Language of document : ECLI:EU:T:2003:193

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

9 juillet 2003(1)

«Concurrence - Entente - Lysine - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Applicabilité - Gravité et durée de l'infraction - Chiffre d'affaires - Circonstances atténuantes»

Dans l'affaire T-220/00,

Cheil Jedang Corp., établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par M. A. R. M. Bell, solicitor, Me R. P. Gerrits, avocat, et M. J. Killick, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. W. Wils et R. Lyal, en qualité d'agents, assistés de M. J. Flynn, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation partielle de la décision 2001/418/CE de la Commission, du 7 juin 2000, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 - Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24) ou de réduction du montant de l'amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. M. Vilaras, président, Mme V. Tiili et M. P. Mengozzi, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 24 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Cheil Jedang Corp. (ci-après «Cheil» ou la «requérante»), fondée par le groupe coréen Samsung, est la société mère d'un groupe d'entreprises opérant dans le secteur des produits pharmaceutiques et alimentaires. Cheil s'est implantée sur le marché de la lysine en 1991.

2.
    La lysine est le principal acide aminé utilisé dans l'alimentation animale à des fins nutritionnelles. La lysine synthétique est utilisée comme additif dans les aliments qui ne contiennent pas suffisamment de lysine naturelle, par exemple les céréales, afin de permettre aux nutritionnistes de composer des régimes à base de protéines répondant aux besoins alimentaires des animaux. Les aliments auxquels de la lysine synthétique est ajoutée peuvent également se substituer aux aliments contenant une quantité suffisante de lysine à l'état naturel, tel le soja.

3.
    En 1995, à l'issue d'une enquête secrète menée par le Federal Bureau of Investigation, des perquisitions ont été effectuées aux États-Unis dans les locaux de plusieurs entreprises actives sur le marché de la lysine. Aux mois d'août et d'octobre 1996, les sociétés Archer Daniels Midland Co. (ci-après «ADM Company»), Kyowa Hakko Kogyo Co. Ltd, Sewon Corp. Ltd, Cheil et Ajinomoto Co. Inc., ont été inculpées par les autorités américaines pour avoir formé une entente ayant consisté à fixer les prix de la lysine et à répartir les volumes de vente de ce produit entre juin 1992 et juin 1995. À la suite d'accords conclus avec le ministère de la Justice américain, ces entreprises se sont vu imposer des amendes par le juge saisi du dossier, à savoir une amende de 10 millions de dollars des États-Unis (USD) pour Kyowa Hakko Kogyo et Ajinomoto, une amende de 70 millions de USD pour ADM Company et une amende de 1,25 million de USD pour Cheil. Le montant de l'amende imposée à Sewon Corp. s'élevait, selon cette dernière, à 328 000 USD. Par ailleurs, trois dirigeants d'ADM Company ont été condamnés à des peines d'emprisonnement et à des amendes pour leur rôle dans l'entente.

4.
    En juillet 1996, Ajinomoto a, sur la base de la communication 96/C 207/04 de la Commission concernant la non-imposition d'amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»), proposé à la Commission de coopérer avec elle pour établir l'existence d'un cartel sur le marché de la lysine et ses effets dans l'Espace économique européen (EEE).

5.
    Les 11 et 12 juin 1997, la Commission a procédé à des vérifications, en application de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), dans les installations européennes d'ADM Company et dans celles de Kyowa Hakko Europe GmbH. À la suite de ces vérifications, Kyowa Hakko Kogyo et Kyowa Hakko Europe ont fait connaître leur souhait de coopérer avec la Commission et lui ont fourni certaines informations concernant, notamment, la chronologie des réunions entre les producteurs de lysine.

6.
    Le 28 juillet 1997, la Commission a, en application de l'article 11 du règlement n° 17, adressé à ADM Company et à sa filiale européenne Archer Daniels Midland Ingredients Ltd (ci-après «ADM Ingredients»), à Sewon Corp. et à sa filiale européenne Sewon Europe GmbH (ci-après, prises ensemble, «Sewon»), ainsi qu'à Cheil, des demandes de renseignements concernant leur comportement sur le marché des acides aminés et les réunions de l'entente identifiées dans ces demandes. Cheil a fourni un exposé de ce qui avait été discuté lors de ces réunions et donné des renseignements concernant des réunions qui n'étaient pas mentionnées dans la demande.

7.
    Le 30 octobre 1998, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission a envoyé une communication des griefs à la requérante et aux autres entreprises concernées, à savoir ADM Company et ADM Ingredients (ci-après, prises ensemble, «ADM»), Ajinomoto et sa filiale européenne Eurolysine SA (ci-après, prises ensemble, «Ajinomoto»), Kyowa Hakko Kogyo et sa filiale européenne, Kyowa Hakko Europe (ci-après, prises ensemble, «Kyowa»), Daesang Corp. (anciennement Sewon Corp.) et sa filiale européenne Sewon Europe, pour violation de l'article 81, paragraphe 1, CE et de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord sur l'EEE (ci-après l'«accord EEE»). Dans sa communication des griefs, la Commission reprochait à ces entreprises d'avoir fixé les prix de la lysine dans l'EEE ainsi que des quotas de vente pour ce marché et d'avoir échangé des informations sur leurs volumes de vente, à partir des mois de septembre 1990 (Ajinomoto, Kyowa et Sewon), mars 1991 (Cheil) et juin 1992 (ADM) jusqu'au mois de juin 1995.

8.
    À la suite de l'audition des entreprises concernées le 1er mars 1999, la Commission a, le 17 août 1999, envoyé à ces dernières une communication des griefs complémentaire concernant la durée de l'entente, à laquelle la requérante a répondu le 7 octobre 1999.

9.
    Au terme de la procédure, la Commission a adopté la décision 2001/418/CE, du 7 juin 2000, relative à une procédure d'application de l'article 81 du traité CE et de l'article 53 de l'accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 - Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24, ci-après la «Décision»). La Décision a été notifiée à la requérante par lettre du 16 juin 2000.

10.
    La Décision comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

[ADM Company] et sa filiale européenne [ADM Ingredients], Ajinomoto Company, Incorporated, et sa filiale européenne Eurolysine SA, Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et sa filiale européenne Kyowa Hakko Europe GmbH, Daesang Corporation et sa filiale européenne Sewon Europe GmbH, ainsi que [Cheil] ont enfreint l'article 81, paragraphe 1, du traité CE et l'article 53, paragraphe 1, de l'accord EEE en participant à des accords sur les prix, les volumes de ventes et l'échange d'informations individuelles sur les volumes de ventes de lysine synthétique, couvrant l'ensemble de l'EEE.

La durée de l'infraction a été la suivante:

a)    dans le cas d'[ADM Company] et d'[ADM Ingredients]: du 23 juin 1992 au 27 juin 1995;

b)    dans le cas d'Ajinomoto Company Incorporated et d'Eurolysine SA: au moins à partir de juillet 1990 jusqu'au 27 juin 1995;

c)    dans le cas de Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et de Kyowa Hakko Europe GmbH: au moins à partir de juillet 1990 jusqu'au 27 juin 1995;

d)    dans le cas de Daesang Corporation et de Sewon Europe GmbH: au moins à partir de juillet 1990 jusqu'au 27 juin 1995;

e)    dans le cas de [Cheil]: du 27 août 1992 au 27 juin 1995.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l'article 1er, en raison de l'infraction constatée audit article:

a)    [ADM Company] et

    [ADM Ingredients]

    (solidairement responsables) une amende de:

47 300 000 euros

b)    Ajinomoto Company, Incorporated et

    Eurolysine SA

    (solidairement responsables) une amende de:

28 300 000 euros

c)    Kyowa Hakko Kogyo Company Limited et

    Kyowa Hakko Europe GmbH

    (solidairement responsables) une amende de:

13 200 000 euros

d)    Daesang Corporation et

    Sewon Europe GmbH

    (solidairement responsables) une amende de:

8 900 000 euros

e)    [Cheil], une amende de:

12 200 000 euros

[...]»

11.
    Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application, dans la Décision, de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices») ainsi que de la communication sur la coopération.

12.
    En premier lieu, le montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, a été fixé, en ce qui concerne Cheil, à 19,5 millions d'euros. S'agissant d'Ajinomoto, de Kyowa, d'ADM et de Sewon, le montant de base de l'amende a été fixé, respectivement, à 42, à 21, à 39 et à 21 millions d'euros (considérant 314 de la Décision).

13.
    Pour la fixation du montant de départ des amendes, déterminé en fonction de la gravité de l'infraction, la Commission a, tout d'abord, considéré que les entreprises concernées avaient commis une infraction très grave, eu égard à sa nature, à son impact concret sur le marché de la lysine dans l'EEE et à l'étendue du marché géographique concerné. Estimant ensuite, sur la base de leurs chiffres d'affaires totaux réalisés au cours de la dernière année de la période infractionnelle, qu'il existait une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs de l'infraction, la Commission a procédé à un traitement différencié. En conséquence, le montant de départ des amendes a été fixé à 30 millions d'euros pour ADM et Ajinomoto, et à 15 millions d'euros pour Kyowa, Cheil et Sewon (considérant 305 de la Décision).

14.
    Pour tenir compte de la durée de l'infraction commise par chaque entreprise et déterminer le montant de base de leur amende respective, le montant de départ ainsi déterminé a été majoré de 10 % par an, soit une majoration de 30 % pour ADM et Cheil, et de 40 % pour Ajinomoto, Kyowa et Sewon (considérant 313 de la décision).

15.
    En second lieu, au titre des circonstances aggravantes, les montants de base des amendes infligées à ADM et Ajinomoto ont été majorés de 50 % chacun, soit 19,5 millions d'euros pour ADM et 21 millions d'euros pour Ajinomoto, au motif que ces entreprises avaient joué un rôle de meneur dans la commission de l'infraction (considérant 356 de la Décision).

16.
    En troisième lieu, au titre des circonstances atténuantes, la Commission a diminué de 20 % la majoration appliquée à l'amende de Sewon à raison de la durée de l'infraction, au motif que cette entreprise avait joué un rôle passif dans l'entente à compter du début de l'année 1995 (considérant 365 de la Décision). La Commission a, en outre, diminué de 10 % les montants de base des amendes de chacune des entreprises concernées, au motif qu'elles avaient toutes mis fin à l'infraction dès les premières interventions d'une autorité publique (considérant 384 de la Décision).

17.
    En quatrième lieu, la Commission a procédé à une «réduction significative» du montant des amendes, au sens du titre D de la communication sur la coopération. À ce titre, la Commission a consenti, à Ajinomoto et à Sewon, une réduction de 50 % du montant de l'amende qui leur aurait été infligée en l'absence de coopération, à Kyowa et à Cheil, une réduction de 30 % et, enfin, à ADM, une réduction de 10 % (considérants 431, 432 et 435 de la Décision).

Procédure et conclusions des parties

18.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 août 2000, la requérante a introduit le présent recours.

19.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a, au titre des mesures d'organisation de la procédure, demandé à la Commission de répondre par écrit à diverses questions. La défenderesse a déféré à cette demande dans le délai imparti.

20.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 24 avril 2002.

21.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler intégralement ou partiellement la Décision;

-    condamner la Commission aux entiers dépens;

-    prendre les autres mesures susceptibles d'être exigées par la justice.

22.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

En droit

23.
    Le recours s'articule autour de trois griefs principaux. En premier lieu, la requérante fait grief à la Commission d'avoir effectué le calcul du montant de l'amende sur la base des critères établis par les lignes directrices. En deuxième lieu, la requérante invoque plusieurs violations de dispositions des lignes directrices, ainsi que des erreurs manifestes d'appréciation, dans le cadre de l'analyse, d'une part, de la gravité et de la durée de l'infraction et, d'autre part, des circonstances atténuantes. En troisième lieu, la requérante fait valoir que la Décision est insuffisamment motivée sur certains points touchant au calcul du montant de l'amende.

24.
    Il convient de constater, à ce stade, que, bien qu'ayant sollicité du Tribunal l'annulation «intégrale» ou partielle de la Décision, l'ensemble des griefs susvisés visent à remettre en cause la seule partie de la Décision consacrée aux amendes et plus particulièrement l'article 2 de cette dernière par lequel la Commission a fixé le montant de l'amende imposée à la requérante à 12 200 000 euros.

1. Sur l'applicabilité des lignes directrices

Arguments des parties

Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

25.
    La requérante soutient que la Commission a violé le principe de protection de la confiance légitime au motif qu'elle a fait application des lignes directrices aux fins du calcul de l'amende, sans tenir compte de la situation de sociétés qui, comme elle, avaient coopéré avec la Commission avant leur adoption.

26.
    La requérante rappelle que, selon la jurisprudence, le principe de protection de la confiance légitime implique, notamment, que, en cas de modification d'un régime juridique, la Commission doit tenir compte de la situation des entreprises qui ont souscrit des engagements irrévocables sur la base des règles alors en vigueur, en prenant, le cas échéant, des mesures transitoires (arrêt de la Cour du 14 mai 1975, CNTA/Commission, 74/74, Rec. p. 533).

27.
    En l'espèce, la méthode de calcul du montant de l'amende résultant des lignes directrices s'écarterait de la pratique décisionnelle passée de la Commission, qui consistait à infliger des amendes ne dépassant pas 10 % du chiffre d'affaires afférent aux ventes du produit en cause dans la Communauté. L'application des lignes directrices à l'égard de Cheil aurait ainsi eu pour conséquence de lui faire subir une amende plus de sept fois supérieure à celle qui lui aurait été infligée si la méthodologie préexistante avait été utilisée par la Commission. Or, dans la mesure où Cheil avait reconnu sa culpabilité et présenté des éléments de preuve à la Commission à un moment où l'adoption des lignes directrices n'était pas envisagée, l'application de cette nouvelle méthode de calcul des amendes aurait porté atteinte à la confiance légitime créée par la communication sur la coopération, conformément au point E, paragraphe 3, de celle-ci, ainsi que par la pratique décisionnelle de la Commission. En effet, plutôt que de bénéficier d'une réduction de l'amende au titre de sa coopération, Cheil aurait, en fait, été exposée à une augmentation du montant de l'amende.

Sur la violation du principe de non-rétroactivité des peines

28.
    La requérante soutient que, en faisant application des lignes directrices dans le cas d'espèce, la Commission a violé le principe de non-rétroactivité des peines consacré par l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4 novembre 1950, et figurant au rang des principes généraux du droit communautaire (arrêt de la Cour du 10 juillet 1984, Kirk, 63/83, Rec. p. 2689, point 22).

29.
    La requérante expose, à cet égard, que l'article 7, paragraphe 1, de la CEDH interdit non seulement de condamner une personne pour un acte qui ne constituait pas une infraction au moment où il a été commis, mais aussi d'infliger une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour selon laquelle la CEDH revêt une importance particulière en droit communautaire (voir, notamment, arrêt de la Cour du 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. p. I-2925), il appartiendrait aux juridictions communautaires de veiller à ce que la Commission ne porte pas atteinte au principe de non-rétroactivité des peines ou des dispositions pénales.

30.
    Ce principe aurait, par ailleurs, vocation à s'appliquer dans le domaine du droit communautaire de la concurrence, le caractère pénal ou quasi pénal des amendes infligées en application du règlement n° 17 ayant été reconnu par la jurisprudence.

31.
    La requérante en déduit que la Commission ne peut pas lui infliger une sanction plus grave que celle qui était applicable au moment de la commission de l'infraction ou, à tout le moins, lorsqu'elle a admis sa participation à celle-ci. Or, selon la requérante, le montant des amendes infligées par la Commission, à cette époque, s'élevait à environ 10 % du chiffre d'affaires afférent aux ventes du produit concerné dans la Communauté européenne, ce qui, pour Cheil, aurait représenté environ 1,7 million d'euros. En faisant application des lignes directrices plutôt que de se conformer à sa pratique décisionnelle, la Commission aurait donc, comme elle l'admettrait d'ailleurs dans sa Décision (considérant 318), modifié, en cours de procédure, les sanctions normalement applicables et aurait, en particulier, aggravé l'amende infligée à Cheil en la fixant à 12,2 millions d'euros.

32.
    La Commission soutient en substance que, en faisant application des lignes directrices dans la Décision, elle n'a commis aucune violation des principes de protection de la confiance légitime et de non-rétroactivité des peines.

Appréciation du Tribunal

Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

33.
    Il convient de rappeler, en premier lieu, que le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire a fait naître chez lui des espérances fondées (arrêts de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products/Commission, 265/85, Rec. p. 1155, point 44, et du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477, point 26). En outre, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l'absence d'assurances précises que lui aurait fournies l'administration (voir arrêt du Tribunal du 18 janvier 2000, Mehibas Dordtselaan/Commission, T-290/97, Rec. p. II-15, point 59, et la jurisprudence citée).

34.
    Il convient de rappeler, en second lieu, que, selon une jurisprudence constante (arrêts de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec. p. I-395, point 33, et du 23 novembre 2000, British Steel/Commission, C-1/98 P, Rec. p. I-10349, point 52), les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires.

35.
    Or, dans le domaine des règles communautaires de concurrence, il résulte clairement de la jurisprudence (voir, notamment, arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109) que leur application efficace exige que la Commission puisse, à tout moment, adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique de concurrence. En conséquence, le fait que la Commission a appliqué, par le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17.

36.
    En outre, selon cette même jurisprudence, la Commission n'est pas tenue d'indiquer, dans la communication des griefs, la possibilité d'un changement éventuel de sa politique en ce qui concerne le niveau général des amendes, lorsque cette possibilité dépend de considérations générales de politique de concurrence sans rapport direct avec les circonstances particulières des affaires en cause (arrêt Musique diffusion française e.a/Commission, précité, point 22).

37.
    L'adoption des lignes directrices, dans lesquelles la Commission a établi une nouvelle méthode générale pour le calcul du montant des amendes, étant à la fois antérieure à la communication des griefs adressée à chacune des entreprises membres du cartel et indépendante des circonstances particulières de l'espèce, il en résulte, à plus forte raison, que la requérante ne saurait lui reprocher d'en avoir fait application aux fins de déterminer le montant de l'amende, sauf à démontrer que l'administration avait fait naître chez elle des espérances fondées en sens contraire.

38.
    À cet égard, la requérante prétend que la communication sur la coopération laissait supposer que la méthode de calcul du montant des amendes habituellement pratiquée par la Commission lorsqu'elle a décidé de coopérer le demeurerait à son égard.

39.
    Il y a lieu de relever, en effet, que, au point E, paragraphe 3, de ladite communication, la Commission se dit «consciente du fait que la présente communication crée des attentes légitimes sur lesquelles se fonderont les entreprises souhaitant l'informer de l'existence d'une entente».

40.
    Toutefois, eu égard à l'objet de la communication sur la coopération, qui, aux termes de son point A, paragraphe 3, est de «défini[r] les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours de son enquête sur une entente pourront être exemptées d'amende ou bénéficier d'une réduction de l'amende qu'elles auraient autrement dû acquitter», les «attentes légitimes» que la requérante était en droit d'avoir ne pouvaient porter que sur les modalités de la réduction à escompter au titre de sa coopération et non pas sur le montant de l'amende «qu'elle[...] aurai[t] autrement dû acquitter» ou sur la méthode de calcul pouvant être utilisée à cette fin.

41.
    Par ailleurs, il convient d'observer que la requérante ne soutient pas avoir reçu des assurances précises de la part des services de la Commission de nature à lui faire croire au maintien de la méthode de calcul prétendument pratiquée avant la publication des lignes directrices.

42.
    Dans ces circonstances, le grief tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime doit être rejeté.

Sur la violation du principe de non-rétroactivité des peines

43.
    Il y a lieu de rappeler que le principe de non-rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres, consacré également par l'article 7 de la CEDH, et fait partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (arrêt Kirk, précité, point 22, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23/99, Rec. p. II-1705, point 219).

44.
    Même s'il ressort de l'article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n'ont pas un caractère pénal (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 235), il n'en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit communautaire, et notamment celui de non-rétroactivité, dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en application des règles de concurrence du traité (voir, par analogie, en ce qui concerne les droits de la défense, arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 7, et arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 220).

    

45.
    Ce respect exige que les sanctions infligées à une entreprise pour une infraction aux règles de la concurrence correspondent à celles qui étaient fixées à l'époque où l'infraction a été commise (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 221).

46.
    À cet égard, il y a lieu de préciser que les sanctions pouvant être imposées par la Commission pour une infraction aux règles communautaires de la concurrence sont définies par l'article 15 du règlement n° 17, adopté antérieurement à la date à laquelle l'infraction reprochée a été commise. Or, d'une part, la Commission n'a pas le pouvoir de modifier le règlement n° 17 ou de s'en écarter, fût-ce par des règles de nature générale qu'elle s'impose à elle-même. D'autre part, s'il est constant que la Commission a déterminé le montant de l'amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes exposée dans les lignes directrices, il y a lieu de constater que, ce faisant, elle est restée dans le cadre des sanctions définies par l'article 15 du règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 222).

47.
    En effet, aux termes de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, «[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d'entreprises des amendes de mille [euros] au moins et de un million d'[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l'article [81], paragraphe 1, [...] du traité». Il est prévu, dans la même disposition, que, «[p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci» (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 223).

48.
    Or, les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, seuls critères retenus à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 224).

49.
    Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l'infraction (ci-après le «montant de départ général»). L'évaluation de la gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché lorsqu'il est mesurable et l'étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les «infractions peu graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 et 1 million d'euros, les «infractions graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageables peut varier entre 1 million et 20 millions d'euros et les «infractions très graves» pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d'euros (point 1 A, deuxième alinéa, premier à troisième tiret) (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 225).

50.
    Ensuite, les lignes directrices énoncent que, à l'intérieur de chacune des catégories d'infractions précitées, et notamment pour les catégories dites «graves» et «très graves», l'échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu'il convient d'appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa). De plus, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d'infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridiques et économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa) (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, points 225 et 226).

51.
    À l'intérieur de chacune des trois catégories définies ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature et d'adapter en conséquence le montant de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (ci-après le «montant de départ spécifique») (point 1 A, sixième alinéa) (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 227).

52.
    Quant au facteur relatif à la durée de l'infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tiret) (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 228).

53.
    Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d'exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base, puis se réfèrent à la communication sur la coopération (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 229).

54.
    À titre de remarque générale, les lignes directrices précisent que le résultat final du calcul de l'amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d'aggravation et d'atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu'il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles que le contexte économique spécifique, l'avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l'infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)] (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 230).

55.
    Il s'ensuit que, suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes reste effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité de l'infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d'affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 231).

56.
    Par conséquent, les lignes directrices ne vont pas au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 232).

57.
    Contrairement à ce que prétend la requérante, le changement qu'entraîneraient les lignes directrices par rapport à la pratique administrative antérieure de la Commission ne constitue pas non plus une altération du cadre juridique déterminant le montant des amendes pouvant être infligées, contraire au principe général de non-rétroactivité des dispositions pénales (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 233).

58.
    En effet, d'une part, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, étant donné que celui-ci est, uniquement, défini dans le règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 234).

59.
    D'autre part, au regard de la marge d'appréciation laissée par le règlement n° 17 à la Commission, l'introduction par celle-ci d'une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation du niveau général des amendes, sans pour autant excéder la limite maximale fixée par le même règlement, ne peut être considérée comme une aggravation, avec effet rétroactif, des amendes telles qu'elles sont juridiquement prévues par l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 235).

60.
    Il est sans pertinence, à cet égard, d'avancer que le calcul du montant des amendes suivant la méthode exposée dans les lignes directrices, notamment à partir d'un montant déterminé, en principe, en fonction de la gravité de l'infraction, peut amener la Commission à infliger des amendes plus élevées que dans sa pratique antérieure. En effet, il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T-150/89, Rec. p. II-1165, point 59; du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II-1799, point 53, et du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 127). En outre, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d'un certain niveau à certains types d'infractions ne saurait la priver de la possibilité d'élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. II-907, point 309, et du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304/94, Rec. p. II-869, point 89). L'application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109, et LR AF 1998/Commission, précité, points 236 et 237).

61.
    Enfin, dans la mesure où il est reproché à la Commission de ne pas avoir déterminé le montant de l'amende en se fondant sur le chiffre d'affaires afférent aux ventes de lysine dans l'EEE, c'est-à-dire afférent aux ventes du produit ayant fait l'objet de l'infraction sur le marché géographique en cause, il convient de rappeler que la seule référence expresse au chiffre d'affaires contenue dans l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 concerne la limite supérieure que le montant d'une amende ne peut dépasser. En outre, selon une jurisprudence constante, ce chiffre d'affaires s'entend comme étant relatif au chiffre d'affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 119; arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43/92, Rec. p. II-441, point 160, et du 6 avril 1995, Cockerill- Sambre/Commission, T-144/89, Rec. p. II-947, point 98). Il a été jugé, avant l'adoption des lignes directrices, que la Commission peut, en vue de la détermination du montant des amendes, tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des produits ayant fait l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il ne faut, par ailleurs, attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation, de sorte que la fixation du montant d'une amende appropriée ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global (voir, notamment, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, points 120 et 121; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T-77/92, Rec. p. II-549, point 94, et du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327/94, Rec. p. II-1373, point 176).

62.
    Il a également été jugé, avant l'adoption des lignes directrices, que la Commission est en droit de calculer une amende sans tenir compte des divers chiffres d'affaires des entreprises concernées, sous réserve de l'application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, fixant le seuil maximal de l'amende susceptible d'être infligée. Ainsi, la Cour a estimé que la Commission pouvait déterminer au préalable le montant global de l'amende, et le répartir ensuite entre les entreprises en fonction de la part de marché moyenne détenue par chacune et d'éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes propres à chacune (voir arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Boehringer/Commission, 45/69, Rec. p. 769, point 55, et du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 51 à 53).

63.
    Il résulte de la jurisprudence susvisée que, indépendamment de la méthode désormais indiquée dans les lignes directrices, la requérante ne pouvait pas, en tout état de cause, prétendre à la fixation du montant final de l'amende sur la base d'un pourcentage de son chiffre d'affaires sur le marché concerné.

64.
    Il résulte des considérations qui précèdent que le grief tiré de la violation du principe de non-rétroactivité des peines doit être rejeté.

2. Sur la gravité de l'infraction

Arguments des parties

Sur la violation du principe de proportionnalité

65.
    La requérante soutient que la Commission a violé le principe de proportionnalité au motif qu'elle a fixé le montant de départ de l'amende, déterminé en fonction de la gravité de l'infraction, en se fondant sur son chiffre d'affaires total et non sur le chiffre d'affaires afférent à ses ventes de lysine dans l'EEE.

66.
    La requérante expose, tout d'abord, que, si le seuil de 10 % visé à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 vise, certes, le chiffre d'affaires mondial des entreprises concernées, il résulte néanmoins de la jurisprudence que la Commission ne doit pas attribuer à ce chiffre une importance disproportionnée, en particulier lorsque les marchandises concernées ne représentent qu'une faible fraction de ce chiffre (arrêt Musique diffusion française e.a/Commission, précité, point 121). En outre, jusqu'à la publication des lignes directrices, la pratique de la Commission aurait été de ne pas infliger des amendes dépassant 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise afférent aux ventes du produit concerné dans la Communauté, pratique qu'elle aurait elle-même reconnu avoir adoptée.

67.
    En l'espèce, la différenciation effectuée par la Commission, au considérant 304 de la Décision, sur la base du chiffre d'affaires total des entreprises concernées conduirait à un résultat disproportionné. Dans le cas de Cheil, le montant de départ de l'amende, fixé à 15 millions d'euros (pour un chiffre d'affaires total de 1,5 milliard d'euros) serait, en effet, presque identique à son chiffre d'affaires afférent aux ventes de lysine dans l'EEE (17 millions d'euros). Même si ce montant avait été calculé sur la base du chiffre d'affaires mondial afférent aux ventes de lysine, soit 40 millions d'euros, le seuil maximal aurait été de 4 millions d'euros. Un tel montant serait donc disproportionné.

68.
    La Commission rétorque que l'amende doit être proportionnée à la gravité et à la durée de l'infraction, conformément à l'article 15 du règlement n° 17. Par ailleurs, indépendamment de l'existence ou non d'une pratique antérieure, elle estime pouvoir, à tout moment, augmenter le niveau des amendes en application d'une politique de renforcement de la dissuasion, de sorte qu'il n'y a pas nécessairement de rapport de proportionnalité entre des amendes infligées à des époques différentes. Enfin, et en tout état de cause, le chiffre d'affaires de Cheil pour la lysine dans l'EEE était le plus élevé au sein du groupe des producteurs les moins importants, pour lesquels le montant de départ de l'amende, à raison de la gravité de l'infraction, a été fixé à 15 millions d'euros.

Sur la violation du principe d'égalité de traitement

69.
    La requérante soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation et méconnu le point 1 A, sixième et septième alinéas, des lignes directrices, ainsi que le principe d'égalité de traitement dont il constitue l'expression, au motif qu'elle a fixé le montant de départ de l'amende, en fonction de la gravité de l'infraction, à un niveau identique pour Sewon, Kyowa et elle-même, sans tenir compte de sa dimension beaucoup plus réduite.

70.
    À cet égard, elle fait valoir que, selon la jurisprudence (arrêt Musique diffusion française e.a/Commission, précité, point 120), la taille et la puissance économique de l'entreprise concernée constituent un élément à prendre en considération pour apprécier la gravité de l'infraction et rappelle que, selon les dispositions susvisées des lignes directrices, il est tenu compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence. En outre, le principe d'égalité de traitement exigerait que des situations différentes ne soient pas traitées de manière identique, y compris lors de la fixation du montant de l'amende (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Buchmann/Commission, T-295/94, Rec. p. II-813).

71.
    En l'espèce, il résulterait de la Décision elle-même que Cheil était de loin l'entreprise la moins puissante parmi les membres de l'entente et le plus petit producteur de lysine. En particulier, il serait constant que le plan de répartition quantitative fondé sur la puissance sur le marché de chaque entreprise lui accordait des volumes deux à trois fois moins élevés que Kyowa et Sewon (considérants 77, 78 et 104 de la Décision) et que ses parts de marché ne s'élevaient qu'à 7 ou 8 % en 1994, contre 19 % pour Kyowa et 14 % pour Sewon (considérants 154 et 267 de la Décision).

72.
    Dans ces conditions, la comparaison effectuée par la Commission, sur la base des chiffres d'affaires totaux de ces entreprises au cours de la dernière année d'infraction (considérant 304 de la Décision), serait trop simpliste, car elle ne tiendrait pas compte de l'influence réduite de Cheil sur les conditions de concurrence et du fait que Kyowa et Sewon étaient déjà présentes depuis de nombreuses années sur le marché. En outre, le chiffre d'affaires de Cheil ferait lui-même apparaître que sa dimension était d'environ la moitié de celle de Kyowa.

73.
    La taille réduite de Cheil par rapport aux autres entreprises serait également confirmée par le fait que, aux États-Unis, l'amende payée par Kyowa s'élevait à 10 millions de USD, contre 1,25 million de USD pour Cheil.

74.
    Quant à l'argument de la Commission selon lequel, en comparaison de Kyowa et Sewon, Cheil avait le plus important chiffre d'affaires afférent aux ventes de lysine dans l'EEE au cours de la dernière année de la période infractionnelle, il constituerait une justification ex post, car il ne figurerait à aucun endroit dans la Décision.

75.
    La Commission estime, d'une part, qu'elle a agi de manière parfaitement conforme aux lignes directrices, qui ne constituent pas au demeurant un acte normatif et lui laissent une large marge d'appréciation, et, d'autre part, que le montant de base de l'amende déterminé en fonction de la gravité de l'infraction n'est ni disproportionné ni discriminatoire.

Appréciation du Tribunal

Sur la violation du principe de proportionnalité

76.
    Ainsi qu'il a été énoncé au point 60 ci-dessus, il ressort d'une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d'une marge d'appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d'orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence. L'application efficace desdites règles exige que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de la politique communautaire de concurrence, le cas échéant, en élevant ce niveau (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109).

77.
    Il y a lieu de rappeler que, dans la Décision, la Commission a déterminé le montant de l'amende imposée à la requérante en faisant application de la méthode de calcul qu'elle s'est imposée dans les lignes directrices. Or, il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut se départir des règles qu'elle s'est elle-même imposées (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 53, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51/92 P, Rec. p. I-4235, et la jurisprudence citée). En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu'elle compte appliquer dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu'il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu'elle s'est elle-même imposées (arrêts du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T-380/94, Rec. p. II-2169, point 57, et du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T-214/95, Rec. p. II-717, point 89).

78.
    En vertu des lignes directrices, la gravité des infractions est établie en fonction d'une variété d'éléments, dont certains doivent, désormais, être obligatoirement pris en compte par la Commission.

79.
    À cet égard, les lignes directrices prévoient que, mis à part la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché et l'étendue géographique de celui-ci, il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l'infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l'amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa).

80.
    Par ailleurs, il peut également être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension sont mieux à même d'apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent (point 1 A, cinquième alinéa).

81.
    Dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, il peut convenir de pondérer le montant de départ général, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature, et d'adapter en conséquence le montant de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (point 1 A, sixième alinéa).

82.
    Il convient d'observer que les lignes directrices ne prévoient pas que le montant des amendes est calculé en fonction du chiffre d'affaires global ou du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises sur le marché concerné. Toutefois, elles ne s'opposent pas non plus à ce que de tels chiffres d'affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l'amende afin que soient respectés les principes généraux du droit communautaire et lorsque les circonstances l'exigent. En particulier, le chiffre d'affaires peut entrer en ligne de compte lors de la prise en considération des différents éléments énumérés aux points 79 à 81 ci-dessus (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, points 283 et 284).

83.
    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que, parmi les éléments d'appréciation de la gravité de l'infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l'objet de l'infraction, la taille et la puissance économique de l'entreprise et, partant, l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. D'une part, il s'ensuit qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. D'autre part, il en résulte, qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation, de sorte que la fixation du montant d'une amende approprié ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, points 120 et 121; Parker Pen/Commission, précité, point 94, et SCA Holding/Commission, précité, point 176).

84.
    En l'espèce, il ressort de la Décision que, pour déterminer le montant de départ de l'amende, la Commission a d'abord pris en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché et l'étendue géographique de celui-ci. La Commission a ensuite indiqué que, dans le cadre du traitement différencié qu'il convient d'appliquer aux entreprises, il importait de tenir compte de la «capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important au marché de la lysine dans l'EEE», de la portée dissuasive de l'amende et de la taille respective de ces entreprises. Aux fins de l'appréciation de ces éléments, la Commission a choisi de se fonder sur le chiffre d'affaires total réalisé par chaque entreprise en cause, au cours de la dernière année de l'infraction, estimant que ce chiffre lui permettait d'«apprécier les ressources et l'importance réelles des entreprises concernées sur les marchés affectés par leur comportement illicite» (considérant 304 de la Décision).

85.
    La requérante reproche précisément à la Commission d'avoir pris en compte le chiffre d'affaires susvisé au lieu et place du chiffre d'affaires provenant des ventes du produit en cause dans l'EEE.

86.
    Il importe de souligner à ce stade que, eu égard à une certaine ambiguïté résultant de la lecture combinée de la Décision et des écrits de la défenderesse déposés dans le cadre de la présente instance, la Commission a précisé, lors de l'audience et sur question expresse du Tribunal, qu'elle a tenu compte non seulement du chiffre d'affaires «global» des entreprises en cause, c'est-à-dire celui relatif à l'ensemble de leurs activités, mais aussi du chiffre d'affaires mondial sur le marché de la lysine, ces deux types de chiffres d'affaires figurant dans un tableau inséré dans le considérant 304 de la Décision. En outre, il convient de relever que, selon le considérant 318 de la Décision, «la Commission a dûment pris en considération, dans ses conclusions sur la gravité, l'importance économique de l'activité particulière concernée par l'infraction».

87.
    Il est, toutefois, constant que la Commission n'a pas tenu compte du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises en cause sur le marché affecté par l'infraction, à savoir celui de la lysine dans l'EEE.

88.
    Or, s'agissant de l'analyse de la «capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important au marché de la lysine dans l'EEE» (considérant 304 de la Décision), qui implique une appréciation de l'importance réelle de ces entreprises sur le marché affecté, c'est-à-dire de leur influence sur celui-ci, le chiffre d'affaires global ne présente qu'une vue inexacte des choses. Il ne saurait être exclu, en effet, qu'une entreprise puissante ayant une multitude d'activités différentes ne soit présente que de manière accessoire sur un marché de produits spécifique tel que celui de la lysine. De même, il ne saurait être exclu qu'une entreprise ayant une position importante sur un marché géographique extracommunautaire ne dispose que d'une position faible sur le marché communautaire ou de l'EEE. Dans de tels cas, le seul fait que l'entreprise concernée réalise un chiffre d'affaires total important ne signifie pas nécessairement qu'elle exerce une influence déterminante sur le marché affecté par l'infraction. C'est pourquoi la Cour a souligné, dans son arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185/95 P, Rec. p. I-8417, point 139), que, s'il est vrai que les parts de marché détenues par une entreprise ne sauraient être déterminantes afin de conclure qu'une entreprise appartient à une entité économique puissante, elles sont en revanche pertinentes afin de déterminer l'influence que celle-ci a pu exercer sur le marché. Or, en l'espèce, la Commission n'a tenu compte ni des parts de marché en volume des entreprises en cause sur le marché affecté ni même du chiffre d'affaires des entreprises sur le marché affecté (celui de la lysine dans l'EEE), lequel aurait permis, compte tenu de l'absence de producteurs tiers, de déterminer l'importance relative de chaque entreprise sur le marché concerné en faisant indirectement apparaître leurs parts de marché en valeur (voir arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie/Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, point 99).

89.
    Par ailleurs, il ressort de la Décision que la Commission n'a pas fait référence explicitement à la prise en compte du «poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence», appréciation qu'elle doit désormais effectuer en vertu des lignes directrices lorsqu'elle estime, comme en l'espèce, qu'il y a lieu de pondérer les montants de départ de l'amende en raison du fait qu'il s'agit d'une infraction impliquant plusieurs entreprises (de type cartel) entre lesquelles il existe des disparités considérables de dimension (voir point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices).

90.
    À cet égard, la référence, dans la Décision (dernière phrase du considérant 304), à l'«importance réelle des entreprises» n'est pas de nature à combler la lacune susvisée.

91.
    En effet, l'appréciation du poids spécifique, c'est-à-dire de l'impact réel, de l'infraction commise par chaque entreprise consiste, en réalité, à déterminer l'ampleur de l'infraction commise par chacune d'entre elles et non l'importance de l'entreprise en cause en termes de taille ou de puissance économique. Or, ainsi qu'il résulte d'une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 121, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T-347/94, Rec. p. II-1751, point 369), la part du chiffre d'affaires provenant des marchandises faisant l'objet de l'infraction est de nature à donner une juste indication de l'ampleur d'une infraction sur le marché concerné. En particulier, ainsi que l'a souligné le Tribunal, le chiffre d'affaires réalisé sur les produits ayant fait l'objet d'une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T-151/94, Rec. p. II-629, point 643).

92.
    Il résulte de ce qui précède que, en se fondant sur les chiffres d'affaires mondiaux de la requérante sans prendre en considération son chiffre d'affaires sur le marché affecté par l'infraction, c'est-à-dire celui de la lysine dans l'EEE, la Commission a méconnu le point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices.

93.
    Dans ces circonstances, il appartient au Tribunal d'examiner si le défaut de prise en compte du chiffre d'affaires sur le marché affecté et la méconnaissance des lignes directrices qui en résulte ont conduit, en l'espèce, à une violation par la Commission du principe de proportionnalité lors de la fixation du montant de l'amende. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l'appréciation du caractère proportionné de l'amende infligée par rapport à la gravité et à la durée de l'infraction, critères visés à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, relève du contrôle de pleine juridiction confié au Tribunal en vertu de l'article 17 du même règlement.

94.
    Dans le cas présent, la requérante fait valoir, en substance, que le montant de départ spécifique de l'amende, fixé à 15 millions d'euros, est disproportionné en ce qu'il est presque identique à son chiffre d'affaires sur le marché de la lysine dans l'EEE au cours de la dernière année d'infraction, soit 17 millions d'euros.

95.
    Il convient, en premier lieu, d'indiquer que le fait que le montant de départ spécifique de l'amende soit presque équivalent au chiffre d'affaires réalisé sur le marché concerné n'est pas, en soi, concluant. En effet, ce montant de 15 millions d'euros ne constitue qu'un montant intermédiaire qui, dans le cadre de l'application de la méthode définie par les lignes directrices, fait ensuite l'objet d'adaptations en fonction de la durée de l'infraction et des circonstances aggravantes ou atténuantes constatées.

96.
    En deuxième lieu, la nature propre de l'infraction, l'impact concret de celle-ci, l'étendue géographique du marché affecté, la nécessaire portée dissuasive de l'amende et la taille des entreprises en cause sont autant d'éléments, en l'espèce pris en considération par la Commission, pouvant justifier un tel montant intermédiaire. La défenderesse a retenu, à juste titre, la qualification d'infraction «très grave», dans la mesure où la requérante a participé à une entente horizontale ayant eu pour objet la fixation d'objectifs de prix, de quotas de vente et l'instauration d'un système d'échange d'informations sur les volumes de vente et qui a eu un impact concret sur le marché de la lysine dans l'EEE du fait d'une hausse artificielle des prix et d'une restriction desdits volumes. En ce qui concerne la taille des entreprises et la portée dissuasive des amendes, il y a lieu de souligner que c'est à bon droit que la Commission a choisi de se fonder sur le chiffre d'affaires total des entreprises concernées. Selon la jurisprudence, le chiffre d'affaires global est, en effet, celui qui donne une indication de la taille d'une entreprise (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 121) ainsi que de sa puissance économique, laquelle est déterminante pour évaluer la portée dissuasive d'une amende à son égard.

97.
    En troisième lieu, il importe de souligner que le montant de 15 millions d'euros retenu à l'encontre de la requérante est sensiblement inférieur au seuil minimal de 20 millions d'euros, qui est normalement prévu par les lignes directrices pour ce type d'infraction très grave (voir point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret).

98.
    Se référant explicitement au point 121 de l'arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, la requérante fait également valoir que la Commission ne doit pas, dans le cadre de la détermination du montant de l'amende, attribuer au chiffre d'affaires mondial une importance disproportionnée lorsque les marchandises concernées ne représentent qu'une faible fraction de ce chiffre. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt Parker Pen/Commission, précité, le Tribunal a accueilli le moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité au motif que la Commission n'avait pas pris en considération le fait que le chiffre d'affaires réalisé avec les produits concernés par l'infraction était relativement faible par rapport à celui de l'ensemble des ventes réalisées par l'entreprise en cause, ce qui a justifié une réduction du montant de l'amende (points 94 et 95).

99.
    Il convient d'observer, d'abord, que la jurisprudence susvisée concerne la fixation du montant final de l'amende et non, comme en l'espèce, du montant de départ de l'amende au regard de la gravité de l'infraction.

100.
    Ensuite, à supposer que cette jurisprudence soit transposable à la présente espèce, il y a lieu de rappeler que le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction, le caractère approprié du montant des amendes. Or, cette appréciation peut justifier la production et la prise en considération d'éléments complémentaires d'information (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C-297/98 P, Rec. p. I-10101, points 53 à 55), tels que, en l'occurrence, le chiffre d'affaires réalisé par la requérante sur le marché de la lysine dans l'EEE, non pris en compte dans la Décision.

101.
    À cet égard, il importe de souligner que la comparaison des différents chiffres d'affaires de la requérante pour l'année 1995 fait ressortir deux éléments d'information. D'une part, il est vrai que le chiffre d'affaires provenant des ventes de lysine dans l'EEE, soit 17 millions d'euros, peut être considéré comme faible par rapport au chiffre d'affaires global, que ce dernier s'élève à 1,5 milliard d'euros, chiffre figurant au considérant 304 de la Décision et repris par la requérante dans ses écritures, ou à 1,9 milliard d'euros, comme mentionné au considérant 18 de la Décision. D'autre part, il apparaît, en revanche, que le chiffre correspondant aux ventes de lysine dans l'EEE représente une part importante du chiffre d'affaires réalisé par Cheil sur le marché mondial de la lysine, en l'occurrence 42,5 ou 32,7 % selon que ce chiffre d'affaires est estimé à 40 millions d'euros, chiffre figurant au considérant 304 de la Décision et repris par la requérante dans ses écritures, ou à 52 millions d'euros comme indiqué au considérant 18 de la Décision.

102.
    Dans la mesure où les ventes de lysine dans l'EEE représentent donc non pas une faible fraction, mais une part importante de ce dernier chiffre d'affaires, une violation du principe de proportionnalité ne peut être valablement soutenue, et cela d'autant plus que le montant de départ de l'amende n'a pas été déterminé seulement sur la base d'un simple calcul fondé sur le chiffre d'affaires global, mais également sur le fondement du chiffre d'affaires sectoriel et d'autres éléments pertinents que sont la nature de l'infraction, l'impact concret de cette dernière sur le marché, l'étendue du marché affecté, la nécessaire portée dissuasive de la sanction, la taille et la puissance de l'entreprise.

103.
    Au regard des motifs susvisés, le Tribunal estime, dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, que le montant de départ de l'amende déterminé en considération de la gravité de l'infraction commise par Cheil est approprié et que, la méconnaissance par la Commission des lignes directrices n'ayant pas entraîné, en l'espèce, une violation du principe de proportionnalité, il convient, dès lors, de rejeter le grief soulevé à cet égard par la requérante.

Sur la violation du principe d'égalité de traitement

104.
    Dans le cadre de la détermination du montant des amendes, la Commission ne saurait méconnaître le principe d'égalité de traitement, principe général du droit communautaire qui, selon une jurisprudence constante, n'est violé que lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T-311/94, Rec. p. II-1129, point 309, et la jurisprudence citée).

105.
    Conformément à ce principe, le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices prévoit que, dans l'hypothèse d'infractions impliquant plusieurs entreprises, une pondération des montants de départ des amendes pourra être effectuée afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l'impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu'il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d'une infraction de même nature.

106.
    Ainsi, selon le point 1 A, septième alinéa, des lignes directrices, le principe d'égalité de sanction pour un même comportement peut conduire, lorsque les circonstances l'exigent, à l'application de montants différents pour les entreprises concernées sans que cette différenciation obéisse à un calcul arithmétique.

107.
    Dans la Décision (considérants 303 et 304), la Commission a considéré qu'il existait une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs de l'infraction. En conséquence, elle a estimé que, pour tenir compte de la capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important au marché de la lysine dans l'EEE ainsi que de la nécessité de faire en sorte que le montant de l'amende ait un caractère suffisamment dissuasif, il convenait, au regard de la taille de ces entreprises, de les diviser en deux groupes, à savoir, d'une part, Ajinomoto et ADM, dont le montant de départ de l'amende a été fixé à 30 millions d'euros, et, d'autre part, Kyowa, Cheil et Sewon, à l'encontre desquelles un montant de départ de 15 millions d'euros a été retenu.

108.
    Contrairement à l'argumentation développée dans le cadre du moyen tiré d'une violation du principe de proportionnalité, la requérante n'invoque plus, désormais, l'absence de prise en compte du chiffre d'affaires sur le marché de la lysine dans l'EEE. Elle s'appuie, notamment, sur la comparaison des chiffres d'affaires mondiaux des entreprises concernées par l'entente pour justifier son affirmation quant au caractère discriminatoire du montant de départ de l'amende retenu à son endroit.

109.
    Si le chiffre d'affaires total de la requérante en 1995, qu'il s'agisse de 1,5 ou de 1,9 milliard d'euros (considérants 304 et 18 de la Décision), apparaît, effectivement, sensiblement inférieur à celui réalisé par Kyowa et sensiblement supérieur à celui obtenu par Sewon, entreprises avec lesquelles elle a été regroupée, ce constat ne saurait, toutefois, conduire à la conclusion d'une violation, en l'espèce, du principe d'égalité de traitement.

110.
    En effet, la comparaison des chiffres d'affaires réalisés sur le marché mondial de la lysine par Cheil, Kyowa et Sewon, mentionnés dans la seconde colonne du tableau figurant au considérant 304 de la Décision, révèle que c'est à juste titre que ces entreprises ont été réunies dans un même groupe et se sont vu imposer un montant de départ spécifique identique.

111.
    Ainsi, la requérante a réalisé pour l'année 1995 un chiffre d'affaires sur le marché mondial de la lysine de 40 millions d'euros, voire de 52 millions selon le considérant 18 de la Décision. Il y a lieu de relever que ledit chiffre d'affaires, qu'il s'agisse de 40 ou de 52 millions, est relativement proche dans son quantum de celui de Sewon, en l'occurrence de 67 millions d'euros, et légèrement inférieur à celui de Kyowa, en l'occurrence de 73 millions d'euros, étant précisé que la Commission pouvait légitimement raisonner, en l'espèce, en termes d'ordre de grandeur conformément au point 1 A, septième alinéa, des lignes directrices.

112.
    Par ailleurs, la Commission soutient que la subdivision opérée est justifiée par la comparaison des chiffres d'affaires sur le marché de la lysine dans l'EEE réalisés par les entreprises concernées.

113.
    Il est constant que la Commission n'a pas, en l'espèce, pris en compte de tels chiffres d'affaires et que, ce faisant, elle a méconnu le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices (voir point 92 ci-dessus). Toutefois, il y a lieu de rappeler, comme indiqué au point 93 ci-dessus, que le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par les articles 229 CE et 17 du règlement n° 17, le caractère approprié du montant des amendes. Or, cette appréciation peut justifier la production et la prise en considération d'éléments complémentaires d'information tels que, en l'occurrence, le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises en cause sur le marché de la lysine dans l'EEE (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, précité, points 53 à 55).

114.
    La prise en considération du chiffre d'affaires réalisé par la requérante sur le marché de la lysine dans l'EEE fait précisément apparaître une quasi-identité de situation avec celle des deux autres «petits» producteurs que sont Sewon et Kyowa. Alors qu'Ajinomoto et ADM ont réalisé, en 1995, des chiffres d'affaires sur ledit marché de 75 et de 41 millions d'euros (considérants 5 et 10 de la Décision), Cheil, Kyowa et Sewon ont réalisé, respectivement, des chiffres d'affaires de 17, de 16 et de 15 millions d'euros sur ce même marché. Il apparaît, ainsi, que l'influence de la requérante sur le marché affecté était, contrairement à ses affirmations, comparable à celle des deux autres «petits» producteurs, Sewon et Kyowa. Compte tenu du fait que ces entreprises ont toutes participé à la même infraction, il est justifié que le montant de départ de l'amende qui leur a été imposé soit identique.

115.
    Il s'ensuit que le montant de départ de 15 millions d'euros fixé par la Commission n'est pas discriminatoire, les arguments de la requérante tirés de la faiblesse de ses parts de marché et du montant peu important de l'amende infligée par les autorités américaines, censés caractériser sa taille réduite, n'étant pas de nature à remettre en cause cette conclusion.

3. Sur la durée de l'infraction

Arguments des parties

Sur le caractère excessif de la majoration

116.
    La requérante conteste la majoration de 30 % effectuée en raison de la durée de l'infraction, alors que, selon l'article 1er, sous e), de la Décision, la durée de l'infraction dans le cas de Cheil était comprise entre le 27 août 1992 et le 27 juin 1995, soit deux ans et dix mois. Une telle majoration serait constitutive d'une erreur manifeste d'appréciation et serait contraire aux lignes directrices.

117.
    À cet égard, la requérante relève que, selon le considérant 313 de la Décision, le montant de départ déterminé en fonction de la gravité de l'infraction a été majoré de 10 % par an. Par ailleurs, il résulterait du point 1 B, premier alinéa, premier tiret, des lignes directrices qu'une infraction de moins d'une année ne peut faire l'objet d'une majoration. Enfin, la Commission n'aurait majoré que de 40 % le montant de départ de l'amende retenu pour Ajinomoto, Sewon et Kyowa, alors que la durée de leur infraction était de cinq années au moins. Dans ces conditions, le traitement réservé à la requérante serait incohérent.

118.
    La requérante estime que, d'après l'exemple d'Ajinomoto, de Sewon et de Kyowa, le système mis en place par les lignes directrices implique que la majoration annuelle de 10 % ne s'applique qu'après la première année. En tout état de cause, seule une majoration totale de 18 %, voire de 20 % tout au plus, aurait pu être appliquée.

119.
    La Commission rappelle que le point 1 B, premier alinéa, deuxième tiret, des lignes directrices prévoit que la majoration du montant de l'amende retenu au titre de la gravité peut aller jusqu'à 50 % pour les infractions d'une durée comprise entre un et cinq ans. Les lignes directrices n'exigeraient donc pas une majoration proportionnelle à la durée effective de l'infraction ou une majoration effectuée selon un pourcentage déterminé pour chaque année. Certes, le considérant 313 de la Décision préciserait que les montants de départ déterminés en fonction de la gravité de l'infraction ont été majorés de 10 % par année écoulée. Toutefois, le fait d'avoir assimilé une durée de deux ans et dix mois à une durée de trois ans ne saurait être considéré comme une erreur manifeste d'appréciation. Ce serait, en effet, faire preuve d'un formalisme excessif que de considérer que la majoration de l'amende de Cheil devait être de 28,33 %.

120.
    Quant au fait qu'une majoration de 40 % a été appliquée à Ajinomoto, à Kyowa et à Sewon pour une infraction d'une durée de cinq ans, il serait sans conséquence. D'une part, la Commission estime avoir exercé le pouvoir d'appréciation que lui confèrent les lignes directrices. D'autre part, à supposer même que cela soit constitutif d'une différence de traitement entre Cheil et ces autres producteurs, la seule conclusion logique serait de considérer que les amendes infligées à ces derniers auraient dû être plus élevées en appliquant une majoration de 50 % et non que la majoration de Cheil aurait dû être moindre.

121.
    Enfin, la Commission estime dénuée de fondement la thèse selon laquelle les lignes directrices imposeraient de ne pas tenir compte de la première année d'infraction. Ce ne serait, en effet, que dans l'hypothèse où la durée de l'infraction est inférieure à un an qu'aucune majoration n'est effectuée.

Sur l'exclusion de Cheil des réunions du cartel pendant une période de quatre mois et la non-participation de Cheil aux accords sur les quantités et à l'échange d'informations pendant une période de dix-huit mois

122.
    La requérante soutient, tout d'abord, que la Commission aurait dû tenir compte du fait qu'elle n'a pas participé aux réunions du cartel entre le 8 décembre 1993 et le 10 mars 1994, à la suite de son exclusion par les autres membres de l'entente. Elle estime que la Commission devait réduire de quatre mois la durée de l'infraction ou, à tout le moins, considérer que son rôle passif durant cette période constituait une circonstance atténuante.

123.
    Selon la requérante, il ressort du dossier qu'elle a été mise à l'écart de la réunion du 8 décembre 1993 par Ajinomoto, Kyowa et Sewon, et qu'elle n'a été de nouveau admise qu'à la réunion d'Honolulu du 10 mars 1994, lors de la séance de l'après-midi, après en avoir été exclue le matin en raison de son opposition à toute limitation de la production.

124.
    La requérante soutient, ensuite, que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne tenant pas compte du fait qu'elle n'a participé ni aux accords sur les quantités ni à l'échange d'informations sur les volumes de vente, entre le mois d'août 1992 et le mois de mars 1994.

125.
    Concernant, en premier lieu, les accords sur les quantités, la requérante fait valoir qu'elle n'a accepté la répartition individuelle des volumes de vente que le 10 mars 1994, date de la réunion d'Honolulu, conclusion à laquelle seraient également parvenues les autorités américaines dans la cadre de la procédure pénale.

126.
    En ce qui concerne, en second lieu, l'accord sur l'échange d'informations relatives aux volumes de vente, la Commission n'aurait pas non plus tenu compte du fait que Cheil n'y a participé que du 10 mars 1994 au 27 juin 1995. Il serait illogique de ne pas porter au crédit de Cheil le fait qu'elle n'a adhéré à cet accord que tardivement, ainsi qu'il serait admis au considérant 224 de la Décision, et, parallèlement, de concéder à Sewon le fait qu'elle a initialement adhéré à cet accord mais y a renoncé ultérieurement.

127.
    La Commission conteste le bien-fondé de l'argumentation de Cheil mais admet que cette dernière n'a participé à l'accord sur l'échange d'informations que le 10 mars 1994 et que cet accord avait débuté auparavant, lors de la réunion à laquelle elle n'était pas présente, constat qui ne serait pas de nature à justifier une réduction de la majoration liée à la durée de l'infraction.

Appréciation du Tribunal

128.
    Conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la durée de l'infraction constitue l'un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l'amende à infliger aux entreprises coupables d'infractions aux règles de concurrence.

129.
    En ce qui concerne le facteur relatif à la durée de l'infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu au titre de la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier à troisième tiret).

130.
    Au considérant 313 de la Décision, la Commission expose ce qui suit:

«Dans la présente affaire, les entreprises concernées ont commis une infraction de moyenne durée (entre trois et cinq ans). Les montants de départ déterminés en fonction de la gravité (considérant 305) sont par conséquent majorés de 10 % par an, soit, pour ADM et Cheil, de 30 %, et pour Ajinomoto, Kyowa et Sewon, de 40 %.»

131.
    En ce qui concerne la majoration pratiquée à l'égard de Cheil, il y a lieu de relever que, selon l'article 1er, sous e), du dispositif de la Décision, l'infraction commise par cette entreprise a duré du 27 août 1992 au 27 juin 1995, soit deux ans et dix mois.

132.
    La requérante soutient, en substance, que, en assimilant cette durée d'infraction à une durée de trois années révolues, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation et violé les lignes directrices, et que la majoration effectuée aurait dû être de 20 % tout au plus.

133.
    À cet égard, il convient de rejeter l'argument de la requérante selon lequel il résulte des dispositions du point 1 B des lignes directrices que la première année d'infraction ne doit pas être prise en compte. En effet, il est seulement prévu, à cet égard, que, pour les infractions de courte durée, en général d'une durée inférieure à un an, aucune majoration n'est appliquée. En revanche, une majoration est pratiquée pour les infractions d'une durée supérieure, majoration qui peut aller jusqu'à 50 % lorsque, comme en l'espèce, l'infraction a duré entre un et cinq ans.

134.
    Par ailleurs, cette dernière disposition ne prévoit pas une majoration automatique de 10 % par an pour les infractions de moyenne durée mais laisse, à cet égard, une marge d'appréciation à la Commission. Il en va de même, d'ailleurs, du point 1 B, troisième tiret, des lignes directrices, concernant les infractions de longue durée, qui prévoit seulement que le montant peut être majoré de 10 % par an.

135.
    Toutefois, il convient d'observer que, dans la Décision, la Commission a appliqué les lignes directrices en retenant le principe d'une majoration de 10 % par an pour toutes les entreprises ayant participé à l'infraction qualifiée, à juste titre, de moyenne durée.

136.
    Or, force est de constater que ce principe s'est traduit par l'application, d'une part, d'une majoration du montant de départ de l'amende de 40 %, et non de 50 %, à l'égard de Sewon, Kyowa et Ajinomoto alors que leur comportement infractionnel a duré cinq ans [voir l'article 1er, sous b) à d), de la Décision constatant que la participation de ces entreprises à l'infraction a duré «au moins à partir de juillet 1990 jusqu'au 27 juin 1995»], et, d'autre part, d'une majoration de 30 % pour Cheil, alors que la durée de l'infraction commise par celle-ci est inférieure à trois ans.

137.
    Il y a lieu, dès lors, de constater que la majoration de 30 % pratiquée à l'égard de Cheil, si elle n'est pas, en soi, contraire aux lignes directrices, est néanmoins manifestement erronée au regard de l'appréciation effectuée par la Commission au considérant 313 de la Décision et sur laquelle elle a elle-même prétendu se fonder pour appliquer aux entreprises concernées les majorations au titre de la durée de l'infraction.

138.
    En outre, il importe de souligner que la Commission n'a pas fourni d'explication pour justifier ce quantum de 30 % retenu à l'égard de Cheil, pas plus d'ailleurs que pour justifier celui de 40 % appliqué aux trois entreprises susvisées, nonobstant l'affirmation préalable d'un principe de majoration de 10 % par an.

139.
    Eu égard au fait que la durée de l'infraction commise par Cheil n'a pas atteint les trois ans révolus et que la Commission a, en réalité, appliqué à l'égard de Sewon, Kyowa et Ajinomoto une majoration de moins de 10 % par an, il apparaît justifié de réduire, dans le cadre du pouvoir d'appréciation appartenant au Tribunal, à 20 % la majoration du montant de départ de l'amende de Cheil, ce qui se traduit par une réduction du montant de base de l'amende à 18 millions d'euros.

140.
    En revanche, il convient de rejeter les arguments de Cheil tirés d'une exclusion du cartel pendant une durée de quatre mois en raison d'un conflit avec les autres membres du cartel sur la répartition des volumes et d'une non-participation aux accords sur les volumes de vente et l'échange d'informations jusqu'au mois de mars 1994. D'une part, il n'est pas contesté que Cheil a, dès le 27 août 1992, participé au principal aspect de l'infraction, à savoir l'accord sur les prix (voir, notamment, considérants 79, 81, 90 et 92 de la Décision), cette participation s'étant poursuivie jusqu'à juin 1995. D'autre part, il ressort clairement de la Décision (voir, en particulier, les considérants 77, 78, 87, 104, 116, 118, 126 et 128) que, s'agissant des volumes de vente, Cheil n'a pas marqué son désaccord avec la nécessité d'une répartition des volumes entre producteurs pour maintenir les prix à un niveau élevé, mais a, au contraire, réclamé un quota individuel plus élevé, ce qui constitue une acceptation du principe de limitation des ventes de chaque producteur, et cela jusqu'au 10 mars 1994, date à laquelle elle a accepté l'offre qui lui était proposée. Ainsi qu'il résulte clairement de la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 232, confirmé sur pourvoi par arrêt du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, précité), de tels éléments établissent à suffisance que Cheil a participé au système de quotas, y compris pour la période allant de décembre 1993 à mars 1994.

141.
    Par ailleurs, force est de constater que la Commission a bien précisé dans la Décision (considérant 224) que c'est le 10 mars 1994 que la requérante a souscrit à l'accord sur l'échange d'informations sur les volumes de vente passé entre les autres entreprises membres du cartel le 8 décembre 1993, avec une mise en oeuvre prévue pour le début de l'année 1994.

142.
    Eu égard aux dates susmentionnées, il ne saurait être considéré, comme le prétend la requérante, que cette dernière a adhéré «tardivement» à l'accord en cause, le court laps de temps qui s'est écoulé entre la conclusion dudit accord, voire sa mise à exécution, et la participation de la requérante à celui-ci ne permet en aucun cas de conclure que la Commission a commis une erreur manifeste dans le cadre de l'appréciation de la majoration au titre de la durée de l'infraction, justifiant une réduction de cette majoration.

143.
    Dans la mesure où la requérante prétend que la durée limitée de sa participation à l'accord sur l'échange d'informations concernant les volumes de vente «n'a pas été prise en compte dans la décision que la Commission a arrêtée en la sanctionnant pour une infraction globale d'une durée de trois ans», il convient de rappeler que la défenderesse a considéré, à juste titre, que la série d'accords anticoncurrentiels conclus par les entreprises concernées l'a été dans le cadre d'un plan unique et commun visant à réguler les prix et l'offre sur le marché de la lysine. À cet égard, la requérante n'a présenté aucun argument de nature à démontrer le caractère erroné de la conclusion de la Commission selon laquelle les actions desdites entreprises, y compris l'accord sur l'échange d'informations, constituent une infraction unique et continue.

144.
    Il y a lieu, enfin, de souligner que, s'il est constant que la requérante a bien participé à l'infraction reprochée, depuis le 27 août 1992 jusqu'au 27 juin 1995, la question de savoir si cette participation a été active ou simplement passive, de même que celle concernant la non-application effective des accords, relève de l'examen subséquent d'un défaut de prise en compte par la Commission de circonstances atténuantes.

4. Sur les circonstances atténuantes

Arguments des parties

Sur le rôle passif de Cheil

145.
    La requérante soutient que son rôle secondaire dans les activités de l'entente justifiait une réduction de l'amende, conformément au point 3, premier tiret, des lignes directrices. La pratique décisionnelle de la Commission [décision 89/190/CEE de la Commission, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d'application de l'article [81] du traité CEE (IV/31.865 - PVC) (JO 1989, L 74, p. 1)] et la jurisprudence (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Sarrió/Commission, T-334/94, Rec. p. II-1439, point 411) confirmeraient cette exigence.

146.
    En l'espèce, il serait constant que l'entente «Asie-Europe», évoquée aux considérants 50 à 68 de la Décision, a été mise en place avant l'entrée de Cheil sur le marché de la lysine et avant son adhésion à l'entente le 27 août 1992. Même après cette date, le rôle de Cheil serait demeuré passif. Par exemple, elle n'aurait pas participé à la réunion du 27 mai 1993 au cours de laquelle Ajinomoto et Kyowa ont demandé à Sewon de la persuader au sujet des ajustements de volumes. Le rôle marginal de Cheil, en raison de sa faible dimension, ressortirait également de la réunion de Vancouver du 24 juin 1993, au cours de laquelle toutes les sociétés sauf Cheil sont convenues de constituer une organisation officielle des producteurs de lysine (considérant 110 de la Décision). En outre, Cheil ne serait jamais citée comme un meneur ou un membre actif par les autres sociétés, malgré leur volonté de se décharger de leurs responsabilités. Enfin, la Commission se serait seulement fondée sur le fait que Cheil avait participé aux réunions, sans évoquer son exclusion de certaines d'entre elles ou la discrétion dont elle avait fait preuve. Ce type d'approche, qui ne tiendrait pas compte du rôle moins important de Cheil et conduirait à l'assimiler à un gros producteur comme Kyowa, aurait déjà été sanctionné par le passé, dans l'arrêt BPB de Eendracht/Commission, précité.

147.
    La Commission relève qu'il a été tenu compte de l'entrée tardive de Cheil sur le marché pour apprécier la durée de l'infraction, mais que cette circonstance ne suffit pas à considérer que cette entreprise a joué un rôle passif, pour les raisons exposées aux considérants 361 à 364 de la Décision.

Sur la non-application effective des accords

148.
    La requérante soutient que la Commission aurait dû, conformément au point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, lui accorder une réduction du montant de l'amende en raison de la non-application effective de chacun des accords infractionnels.

149.
    L'interprétation de la Commission selon laquelle cette disposition des lignes directrices ne viserait que l'hypothèse dans laquelle une entente, dans son ensemble, n'est pas mise en oeuvre serait erronée à un double titre. D'une part, il serait injuste de ne pas récompenser une société qui n'a pas mis en oeuvre une entente et n'a donc pas lésé les consommateurs. D'autre part, toutes les autres circonstances atténuantes visées au point 3 des lignes directrices concerneraient l'action particulière de chaque société.

150.
    La Commission fait valoir, à titre liminaire, que l'expression «non-application effective des accords ou pratiques infractionnelles», contenue dans les lignes directrices, vise le cas dans lequel une entente, dans son ensemble, n'est pas mise en oeuvre ou est inactive pendant une certaine période. En revanche, la situation individuelle des membres d'une entente active ne serait pas visée, en particulier lorsqu'il s'agit d'une entreprise qui, comme Cheil, aurait participé activement aux discussions et ne s'en serait aucunement dissociée. Cette interprétation serait confirmée par la jurisprudence et, en particulier, par l'arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission (T-308/94, Rec. p. II-925, point 230), dans lequel il a été jugé que le fait qu'une entreprise ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément à prendre en compte en tant que circonstance atténuante, une telle entreprise pouvant simplement tenter d'utiliser l'entente à son profit.

- Sur les accords de prix

151.
    La requérante fait valoir que, selon la Décision elle-même, les prix successivement convenus lors des réunions des membres de l'entente ne correspondaient jamais aux prix qui, selon le tableau figurant au considérant 47 de la Décision, étaient pratiqués par elle.

152.
    En outre, il ressortirait clairement du graphique présenté par la requérante en réponse à la communication des griefs (annexe 12 à la requête) que les prix pratiqués par elle étaient, en moyenne, de 25 % moins élevés que les prix cibles convenus lors des réunions entre les membres de l'entente.

153.
    En conséquence, la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation et violé les lignes directrices en n'accordant pas à Cheil une réduction de l'amende du fait de la non-application effective des accords sur les prix.

154.
    La Commission rétorque que les données fournies par la requérante n'infirment pas les constatations contenues dans la Décision, en particulier aux considérants 376 et 377, qui indiquent que la mise en oeuvre d'un accord sur des prix cibles ne signifie pas nécessairement que ces prix seront effectivement appliqués sur le marché, mais que les entreprises s'efforceront de les atteindre.

155.
    Il serait, par ailleurs, constant que Cheil était présente à la plupart des réunions lors desquelles la fixation des prix a été discutée, de sorte que c'est à elle qu'il incombait de prouver que, nonobstant ce fait reconnu, sa politique des prix était le résultat d'une concurrence libre et entière. En outre, les faits énoncés au considérant 47 de la Décision montreraient que les prix pratiqués par Cheil n'étaient pas les plus bas du marché et qu'ils suivaient l'évolution des prix demandés par les membres de l'entente.

- Sur les accords portant sur les quantités

156.
    La requérante soutient qu'il ressort, tout d'abord, de la Décision elle-même qu'elle n'a pas appliqué l'accord sur la répartition des volumes (considérant 214) et qu'elle a, au contraire, préconisé une hausse de la production (considérants 108 et 116), comme le démontrerait également le fait qu'elle a été exclue de la séance matinale de la réunion de Honolulu du 10 mars 1994, consacrée aux quotas.

157.
    Par ailleurs, la Commission n'aurait pas rejeté explicitement les éléments de preuve qu'elle avait apportés, démontrant qu'elle avait engagé des études de faisabilité et passé des commandes d'équipements en vue du doublement de sa capacité de production (annexe 13 à la requête). La Commission se serait, en effet, contentée de présumer que les accords étaient appliqués par chaque société ayant participé aux débats (considérant 380 de la Décision). Or, en méconnaissant les éléments de preuve apportés par Cheil démontrant l'existence d'un écart significatif entre les prix convenus et les prix pratiqués par elle, la Commission l'aurait, en fait, traitée de la même manière que les autres sociétés qui n'avaient pu apporter cette preuve.

158.
    En conséquence, la Commission aurait non seulement commis une erreur manifeste d'appréciation et méconnu les lignes directrices, mais aussi violé le principe d'égalité de traitement.

    

159.
    Quant à l'argument selon lequel l'accord portait sur des quantités minimales, il serait illogique. À supposer que tel fût le cas, ni Cheil ni Sewon n'auraient réclamé des quotas plus élevés.

160.
    La Commission rétorque que Cheil participait volontairement à un accord prévoyant l'attribution de quotas et que son seul désaccord avec les autres membres de l'entente tenait au fait qu'elle voulait un quota plus important.

161.
    Le fait qu'elle ait pu vendre des volumes plus élevés que ceux que les autres entreprises cherchaient à lui imposer ne constituerait pas une circonstance atténuante, car les quotas fixés n'étaient que des quantités minimales (considérant 378 de la Décision). Ce constat ne serait pas incompatible avec l'autolimitation des ventes par les producteurs, les membres de l'entente n'ayant pu s'entendre sur des quotas fixes mais seulement sur les parts minimales de marché qu'ils devaient conserver. À cet égard, il serait significatif de constater que la part du marché mondial allouée à Cheil était de 7 % et que sa part effective est demeurée à 8 % (considérant 267 de la Décision).

162.
    Quant aux plans d'augmentation des capacités de production, ils seraient dénués de pertinence, étant donné qu'ils n'équivalent pas à des volumes de vente.

- Sur l'accord d'échange d'informations sur les volumes de vente

163.
    La requérante soutient qu'elle a systématiquement donné des informations inexactes aux autres membres de l'entente. Or, il existerait un seuil à partir duquel les données communiquées sont à ce point inexactes que leur communication équivaut à une non-application effective de l'accord. En effet, dans ce cas, l'effet du comportement infractionnel sur le marché serait moindre.

164.
    La Commission demande au Tribunal de rejeter la thèse selon laquelle le fait de participer activement à une entente tout en essayant de tromper ses membres serait une pratique louable justifiant une réduction d'amende. Durant la procédure administrative, Cheil aurait d'ailleurs prétendu que c'était pour obtenir des informations sur le marché de la lysine qu'elle a adhéré à l'entente, argument réfuté au considérant 364 de la Décision.

Appréciation du Tribunal

Sur le rôle passif de Cheil

165.
    Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d'examiner la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune d'entre elles (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/7373, Rec. p. 1663, point 623, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 150), afin de déterminer s'il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

166.
    Les points 2 et 3 des lignes directrices prévoient une modulation du montant de base de l'amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes.

167.
    En particulier, le «rôle exclusivement passif ou suiviste» d'une entreprise dans la réalisation de l'infraction constitue, s'il est établi, une circonstance atténuante, conformément au point 3, premier tiret, des lignes directrices, étant précisé que ce rôle passif implique l'adoption par l'entreprise concernée d'un «profil bas», c'est-à-dire une absence de participation active à l'élaboration du ou des accords anticoncurrentiels.

168.
    Il ressort de la jurisprudence que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d'une entreprise au sein d'une entente, peuvent être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l'entente (voir, en ce sens, arrêt BPB de Eendracht/Commission, précité, point 343) de même que son entrée tardive sur le marché ayant fait l'objet de l'infraction, indépendamment de la durée de sa participation à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt Stichting Sigarettenindustrie/Commission, précité, point 100), ou encore l'existence de déclarations expresses en ce sens émanant de représentants d'entreprises tierces ayant participé à l'infraction (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Weig/Commission, T-317/94, Rec. p. II-1235, point 264).

169.
    En l'espèce, Cheil invoque, en substance, son entrée tardive sur le marché, sa non-participation à certaines réunions portant sur les quotas de vente ou sur la mise en place d'une organisation professionnelle, sa faible dimension et le fait qu'elle n'a pas été citée comme membre actif par les autres producteurs.

170.
    Il convient immédiatement de rejeter l'argument de Cheil selon lequel elle n'a pas été citée comme membre actif de l'entente par les autres entreprises participantes. En effet, s'il peut, certes, être tenu compte de déclarations explicites concernant le rôle joué par une entreprise au sein de l'entente, pour autant qu'elles émanent de représentants d'entreprises tierces (voir, en ce sens, arrêt Weig/Commission, précité, point 264), l'absence de telles déclarations ne saurait, en revanche, se voir conférer une quelconque force probante.

171.
    De même, l'argument de la Commission selon lequel il a été tenu compte de l'entrée tardive de Cheil sur le marché dans le cadre du calcul de la durée de l'infraction doit être rejeté comme étant dépourvu de pertinence, la question du calcul de la durée d'une infraction commise par une entreprise étant distincte de celle concernant la nature du rôle actif ou passif joué par celle-ci.

172.
    S'agissant précisément de l'entrée de Cheil sur le marché de la lysine, elle est intervenue, comme ADM, durant l'année 1991, c'est-à-dire à une époque où l'entente asiatico-européenne, regroupant Ajinomoto, Sewon et Kyowa, était déjà constituée depuis plusieurs mois, en l'occurrence depuis juillet 1990 (considérants 50 à 68 de la Décision). En outre, à la différence d'ADM, Cheil n'a pas participé à la réunion de Mexico du 23 juin 1992, qui marque l'une des périodes cruciales de l'entente en ce qu'elle visait à mettre en place un nouveau mécanisme de contrôle des prix et des quantités tenant compte de l'entrée sur le marché de nouveaux producteurs (considérants 72 à 75 de la Décision).

173.
    Il est constant que, le 27 août 1992, les producteurs asiatiques ont tenu une réunion dans les locaux de la requérante à Séoul, au cours de laquelle ils sont convenus de l'augmentation des prix proposée par ADM (considérant 79 de la Décision). Cette date marque le début de l'adhésion de Cheil à l'entente, ce qui n'est pas contesté, pas plus que ne l'est sa participation continuelle aux réunions concernant la collusion sur les prix. En outre, il ressort de la Décision que, tout en étant entrée tardivement sur le marché, Cheil a très tôt demandé l'attribution d'un quota plus important que celui qui lui était proposé (considérants 77 et 78 de la Décision), ce qu'elle a continué à faire jusqu'au 10 mars 1994, date à laquelle elle a accepté le quota proposé.

174.
    Si cette attitude de Cheil paraît ne pas exactement correspondre à la définition du rôle passif d'une entreprise, il importe de souligner que les conséquences de l'entrée tardive de Cheil sur le marché et de son attitude à l'égard des autres producteurs sur le sujet des volumes de vente doivent être appréciées au regard des autres éléments invoqués, à savoir le nombre de ses participations aux réunions et sa faible dimension.

175.
    En ce qui concerne la fréquence des participations de Cheil aux réunions des producteurs concernant les volumes de vente, durant la première phase de sa participation à l'entente (entre le 27 août 1992 et le 10 mars 1994), elle apparaît certainement moindre que celle des autres participants.

176.
    Si l'on exclut, durant cette période, les réunions des deux chefs de file de l'entente, auxquelles elle était bien entendu absente, et les autres réunions consacrées aux prix, auxquelles elle était en revanche présente (considérants 79, 81, 90 et 94 de la Décision), il ressort de la Décision que Cheil n'a pas participé à plusieurs réunions entre producteurs consacrées au problème des quotas de vente, à savoir les réunions des 29 octobre et 2 novembre 1992 (considérants 86 et 87), du 27 mai 1993 (considérant 102), et, surtout, du 8 décembre 1993 (considérants 119 et 122) puis du matin du 10 mars 1994 (considérants 126 et 127). Elle a, en revanche, participé totalement aux réunions des 18 juin 1993 (considérant 104 de la Décision), 24 juin 1993 (considérant 108 de la Décision) et du 5 octobre 1993 (considérant 116 de la Décision).

177.
    L'attitude même de Cheil au cours d'une de ces réunions atteste du rôle passif joué par celle-ci à propos des accords sur les volumes de vente jusqu'au 10 mars 1994. En effet, il ressort de la Décision (considérant 110) que, lors de la réunion du 24 juin 1993, tous les participants, à l'exception de Cheil, ont accepté de créer une organisation officielle des producteurs de lysine gérée par Ajinomoto et ADM. Or, cette décision a conduit à la création, au sein d'une association professionnelle existante (la Fefana), d'un groupe de travail entre producteurs, dont les réunions se sont avérées déterminantes pour permettre aux producteurs d'échanger des informations et de contrôler le respect des quotas alloués (voir, en particulier, les considérants 122, 125, 133, 139, 150, 158 et 165 de la Décision).

178.
    Il apparaît donc que Cheil n'a pleinement participé qu'à trois des huit réunions consacrées aux volumes de vente au cours de la période allant du 27 août 1992 au 10 mars 1994 et que, surtout, elle n'était pas présente aux réunions du 8 décembre 1993 et du matin du 10 mars 1994 qui sont les plus importantes en ce qui concerne les volumes de vente. En effet, c'est au cours desdites réunions qu'une répartition définitive et affinée des quotas de vente a été décidée par les autres producteurs pour l'année 1994, Ajinomoto se voyant également confier la tâche de centraliser les chiffres de vente transmis par les autres membres du cartel.

179.
    À ces absences lors des deux réunions stratégiques sur les volumes de vente, il convient d'ajouter le fait que Cheil a finalement accepté, l'après-midi du 10 mars 1994, un quota de vente, fixé par les autres producteurs à hauteur de 17 000 tonnes, sensiblement inférieur à celui demandé, à savoir 22 000 tonnes (considérant 116 de la Décision).

180.
    Enfin, la faible dimension de Cheil constitue un élément important à prendre en considération afin d'apprécier l'incidence réelle de son entrée tardive sur le marché de la lysine et son comportement à l'égard des autres producteurs. En effet, si Cheil s'est initialement opposée au quota qui lui était offert, il n'en demeure pas moins que le quota qui lui était proposé par les chefs de file de l'entente a toujours été nettement inférieur à celui proposé aux entreprises de taille relativement équivalente, Kyowa et Sewon. En particulier, si l'on se réfère à Sewon, dont le chiffre d'affaires total est certes largement inférieur à celui de Cheil, mais dont le chiffre d'affaires total dans le secteur de la lysine était supérieur, il est significatif de constater que les quotas proposés ont varié entre 32 900 tonnes (considérant 104 de la Décision) et 37 000 tonnes (considérant 121 de la Décision), en comparaison des 17 000 tonnes finalement consenties à Cheil (considérant 128 de la Décision). Par ailleurs, les parts de marché mondiales attribuées en 1994 à chaque producteur en vertu des accords conclus (voir considérant 267 de la Décision), font apparaître que Cheil (avec 7 % des parts) disposait d'une part de marché largement inférieure à celle allouée à Sewon (14 %) et à Kyowa (19 %), pourtant considérées comme des entreprises de taille comparable. Dès lors, il est manifeste que Cheil a été «défavorisée» dans le cadre de l'entente sur les quotas de vente par rapport aux autres producteurs, ce qui peut être interprété comme une conséquence directe du caractère plus sporadique de ses participations aux réunions et de son entrée tardive sur le marché. Dans ce contexte, le fait que Cheil a réclamé un quota plus important que celui qui lui était proposé n'a donc qu'une portée très relative et n'est pas nécessairement de nature à démontrer qu'elle a joué un rôle actif.

181.
    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que Cheil a joué un rôle passif dans l'entente sur les quotas de vente entre le 27 août 1992 et le 10 mars 1994, c'est-à-dire durant la moitié de sa participation à l'entente. En revanche, il importe de souligner que, postérieurement au 10 mars 1994, Cheil était présente et a participé activement aux différentes réunions de l'entente, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas.

182.
    S'agissant du quantum de la réduction devant de ce fait être accordée à la requérante dans le cadre de la compétence de pleine juridiction détenue par le Tribunal, il convient d'observer que Sewon s'est vu octroyer par la Commission une réduction de 20 % de la majoration qui avait été appliquée au titre de la durée, ce qui équivaut à une réduction de 5,71 % du montant de base de l'amende, l'institution défenderesse ayant considéré que Sewon avait joué un rôle passif en ce qui concerne les accords sur les quotas de vente à partir, seulement, de 1995, c'est-à-dire pour une période de six mois sur les cinq années de sa participation à l'entente.

183.
    En tenant compte, d'une part, de ce fait et de la nécessité d'assurer l'égalité de traitement entre les parties à l'entente ainsi que, d'autre part, de la participation active de Cheil aux accords sur les prix, une réduction de 10 % du montant de base de l'amende apparaît justifiée dans la mesure où le rôle passif de Cheil dans l'entente sur les volumes de vente s'inscrit sur une plus longue période.

Sur la non-application effective des accords

184.
    Ainsi qu'il a été indiqué au point 165 ci-dessus, il ressort de la jurisprudence que, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d'examiner la gravité relative de la participation à l'infraction de chacune d'entre elles, afin de déterminer s'il existe, à leur égard, des circonstances aggravantes ou atténuantes.

185.
    Cette conclusion constitue la conséquence logique du principe d'individualité des peines et des sanctions en vertu duquel une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en vertu des règles communautaires de concurrence (voir, en ce qui concerne l'imputation d'une amende, arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T-45/98 et T-47/98, Rec. p. II-3757, point 63).

186.
    Les points 2 et 3 des lignes directrices prévoient une modulation du montant de base de l'amende en fonction de certaines circonstances aggravantes et atténuantes, qui sont propres à chaque entreprise concernée.

187.
    En particulier, le point 3 des lignes directrices établit, sous le titre de circonstances atténuantes, une liste non exhaustive de circonstances qui peuvent amener à une diminution du montant de base de l'amende. Ainsi est-il fait référence au rôle passif d'une entreprise, à la non-application effective des accords, à la cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission, à l'existence d'un doute raisonnable de l'entreprise sur le caractère infractionnel du comportement poursuivi, au fait que l'infraction a été commise par négligence ainsi qu'à la collaboration effective de l'entreprise à la procédure en dehors du champ d'application de la communication sur la coopération. Les circonstances ainsi visées sont donc toutes fondées sur le comportement propre à chaque entreprise.

188.
    Il résulte de ces éléments que l'interprétation de la Commission selon laquelle le point 3, deuxième tiret, relatif à la «non-application effective d'un accord», ne viserait que l'hypothèse dans laquelle une entente, dans son ensemble, n'est pas mise en oeuvre, abstraction faite du comportement propre à chaque entreprise, est manifestement erronée.

189.
    La thèse de la Commission procède, en effet, d'une confusion entre, d'une part, l'appréciation de l'impact concret d'une infraction sur le marché aux fins de l'évaluation de sa gravité (point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices), dans le cadre de laquelle il y a lieu de prendre en considération les effets résultant de l'ensemble de l'infraction et non pas le comportement effectif de chaque entreprise, et, d'autre part, l'appréciation du comportement individuel de chaque entreprise aux fins de l'évaluation des circonstances aggravantes ou atténuantes (points 2 et 3 des lignes directrices), dans le cadre de laquelle il y a lieu, conformément au principe d'individualité des peines et des sanctions, d'examiner la gravité relative de la participation de l'entreprise à l'infraction.

190.
    Par ailleurs, la Commission a fait référence dans son mémoire en défense à l'arrêt Cascades/Commission, précité, dans lequel le Tribunal a estimé que le fait qu'une entreprise, dont la participation à une entente en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d'une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l'amende à infliger (point 230).

191.
    Il convient d'observer que, dans le cadre de l'arrêt susvisé, le Tribunal a opéré son contrôle à l'égard d'une décision de la Commission n'ayant pas fait application des lignes directrices, puisqu'antérieure à l'adoption de celles-ci, lesquelles envisagent désormais expressément la prise en compte de la non-application effective d'un accord infractionnel comme circonstance atténuante. Or, ainsi que cela a déjà été énoncé au point 77 ci-dessus, il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut se départir des règles qu'elle s'est elle-même imposées. En particulier, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu'elle compte appliquer dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu'il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu'elle s'est elle-même imposées (arrêts AIUFFASS et AKT/Commission, précité, point 57, et Vlaams Gewest/Commission, précité, point 89).

192.
    Reste à savoir si, en l'espèce, la Commission a pu considérer, à bon droit, que la requérante ne pouvait pas bénéficier d'une circonstance atténuante au titre d'une non-application effective des accords, en vertu du point 3, deuxième tiret, des lignes directrices. À cette fin, il importe de vérifier si les circonstances avancées par la requérante sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s'est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, points 4872 à 4874).

193.
    En ce qui concerne, en premier lieu, la non-application prétendue des accords de prix, la Commission a fait observer, dans la Décision (considérant 376), que les accords en cause portaient sur des objectifs de prix (ou prix cibles), de sorte que la mise en oeuvre de tels accords implique non pas que soit appliqué un prix correspondant à l'objectif de prix convenu, mais que les parties s'efforcent de se rapprocher de leurs objectifs de prix. Elle a encore indiqué qu' «[i]l ressort des informations recueillies par la Commission que, dans la présente affaire, à la suite de la majorité des accords de prix, les parties ont fixé leurs prix conformément à leurs accords».

194.
    En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a précisé que les informations susvisées sont celles sur les prix des entreprises qui figurent au considérant 47 de la Décision et qui sont reprises dans un graphique faisant apparaître l'évolution des prix cibles et celle des prix pratiqués par chaque entreprise concernée (annexe 1 de la duplique).

195.
    Au vu de ce document, il peut, d'abord, être observé que, si les prix pratiqués par Cheil ne coïncident pas avec les prix cibles, comme étant régulièrement inférieurs à ces derniers, il en va de même des prix pratiqués par les autres producteurs de lysine, à l'exception d'ADM, depuis mars 1992 jusqu'à la cessation de la période infractionnelle en juin 1995.

196.
    Il apparaît, ensuite, que si les prix de Cheil étaient équivalents à ceux de Sewon (parfois légèrement supérieurs ou parfois légèrement inférieurs) et régulièrement inférieurs à ceux pratiqués par les autres producteurs, les différences constatées ne sauraient être considérées comme significatives et traduisant un comportement sur le marché réellement indépendant et concurrentiel.

197.
    Enfin, il y a lieu surtout de constater que l'évolution des prix de Cheil a concordé, pendant toute la période infractionnelle, avec l'évolution des objectifs de prix convenus entre les membres de l'entente, ce qui conforte, au demeurant, la conclusion selon laquelle cette dernière a produit ses effets dommageables sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, précité, point 340). Cette concordance, sur une si longue période, démontre l'absence de toute volonté de Cheil de se soustraire effectivement à l'application des accords sur les prix.

198.
    À cet égard, il convient de relever que, au courant du mois de juin 1993, les cinq producteurs de lysine se sont entendus pour fixer le prix de la lysine à 3,20 marks allemands (DEM) par kilogramme (considérants 104 et 198 de la Décision), tout en envisageant une nouvelle hausse des prix par étapes. Le prix de la lysine a, par la suite, effectivement connu une forte hausse et a finalement été fixé à 5,30 DEM par kilogramme selon un accord conclu en octobre 1993 (considérants 114 et 199 de la Décision). Or, dès le mois d'août 1993, Cheil a pleinement participé au mouvement de hausse impliquant tous les producteurs de lysine, ses prix passant de 3,04 DEM par kilogramme en juillet 1993 à 3,77 DEM en août de la même année, puis à 3,95 DEM en septembre et, enfin, à 4,23 DEM en octobre 1993. Cheil n'a aucunement cherché, lors de cette phase importante de l'entente, à se démarquer des autres producteurs en adoptant une politique des prix réellement concurrentielle.

199.
    Il résulte de ces considérations que la non-application effective des accords sur les prix par Cheil n'est pas démontrée, la différence de degré dans la mise en oeuvre des accords sur les prix ne pouvant être confondue avec une non-exécution effective de ceux-ci.

200.
    En ce qui concerne, en deuxième lieu, la non-application alléguée des accords sur les volumes de vente, il convient, tout d'abord, de rappeler que, dans la Décision (considérant 378), la Commission a fait valoir que les membres de l'entente considéraient les quotas qui leur étaient attribués comme des «quantités minimales» et que, «tant que chaque partie était en mesure de vendre au moins les quantités qui lui étaient allouées, l'accord était respecté».

201.
    Ainsi qu'il a été souligné, à juste titre, par toutes les entreprises en cause, cette affirmation est, pour le moins, en contradiction avec les faits reprochés dans la mesure où l'objectif de hausse des prix, qui était principalement poursuivi par les membres de l'entente, impliquait nécessairement une limitation de la production de lysine et donc l'allocation de quotas de vente maximaux. Cela est, notamment, confirmé par les considérants 221 et suivants de la Décision, consacrés à l'appréciation des accords sur les quantités au regard de l'article 81, paragraphe 1, CE, dans lesquels il est fait référence aux limitations des ventes. Cette affirmation de la Commission doit, dès lors, être considérée comme dépourvue de toute pertinence.

202.
    S'agissant, ensuite, de l'argument de Cheil, qui concerne les années 1992 et 1993, selon lequel elle préconisait une hausse de la production, ce qui aurait causé son exclusion des réunions, il doit être rejeté. En effet, il ressort de la Décision que, loin de préconiser une hausse générale de la production, elle a seulement cherché à obtenir une augmentation du quota qui lui était proposé dans le cadre de l'entente, ce qui ne saurait être assimilé à une non-application effective des accords infractionnels.

203.
    En outre, l'argument tiré de l'absence de prise en considération de documents internes attestant du fait que Cheil s'est efforcée de développer sa capacité de production est dépourvue de toute pertinence, lesdits documents n'étant pas de nature à établir une augmentation avérée de la production et encore moins des volumes de vente. À cet égard, l'allégation, non étayée, de la requérante relative à une violation du principe d'égalité de traitement doit être rejetée comme dénuée de tout fondement.

204.
    Il apparaît également qu'une application effective des accords sur les volumes peut être considérée comme prouvée à suffisance de droit au regard du tableau figurant au considérant 267 de la Décision dans lequel il a été procédé à une comparaison entre les parts de marché mondiales allouées à chaque membre de l'entente en vertu des accords et les parts qui ont été effectivement détenues, à la fin de l'année 1994. En effet, ainsi que la Commission l'a constaté, les parts de marché mondiales détenues par chaque producteur, à l'exception de Sewon, étaient largement comparables aux parts que chaque membre de l'entente s'était vu attribuer.

205.
    Enfin, concernant l'application des accords de quotas en 1995, il ressort clairement des réunions de l'entente de 1995, dont il est fait état aux considérants 153 à 166 de la Décision, que Cheil a poursuivi l'application des quotas pratiqués l'année précédente.

206.
    En ce qui concerne, en troisième lieu, l'accord sur l'échange d'informations, il est constant que, l'après-midi du 10 mars 1994, Cheil a consenti à notifier ses chiffres de vente de lysine, conformément à l'accord intervenu entre les producteurs le 8 décembre 1993.

207.
    S'agissant de l'application de cet accord, il suffit de constater qu'il résulte de la Décision (considérants 134, 141, 145, 150, 155, 160, 164 et 165) que Cheil a bien communiqué ses chiffres de vente. À la différence de Sewon qui a cessé, au début de l'année 1995, d'informer les autres producteurs sur ses volumes de vente, ce qui a perturbé le fonctionnement de l'entente, Cheil a donc régulièrement transmis les données convenues et reçu, en retour, les informations sur les ventes réalisées par les autres membres du cartel, ce qui était de nature à influer sur son comportement au sein de l'entente et sur le marché. Elle a, ce faisant, mis en oeuvre l'accord en cause, indépendamment du caractère prétendument inexact des informations fournies.

208.
    Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que c'est à juste titre que la Commission n'a retenu aucune circonstance atténuante en faveur de Cheil au titre de la non-exécution effective des accords.

5. Sur la motivation de la Décision

Arguments des parties

209.
    La requérante expose, à titre liminaire, que la Commission est tenue de fournir une motivation complète et claire de ses décisions infligeant des amendes, afin que les entreprises puissent connaître en détail le mode de calcul de l'amende qui leur a été infligée, sans être obligées, pour ce faire, d'introduire un recours juridictionnel contre la décision de la Commission (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Société métallurgique de Normandie/Commission, T-147/89, Rec. p. II-1057; Tréfilunion/Commission, T-148/89, Rec. p. II-1063, et Société des treillis et panneaux soudés/Commission, T-151/89, Rec. p. II-1191).

210.
    En l'espèce, la Décision serait insuffisamment motivée à plusieurs égards.

211.
    En premier lieu, la Décision ne permettrait pas à la requérante de connaître en détail les raisons pour lesquelles le montant de départ de l'amende, déterminé en fonction de la gravité de l'infraction, a été fixé à 15 millions d'euros, c'est-à-dire au même niveau que pour Sewon et Kyowa, bien que sa taille et son influence sur le marché fussent réduites. En effet, la Décision (considérant 304) mentionnerait simplement ce montant sans autre explication et ne tiendrait pas compte du fait que le chiffre d'affaires de Cheil afférent aux ventes de lysine dans l'EEE représente environ la moitié de celui de son concurrent le plus proche.

212.
    En second lieu, la Décision ne permettrait pas à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a méconnu les diverses circonstances atténuantes qu'elle avait invoquées pour sa défense.

213.
    S'agissant, d'une part, de la non-application effective des accords, la Commission, aux considérants 376 à 378 de la Décision, ne répondrait ni à l'argument selon lequel les prix de Cheil étaient systématiquement inférieurs aux prix convenus ni à l'argument tiré de l'absence de mise en oeuvre des quotas. D'autre part, en ce qui concerne le rôle passif et périphérique joué par Cheil, la Commission, aux considérants 363 et 364 de la Décision, ne répondrait pas aux arguments selon lesquels cette entreprise était exclue, ou absente, lors des réunions, ou demeurait discrète lorsqu'elle était présente.

214.
    La Commission conteste ces prétendues insuffisances de motivation compte tenu, notamment, des précisions apportées par les lignes directrices.

Appréciation du Tribunal

215.
    S'agissant des recours dirigés contre les décisions de la Commission infligeant des amendes à des entreprises pour violation des règles de concurrence, le Tribunal est compétent à un double titre. D'une part, il est chargé de contrôler la légalité de la décision, au titre de l'article 230 CE. Dans ce cadre, il doit notamment contrôler le respect de l'obligation de motivation, prévue à l'article 253 CE, dont la violation rend la décision annulable. D'autre part, le Tribunal est compétent pour apprécier, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction qui lui est reconnu par les articles 229 CE et 17 du règlement n° 17, le caractère approprié du montant des amendes. Cette dernière appréciation peut justifier la production et la prise en considération d'éléments complémentaires d'information dont la mention dans la décision n'est pas, comme telle, requise en vertu de l'obligation de motivation (voir, notamment, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C-248/98 P, Rec. p. I-9641, points 38 à 40).

216.
    En ce qui concerne le contrôle du respect de l'obligation de motivation, il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l'article 253 CE doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 63, et jurisprudence citée).

217.
    En ce qui concerne la portée de l'obligation de motivation concernant le calcul du montant d'une amende infligée pour violation des règles communautaires de concurrence, il convient de rappeler que l'article 15, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 17 prévoit que, «[p]our déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci». À cet égard, les lignes directrices, ainsi que la communication sur la coopération dans les affaires portant sur des ententes, contiennent des règles indicatives sur les éléments d'appréciation dont il est tenu compte par la Commission pour mesurer la gravité et la durée de l'infraction (voir, par analogie, en matière d'aides d'État, arrêts AIUFFASS et AKT/Commission, précité, point 57, et Vlaams Gewest/Commission, précité, point 79).

218.
    Dans ces conditions, les exigences de la formalité substantielle que constitue l'obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d'appréciation dont elle a tenu compte en application de ses lignes directrices et, le cas échéant, de sa communication sur la coopération, et qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l'infraction aux fins du calcul du montant de l'amende.

219.
    En l'espèce, la Commission a satisfait à ces exigences.

220.
    Il convient, en effet, de constater que les considérants 250 à 445 de la Décision exposent les éléments que la Commission a pris en considération, en application de l'ensemble des règles juridiques susvisées, pour calculer le montant des amendes de chacune des entreprises concernées. En ce qui concerne, en particulier, le traitement différencié des entreprises concernées auquel il a été procédé afin de fixer le montant de départ des amendes, les considérants 303 à 305 de la Décision exposent les éléments sur lesquels la Commission s'est fondée pour diviser les entreprises en deux groupes en fonction de leurs tailles respectives. De même, s'agissant de l'évaluation de la gravité relative de l'infraction commise par chacune des entreprises, les considérants 357 à 396 de la Décision énoncent les éléments pris en compte au titre des circonstances atténuantes et, notamment, les raisons pour lesquelles il a été estimé que Cheil n'avait pas joué un rôle passif dans l'infraction et qu'elle avait effectivement appliqué les accords.

221.
    Le fait que l'appréciation de la Commission ne soit pas nécessairement bien fondée sur tous ces points relève de l'examen distinct de la légalité au fond de la Décision, auquel il a déjà été procédé. Sur le plan de la motivation, la Décision est, en revanche, exempte de vices dès lors qu'elle a permis à la requérante d'identifier les considérations prises en compte par la Commission sur les différents sujets qu'elle évoque et au Tribunal d'exercer son contrôle.

222.
    En conséquence, la Décision doit être considérée comme étant motivée à suffisance de droit.

Sur la méthode de calcul et le montant final de l'amende

223.
    Dans la Décision, la Commission a reconnu à la requérante le bénéfice d'une seule circonstance atténuante, à savoir la cessation de l'infraction dès les premières interventions d'une autorité publique (considérant 384), justifiant une minoration de 10 % appliquée au montant de base de l'amende.

224.
    Il convient d'observer que, dans la Décision, la Commission n'a pas appliqué de la même façon aux entreprises concernées les réductions octroyées au titre des circonstances atténuantes. En effet, la Commission a reconnu à Sewon le bénéfice de deux circonstances atténuantes, l'une, au titre d'un rôle passif en 1995 à propos des quotas de vente, entraînant une réduction de 20 % de la majoration appliquée à cette entreprise au titre de la durée de l'infraction (considérant 365 de la Décision), l'autre, en considération de la cessation de l'infraction dès les premières interventions d'une autorité publique (considérant 384 de la Décision), justifiant une minoration de 10 % appliquée au résultat de la première réduction susvisée. Force est de constater que la Commission n'a pas appliqué, dans les deux cas de figure précités et à l'inverse de Cheil, les réductions octroyées au titre des circonstances atténuantes au montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction.

225.
    Par question écrite notifiée à la Commission le 7 février 2002, le Tribunal a invité cette dernière à, notamment, préciser et justifier sa méthode de calcul du montant des amendes.

226.
    Dans sa réponse datée du 27 février 2002, la Commission a indiqué que le juste moyen de calculer les majorations et les réductions destinées à tenir compte des circonstances aggravantes et atténuantes consiste à appliquer un pourcentage sur le montant de base de l'amende. Elle a également reconnu ne pas avoir systématiquement suivi cette méthode de calcul dans le cadre de sa Décision, s'agissant plus particulièrement de la situation d'Ajinomoto et d'ADM.

227.
    Lors de l'audience, la requérante a indiqué n'avoir aucune objection à formuler au sujet de la méthode de calcul du montant des amendes décrite par la Commission dans sa lettre du 27 février 2002.

228.
    Dans ce contexte, il importe de souligner que, selon les lignes directrices, la Commission, après avoir déterminé le montant de base de l'amende en considération de la gravité et de la durée de l'infraction, procède à une augmentation et/ou à une diminution dudit montant au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes.

229.
    Eu égard au libellé des lignes directrices, le Tribunal estime que les pourcentages correspondant aux augmentations ou aux réductions, retenus au titre des circonstances aggravantes ou atténuantes, doivent être appliqués au montant de base de l'amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l'infraction, et non au montant d'une majoration précédemment appliquée au titre de la durée de l'infraction ou au résultat de la mise en oeuvre d'une première majoration ou réduction au titre d'une circonstance aggravante ou atténuante. Ainsi que la Commission l'a souligné à juste titre dans sa réponse à la question écrite du Tribunal, la méthode de calcul du montant des amendes décrite ci-dessus se déduit du libellé des lignes directrices et permet de garantir une égalité de traitement entre différentes entreprises participant à un même cartel.

230.
    Dès lors, le Tribunal considère, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, qu'il y a lieu d'ajouter à la réduction de 10 % retenue au titre de la cessation de l'infraction dès les premières interventions d'une autorité publique celle de 10 % retenue par le Tribunal en raison du rôle passif de Cheil dans l'entente sur les volumes de vente pour la période allant du 27 août 1992 au 10 mars 1994 (voir point 183 ci-dessus), soit une réduction globale de 20 % au titre des circonstances atténuantes devant être appliquée au montant de base de l'amende de 18 millions d'euros (voir point 139 ci-dessus), ce qui se traduit par une amende d'un montant de 14,4 millions d'euros avant application des dispositions de la communication sur la coopération.

231.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission a consenti à Cheil une réduction de 30 % du montant de l'amende qui lui aurait été infligée en l'absence de coopération, et ce au titre du point D de la communication sur la coopération, ce qui équivaut désormais à une réduction de 4 320 000 euros. En conséquence, le montant final de l'amende infligée à la requérante doit être fixé à 10 080 000 euros.

Sur les dépens

232.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l'espèce, il y a lieu de décider que la requérante supportera ses propres dépens ainsi que les deux tiers de ceux exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

déclare et arrête:

1)    Le montant de l'amende infligée à Cheil Jedang Corp. est fixé à 10 080 000 euros.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    Cheil Jedang Corp. est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que les deux tiers de ceux de la Commission. La Commission supportera un tiers de ses propres dépens.

Vilaras
Tiili
Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Vilaras

Table des matières

     Faits à l'origine du litige

II - 2

     Procédure et conclusions des parties

II - 6

     En droit

II - 7

         1. Sur l'applicabilité des lignes directrices

II - 7

             Arguments des parties

II - 7

                 Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

II - 7

                 Sur la violation du principe de non-rétroactivité des peines

II - 8

             Appréciation du Tribunal

II - 9

                 Sur la violation du principe de protection de la confiance légitime

II - 9

                 Sur la violation du principe de non-rétroactivité des peines

II - 10

         2. Sur la gravité de l'infraction

II - 15

             Arguments des parties

II - 15

                 Sur la violation du principe de proportionnalité

II - 15

                 Sur la violation du principe d'égalité de traitement

II - 16

             Appréciation du Tribunal

II - 17

                 Sur la violation du principe de proportionnalité

II - 17

                 Sur la violation du principe d'égalité de traitement

II - 23

         3. Sur la durée de l'infraction

II - 25

             Arguments des parties

II - 25

                 Sur le caractère excessif de la majoration

II - 25

                 Sur l'exclusion de Cheil des réunions du cartel pendant une période de quatre mois et la non-participation de Cheil aux accords sur les quantités et à l'échange d'informations pendant une période de dix-huit mois

II - 26

             Appréciation du Tribunal

II - 27

         4. Sur les circonstances atténuantes

II - 30

             Arguments des parties

II - 30

                 Sur le rôle passif de Cheil

II - 30

                 Sur la non-application effective des accords

II - 31

                     - Sur les accords de prix

II - 32

                     - Sur les accords portant sur les quantités

II - 32

                     - Sur l'accord d'échange d'informations sur les volumes de vente

II - 33

             Appréciation du Tribunal

II - 34

                 Sur le rôle passif de Cheil

II - 34

                 Sur la non-application effective des accords

II - 37

         5. Sur la motivation de la Décision

II - 42

             Arguments des parties

II - 42

             Appréciation du Tribunal

II - 43

     Sur la méthode de calcul et le montant final de l'amende

II - 44

     Sur les dépens

II - 46


1: Langue de procédure: l'anglais.