pratiques reprochées à BA ne relèveraient pas du règlement retenu par la Commission comme base juridique de la décision attaquée, à savoir le règlement n° 17, mais du règlement n° 3975/87.

142
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 11 mars 1997, Commission/UIC (C-264/95 P, Rec. p. I-1287, point 28), confirmant l’arrêt du Tribunal du 6 juin 1995, Union internationale des chemins de fer/Commission (T-14/93, Rec. p. II-1503), la Cour aurait écarté la thèse, défendue en l’occurrence par la Commission, de l’applicabilité du règlement (CEE) n° 1017/68 du Conseil, du 19 juillet 1968, portant application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 175, p. 1), aux seuls accords et pratiques concertées concernant directement la fourniture de transport, au motif que le passage pertinent de l’article 1er du règlement n° 1017/68 était précis et détaillé et ne mentionnait pas le terme «directement».

143
La Commission tenterait de distinguer l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/UIC, cité au point 142 ci-dessus, du présent litige en affirmant que le domaine d’application du règlement n° 1017/68 est défini de manière plus large que celui du règlement n° 3975/87, en ce que le premier texte se réfère à tous «accords, décisions et pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet la fixation des prix et conditions de transport, la limitation ou le contrôle de l’offre de transport, la répartition des marchés de transport». Toutefois, comme la Cour l’aurait retenu dans l’arrêt Commission/UIC, cité au point 142 ci-dessus, tel serait précisément le libellé de l’article 1er du règlement n° 141, qui soustrait l’ensemble du secteur des transports au champ d’application du règlement n° 17.

144
En outre, le libellé du règlement n° 3975/87 lui-même montrerait que cet acte n’est pas censé avoir uniquement le champ d’application restrictif suggéré par la Commission. Son article 2 prévoirait l’inapplicabilité de l’interdiction édictée par l’article 81, paragraphe 1, CE aux ententes énumérées en annexe. Or, cette annexe inclurait, sous k), les ententes concernant «la compensation et l’apurement des comptes entre les compagnies aériennes et leurs agents agréés au moyen d’un plan ou d’un système d’apurement centralisé et automatisé, avec tous les services annexes ou nécessaires à cet effet». Si la thèse de la Commission était exacte, ces ententes ne relèveraient en aucun cas du règlement n° 3975/87.

145
Selon la propre analyse de la Commission, les pratiques reprochées à BA produiraient leurs effets, ou à tout le moins leurs effets principaux, dans le secteur des transports aériens (considérants 118 et 120 de la décision attaquée). En outre, les primes de résultat litigieuses constitueraient l’un des coûts directs de la vente d’un billet de transport aérien et auraient une influence sur le prix net reçu par la compagnie aérienne en contrepartie du service de transport aérien fourni, fixant également de manière indirecte les «prix de transport» au sens du règlement n° 141.

146
L’erreur de base juridique commise par la Commission aurait eu pour effet de priver BA de ses garanties procédurales, eu égard aux différences de régimes existant à cet égard entre le règlement n° 17 et le règlement n° 3975/87.

147
En outre, la Commission n’aurait pas eu compétence pour adopter la décision attaquée en ce qu’elle affecte des lignes aériennes entre l’Union européenne et des pays tiers. Ces dernières ne relèveraient pas du champ d’application du règlement n° 3975/87, qui est limité aux transports aériens entre les aéroports communautaires.

148
De l’avis de la Commission, il ne fait aucun doute que, en tant qu’activités connexes ou indirectement liées au marché des transports aériens proprement dits, les services d’agences de voyages aériens ne rentrent pas dans le cadre de l’exclusion de l’application du règlement n° 17 prévue par l’article 1er du règlement n° 141 et qu’ils restent, au contraire, soumis au règlement n° 17.

149
Le règlement n° 3975/87, dont le troisième considérant souligne les caractéristiques propres au secteur des transports aériens, ne s’appliquerait qu’aux accords directement liés à la prestation de services de transport aérien.

150
Or, la décision attaquée ne porterait que sur les services que BA achète aux agents de voyages. Aussi bien l’abus reproché que ses effets premiers seraient survenus sur le marché des services des agences de voyages aériens (considérants 85 et 112 de la décision attaquée). Les arrangements anticoncurrentiels convenus entre BA et les agents de voyages établis au Royaume-Uni ne se rapporteraient pas à des «services de transports aériens» et ne seraient pas directement liés à la prestation de tels services.

151
Quel que soit son champ d’application, le règlement n° 1017/68 ne serait pas pertinent en l’espèce et les deux arrêts concernant l’Union internationale des chemins de fer, cités au point 142 ci-dessus, porteraient sur ce règlement et non sur le règlement n° 3975/87.

152
Alors que l’article 1er du règlement n° 1017/68 donne une définition large de son champ d’application, le règlement n° 3975/87, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 2410/92 du Conseil, du 23 juillet 1992 (JO L 240, p. 18), viserait uniquement, en son article 1er, paragraphe 2, «les transports aériens entre aéroports de la Communauté».

153
En outre, le présent litige ne porterait ni sur l’offre de transport ni sur la fixation des prix de transport, expressément mentionnées à l’article 1er du règlement n° 1017/68.

154
Si, comme le sous-entend BA, les services d’agences de voyages aériens ne relevaient pas du domaine du règlement n° 3975/87, tout en étant exclus du champ d’application du règlement n° 17 par le règlement n° 141, ils ne seraient couverts par aucune réglementation communautaire, ce qui serait impossible.

Appréciation du Tribunal

155
Les systèmes de primes de résultat appliqués par BA s’insèrent dans des accords conclus entre BA et les agents de voyages établis au Royaume-Uni aux fins de la fourniture à BA de services d’agences de voyages et, notamment, de la distribution des titres de transport de BA, à l’exclusion, par conséquent, des services de transport aérien proprement dits que BA fournit aux voyageurs.

156
Ces prestations de services de transport aérien font en effet l’objet de contrats individuels conclus entre BA et les voyageurs et ne relèvent donc pas de l’objet de la décision attaquée.

157
Les systèmes de primes de résultat, dont l’application aux agents de voyages établis au Royaume-Uni est critiquée par la Commission, ne sont donc pas à considérer comme se rapportant directement au service de transport aérien proprement dit convenu entre le voyageur et la compagnie aérienne.

158
Or, comme il résulte du troisième considérant du règlement n° 141, les aspects spéciaux des transports ne justifient la non-application du règlement n° 17 qu’à l’égard des accords, des décisions et des pratiques concertées qui «concernent directement la prestation du service des transports» (arrêt de la Cour du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission, C-82/01 P, Rec. p. I-9297, point 18).

159
Ainsi, l’article 1er du règlement n° 141 n’écarte l’application du règlement n° 17 qu’à l’égard des ententes ayant «pour objet ou pour effet la fixation des prix et des conditions de transport, la limitation ou le contrôle de l’offre de transport ou la répartition des marchés de transport» (arrêt Aéroports de Paris/Commission, cité au point 158 ci-dessus, point 18), et des «[…] positions dominantes, au sens de l’article 82 CE, sur le marché des transports».

160
C’est en vain que BA se prévaut, en se référant à l’arrêt Commission/UIC, cité au point 142 ci-dessus, de l’identité du libellé de l’article 1er du règlement n° 1017/68 et de l’article 1er du règlement n° 141, qui limite le champ d’application du règlement n° 17 par rapport aux règlements applicables à l’ensemble des transports, pour soutenir que le règlement n° 3975/87 est applicable au cas d’espèce.

161
En premier lieu, il ressort du deuxième considérant du règlement n° 3975/87 que le règlement n° 1017/68 s’applique exclusivement aux transports intérieurs (chemin de fer, route et voie navigable). BA ne saurait donc utilement se prévaloir de la pertinence en l’espèce du règlement n° 3975/87 en invoquant le règlement n° 1017/68, qui a un champ d’application matériel différent.

162
En effet, il résulte du deuxième considérant du règlement n° 3975/87 que la Commission ne disposait pas, avant l’entrée en vigueur de ce règlement, de moyens pour instruire directement les cas d’infractions présumées aux articles 81 CE et 82 CE dans le secteur des transports aériens.

163
En deuxième lieu, tout en tenant compte, selon le cinquième considérant du règlement n° 3975/87, de certains caractères particuliers des activités de transport considérées dans leur ensemble, les auteurs de ce texte ont retenu par ailleurs que le secteur des transports aériens présente des caractéristiques qui lui sont propres, ainsi qu’il résulte du troisième considérant de ce même règlement.

164
En troisième lieu, il se dégage de l’économie des dispositions réglementaires applicables aux transports aériens une intention du législateur communautaire, absente du règlement n° 1017/68, de limiter le champ d’application du règlement n° 3975/87 aux seules activités concernant directement la prestation de services de transport aérien, en raison même de la spécificité de ce secteur.

165
Il ressort ainsi du titre du règlement n° 3975/87 que celui-ci «détermin[e] les modalités d’application des règles de concurrence applicables aux entreprises de transports aériens», par contraste avec le règlement n° 1017/68 qui «port[e] application de règles de concurrence aux secteurs des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable». Cette différence de libellé confirme qu’une activité ne relève du champ d’application du règlement n° 3975/87 que si elle est directement liée à la prestation de services de transport aérien (voir, en ce sens, arrêt Aéroports de Paris/Commission, cité au point 158 ci-dessus, point 22).

166
Par ailleurs, le premier considérant du règlement (CEE) n° 3976/87 du Conseil, du 14 décembre 1987, concernant l’application de l’article [81], paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords et de pratiques concertées dans le domaine des transports aériens (JO L 374, p. 9), adopté le même jour que le règlement n° 3975/87, rappelle que le règlement n° 17 fixe les modalités d’application des règles de concurrence aux accords, aux décisions et aux pratiques concertées «autres que ceux qui se rapportent directement à la prestation de services de transport aérien» (arrêt Aéroports de Paris/Commission, cité au point 158 ci-dessus, point 24).

167
De plus, l’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 3975/87, tel que modifié par le règlement n° 2410/92, dispose que «[l]e présent règlement vise uniquement les transports aériens entre aéroports de la Communauté».

168
De même, l’article 4 bis du règlement n° 3975/87, introduit par le règlement (CEE) n° 1284/91 du Conseil, du 14 mai 1991, modifiant le règlement n° 3975/87 (JO L 122, p. 2), ne vise que les pratiques ayant pour objet ou pour effet de «compromettre directement l’existence d’un service aérien», ce qui suppose l’existence d’un lien direct avec la prestation de services de transport aérien (arrêt Aéroports de Paris/Commission, cité au point 158 ci-dessus, point 23).

169
N’est, dès lors, aucunement décisif l’argument de texte tiré par BA de l’exception prévue par les dispositions combinées de l’article 2 du règlement n° 3975/87 et de la lettre k) de l’annexe de ce règlement au profit des ententes concernant la compensation et l’apurement des comptes entre les compagnies aériennes et leurs agents agréés.

170
Ces ententes, de portée purement technique, sont, en effet, à considérer, dans le contexte normatif décrit ci-dessus, comme détachables des conventions telles que celles passées entre BA et les agents de voyages établis au Royaume-Uni aux fins de la prestation des services d’agences de voyages proprement dits.

171
Enfin, BA n’est nullement fondée à alléguer que les pratiques qui lui sont reprochées produiraient leurs principaux effets sur le marché du transport aérien. En effet, le choix du règlement applicable est subordonné à la qualification des pratiques en cause et non à l’identification préalable du marché sur lequel ces pratiques produisent leurs effets (voir, en ce sens, arrêt Commission/UIC, cité au point 142 ci-dessus, point 42).

172
En toute hypothèse, il ressort des considérants 85 et 112 de la décision attaquée que la Commission a localisé sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens tant l’abus de position dominante retenu à l’encontre de BA que certains de ses effets, ce qui suffit à justifier l’application du règlement n° 17 au cas d’espèce.

173
C’est donc sans commettre d’erreur de droit que la Commission s’est fondée sur le règlement n° 17 pour adopter la décision attaquée.

174
Il y a donc lieu de rejeter le moyen comme non fondé.

Sur le sixième moyen, tiré de l’inexistence d’une position dominante

Arguments des parties

175
En premier lieu, BA reproche à la Commission de l’avoir considérée comme une entreprise en position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens sans avoir dûment pris en considération l’intense concurrence à laquelle elle est confrontée sur les marchés britanniques du transport aérien.

176
Indépendamment du nombre total de lignes qu’elle dessert, BA n’agirait pas avec un important degré d’indépendance ni par rapport à ses concurrents présents sur chaque ligne ni à l’égard des voyageurs qui disposent de la capacité de choisir leur compagnie aérienne pour chaque ligne.

177
BA fait, en deuxième lieu, grief à la Commission de ne pas avoir expliqué comment sa prétendue position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens «découl[ait]» des «très grands succès» qu’elle obtient sur les marchés britanniques du transport aérien.

178
BA fait observer, en troisième lieu, que les parts du marché britannique des services d’agences de voyages aériens qu’elle détiendrait selon la Commission, en sa qualité de cliente des agents, ne démontrent pas qu’elle occupe sur ce marché une position dominante. La Commission se serait bornée à additionner l’ensemble des ventes de billets BA écoulés sur l’ensemble des lignes en direction et en provenance des aéroports du Royaume-Uni, bien que celles-ci constituent des marchés distincts.

179
Par ailleurs, la Commission n’aurait pas correctement calculé les parts de marché détenues par BA. Les pourcentages retenus par la Commission incluraient également les ventes intervenues en dehors du Royaume-Uni et surévalueraient donc les parts de marché de BA. La Commission aurait fondé ses calculs sur les ventes de billets d’avion transitant par le BSPUK, auquel ne participent qu’une partie des agents de voyages établis au Royaume-Uni. Sans analyser les transactions effectuées par les autres agents, la Commission se serait contentée de supposer que les opérations transitant par le BSPUK représentaient 80 à 85 % de tous les billets vendus par les agents. Enfin, des ventes imputées à BA et effectuées dans le cadre du BSPUK incluraient des opérations réalisées par d’autres compagnies utilisant BA comme agent et ne participant pas aux accords passés entre BA et les agents de voyages établis au Royaume-Uni.

180
BA soutient que la Commission n’a pas pris en compte l’incidence des ventes réalisées par des canaux autres que les agents de voyages, telles que les ventes directes par téléphone ou par Internet. Or, celles-ci affecteraient, comme la Commission l’a expressément reconnu au considérant 72 de la décision attaquée, le pouvoir des compagnies aériennes sur le marché des services d’agences de voyages aériens.

181
En soulignant la position particulièrement forte de BA à l’égard des principaux agents de voyages, la Commission ignorerait le net déclin du pourcentage de leurs ventes totales de billets BA et la part relativement faible des services fournis à BA dans les activités de certaines des principales agences.

182
Si l’on applique le critère de la stabilité des parts de marché ou celui de la sensibilité à la concurrence, retenus par la jurisprudence (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461), les parts de BA sur le «marché» britannique des services d’agences de voyages aériens ne permettraient pas de conclure qu’elle y détient une position dominante prévalant à tout moment.

183
Une analyse correcte des données relatives aux parts de marché détenues par BA infirmerait plutôt la constatation d’une position dominante. En effet, la part de marché de BA serait passée de 47,7 % au début des années 90 à 39,7 %. En revanche, les parts de marché d’autres compagnies aériennes, en particulier celles de Virgin et de British Midland, auraient rapidement augmenté.

184
L’importance du pourcentage de billets vendus par une agence de voyages ne ferait pas de la compagnie aérienne concernée un «partenaire commercial obligé» de cette agence, contrairement à ce que soutient la Commission au considérant 92 de la décision attaquée. En pratique, chaque agence devrait offrir les billets d’une large gamme de compagnies aériennes. En fait, les agences disposeraient d’un pouvoir de négociation important et le choix final d’un agent incomberait au client.

185
Contrairement aux distributeurs opérant sur les marchés en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus, et dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, les agents de voyages ne détiendraient normalement pas de stocks et n’auraient pas non plus réellement besoin de vendre des billets BA. Les lignes desservies par BA l’étant également par d’autres compagnies, les agences pourraient satisfaire le choix des voyageurs aussi longtemps qu’ils sont en mesure de vendre les billets de BA.

186
Enfin, si BA détenait effectivement une position dominante, elle n’aurait eu aucun intérêt à consacrer des sommes considérables pour améliorer ses services, à l’effet de concurrencer plus efficacement les autres compagnies.

187
La Commission soutient que, pour établir la position dominante détenue par BA sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens, elle a retenu les pourcentages des ventes de billets BA par des agents de voyages accrédités auprès de l’IATA et une série de facteurs connexes, tels que la taille de BA, l’étendue de la gamme de ses services de transport aérien et de son réseau.

188
BA aurait été manifestement en mesure de se comporter indépendamment des agents de voyages établis au Royaume-Uni et, notamment, de substituer unilatéralement la commission de base de 7 % à celle de 7,5 %, pour les vols intérieurs, et à celle de 9 %, pour les vols internationaux.

Appréciation du Tribunal

189
La position dominante visée par l’article 82 CE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T-128/98, Rec. p. II-3929, point 147).

190
Comme il ressort de l’examen du troisième moyen, c’est sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens, consistant notamment dans la distribution des billets d’avion, fournis aux compagnies aériennes par les agents de voyages établis au Royaume-Uni que la Commission a choisi de conclure à l’existence d’une position dominante de BA.

191
Ainsi qu’il a été relevé au point 101 ci-dessus, la circonstance selon laquelle BA est à considérer comme une entreprise en position dominante en sa qualité d’acheteur de services, et non pas en tant que prestataire de services, est dépourvue de pertinence.

192
Il s’ensuit que le nombre de sièges offerts sur les dessertes assurées par BA sur l’ensemble des lignes au départ et à destination des aéroports britanniques, qui représentent autant de billets d’avion BA susceptibles d’être écoulés par l’intermédiaire des agents de voyages établis au Royaume-Uni, constitue le critère adéquat pour mesurer la puissance économique que BA est à même d’exercer à l’égard de ces agents et des autres compagnies qui achètent des services de distribution en cause.

193
BA a elle-même relevé que l’exploitation de son réseau en étoile sur le territoire du Royaume-Uni lui permet d’offrir beaucoup plus de vols en direction et en provenance de ses aéroports pivots et de transporter, par conséquent, un nombre plus important de passagers que les autres compagnies aériennes, qui desservent des lignes directes.

194
C’est donc à bon droit que la Commission a, aux fins du calcul des parts détenues par BA sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens, additionné tous les billets BA vendus par l’intermédiaire des agents de voyages établis au Royaume-Uni sur l’ensemble des lignes au départ et à destination des aéroports du Royaume-Uni.

195
Dans ces conditions, BA ne saurait utilement faire abstraction du nombre total de lignes aériennes qu’elle exploite, pour contester sa capacité à agir avec un important degré d’indépendance par rapport à ses concurrents présents sur chacune de ces lignes, aux agents de voyages et aux voyageurs, qui disposeraient de la capacité de choisir leur compagnie aérienne.

196
BA n’est pas davantage fondée à reprocher à la Commission de ne pas avoir expliqué comment sa position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens procède de ses réussites dans les transports aériens.

197
En effet, aux fins d’établir la détention par BA d’une éventuelle position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens, il n’y a pas lieu d’y apprécier sa puissance économique en fonction de la concurrence s’exerçant entre compagnies prestataires de services de transport aérien sur chacune des lignes aériennes desservies par BA et par ses concurrents au départ et à destination des aéroports britanniques.

198
Ainsi qu’il résulte de l’examen du troisième moyen, ces différents marchés britanniques de services de transport aérien sont distincts des services d’agences de voyages aériens, dont, notamment, la distribution des billets d’avion.

199
S’agissant des erreurs factuelles alléguées, BA ne saurait faire grief à la Commission de ne pas avoir pris en compte l’incidence des ventes de billets d’avion effectuées par téléphone ou par Internet, eu égard à la spécificité, au regard des modalités de commercialisation, des services fournis par les agents de voyages.

200
Cette spécificité a d’ailleurs amené BA à affirmer que les agents de voyages revêtent une importance vitale, en tant qu’intermédiaires, pour les compagnies aériennes. Cette spécificité est, par ailleurs, attestée par la circonstance selon laquelle les ventes de billets d’avion traitées par les agents de voyages établis au Royaume-Uni représentent 85 % de tous les titres de transport aérien vendus dans cet État membre.

201
En outre, BA ne saurait utilement reprocher à la Commission d’avoir pris en compte les ventes de billets BA réalisées en dehors du Royaume-Uni dans la détermination de ses parts du marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

202
En effet, BA a admis, dans une réponse à une question du Tribunal, qu’il était impossible de quantifier les transactions intervenues à l’extérieur du Royaume-Uni. La Commission n’était donc pas en mesure de procéder à une distinction selon que les billets étaient ou non vendus à l’intérieur du Royaume-Uni. Or, ainsi qu’il résulte de l’examen du troisième moyen, les voyageurs réservent normalement les billets d’avion dans leur pays de résidence. Par conséquent, la requérante n’a pas démontré que l’évaluation effectuée par la Commission portait sur un nombre de billets de nature à fausser son estimation des parts de marché détenues par BA sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

203
L’argument de BA tiré du défaut de représentativité du BSPUK n’emporte pas l’adhésion. Même si le BSPUK ne regroupe que 4 634 des 7 000 agents de voyages établis au Royaume-Uni, il est constant que ce sont les plus importants d’entre eux qui figurent au nombre des membres de ce plan de règlement national.

204
Compte tenu de la part prépondérante des ventes de billets d’avion transitant par le BSPUK dans le total des ventes de billets traitées par l’intermédiaire des agents de voyages établis au Royaume-Uni, il apparaît que la Commission a estimé à bon droit que les parts des six principales compagnies aériennes dans ces ventes totales de billets d’avion ne pouvaient être très différentes de celles comptabilisées par l’intermédiaire du BSPUK.

205
D’ailleurs, comme il ressort du considérant 34 de la décision attaquée, BA a elle-même indiqué au cours de la procédure administrative qu’elle avait vendu, entre janvier et novembre 1998, 85 % de ses billets d’avion émis au Royaume-Uni par l’intermédiaire d’agents de voyages IATA et par le BSPUK. Or, il apparaît à la lecture du considérant 33 de la décision attaquée, non critiqué sur ce point par la requérante, que 4 108 des 4 634 agents participant au BSPUK, soit un pourcentage de quelque 89 %, sont accrédités par l’IATA.

206
Il n’est pas davantage contesté que les ventes de billets BA effectuées par des agents de voyages IATA établis au Royaume-Uni ont représenté 66 % des ventes des dix premières compagnies aériennes, traitées au cours du même exercice par le BSPUK.

207
Dans ces conditions, la circonstance selon laquelle 2 366 agents de voyages ne participent pas au BSPUK n’apparaît pas de nature à réduire significativement la part de BA dans les ventes de billets d’avion effectuées au Royaume-Uni par l’intermédiaire des agents de voyages.

208
Il en va de même s’agissant des ventes de billets effectuées par d’autres compagnies utilisant BA comme agent et ne participant pas aux systèmes de primes de résultat incriminés. Comme la Commission l’a souligné, sans être contredite par BA, cette dernière s’est bornée à déclarer que le montant de ces ventes pouvait représenter un pourcentage égal ou inférieur à 5 %.

209
Il convient encore d’examiner si le raisonnement développé par la Commission pour établir la position dominante de BA, sur la base des éléments matériels qu’elle a ainsi légalement retenus, n’est pas entaché d’éventuelles erreurs d’appréciation.

210
Doit être, à cet égard, pris en compte l’indice hautement significatif constitué par la détention de parts de marché d’une grande ampleur par l’entreprise en cause ainsi que le rapport entre les parts de marché détenues par l’entreprise concernée et par ses concurrents immédiats (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus, points 39 et 48), et ce d’autant plus que les concurrents immédiats ne détiennent que des parts de marché marginales (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, point 111).

211
Or, comme il ressort du tableau reproduit ci-après, repris du considérant 41 de la décision attaquée et dont BA n’a pas été en mesure de démontrer l’inexactitude matérielle (voir points 199 à 208 ci-dessus), non seulement les parts de marché occupées par BA dans le total des ventes de billets d’avion traitées par le BSPUK sont à regarder comme étant de grande ampleur, mais elles constituent invariablement un multiple des parts de marché de chacun de ses cinq principaux concurrents présents sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

    1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

British Airways

46,3

45,6

43,5

42,7

40,3

42,0

39,7

American Airlines

5,4

7,3

7,7

7,6

3,6

3,8

Virgin

2,8

3,0

3,7

4,0

4,0

5,8

5,5

British Midland

3,6

3,4

3,2

3,0

2,7

Qantas

3,0

2,7

3,0

2,6

6,4

3,0

3,3

KLM

2,5

3,8

5,3

212
La puissance économique que BA tire de ses parts de marché est encore renforcée par le rang mondial qu’elle occupe en raison du nombre de passagers-kilomètres transportés sur des vols internationaux réguliers, de l’étendue de la gamme de ses services de transport ainsi que de son réseau en étoile.

213
Selon les propres affirmations de BA, ses opérations en réseau lui permettent, par rapport à ses cinq autres concurrents, d’offrir un plus grand choix de liaisons aériennes et des fréquences de vols supérieures.

214
Il ressort en outre du considérant 38 de la décision attaquée, non remis en cause par BA, qu’elle exploitait, en 1995, 92 des 151 liaisons aériennes internationales assurées à partir de l’aéroport de Heathrow et 43 des 92 lignes en service à Gatwick, soit plusieurs fois le nombre des liaisons desservies par chacun de ses trois ou quatre concurrents immédiats à partir de ces deux aéroports.

215
L’ensemble des dessertes assurées par BA sur les liaisons au départ et à destination des aéroports du Royaume-Uni a pour effet cumulatif de générer l’achat par les voyageurs d’un nombre prépondérant de billets d’avion BA par l’intermédiaire des agents de voyages établis au Royaume-Uni, et, corrélativement, au moins autant de transactions intervenues entre BA et ces agents, aux fins de la fourniture de services d’agences de voyages aériens, en particulier de distribution de billets d’avion de BA.

216
Il s’ensuit nécessairement que ces agents dépendent pour une partie substantielle des recettes qu’ils perçoivent de BA en contrepartie de leurs services d’agences de voyages aériens.

217
C’est donc à tort que BA conteste sa qualité de partenaire commercial obligé des agents de voyages établis au Royaume-Uni et qu’elle soutient que ceux-ci n’auraient pas réellement besoin de vendre des billets BA. Les arguments de BA ne sont pas de nature à invalider la constatation, reprise au considérant 93 de la décision attaquée, selon laquelle BA détient une position particulièrement forte par rapport à ses concurrents immédiats et aux agents de voyages les plus importants.

218
Il résulte ainsi des faits de la cause que BA a été en mesure d’imposer unilatéralement, par une circulaire du 17 novembre 1997, la réduction, à compter du 1er janvier 1998, de ses taux de commission en vigueur jusqu’alors et d’étendre son nouveau système de primes de résultat à l’ensemble des agents de voyages établis au Royaume-Uni.

219
Dans ces conditions, ni l’éventuelle modicité, simplement alléguée au demeurant, de la part des ventes de billets BA dans les activités de certaines des principales agences ni les prétendues fluctuations de la part de BA dans le chiffre total des ventes de billets d’avion réalisées par les agents de voyages établis au Royaume-Uni ne sauraient remettre en cause la constatation de la Commission selon laquelle BA détient une position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

220
La grande dépendance des agents de voyages établis au Royaume-Uni par rapport à BA et sa liberté de comportement corrélative par rapport aux autres compagnies bénéficiaires des services d’agences de voyages aériens ne sont pas non plus susceptibles d’être remises en cause par la circonstance selon laquelle ces agents ne détiennent normalement pas de stocks de billets d’avion.

221
En effet, une telle circonstance, de nature purement logistique, n’est pas de nature à influer sur la position dominante découlant pour BA de son poids prépondérant sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

222
L’argument selon lequel BA n’aurait aucun intérêt, en tant qu’entreprise en position dominante, à consacrer des sommes considérables pour améliorer ses services, à l’effet de concurrencer plus efficacement les compagnies concurrentes, est dépourvu de pertinence en ce qu’il porte sur les marchés britanniques du transport aérien et non pas sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens retenu pour établir la position dominante de BA.

223
Enfin, pour la même raison, ni le déclin du pourcentage des ventes de billets d’avion BA ni la progression des parts de marché de certaines des compagnies concurrentes ne sont d’une ampleur suffisante pour remettre en cause l’existence de la position dominante de BA sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

224
En l’espèce, la réduction des parts de marché détenues par BA ne peut, en elle-même, constituer la preuve de l’absence de position dominante. En effet, la position que BA occupe encore sur le marché britannique des services des agences de voyages aériens demeure très largement prépondérante. Comme l’atteste le tableau reproduit au point 211 ci-dessus, un écart substantiel s’est maintenu, pendant toute la durée de l’infraction retenue par la Commission, entre, d’un côté, les parts de marché de BA et, de l’autre, aussi bien les parts de marché de son concurrent immédiat que celles cumulées de ses cinq principaux concurrents présents sur le marché britannique des services d’agences de voyages.

225
C’est ainsi à bon droit que la Commission a estimé que BA détenait une position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

226
Le sixième moyen doit donc être rejeté.

Sur le septième moyen, tiré de l’absence d’abus de position dominante

227
BA conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle ses systèmes de primes de résultat ont engendré une discrimination entre les agents de voyages établis au Royaume-Uni ou produit un effet d’exclusion à l’égard des compagnies aériennes concurrentes.

Sur le caractère discriminatoire des systèmes de primes de résultat de BA à l’égard d’agents de voyages établis au Royaume-Uni

    Arguments des parties

228
BA reproche à la Commission de ne pas avoir établi l’existence d’une discrimination entre les agents de voyages établis au Royaume-Uni qui procéderait de l’application de critères inégaux ou qui ne serait pas justifiée par des considérations commerciales légitimes.

229
La circonstance selon laquelle deux agents de voyages ayant écoulé un volume différent de billets BA peuvent recevoir les mêmes avantages et que deux agents ayant vendu le même nombre de billets BA peuvent obtenir des avantages différents n’établirait en rien l’existence d’une discrimination au sens de l’article 82, second alinéa, sous c), CE.

230
Des agents de voyages de taille différente pourraient, au contraire, consacrer la même quantité d’efforts et de ressources à la vente des billets de BA. Le calcul des primes de résultat fondé sur les ventes réalisées par l’agent au cours de la période de référence précédente aurait pour avantage de tenir compte de la taille de l’agent intéressé.

231
De l’avis de la Commission, les systèmes de primes de résultat de BA créaient une discrimination illicite entre les agents de voyages, en ce qu’ils étaient fondés sur la mesure dans laquelle ceux-ci atteignaient ou amélioraient le niveau des ventes de billets BA réalisées au cours de la période de référence écoulée et non sur un volume différent des ventes de billets effectuées ou sur le niveau de service offert à BA.

232
Cette pratique aurait infligé à certains des agents de voyages établis au Royaume-Uni, par rapport à d’autres, un désavantage dans la concurrence aiguë qu’ils se livrent. En faussant le niveau des commissions versées aux agents de voyages, les régimes d’incitations financières appliqués par BA auraient affecté leur capacité à se concurrencer mutuellement.

    Appréciation du Tribunal

233
L’article 82 CE dispose, en son second alinéa, sous c), que l’exploitation abusive d’une position dominante peut consister à appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence.

234
Il est constant que, comme le relève la Commission au considérant 29 de la décision attaquée, la réalisation par les agents de voyages établis au Royaume-Uni de leur objectif de progression des ventes de billets BA entraînait une augmentation du taux des commissions que leur versait BA, non pas sur les seuls billets BA écoulés une fois l’objectif de ventes atteint, mais également sur l’ensemble des billets BA traités par les agents au cours de la période de référence considérée.

235
Dans cette mesure, les systèmes de primes de résultat en cause pouvaient entraîner l’application de taux de commission différents à un montant de recettes identique réalisé au titre de la vente de billets BA par deux agents de voyages, dès lors que leurs chiffres de ventes respectifs, et, par voie de conséquence, leur taux de progression, avaient été différents au cours de la période de référence antérieure.

236
En rémunérant à des niveaux différents des services néanmoins identiques rendus au cours d’une même période de référence, ces systèmes de primes de résultat faussaient le niveau de la rémunération que les intéressés percevaient sous la forme de commissions versées par BA.

237
Or, comme BA l’a elle-même relevé, les agents de voyages établis au Royaume-Uni se livrent une intense concurrence, et leur capacité à se concurrencer mutuellement dépend de leur aptitude à fournir sur les vols des sièges adaptés aux désirs des voyageurs, et ce à un coût raisonnable.

238
Étant tributaire des ressources financières de chaque agent, cette aptitude des agents à se concurrencer dans la fourniture aux voyageurs de services d’agences de voyages aériens et à susciter la demande des compagnies aériennes pour de tels services était naturellement affectée par les conditions discriminatoires de rémunération inhérentes aux systèmes de primes de résultat de BA.

239
Les arguments de BA tirés de l’importance de la taille des agents de voyages établis au Royaume-Uni sont dépourvus de pertinence. Les systèmes de primes de résultat critiqués reposaient, en eux-mêmes, sur un paramètre étranger au critère de la taille des entreprises, puisqu’ils étaient fondés sur l’amplitude de l’accroissement par les agents de voyages de leurs ventes de billets BA par rapport au seuil constitué par le nombre de billets BA écoulés au cours de la période de référence antérieure.

240
Dans ces conditions, la Commission était en droit de retenir que les systèmes de primes de résultat de BA constituaient une exploitation abusive par BA de sa position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages, en ce qu’ils produisaient des effets discriminatoires au sein du réseau des agents de voyages établis au Royaume-Uni, et, partant, infligeaient à certains d’entre eux un désavantage dans la concurrence au sens de l’article 82, second alinéa, sous c), CE.

Sur l’effet d’exclusion des compagnies aériennes concurrentes de BA découlant du caractère «fidélisant» des systèmes de primes de résultat de BA

241
Le Tribunal rappelle au préalable que, selon une jurisprudence constante, la notion d’exploitation abusive est une notion objective visant les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus, point 91, et Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, point 70; arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, Rec. p. I-3359, point 69; arrêt du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228/97, Rec. p. II-2969, point 111).

242
Par conséquent, si la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, il lui incombe, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (arrêts Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, point 57, et Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, point 112).

243
De même, si l’existence d’une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut, cependant, admettre de tels comportements lorsqu’ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser (arrêt United Brands/Commission, cité au point 210 ci-dessus, point 189; arrêts du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65/89, Rec. p. II‑389, point 69; du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T-24/93 à T-26/93 et T-28/93, Rec. p. II-1201, point 107, et Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, point 112).

244
S’agissant plus particulièrement de l’octroi de rabais par une entreprise en position dominante, il ressort d’une jurisprudence constante qu’est contraire à l’article 82 CE un rabais de fidélité, octroyé en contrepartie d’un engagement du client de s’approvisionner exclusivement ou quasi exclusivement auprès d’une entreprise dominante. Un tel rabais tend, en effet, à empêcher, par la voie de l’octroi d’avantages financiers, l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 518; Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus, points 89 et 90; Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, point 71, et BPB Industries et British Gypsum/Commission, cité au point 244 ci-dessus, point 120).

245
Plus généralement, un système de rabais qui a pour effet d’empêcher l’approvisionnement des clients auprès des concurrents sur le marché sera considéré comme étant contraire à l’article 82 CE s’il est appliqué par une entreprise en position dominante. Pour cette raison, la Cour a jugé qu’un rabais lié à la réalisation d’un objectif d’achat violait également l’article 82 CE (arrêt Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, point 86).

246
Les systèmes de rabais quantitatifs liés exclusivement au volume des achats effectués auprès d’un producteur dominant sont généralement considérés comme n’ayant pas pour effet d’empêcher, en violation de l’article 82 CE, l’approvisionnement des clients auprès des concurrents (arrêts de la Cour Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, point 71, et du 29 mars 2001, Portugal/Commission, C-163/99, Rec. p. I-2613, point 50). Si l’augmentation de la quantité fournie se traduit par un coût inférieur pour le fournisseur, celui-ci est, en effet, en droit de faire bénéficier son client de cette réduction par le biais d’un tarif plus favorable (conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt Portugal/Commission, précité, Rec. p. I-2618, point 106). Les rabais de quantité sont donc censés refléter des gains d’efficience et des économies d’échelle réalisés par l’entreprise dominante.

247
Il s’ensuit qu’un système de rabais dont le taux de la remise augmente en fonction du volume acheté ne violera pas l’article 82 CE, à moins que les critères et les modalités d’octroi de ce rabais ne fassent apparaître que le système ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée mais tend, à l’instar d’un rabais de fidélité et d’objectif, à empêcher l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus, point 90; Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, point 73, et Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, point 114).

248
Il peut se déduire de manière générale de cette jurisprudence que tout système de rabais «fidélisant» appliqué par une entreprise en position dominante tend à empêcher l’approvisionnement des clients auprès des concurrents, en violation de l’article 82 CE, indépendamment de la question de savoir si le système de rabais est ou non discriminatoire. Il en va de même d’un système de primes de résultat «fidélisant» pratiqué par un acheteur en position dominante à l’égard de ses prestataires de services (voir point 101 ci-dessus).

249
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, la Cour, tout en ne retenant pas le grief de la Commission selon lequel le système de rabais appliqué par Michelin était discriminatoire, a néanmoins jugé qu’un tel système violait l’article 82 CE en ce qu’il créait un lien de dépendance pour les revendeurs à l’égard de Michelin.

    Arguments des parties

250
BA allègue que la Commission s’est bornée à présumer que les pratiques de BA avaient un effet d’exclusion, contrairement à ce qu’exige l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus. La décision attaquée serait dépourvue de toute analyse des marchés du transport aérien et de toute preuve empirique du préjudice que les systèmes de primes de résultat de BA auraient causé aux concurrents, aux clients ou aux consommateurs.

251
La Commission semblerait avoir supposé, sans aucune preuve à l’appui, que les agents de voyages peuvent contrôler une part significative des ventes de billets au détriment des consommateurs, alors qu’ils n’ont qu’une faible influence sur le choix des compagnies aériennes par les voyageurs.

252
Les systèmes de primes de résultat de BA n’auraient pas empêché les concurrents de celle-ci de conclure des accords similaires avec les agents de voyages établis au Royaume-Uni. BA représentant moins de 50  % du total des ventes de billets sur le marché défini par la Commission, il n’y aurait eu aucune raison de conclure que d’autres compagnies, considérées dans leur ensemble, jugeaient non rentable de proposer des avantages équivalents à ceux de BA. Les grandes agences de voyages, qui effectuent un peu moins de 50 % des ventes totales de billets BA, auraient individuellement négocié des accords et auraient donc été en mesure de mettre en concurrence les compagnies aériennes entre elles.

253
En tout état de cause, la structure des primes de résultat de BA n’aurait pas incité les agences à favoriser BA par rapport à d’autres compagnies aériennes. Les avantages octroyés aux agents auraient dépendu de nombreux facteurs dont, notamment, le niveau des seuils cibles et le taux de réussite des intéressés par rapport à ces seuils.

254
Les avantages de BA auraient été octroyés en fonction du nombre de billets vendus et non pas sur la base du pourcentage des transactions de l’agent effectuées pour le compte de BA. Même lorsqu’un agent augmentait ses ventes de billets BA, la part détenue dans ses activités par BA aurait pu diminuer et celle des autres compagnies augmenter parallèlement.

255
Les accords de fidélité seraient un moyen permettant l’exercice de la concurrence, dont ils ne faussent nullement le jeu. L’ampleur de la progression des parts de marché d’autres compagnies aériennes indiquerait que les accords de fidélité n’ont pu déployer l’effet d’exclusion allégué par la Commission.

256
Les avantages accordés aux agents de voyages auraient entraîné des économies de coûts significatives, au profit des consommateurs, en octroyant à BA une plus grande latitude pour réduire ses tarifs et/ou en lui permettant d’offrir un plus grand nombre de vols sur certaines lignes aériennes.

257
BA conteste les critiques adressées par la Commission à la structure de ses accords de fidélité. En premier lieu, la discontinuité de l’augmentation des avantages tarifaires octroyés aux agents n’aurait été pertinente que si elle avait produit, quod non, un effet d’exclusion. En toute hypothèse, on ne saurait supposer que cette discontinuité jouait en faveur de BA. Au niveau de l’ensemble du secteur du transport aérien, il aurait été en pratique impossible de prédire que les avantages octroyés favorisaient systématiquement BA ou d’autres compagnies aériennes.

258
En deuxième lieu, le calcul des objectifs de ventes par référence aux performances de l’exercice écoulé, critiqué par la Commission aux considérants 48 et 109 de la décision attaquée, aurait été à la fois raisonnable pour les parties et bénéfique du point de vue des effets. En toute hypothèse, l’effet d’incitation des accords en cause n’aurait pu être mesuré qu’avec le temps.

259
BA note que ces deux premières objections de la Commission sont sans pertinence s’agissant du système de primes de résultat qu’elle a mis en oeuvre entre décembre 1997 et mars 1999. Ce système aurait prévu tant une augmentation continue qu’un calcul mensuel, et non pas annuel, des avantages consentis aux agents de voyages.

260
En troisième lieu, BA conteste le bien-fondé de l’objection que la Commission tire, aux considérants 48 et 102 de la décision attaquée, de l’absence de tout rapport entre les avantages octroyés aux agents et les économies réalisées en termes de coûts. Une politique économique raisonnable encouragerait une entreprise à recourir à un système de rabais, indépendamment de la réalisation éventuelle d’économies. Les accords de fidélité seraient un moyen pratique d’octroyer des avantages liés au rendement sans devoir procéder au calcul difficile, sinon impossible, du rapport exact, hautement variable, que le prix d’un billet entretient avec son coût. En raison du niveau des coûts fixes prévalant dans le secteur du transport aérien, une amélioration de l’utilisation des capacités diminuerait le coût unitaire moyen et aurait donc fourni à BA une économie de coûts qu’elle est en droit de partager avec les agents et les clients.

261
BA fait observer, en quatrième lieu, que, en imputant les effets de fidélisation des systèmes de primes de résultat litigieux à l’exploitation par BA d’une gamme de lignes plus large que celle d’autres compagnies aériennes (considérant 91 de la décision attaquée), la Commission omettrait le fait que le rabais global offert par BA équivalait à payer des taux de rabais différenciés sur différentes lignes. Même si des compagnies plus petites peuvent avoir un coût de vente moyen plus élevé, elles n’en auraient pas été pour autant exclues des différents marchés en cause ni empêchées de mener une concurrence efficace.

262
Selon la Commission et Virgin, les arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus, et Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, posent le principe selon lequel un fournisseur en position dominante peut octroyer des rabais en contrepartie de gains d’efficience, à l’exclusion des remises ou des incitations destinées à lui assurer la fidélité de la clientèle (considérant 101 de la décision attaquée).

263
Une ristourne accordée par une entreprise en position dominante, en fonction de l’augmentation des achats réalisés sur une certaine période, sans que cette ristourne puisse être considérée comme une remise de quantité normale, constituerait une exploitation abusive de position dominante, dans la mesure où une telle pratique ne peut avoir pour objet que de lier les clients auxquels elle est octroyée et de placer les concurrents dans une position concurrentielle défavorable (arrêt Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, point 213).

264
L’article 82 CE n’imposerait pas la démonstration d’un quelconque effet réel ou direct du comportement critiqué sur les consommateurs. Le droit de la concurrence viserait à protéger la structure du marché contre les distorsions artificielles et protégerait ainsi au mieux les intérêts à moyen et à long terme des consommateurs.

265
Lorsque, comme en l’espèce, sont réunies toutes les caractéristiques que la Cour a considérées comme déterminantes dans l’arrêt Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, pour juger qu’un système de remises constitue un abus, il ne serait pas nécessaire de démontrer également la présence des caractéristiques et des effets d’un système tel que celui condamné par la Cour dans l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus.

266
Du fait de la structure des systèmes de primes appliqués par BA, la commission marginale obtenue par l’agent de voyages pour chaque segment supplémentaire vendu pour le compte de BA aurait augmenté de manière exponentielle à l’approche du seuil de commission additionnel. Les compagnies aériennes concurrentes de taille plus modeste auraient été dans l’impossibilité de proposer des taux de commission de cet ordre. En outre, eu égard au niveau de commission marginal résultant du système en cause, BA aurait vendu à perte un grand nombre des billets.

267
L’abus aurait tenu à ce que les commissions supplémentaires étaient liées, non pas à des économies de coûts ou à des gains d’efficience réalisés par BA dans ses transactions avec des agents de voyages, mais plutôt à la mesure dans laquelle ceux-ci avaient atteint ou dépassé le niveau des ventes de billets BA réalisé au cours de l’exercice précédent, quels qu’aient été leur taille, leur efficience ou les services rendus à BA.

268
Étant donné que les agents demeurent de loin le canal de distribution le plus important que les compagnies aériennes utilisent pour la vente de services de transport aérien au Royaume-Uni, le comportement abusif de BA sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens aurait également eu un grave effet d’exclusion à l’égard des compagnies aériennes concurrentes sur les marchés britanniques du transport aérien.

269
La circonstance selon laquelle, du fait de la libéralisation de ces derniers marchés, les concurrents de BA aient pu lui prendre des parts de marché ne démontrerait pas que ses systèmes d’incitations financières n’ont pas eu d’effets anticoncurrentiels.

    Appréciation du Tribunal

270
Afin de déterminer si BA a fait une exploitation abusive de sa position dominante en appliquant aux agents de voyages établis au Royaume-Uni ses systèmes de primes de résultat, il y a lieu d’en apprécier les critères et les modalités d’octroi et d’examiner si ces primes tendaient, par un avantage ne reposant sur aucune prestation économique le justifiant, à enlever aux agences, ou à restreindre dans leur chef, la possibilité de vendre leurs services aux compagnies aériennes de leur choix et à entraver ainsi l’accès des compagnies aériennes concurrentes de BA au marché britannique des services d’agences de voyages aériens (voir, en ce sens, arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, cité au point 182 ci-dessus, point 90; Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, point 89, et Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, points 114 et 197).

271
Il convient, en l’espèce, de déterminer si les accords commerciaux et le nouveau système de primes de résultat avaient un effet fidélisant à l’égard des agents de voyages établis au Royaume-Uni et, le cas échéant, de déterminer si ces systèmes reposaient sur une contrepartie économiquement justifiée (voir, en ce sens, arrêts Michelin/Commission, cité au point 91 ci-dessus, point 73; Portugal/Commission, cité au point 246 ci-dessus, point 52, et Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, point 114).

272
S’agissant, en premier lieu, du caractère fidélisant des systèmes en cause, il convient de constater que, en raison de leur caractère progressif déployant un effet très sensible à la marge, les taux de commission majorés étaient susceptibles d’augmenter de façon exponentielle d’une période de référence à l’autre, au fur et à mesure que progressait le nombre de billets BA écoulés par les agents au cours des périodes de référence successives.

273
Inversement, plus les recettes procédant des ventes de billets BA avaient été élevées, plus forte était la pénalité subie par les intéressés sous la forme d’une réduction disproportionnée des taux des primes de résultat, même dans l’hypothèse d’une légère régression des ventes de billets BA par rapport à la période de référence précédente. BA ne saurait donc contester le caractère fidélisant des systèmes litigieux.

274
Ensuite, BA ne saurait utilement opposer, pour contester l’effet de fidélisation produit par ses systèmes de primes de résultat sur les agents de voyages, le fait que ces agents n’ont qu’une faible influence sur le choix des compagnies aériennes par les voyageurs. BA a, en effet, elle-même soutenu que ces agents fournissent un service utile de filtrage des informations communiquées aux voyageurs confrontés à la prolifération des différentes structures de tarifs de transport aérien.

275
En outre, s’il est vrai que les avantages octroyés aux agents de voyages dépendaient, comme le soutient BA, du niveau des seuils cibles et du taux de réussite obtenus par rapport à ces seuils, l’effet de fidélisation des agents de voyages découlant des primes de résultat doit être néanmoins tenu pour acquis.

276
De plus, l’objection de BA selon laquelle ses «accords de fidélité» n’auraient pas empêché ses concurrents de conclure des accords similaires avec les agents de voyages établis au Royaume-Uni n’emporte pas l’adhésion. Les cinq principaux concurrents de BA présents sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens ne peuvent être considérés comme ayant été en mesure d’accorder les mêmes avantages aux agents de voyages.

277
Il convient de rappeler à ce propos que le nombre de billets BA vendus par les agents de voyages établis au Royaume-Uni sur l’ensemble constitué par les lignes aériennes au départ et à destination des aéroports britanniques a invariablement représenté, pendant toute la période d’application des systèmes de primes de résultat litigieux, un multiple tant des ventes de billets réalisées par chacun de ces cinq principaux concurrents que du total cumulé de ces mêmes ventes.

278
Dans ces conditions, il est démontré à suffisance de droit que les entreprises concurrentes n’étaient pas en mesure de réaliser, au Royaume-Uni, un montant de recettes susceptible de constituer une assise financière suffisamment large pour leur permettre d’instaurer efficacement un système de primes similaire à celui de BA pour en contrecarrer l’effet d’exclusion s’exerçant à leur encontre sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

279
S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si les systèmes de primes de résultat appliqués par BA reposaient sur une contrepartie économiquement justifiée, il y a lieu de rappeler qu’il est vrai que l’existence d’une position dominante ne prive pas l’entreprise placée dans cette position de la faculté d’accomplir, dans une mesure raisonnable, les actes qu’elle juge appropriés afin de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés (arrêt Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, point 112).

280
Toutefois, la protection de la position concurrentielle d’une entreprise occupant, comme BA, une position dominante doit, à tout le moins, pour être légitime, être fondée sur des critères d’efficacité économique (arrêt Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, point 189).

281
Or, en l’espèce, il apparaît que BA n’a pas démontré que le caractère fidélisant de ses systèmes de primes de résultat reposait sur une contrepartie économiquement justifiée.

282
En effet, la réalisation des objectifs de progression des ventes de billets BA par les agents de voyages établis au Royaume-Uni déclenchait l’application d’une commission à taux majoré, non pas sur les seuls billets BA écoulés une fois ces objectifs de ventes atteints, mais sur tous les billets BA traités au cours de la période de référence retenue.

283
La rémunération supplémentaire des agents apparaît ainsi dépourvue de toute relation objective avec la contrepartie découlant pour BA de la vente des billets d’avion supplémentaires.

284
Dans cette mesure, les systèmes de primes de résultat de BA ne peuvent être regardés comme constituant la contrepartie de gains d’efficience ou d’économies de coûts induits par la vente des billets BA écoulés après la réalisation desdits objectifs. Bien au contraire, cette application rétrospective des taux de commission majorés à l’ensemble des billets BA écoulés par un agent de voyages au cours de la période de référence retenue doit même être considérée comme de nature à entraîner la vente de certains billets BA à un prix non proportionné au gain de productivité obtenu par BA de la vente de ces billets supplémentaires.

285
Même si, comme le soutient BA, toute compagnie aérienne a intérêt à vendre des places supplémentaires sur ses vols plutôt que de laisser celles-ci inoccupées, l’avantage que représente un meilleur taux de remplissage des appareils doit normalement être, dans un cas comme celui de l’espèce, considérablement réduit, en raison du surcoût engendré pour BA par l’augmentation de la rémunération de l’agent procédant de cette application rétrospective de la commission majorée.

286
En ce qu’ils étaient ainsi dépourvus de contrepartie économiquement justifiée, les systèmes de primes de résultat litigieux doivent être considérés comme tendant essentiellement à rémunérer la progression des ventes de billets BA d’une période de référence à l’autre et, partant, à renforcer la fidélité à BA des agents de voyages établis sur le territoire du Royaume-Uni.

287
Les agents étaient ainsi dissuadés d’offrir leurs services d’agences de voyages aux compagnies aériennes concurrentes de BA, dont l’entrée ou la progression sur le marché britannique des services d’agences de voyages était ainsi nécessairement entravée.

288
BA ne pouvait avoir aucun intérêt à appliquer ses systèmes de primes, si ce n’est celui d’évincer les compagnies aériennes concurrentes et de faire ainsi obstacle au maintien du degré de concurrence existant ou au développement de cette concurrence sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

289
En particulier, BA ne saurait utilement soutenir que, à partir d’un certain taux de remplissage d’un avion, les ventes de billets supplémentaires génèrent nécessairement des bénéfices. En effet, comme il vient d’être dit, la contrepartie des ventes de billets réalisées par un agent une fois atteint l’objectif de progression de ses ventes représentait un surcoût, sous la forme de l’application rétrospective de la commission majorée à l’ensemble des billets BA écoulés au cours de la période de référence considérée, susceptible d’être égal ou supérieur à ce bénéfice.

290
D’ailleurs, BA a elle-même admis au cours de l’audience qu’il n’existait pas de relation précise entre, d’une part, les éventuelles économies d’échelle réalisées grâce aux suppléments de billets BA écoulés postérieurement à la réalisation des objectifs de ventes et, d’autre part, les majorations des taux des rémunérations versées en contrepartie aux agents de voyages établis au Royaume-Uni.

291
Contrairement à ce que soutient BA, ses systèmes de primes de résultat n’ont donc pas pu constituer une modalité d’exercice du jeu normal de la concurrence ni permettre la réduction de ses coûts. Les arguments opposés à cet égard par BA ne sont pas de nature à démontrer que ses systèmes de primes de résultat avaient une justification économique objective.

292
C’est donc de manière fondée que la Commission a retenu que BA a abusé de sa position dominante sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens en restreignant, par l’application de systèmes de primes de résultat ne reposant pas sur une contrepartie économiquement justifiée, la liberté de ces agences de fournir leurs services aux compagnies aériennes de leur choix et, par voie de conséquence, l’accès de ces dernières au marché britannique des services d’agences de voyages aériens.

293
Enfin, BA ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir démontré que ses pratiques produisaient un effet d’exclusion. En effet, d’une part, aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 82 CE, il n’est pas nécessaire de démontrer que l’abus considéré a eu un effet concret sur les marchés concernés. Il suffit à cet égard de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, que le comportement est de nature ou susceptible d’avoir un tel effet.

294
D’autre part, il apparaît non seulement que les pratiques litigieuses étaient bien susceptibles d’avoir un effet restrictif sur les marchés britanniques des services d’agences de voyages aériens et du transport aérien, mais également qu’un tel effet a été démontré de façon concrète par la Commission.

295
En effet, dès lors que les agents de voyages établis au Royaume-Uni assuraient, à l’époque des faits incriminés, l’écoulement de 85 % de tous les billets d’avion vendus sur le territoire du Royaume-Uni, le comportement abusif de BA sur le marché britannique des services d’agences de voyages aériens n’a pu manquer de produire, au détriment des compagnies aériennes concurrentes, un effet d’exclusion des marchés britanniques du transport aérien, en raison du lien de connexité existant entre les marchés en cause, tel qu’il a été constaté dans le cadre de l’examen du quatrième moyen.

296
En raison de cet effet induit des systèmes de primes appliqués par BA sur les marchés britanniques des transports aériens, ne saurait être retenu l’argument de BA selon lequel la décision attaquée est dépourvue de toute analyse des marchés du transport aérien et de toute preuve empirique du préjudice que ses systèmes d’incitations financières auraient causés aux compagnies aériennes concurrentes ou aux voyageurs.

297
En outre, lorsqu’une entreprise en position dominante met effectivement en oeuvre une pratique générant un effet d’éviction de ses concurrents, la circonstance selon laquelle le résultat escompté n’est pas atteint ne saurait suffire à écarter la qualification d’abus de position dominante au sens de l’article 82 CE.

298
Au demeurant, la croissance des parts de marché de certaines des compagnies aériennes concurrentes de BA, réduite en valeur absolue, eu égard à la modicité de leurs parts de marché originaires, ne signifie pas que les pratiques de BA aient été dénuées d’effet. En l’absence de ces pratiques, il est permis de considérer que les parts de marché de ces concurrents auraient pu augmenter de façon plus significative (voir, en ce sens, arrêt Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, cité au point 243 ci-dessus, point 149).

299
C’est donc sans commettre d’erreurs d’appréciation que la Commission a retenu que BA a contrevenu aux dispositions de l’article 82 CE en appliquant aux agents de voyages aériens au Royaume-Uni des systèmes de primes de résultat à la fois discriminatoires à l’égard de certains de leurs bénéficiaires par rapport à d’autres et ayant pour objet et pour effet, sans contrepartie économiquement justifiée, de récompenser la fidélité de ces agents à BA et, partant, d’évincer les compagnies aériennes concurrentes aussi bien du marché britannique des services d’agences de voyages aériens que, par voie de conséquence nécessaire, des marchés britanniques du transport aérien.

300
Il s’ensuit que le septième moyen doit être rejeté.

Sur le huitième moyen, tiré du caractère excessif du montant de l’amende

Arguments des parties

301
BA estime que l’amende qui lui a été infligée, d’un montant de 6 800 000 euros, est excessive au regard de la communication de la Commission relative aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3; ci-après les «Lignes directrices»).

302
Tout d’abord, le montant de base de l’amende, soit 4 000 000 euros, qui est censé refléter la gravité, l’étendue et l’incidence de l’infraction commise, serait trop élevé au regard du point 1 A des Lignes directrices. Selon ce texte, il faudrait tenir compte, pour évaluer la gravité de l’infraction, de la capacité économique effective des auteurs d’infractions à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs. Or, il n’aurait été nullement établi que les systèmes de primes de BA aient créé un dommage aux consommateurs.

303
Ensuite, selon le troisième tiret du point 1 B des Lignes directrices, les infractions de longue durée seraient soumises à un montant additionnel de 10 % du montant de l’amende retenu pour la gravité de l’infraction. La majoration du montant de l’amende de 70 %, soit 10 % par an depuis 1992, serait disproportionnée. La durée du comportement de BA refléterait la lenteur avec laquelle la Commission a mené son enquête. Tout au long de la procédure, BA aurait cru de bonne foi à la compatibilité de ses systèmes d’incitations financières avec le droit communautaire.

304
Enfin, le doute raisonnable que nourrissait BA sur le caractère infractionnel de ses systèmes de primes et sa totale collaboration avec la Commission tout au long de la procédure administrative constitueraient des circonstances atténuantes impliquant une réduction de l’amende en vertu du point 3 des Lignes directrices.

305
La Commission soutient que l’abus de position dominante constaté en l’espèce est à regarder comme une infraction grave au droit communautaire de la concurrence. Les systèmes de rabais exclusifs auraient déjà été condamnés dans le passé. L’importance des coûts des voyages dans l’économie britannique aurait été soulignée et il aurait été observé que, en dépit de la libéralisation des transports aériens, BA avait préservé ses parts de marché moyennes sur les marchés britanniques des transports aériens.

306
L’article 82 CE ne viserait pas seulement les pratiques susceptibles de causer un dommage immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective.

307
De surcroît, les abus de position dominante consistant notamment dans la discrimination, les comportements d’exclusion, les rabais de fidélité accordés par une entreprise en position dominante afin d’exclure ses concurrents du marché seraient qualifiés d’«infractions graves» par les Lignes directrices.

308
Les pratiques abusives litigieuses auraient débuté en 1992 à l’égard de certains agents de voyages. De janvier 1998 à mars 1999, le système des primes de résultat aurait étendu le comportement abusif à l’égard de tous les agents de voyages établis au Royaume-Uni et aurait renforcé ses effets sur les agents parties à un accord commercial. La durée de ces pratiques aurait justifié une majoration de 70 % du montant de l’amende infligée en fonction de la gravité de l’infraction.

309
La durée de la procédure administrative, dont le caractère raisonnable s’apprécie en fonction des circonstances propres à chaque affaire (arrêt Irish Sugar/Commission, cité au point 241 ci-dessus, point 278), n’aurait pas été excessive et n’expliquerait pas la durée des infractions constatées.

310
La cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission constituerait, selon les Lignes directrices, une circonstance atténuante. Or, après réception de la première communication des griefs du 20 décembre 1996, BA aurait étendu à l’ensemble des agents de voyages établis au Royaume-Uni les systèmes de primes de résultat appliqués jusqu’alors à ceux qui réalisaient un certain volume de ventes annuelles de billets de BA.

Appréciation du Tribunal

311
L’article 82 CE réprimant la seule atteinte objective à la structure même de la concurrence (arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 26), l’argument de BA tiré de l’absence de preuve du préjudice causé aux consommateurs par ses systèmes de primes ne saurait être retenu.

312
BA ne saurait davantage critiquer la majoration du montant de base de l’amende infligée en excipant des lenteurs de l’instruction menée par la Commission, dont la durée a été incontestablement prolongée du fait de la persistance de BA dans son comportement infractionnel et de l’aggravation de celui-ci.

313
En effet, dès le mois suivant l’audition consécutive à la première communication des griefs, tenue le 12 novembre 1997, BA a renforcé les effets anticoncurrentiels de son système initial de primes de résultat, en étendant son nouveau système d’incitations à l’ensemble des agences britanniques de voyages aériens.

314
BA ayant passé outre les objections formulées par la Commission à l’égard de son premier système de primes de résultat, elle ne peut être naturellement considérée comme ayant cru de bonne foi, tout au long de la procédure administrative, à la compatibilité de ses systèmes d’incitations avec le droit communautaire de la concurrence.

315
Enfin, BA ayant intensifié ses pratiques restrictives de concurrence au cours de la procédure administrative, elle n’est pas davantage fondée à invoquer sa totale collaboration avec la Commission tout au long de cette procédure. C’est donc à juste titre que la Commission a refusé à BA le bénéfice de circonstances atténuantes.

316
Il convient donc de confirmer le montant de l’amende retenu par la Commission, dès lors qu’il a été fixé à un niveau correspondant à la fois aux Lignes directrices et à une sanction appropriée, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce.

317
Il s’ensuit que les arguments de BA tirés du caractère excessif de l’amende qui lui a été infligée doivent être rejetés.

318
Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.


Sur les dépens

319
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

320
BA ayant succombé en l’intégralité de ses conclusions, elle doit être condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission et par Virgin, partie intervenante, conformément aux conclusions présentées en ce sens par celles-ci.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)
Le recours est rejeté.

2)
La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission et par la partie intervenante.

Vesterdorf

Jaeger

Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 décembre 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1
Langue de procédure: l'anglais.