Language of document : ECLI:EU:T:2004:361

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
14 décembre 2004 (1)

« Union douanière – Opération de transit communautaire – Fraude – Contrebande de cigarettes – Remise de droits à l'importation – Règlement (CEE) n° 1430/79 – Article 13 : clause d'équité – Notion de ‘situation particulière’ »

Dans l'affaire T-332/02,

Nordspedizionieri di Danielis Livio &C. Snc, établie à Trieste (Italie),

Livio Danielis, demeurant à Trieste,

Domenico D'Alessandro, demeurant à Trieste,

représentés par Me G. Leone, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. X. Lewis et R. Amorosi, en qualité d'agents, puis par M. Lewis, assisté de Me G. Bambara, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d'annulation de la décision de la Commission REM 14/01, du 28 juin 2002, refusant de faire droit, au profit des requérants, à une demande de remise de droits à l'importation présentée par la République italienne, et, à titre subsidiaire, une demande visant à faire constater la remise partielle de la dette douanière correspondant auxdits droits,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),



composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas et J. D. Cooke, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 29 juin 2004,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique

1
Le transit communautaire est un régime douanier dont le but est de faciliter les mouvements de marchandises à l’intérieur de la Communauté. Ce régime, lequel comprend une procédure de transit communautaire externe et une procédure de transit communautaire interne, permet notamment que les marchandises arrivant sur le territoire douanier de la Communauté soient transportées du lieu d’introduction dans celle-ci jusqu’au lieu de destination, sans renouvellement des formalités douanières lors du passage d’un État membre à l’autre. Il résulte de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 222/77 du Conseil, du 13 décembre 1976, relatif au transit communautaire (JO 1977, L 38, p. 1), applicable au moment des faits en cause, que circulent sous la procédure du transit communautaire externe, pour l’essentiel, les marchandises en provenance de pays tiers qui ne se trouvent pas en libre pratique dans les États membres de la Communauté, au sens des articles 9 et 10 du traité CE (devenus articles 23 CE et 24 CE).

2
En vertu de l’article 12 dudit règlement, pour circuler sous la procédure du transit communautaire externe, toute marchandise doit faire l’objet d’une déclaration T 1. Cette déclaration est signée par la personne qui demande à effectuer l’opération ou par son représentant habilité et est produite au bureau de départ en trois exemplaires au moins, accompagnée du document de transport et d’autres documents complémentaires. Le transport des marchandises s’effectue sous le couvert des exemplaires du document T 1 remis au principal obligé ou à son représentant par le bureau de départ (article 19, paragraphe 1).

3
L’article 11, sous a), du règlement n° 222/77 dispose que l’on entend par « principal obligé » la personne qui, le cas échéant par l’intermédiaire d’un représentant habilité, demande, par une déclaration ayant fait l’objet des formalités douanières requises, à effectuer une opération de transit communautaire et répond ainsi vis-à-vis des autorités compétentes de l’exécution régulière de cette opération. Le principal obligé est tenu de représenter les marchandises intactes au bureau de destination dans le délai prescrit en ayant respecté les mesures d’identification prises par les autorités compétentes et de respecter les dispositions relatives au régime du transit communautaire et au transit dans chacun des États membres dont le territoire est emprunté lors du transport [article 13, sous a) et b)].

4
L’article 36, paragraphe 1, du règlement n° 222/77 dispose que, quand il est constaté qu’au cours ou à l’occasion d’une opération de transit communautaire une infraction ou une irrégularité a été commise dans un État membre déterminé, le recouvrement des droits et autres impositions éventuellement exigibles est poursuivi par cet État membre, conformément à ses dispositions législatives, réglementaires et administratives, sans préjudice de l’exercice d’actions pénales.

5
Le règlement (CEE) n° 2144/87 du Conseil, du 13 juillet 1987, relatif à la dette douanière (JO L 201, p. 15), établit que fait naître une dette douanière à l’importation, notamment, la soustraction d’une marchandise passible de droits à l’importation à la surveillance douanière qu’implique la mise en dépôt provisoire de cette marchandise ou son placement sous un régime douanier comportant une surveillance douanière [article 2, paragraphe 1, sous c)].

6
L’article 4 du règlement (CEE) nº 1031/88 du Conseil, du 18 avril 1988, concernant la détermination des personnes tenues au paiement d’une dette douanière (JO L 102, p. 5), établit :

« 1. Lorsqu’une dette douanière est née en vertu de l’article 2, paragraphe 1, [sous] c), du règlement [...] n2144/87, la personne tenue au paiement de cette dette est celle qui a soustrait la marchandise à la surveillance douanière.

Sont également tenues au paiement de cette dette, à titre solidaire, conformément aux dispositions en vigueur dans les États membres :

a)
les personnes qui ont participé à la soustraction de la marchandise à la surveillance douanière ainsi que celles qui ont acquis ou détenu la marchandise en cause ;

b)
toutes autres personnes dont la responsabilité est engagée du fait de cette soustraction.

2. En outre, est tenue au paiement de la dette douanière, à titre solidaire, la personne qui doit exécuter les obligations qu’entraînent le séjour en dépôt provisoire d’une marchandise passible de droits à l’importation ou l’utilisation du régime douanier sous lequel cette marchandise a été placée. »

7
La réglementation douanière communautaire prévoit la possibilité d’un remboursement total ou partiel des droits à l’importation ou à l’exportation acquittés, ou d’une remise d’un montant de dette douanière. Les conditions pour la remise des droits applicables au présent cas d’espèce étaient fixées à l’article 13 du règlement (CEE) n° 1430/79 du Conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l’importation ou à l’exportation (JO L 175, p. 1), dans sa rédaction résultant du règlement (CEE) n° 3069/86 du Conseil, du 7 octobre 1986, modifiant le règlement n° 1430/79 (JO L 286, p. 1). Cette disposition prévoyait :

« 1. Il peut être procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation dans des situations particulières […] qui résultent de circonstances n’impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé.

[…] »

8
L’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2144/87 dispose que, sous réserve d’exceptions étrangères au présent litige, la dette douanière s’éteint par confiscation de la marchandise.


Faits à l’origine du litige

9
Les requérants sont une société en nom collectif en liquidation, Nordspedizionieri di Danielis Livio & C. (ci-après « Nordspedizionieri »), constituée par des commissionaires en douane et ayant son siège à Trieste (Italie), et deux de ses associés, M. L. Danielis et M. D. D’Alessandro, qui en sont solidairement responsables à titre illimité.

10
Le 30 octobre 1991, Nordspedizionieri a procédé, à la demande de l’entreprise Cumberland Ltd, à une déclaration de transit communautaire externe auprès du bureau des douanes de Fernetti (Italie). Cette déclaration portait sur l’expédition de 1 400 colis, soit 12 620 kg, de carton d’emballage, achetés à la société slovène Proexim Export‑Import, à destination de l’Espagne. Le 5 novembre 1991, Nordspedizionieri a fait une déclaration de transit communautaire externe identique à celle du 30 octobre, à l’exception de la quantité de colis de carton d’emballage expédiés, qui étaient cette fois au nombre de 1 210, présentant un poids de 12 510 kg. Le 16 novembre 1991, cette société a procédé à une troisième déclaration de transit, concernant 1 500 colis de cartons d’emballage, soit 12 842 kg. Dans les trois opérations, le transport a été effectué par un camion slovène portant la même plaque d’immatriculation.

11
Après l’accomplissement des formalités douanières correspondant à la troisième opération précitée, le camion a été autorisé à poursuivre sa route. Peu après, le directeur du bureau de douanes de Fernetti a demandé à la brigade des finances de la plate-forme de stationnement de cette localité d’inspecter le chargement du camion. Le camion, qui avait déjà quitté la zone douanière, a été poursuivi et intercepté par la brigade des finances quelques kilomètres après la frontière. Le camion est retourné sous escorte au poste de douanes de Fernetti pour y être inspecté. L’inspection a révélé que les cartons d’emballage n’étaient pas vides, comme l’indiquait la déclaration de transit, mais remplis de cigarettes. En particulier, une quantité de 8 190 kg de cigarettes étrangères d’origine extracommunautaire, distribuées en 819 colis, a été découverte. Le chauffeur du camion, M. C., a été arrêté et le camion et la cargaison ont été mis sous séquestre, ainsi que les documents trouvés en possession du chauffeur.

12
L’enquête menée par les autorités douanières italiennes avec la collaboration des autorités slovènes a permis d’établir que M. C. avait participé aussi à trois autres opérations similaires de contrebande de cigarettes, en utilisant les déclarations de transit des 30 octobre et 5 novembre 1991 rédigées par Nordspedizionieri, ainsi qu’une déclaration déposée le 16 septembre 1991 par la société Centralsped Srl. S’agissant des transports des 30 octobre et 5 novembre 1991, l’enquête a révélé que, après qu’eurent été déclarés aux autorités douanières slovènes des chargements composés principalement de tabacs manufacturés, les mêmes chargements ont été introduits en Italie en tant que cargaisons de cartons d’emballage. Une fois réglées les formalités douanières à la douane de Fernetti, le camion a poursuivi son voyage vers un lieu de destination différent de celui figurant sur les déclarations douanières, les cargaisons ayant été déchargées furtivement en Italie.

13
Dans le cadre de leur enquête sur les opérations de contrebande en cause, les autorités italiennes ont découvert un entrepôt situé à Bareggio (Milan, Italie), contenant des tabacs manufacturés. Le 8 avril 1992, lors d’une perquisition dans cet entrepôt, la police a saisi 801 cartons, soit 8 010 kg, de cigarettes, qui ont été placés sous séquestre.

14
Le 16 octobre 1992, les requérants ont reçu du service des recettes du bureau principal des douanes de Trieste, en leur qualité de principal obligé du transit communautaire pour les opérations des 30 octobre et 5 novembre 1991, une injonction de payer la somme de 2 951 462 300 lires italiennes (ITL), dont 2 501 239 200 ITL de droits et 450 223 100 ITL d’intérêts, au titre des impositions grevant 1 700 cartons, soit 17 000 kg, de tabacs étrangers manufacturés illégalement introduits et mis à la consommation sur le territoire douanier communautaire. Le chargement du 16 novembre 1991 ayant été saisi par les autorités douanières italiennes avant sa mise à la consommation, aucun droit de douane n’a été imposé aux requérants à cet égard.

15
Le 28 octobre 1992, les requérants ont formé opposition à l’injonction du 16 octobre 1992 des services douaniers de l’administration des finances italienne. Par jugement rendu le 12 septembre 1994, le Tribunale civile e penale di Trieste (Italie) a déclaré la nullité de l’injonction attaquée. Par arrêt rendu le 5 septembre 1996, la Corte d’appello di Trieste a réformé ledit jugement et a condamné la société Nordspedizionieri et ses associés, ces derniers à titre subsidiaire mais solidairement entre eux, au paiement de la somme de 2 951 462 300 ITL indiquée dans l’injonction litigieuse. Par arrêt rendu le 26 janvier 1999, la Corte suprema di cassazione a rejeté le recours formé par les requérants contre le jugement de la Corte d’appello.

16
Le 14 janvier 1994, le juge des enquêtes préliminaires du Tribunale civile e penale di Trieste a rendu une ordonnance de classement des poursuites pénales qui avaient été engagées pour trafic de contrebande de cigarettes à l’encontre de M. G. Baldi, associé de la société Nordspedizionieri et auteur des trois déclarations de transit émises par Nordspedizionieri qui avaient été utilisées dans les opérations de contrebande en cause.

17
Le 14 novembre 2000, les requérants ont introduit, auprès des services de la Commission, une demande de remise des droits exigés par les autorités douanières italiennes. Le 4 juin 2001, les autorités italiennes ont présenté à la Commission une demande de remise des droits de douane pour un montant de 497 589 687 ITL, soit 256 983,63 euros (EUR).

18
Par lettre du 18 décembre 2001, la Commission a demandé des renseignements complémentaires aux autorités italiennes. Par lettre du 11 février 2002, les autorités douanières italiennes ont confirmé que le montant des droits dont la remise avait été demandée s’élevait à 497 589 687 ITL.

19
Le 28 juin 2002, la Commission a adopté une décision portant rejet de la demande de la République italienne du 4 juin 2001 de remise de la dette douanière dont les requérants étaient redevables (ci-après la «décision attaquée»). La Commission a conclu qu’il n’existait pas en l’espèce de situation particulière résultant de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part des requérants, au sens de l’article 13 du règlement n° 1430/79, et donc que la remise des droits à l’importation s’élevant à 256 983,63 euros, soit 497 589 687 ITL, n’était pas justifiée.


Procédure et conclusions des parties

20
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 octobre 2002, les requérants ont introduit le présent recours.

21
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité la Commission à produire certains documents. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

22
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience publique du 29 juin 2004.

23
Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

à titre principal, annuler la décision attaquée et déclarer que la remise des droits à l’importation demandée est admissible en l’espèce ;

à titre subsidiaire, constater que la remise des droits est due en ce qui concerne la dette douanière se rapportant aux 8 010 kg de tabacs étrangers manufacturés confisqués par les autorités italiennes le 8 avril 1992 dans l’entrepôt clandestin de Bareggio ;

condamner la Commission aux dépens.

24
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer irrecevable la demande des requérants en ce qu’ils contestent le montant précis de la dette douanière et qu’ils demandent au Tribunal de reconnaître leur droit à la remise des droits de douane pour les 8 010 kg de tabac confisqués ;

rejeter le recours comme non fondé pour le surplus ;

condamner les requérants aux dépens.


En droit

I – Sur les conclusions visant à l’annulation de la décision attaquée

25
Les requérants invoquent à l’appui de leurs conclusions en annulation, premièrement, un moyen tiré de plusieurs erreurs matérielles contenues dans la décision attaquée et, deuxièmement, un moyen tiré de l’existence d’une situation particulière et de l’absence de manœuvre et de négligence manifeste au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79.

A – Sur le premier moyen, tiré de plusieurs erreurs matérielles contenues dans la décision attaquée

26
Les requérants soutiennent que la décision attaquée contient plusieurs erreurs. Ainsi, affirment-ils, seraient inexactes, premièrement, la description faite de la vérification du chargement correspondant à la déclaration douanière du 16 novembre 1991 et, deuxièmement, l’affirmation selon laquelle les requérants n’ont demandé la remise des droits douaniers que pour un montant de 497 589 687 ITL.

1.      En ce qui concerne la vérification de l’opération du 16 novembre 1991

Arguments des parties

27
Les requérants relèvent que, au considérant 4 de la décision attaquée, il est indiqué que le bureau des douanes de Fernetti a fait procéder par la brigade des finances à la vérification du chargement correspondant à la déclaration du 16 novembre 1991. Ils font valoir que, en réalité, les autorités douanières n’ont pas procédé à la vérification de la marchandise dans la zone douanière au moment de la présentation de la déclaration de transit, mais ont décidé de faire contrôler celle-ci après le départ du camion, c’est-à-dire après la conclusion des formalités douanières.

28
La Commission relève que le camion assurant le transport des marchandises faisant l’objet de la déclaration douanière du 16 novembre 1991 n’a pas été poursuivi par les forces de police italiennes aussitôt après la conclusion des opérations douanières, mais que cette poursuite n’a débuté que lorsque la police s’est rendu compte que le camion était parti.

Appréciation du Tribunal

29
Il importe de relever que le considérant 4 de la décision attaquée se limite à indiquer ce qui suit : « Le bureau des douanes [de Fernetti] a fait procéder par la brigade des finances à la vérification du chargement correspondant à [la déclaration du 16 novembre 1991], lequel s’est en fait révélé être constitué exclusivement de cigarettes. Les marchandises ont été saisies et le chauffeur du véhicule a été arrêté. » Il ne ressort pas de cette concise affirmation que la vérification du chargement se soit produite ni au moment de la présentation de la déclaration, ni dans la zone douanière, ni avant la conclusion des formalités douanières. Étant donné qu’il est constant que la vérification a été faite par la brigade des finances, à la demande du directeur des douanes de Fernetti, force est de conclure que le considérant 4 de la décision attaquée n’est entaché d’aucune erreur de fait.

30
Partant, ce grief doit être rejeté.

2.      En ce qui concerne le montant de la remise de droits demandée

Arguments des parties

31
Les requérants font valoir que la décision attaquée indique erronément qu’ils ont demandé une remise de droits douaniers pour un montant de 497 589 687 ITL. Selon eux, il ressort de leur demande du 14 novembre 2000, adressée à la Commission, qu’ils ont sollicité la remise du montant entier qui avait été exigé d’eux le 16 octobre 1992 par injonction des autorités douanières italiennes, soit 2 951 462 300 ITL. Les requérants font valoir à cet égard que l’erreur matérielle commise par la Commission est susceptible d’influer sur la portée du litige, en ce que l’une des raisons qui justifiaient l’octroi de la remise demandée était précisément le montant élevé de la dette fiscale en cause et la charge économique qu’elle leur impose. Cette erreur aurait donc une incidence sur la motivation même de la décision. Les requérants soutiennent également que la détermination exacte de l’objet de tout litige ne saurait faire l’objet d’évaluations discrétionnaires et que le montant exact du litige économique doit être reconnu correctement à tous les stades de l’instance.

32
La Commission soutient que le grief tiré de la prétendue erreur dans le calcul du montant de la dette douanière est irrecevable dans la mesure où les requérants contestent par cette voie le montant de la dette douanière évaluée par les autorités italiennes.

Appréciation du Tribunal

33
Il ressort d’une jurisprudence constante que les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79 ont pour seul objet de permettre, lorsque certaines circonstances particulières sont réunies et en l’absence de négligence manifeste ou de manœuvre, d’exonérer les opérateurs économiques du paiement de droits dont ils sont redevables, et non de permettre de contester le principe même de l’exigibilité de la dette douanière [arrêts de la Cour du 12 mars 1987, Cerealmangimi et Italgrani/Commission, 244/85 et 245/85, Rec. p. 1303, point 11, et du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C‑121/91 et C‑122/91, Rec. p. I‑3873, point 43 ; arrêt du Tribunal du 11 juillet 2002, Hyper/Commission, T‑205/99, Rec. p. II‑3141, point 98].

34
En effet, la détermination de l’existence et du montant exact de la dette relève de la compétence des autorités nationales. Or, les demandes adressées à la Commission en vertu de l’article 13 du règlement n° 1430/79 ne concernent pas la question de savoir si les dispositions de droit matériel douanier ont été correctement appliquées par les autorités douanières nationales. Le Tribunal rappelle que les décisions adoptées par ces autorités peuvent être attaquées devant les juridictions nationales, ces dernières pouvant saisir la Cour de justice en vertu de l’article 234 CE (arrêts du Tribunal du 16 juillet 1998, Kia Motors et Broekman Motorships/Commission, T‑195/97, Rec. p. II‑2907, point 36, et Hyper/Commission, précité, point 98).

35
Les considérations qui précèdent ne sauraient être infirmées par les arguments des requérants selon lesquels, en substance, la détermination exacte de la prétention économique faisant l’objet de tout litige doit pouvoir faire l’objet d’une discussion à tous les stades de l’instance. Cette thèse méconnaît tant la répartition des compétences en matière douanière entre les autorités nationales et la Commission que la spécificité et les limites du mécanisme de remise ou de remboursement des droits des douanes prévu à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79.

36
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le grief tiré de la prétendue erreur contenue dans la décision attaquée concernant le montant de la remise demandée par les requérants est irrecevable, dès lors que, par ce grief, les requérants contestent le calcul du montant exact de la dette douanière.

37
Il importe de constater, en tout état de cause, que la décision attaquée ne contient aucune erreur matérielle en ce qu’elle indique que les requérants ont sollicité la remise de la somme de 497 589 687 ITL, correspondant aux droits de douanes qui leur étaient réclamés par les autorités italiennes. En effet, le montant en cause est celui qui figure dans la demande de la République italienne du 4 juin 2001, cette somme ayant été confirmée par la suite, à la demande de la Commission, par lettre des autorités italiennes du 11 février 2002. Or, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le fait que la décision attaquée n’a pas relevé qu’ils avaient demandé la remise de la dette fiscale totale qui leur avait été exigée par les autorités italiennes ne saurait avoir d’incidence ni sur l’appréciation de l’existence d’une situation particulière ni sur la motivation de la décision attaquée. En premier lieu, cette dette fiscale incluait, outre les droits de douane, la TVA et la taxe de consommation, lesquelles ne font pas l’objet de la procédure de remise prévue par l’article 13 du règlement nº 1430/79. En second lieu, la Commission étant saisie par la demande introduite par les autorités nationales, et eu égard à la compétence exclusive de ces dernières pour la fixation de la dette douanière, le montant à retenir concernant les droits douaniers dont la remise est demandée était celui indiqué par les autorités nationales.

38
Dès lors, il y a lieu de rejeter ce grief.

39
Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté.

B – Sur le second moyen, tiré de l’existence d’une situation particulière et de l’absence de manœuvre et de négligence manifeste au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79

1.     Observations liminaires

40
Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79 constitue une clause générale d’équité, destinée à couvrir les situations autres que celles qui étaient le plus couramment constatées dans la pratique et qui pouvaient, au moment de l’adoption de ce règlement, faire l’objet d’une réglementation particulière (arrêts de la Cour du 15 décembre 1983, Schoellershammer/Commission, 283/82, Rec. p. 4219, point 7 ; Cerealmangimi et Italgrani/Commission, précité, point 10 ; du 26 mars 1987, Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons, 58/86, Rec. p. 1525, point 22, et du 18 janvier 1996, SEIM, C‑446/93, Rec. p. I‑73, point 41 ; arrêt du Tribunal du 4 juillet 2002, SCI UK/Commission, T‑239/00, Rec. p. II‑2957, point 44). Cette disposition est destinée à être appliquée lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l’opérateur économique et l’administration sont telles qu’il n’est pas équitable d’imposer à cet opérateur un préjudice qu’il n’aurait normalement pas subi (arrêts Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons/Commission, précité, point 22, et SCI UK/Commission, précité, point 50).

41
Au vu de l’article 13 du règlement nº 1430/79, deux conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’il puisse être procédé à une remise des droits à l’importation, à savoir l’existence d’une situation particulière et l’absence de manœuvre et de négligence manifeste de la part de l’opérateur économique (arrêts de la Cour du 26 novembre 1998, Covita, C‑370/96, Rec. p. I‑7711, point 29, et du 7 septembre 1999, De Haan, C‑61/98, Rec. p. I‑5003, point 42 ; arrêt SCI UK/Commission, précité, point 45).

42
Il importe de noter également qu’il est de jurisprudence constante que la Commission jouit d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elle adopte une décision en application de la clause générale d’équité prévue par l’article 13 du règlement nº 1430/79 (arrêts du Tribunal du 9 novembre 1995, France-aviation/Commission, T‑346/94, Rec. p. II‑2841, point 34 ; du 17 septembre 1998, Primex Produkte Import-Export e.a./Commission, T‑50/96, Rec. p. II‑3773, point 60, et du 18 janvier 2000, Mehibas Dordtselaan/Commission, T‑290/97, Rec. p. II‑15, points 46 et 78). Il y a lieu de relever aussi que le remboursement ou la remise des droits à l’importation, qui ne peuvent être accordés que sous certaines conditions et dans des cas spécifiquement prévus, constituent une exception au régime normal des importations et des exportations et, par conséquent, que les dispositions prévoyant un tel remboursement ou une telle remise sont d’interprétation stricte (arrêt de la Cour du 11 novembre 1999, Söhl & Söhlke, C‑48/98, Rec. p. I‑7877, point 52, et arrêt du Tribunal du 12 février 2004, Aslantrans/Commission, T‑282/01, non encore publié au Recueil, point 55).

2.      Sur l’existence d’une situation particulière

43
Les requérants soutiennent qu’ils se sont trouvés dans une situation particulière au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79. Ils font valoir, premièrement, que les autorités italiennes ont délibérément laissé se commettre les opérations de contrebande en cause, afin de démanteler le réseau de trafiquants ; deuxièmement, qu’ils ont été les victimes d’une fraude qui dépasserait les risques commerciaux inhérents à leur activité professionnelle ; troisièmement, que les autorités douanières ont commis des manquements à leurs obligations de contrôle des opérations douanières ; quatrièmement, qu’il était impossible pour eux de contrôler les opérations de transport ; enfin, cinquièmement, que la Commission, dans la décision attaquée, n’a pas procédé à une mise en balance des intérêts en présence.

a)     En ce qui concerne la prétendue connaissance préalable par les autorités italiennes des opérations de contrebande

Arguments des parties

44
Les requérants relèvent que l’obligation en cause trouve sa source dans une enquête menée par les douanes, lesquelles étaient vraisemblablement au courant des faits.

45
Les requérants rappellent que, le 16 septembre 1991, M. C. a effectué un premier transport, ayant comme destination Irun (Espagne), au moyen d’un document de transit communautaire émis par la société Centralsped. Ce document de transit avait été apuré lors de la réception du cinquième exemplaire du document T 1 par le bureau de douanes de Fernetti le 20 septembre 1991, et a été transmis au district douanier de Trieste le 5 décembre 1991. Les requérants soutiennent que ce premier apurement est clairement faux.

46
Les requérants remarquent également que le transport du 16 novembre 1991 a été contrôlé à la demande des douanes de Fernetti une fois le camion sorti de la zone douanière, ce qui a exigé au préalable la poursuite et l’interception du camion. Les requérants font valoir que les transports ne sont jamais arrêtés après être sortis de la zone douanière, sauf dans les cas où la brigade des finances est déjà au fait de l’existence d’actes de contrebande. Les requérants relèvent que ce fait porte à présumer que la découverte des cigarettes n’a pas eu lieu fortuitement dans le cadre d’un contrôle occasionnel des marchandises par les douanes, mais que la brigade des finances était informée de la vraie nature du chargement en cause.

47
Les requérants constatent aussi que, le dimanche 17 novembre 1991, c’est-à-dire, moins de 24 heures après l’inspection du camion, et alors que M. C. n’avait pas été encore interrogé, la brigade des finances s’est rendue à Brescia (Italie), où elle a procédé à des perquisitions dans l’immeuble habité par une personne inculpée par la suite pour sa participation aux opérations de contrebande de cigarettes.

48
De plus, les requérants notent que les chargements objet des transports des 30 octobre et 5 novembre 1991 avaient été régulièrement déclarés aux autorités douanières slovènes en tant que cartons de tabacs étrangers manufacturés. Les requérants soutiennent que les autorités slovènes, dans le cadre de l’accord d’assistance administrative mutuelle conclu le 16 novembre 1965 entre l’Italie et la Yougoslavie, alors en vigueur, ont informé les autorités italiennes de la présence de ces marchandises sensibles dans les chargements transportés par M. C..

49
Les requérants déduisent des circonstances exposées ci-dessus que les autorités italiennes avaient connaissance de ce que M. C. effectuait des opérations de contrebande et que, afin de découvrir et d’appréhender tous les participants à ce réseau de contrebande, elles ont délibérément laissé se commettre les infractions, en permettant la réalisation de deux opérations de transport pour lesquelles les requérants avaient émis, dans l’ignorance des faits et donc de bonne foi, des certificats de transit communautaire. Les requérants font valoir à cet égard que le Tribunal a admis que la remise des droits à l’importation était justifiée dans le cas d’une fraude commise dans le cadre d’une opération de transit communautaire externe dans laquelle l’administration des douanes était au fait de l’acte illicite en cause (arrêt du Tribunal du 7 juin 2001, Spedition Wilhelm Rotermund/Commission, T‑330/99, Rec. p. II‑1619). De même, ils relèvent que la Cour a jugé que les besoins d’une enquête diligentée par les autorités douanières ou policières sont, en l’absence de toute manœuvre ou négligence imputable au redevable et alors que ce dernier n’a pas été informé du déroulement de l’enquête, constitutifs d’une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79 (arrêt De Haan, précité, point 53).

50
La Commission maintient que la situation des requérants n’est pas comparable à celle de la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt De Haan, précité. Dans cette dernière affaire, rappelle-t­­-elle, les autorités douanières étaient au courant du trafic de contrebande et ont volontairement organisé une livraison surveillée, alors que dans la présente affaire, en revanche, le trafic de contrebande aurait été découvert à l’occasion d’un contrôle douanier régulier, lors de la présentation en douane des déclarations de transit.

Appréciation du Tribunal

51
Il y a lieu de relever que les besoins d’une enquête destinée à identifier et à appréhender les auteurs ou complices d’une fraude perpétrée ou en préparation peuvent légitimement justifier l’omission délibérée d’informer, en tout ou en partie, le principal obligé des éléments de l’enquête, alors même que ce dernier ne serait nullement impliqué dans la perpétration des actes frauduleux (arrêt De Haan, précité, point 32). Partant, les autorités nationales peuvent légitimement laisser délibérément se commettre des infractions ou irrégularités pour mieux démanteler un réseau, identifier des fraudeurs et établir ou conforter des éléments de preuve. Cependant, la mise à la charge du redevable d’une dette douanière découlant de ces choix liés à la poursuite des infractions serait de nature à heurter la finalité de la clause d’équité, en ce que le redevable se trouverait ainsi placé dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité. Dès lors, l’omission d’avertir le redevable, pour les besoins d’une enquête diligentée par les autorités douanières ou policières, du déroulement de celle-ci est, en l’absence de toute manœuvre et de négligence imputables au redevable, constitutive d’une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement nº 1430/79 (voir arrêt De Haan, précité, point 53).

52
Il convient donc d’examiner s’il existe des éléments de nature à établir, comme les requérants le soutiennent, que les autorités italiennes étaient au courant des opérations de contrebande de cigarettes en cause, et ont tout de même permis la réalisation des opérations des 30 octobre et 5 novembre 1991.

53
Tout d’abord, le Tribunal considère que le fait que, une fois accomplies les formalités douanières correspondant à l’opération du 16 novembre 1991, le directeur du bureau de douanes de Fernetti a demandé à la brigade des finances d’inspecter le camion, ce qui a exigé la poursuite et l’interception de celui-ci, ne suffit pas, en soi, à prouver que les autorités étaient informées de la vraie nature de la cargaison. En effet, comme le relève le procès-verbal d’arrestation rédigé par les douanes de Fernetti le 16 novembre 1991, le directeur du bureau des douanes a ordonné l’inspection du véhicule parce qu’il soupçonnait que la cargaison transportée était différente de celle qui avait été déclarée. Le fait que cette inspection s’est produite une fois que le camion avait déjà quitté la zone douanière ne permet pas de conclure qu’il ne s’agissait pas d’un contrôle occasionnel.

54
Ensuite, le Tribunal estime que les enquêtes et perquisitions réalisées par la police italienne à Brescia ne prouvent pas non plus que les autorités italiennes avaient été informées au préalable du trafic de contrebande. En effet, il ressort du procès-verbal de perquisition rédigée par la brigade des finances de Trieste le 17 novembre 1991 que les démarches policières en cause ont fait suite à la découverte des cigarettes dans le camion inspecté à Fernetti, ainsi qu’aux enquêtes préliminaires de la police et à l’examen de la documentation saisie, qui appartenait au chauffeur du camion. Il importe de noter, en outre, que, contrairement à ce que les requérants affirment, le chauffeur du camion avait déjà été brièvement interrogé le 16 novembre, à la suite de son arrestation.

55
Il convient de préciser, en outre, que les droits dont la remise a été demandée ne correspondent pas à cette opération douanière du 16 novembre 1991, mais aux opérations antérieures des 30 octobre et 5 novembre 1991. La prétendue connaissance par les autorités du trafic de contrebande devait donc exister avant ces deux dates, pour l’application de la jurisprudence De Haan.

56
À cet égard, il y a lieu de constater que le fait que la déclaration du 16 septembre 1991 a été faussement apurée ne prouve pas que les autorités étaient au courant des opérations de contrebande des 30 octobre et 5 novembre 1991. En effet, les éléments du dossier ne permettent pas de conclure que les autorités douanières italiennes ont eu connaissance de cette prétendue falsification avant le 16 novembre 1991. En revanche, le procès-verbal rédigé par la douane de Fernetti le 16 décembre 1991 indique que l’opération de contrebande correspondant à l’opération du 16 septembre 1991 a été découverte à la suite des déclarations de M. C. faites le 16 novembre 1991 et de la vérification, postérieure à ces déclarations, des registres des douanes de Fernetti.

57
Quant à l’argument selon lequel les autorités slovènes auraient informé au préalable leurs homologues italiens de la présence de cigarettes dans les transports faisant l’objet des déclarations des 30 octobre et 5 novembre 1991, il convient de noter que les requérants ne rapportent aucune preuve à cet égard, au-delà de l’existence d’un accord d’assistance administrative pour la prévention et la répression des fraudes douanières entre l’Italie et la Yougoslavie en date du 10 novembre 1965. Or, cet accord n’imposait pas aux autorités slovènes d’informer sans délai les autorités italiennes chaque fois qu’un transport de tabac quittait leur territoire (voir point 79 ci-après). Par ailleurs, dans le procès-verbal rédigé par la douane de Fernetti le 16 décembre 1991, il est indiqué que, le 7 décembre 1991, les autorités italiennes ont demandé des renseignements aux autorités slovènes et que c’est à la suite de cette demande que, le 13 décembre 1991, les autorités slovènes ont confirmé les dates auxquelles les transports en cause avaient quitté la douane slovène et ont informé les autorités italiennes que les marchandises déclarées étaient principalement des tabacs étrangers manufacturés.

58
Enfin, la référence des requérants à l’arrêt Spedition Wilhelm Rotermund/Commission, précité, n’est pas pertinente en l’espèce. Dans cette affaire, la situation particulière découlait de l’existence de manoeuvres frauduleuses qui ne pouvaient raisonnablement s’expliquer que par la complicité active d’un employé du bureau de douanes de destination, le Tribunal ayant conclu à cet égard que la Commission ne pouvait valablement se limiter à exiger que soit apportée par la requérante la preuve formelle et définitive d’une telle complicité (arrêt Spedition Wilhelm Rotermund/Commission, précité, points 56 à 58). Il s’agit, partant, d’une situation de fait différente de celle de l’espèce.

59
En définitive, il ressort de ce qui précède que les requérants n’ont pas démontré que les autorités italiennes étaient au courant des opérations de contrebande de cigarettes au préalable et qu’elles avaient permis délibérément la réalisation des fraudes correspondant aux opérations de transit des 30 octobre et 5 novembre 1991.

b)     En ce qui concerne l’argument tiré par les requérants de ce que l’activité de contrebande dont ils ont été les victimes dépassait les risques commerciaux inhérents à leur activité professionnelle

Arguments des parties

60
Les requérants soutiennent qu’ils ont été les victimes d’une activité de contrebande exercée avec astuce et mettant en œuvre de vastes moyens économiques, réalisée par une association de malfaiteurs de différents pays. Ils affirment que le caractère exceptionnel de la situation découle également de la gravité des faits, de l’importance économique de la violation de la loi et de l’existence d’au moins quatre délits commis itérativement par les contrebandiers. Les requérants relèvent qu’aucune imperfection ou erreur n’a été constatée sur les documents de transport ou sur les factures que le chauffeur du camion a présentés en vue d’obtenir les documents de transit T 1. Ils font remarquer qu’il s’agit en l’occurrence du premier et seul cas dans lequel leur bonne foi a été surprise à l’occasion de l’émission de certificats de transit, alors qu’ils avaient émis antérieurement des centaines des documents T 1 au cours de dizaines d’années d’activité de déclaration en douane.

61
Les requérants relèvent que la décision attaquée est entachée d’une erreur en ce qu’elle qualifie leur activité de « transporteurs » ou d’« agents en douane ». Ils affirment que le transport n’était pas compris dans l’activité exercée par Nordspedizionieri et qu’ils ne pouvaient être qualifiés d’agents en douane ou « agenti in dogana », au sens que le droit italien attribue au contrat d’agence. Les requérants indiquent, ainsi, qu’ils ont seulement exercé une activité de représentation en douane, en qualité de commissionnaires en douane ou « spedizionieri doganali », conformément aux dispositions de la loi douanière italienne, en particulier les articles 40 et 47 et suivants du décret du président de la République n° 43, du 23 janvier 1973 .

62
Les requérants remarquent que la qualité de commissionnaire en douane a été reconnue par la réglementation douanière communautaire et invoquent le sixième considérant et l’article 3, paragraphe 3, du règlement (CEE) nº 3632/85 du Conseil, du 12 décembre 1985, définissant les conditions selon lesquelles une personne est admise à faire une déclaration en douane (JO L 350, p. 1), ainsi que l’article 5 du code des douanes. Ils relèvent que ces dispositions permettent de recourir à des représentants pour la réalisation de déclarations douanières, ceux-ci agissant soit en leur nom propre mais pour le compte d’autrui, soit au nom et pour le compte d’autrui et que, aux termes de l’article 3 de la loi italienne nº 1612, du 22 décembre 1960, relative à la reconnaissance de la profession de commissionnaire en douane, celui-ci ne peut, sans justification, refuser son intervention.

63
Les requérants contestent l’argument contenu dans la décision attaquée selon lequel les opérations frauduleuses commises par des tiers font partie des risques commerciaux normaux auxquels le commissionnaire en douane s’expose et ne peuvent pas constituer une situation particulière au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79. Ils soutiennent que l’article 4, paragraphe 1, du règlement nº 1031/88, lequel prévoit que sont tenues au paiement de la dette douanière les personnes ayant soustrait la marchandise à la surveillance douanière ou ayant participé à cette soustraction, consacre une responsabilité ex delicto, à laquelle les requérants sont étrangers, puisqu’ils ont été entièrement disculpés au pénal. Les requérants font valoir que seul l’article 4, paragraphe 1, du règlement nº 1031/88 est applicable en l’espèce, et non le paragraphe 2 du même article, qui ne viserait que les cas d’inexécution civile de la part du propriétaire de la marchandise, comme en cas de faillite de celui-ci.

64
Les requérants remarquent qu’un professionnel déclarant en douane n’assume pas de risques commerciaux et donc que l’affirmation selon laquelle des opérations frauduleusement commises par des tiers font partie des risques commerciaux normalement encourus par le déclarant en douane est dénuée de sens juridique. En outre, ils relèvent que la jurisprudence du Tribunal exclut, notamment à partir de l’arrêt du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission (T‑42/96, Rec. p. II‑401), que l’utilisation inconsciente en douane de faux documents puisse constituer un risque commercial normal. En effet, relèvent-ils, le Tribunal a jugé dans cet arrêt que, dans des circonstances où la Commission a manqué à son devoir de surveillance et de contrôle, des falsifications mises en œuvre de manière très professionnelle dépassaient le risque commercial normal que doit supporter l’opérateur économique (arrêt Eyckeler & Malt/Commission, précité, points 188 et 189).

65
Les requérants font valoir que l’arrêt Eyckeler & Malt/Commission, précité, constitue un point de rupture avec la jurisprudence antérieure et le début d’une nouvelle jurisprudence plus conforme aux impératifs de protection des échanges internationaux. Les requérants invoquent à cet égard l’arrêt Primex Produkte Import‑Export e.a./Commission, précité (points 163 et 164), et l’arrêt du Tribunal du 10 mai 2001, Kaufring e.a./Commission (T‑186/97, T‑187/97, T‑190/97 à T‑192/97, T‑210/97, T‑211/97, T‑216/97 à T‑218/97, T‑279/97, T‑280/97, T‑293/97 et T‑147/99, Rec. p. II‑1337). L’arrêt Kaufring e.a./Commission, précité, en particulier, mettrait l’accent sur le principe fondamental de confiance légitime dans les documents établis par les autorités étrangères (points 216, 218 et 219).

66
La Commission relève que l’utilisation de faux documents, même de bonne foi, ne peut pas constituer en soi une situation particulière et s’inscrit dans les risques commerciaux ordinaires inhérents à l’activité de l’opérateur économique. Ainsi, le fait que les requérants ne soient pas responsables de l’organisation de la contrebande ne les exonérerait pas du paiement de la dette douanière.

Appréciation du Tribunal

67
Il y a lieu de noter d’emblée que, alors que les requérants se présentent comme des « spedizionieri doganali » (commisionnaires en douane), le considérant 3 de la décision attaquée qualifie Nordspedizionieri de « società di transporti, agente in dogana » (société de transport, agent en douane). Dans leur lettre du 6 mai 2002, en réponse aux objections préliminaires de la Commission à la remise de droits demandée, les requérants ont fait remarquer que les commissionnaires en douane s’occupent uniquement des documents commerciaux et que, à la différence des agents en douane, ils ne s’occupent pas du transport des marchandises et n’ont pas le pouvoir de vérifier le chargement. Toutefois, si la décision attaquée est entachée d’une erreur quant à la qualification professionnelle des requérants, il n’en reste pas moins que la Commission n’a retenu dans son raisonnement aucun argument lié à la prestation de services de transport des marchandises. Partant, l’imprécision contenue dans la décision n’a pu avoir aucune incidence pratique sur la procédure de remise de la dette douanière.

68
Il y a lieu de relever que les obligations pesant en l’occurrence sur les requérants ne leur incombent pas tant à raison de leur condition de commissionnaires en douane qu’en leur qualité de principal obligé pour les deux opérations de transit externe en cause. En effet, aux termes de l’article 11, sous a), du règlement n° 222/77, le principal obligé répond vis-à-vis des autorités compétentes de l’exécution régulière de l’opération de transit communautaire, et, conformément à l’article 13, sous a) et b), de ce règlement, il est tenu de représenter les marchandises intactes au bureau de destination dans le délai prescrit en ayant respecté les mesures d’identification prises par les autorités compétentes ainsi que de respecter les dispositions relatives au régime du transit communautaire. En ce sens, en assumant la condition de principal obligé par leurs déclarations douanières des 30 octobre et 5 novembre 1991, les requérants ont accepté une responsabilité particulière, en vertu de la législation douanière communautaire.

69
Quant aux arguments que les requérants invoquent en se prévalant de leur propre interprétation de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1031/88, concernant la détermination des personnes tenues au paiement d’une dette douanière, ils ne sauraient être accueillis. Les requérants soutiennent, en substance, que, puisqu’ils n’ont pas participé à la soustraction de la marchandise, ils ne sont pas solidairement responsables du paiement des droits de douane en cause. Il suffit de rappeler à cet égard que les dispositions de l’article 13 du règlement n° 1430/79 ne permettent pas de contester l’exigibilité d’une dette douanière [arrêts Cerealmangimi et Italgrani/Commission, précité, point 11 ; CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, précité, point 43, et Hyper/Commission, précité, point 98], la détermination de l’existence de la dette relevant de la compétence des autorités nationales. En effet, les demandes adressées à la Commission en vertu de l’article 13 du règlement n° 1430/79 ne concernent pas la question de savoir si les dispositions de droit matériel douanier ont été correctement appliquées par les autorités douanières nationales (arrêt Kia Motors et Broekman Motorships/Commission, précité, point 36).

70
S’agissant de l’argumentation des requérants selon laquelle la participation inconsciente et non délibérée à des opérations frauduleuses commises par des tiers constitue une situation particulière au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79, il y a lieu de noter que, selon une jurisprudence constante, la présentation, même de bonne foi, de documents dont il est établi ultérieurement qu’ils étaient falsifiés ne constitue pas en soi une situation particulière justifiant une remise des droits à l’importation (voir, en ce sens, arrêts Eyckeler & Malt/Commission, précité, point 162 ; Primex Produkte Import-Export e.a./Commission, précité, point 140, et SCI UK/Commission, précité, point 58). En particulier, le Tribunal a jugé que le caractère frauduleux des factures remises à un commissionnaire en douane ne constituait pas une situation particulière au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79, estimant que ce fait entrait dans la catégorie des risques professionnels auxquels s’expose un commissionnaire en douane, lequel, par la nature même de ses fonctions, engage sa responsabilité pour la régularité des documents qu’il présente aux autorités douanières et, donc, que les conséquences préjudiciables des agissements incorrects de ses clients ne sauraient être supportées par la Communauté (arrêt Mehibas Dordtselaan/Commission, précité, points 82 et 83).

71
Or, les circonstances et les caractéristiques concrètes du délit qui ont été alléguées par les requérants, telles que le niveau d’organisation des malfaiteurs, la gravité des faits, l’importance économique de la violation ou l’existence de quatre actions délictueuses commises itérativement, ne sont pas de nature à infirmer cette conclusion (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 5 octobre 1983, Magazzini Generali, 186/82 et 187/82, Rec. p. 2951, points 14 et 15 ; voir, également, arrêt Aslantrans/Commission, précité, point 58). De même, les arguments des requérants selon lesquels les commissionnaires en douane italiens ne peuvent ni moduler leur rémunération en fonction de leur évaluation du risque de fraude ni refuser, sans justification, leur intervention quand celle-ci est sollicitée ne constituent pas non plus des éléments susceptibles de placer le demandeur dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs économiques, dans la mesure où ces circonstances affectent un nombre indéfini d’opérateurs, à savoir tous les commissionnaires en douane italiens (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 25 février 1999, Trans‑Ex‑Import, C‑86/97, Rec. p. I‑1041, point 22, et du 27 septembre 2001, Bacardi, C‑253/99, Rec. p. I‑6493, point 56; arrêt De Haan, précité, point 52). Enfin, le fait qu’il s’agissait en l’occurrence du premier cas de fraude auquel ont été confrontés les requérants ne suffit pas non plus à créer des circonstances exceptionnelles au sens de l’article 13 de règlement nº 1430/79.

72
Cependant, il convient de constater qu’une conclusion différente, à savoir l’existence d’une situation particulière, s’impose dans les cas où la Commission ou les autorités douanières nationales ont fait preuve de graves manquements facilitant l’utilisation frauduleuse des documents (arrêt SCI UK/Commission, précité, point 59; voir, également, en ce sens, arrêts Eyckeler & Malt/Commission, précité, points 189 et 190 ; Primex Produkte Import-Export e.a./Commission, précité, point 163, et Kaufring e.a./Commission, précité, points 235 et 302). En effet, l’article 13 du règlement nº 1430/79 étant destiné à être appliqué lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l’opérateur économique et l’administration sont telles qu’il n’est pas équitable d’imposer à cet opérateur un préjudice qu’il n’aurait normalement pas subi (arrêt Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons, précité, point 22), il convient de considérer que de telles circonstances créeraient une situation particulière au sens de ladite disposition et qu’elles justifieraient une remise des droits à l’importation (voir, en ce sens, arrêt Primex Produkte Import-Export e.a./Commission, précité, points 163 et 164).

73
Partant, il convient d’examiner si, en l’espèce, les requérants ont démontré l’existence de tels manquements dans le chef de la Commission ou des autorités douanières nationales.

c)     En ce qui concerne l’absence de contrôle de la part des autorités douanières

Arguments des parties

74
Les requérants relèvent que les autorités douanières n'ont pas contrôlé les chargements des 30 octobre et 5 novembre 1991 et qu'elles ont apposé leur visa de conformité sur les certificats de transit sans inspecter les camions, faisant ainsi confiance à la véracité des documents présentés par le chauffeur. Ils font valoir, en particulier, que si les douanes soupçonnaient l’existence d’irrégularités dans les opérations des 30 octobre et 5 novembre 1991, comme elles l’ont fait pour l’opération du 16 novembre 1991, elles avaient l’obligation de procéder à une vérification des marchandises. Ils relèvent aussi qu’une caution adéquate, d’un montant de 100 000 000 ITL, a été déposée au moment de l’émission des deux certificats en garantie du paiement des droits de douane dus au titre du chargement déclaré de cartons d’emballage, caution dont l’adéquation aurait dû être appréciée éventuellement par les douanes, qui pouvaient inspecter le camion au moment de l’émission des deux certificats de transit. Ainsi, même s’il s’avérait que les autorités douanières et la brigade des finances n’avaient pas eu connaissance du trafic de contrebande, leur responsabilité serait également engagée du fait de cet absence de contrôle physique des marchandises.

75
Les requérants invoquent également un principe de confiance de l’opérateur dans l’application correcte de la législation communautaire. Ils font valoir que, eu égard à l’existence de l’accord d’assistance administrative entre l’Italie et la Yougoslavie, précité, les douanes slovènes avaient l’obligation de signaler aux autorités italiennes que les chargements en cause étaient constitutifs de marchandises sensibles, car soumises à un monopole de haute valeur économique, et que les conséquences des déficiences éventuelles de ce système d’information et de prévention de la contrebande ne sauraient être supportées par le déclarant en douane. Ainsi, même si la jurisprudence issue de l’arrêt De Haan, précité, était sans application en l’espèce, il y aurait lieu d’appliquer le principe posé dans les arrêts Eyckeler & Malt/Commission, précité, et Hewlettt Packard France (arrêt de la Cour du 1er avril 1993, C‑250/91, Rec. p. I‑1819), les requérants étant fondés à avoir une confiance légitime dans les contrôles préventifs des institutions communautaires sur les marchandises sensibles.

76
La Commission maintient que, s’il est vrai que, dans certaines situations, une fraude commise par la présentation de bonne foi de faux documents peut justifier une remise de la dette, notamment quand la Commission ou les autorités douanières ont fait preuve de graves manquements facilitant l’utilisation frauduleuse desdits documents, il n’en reste pas moins que, en l’occurrence, les requérants n’ont rapporté aucun élément de preuve d’une faute de l’administration italienne.

Appréciation du Tribunal

77
L’argumentation des requérants revient, en substance, à faire valoir, en premier lieu, que les autorités italiennes auraient dû contrôler physiquement les marchandises, objet des opérations de transit des 30 octobre et 5 novembre 1991, et, en second lieu, que les autorités douanières slovènes étaient tenues de signaler à leurs homologues italiens les transports de tabacs en cause.

78
Premièrement, le Tribunal relève qu’il ne serait pas raisonnable d’exiger des autorités douanières nationales qu’elles procèdent à une inspection physique de toutes les cargaisons franchissant les frontières communautaires. En effet, la réalité du trafic international de marchandises rend impossible, en pratique, de contrôler physiquement tous les transports frontaliers. De même, comme la décision attaquée le relève dans son considérant 36, l’acceptation d’une déclaration de transit ne prive pas l’administration des douanes compétente de la possibilité de procéder à des contrôles a posteriori (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 novembre 1984, Van Gend & Loos/Commission, 98/83 et 230/83, Rec. p. 3763, point 20). Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les éléments figurant au dossier ne permettent pas de conclure que les autorités italiennes soupçonnaient l’existence d’irrégularités dans les opérations des 30 octobre et 5 novembre 1991.

79
Deuxièmement, il y a lieu de constater que l’accord d’assistance administrative pour la prévention et la répression de la fraude douanière conclu entre l’Italie et la Yougoslavie le 10 novembre 1965 n’imposait pas aux autorités douanières slovènes d’informer sans délai les autorités douanières italiennes de tous les transports de tabacs quittant leur territoire vers l’Italie. En effet, l’accord se borne à prévoir une assistance mutuelle et l’établissement d’une étroite collaboration entre les deux administrations (articles 1er et 3), la mise en place « dans la mesure du possible » d’une surveillance particulière sur les mouvements de marchandises et de moyens de transports signalés comme constituant un trafic illicite important (article 4) et l’échange d’information notamment sur les catégories de marchandises faisant l’objet d’infractions douanières (article 5).

80
Eu égard à ce qui précède, le Tribunal estime que les requérants n’ont pas démontré que les autorités douanières nationales ont commis de graves manquements qui auraient facilité l’utilisation frauduleuse des certificats de transit en cause. Dès lors, il y a lieu de conclure que, en l’espèce, la présentation par les requérants, de bonne foi, de documents dont il a été établi ultérieurement qu’ils étaient falsifiés ne saurait constituer une situation particulière justifiant une remise des droits des douane.

d)     En ce qui concerne l’impossibilité pour les requérants de contrôler les camions

Arguments des parties

81
Les requérants indiquent qu’ils opèrent à la frontière entre l’Italie et la Slovénie, qu’ils ont délivré les certificats de transit communautaire après le départ du camion de Ljubljana et, par conséquent, qu’ils n’avaient pas la possibilité d’inspecter le chargement. Les requérants ajoutent que les déclarants en douane ne peuvent demander à inspecter les moyens de transport, du fait notamment de la rapidité avec laquelle les opérations de transit doivent être exécutées pour des raisons évidentes de trafic frontalier.

82
La Commission relève que l’appréciation de la condition tenant à l’existence d’une situation particulière ne saurait dépendre du lieu, qui est une circonstance objective susceptible de concerner, actuellement ou potentiellement, un grand nombre d’opérateurs économiques (arrêt Coopérative agricole d’approvisionnement des Avirons, précité, point 22).

Appréciation du Tribunal

83
Il est de jurisprudence constante que des circonstances de nature à constituer une situation particulière au sens de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79 existent lorsque, à la lumière de la finalité d’équité qui sous-tend cette disposition, des éléments qui sont susceptibles de mettre le demandeur dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs économiques exerçant la même activité sont constatés (arrêts Trans‑Ex‑Import, précité, point 22, Bacardi, précité, point 56, et De Haan, précité, point 52).

84
Or, il y a lieu de constater que ni le fait d’opérer à la frontière, et non au lieu de départ du transport, ni l’impossibilité alléguée d’inspecter le camion ne constituent des éléments susceptibles de placer les requérants dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs économiques, étant donné que ces circonstances affectent un nombre indéfini d’opérateurs. Dès lors, elles ne sauraient caractériser une situation particulière au sens de l’article 13 du règlement n° 1430/79. À titre surabondant, il importe de noter que les commissionnaires en douane, avant de présenter une déclaration douanière, ont la faculté de demander aux services de douanes de vérifier les marchandises, même s’ils n’ont recours à cette possibilité que de façon exceptionnelle.

e)     En ce qui concerne la mise en balance des intérêts en présence

Arguments des parties

85
Les requérants relèvent que la Cour a admis l’existence d’une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité en raison du fait que la perception des droits aurait anéanti financièrement l’opérateur économique en question, compte tenu du montant élevé de la prétention des douanes (arrêt Trans-Ex‑Import, précité). Les requérants remarquent également que la Commission doit apprécier l’ensemble des éléments de fait afin de déterminer si ceux-ci sont constitutifs d’une situation particulière et mettre en balance l’intérêt de la Communauté à s’assurer du respect des dispositions douanières, d’une part, et l’intérêt de l’opérateur économique de bonne foi à ne pas supporter des préjudices dépassant le risque commercial ordinaire, d’autre part (arrêt Spedition Wilhelm Rotermund/Commission, précité, point 53). Or, la décision attaquée n’aurait pas procédé à un examen comparé des intérêts en présence, en se limitant à exclure simplement l’applicabilité de l’article 13 du règlement nº 1430/79.

86
La Commission soutient que l’argument des requérants implique que la Commission, avant de rejeter une demande de remise, devrait établir une sorte de bilan comptable des risques qui pèsent sur les ressources propres communautaires et de ceux encourus pour les opérateurs économiques. En revanche, l’analyse qui devrait être faite, selon la jurisprudence, tendrait à déterminer si la Commission ou les autorités douanières ont commis ou non une faute de nature à faire peser une charge excessive sur l’opérateur économique.

Appréciation du Tribunal

87
Il importe de noter que, contrairement à ce que les requérants affirment, la Cour n’a pas conclu dans son arrêt Trans-Ex‑Import, précité, que le fait que la perception des droits risque d’anéantir financièrement l’opérateur économique, eu égard au montant élevé de la prétention des douanes, était un élément de nature à constituer une situation particulière. En effet, si la juridiction de renvoi avait effectivement saisi la Cour d’une question préjudicielle visant à déterminer notamment si le fait que la perception des droits de douane entraîne la ruine de l’entreprise de l’opérateur économique constituait une situation particulière au sens de l’article 905, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’applications du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil établissant le code des douanes communautaire (JO L 253, p. 1) (arrêt Trans-Ex‑Import, précité, point 13), la Cour s’est limitée à répondre que la constatation d’une situation particulière suppose l’existence d’éléments susceptibles de mettre le demandeur dans une situation exceptionnelle par rapport aux autres opérateurs exerçant la même activité (arrêt Trans-Ex‑Import, précité, point 22).

88
De même, l’argumentation des requérants selon laquelle la décision attaquée ne repose pas sur un examen comparé des intérêts en présence ne saurait être accueillie. Il y a lieu de rappeler que, lorsqu’elle fait application de l’article 13 du règlement nº 1430/79, la Commission jouit d’un pouvoir d’appréciation qu’elle est tenue d’exercer en mettant en balance, d’une part, l’intérêt de la Communauté à s’assurer du respect des dispositions douanières et, d’autre part, l’intérêt de l’opérateur économique de bonne foi à ne pas supporter des préjudices dépassant le risque commercial ordinaire (arrêts Eyckeler & Malt/Commission, précité, point 133, et Mehibas Dordtselaan/Commission, précité, point 78). Or, il importe de noter que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la Commission ne s’est pas limitée, dans la décision attaquée, à exclure l’applicabilité de l’article 13 du règlement nº 1430/79, mais a examiné si les circonstances de l’espèce relevaient du risque commercial qui incombe normalement aux commissionnaires en douane, en concluant que celles‑ci ne dépassaient pas le risque commercial ordinaire afférent à cette activité (voir, notamment, le considérant 30 de la décision attaquée).

89
Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas parvenus à démontrer, que leurs arguments soient considérés successivement ou pris dans leur ensemble, que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que les circonstances de l’espèce n’étaient pas constitutives d’une situation particulière au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79.

3.      Sur l’inexistence de négligence et de manœuvre

Arguments des parties

90
Les requérants soutiennent d’emblée que l’ordonnance de classement des poursuites pénales du 14 janvier 1994 du juge des enquêtes préliminaires du Tribunale civile e penale di Trieste prouve qu’il n’a pas existé en l’espèce de manœuvre ou de négligence de leur part, au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79. Ils relèvent qu’il s’agit en l’occurrence du premier et seul cas dans lequel leur bonne foi a été surprise à l’occasion de l’émission de certificats de transit, alors qu’ils avaient émis antérieurement des centaines des documents T 1 au cours de dizaines d’années d’activité de déclaration en douane. Les requérants indiquent que les certificats de transit en cause ont été délivrés conformément à une pratique commerciale habituelle, que les autorités douanières n’ont jamais contestée dans le passé, et donc qu’il incombait à la Commission d’apporter la preuve d’une négligence manifeste de leur part (arrêt Primex Produkte Import‑Export e.a./Commission, précité, point 136), ainsi que de démontrer que les requérants avaient agi en l’occurrence de manière différente sous l’angle des modalités d’établissement et de délivrance des deux certificats en cause.

91
Les requérants contestent l’argument contenu dans la décision attaquée selon lequel, eu égard à leur condition de déclarants en douane habituels, ils avaient l’obligation de prendre toutes les précautions opportunes liées à l’expédition en transit, notamment l’obligation de vérifier, avant la déclaration, la nature des marchandises contenues dans les camions. Les requérants relèvent à cet égard que les opérations ont été faites au bureau des douanes frontalier, et donc « en ligne », c’est-à-dire, un camion derrière l’autre au passage de la frontière, et que, par conséquent, le fait que la marchandise soit déchargée dans l’espace douanier ferait obstacle à la fluidité de la circulation des marchandises. Les requérants relèvent aussi que le déclarant en douane ne peut demander l’inspection de la marchandise que s’il existe des doutes précis sur la nature des marchandises, en raison d’indications erronées ou de contradictions dans les documents produits, et qu’elle doit être autorisée par la douane. Ils font remarquer également que le poids du camion transportant les cigarettes était analogue à celui qu’il aurait eu s’il avait effectivement transporté des cartons d’emballage, et donc compatible avec la nature du chargement déclaré dans les documents de transport et factures l’accompagnant.

92
Les requérants soutiennent que, dans les limites de leurs possibilités, sur la base de leur expérience professionnelle et en apportant une diligence particulière à l’examen des documents qui leur avaient été soumis, ils ont considéré que les camions transportaient des cartons d’emballage, comme cela avait été le cas à de multiples reprises, ces marchandises faisant l’objet d’un transit habituel au bureau des douanes de Fernetti. De plus, les requérants font valoir que les documents sur lesquels les déclarations de transit ont été établis paraissaient absolument réguliers, comme le confirme le fait que les autorités douanières y ont apposé leurs visas de conformité.

93
La Commission soutient que les arguments des requérants reviennent à faire valoir que, malgré leur condition de déclarants, ils ne devraient encourir aucune responsabilité. Une telle conception reviendrait à nier l’obligation de diligence qui incombe au déclarant et serait contraire aux exigences d’équité sur lesquelles se fondent les procédures de remise. La Commission rappelle que le juge communautaire a eu l’occasion de rappeler l’importance du critère de la diligence de l’opérateur ayant effectué une déclaration en douane (arrêt Hewlett Packard France, précité, point 27), ce critère étant essentiel pour déterminer si l’opérateur a été manifestement négligent (arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, Günzler Aluminium/Commission, T‑75/95, Rec. p. II‑497, point 43). La Commission conclut que l’examen de la décision attaquée montre que les requérants n’ont pas fait preuve de la diligence requise d’un opérateur expérimenté.

Appréciation du Tribunal

94
Au vu de l’article 13 du règlement nº 1430/79, deux conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’il puisse être procédé à une remise des droits à l’importation, à savoir l’existence d’une situation particulière et l’absence de manœuvre et de négligence manifeste de la part de l’opérateur économique (arrêts Covita, précité, point 29 ; De Haan, précité, point 42, et SCI UK/Commission, précité, point 45). En conséquence, il suffit que l’une des deux conditions fasse défaut pour que le remboursement des droits doive être refusé (arrêts Günzler Aluminium/Commission, précité, point 54 ; Mehibas Dordtselaan/Commission, précité, point 87, et Kaufring e.a./Commission, précité, point 220).

95
Or, le Tribunal a jugé que, en l’occurrence, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les circonstances de l’espèce n’étaient pas constitutives d’une situation particulière au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79. Partant, il n’est pas nécessaire d’examiner la condition relative à l’absence de manœuvre et de négligence manifeste.

96
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le second moyen n’est pas fondé.

97
Dès lors, il y a lieu de rejeter les conclusions des requérants visant à l’annulation de la décision attaquée.

II – Sur les conclusions subsidiaires, tendant à obtenir la remise partielle des droits de douanes

Arguments des parties

98
Les requérants contestent, à titre subsidiaire, le rejet opposé par la décision attaquée à leur demande visant à obtenir qu’une partie de la dette douanière en cause soit considérée comme éteinte à la suite de la confiscation partielle des marchandises grevées, conformément à ce que prévoit, dans un tel cas, l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº  2144/87. Ils font remarquer que, dans le cadre de ses enquêtes, la brigade des finances de Trieste a confisqué, le 8 avril 1992, 8 010 kg de tabacs étrangers manufacturés dans un dépôt situé à Bareggio, et soutiennent qu’il existe un degré de probabilité élevé que les marchandises confisquées soient celles qui avaient été transportées sous couvert des déclarations de transit émises par les requérants en date des 30 octobre et 5 novembre 1991. Les requérants soutiennent que la contestation du montant de la dette douanière constitue la condition de fait historique à laquelle remonte le litige, et donc qu’elle ne saurait être déclarée irrecevable, dans la mesure où elle remonte à la condition objective de la cause.

99
La Commission soutient que cette demande est irrecevable en ce que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours en annulation, le juge communautaire ne saurait ordonner à une institution communautaire de prendre les mesures qu’implique l’exécution d’un arrêt prononçant l’annulation d’une décision.

Appréciation du Tribunal

100
Par le grief tiré de la prétendue violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 2144/87, les requérants demandent au Tribunal, en particulier, de dire, « à toutes fins utiles », que la remise des droits leur est due pour les 8 010 kg de tabacs étrangers manufacturés confisqués à Bareggio.

101
À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que les dispositions de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79 n’ont pas pour objet de permettre de contester le principe même de l’exigibilité de la dette douanière [arrêts Cerealmangimi et Italgrani/Commission, précité, point 11 ; CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, précité, point 43, et Hyper/Commission, précité, point 98]. Or, la question de l’extinction, partielle ou totale, de la dette douanière par confiscation de la marchandise grevée, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 2144/87, se rapporte nécessairement soit à la question de l’existence même de la dette douanière, soit à celle de la détermination de son montant. De même, il convient de noter que les demandes adressées à la Commission en vertu de l’article 13 du règlement n° 1430/79 ne concernent pas la question de savoir si les dispositions de droit matériel douanier ont été correctement appliquées par les autorités douanières nationales (arrêt Kia Motors et Broekman Motorships/Commission, précité, point 36). Dès lors, il y a lieu de conclure que la question de l’extinction de la dette douanière par confiscation d’une partie de la marchandise grevée n’entre pas dans le cadre de cette disposition.

102
Cette conclusion ne saurait être infirmée par les arguments des requérants selon lesquels la contestation du montant de la dette douanière constitue la condition de fait historique à laquelle remonte le litige. Cette thèse méconnaît les limites et la spécificité du mécanisme de remise ou de remboursement des droits des douanes prévu à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1430/79.

103
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les conclusions des requérants visant à faire constater que la remise des droits est due en ce qui concerne la dette douanière se rapportant aux 8 010 kg de tabacs confisqués doivent être déclarées irrecevables.

104
Par conséquent, le recours doit être rejeté dans son intégralité.


Sur les dépens

105
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens et ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
Les parties requérantes supporteront leurs propres dépens et les dépens exposés par la Commission.

Lindh

García-Valdecasas

Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh

Table des matières

Cadre juridique

Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

    I –  Sur les conclusions visant à l’annulation de la décision attaquée

        A –  Sur le premier moyen, tiré de plusieurs erreurs matérielles contenues dans la décision attaquée

            1.  En ce qui concerne la vérification de l’opération du 16 novembre 1991

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

            2.  En ce qui concerne le montant de la remise de droits demandée

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

        B –  Sur le second moyen, tiré de l’existence d’une situation particulière et de l’absence de manœuvre et de négligence manifeste au sens de l’article 13 du règlement nº 1430/79

            1.  Observations liminaires

            2.  Sur l’existence d’une situation particulière

                a)  En ce qui concerne la prétendue connaissance préalable par les autorités italiennes des opérations de contrebande

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

                b)  En ce qui concerne l’argument tiré par les requérants de ce que l’activité de contrebande dont ils ont été les victimes dépassait les risques commerciaux inhérents à leur activité professionnelle

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

                c)  En ce qui concerne l’absence de contrôle de la part des autorités douanières

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

                d)  En ce qui concerne l’impossibilité pour les requérants de contrôler les camions

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

                e)  En ce qui concerne la mise en balance des intérêts en présence

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

            3.  Sur l’inexistence de négligence et de manœuvre

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

    II –  Sur les conclusions subsidiaires, tendant à obtenir la remise partielle des droits de douanes

                    Arguments des parties

                    Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



1
Langue de procédure : l'italien.