Language of document : ECLI:EU:T:2007:222

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
5 octobre 2004 (1)

« Personnel employé par l'entreprise commune JET – Égalité de traitement – Non-application du statut d'agent temporaire – Article 152 CEEA – Délai raisonnable – Préjudices matériels subis »

Dans l'affaire T-144/02,

Richard J. Eagle, demeurant à Oxon (Royaume-Uni), et les douze requérants dont les noms figurent en annexe, représentés par M. D. Beard, barrister,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Currall et L. Escobar Guerrero, en qualités d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. J.-P. Hix et A. Pilette, en qualité d'agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'indemnisation des préjudices matériels prétendument subis du fait de ne pas avoir été recrutés comme agents temporaires des Communautés pour l'exercice de leur activité au sein de l'entreprise commune Joint European Torus (JET),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),



composé de MM. B. Vesterdorf, président, M. Jaeger et H. Legal, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite des audiences du 8 mai et du 23 septembre 2003,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique

1
L’article 1er, deuxième alinéa, du traité CEEA dispose :

« La Communauté a pour mission de contribuer, par l’établissement des conditions nécessaires à la formation et à la croissance rapides des industries nucléaires, à l’élévation du niveau de vie dans les États membres et au développement des échanges avec les autres pays. »

2
L’article 2 CEEA prévoit notamment que, pour l’accomplissement de sa mission, la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA) doit développer la recherche et assurer la diffusion des connaissances techniques.

3
L’article 49 CEEA dispose :

« La constitution d’une entreprise commune résulte de la décision du Conseil.

Chaque entreprise commune a la personnalité juridique.

Dans chacun des États membres, elle jouit de la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par les législations nationales respectives ; elle peut notamment acquérir et aliéner des biens mobiliers et immobiliers et ester en justice.

Sauf dispositions contraires du présent traité ou de ses statuts, chaque entreprise commune est soumise aux règles applicables aux entreprises industrielles ou commerciales ; les statuts peuvent se référer à titre subsidiaire aux législations nationales des États membres.

Sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice en vertu du présent traité, les litiges intéressant les entreprises communes sont tranchés par les juridictions nationales compétentes. »

4
Aux termes de l’article 51 CEEA :

« La Commission assure l’exécution de toutes les décisions du Conseil relatives à la constitution des entreprises communes jusqu’à la mise en place des organes chargés du fonctionnement de celles-ci. »

5
L’article 152 CEEA dispose :

« La Cour de justice est compétente pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses agents dans les limites et conditions déterminées au statut ou résultant du régime applicable à ces derniers. »

6
Selon l’article 151 CEEA :

« La Cour de justice est compétente pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l’article 188, deuxième alinéa, [CEEA]. »

7
Aux termes de l’article 188, deuxième alinéa, CEEA :

« En matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions. »

8
L’entreprise commune (joint undertaking) Joint European Torus (JET), pour laquelle travaillaient les requérants a été créée par la décision 78/471/Euratom du Conseil, du 30 mai 1978 (JO L 151, p. 10), pour la réalisation du programme « Fusion » de la CEEA, qui prévoyait la construction, le fonctionnement et l’exploitation d’une grande machine torique du type tokamak et de ses installations annexes. Initialement conçu pour une durée de douze ans, le projet JET a été prorogé à trois reprises : par la décision 88/447/Euratom du Conseil, du 25 juillet 1988 (JO L 222, p. 4), jusqu’au 31 décembre 1992 ; par la décision 91/677/Euratom du Conseil, du 19 décembre 1991 (JO L 375, p. 9), jusqu’au 31 décembre 1996 et, enfin, par la décision 96/305/Euratom du Conseil, du 7 mai 1996 (JO L 117, p. 9), jusqu’au 31 décembre 1999. Le programme s’est ensuite poursuivi dans le cadre de l’accord européen de développement sur la fusion.

9
Les statuts de l’entreprise commune (ci-après les « statuts »), annexés à la décision 78/471, indiquent que son siège se trouve à Culham, Oxfordshire, au Royaume-Uni, et qu’elle a pour membres, outre la CEEA, les États membres ou leurs organismes compétents en matière atomique, en particulier l’organisation hôte, l’United Kingdom Atomic Energy Authority (UKAEA), ainsi que la Confédération suisse depuis la décision du 19 décembre 1991.

10
Les statuts indiquent que les organes du JET sont le conseil et le directeur du projet. Le conseil du JET est assisté par un comité exécutif et peut demander l’avis d’un conseil scientifique.

11
Aux termes de l’article 4.2.2 des statuts :

« Le conseil du JET est chargé, notamment :

[…]

d)
de désigner le directeur et les cadres supérieurs du projet en vue de leur recrutement par la Commission ou, le cas échéant, l’organisation hôte, et de déterminer la durée de leur affectation, d’approuver la structure globale de l’équipe du projet et de décider des procédures d’affectation et de gestion du personnel ;

[…]

f)
conformément à l’article 10, d’approuver le budget annuel y compris le tableau des effectifs, le plan de développement du projet et les estimations du coût du projet.»

12
Selon l’article 7 des statuts, le directeur du projet est l’organe exécutif de l’entreprise commune et son représentant légal ; il « exécute le plan de développement du projet et dirige l’exécution du projet dans le cadre des directives définies par le conseil du JET ». Il « doit notamment :

a)
organiser, diriger et superviser l’équipe du projet ;

b)
soumettre au conseil du JET des propositions sur la structure essentielle de l’équipe du projet et proposer au conseil la désignation des cadres supérieurs ».

13
L’article 8 des statuts, relatif à l’équipe du projet, dispose, dans sa rédaction d’origine applicable jusqu’au 21 octobre 1998 (voir points 25 et 26 ci-après) :

« 8.1
L’équipe du projet assiste le directeur du projet dans l’accomplissement de ses tâches. Ses effectifs sont déterminés dans le tableau des effectifs tel qu’il figure dans le budget annuel. Elle est composée de personnel en provenance de membres de l’entreprise commune conformément [à l’article] 8.3, ainsi que d’autre personnel. Les effectifs de l’équipe du projet sont recrutés conformément aux dispositions [aux articles] 8.4 et 8.5 ci-[après].

8.2
La composition de l’équipe du projet doit réaliser un équilibre raisonnable entre la double nécessité de garantir le caractère communautaire du projet, en particulier en ce qui concerne les postes exigeant un certain niveau de qualification (physiciens, ingénieurs, cadres administratifs de niveau équivalent) et de donner au directeur du projet des pouvoirs aussi larges que possible en matière de sélection du personnel dans l’intérêt d’une gestion efficace. Dans l’application de ce principe, il sera également tenu compte de l’intérêt des membres non communautaires de l’entreprise commune.

8.3
Les membres de l’entreprise commune mettent à la disposition de l’entreprise commune du personnel qualifié dans les domaines scientifique, technique et administratif.

8.4
Le personnel mis à disposition par l’organisation hôte continuera à être employé par cette organisation dans les conditions d’engagement prévues par celle-ci et sera affecté par elle à l’entreprise commune.

8.5
Sauf décision contraire dans certains cas particuliers conformément aux procédures d’affectation et de gestion du personnel à fixer par le conseil du JET, le personnel mis à disposition par les membres de l’entreprise commune autres que l’organisation hôte ainsi que tout autre personnel sont recrutés par la Commission sur des postes temporaires conformément au régime applicable aux autres agents des Communautés européennes et affectés par la Commission à l’entreprise commune.

8.6
Tout le personnel faisant partie de l’équipe du projet relève de la seule autorité administrative du directeur du projet.

8.7
Toutes les dépenses de personnel, y compris les dépenses relatives au personnel affecté à l’entreprise commune par la Commission et par l’organisation hôte, sont à la charge de l’entreprise commune.

8.8
Tout membre ayant un contrat d’association avec [la CEEA] s’engage à réemployer les membres du personnel qu’il aura affectés au projet et qui auront été recrutés à titre temporaire par la Commission, dès que leur travail dans le cadre du projet aura été accompli.

8.9
Le conseil du JET établit les procédures détaillées d’affectation et de gestion du personnel. »

14
Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour du 15 janvier 1987, Ainsworth e.a./Commission et Conseil (271/83, 15/84, 36/84, 113/84, 158/84, 203/84 et 13/85, Rec. p. 167), les requérants, ressortissants britanniques recrutés par l’UKAEA et, en cette qualité mis à la disposition de l’entreprise commune pour participer à l’équipe du projet, contestaient la décision du directeur de l’entreprise commune JET, prise au nom de la Commission, refusant de les intégrer au personnel de la Commission au titre de la CEEA en qualité d’agents temporaires. Ils arguaient, notamment, par voie d’exception, de l’illégalité des statuts de l’entreprise commune du fait de la différence de traitement instaurée par les articles 8.4 et 8.5 des statuts.

15
La Cour a constaté que ces dispositions avaient « véritablement pour objet d’instituer une différence de traitement en fonction de l’organisation membre qui met[tait] l’agent en cause à la disposition de l’entreprise commune » (point 32). Cependant, la Cour a relevé que « le JET constitu[ait] une entreprise exclusivement consacrée à la recherche… dont la durée d’existence se trouv[ait] limitée dans le temps » (point 35) et noté la situation particulière de l’UKAEA qui, en tant qu’organisation hôte, assumait des responsabilités propres (points 36 et 37). Dans ces circonstances, la Cour a considéré « que la situation tout a fait spécifique dans laquelle se trouv[ait] l’UKAEA, organisation hôte, par rapport à JET et qui n’[était] comparable avec la situation d’aucune autre organisation membre de JET constitu[ait] une justification objective de la différence de traitement instituée par les articles 8.4 et 8.5 des statuts » (point 38).

16
Le Parlement européen a adopté, le 10 décembre 1991, une résolution législative portant avis, notamment, sur la proposition de décision du Conseil modifiant les statuts de l’entreprise commune JET et a exprimé dans ce cadre la crainte que les disparités de rémunération entre les chercheurs qui étaient au service de la Commission et ceux relevant des autorités nationales n’entraînent des tensions au sein du JET (JO 1992, C 13, p. 50).

17
Dans les affaires qui ont donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Altmann e.a./Commission (T-177/94 et T-377/94, Rec. p. II-2041), les requérants, de nationalité britannique, membres du personnel de l’UKAEA mis à la disposition du JET, contestaient les décisions de la Commission rejetant leurs demandes d’engagement en qualité d’agent temporaire de la Communauté. Ils invoquaient, notamment, des changements de circonstances survenus depuis le prononcé de l’arrêt Ainsworth e.a./Commission et Conseil, précité.

18
Le Tribunal a constaté, d’une part, ce qui suit : «[T]ous les membres du personnel composant l’équipe du projet se trouv[ai]ent dans une situation comparable, quelle que [fût] l’organisation membre qui les a[vait] mis à la disposition de l’entreprise commune. Tous travaill[ai]ent en effet exclusivement pour le projet, au sein d’une même équipe et sous l’autorité d’un même directeur. Ils [avaient] été recrutés par le biais des mêmes concours et [étaient] promus sur la base de leurs seuls mérites, sans qu’il [fût] tenu compte de leur employeur nominal.» (Point 81.) Le Tribunal a constaté, d’autre part, la persistance d’une différence de traitement au sein de l’équipe du projet du point de vue des rémunérations et des perspectives de carrière, résultant des dispositions des articles 8.4 et 8.5 des statuts de l’entreprise commune (points 82, 84 et 85).

19
Le Tribunal a ensuite relevé « qu’un certain nombre d’éléments nouveaux ou de modifications par rapport à la situation qui s’[était] présentée à la Cour en 1987 [étaient] intervenus » ; il « s’agi[ssai]t plus particulièrement: a) de l’allongement considérable de la durée de l’existence du JET ; b) du moindre rôle joué par l’UKAEA dans l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise commune ; c) de l’abandon des objections de l’UKAEA à ce que le personnel qu’elle affect[ait] au JET quitte son service pour celui de la Commission ; d) de la perturbation du fonctionnement de l’entreprise commune par suite du conflit social, et e) de l’incapacité du système de recrutement du JET à atteindre les objectifs en vue desquels il a[vait] été conçu » (point 96).

20
Le Tribunal a également jugé :

« Compte tenu de tous ces éléments, force est de conclure à la disparition de l’ensemble des circonstances de fait invoquées par la Cour à l’appui de sa conclusion selon laquelle la différence de traitement instituée par les statuts du JET était objectivement justifiée. Il convient, par ailleurs, de rappeler que la Cour n’a pas eu à se prononcer sur la différence de traitement liée aux perspectives de carrière et à la sécurité d’emploi, qui n’étaient pas en cause dans l’affaire Ainsworth. » (Point 117.)

21
S’agissant de la notion d’« autre personnel » figurant à l’article 8 des statuts, dans leur rédaction d’origine, le Tribunal a considéré que, « si aucune disposition des statuts n’interdi[sai]t expressément et de manière non équivoque le principe du recrutement comme ‘autre personnel’, au titre de l’article 8.5, de personnes qui, comme les requérants, se trouv[ai]ent déjà mises à la disposition du projet par l’UKAEA, il n’en demeur[ait] pas moins que l’économie générale des statuts et le libellé même de leurs dispositions conduis[ai]ent à la conclusion qu’un tel recrutement ne saurait être envisagé sans qu’il soit gravement porté atteinte au système de recrutement et de gestion du personnel mis en place par lesdits statuts » (point 136).

22
Le Tribunal a ajouté :

« Il y a en effet lieu d’interpréter la notion d’’autre personnel’, à l’article 8.5 des statuts, par référence à l’article 8.1, lequel dispose que l’équipe du projet est composée, d’une part, de personnel en provenance des membres du JET, conformément à l’article 8.3, et, d’autre part, d’’autre personnel’. L’opération par laquelle un membre de l’équipe du projet mis à disposition par l’UKAEA démissionnerait de celle-ci à seule fin de pouvoir être recruté par la Commission en tant qu’’autre personnel’ n’est pas prévue par ces dispositions. » (Point 137.)

23
Le Tribunal a considéré que « les articles 8.4 et 8.5 des statuts, tels qu’ils [étaient] libellés [dans la rédaction d’origine], ne [pouvaient] être interprétés comme autorisant le recrutement des requérants comme ‘autre personnel’, au sens de ces dispositions » (point 139), et a constaté « l’illégalité des articles 8.4 et 8.5 des statuts, de leurs dispositions complémentaires d’exécution et des règles administratives destinées à leur procurer effet, dans la mesure où ils établiss[ai]ent ou contribu[ai]ent au maintien d’une différence de traitement non objectivement justifiée, et par conséquent illégale, notamment quant aux perspectives d’accès à la fonction publique communautaire, entre deux catégories d’agents du JET, selon l’organisation membre qui met[tait] l’agent en cause à la disposition de l’entreprise commune » (point 141).

24
S’agissant des conclusions des requérants tendant à l’obtention d’une indemnisation en raison des pertes financières entraînées par la discrimination en cause, le Tribunal a considéré que la violation du principe d’égalité de traitement résultant des statuts n’était pas suffisamment caractérisée en l’espèce pour engager la responsabilité de la Communauté du fait des actes illégalement adoptés par le Conseil et mis en œuvre par la Commission (point 154).

25
À la suite de l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi, la décision 98/585/Euratom du Conseil, du 13 octobre 1998 (JO L 282 p. 65), entrée en vigueur le 21 octobre 1998, a modifié les statuts de l’entreprise commune et supprimé, en particulier, les références à la notion d’«autre personnel» qui y figuraient.

26
Aux termes du point 4 de l’annexe à la décision 98/585, les articles 8.1, 8.3, 8.4, 8.5 et 8.7 sont ainsi rédigés :

« 8.1. L’équipe du projet assiste le directeur du projet dans l’accomplissement de ses tâches. Ses effectifs sont déterminés dans le tableau des effectifs tel qu’il figure dans le budget annuel. Elle est composée de personnel en provenance des membres de l’entreprise commune conformément [à l’article] 8.3. »

« 8.3. Les membres de l’entreprise commune ayant un contrat d’association avec [la CEEA] ou des contrats à durée limitée dans le cadre du programme ‘fusion’ [de la CEEA] dans les États membres où il n’existe pas d’association (ci-après dénommés ‘organisations d’origine’) mettent à la disposition de l’entreprise commune du personnel qualifié dans les domaines scientifique, technique et administratif. »

« 8.4. Le personnel mis à disposition par les organisations d’origine sera détaché auprès de l’entreprise commune et :

a)
continuera à être employé par son organisation d’origine durant la période de détachement aux termes et conditions d’engagement définis par ces organisations ;

b)
aura droit, pendant la période de son détachement, à une indemnité comme spécifié dans le ‘régime applicable au détachement du personnel des organisations d’origine auprès de l’entreprise commune’, adopté par le conseil du JET en vertu [de l’article] 8.5. »

« 8.5. Le conseil du JET adopte les procédures détaillées de gestion du personnel (y compris le ‘régime applicable au détachement du personnel des organisations d’origine auprès de l’entreprise commune’). Il arrête les dispositions transitoires et prend les mesures nécessaires relatives à l’équipe du projet affectée à l’entreprise commune par la Commission et par l’organisation hôte avant le 21 octobre 1998. »

« 8.7.Toutes les dépenses de personnel, y compris le remboursement des dépenses relatives au personnel détaché, encourues par les organisations d’origine ainsi que les dépenses relatives au personnel affecté à l’entreprise commune par la Commission et l’organisation hôte avant l’entrée en vigueur des dispositions ci-dessus, sont à la charge de l’entreprise commune. »


Antécédents du litige et procédure

27
Les treize requérants, de nationalité britannique, ont travaillé dans le cadre du projet JET, pour huit d’entre eux durant une période de dix ans ou plus, occupant des emplois d’ingénieur, de technicien ou de dessinateur. Les intéressés, qui ont tous été engagés, en vertu d’un premier contrat annuel, avant la modification des statuts intervenue au mois d’octobre 1998, n’avaient aucun lien contractuel avec l’UKAEA ou la Commission, mais étaient employés et rémunérés par des sociétés tierces, contractuellement liées à l’entreprise commune JET. Leurs engagements, dont l’objet était de les mettre à la disposition de l’entreprise commune JET, ont, en tout état de cause, pris fin à la date d’expiration du projet, le 31 décembre 1999.

28
L’entreprise commune JET concluait des contrats avec des sociétés prestataires de main-d’œuvre pour la fourniture des services d’une personne ou d’un groupe de personnes possédant des qualifications ou des compétences techniques particulières. Les contrats de groupe permettaient la mise à la disposition de l’entreprise commune JET d’ensembles de travailleurs, tels ceux affectés au MAC [main assembly contract (contrat portant sur les gros éléments)], au MEC [main electrical contract (contrat principal pour l’électricité)], au bureau de dessin ou au service de programmation informatique, ainsi que des personnes travaillant au local du courrier, des standardistes ou des techniciens d’atelier. L’entreprise commune JET concluait par ailleurs avec d’autres entreprises des contrats portant sur la fourniture de services, tels que l’entretien et le nettoyage des bâtiments.

29
La plupart des contrats conclus par l’entreprise commune JET avec des sociétés prestataires de main-d’œuvre donnaient lieu à des appels à la concurrence de la part de l’entreprise commune, généralement publiés tous les trois ans. La direction du JET procédait à une audition des candidats proposés par les sociétés soumissionnaires avant de donner, ou non, son accord à la sélection faite par la société lauréate des personnes à recruter par celle-ci pour exercer leur activité au sein de l’entreprise commune. Tous les contrats de fourniture de personnel étaient conclus par l’entreprise commune JET pour une durée d’un an et pouvaient être reconduits, toujours sur une base annuelle. Ils pouvaient, à l’inverse, être rompus à tout moment.

30
Chacun des requérants a adressé à la Commission une lettre présentée à titre principal sur le fondement de l’article 90 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »), entre le 14 novembre 2000 et le 3 mai 2001. Les requérants mentionnaient l’article 188 CEEA comme fondement alternatif de leur démarche. Ils demandaient à la Commission de prendre une décision concernant leur demande d’indemnité visant à voir réparer le manquement commis par l’entreprise commune JET en ne les recrutant pas, en méconnaissance de ses statuts, comme agents temporaires des Communautés.

31
Aucune réponse n’ayant été faite à cette demande dans le délai de quatre mois, chacun des requérants a saisi la Commission d’une réclamation, adressée entre le 4 et le 27 septembre 2001, en application de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision implicite de rejet dont sa demande avait fait l’objet.

32
La Commission a rejeté les réclamations des requérants par décision du 22 janvier 2002.

33
Les requérants ont introduit le présent recours par requête déposée le 7 mai 2002.

34
Par ordonnance du président du Tribunal du 10 septembre 2002, le Conseil a été admis à intervenir dans la présente affaire au soutien de la Commission.

35
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 8 mai 2003.

36
Par ordonnance du 21 juillet 2003, le président de la première chambre du Tribunal a rouvert la procédure orale afin de permettre aux parties de préciser leurs positions concernant le cadre juridique applicable au présent litige et les conséquences qu’il convenait d’en tirer. Les parties se sont exprimées sur ce point lors d’une nouvelle audience, tenue le 23 septembre 2003.


Conclusions des parties

37
Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

déclarer que la Commission, en omettant de nommer les requérants à des postes communautaires, a commis une illégalité en violation des articles 8.1 et 8.5 des statuts du JET ;

déclarer que la Commission, en omettant de nommer les requérants à des postes communautaires, a commis un acte illégal car discriminatoire et sans aucune justification objective ;

déclarer, dans la mesure où cela s’avérerait nécessaire, que tout amendement aux statuts du JET destiné à rendre légal un traitement qui était illégal était lui-même illégal ;

annuler la décision de la Commission du 22 janvier 2001 ;

condamner la Commission à indemniser les requérants pour les pertes de revenus du travail et d’autres bénéfices entraînées par les violations susmentionnées ;

ordonner toute autre mesure que le Tribunal considérera comme juste et équitable ;

condamner la Commission aux dépens.

38
La Commission, soutenue par le Conseil, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

statuer sur les dépens comme de droit.


Sur la nature du litige

39
Les requérants cherchent en substance à obtenir réparation du préjudice matériel qu’ils auraient subi en raison du fait qu’ils n’ont pas été recrutés par la Commission dans le cadre de contrats d’agent temporaire. Leurs conclusions, telles qu’exposées au point 37 ci-dessus, tendant, notamment, à l’annulation de la décision du 22 janvier 2002 rejetant la réclamation que chacun d’entre eux avait adressée à la Commission à la suite du rejet implicite de sa demande d’indemnisation, selon la procédure décrite aux points 30 et 31 ci-dessus, ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation avait été présentée (arrêt de la Cour du 14 février 1989, Bossi/Commission, 346/87, Rec. p. 303, point 10), à savoir, en l’espèce, le rejet implicite de leur demande d’indemnisation. Ces chefs de conclusions doivent être considérés comme indissociables de la demande, en réalité unique et purement indemnitaire, qui fait l’objet du recours et qui est fondée sur l’illégalité fautive qu’aurait commise la Commission en s’abstenant d’engager les intéressés dans le cadre de tels contrats, en violation de ce qu’auraient prévu les statuts du JET. En l’absence de toute relation contractuelle entre les requérants et la Commission, l’action met en cause la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

40
Dans les circonstances particulières de l’espèce, il y a lieu de déterminer d’office, s’agissant d’une question d’ordre public, si le litige doit être rattaché soit au contentieux général de la responsabilité non contractuelle, visé à l’article 151 CEEA et à l’article 188, paragraphe 2, CEEA, soit à celui relatif aux rapports entre la Communauté et ses agents, visé à l’article 152 CEEA. Le Tribunal a, au demeurant, entendu les parties sur cette question au cours de l’audience organisée à cet effet le 23 septembre 2003.

41
Il convient d’analyser la requête comme faisant partie des litiges opposant la Communauté à ses agents, et ce pour des motifs de trois ordres.

42
En premier lieu, l’appréciation du bien-fondé du recours dépend de l’interprétation des statuts du JET, dont les requérants prétendent qu’ils leur donnaient droit à être recrutés comme agents temporaires. De plus, l’indemnisation demandée par chaque requérant équivaut à la différence entre ce qu’il aurait touché s’il avait travaillé au sein de l’entreprise commune comme agent temporaire et ce qu’il a perçu de l’employeur qui le mettait à la disposition du JET. Or, dans des situations, comme celle de l’espèce, dans lesquelles les droits en cause sont des droits statutaires, les problèmes juridiques à résoudre sont analogues à ceux qui se présentent dans le cas où les requérants revendiquent la qualité de fonctionnaire ou d’agent et où la Cour et le Tribunal examinent les litiges dans le cadre du contentieux de la fonction publique (arrêts de la Cour du 11 mars 1975, Porrini e.a./CEEA e.a., 65/74, Rec. p. 319, points 3 à 13, et du Tribunal du 12 mai 1998, O’Casey/Commission, T-184/94, RecFP p. I-A-183 et II-565, points 56 à 62).

43
En deuxième lieu, la notion de litige entre la Communauté et ses agents est entendue par la jurisprudence de façon extensive, ce qui conduit à examiner dans ce cadre les litiges concernant des personnes qui n’ont ni la qualité de fonctionnaire ni celle d’agent mais y prétendent (arrêts de la Cour du 5 avril 1979, Bellintani e.a./Commission, 116/78, Rec. p. 1585, point 6 ; du 11 juillet 1985, Salerno e.a./Commission et Conseil, 87/77, 130/77, 22/83, 9/84 et 10/84, Rec. p. 2523, points 24 et 25, et du 13 juillet 1989, Alexis e.a./Commission, 286/83, Rec. p. 2445, point 9). Il en va ainsi, en particulier, des candidats aux concours (arrêt de la Cour du 31 mars 1965, Vandevyvere/Parlement, 23/64, Rec. p. 205, 214). La Commission fait valoir, de façon pertinente, qu’une conception trop restrictive des litiges entre la Communauté et ses agents serait facteur d’insécurité juridique en plaçant des requérants éventuels en situation d’incertitude sur la voie contentieuse à retenir ou en leur ouvrant un choix artificiel.

44
C’est, au demeurant, dans ce cadre statutaire que les affaires ayant donné lieu aux arrêts Ainsworth e.a./Commission et Conseil, précité (points 10 à 13), et Altmann e.a./Commission, précité (points 44 et 45), qui concernaient des personnels du JET qui n’avaient ni la qualité de fonctionnaire ni celle d’agent des Communautés, ont été examinées.

45
Certes, en l’espèce, les requérants revendiquent seulement a posteriori le bénéfice d’avantages financiers tirés de dispositions statutaires qui, selon eux, auraient dû leur être appliquées dans le passé et qui ne sont plus en vigueur. En outre, si les requérants font valoir qu’une partie de leur préjudice consisterait en des pertes financières liées à des perspectives d’engagement ultérieur comme agent temporaire, après l’expiration du projet JET, ces conclusions ne s’accompagnent pas d’une demande, actuelle ou future, de recrutement en qualité d’agent temporaire de la Communauté.

46
Force est cependant de constater que le litige n’aurait pas d’objet et qu’un contentieux ne serait pas né sans référence au régime applicable aux agents temporaires recrutés par les Communautés, dans le cadre duquel étaient placés les personnels de l’équipe du projet mis à disposition par les membres de l’entreprise commune. Il serait donc artificiel de considérer que ne relève pas du contentieux de la fonction publique la question de savoir si la notion statutaire d’équipe du projet aurait dû s’appliquer aux requérants lorsqu’ils travaillaient pour l’entreprise commune JET.

47
En troisième lieu, enfin, les parties se sont elles-mêmes placées dans le cadre d’un contentieux statutaire, même si l’alternative d’un examen dans le cadre de la responsabilité non contractuelle a également été envisagée lorsque les requérants ont présenté leur demande d’indemnisation, ainsi qu’il a été indiqué au point 30 ci-dessus. Lors de l’audience du 23 septembre 2003, les requérants ont indiqué que, ayant eu connaissance de ce que la Commission avait analysé les demandes des requérants dans l’affaire T-45/01 dans le cadre du statut, ils s’étaient placés dans le même cadre au stade de leur demande d’indemnisation. Ils ont confirmé que, de leur point de vue, le litige s’inscrivait dans le champ de l’article 152 CEEA. La Commission et le Conseil ont souligné que le litige et la faute reprochée trouvaient leur fondement dans des dispositions statutaires.

48
Les raisons ci-dessus exposées justifient d’analyser la requête comme relevant des litiges opposant la Communauté à ses agents. Cette conclusion n’est pas affectée par les circonstances de l’espèce, qui présentent, certes, comme les parties en conviennent, un caractère inédit à plusieurs égards.

49
En premier lieu, les requérants ne sont pas, comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Ainsworth e.a./Commission et Conseil et Altmann e.a./Commission, précités, des personnels de l’UKAEA mis à la disposition de l’entreprise commune et visés, à ce titre, par l’article 8 des statuts du JET.

50
En deuxième lieu, ils ne revendiquent pas, et n’ont jamais revendiqué, la qualité d’agent temporaire. À la différence des affaires ayant donné lieu aux arrêts Ainsworth e.a./Commission et Conseil et Altmann e.a./Commission, précités, ou de l’affaire, citée par la défense, ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 10 mai 2000, Simon/Commission (T‑177/97, RecFP p. I‑A‑75 et II-319), confirmé sur pourvoi par l’arrêt de la Cour du 27 juin 2002, Simon/Commission (C‑274/00 P, Rec. p. I-5999), les requérants n’ont jamais demandé à la Commission ou à la direction du JET de les recruter comme agents temporaires au cours de leur période d’activité au service de l’entreprise commune.

51
En troisième lieu, l’objet du présent recours est une demande purement indemnitaire, comme il a été dit au point 39 ci-dessus, qui a été présentée alors que le projet JET arrivait à son terme ou peu après son expiration.

52
Nonobstant ces circonstances particulières, il convient d’examiner le litige dans le cadre du contentieux relatif aux litiges entre la Communauté et ses agents, visé à l’article 152 CEEA, et, par conséquent, au regard des dispositions qui y correspondent, notamment en matière de procédure et de délais.


Sur la recevabilité

Arguments des parties

53
Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité, la Commission, soutenue par le Conseil, fait valoir que la recevabilité de la demande en indemnité est contestable en raison du retard mis par les intéressés à engager une procédure. Elle fait observer, d’une part, que les requérants auraient pu, dès le début du fonctionnement de l’entreprise commune JET, en 1978, soulever la question des conditions de recrutement dont ils se plaignent aujourd’hui et qu’ils ont agi librement et en connaissance de cause en signant un contrat avec leur employeur. Elle estime, d’autre part, que le Tribunal ayant constaté qu’un changement de circonstances était survenu dans l’évolution du projet JET dans l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, les requérants auraient dû agir dans un délai raisonnable à compter de la lecture de cet arrêt. La Commission considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce et dans la mesure où l’article 90 du statut ne fixe pas de délai pour introduire une demande, le délai raisonnable ne pourrait excéder deux ans.

54
Les requérants font valoir que, l’article 90 du statut ne fixant pas de délai pour l’introduction d’une demande, aucune prescription ne peut leur être opposée en considération du moment où ils ont adressé leur demande d’indemnisation à la Commission. Ils soutiennent qu’exiger le respect d’un délai raisonnable, non prévu par les textes, méconnaîtrait les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité et qu’opposer un tel délai, lorsqu’une action est introduite, constituerait une violation du droit à un procès impartial consacré par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Appréciation du Tribunal

55
Le litige s’inscrivant dans le cadre de l’article 152 CEEA, comme cela a été dit au point 52 ci-dessus, les règles de recevabilité du présent recours sont fixées par les articles 90 et 91 du statut exclusivement et sont en dehors du champ d’application tant des articles 151 CEEA et 188 CEEA (articles 235 CE et 288 CE) que de l’article 43 (devenu article 46) du statut de la Cour (arrêt de la Cour du 22 octobre 1975, Meyer-Burckhardt/Commission, 9/75, Rec. p. 1171, points 7, 10 et 11).

56
Il est constant que les requérants ont suivi la procédure prévue par les dispositions du statut rappelées ci-dessus. Or, l’article 90, paragraphe 1, du statut ne fixe aucun délai pour l’introduction d’une demande (arrêt de la Cour du 21 mai 1981, Reinarz/Commission, 29/80, Rec. p. 1311, point 12), ce dont convient la défenderesse.

Obligation de respecter un délai raisonnable

57
Le respect d’un délai raisonnable est requis dans tous les cas où, dans le silence des textes, les principes de sécurité juridique ou de protection de la confiance légitime font obstacle à ce que les institutions communautaires et les personnes physiques ou morales agissent sans aucune limite de temps, risquant ainsi, notamment, de mettre en péril la stabilité de situations juridiques acquises. Dans les actions en responsabilité susceptibles d’aboutir à une charge pécuniaire pour la Communauté, le respect d’un dᄅlai raisonnable pour présenter une demande d’indemnisation s’inspire aussi d’un souci de protection des finances publiques qui trouve une expression particulière, pour les actions en matière de responsabilité non contractuelle, dans le délai de prescription de cinq ans fixé par l’article 46 du statut de la Cour.

58
Pour les institutions communautaires, le respect d’un délai raisonnable constitue un aspect du principe de bonne administration (arrêt de la Cour du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C-282/95 P, Rec. p. I-1503) et procède de l’exigence fondamentale de sécurité juridique (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Geigy/Commission, 52/69, Rec. p. 787, points 20 et 21).

59
S’agissant des personnes physiques ou morales, la Cour a jugé, dans le cas d’un recours indemnitaire, que la personne lésée, au risque de devoir supporter le dommage elle-même, doit faire preuve d’une diligence raisonnable pour limiter la portée du préjudice (arrêt de la Cour du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, point 33).

60
Le fonctionnaire ou l’agent est tenu de respecter un délai raisonnable pour présenter une demande à l’institution communautaire à compter du moment où il prend connaissance d’un acte ou d’un fait nouveau substantiel (voir, s’agissant de la remise en cause des conditions de recrutement, arrêt de la Cour du 1er décembre 1983, Blomefield/Commission, 190/82, Rec. p. 3981, points 10 et 11, et ordonnances du Tribunal du 25 mars 1998, Koopman/Commission, T‑202/97, RecFP p. I-A-163 et II-511, point 24, et du 29 avril 2002, Jung/Commission, T‑68/98, RecFP p. I‑A‑55 et II‑251, point 41).

61
Cette exigence trouve de même à s’appliquer, par analogie, à une demande de décision émanant de personnes qui ne sont ni fonctionnaires ni agents, mais qui s’adressent à l’institution communautaire et sollicitent une prise de position de sa part.

62
Le respect d’un délai raisonnable imposé aux particuliers pour présenter une demande en réparation d’un dommage causé par la Communauté dans le cadre de ses relations avec ses agents sert en particulier, dans ce cadre, l’objectif, lié à la sécurité juridique, d’éviter d’exposer le budget communautaire à des dépenses attachées à un fait générateur trop éloigné dans le temps.

63
Il en est en tout cas ainsi lorsque, comme en l’espèce, l’action introduite a un objet exclusivement pécuniaire et ne saurait avoir pour conséquence une modification des rapports juridiques entre l’institution communautaire concernée et les requérants ou entre cette institution et ses agents.

64
En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’exigence du respect d’un délai raisonnable, loin de porter atteinte au principe de sécurité juridique, est de nature à garantir la sécurité des relations juridiques. Elle n’affecte pas non plus le principe de non-rétroactivité, la rétroactivité étant au demeurant admissible en dehors du domaine pénal (arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I-4023, point 45). De plus, le droit des justiciables à un procès impartial, tel qu’il est reconnu par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne s’oppose pas à ce que la juridiction saisie tire les conséquences, même en l’absence de règles expresses de forclusion, de ce que l’action a été introduite dans un délai manifestement excessif.

65
Il résulte de ce qui précède que le respect d’un délai raisonnable, qui procède des principes généraux du droit communautaire, en particulier du principe de sécurité juridique, s’imposait, en l’espèce, à la demande des requérants tendant à obtenir de la Communauté une indemnisation à raison d’un dommage qui serait imputable à celle-ci.

Durée du délai raisonnable

66
La période au cours de laquelle les intéressés auraient dû saisir l’institution communautaire de leurs demandes indemnitaires pour que celles-ci puissent être considérées comme présentées dans un délai raisonnable à compter du moment où ils ont eu connaissance de la situation dont ils se plaignent doit être appréciée au regard des circonstances de droit et de fait caractérisant cette situation. Le caractère raisonnable d’un délai doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence (arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I-8375, point 187).

67
Force est de constater que, parmi les diverses hypothèses dans lesquelles la jurisprudence exige le respect d’un délai raisonnable, aucune n’est comparable aux circonstances du présent litige et ne peut servir de base à un raisonnement par analogie quant à la durée du délai.

68
En revanche, un point de comparaison peut être tiré du délai de prescription de cinq ans prévu à l’article 46 du statut de la Cour en matière d’action en responsabilité non contractuelle, rappelé au point 57 ci-dessus, bien que ce délai ne trouve pas à s’appliquer dans les litiges entre la Communauté et ses agents (arrêt Meyer-Burckardt/Commission, précité, points 7, 10 et 11). Cette disposition permet d’opposer à toute personne demandant réparation d’un dommage à la Communauté le respect d’un délai de nature à garantir la sécurité juridique et déterminé dans l’intérêt de tous. En effet, elle permet à la fois à l’intéressé de disposer d’une période suffisamment longue, à compter de la survenance du fait dommageable, pour faire valoir ses prétentions auprès de l’institution communautaire, et à la Communauté de protéger les finances communautaires contre des demandes dont les auteurs auraient montré un comportement trop peu diligent.

69
Cette référence est pertinente pour la présente affaire dès lors que, si le litige se concluait, en faveur des requérants, par une reconnaissance de la responsabilité de la Communauté et la condamnation de celle-ci à les dédommager, les effets de l’arrêt concerneraient, principalement sinon exclusivement, les finances communautaires.

70
En effet, les requérants n’ont jamais eu aucun lien juridique direct avec l’entreprise commune JET et la Commission, et l’entreprise commune a, en tout état de cause, cessé d’exister le 31 décembre 1999. Le temps qu’ont mis les requérants à exercer leur action, purement indemnitaire dans son objet, ne saurait donc, par exemple, ni préjudicier à des situations juridiques acquises au bénéfice de tiers, ni remettre en cause la stabilité des conditions juridiques dans lesquelles agissent les institutions communautaires. La sécurité juridique que l’exigence d’un délai raisonnable vise en l’espèce à protéger est par conséquent essentiellement celle dont doivent bénéficier les finances communautaires.

71
Dans ces conditions, et compte tenu du point de comparaison offert par le délai de prescription de cinq ans prévu en matière d’action en responsabilité non contractuelle par l’article 46 du statut de la Cour et de l’absence d’autre référence comme de toute raison pertinente d’écarter ce point de comparaison, il y a lieu de considérer, par analogie, que les intéressés, dès lors qu’ils estimaient faire l’objet d’un traitement discriminatoire illégal, auraient dû adresser une demande à l’institution communautaire tendant à ce qu’elle prenne les mesures propres à réparer cette situation et à y mettre fin dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder cinq ans à compter du moment où ils ont eu connaissance de la situation dont ils se plaignent.

Point de départ du délai raisonnable

72
En l’absence d’acte, de caractère unilatéral ou contractuel, régissant les relations entre l’institution communautaire et chacun des requérants, il convient de rechercher quelle circonstance a mis en évidence la situation prétendument discriminatoire dans laquelle chacun se serait trouvé au regard des autres personnels travaillant au sein de l’équipe du projet JET. Cette circonstance pourra alors être qualifiée de fait nouveau substantiel à compter de la connaissance duquel l’intéressé était tenu de respecter un délai raisonnable pour adresser une demande à la Commission.

73
Il ressort du dossier et de la présentation faite aux points 28 et 29 ci-dessus des conditions d’engagement au JET des personnels contractuels tels que les requérants que des contrats annuels reconductibles étaient conclus entre la direction du JET et les entreprises tierces prestataires de main‑d’œuvre pour la mise à disposition d’un ou de plusieurs travailleurs. Certes, les requérants n’étaient pas partie aux contrats, individuels ou collectifs, ainsi conclus, ceux-ci stipulant que leur employeur était l’entreprise cocontractante du JET (articles 3 et 4 du contrat type individuel, articles 5 et 8 du contrat type collectif). Toutefois, chaque travailleur signait une annexe au contrat qui indiquait ses obligations et ses responsabilités dans le cadre de sa mise à la disposition du JET et, notamment, sa prise de connaissance des stipulations contractuelles liant son employeur et le JET et sa soumission à celles-ci.

74
Ainsi, les contrats, individuels ou collectifs, susmentionnés déterminaient de façon précise et non ambiguë la situation des requérants au regard du JET comme personnels salariés d’entreprises tierces cocontractantes du JET, mis à la disposition de l’entreprise commune par leurs employeurs, c’est-à-dire des conditions d’emploi distinctes de celles des personnels mis à la disposition de l’entreprise commune par l’UKAEA ou par les autres membres de l’entreprise commune avec lesquels ils étaient amenés à travailler.

75
Il ressort des contrats types, individuels ou collectifs, conclus entre le JET et les entreprises tierces et produits au dossier, que ceux-ci étaient conclus pour une durée maximale d’un an, renouvelables mais susceptibles d’être interrompus à tout moment, sous préavis d’un mois (article 2 du contrat type individuel, articles 4 et 5.7 du contrat type collectif). La Commission a expliqué que cette limitation temporelle était liée au principe de l’annualité budgétaire applicable au JET, ajoutant que « lorsque les services des personnes concernées étaient requis pour plus d’un an, les contrats conclus avec les entreprises étaient reconduits à chaque fois pour une nouvelle période d’un an ». En outre, selon les stipulations des contrats types, le renouvellement des contrats ne pouvait intervenir qu’à l’initiative de l’entreprise commune et non des entreprises tierces, encore moins de leurs employés. L’article 2 du contrat type individuel et l’article 4 du contrat type collectif stipulent, de façon identique : « L’entreprise commune, à sa convenance, se réserve le droit de prolonger le contrat pour une période ultérieure de douze mois. » La reconduction tacite des contrats n’a pas été prévue.

76
Les requérants, qui étaient rétribués sur une base horaire, ont souligné l’absence de sécurité de leurs conditions d’emploi. La Commission a précisé que, à la fin de chaque semaine, le travailleur concerné et le « responsible officer » (administrateur responsable) du JET devaient signer un décompte horaire qui était ensuite envoyé à l’entreprise prestataire des services en vue d’établir leur rémunération.

77
Il ressort en outre des extraits des rapports d’activités du JET produits au dossier que l’engagement des personnels contractuels tels que les requérants, sur une base réexaminée chaque année, constituait un élément caractéristique de la politique de gestion du personnel décidée et mise en œuvre par l’entreprise commune.

78
La Commission soutient que le statut des requérants n’était pas aussi précaire qu’ils le prétendent et qu’ils se sentaient assurés de rester travailler au JET jusqu’au terme du programme, ce que démontrerait la pétition qu’ils ont adressée, le 10 mars 1997, au conseil du JET en vue d’obtenir des primes spéciales à la fin du projet.

79
Toutefois, la circonstance que les contrats annuels conclus par la direction de l’entreprise commune étaient généralement renouvelés et que 62 des 119 auteurs de la pétition comptaient entre 10 ans et plus de 20 ans de service au JET n’affecte pas juridiquement le caractère précaire de la situation d’emploi des requérants dont la prorogation, qui était réexaminée chaque année et devait être expresse, restait à la discrétion du JET.

80
Ainsi, la précarité des conditions d’engagement et d’emploi des requérants résultant de l’annualité de contrats dont l’interruption pouvait survenir à tout moment et dont le renouvellement, incertain, était subordonné à la seule décision expresse de l’entreprise commune ne permet pas de considérer que les intéressés auraient acquis une connaissance permanente et continue de leur situation dès leur première mise à disposition du JET, pour une durée nominale d’un an.

81
Cette spécificité de la situation des requérants, différente de celle envisagée par le Tribunal dans l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, fait obstacle à ce que la date du prononcé de cet arrêt soit retenue, ainsi que le suggère la Commission, comme une circonstance à compter de laquelle les intéressés pouvaient être considérés comme suffisamment informés de ladite situation.

82
Dans les circonstances de l’espèce, c’est la conclusion de chaque contrat annuel, initial ou de renouvellement, qui marque le point de départ de la prise de connaissance de la situation critiquée et représente un fait nouveau substantiel à compter duquel les requérants prenaient connaissance de la situation potentiellement illégale dans laquelle ils auraient été placés faute de s’être vu proposer par la Commission un contrat d’agent temporaire.

83
Il résulte de ce qui précède que les demandes indemnitaires présentées au titre de l’article 90 du statut, adressées entre le 14 novembre 2000 et le 3 mai 2001 comme il a été dit au point 30 ci-dessus, ont été formulées dans un délai raisonnable au regard des contrats qui ont été conclus ou reconduits cinq ans au plus avant cette demande, soit, selon les cas, après une date comprise entre le 14 novembre 1995 et le 5 mai 1996.

84
Le recours, introduit conformément à la procédure prescrite par les articles 90 et 91 du statut, n’est donc recevable qu’en tant que les conclusions indemnitaires qu’il comporte portent sur une période commençant à la date de conclusion ou de reconduction du plus ancien contrat portant sur l’emploi de l’intéressé qui a été conclu ou reconduit cinq ans au plus avant la présentation par chacun des requérants de sa demande d’indemnisation.


Sur la responsabilité

En ce qui concerne l’illégalité alléguée

Arguments des parties

85
À titre principal, les requérants font valoir que le fait de ne pas les avoir recrutés sur des postes d’agent temporaire de la Commission était illégal pour des raisons de deux ordres. D’une part, cette situation aurait été contraire aux statuts du JET, dans la mesure où les requérants auraient relevé de l’« autre personnel » mentionné aux articles 8.1 et 8.5 des statuts du JET et auraient dû se voir proposer des contrats d’agent temporaire, comme le prévoyait l’article 8.5 desdits statuts. D’autre part, les requérants auraient fait l’objet d’un traitement discriminatoire par comparaison avec celui dont auraient bénéficié les personnes employées par la Commission et remplissant des fonctions semblables aux leurs au sein de l’équipe du projet.

86
Du point de vue factuel, les requérants soutiennent qu’ils faisaient partie de l’équipe du projet, leurs emplois et leurs tâches respectifs, leurs aptitudes, compétences et qualifications étant comparables à ceux des membres de l’équipe du projet. Les requérants auraient exercé leurs activités dans des conditions identiques à celles dans lesquelles travaillaient les membres de l’équipe du projet, sous l’autorité d’employés de la Commission et du directeur du JET. Ils auraient occupé des fonctions dont les titres, les responsabilités et les devoirs étaient identiques à ceux afférents aux fonctions relevant de la structure de l’équipe du projet. Les requérants estiment que leurs conditions particulières de sélection et de recrutement, liées au traitement discriminatoire illégal dont ils étaient victimes, ne peuvent leur être opposées, alors qu’ils n’avaient pas de possibilité, dans la pratique, d’accéder à des emplois relevant de la CEEA.

87
D’un point de vue statutaire, les requérants considèrent que, même s’ils n’avaient pas de lien juridique avec l’entreprise commune JET, étant seulement mis à sa disposition par des sociétés tierces, ils faisaient partie de l’équipe du projet et auraient dû y être recrutés comme « autre personnel » au sens des statuts du JET. Ils font valoir que le Tribunal a constaté dans l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, que « [l]’équipe du projet compren[ait] également du personnel sous contrat fourni par des sociétés extérieures » (point 24).

88
La Commission ne saurait arguer, selon les requérants, d’un statut (celui de personnel contractuel extérieur) dont elle a été l’instigatrice sans méconnaître les principes de bonne foi et de sécurité juridique et la doctrine de l’« estoppel ». Elle ne saurait davantage leur opposer les circonstances de l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 27 juin 2002, Simon/Commission, précité, puisque ceux-ci ne soutiennent pas que la Commission aurait été leur employeur réel et ne demandent pas non plus la reconnaissance a posteriori du statut d’agents temporaires.

89
À titre subsidiaire, les requérants excipent de l’illégalité de la modification des statuts du JET adoptée par la décision 98/585 dans la mesure où elle aurait eu pour objet de supprimer la possibilité d’engager un « autre personnel » en tant qu’agent temporaire de la Commission.

90
La Commission soutient que les requérants, qui n’avaient aucun lien juridique avec l’entreprise commune JET, n’étant employés ni par l’UKAEA ni par la Commission, ne sauraient faire valoir a posteriori qu’ils étaient en droit d’être traités comme s’ils avaient été employés par une institution communautaire et ne peuvent juridiquement revendiquer une nomination en tant qu’agent temporaire au titre de la CEEA ex post factum (arrêt du 10 mai 2000, Simon/Commission, précité, confirmé sur pourvoi par arrêt du 27 juin 2002, Simon/Commission, précité). La Commission souligne que cette différence juridique majeure fait obstacle aux revendications et prétentions des requérants. Elle soutient que la notion d’« autre personnel », membres de l’équipe du projet, figurant à l’article 8 des statuts originaires, ne concerne pas les requérants. L’« autre personnel » au sens des articles 8.1 et 8.5 des statuts serait distinct des autres catégories de personnel qui ne relèvent pas de l’équipe du projet et qui incluent, notamment, les personnels sous contrat comme les requérants.

91
La Commission fait valoir que les requérants faisaient partie du personnel contractuel auquel l’entreprise commune JET, comme toute entreprise importante et complexe, a toujours eu recours, d’autant plus que ses statuts ne lui permettaient pas de recruter elle-même son propre personnel. Elle ajoute qu’il s’agit d’un procédé normal et usuel dans une telle entreprise. Le silence des statuts du JET sur ce point n’empêchait pas, selon elle, l’entreprise commune d’avoir recours à de tels modes de recrutement. La Cour de justice aurait d’ailleurs reconnu aux institutions communautaires le pouvoir de conclure de tels contrats (arrêt de la Cour du 6 décembre 1989, Mulfinger e.a./Commission, C-249/87, Rec. p. 4127). Ainsi, poursuit-elle, les requérants, qu’ils fassent partie de groupes ou soient recrutés à titre particulier, demeuraient dans tous les cas des salariés d’entreprises tierces fournissant des services à l’entreprise commune JET ou de contractants fournissant des services à ces entreprises ; ils relevaient donc, selon la Commission, de la législation de l’Angleterre et du pays de Galles.

92
La Commission soutient que les requérants n’ont jamais fait partie de l’équipe du projet ni été considérés comme tels. Le fait que certains d’entre eux aient pu posséder des qualifications qui leur auraient permis de faire partie de l’équipe du projet serait sans incidence sur leur situation en droit. Elle ajoute que les requérants, dont six travaillaient au bureau de dessin, ne produisent aucune preuve démontrant qu’ils auraient exercé des fonctions comparables à celles de membres de l’équipe du projet. Les informations ou les mentions portées dans différents documents émanant de l’entreprise commune JET seraient sans incidence sur la situation juridique des intéressés, de même que la qualité d’administrateur responsable de l’entreprise commune JET détenue par certains d’entre eux, qui ne leur conférait pas, selon la Commission, le statut de membre de l’équipe du projet.

93
La Commission fait, en outre, valoir que les requérants n’ont jamais postulé ni suivi les procédures de sélection pour devenir membres de l’équipe du projet, qu’ils n’ont pas davantage fait acte de candidature lorsque des postes étaient déclarés vacants en son sein. Elle souligne, à cet égard, que la direction du JET n’a jamais empêché une telle évolution professionnelle et s’est au contraire félicitée des cas où des personnes sous contrat ont réussi les épreuves de sélection et intégré l’équipe du projet.

94
La Commission ajoute que, dans l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, le Tribunal a également fait une distinction entre l’« autre personnel » visé par les statuts et d’autres catégories de personnels travaillant sur le site de l’entreprise commune JET. La suppression de la notion d’« autre personnel » à l’article 8 des statuts, à la suite de l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, aurait eu pour objet de corriger l’inégalité de traitement au sein de l’équipe du projet que le Tribunal avait censurée. Le personnel contractuel, qui restait extérieur à cette équipe, n’aurait par conséquent pas été visé par cette modification. La Commission précise que la possibilité de recruter un « autre personnel » n’a jamais été appliquée. Elle ajoute que les requérants n’ont jamais soulevé la question de leur droit supposé à être considérés comme membres de l’équipe du projet en tant qu’ « autre personnel ».

95
La Commission fait valoir qu’elle n’a pas commis de faute susceptible d’engager sa responsabilité et que les requérants n’ont fait l’objet d’aucune discrimination, ni en droit ni en fait, puisqu’ils n’étaient pas, juridiquement, membres de l’équipe du projet, et ne démontrent pas qu’ils étaient dans une position comparable à celle des membres de l’équipe.

96
Le Conseil indique, pour sa part, qu’il doute que sa décision 98/585, par laquelle il a modifié les statuts de l’entreprise commune et dont l’illégalité est soulevée, soit applicable en l’espèce. Il fait valoir que les modifications des statuts étaient légales et valides et n’avaient en tout état de cause pas de lien avec les faits de l’espèce, étant donné que tous les requérants ont commencé à travailler dans le cadre du projet JET avant l’entrée en vigueur de la décision 98/585.

97
Le Conseil soutient qu’il lui appartient, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, de décider des modalités de recrutement du personnel de l’équipe du projet JET et qu’il n’avait aucune obligation légale de maintenir la notion d’« autre personnel ». Il indique qu’il n’était pas tenu de prévoir que d’autres personnes que celles provenant des organisations d’origine soient recrutées en tant qu’« autre personnel », ni de traiter spécifiquement le cas du personnel engagé sur la base de contrats de services.

98
Le Conseil souligne que les requérants, qui n’ont pas été mis à la disposition de l’entreprise commune JET, ni par l’UKAEA, ni par d’autres membres de l’entreprise commune, mais qui travaillaient sur le site sur la base de contrats de services conclus avec des tiers, ne relèvent pas de la catégorie de personnel qui, selon l’arrêt Altmann e.a/Commission, précité, faisait l’objet d’une discrimination. Il ajoute que la suppression de cette mention n’a créé aucune discrimination et qu’aucun recrutement n’a été effectué postérieurement à la modification des statuts.

Appréciation du Tribunal

99
En matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté et, notamment, dans les litiges relevant, comme en l’espèce, des relations entre la Communauté et ses agents, un droit à réparation n’est reconnu par le droit communautaire que si trois conditions sont réunies, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 14 mai 1998, Conseil/de Nil et Impens, C-259/96 P, Rec. p. I-2915, point 23).

100
L’appréciation du bien-fondé de l’action en responsabilité des requérants nécessite, en premier lieu, de définir le contenu de la notion d’« équipe du projet », au sens des statuts du JET dans leur rédaction d’origine, c’est-à-dire de déterminer quelles étaient les tâches, fonctions et responsabilités spécifiques confiées à ses membres. Il conviendra d’examiner, en second lieu, si les requérants exerçaient des tâches, fonctions et responsabilités analogues à celles des membres de l’équipe du projet, et relevaient, de fait, comme ils le soutiennent, de la catégorie « autre personnel », dont les membres devaient, selon l’article 8.5 desdits statuts, être recrutés par la Commission sur des postes temporaires, conformément au régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le « RAA »).

101
Il est en effet constant que l’engagement d’« autre personnel » devait, ainsi qu’en disposaient expressément les statuts, être effectué dans le cadre de contrats d’agent temporaire. La discussion entre les parties porte sur le point de savoir si les requérants relevaient effectivement de cette catégorie particulière et auraient dû, par conséquent, se voir proposer de tels contrats par la Commission.

S’agissant des notions d’« équipe du projet » et d’« autre personnel »

102
En ce qui concerne la notion d’« équipe du projet », les statuts du JET, en particulier l’article 8 des statuts originaux, cité au point 13 ci-dessus, ne donnent pas de définition fonctionnelle des tâches réservées aux membres de l’équipe du projet. L’article 8.2, relatif à la composition de l’équipe du projet, indique que celle-ci doit garantir le caractère communautaire du projet et mentionne à cet égard les postes exigeant un certain niveau de qualification tels que ceux de physiciens, d’ingénieurs et de cadres administratifs de niveau équivalent. L’article 8.3 précise que les membres de l’entreprise commune mettent à la disposition de celle-ci de tels personnels qualifiés. L’article 8.2 confie, en outre, de larges pouvoirs au directeur du projet pour la sélection du personnel.

103
La Commission n’a pas donné de définition de ce qui aurait caractérisé, du point de vue des compétences, des qualifications, des fonctions et des responsabilités, les postes relevant, selon elle, de l’équipe du projet et les distinguant de ceux des requérants, mais s’est principalement attachée à faire valoir que ces derniers ne faisaient pas partie de l’équipe du projet. La défenderesse a seulement indiqué que le conseil du JET avait décidé à l’origine que l’équipe du projet ne comprendrait pas de personnel industriel.

104
Ainsi, hormis cette exclusion, il n’apparaît pas que l’équipe du projet s’entendait d’un niveau hiérarchique ou de compétences professionnelles circonscrites.

105
D’une part, l’article 8.2 relatif à la composition de l’équipe du projet qui recommande, pour les emplois de physiciens, d’ingénieurs et de cadres administratifs « de niveau équivalent », de veiller à garantir le caractère communautaire du projet permet, a contrario, d’inférer que l’équipe du projet comprenait d’autres emplois, de niveaux différents. Au demeurant, la Commission a admis que l’équipe du projet comportait du personnel administratif sans limiter cette appartenance aux fonctions d’encadrement.

106
D’autre part, si les rapports annuels du JET, dont des extraits ont été produits au dossier, font, dans leur chapitre « Personnel », une distinction entre les personnels appartenant à l’équipe du projet (team posts), constitués d’agents temporaires recrutés au titre de la CEEA (personnels mis à la disposition de l’entreprise commune par ses membres autres que l’UKAEA, selon l’article 8.5 des statuts), de personnels de l’UKAEA et de personnels de la Commission (appartenant à la direction générale de la Commission chargée de la science, de la recherche et du développement), et les personnels ne faisant pas partie de l’équipe (non team posts) recrutés par contrats (contract posts), il n’apparaît pas que cette présentation, d’ordre budgétaire, corresponde à une séparation fonctionnelle entre deux types d’attributions distinctes. Il ressort également de ces rapports que des personnels contractuels ont été recrutés, notamment pour des postes d’ingénieurs, expressément mentionnés à l’article 8.2, précité, parmi les emplois relevant de l’équipe du projet, et que des emplois tels que ceux de dessinateur ou d’informaticien, par exemple, pouvaient être pourvus par des personnels appartenant ou n’appartenant pas à l’équipe du projet.

107
En outre, eu égard à la complexité scientifique et technologique du programme, que souligne en préambule la décision 78/471 mentionnée au point 8 ci-dessus, l’équipe du projet, qui assiste le directeur du projet dans l’accomplissement de ses tâches (article 8.1) touchant, notamment, l’exécution du plan de développement du projet (article 7.2), apparaît la composante majeure de l’entreprise commune et regroupe l’ensemble des ressources humaines nécessaires à la réalisation du programme.

108
Il n’apparaît donc pas que l’équipe du projet aurait constitué une catégorie rigide et prédéterminée, dont les emplois et qualifications des requérants auraient été à l’évidence exclus, ni qu’il y ait eu au sein de l’entreprise commune une délimitation stricte et permanente fondée sur la nature des tâches distinguant celles qui relevaient de l’équipe du projet et ne pouvaient être accomplies que par des membres en titre de l’équipe du projet et d’autres tâches qui lui auraient été extérieures. Au contraire, force est de constater qu’elle comprenait des personnels scientifiques, techniques et administratifs de qualifications diverses et de niveaux hiérarchiques variés.

109
La notion d’« équipe du projet » doit par conséquent s’entendre, au sens de la décision 78/471, de l’ensemble des fonctions concourant à la réalisation du programme « fusion » de la CEEA.

110
S’agissant de la notion d’« autre personnel », les statuts du JET, dans leur version originale, mentionnent deux catégories de personnel composant l’équipe du projet : celui mis à disposition par les membres de l’entreprise commune et l’« autre personnel » (article 8.1). Il y est également prévu (article 8.5) que, à l’exception des personnels de l’UKAEA, qui conservent leur statut et dont l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, a jugé la situation discriminatoire à partir du 19 décembre 1991, les personnels de l’équipe du projet mis à la disposition de l’entreprise commune par les membres de celle-ci et ceux qui relèvent de la catégorie « autre personnel » mentionnée par cet article étaient recrutés sur des postes d’agent temporaire conformément au RAA.

111
La catégorie « autre personnel » n’est pas autrement définie que par le mode de recrutement prévu par les statuts du JET. En outre, comme il a été dit au point 100 ci-dessus, ce n’est pas l’obligation, selon lesdits statuts, de recruter l’« autre personnel » dans le cadre de contrats d’agent temporaire qui est discutée, mais le point de savoir si les requérants, parce qu’ils auraient appartenu, de fait, à l’équipe du projet, auraient dû être engagés dans les conditions prévues pour accéder à cette catégorie particulière.

112
La Commission et le Conseil font valoir que cette possibilité de recrutement d’« autre personnel » dans le cadre de contrats d’agent temporaire, prévue par les statuts du JET, n’a jamais été utilisée et que les institutions communautaires, qui peuvent toujours passer des contrats pour acheter des biens et services, demeuraient libres de décider des modalités de recrutement de l’équipe du projet. Elles n’auraient eu aucune obligation juridique de recruter d’« autre personnel » sous contrat d’agent temporaire.

113
Certes, les institutions communautaires disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des moyens les plus appropriés pour pourvoir à leurs besoins en personnel (arrêt de la Cour du 28 février 1989, Van der Stijl e.a./Commission, 341/85, 251/86, 258/86, 259/86, 262/86 et 266/86, 222/87 et 232/87, Rec. p. 511, point 11), en particulier s’agissant de l’engagement d’agents temporaires (arrêt du Tribunal du 17 novembre 1998, Fabert-Goossens/Commission, T‑217/96, RecFP p. I‑A‑607 et II-1841, point 29). Il en va notamment ainsi en matière d’organisation et de fonctionnement des entreprises communes (arrêt Altmann e.a./Commission, précité, point 154).

114
La circonstance que les statuts du JET prévoyaient que l’« autre personnel » de l’équipe du projet était recruté dans le cadre de contrats d’agent temporaire n’obligeait pas la Commission à procéder à de tels recrutements si cela ne correspondait à aucun besoin de l’équipe du projet. La direction de l’entreprise commune disposait donc de toute latitude pour apprécier, dans la composition de l’équipe du projet, la part devant revenir à chacune des deux catégories de personnels mentionnées à l’article 8.1 des statuts (personnel en provenance des membres de l’entreprise commune et autre personnel), ses choix se traduisant par une inscription au tableau des effectifs figurant dans le budget annuel. Elle pouvait, de même, avoir recours à des sociétés de main‑d’œuvre ou de prestation de services pour satisfaire à diverses tâches nécessaires au fonctionnement de l’entreprise commune, mais ne relevant pas des fonctions attribuées en vertu des traités à celle-ci (arrêt Mulfinger e.a./Commission, précité, point 14), fonctions que l’équipe du projet était chargée d’assurer sous l’autorité du directeur du projet.

115
En revanche, la direction du JET n’aurait pu conclure de tels contrats avec des sociétés de main‑d’œuvre ou de prestation de services en vue d’échapper à l’application de dispositions statutaires (arrêts de la Cour du 20 juin 1985, Klein/Commission, 123/84, Rec. p. 1907, point 24, et Mulfinger e.a./Commission, précité, point 11). En effet, les fonctions attribuées par les traités aux institutions communautaires ne sauraient être confiées à des entreprises extérieures mais doivent être accomplies par des personnels placés sous un régime statutaire (arrêt Mulfinger e.a./Commission, précité, points 13 et 14).

116
Or, il ressort de la décision 78/471, mentionnée aux points 8, 106 et 108 ci-dessus, que le projet JET représentait une étape importante dans la poursuite du programme « Fusion » de la CEEA qui justifiait, du fait de sa complexité scientifique et technologique, de ses enjeux pour la sécurité de l’approvisionnement de la Communauté et des ressources financières et en personnel nécessaires à sa réalisation, la constitution d’une entreprise commune. Un tel projet, dont la réalisation était assurée par l’équipe du projet JET prévue par les statuts, comme il a été dit au point 107 ci-dessus, s’inscrivait dans les missions, rappelées aux points 1 et 2 ci-dessus, confiées à la Communauté par le traité CEEA.

117
Par conséquent, dans la mesure où étaient en cause, au sein de l’entreprise commune JET, des fonctions attribuées par les traités aux institutions communautaires, au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Mulfinger e.a./Commission, précité, de telles fonctions, lorsqu’elles n’étaient pas assurées par des personnels mis à disposition par les membres de l’entreprise commune, ne pouvaient être accomplies que par l’« autre personnel » recruté sous le régime statutaire d’agent temporaire, conformément au RAA, comme l’exigeaient les statuts d’origine du JET.

118
Il y a lieu, dès lors, de déterminer si, nonobstant la situation juridique et budgétaire réservée aux requérants, ceux-ci devaient être regardés, compte tenu des fonctions qui leur étaient confiées, comme faisant partie de l’équipe du projet visée par l’article 8 des statuts.

119
À cet égard, l’argument de la Commission, soutenue par le Conseil, selon lequel les requérants n’avaient aucun lien juridique avec l’entreprise commune JET et n’avaient jamais été considérés comme faisant partie de l’équipe du projet, au sein de laquelle il n’avait été procédé à aucun recrutement d’autre personnel, n’est pas pertinent, puisqu’il s’agit ici précisément de déterminer si c’est légalement ou non que le rattachement juridique des requérants à l’équipe du projet, avec les conséquences statutaires qui en découlent, a été écarté.

S’agissant des fonctions exercées par les requérants au JET

120
Les parties s’opposent sur la nature des tâches exercées par les requérants au service de l’entreprise commune JET. Les intéressés font valoir que, par leurs qualifications, fonctions et responsabilités, ils étaient, de fait, membres de l’équipe du projet. La Commission considère, en revanche, que les intéressés formaient une population hétérogène, composée de salariés indifférenciés s’agissant des groupes de travailleurs, dont les tâches, surévaluées par les intéressés, seraient, pour la plupart d’entre eux, sans correspondance avec celles des membres de l’équipe du projet.

121
Il ressort du dossier et, en particulier, des éléments relatifs aux emplois et aux qualifications des requérants non sérieusement contredits par la Commission, dont les critiques ont porté sur le niveau des responsabilités qui auraient été les leurs, que les intéressés se répartissaient en six dessinateurs, trois ingénieurs, deux physiciens, un responsable de maintenance et un technicien. Or, les emplois et les qualifications des requérants, tels que répertoriés par la Commission, apparaissent analogues, par leur nature et leur niveau, à ceux des membres en titre de l’équipe du projet. La Commission a d’ailleurs admis à l’audience du 8 mai 2003 qu’il n’y avait pas de différences fondamentales entre les membres en titre de l’équipe du projet et les requérants, les qualifications et l’expérience professionnelles des uns et des autres étant semblables, mais que des considérations administratives expliquaient le mode de recrutement des personnels tels que les requérants « pour boucher les trous ».

122
Cette similitude des fonctions est confirmée par l’organigramme du JET. L’annuaire fonctionnel du JET pour l’année 1997, produit à titre d’exemple, montre que, dans la quasi-totalité des services du JET, les personnels contractuels sont représentés, sans qu’une distinction soit opérée avec leurs collègues membres en titre de l’équipe du projet et occupant des postes dont la dénomination est parfois rigoureusement identique à celles des postes occupés par ces collègues. Il ressort en outre de cet organigramme que, dans les quatre cas du «Finance service» (service financier), du «Quality Assurance Group» (groupe qualité), du «Remote Handling Group» (groupe des télémanipulations) et du «Magnet Systems Group» (groupe des systèmes magnétiques), le responsable du service ou de l’équipe faisait partie du personnel contractuel.

123
Il est en outre constant que certains des requérants ont assumé des responsabilités dans l’équipe du projet. La désignation de certains d’entre eux dans l’organigramme du JET ou dans d’autres documents de l’entreprise commune est un élément de fait supplémentaire qui confirme l’insertion effective des intéressés dans cette équipe. Dans le même sens, la Commission a admis que certains des requérants avaient apporté des contributions scientifiques dans certains des rapports annuels sur l’état d’avancement du JET.

124
Les cas particuliers de certains requérants ayant occupé des emplois techniques d’exécution ne peuvent affecter les constatations qui précèdent, dès lors que l’équipe du projet n’apparaît pas avoir été un groupe prédéfini, permanent et circonscrit, comme cela a été précédemment constaté, et que les emplois occupés par les requérants ont eu leur équivalent en son sein à un moment ou à un autre du déroulement du programme JET.

125
Les stipulations des contrats individuels ou de groupe conclus entre l’entreprise commune JET et les sociétés tierces montrent également que les conditions de travail des requérants étaient fixées par la direction du JET, qu’ils étaient placés sous son autorité et soumis au respect des réglementations applicables à l’entreprise commune (article 3 du contrat type individuel et article 5 du contrat type collectif). Les requérants soutiennent sans être contredits que leurs conditions de travail tant sur le plan de l’organisation matérielle que sur celui du contenu et de la méthode étaient définies par la direction de l’entreprise commune JET.

126
Les rapports d’activités du JET corroborent la collaboration étroite des personnels contractuels à l’équipe du projet et confirment que des tâches relevant de l’équipe du projet pouvaient, indifféremment, être confiées à des membres en titre de cette équipe ou à des personnels contractuels. Le rapport pour l’année 1981, après avoir mentionné une progression du nombre des membres de l’équipe du projet, indique (page 14) : 

« Le recrutement de certains personnels, en particulier ingénieurs et techniciens, a continué à être difficile, bien qu’une certaine amélioration se soit produite au cours du deuxième semestre de l’année s’agissant du recrutement de personnels britanniques pour des postes d’ingénieurs et de techniciens. Cependant il a continué à être nécessaire d’employer un nombre considérable de personnels contractuels. »

127
Il ressort du dossier que les personnels contractuels ont pallié des besoins du projet JET en ressources humaines quantitativement très importants et permanents tout au long de la durée de l’entreprise commune.

S’agissant des besoins en personnel de l’équipe du projet

128
Il apparaît que le conseil du JET, qui avait décidé à l’origine d’avoir recours à des personnels contractuels pour pourvoir des emplois qualifiés d’industriels et de techniques, comme cela a été dit au point 102 ci-dessus, a ensuite considérablement développé la formule dans le cadre, notamment, des groupes sous contrat. La Commission a ainsi précisé dans son mémoire en défense que l’entreprise commune avait dû conclure des contrats pour obtenir du personnel contractuel en cas de difficulté pour les membres du JET à détacher le personnel scientifique, technique et administratif nécessaire auprès de l’équipe du projet en vertu des statuts. Le Tribunal a, pour sa part, constaté au point 100 de l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, que, à la « suite [d’]une clarification de l’accord relatif au soutien dû par l’organisation hôte, négociée en 1987 et ratifiée par le conseil du JET en 1988, un nombre important de services, fournis auparavant sur la base dudit accord de soutien par l’organisation hôte, [étaient] depuis lors exécutés dans le cadre de contrats commerciaux après une procédure d’appel à la concurrence ».

129
Les personnels contractuels étaient recrutés soit dans le cadre de contrats individuels, soit dans le cadre de contrats de groupe (ensembles de travailleurs), selon les modalités résumées aux points 28 et 29 ci-dessus. Les emplois budgétaires correspondant aux agents ainsi recrutés étaient recensés dans les effectifs et identifiés comme ne faisant pas partie de l’équipe du projet.

130
Les extraits des rapports annuels du JET, produits au dossier, concernant les années 1981, 1986, 1989, 1990 et 1998, ainsi que le rapport de la Cour des comptes sur le JET réalisé en 1987, montrent l’importance quantitative des personnels contractuels, salariés d’entreprises tierces, cocontractantes du JET, prestataires d’une main‑d’œuvre mise à la disposition de l’entreprise commune pendant toute la durée d’existence de l’entreprise commune.

131
Il ressort du chapitre « Personnel » de ces rapports que les personnels ne faisant pas partie de l’équipe du projet, recrutés par contrats, qui étaient distingués des personnels appartenant à l’équipe du projet, représentaient une proportion substantielle de l’effectif global des personnels travaillant au projet, à savoir, par exemple, un pourcentage de 37 % en 1986 et de 48 % en 1998.

132
Le rapport pour l’année 1986 note « la nécessité d’un recours accru à du personnel contractuel pour satisfaire les besoins de main‑d’œuvre » et indique, à la suite de cette observation, que, « tandis que la composition approuvée des postes de l’équipe restait de 165 postes [au titre de la CEEA], 260 postes et 19 postes détachés, respectivement, de l’UKAEA et du programme ‘Fusion’ de la [direction générale de la Commission chargée de la science, de la recherche et du développement], le conseil du JET a approuvé un nouveau plafond de 210 postes contractuels, i.e., un accroissement global de 44 postes par rapport à l’année précédente ». Ce rapport ajoutait :

« Les postes contractuels sont remplis par du personnel employé par des sociétés et d’autres organisations et fournis dans le cadre de contrats passés par le JET avec ces sociétés .»

133
Le rapport de la Cour des comptes de 1987 recensait, en effectifs autorisés, 449 postes pour l’équipe du projet et 231 postes contractuels et, en emplois pourvus, 372 postes pour l’équipe du projet et 259 postes contractuels. Ce même rapport indiquait que les personnels contractuels n’étaient pas directement liés à l’entreprise commune JET, mais employés de sociétés ayant passé des contrats avec l’entreprise commune dans le cadre de procédures d’appels d’offres. À la demande de la Cour des comptes, la direction de l’entreprise commune a par la suite inscrit les crédits correspondant à l’engagement des agents contractuels dans les dépenses de personnel.

134
Les données statistiques figurant dans les extraits de rapports du JET produits au dossier montrent, pour les trois années 1986, 1989 et 1998, en ce qui concerne les postes, budgétaires et effectivement pourvus, au sein de l’équipe du projet et en dehors de celle-ci, c’est-à-dire des postes contractuels, la proportion notable représentée par ces derniers.

Année

1986

1989

1998

Prévisions/réalisations

budget

pourvus

budget

pourvus

budget

pourvus

Postes au sein de l’équipe

444

384

470

383

Non indiqué

242,5

Postes contractuels

210

229

210

242

Non indiqué

255

135
Il apparaît ainsi que le recours massif, par la direction du JET, à des personnels contractuels tels que les requérants pour pourvoir des besoins en personnel que les membres de l’entreprise commune n’étaient pas en mesure de satisfaire par la voie de la mise à disposition, comme cela a été indiqué au point 128 ci-dessus, avait bien pour objet l’accomplissement de tâches relevant de l’équipe du projet. Les rapports annuels du JET mettent en évidence les difficultés récurrentes de l’entreprise commune en la matière, comme celui de l’année 1981 mentionné au point 126 ci-dessus, qui cite, en particulier, le cas des ingénieurs et techniciens. Ces rapports montrent comment, tout au long de la durée du JET, les recrutements massifs et renouvelés de personnels contractuels permettaient de pallier ces difficultés. Le tableau présenté au point 134 ci-dessus fait apparaître, de surcroît, que les emplois budgétairement prévus pour l’équipe du projet ne pouvaient toujours être pourvus et étaient comblés par des personnels contractuels.

136
En outre, la participation des requérants au projet JET a été de longue durée pour nombre d’entre eux. Sur treize requérants, onze ont travaillé plus de cinq ans pour l’entreprise commune dont huit plus de dix ans, cinq plus de quinze ans et trois plus de vingt ans. Les deux autres requérants ont travaillé quatre ans au JET. Comme cela a été indiqué précédemment, les contrats annuels des intéressés étaient renouvelables et renouvelés. Les requérants indiquent sans être contredits que la direction du JET sollicitait souvent le recrutement puis le renouvellement du contrat de tel ou tel d’entre eux. Cette participation durable de personnels aux qualifications particulières tend également à corroborer le fait qu’ils répondaient à un besoin permanent et que leurs tâches étaient importantes pour le projet JET.

137
Il résulte de tout ce qui précède que les requérants effectuaient des tâches équivalentes à celles qui pouvaient être exercées par des membres en titre de l’équipe du projet et que leur recrutement a eu pour objet de suppléer une situation de carence en personnel mis à disposition par les membres de l’entreprise commune, qui a perduré tout au long du programme JET.

138
La Commission a, au demeurant, admis à l’audience du 8 mai 2003 que les requérants accomplissaient un travail essentiel pour le projet JET, qui était un projet de recherche important dans le cadre du traité CEEA. Mais la défenderesse fait valoir que la jurisprudence issue de l’arrêt Mulfinger e.a./Commission, précité, pour être transposable, exigerait que les fonctions concernées soient inhérentes à la fonction publique communautaire, qu’il s’agisse de tâches caractéristiques ne pouvant être accomplies que par des agents de la Communauté. L’interprétation ainsi faite par la Commission s’écarte des critères retenus par la Cour. Ainsi, en l’espèce et au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Mulfinger e.a./Commission, précité, les fonctions exercées par les membres de l’équipe du projet, qui participaient d’une manière directe et non accessoire à la réalisation d’un programme d’intérêt communautaire en vue duquel une entreprise commune avait été créée conformément au traité CEEA, s’analysent comme des fonctions relevant de la mission de recherche confiée à la CEEA et, partant, devant être effectuées dans le cadre statutaire, comme le prévoyait d’ailleurs l’article 8 des statuts du JET.

139
Enfin, on peut raisonnablement estimer, eu égard aux tâches accomplies par les personnels contractuels et à la forte proportion d’emplois concernés durant toute la durée de l’entreprise commune, que le projet JET n’aurait pu être mené à bien sans les personnels contractuels. La distinction entre personnel appartenant à l’équipe du projet et personnel n’en faisant pas partie ne correspond donc pas à une différenciation fonctionnelle avérée entre deux catégories de postes. Force est dès lors de constater que cette distinction a été introduite en méconnaissance des statuts du JET, avec l’objet et l’effet de ne pas engager les intéressés dans le cadre de contrats d’agent temporaire, conformément au RAA, comme le prévoyaient lesdits statuts.

S’agissant de l’illégalité fautive

140
Il résulte de ce qui précède que les requérants accomplissaient des tâches essentielles à la mission de l’entreprise commune JET, équivalentes à celles des autres membres de l’équipe du projet auxquels ils étaient indistinctement mêlés. Ils faisaient donc, de facto, partie de l’équipe du projet. Les requérants auraient dû, par conséquent, être recrutés comme « autre personnel » composant l’équipe du projet, conformément aux statuts du JET, comme indiqué au point 100 ci-dessus. Leur recrutement sur des postes contractuels par l’intermédiaire d’entreprises tierces constitue ainsi un détournement de procédure. Il révèle également une discrimination durable à l’égard des intéressés au sujet de laquelle la Commission et le Conseil n’ont apporté aucune justification compatible avec le cadre réglementaire applicable.

141
En s’abstenant de proposer aux requérants des contrats d’agent temporaire en violation des statuts du JET, la Commission a méconnu, dans l’exercice de ses compétences administratives, le droit que les intéressés tiraient desdits statuts. Ce comportement, qui a eu pour effet de maintenir les personnels concernés dans une situation juridique discriminatoire par rapport aux autres membres en titre de l’équipe du projet pendant toute la durée de l’entreprise commune JET, constitue une faute caractérisée de la part de l’institution communautaire concernée. L’illégalité fautive ainsi commise est par conséquent de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

S’agissant de modification des statuts du JET intervenue en 1998

142
La modification des statuts intervenue au mois d’octobre 1998, qui a supprimé, à l’article 8, toute mention d’un « autre personnel » (voir point 26 ci-dessus), n’altère pas les appréciations qui précèdent. Elle n’a pu affecter la situation des intéressés, qui avaient tous été recrutés pour la première fois antérieurement, comme cela a été indiqué au point 27 ci-dessus. Les requérants ont d’ailleurs continué, pour nombre d’entre eux, à travailler jusqu’au terme du projet au service de l’entreprise commune JET, celle-ci n’ayant nullement cherché à interrompre leurs engagements.

143
Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’exception d’illégalité des requérants exposée au point 89 ci-dessus, il suffit de rappeler que les institutions communautaires ont toujours la possibilité, dans les limites budgétaires, de procéder à des recrutements d’agents temporaires en faisant application du RAA et de renouveler des contrats antérieurs. Dès lors que les fonctions en cause correspondaient à des tâches essentielles au projet JET, relevant de la mission de l’entreprise commune et figurant dans le tableau des effectifs, comme cela a été précédemment constaté, il n’était pas possible d’avoir recours légalement aux services d’entreprises extérieures (arrêt Mulfinger e.a./Commission, précité, points 11 et 14).

144
Ainsi, même si les statuts modifiés du JET, cités au point 26 ci-dessus, entrés en vigueur le 21 octobre 1998, ne mentionnaient plus expressément, comme les statuts d’origine, la catégorie « autre personnel » avec son mode de recrutement sur des postes temporaires, il n’en demeurait pas moins que l’exécution des tâches essentielles au projet devait, comme précédemment, lorsqu’elles ne pouvaient être accomplies par les personnels mis à disposition par les membres de l’entreprise commune mentionnés à l’article 8.3 des statuts modifiés, s’inscrire dans le cadre statutaire du RAA auquel se référaient d’ailleurs les statuts modifiés s’agissant des personnels mis à disposition.

145
Les modifications apportées aux statuts du JET ne faisaient par conséquent pas obstacle à ce que des contrats d’agent temporaire puissent être conclus conformément au RAA avec les requérants, comme cela aurait dû l’être, compte tenu de leurs fonctions. De tels contrats n’ayant pas été conclus sous l’empire des statuts modifiés, il y a lieu de conclure que l’illégalité fautive commise à l’égard des requérants, constatée au point 140 ci-dessus, est demeurée jusqu’au terme du projet JET.

En ce qui concerne le lien de causalité

Arguments des parties

146
La Commission soutient que, si un recrutement d’« autre personnel » en qualité d’agent temporaire avait dû être organisé, l’engagement des requérants à ce titre n’aurait rien eu de certain, car ils auraient dû satisfaire les conditions de recrutement correspondantes, où les chances de succès dans les procédures de sélection sont de l’ordre de 25 %. La défenderesse ajoute que les intéressés, qui n’ont pas été soumis aux procédures de sélection appliquées aux membres de l’équipe du projet, n’ont en outre jamais postulé lorsque des postes étaient déclarés vacants au sein de l’équipe du projet, ce qui permet de penser qu’ils n’avaient pas les qualifications nécessaires. La Commission conclut que le lien de causalité entre l’illégalité et le préjudice allégué fait défaut.

147
Les requérants font valoir à cet égard l’identité factuelle de leur situation avec celle des membres de l’équipe du projet. Ils rappellent qu’ils effectuaient les mêmes tâches que les membres de l’équipe du projet, possédaient des qualifications semblables, qu’ils ont travaillé au service de l’entreprise commune JET pendant de longues périodes et ont, pour certains d’entre eux, exercé des responsabilités au sein de l’équipe du projet.

Appréciation du Tribunal

148
Pour qu’un lien de causalité soit admis, il faut en principe que soit apportée la preuve d’une relation directe et certaine de cause à effet entre la faute commise par l’institution communautaire concernée et le préjudice invoqué (arrêt du Tribunal du 28 septembre 1999, Hautem/BEI, T-140/97, RecFP p. I‑A‑171 et II‑897, point 85).

149
Toutefois, dans le contentieux statutaire, le degré de certitude du lien de causalité exigé par la jurisprudence est atteint lorsque l’illégalité commise par une institution communautaire a, de façon certaine, privé une personne non pas nécessairement d’un recrutement, dont l’intéressé ne pourra jamais prouver qu’il y avait droit, mais d’une chance sérieuse d’être recruté comme fonctionnaire ou agent, avec comme conséquence pour l’intéressé un préjudice matériel consistant en une perte de revenus. Lorsqu’il apparaît éminemment probable, dans les circonstances de l’espèce, que le respect de la légalité aurait conduit l’institution communautaire concernée à procéder au recrutement de l’agent, l’incertitude théorique qui demeure quant à l’issue qu’aurait eu une procédure régulièrement conduite ne saurait faire obstacle à la réparation du préjudice matériel réel qu’a subi l’intéressé en étant privé du droit à postuler à un emploi statutaire qu’il aurait eu toutes chances de se voir attribuer.

150
En l’espèce, l’existence d’un tel droit à réparation peut être établie, dans la mesure où les requérants démontrent qu’ils ont, en tout état de cause, perdu une chance sérieuse de travailler pour le projet JET dans le cadre statutaire qui était prévu, un préjudice matériel en étant résulté pour les intéressés (arrêt Conseil/de Nil et Impens, précité, points 28 et 29).

151
Dès lors qu’aucun recrutement n’a été effectué selon les modalités statutaires et où, au contraire, un système parallèle a été mis en œuvre pour ne pas procéder à l’engagement d’agents temporaires, le lien de causalité entre l’illégalité commise et le préjudice matériel subi est établi dans la mesure où il apparaît que les intéressés ont perdu une chance sérieuse d’être recrutés.

152
Cette démarche est suivie dans le contentieux de la fonction publique, en particulier, lorsqu’il s’agit d’apprécier les effets d’un mauvais reclassement sur l’évolution ultérieure de la carrière de l’agent concerné (arrêt Conseil/de Nil et Impens, précité, points 28 et 29).

153
Il convient donc d’apprécier si les requérants, compte tenu de leurs qualifications, de leurs tâches au service du JET et du renouvellement de leurs engagements, auraient eu des chances sérieuses d’être recrutés en qualité d’agent temporaire si les procédures requises par les statuts du JET avaient été mises en œuvre.

154
Il a été précédemment constaté que les fonctions des requérants, leurs qualifications et leurs conditions de recrutement et de travail étaient semblables à celles des membres de l’équipe du projet reconnus comme tels par la direction du JET, que l’équipe du projet n’aurait pu mener celui-ci à terme sans le concours des personnels contractuels, qui ont représenté une proportion notable du personnel affecté au projet pendant toute sa durée, et que, du fait d’un renouvellement quasi systématique des engagements annuels des intéressés, la plupart d’entre eux ont en définitive travaillé au service de l’entreprise commune pendant des durées globales finalement très longues.

155
Ces circonstances démontrent que les personnels contractuels étaient nécessaires à la réalisation du projet JET, que les requérants avaient les qualifications requises pour les tâches pour lesquelles ils étaient employés et que leur travail donnait satisfaction à la direction du JET, qui suscitait et approuvait le renouvellement des engagements annuels. La Commission n’a d’ailleurs pas démontré que, si les besoins en personnel du JET avaient été satisfaits dans le cadre de contrats temporaires comme le prévoyaient les statuts du JET, les requérants n’auraient pas été recrutés (arrêt Conseil/de Nil et Impens, précité, points 28 et 29). Par conséquent, les requérants établissent donc à suffisance de droit que l’illégalité commise à leur égard leur a fait perdre cette chance de recrutement comme agent temporaire.

156
Si la Commission objecte que les requérants n’ont jamais entrepris de démarche pour postuler à des emplois vacants au sein de l’équipe du projet, elle n’établit pas, notamment par la production d’avis de vacance, que de telles vacances d’emploi étaient ouvertes aux personnels extérieurs et elle n’en indique pas non plus la périodicité. La défenderesse s’est bornée à une indication ponctuelle selon laquelle treize personnes sous contrat auraient été recrutées dans l’équipe du projet en 1989. À l’évidence, il n’y a jamais eu d’offres d’emploi pour des contrats d’agent temporaire concernant les postes occupés par les requérants. Il semble en revanche que les postes dits « de l’équipe du projet » étaient « réservés » aux personnels des membres de l’entreprise commune recrutés comme agents temporaires au titre de la CEEA, aux agents de la Commission et aux personnels de l’UKAEA et que ce n’est que de façon très marginale que certains personnels contractuels ont pu y être intégrés.

157
Le lien de causalité entre l’illégalité commise et le dommage subi est par conséquent établi à suffisance de droit pour justifier la réparation du préjudice qu’ont subi les requérants en raison de la perte d’une chance sérieuse de se voir proposer un contrat d’agent temporaire des Communautés européennes.

En ce qui concerne le préjudice

Arguments des parties

158
Les requérants soutiennent qu’ils ont subi un préjudice financier qui se décompose en trois éléments, à savoir une perte de revenus du travail pour la période au cours de laquelle chacun a travaillé au projet JET, une perte financière en termes d’avantages annexes, y compris les cotisations pour pensions, et une perte de revenus tenant à ce qu’ils ont été privés de la garantie d’obtenir un autre poste de la Commission pour une période de cinq ans à compter de la fin du projet, le 31 décembre 1999.

159
Les requérants produisent une évaluation chiffrée de leurs prétentions individuelles ainsi que la base de calcul suivie. Ils précisent que leur évaluation ne prend pas en compte l’effet de taux différents de taxation non plus que le régime fiscal anglais applicable aux sommes perçues au titre de dommages et intérêts. S’agissant du cas particulier de M. Walton, qui a été recruté comme agent temporaire en 1999, il est précisé que son recrutement n’a pas été effectué au titre de la garantie d’emploi dont bénéficiaient les anciens agents de l’équipe du projet.

160
La Commission dénie tout droit à réparation aux requérants et se réfère aux motifs de l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité, qui devrait s’appliquer a fortiori à des personnels extérieurs à l’équipe du projet. Elle soutient que, dans l’hypothèse où une certaine responsabilité lui serait imputée, celle-ci devrait être fondée sur une faute de service et ne pourrait être engagée que postérieurement à l’arrêt Altmann e.a./Commission, précité. La demande de M. Walton, recruté comme agent temporaire en 1999, ne serait recevable que pour la période antérieure à son engagement.

161
La Commission refuse toute indemnisation postérieure à la date d’expiration du projet JET, le 31 décembre 1999. Elle ajoute, en ce qui concerne l’incidence de l’impôt, que cette circonstance résulte de la différence inéluctable entre des emplois relevant d’un droit national et ceux relevant du régime communautaire et qu’il n’est pas certain qu’une indemnité perçue en réparation d’une faute de service serait considérée comme imposable par l’administration fiscale du Royaume-Uni.

Appréciation du Tribunal

162
Le préjudice financier invoqué par les requérants se compose principalement d’une perte de revenus provenant des rémunérations, avantages liés et droits à pension acquis pendant ou au titre de leur période de travail au JET et d’une perte de revenus liées aux perspectives d’emplois ultérieurs qui auraient pu leur être offerts par la Commission après 1999.

163
Ce préjudice se déduit de la comparaison entre les conditions financières d’emploi dont les requérants auraient bénéficié s’ils avaient été recrutés sur des postes temporaires et celles qui ont effectivement été les leurs comme salariés d’entreprises tierces. Il est constant que la situation du personnel contractuel était financièrement moins avantageuse que celle d’agent temporaire.

164
Pendant la période passée au sein de l’entreprise commune JET, le préjudice des requérants résulte de la différence entre les rémunérations, avantages liés et droits à pension que les intéressés auraient perçus ou acquis s’ils avaient travaillé pour le projet JET en qualité d’agent temporaire et les rémunérations, avantages liés et droits à pension qu’ils ont en fait perçus ou acquis comme personnel contractuel.

165
En ce qui concerne les perspectives d’obtention d’emplois ultérieurs, le préjudice invoqué est lié à la possibilité qu’auraient eue les requérants de se voir offrir un contrat d’agent temporaire après l’expiration du JET. Une telle perspective de recrutement apparaît très hypothétique en l’absence de toute indication sur les besoins de la CEEA, après le terme de l’entreprise commune JET, en emplois de la nature de ceux occupés par les requérants et, plus particulièrement, de toute information qui permettrait de reconnaître l’existence d’une continuité organique entre l’entreprise commune JET et les entités relevant de l’accord européen de développement sur la fusion, évoqué au point 8 ci-dessus, qui ont poursuivi les recherches préalablement conduites par l’entreprise commune. Le préjudice n’étant pas avéré en ce qui concerne les perspectives d’emploi au-delà du 31 décembre 1999, la demande indemnitaire des requérants doit, à cet égard, être rejetée.

166
L’indemnité due est à calculer, pour chaque requérant, à partir de la date d’effet du plus ancien contrat conclu ou reconduit le concernant, cette date ne devant pas être antérieure de plus de cinq ans à la présentation de sa demande d’indemnité à la Commission.

167
L’indemnité due à chaque requérant ne peut être déterminée par le Tribunal au vu des éléments du dossier. Les parties sont donc invitées à rechercher un accord sur la base des principes et des critères qui suivent.

168
Les parties rechercheront, tout d’abord, un accord en ce qui concerne l’emploi et le grade qui auraient correspondu aux fonctions exercées par chacun des requérants s’il s’était vu offrir un contrat d’agent temporaire à la date indiquée au point 166 ci-dessus.

169
Elles conviendront, ensuite, de la reconstitution de carrière appropriée pour chacun des intéressés, à partir de son recrutement jusqu’à la période des cinq dernières années, au plus, visée au point 166 ci-dessus, en prenant en compte la progression moyenne des rémunérations pour l’emploi et le grade correspondants d’un agent de la CEEA, le cas échéant travaillant au JET, ainsi que les éventuelles promotions dont chacun aurait pu bénéficier durant cette période, au vu du grade et de l’emploi retenu, par application de la moyenne des promotions accordées à des agents temporaires de la CEEA dans une situation similaire.

170
La comparaison entre la situation d’un agent temporaire des Communautés et celle d’un agent contractuel tel que chacun des requérants devra être effectuée sur des montants nets, déduction faite des cotisations, retenues ou autres prélèvements effectués selon la législation applicable. À cet égard, les régimes fiscaux, respectivement, communautaire et britannique, frappant les sommes en cause ne sauraient affecter les termes de la comparaison qui doit être faite entre des sommes nettes d’impôts, étant rappelé que les fonctionnaires et agents des Communautés sont soumis à l’impôt établi en faveur des Communautés [règlement (CEE, Euratom, CECA) nº 260/68 du Conseil, du 29 février 1968, portant fixation des conditions et de la procédure d’application de l’impôt établi au profit des Communautés européennes (JO L 56, p. 8), modifié en dernier lieu par le règlement (CE, Euratom), nº 1750/2002 du Conseil, du 30 septembre 2002 (JO L 264, p. 15)].

171
L’indemnité devra être calculée au titre d’une période débutant à la date indiquée au point 166 ci-dessus et s’achevant soit à la date à laquelle le requérant concerné a cessé de travailler pour le projet JET si cette date est antérieure à la fin du projet, le 31 décembre 1999, soit à cette dernière date s’il a travaillé pour le projet JET jusqu’à son terme. Dans le cas particulier de M. Walton, dont il n’est pas contesté qu’il a été engagé comme agent temporaire en 1999, la période ouvrant droit à indemnisation s’achève, en ce qui le concerne, à la date de son recrutement effectué conformément au RAA.

172
Les requérants ont fait des observations concernant l’impôt qui serait prélevé par l’administration fiscale britannique sur une indemnité de la nature de celle ici en cause, réparant un dommage causé par la Communauté.

173
Toutefois, l’indemnité due à chaque requérant visant à compenser des pertes de rémunérations et d’avantages annexes appréciés nets d’impôt ainsi qu’il a été dit au point 170 ci-dessus, et étant calculée, selon les mêmes modalités, en tenant compte de l’impôt communautaire, celle-ci doit bénéficier du régime fiscal applicable aux sommes versées par les Communautés à leurs agents, conformément à l’article 16 du protocole sur les privilèges et immunités des fonctionnaires et agents des Communautés européennes. L’indemnité en cause, ainsi entendue nette de toute imposition, ne saurait par conséquent être soumise à des prélèvements fiscaux nationaux. Aucune indemnité complémentaire n’est donc due au titre de la compensation de tels prélèvements.

174
Les parties devront rechercher un accord sur la base des principes et des critères indiqués ci-dessus dans un délai de six mois à compter de la notification de l’arrêt. À défaut d’accord, elles feront parvenir au Tribunal dans le même délai leurs conclusions chiffrées (voir par exemple, dans le même sens, arrêt de la Cour du 5 octobre 1988, Hamill/Commission, 180/87, Rec. p. 6141).


Sur les dépens

175
La décision sur les dépens est réservée.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

statuant avant dire droit, déclare et arrête :

1)
La Commission est condamnée à réparer le préjudice financier subi par chacun des requérants du fait qu’il n’a pas été recruté comme agent temporaire de la Commission pour l’exercice de son activité au sein de l’entreprise commune Joint European Torus (JET).

2)
Les parties transmettront au Tribunal, dans un délai de six mois à compter du présent arrêt, le montant, établi d’un commun accord, des indemnités dues au titre de la réparation de ce préjudice.

3)
À défaut d’accord, elles feront parvenir au Tribunal, dans le même délai, leurs conclusions chiffrées.

4)
Les dépens sont réservés.

Vesterdorf

Jaeger

Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 octobre 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1
Langue de procédure : l'anglais.