Language of document : ECLI:EU:T:2023:121

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

8 mars 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en République démocratique du Congo – Gel des fonds – Restriction en matière d’admission sur les territoires des États membres – Maintien du nom du requérant sur les listes des personnes visées – Droit d’être entendu – Preuve du bien-fondé de l’inscription et du maintien sur les listes – Erreur manifeste d’appréciation – Perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à l’adoption des mesures restrictives »

Dans l’affaire T‑92/22,

Gabriel Amisi Kumba, demeurant à Kinshasa (République démocratique du Congo), représenté par Mes T. Bontinck, P. De Wolf, A. Guillerme et T. Payan, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. B. Driessen et Mme M.-C. Cadilhac, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos (rapporteur), président, S. Gervasoni et Mme I. Reine, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Gabriel Amisi Kumba, demande l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2021/2181 du Conseil, du 9 décembre 2021, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2021, L 443, p. 75), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2021/2177 du Conseil, du 9 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 9 du règlement (CE) no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2021, L 443, p. 3), en ce que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.

 Antécédents du litige

 Contexte des mesures restrictives

2        Le requérant est un ressortissant de la République démocratique du Congo ayant occupé, au sein des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), les fonctions de commandant de la première zone de défense, puis de chef d’état-major adjoint chargé des opérations et du renseignement et enfin d’inspecteur général.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives imposées par le Conseil de l’Union européenne en vue de l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo et de l’exercice de pressions sur les personnes et les entités agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à cet État.

 Mesures adoptées par l’Union de manière autonome

4        Le 18 juillet 2005, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 60, 301 et 308 CE, le règlement (CE) no 1183/2005, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2005, L 193, p. 1).

5        Le 20 décembre 2010, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2010/788/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant la position commune 2008/369/PESC (JO 2010, L 336, p. 30).

6        Le 12 décembre 2016, le Conseil a adopté, d’une part, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2016/2231, modifiant la décision 2010/788 (JO 2016, L 336 I, p. 7) et, d’autre part, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2016/2230, modifiant le règlement no 1183/2005 (JO 2016, L 336 I, p. 1).

7        Le 29 mai 2017, le Conseil a adopté, d’une part, sur le fondement notamment de l’article 31, paragraphe 2, TUE et de l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2010/788, la décision d’exécution (PESC) 2017/905, mettant en œuvre la décision 2010/788  (JO 2017, L 138 I, p. 6), et, d’autre part, le règlement d’exécution (UE) 2017/904, mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1183/2005 (JO 2017, L 138 I, p. 1).

 Critères appliqués pour adopter les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo

8        L’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :

« Les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, sont instituées à l’encontre des personnes et entités :

a)      faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’[É]tat de droit ;

b)      contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ;

c)      associées à celles visées [sous] a) et b),

dont la liste figure à l’annexe II. »

9        L’article 4, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, dispose que « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées à l’article 3 ».

10      Aux termes de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, il est prévu ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques que les personnes ou entités visées à l’article 3 possèdent ou contrôlent directement ou indirectement, ou qui sont détenus par des entités que ces personnes ou entités ou toute personne ou entité agissant pour leur compte ou sur leurs instructions, qui sont visées aux annexes I et II, possèdent ou contrôlent directement ou indirectement.

2.      Aucun fonds, autre avoir financier ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes ou entités visées au paragraphe 1 ou utilisé à leur profit. »

11      Quant au règlement no 1183/2005, l’article 2 ter, paragraphe 1, de ce dernier, tel que modifié par le règlement 2016/2230, prévoit ce qui suit :

« L’annexe I bis comprend les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes désignés par le Conseil pour l’un des motifs suivants :

a)      faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’[É]tat de droit ;

b)      préparant, dirigeant ou commettant des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ;

c)      étant associés aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes visés [sous] a) et b). »

12      Aux termes de l’article 2 du règlement no 1183/2005, tel que modifié par le règlement 2016/2230, il est prévu ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent à une personne physique ou morale, à une entité ou à un organisme figurant sur la liste de l’annexe I ou de l’annexe I bis, qui sont en leur possession ou qui sont détenus ou contrôlés par ceux-ci, directement ou indirectement, y compris par un tiers agissant pour leur compte ou sur leurs instructions.

2.      Aucun fonds ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes figurant sur la liste de l’annexe I ou de l’annexe I bis ni utilisé à leur profit. »

 Durée initiale de l’application des mesures restrictives

13      Selon l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [l]es mesures visées à l’article 3, paragraphe 2, s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2017 » et « [e]lles sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints ».

 Inscription initiale du nom du requérant sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives

14      Par la décision 2016/2231 et par le règlement 2016/2230, le nom du requérant a été inscrit sur les listes des personnes et des entités visées par les mesures restrictives qui figurent à l’annexe II de la décision 2010/788 et à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005 (ci‑après, prises ensemble, les « listes litigieuses »).

15      Le Conseil a justifié une telle inscription par les motifs suivants :

« Commandant de la première zone de défense de l’armée congolaise (FARDC) dont les forces ont participé au recours disproportionné à la force et à la répression violente en septembre 2016 à Kinshasa. À ce titre, [le requérant] a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en [République démocratique du Congo]. »

16      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑141/17, tendant, en substance, à l’annulation du règlement 2016/2230, pour autant que cet acte le concernait. L’affaire T‑141/17 a été rayée du registre du Tribunal par l’ordonnance du 7 décembre 2018, Amisi Kumba/Conseil (T‑141/17, non publiée, EU:T:2018:989), à la suite du désistement du requérant.

 Quatre premières prorogations des mesures restrictives imposées au requérant

17      Par la décision (PESC) 2017/2282 du Conseil, du 11 décembre 2017, modifiant la décision 2010/788 (JO 2017, L 328, p. 19), les mesures restrictives appliquées au requérant ont été maintenues, avec les mêmes motifs, jusqu’au 12 décembre 2018.

18      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑163/18, contre la décision 2017/2282, pour autant que cette décision le concernait. Ce recours a été rejeté par arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil (T‑163/18, EU:T:2020:57).

19      Le 10 décembre 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/1940, modifiant la décision 2010/788 (JO 2018, L 314, p. 47), et le règlement d’exécution (UE) 2018/1931, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2018, L 314, p. 1). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2019. Les motifs d’inscription ont été mis à jour pour ajouter une mention selon laquelle « [e]n juillet 2018, [le requérant] a été nommé chef d’état-major adjoint des [FARDC] chargé des opérations et du renseignement. »

20      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑118/19, contre la décision 2018/1940 et le règlement d’exécution 2018/1931, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 3 février 2021, Amisi Kumba/Conseil (T‑118/19, non publié, EU:T:2021:57).

21      Le 9 décembre 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/2109, modifiant la décision 2010/788 (JO 2019, L 318, p. 134), et le règlement d’exécution (UE) 2019/2101, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2019, L 318, p. 1). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2020. Le Conseil a mis à jour les motifs d’inscription en ajoutant, après la référence aux fonctions du requérant en tant que chef d’état-major adjoint chargé des opérations et du renseignement, la mention selon laquelle « [d]e par ses fonctions, [celui-ci] port[ait] une responsabilité dans les récentes violations des droits de l’homme commises par les FARDC ».

22      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑106/20, contre la décision 2019/2109 et le règlement d’exécution 2019/2101, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 15 septembre 2021, Amisi Kumba/Conseil (T‑106/20, non publié, EU:T:2021:582).

23      Le 10 décembre 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/2033, modifiant la décision 2010/788 (JO 2020, L 419, p. 30), et le règlement d’exécution (UE) 2020/2021, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2020, L 419, p. 5). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2021. Le Conseil a mis à jour les motifs d’inscription en ajoutant que, « [e]n sa qualité de chef d’état-major adjoint des FARDC chargé des opérations et du renseignement de juillet 2018 à juillet 2020 et en raison de ses hautes fonctions d’inspecteur général des FARDC depuis juillet 2020[, le requérant] port[ait] la responsabilité des récentes violations des droits de l’homme commises par les FARDC ».

24      Par courrier du 11 décembre 2020, le Conseil a notifié au requérant la décision 2020/2033 et a précisé que, si celui-ci souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 1er septembre 2021.

25      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑107/21, contre la décision 2020/2033 et le règlement d’exécution 2020/2021, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil (T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252).

 Réexamen

26      Par courrier du 20 juillet 2021, les avocats du requérant ont sollicité du Conseil la communication des éléments additionnels concernant le requérant qui ne lui auraient pas déjà été transmis. Ils ont également sollicité une audition.

27      Par courrier du 5 août 2021, le Conseil les a informés de l’absence, à ce stade, d’éléments additionnels concernant le requérant et a rejeté la demande d’audition. Par courriers des 12 août et 12 octobre 2021, les avocats du requérant ont réitéré leur demande auprès du Conseil.

28      Par courrier du 19 octobre 2021, le Conseil a communiqué aux avocats du requérant deux documents de travail relatifs à l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses. Il a également indiqué qu’il envisageait de renouveler les mesures restrictives à l’égard du requérant, sans modification substantielle de l’exposé des motifs. Il a encore précisé que, si le requérant souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 8 novembre 2021.

29      Par courrier du 5 novembre 2021, les avocats du requérant ont fait part de leurs observations sur les documents visés au point 28 ci-dessus, en soutenant qu’aucun d’eux ne justifiait la prorogation des mesures en cause. En particulier, après avoir souligné que le requérant occupait de hautes fonctions dans l’armée et était, dans ce cadre, chargé de la lutte contre les dérives au sein de celle-ci, ce qui témoignerait de la confiance des autorités congolaises à son égard, ils ont contesté le bien-fondé des motifs retenus par le Conseil, en vue de justifier le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, en ce que ceux-ci avaient été adoptés sur la base d’éléments paraissant uniquement lui reprocher de ne pas faire l’objet de procédure d’enquête judiciaire en République démocratique du Congo, alors que la prérogative d’initier une telle enquête appartenait aux seules autorités judiciaires de ce pays.

 Cinquième prorogation des mesures restrictives imposées au requérant

30      Le 9 décembre 2021, le Conseil a adopté les actes attaqués, par lesquels l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2022, l’exposé des motifs d’une telle inscription, inchangé, se lisant comme suit :

« Ancien commandant de la première zone de défense des [FARDC], qui ont participé au recours disproportionné à la force et à la répression violente en septembre 2016 à Kinshasa.

En sa qualité de chef d’état-major adjoint des FARDC chargé des opérations et du renseignement de juillet 2018 à juillet 2020, et en raison de ses hautes fonctions d’inspecteur général des FARDC depuis juillet 2020, il porte la responsabilité des récentes violations des droits de l’homme commises par les FARDC.

[Le requérant] a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo]. »

31      Par courrier du 10 décembre 2021, le Conseil a notifié au requérant la décision 2021/2181 en rappelant que les situations de violation des droits de l’homme perduraient.

32      Dans le même courrier, le Conseil a précisé que la situation du requérant, au moment de l’adoption des actes attaqués, justifiait le maintien du nom de celui-ci sur les listes litigieuses, dans la mesure où, « de par ses hautes responsabilités en tant que chef d’état-major adjoint des FARDC chargé des opérations de renseignement de juillet 2018 à juillet 2020, et Inspecteur général des FARDC depuis juillet 2020, [celui-ci] port[ait] une responsabilité dans les récentes violations des droits de l’homme commises par les FARDC ». Il a noté également que « les documents [t]ransmis mett[ai]ent en lumière les hautes responsabilités et l’influence que [le requérant] conserv[ait] à ce jour au sein des FARDC » et que « l’exposé des motifs concernant [celui-ci] n’a[vait] pas fait l’objet de modification substantielle par rapport à celui figurant en annexe de la décision [2020/2033], dans la mesure où ce dernier reflète les motifs justifiant [ledit maintien] ».

33      Le Conseil a ajouté que, si le requérant souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 1er septembre 2022.

 Conclusions des parties

34      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, pour autant que ces actes le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

35      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, en cas d’annulation des actes attaqués, maintenir les effets de la décision 2021/2181 en ce qui concerne le requérant « jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2177 » ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

36      À l’appui de ses conclusions en annulation des actes attaqués, le requérant soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit d’être entendu et, le second, d’erreurs d’appréciation.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu

37      Le requérant reproche au Conseil d’avoir méconnu son droit d’être entendu avant l’adoption des actes attaqués.

38      En substance, le requérant fait valoir que le Conseil s’est contenté, au cours de la procédure de réexamen en cause, d’une seule communication, à savoir le courrier du 10 décembre 2021, afin de justifier la décision de maintenir son nom sur les listes litigieuses. De plus, il dénonce le fait que, dans ce courrier, le Conseil a répondu à ses observations de façon succincte et que ce courrier lui a été envoyé le jour même de la publication des actes attaqués au Journal officiel de l’Union européenne, sans lui laisser dans ces conditions la possibilité d’y répondre au préalable utilement.

39      Le requérant soutient également que les documents de travail précédemment transmis dans le courrier du Conseil du 19 octobre 2021 ne contenaient aucun élément pertinent de nature à justifier les motifs retenus à son égard.

40      À ce sujet, d’une part, le requérant fait valoir que, dans le délai imposé pour la présentation d’une demande de réexamen, prenant fin le 1er septembre 2021, et malgré ses demandes d’accès à son dossier et à ce que lui soient communiqués des éléments additionnels le concernant, aucun élément ne lui a été transmis par le Conseil.

41      D’autre part, le requérant soutient que le Conseil lui a communiqué tardivement de nouveaux éléments épars, après la fin du délai imposé pour la présentation d’une demande de réexamen, dans son courrier du 19 octobre 2021, et ce sans adapter les motifs d’inscription de son nom sur les listes litigieuses et en ne lui laissant la possibilité de les commenter que dans un court délai de trois semaines. L’absence d’adaptation de ces motifs exigeait pourtant, selon lui, un respect plus strict encore de son droit d’être entendu. Il souligne que l’ensemble des documents ainsi transmis auraient dû lui être adressés pour observations avant l’expiration du délai de réexamen, le 1er septembre 2021. En conséquence, il affirme ne pas avoir pu présenter ses observations en temps utile, avant l’adoption des actes attaqués, alors que de telles observations auraient pourtant été de nature à avoir une influence sur ces actes.

42      Par ailleurs, le requérant affirme avoir lui-même transmis au Conseil, à plusieurs reprises, un certain nombre d’éléments concrets susceptibles de contredire les conclusions du Conseil. Selon lui, il appartenait ainsi à celui-ci d’examiner la pertinence de ces éléments. Il allègue que l’absence de prise en compte desdits éléments par le Conseil prouve que des vérifications complémentaires n’ont pas été effectuées et que la décision de maintenir les mesures à son égard a été prise sans considération aucune à l’égard de son droit de faire valoir ses arguments. En l’absence de tout acte de vérification ou d’enquête de la part du Conseil, seule une audition formelle aurait été de nature à garantir son droit d’être entendu.

43      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.

44      À titre liminaire, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense comporte notamment le droit d’être entendu, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 99 et jurisprudence citée).

45      Selon la jurisprudence, dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste figurant à l’annexe d’un acte portant mesures restrictives, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont elle dispose à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union. En outre, lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue en ce qui concerne les motifs retenus contre elle (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 et 112, et du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 93).

46      Dans le cas d’une décision de gel de fonds par laquelle le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà sur la liste des personnes et des entités dont les fonds sont gelés est maintenu sur cette liste, l’adoption d’une telle décision doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (voir arrêt du 15 septembre 2021, Amisi Kumba/Conseil, T‑106/20, non publié, EU:T:2021:582, point 78 et jurisprudence citée).

47      Le respect des droits de la défense implique que, avant d’adopter une décision portant renouvellement de mesures restrictives imposées à l’égard d’une personne ou d’une entité, le Conseil, même lorsqu’il ne modifie pas les motifs retenus à l’égard de cette personne ou de cette entité, lui communique les éléments nouveaux par lesquels il a procédé, lors du réexamen périodique des mesures en cause, à une actualisation des informations qui avaient justifié l’inscription précédente de son nom sur la liste des personnes et des entités faisant l’objet de telles mesures restrictives, afin de vérifier si une telle inscription demeurait justifiée (voir arrêt du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, point 55 et jurisprudence citée).

48      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le premier moyen.

49      En premier lieu, par courrier du 19 octobre 2021, le Conseil a communiqué au requérant l’existence d’éléments nouveaux le concernant et sur la base desquels il envisageait, à l’issue de la procédure de réexamen, de maintenir l’inscription du nom de celui-ci sur les listes litigieuses. Dans ce courrier, il a exposé les motifs d’inscription qu’il envisageait de retenir sans les mettre à jour par rapport à la quatrième prorogation des mesures restrictives en cause. Il a joint, en annexes, les documents de travail portant les références WK 11379/2021 REV 1 et WK 11890/2021 INIT, au sein desquels se trouvaient différents rapports et articles de presse concernant la situation particulière du requérant et la situation générale en République démocratique du Congo. En outre, dans ledit courrier, le requérant était expressément invité à formuler ses observations avant le 8 novembre 2021.

50      Ainsi, conformément à la jurisprudence citée au point 47 ci-dessus, le Conseil a transmis au requérant en temps utile, avant l’adoption des actes attaqués, les éléments sur la base desquels il considérait, au terme de son appréciation actualisée effectuée lors du réexamen périodique des mesures restrictives, que l’inscription du nom de celui-ci sur les listes litigieuses demeurait justifiée.

51      À cet égard, tout d’abord, c’est à tort que le requérant reproche au Conseil de lui avoir adressé de nouveaux éléments après l’expiration du délai pour présenter ses observations, fixé par le Conseil au 1er septembre 2021.

52      En effet, l’appréciation actualisée des informations rappelée au point 47 ci-dessus vise à permettre au Conseil d’établir un bilan de l’impact des mesures restrictives dans le cadre de leur réexamen périodique, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur les listes litigieuses ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités. Une telle appréciation impliquait donc que le Conseil examine les éléments qu’il avait rassemblés à la lumière, le cas échéant, des observations transmises par le requérant (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, point 63).

53      Partant, la communication au requérant des éléments nouveaux sur la base desquels le Conseil estimait que, au terme d’une appréciation actualisée, il y avait lieu de maintenir l’inscription de son nom sur les listes litigieuses ne pouvait intervenir qu’après le 1er septembre 2021, à savoir le terme du délai de réexamen qui avait été fixé par le Conseil et communiqué au requérant afin de lui permettre de présenter des observations.

54      Ensuite, l’obligation de communiquer en temps utile, avant l’adoption d’un acte portant renouvellement des mesures restrictives, l’appréciation actualisée sur la base de laquelle le Conseil estime qu’il y a lieu de prolonger les mesures restrictives ne saurait se traduire par une obligation de communiquer l’ensemble des éléments de preuve figurant au dossier du Conseil au fur et à mesure que ceux-ci y sont versés. En effet, admettre une telle règle reviendrait à imposer au Conseil de transmettre de sa propre initiative les éléments du dossier, ce qui, selon la jurisprudence, constituerait une exigence excessive (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 201 et jurisprudence citée).

55      Enfin, s’agissant du délai de vingt jours laissé au requérant pour répondre aux éléments qui lui ont été transmis par courrier du Conseil du 19 octobre 2021, d’une part, il convient de souligner que l’obligation pour les institutions de l’Union de permettre aux personnes concernées de faire connaître utilement leur point de vue lorsqu’un acte faisant grief est en voie d’être adopté requiert seulement que ce point de vue ait pu être soumis en temps voulu pour que lesdites institutions puissent en prendre connaissance et, avec toute l’attention requise, en apprécier la pertinence pour le contenu dudit acte (voir arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 330 et jurisprudence citée). Ainsi, lorsqu’il fixe le délai à l’expiration duquel des observations doivent lui être soumises, le Conseil doit tenir compte de la période dont il aurait besoin pour examiner ces observations (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2020, Ocean Capital Administration e.a./Conseil, T‑332/15, non publié, EU:T:2020:308, point 190).

56      En l’occurrence, ainsi qu’il a été relevé au point 23 ci-dessus, les mesures restrictives en cause arrivaient à échéance le 12 décembre 2021. En outre, ainsi que cela ressort des listes litigieuses, le requérant n’était pas la seule personne visée par lesdites mesures restrictives qui étaient sur le point d’expirer.

57      D’autre part, il a été jugé dans une autre affaire qu’un délai de douze jours pour présenter des observations dans le cadre d’un renouvellement de mesures restrictives était suffisant (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2020, Ocean Capital Administration e.a./Conseil, T‑332/15, non publié, EU:T:2020:308, point 191). Dès lors, faute d’éléments particuliers avancés par le requérant, un délai de vingt jours n’apparaît pas déraisonnable en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, point 68).

58      Il en va d’autant plus ainsi que le requérant a, par l’intermédiaire de ses avocats, effectivement présenté ses observations dans ce délai, par courrier du 5 novembre 2021, dans lequel il a contesté la pertinence, pour justifier le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, des documents transmis par courrier du Conseil du 19 octobre 2021 ainsi que de la référence à ses fonctions d’inspecteur général des armées.

59      Dans ces circonstances, le Conseil pouvait estimer qu’il était nécessaire de fixer un délai allant jusqu’au 8 novembre 2021, lui laissant un temps raisonnable de vingt jours avant l’expiration des mesures restrictives, pour tenir compte d’éventuelles observations présentées par le requérant.

60      En second lieu, l’argument du requérant selon lequel, en substance, le Conseil n’a ni cherché à répondre à ses observations ni tenu compte de celles-ci procède d’une appréciation erronée des faits et des obligations qui s’imposent au Conseil au titre du respect des droits de la défense.

61      Premièrement, selon la jurisprudence, si le respect des droits de la défense et du droit d’être entendu exige que les institutions de l’Union permettent à la personne visée par un acte faisant grief de faire connaître utilement son point de vue, il ne peut leur imposer d’adhérer à celui-ci (arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 330).

62      Ainsi, le seul fait que le Conseil ait décidé de proroger des mesures restrictives contre des personnes, et n’ait pas jugé utile de procéder à des vérifications au vu des observations présentées par elles, ne saurait impliquer que de telles observations n’ont pas été prises en compte (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 331).

63      En outre, alors que le requérant se prévaut d’éléments qu’il avait déjà produits au titre des troisième et quatrième prorogations des mesures restrictives à son égard, et déjà pris en considération par le Conseil dans ce cadre, il ressort en outre des courriers du Conseil des 5 août, 19 octobre et 10 décembre 2021, adressés aux avocats du requérant au titre de la cinquième prorogation des mesures restrictives en cause, que le Conseil a dûment tenu compte de leurs observations exprimées dans leurs courriers des 20 juillet, 12 août, 12 octobre et 5 novembre 2021. Par ailleurs, le Conseil a veillé à ce que ces observations soient communiquées aux délégations des États membres préalablement à l’adoption des actes attaqués, afin qu’elles soient transmises aux différents comités décisionnels et analysées par ces derniers.

64      Deuxièmement, il ressort également des courriers du Conseil des 5 août et 19 octobre 2021 que celui-ci a pris soin de répondre spécifiquement aux observations des avocats du requérant, alors même que, selon la jurisprudence, le Conseil n’est pas tenu de répondre aux observations présentées par la personne ou l’entité concernée avant l’adoption des mesures restrictives envisagées (arrêt du 31 janvier 2019, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, C‑225/17 P, EU:C:2019:82, point 92).

65      Troisièmement, il importe de rappeler que les dispositions du droit de l’Union en matière de mesures restrictives sur lesquelles les actes litigieux ont été fondés, à savoir le règlement no 1183/2005 et la décision 2010/788, ne confèrent pas aux intéressés le droit à une audition formelle. Certes, ainsi qu’il résulte du libellé même de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux, cette disposition est d’application générale. Il s’ensuit que le droit d’être entendu doit être respecté dans toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief, même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité. Toutefois, il ne ressort pas de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de ladite charte que l’audition formelle constitue la seule manière permettant d’assurer, de manière utile et effective, à l’intéressé, l’exercice de son droit d’être entendu (arrêt du 12 mai 2022, Boshab/Conseil, C‑242/21 P, non publié, EU:C:2022:375, point 62). Partant, le requérant n’est pas fondé à se prévaloir d’un droit à une audition formelle.

66      À la lumière des circonstances qui précèdent, il convient de conclure que le Conseil s’est acquitté de ses obligations en ce qui concerne le respect des droits de la défense du requérant au cours de la procédure qui a abouti à l’adoption des actes attaqués. En effet, le requérant a eu accès aux éléments qui ont justifié le maintien des mesures restrictives contre lui et a été mis en mesure de formuler, en temps utile, des observations à cet égard, ce qu’il a effectivement fait. Partant, le droit d’être entendu du requérant a bien été garanti et le premier moyen doit être écarté.

 Sur le second moyen, tiré d’erreurs d’appréciation

67      Le présent moyen se divise en deux branches. Dans une première branche, le requérant invoque une erreur manifeste d’appréciation quant au contexte du réexamen de la situation démocratique et politique en République démocratique du Congo précédant la prorogation des mesures restrictives à son égard. Dans une seconde branche, il invoque, en substance, une erreur d’appréciation quant à son implication dans des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo à la date d’adoption des actes attaqués.

 Sur l’appréciation de la situation en République démocratique du Congo à la date d’adoption des actes attaqués

68      Le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil a commis une erreur manifeste dans son appréciation de l’état de la situation démocratique et politique en République démocratique du Congo à la date d’adoption des actes attaqués, résultant d’une absence d’actualisation de faits anciens de sa part. À cet égard, il relève que diverses instances, dont l’Union africaine (UA) et la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), se sont prononcées en faveur de la levée des sanctions en cours. En particulier, les travaux de la deuxième session du Dialogue politique entre la République démocratique du Congo et l’Union, qui s’est tenue les 5 et 6 octobre 2020 à Kinshasa, feraient état d’un dialogue entre les deux parties, notamment sur la question des droits de l’homme.

69      Ainsi, au regard de l’évolution de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo et des changements d’orientations politiques opérés depuis le début de la dernière présidence, le requérant estime que les circonstances de fait et de droit ayant présidé à l’adoption des mesures restrictives en cause n’existeraient plus et ces mesures ne seraient plus nécessaires au regard de l’objectif conservatoire et limité dans le temps qui leur était assigné.

70      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.

71      Selon la jurisprudence, en ce qui concerne les règles générales définissant les modalités des mesures restrictives, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives. Le juge de l’Union ne pouvant, en particulier, substituer son appréciation des preuves, des faits et des circonstances justifiant l’adoption de telles mesures à celle du Conseil, le contrôle exercé par le Tribunal doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 36, et du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 94).

72      Il convient de rappeler que, de manière générale, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour adopter des actes dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), qui constitue un domaine impliquant de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. De même, la jurisprudence reconnaît au Conseil une large marge d’appréciation pour la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives, au regard des objectifs sur lesquels ces mesures reposent. Une marge d’appréciation de même portée doit donc lui être reconnue s’agissant de la prorogation de l’application de ces critères (arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 130).

73      Ainsi, il n’appartient pas au Tribunal de se prononcer, dans le contexte du présent recours, sur le bien-fondé de la politique de soutien du Conseil au processus de stabilisation politique et démocratique en République démocratique du Congo, dans le cadre de laquelle la décision 2010/788, le règlement no 1183/2005 et les actes attaqués s’inscrivent. Il ne lui appartient pas non plus de substituer son appréciation à celle du Conseil quant au contexte politique et sécuritaire auquel ladite décision et ledit règlement se rapportent et à la nécessité de les proroger au regard de ce contexte. Il lui appartient seulement d’examiner si, pour évaluer cette nécessité, le Conseil n’a pas manifestement méconnu l’importance et la gravité des éléments relatifs au contexte politique et sécuritaire congolais invoqués par le requérant, au regard des autres informations à sa disposition et des objectifs de ces actes.

74      C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’examiner les différents arguments du requérant au soutien de la première branche du présent moyen.

75      Il y a lieu de rappeler que l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788 et l’article 2 ter, paragraphe 1, du règlement no 1183/2005 prévoient que les mesures restrictives sont instituées à l’encontre des personnes et des entités, d’une part, faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en République démocratique du Congo, notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence ou à des actions portant atteinte à l’État de droit, ou, d’autre part, contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo.

76      En l’espèce, il peut être constaté que, comme le Conseil l’a admis lui-même, le contexte politique en République démocratique du Congo a évolué depuis l’établissement des mesures restrictives en cause en 2016, et ce dans le sens en particulier d’une certaine ouverture démocratique à l’issue des élections présidentielles du 30 décembre 2018 (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, point 90).

77      Néanmoins, il importe de relever que le Conseil a, dans l’exercice de sa marge d’appréciation, apprécié la situation politique et démocratique actuelle en République démocratique du Congo en application, non pas du premier critère, mais du deuxième critère de désignation énoncé à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005, visant les personnes et les entités contribuant à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits. Ainsi, la décision 2021/2181 précise, en son considérant 3, que la prorogation des mesures restrictives en cause tient compte « des violations persistantes des droits de l’homme en [République démocratique du Congo] ».

78      Cela ressort d’ailleurs du courrier du Conseil du 10 décembre 2021, accompagnant l’adoption des actes attaqués, qui précise que « les mesures restrictives individuelles imposées par l’Union européenne répondent notamment à la situation des droits de l’homme ». En outre, il convient de relever que, depuis la troisième prorogation des mesures restrictives en cause, en décembre 2019, aucune des personnes inscrites sur les listes litigieuses ne l’a été à l’aune de motifs relevant du premier critère énoncé à l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, du règlement no 1183/2005.

79      À cet égard, il ressort des documents produits par le Conseil que ce dernier disposait, au titre du présent réexamen, d’un faisceau d’informations provenant de sources variées, selon lesquelles il existait toujours une situation préoccupante en ce qui concernait le respect des droits de l’homme en République démocratique du Congo, de sorte que la commission d’actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo, visés à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005, était établie.

80      En particulier, le constat par le Conseil de l’existence pendant la période de réexamen de nombreux actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo imputables à des agents de l’État est appuyé par une analyse de la situation des droits de l’homme de janvier à juin 2021, réalisée conjointement par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH), la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), complétée par des infographies établies au titre des mois de mars, de mai, de juillet et d’août 2021, qui figuraient dans les annexes du courrier du Conseil du 19 octobre 2021.

81      De cette analyse, il ressort que, malgré une tendance à la baisse saluée des violations et atteintes aux droits de l’homme au cours de cette période, le BCNUDH a rapporté plusieurs milliers de ces violations et atteintes sur l’ensemble du territoire de la République démocratique du Congo. Sur l’ensemble du territoire, « [p]rès de 43 % des violations [o]nt été commises par des agents de l’État (1.413 violations) », parmi lesquels « les militaires des [FARDC] sont ceux ayant commis le plus grand nombre de violations[,] soit [p]rès de 22 % de [celles-ci.] Les agents de la Police nationale congolaise (PNC) ont pour leur part commis 534 violations ». Ces violations, principalement documentées dans les provinces, notamment, du Nord-Kivu, d’Ituri, du Kasaï et du Kasaï Central, recouvrent des « violations du droit à la vie ([e]xécutions extrajudiciaire[s]), [d]u droit à l’intégrité physique ([v]iolences sexuelles)[,] du droit à la liberté et à la sécurité de la personne[,] du droit à la propriété[, des] cas de travaux forcés [et des vi]olations commises dans le cadre de restrictions de l’espace démocratique, dont [des] violations du droit à la liberté d’opinion et d’expression[,] du droit à la liberté de manifestation [et du] droit à la liberté d’association ». En ce qui concerne les provinces affectées par les conflits, majoritairement concernées, le BCNUDH a documenté un total de 1 215 violations commises par les agents de l’État, « soit 40 % des cas documentés dans les provinces concernées », et en majorité par les militaires des FARDC. Il exprime rester « préoccupé par le nombre élevé de civils tués dans ces provinces au cours des six premiers mois de 2021 : au moins 1.147 personnes, dont 240 femmes et 78 enfants, soit, en moyenne, six civils tués chaque jour dans le cadre de conflits. Selon lui le nombre de violations du droit à la vie attribuables aux agent de l’État a augmenté [p]ar rapport au premier semestre 2020 ». Il observe encore que, « [l]ors de [m]anifestations organisées en avril 2021 contre l’insécurité », « [il a été fait] un usage excessif de la force par les agents de la PNC », que « [d]e nombreux manifestants ont été battus et détenus dans des conditions violant leurs droits », que « [d]e nombreux civils ont été tués et blessés par balles et armes blanches », que « des menaces contre le personnel humanitaire et leurs partenaires, la diffusion des messages de haine et [d]e fausses nouvelles dans les médias, les réseaux sociaux [s]ouvent à l’instigation des hommes politiques et opérateurs économiques ont gravement entravé le travail des Nations Unies et des organisations humanitaires » et que « [l]es principaux auteurs présumés de ces violations [ont été], comme à la même période de l’année dernière, les agents de la PNC[,] suivis des militaires des FARDC[,] des autres agents de l’État [e]t des agents de l’ANR ».

82      De manière similaire, ces constatations sont appuyées par plusieurs notes du BCNUDH sur les principales tendances des violations des droits de l’homme en mars, en mai, en juillet et en août 2021, également communiquées au requérant par courrier du Conseil du 19 octobre 2021. En effet, ces notes attestent, pour chacun de ces mois, de la responsabilité des agents de l’État, dont des militaires des FARDC, et des agents de la PNC, dans des violations des droits de l’homme documentées. En particulier, en août 2021, le BCNUDH a documenté une augmentation significative de ces violations de 50 % par rapport au mois de juillet, « les agents de l’État étant responsables de [5]5 % des violations documentées [et l]es agents de la [PNC] et les militaires des FARDC [aya]nt commis 48 % du total de [ce]s violations[,] avec notamment les exécutions extrajudiciaires d’au moins 30 hommes, sept femmes et trois enfants ».

83      Par ailleurs, s’agissant du communiqué conjoint de la deuxième session du Dialogue politique des 5 et 6 octobre 2020 entre la République démocratique du Congo et l’Union, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a considéré que, contrairement à ce qu’allègue le requérant, ce communiqué ne permettait pas de soutenir qu’il n’existait plus aucune raison de maintenir les mesures restrictives en cause au regard des conditions énoncées à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005, en ce qu’il faisait au contraire référence, en son point 4, à « la persistance inacceptable des violations des droits humains » et à « la recrudescence de l’activisme des groupes armés et des forces négatives » ayant pour conséquence « la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire dans certains territoires des Provinces de l’Est de la République Démocratique du Congo » (arrêt du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, point 100).

84      Par conséquent, compte tenu des informations dont le Conseil disposait au moment de l’adoption des actes attaqués, détaillées aux points 79 à 83 ci-dessus, il ne saurait être soutenu que, en raison de l’évolution du contexte politique depuis les dernières élections présidentielles, il ait commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant de renouveler l’imposition de mesures restrictives au regard de la situation actuelle en République démocratique du Congo. En effet, il ne ressort nullement de ces éléments que des changements dans la configuration de la situation politique auraient conduit à la cessation des graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits observées sur le territoire de la République démocratique du Congo, commises notamment par des agents de l’État, dont les militaires des FARDC et les agents de la PNC, et prises spécifiquement en considération par le Conseil en vue de la prorogation des mesures restrictives en cause au regard de la réalisation des objectifs qui leur était associée, notamment le soutien à l’État de droit et à la protection des droits de l’homme.

85      Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste en considérant que la situation en République démocratique du Congo continuait de justifier l’imposition de mesures restrictives concernant cet État.

 Sur l’appréciation de l’implication du requérant dans des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo à la date d’adoption des actes attaqués

86      Le requérant conteste, en substance, le bien-fondé des actes attaqués en ce qu’ils maintiennent l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur la base d’une appréciation erronée de ses fonctions actuelles, alors que, au moment de l’adoption de ces actes, il ne pouvait être considéré comme étant impliqué dans de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

87      Au soutien de sa démonstration de ce que les motifs retenus par le Conseil ne sauraient justifier le maintien des mesures restrictives en cause à son égard, premièrement, le requérant expose, en substance, que le Conseil était tenu de faire la preuve de l’existence d’un lien, direct ou indirect, entre ses activités présentes et les activités visées par les mesures, en tant que condition dudit maintien. Il reproche ainsi au Conseil d’avoir maintenu l’inscription de son nom sur les listes litigieuses pour des faits passés et en raison de fonctions qu’il n’occupait plus au moment de l’adoption des actes attaqués, au mépris du critère d’inscription rédigé au présent. À cet égard, il conteste que sa situation d’« associé » à des membres du gouvernement et ses prétendus liens avec les autorités de la République démocratique du Congo, du fait de ses fonctions uniquement antérieures, aient permis de justifier, au moment de ladite adoption, son implication personnelle, individualisée, actuelle et concrète dans des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits sur le fondement de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005.

88      Deuxièmement, le requérant dénonce le fait que le Conseil continue à se référer, malgré l’écoulement du temps et les changements d’orientations politiques depuis les dernières élections présidentielles, à « [s]es hautes responsabilités et [à] l’influence qu[’il] conserve à ce jour au sein des FARDC », ce qui lui ferait « porter une responsabilité dans les récentes violations des droits de l’homme commises par les FARDC », alors même que celui-ci ne démontre pas que ses fonctions actuelles laissent subsister un risque au regard de la situation des droits de l’homme dans ce pays.

89      À cet égard, le requérant conteste la pertinence et la valeur probante des éléments communiqués par courrier du Conseil du 19 octobre 2021. Il estime que ces éléments ne visent aucun acte de violation des droits de l’homme, pour lequel il pourrait être tenu individuellement responsable ou impliqué, mais établissent uniquement qu’il continue à participer à la vie politique et exerce ses fonctions d’inspecteur général des FARDC dans un pays traversé par une grave crise humanitaire et sécuritaire. Il relève participer au contraire activement à la politique de réforme des forces armées menée par la présidence de la République. Il souligne également la confiance que la présidence de la République a pu lui témoigner dans ce cadre, là où d’autres militaires ont été sanctionnés et dégradés par ailleurs.

90      Troisièmement, le requérant soutient que, dans ces conditions, le maintien des mesures restrictives en cause à son égard en dépit de leur caractère conservatoire est de nature à conférer à ces dernières un caractère pénal, sans pourtant que soit assuré le respect de l’exigence d’un débat contradictoire ou d’une audition préalable à la décision de les maintenir.

91      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.

92      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

93      Il appartient au Conseil, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

94      À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67).

95      L’appréciation du caractère suffisamment solide de la base factuelle retenue par le Conseil doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

96      À cet égard, il a été jugé que le Conseil n’était pas tenu de démontrer l’implication personnelle d’une personne dans les actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits visés par des mesures restrictives, mais qu’il lui était suffisant, du fait des responsabilités importantes exercées par la personne concernée, de pouvoir légitimement considérer que celle-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2021, Amisi Kumba/Conseil, T‑106/20, non publié, EU:T:2021:582, point 151 et jurisprudence citée).

97      Par ailleurs, il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 58 et 59).

98      C’est dans ce contexte que le Tribunal a jugé, concernant les troisièmes et quatrièmes prorogations des mesures restrictives en cause, que le Conseil pouvait décider de maintenir sur les listes litigieuses les noms de personnes en conservant les motifs relatifs à des faits passés et retenus à l’origine de leur inscription initiale, sans qu’une rédaction au participe présent du critère d’inscription y fasse obstacle et sans que les personnes en cause aient commis de nouvelles violations des droits de l’homme au cours de la période précédant le réexamen, pourvu que ce maintien reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’auraient pas été atteints (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 82 à 84 et jurisprudence citée, et du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, points 121 et 123).

99      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner la seconde branche du second moyen.

100    En l’espèce, il résulte des considérants 3 et 4 de la décision 2016/2231 que les mesures restrictives en cause à l’encontre de certaines catégories de personnes, en particulier de celles qui contribuent à de graves violations des droits de l’homme, ont notamment pour objectif de permettre une stabilisation de la situation en République démocratique du Congo en incitant le gouvernement à assurer un climat propice à la tenue d’un dialogue démocratique, à veiller au respect des droits de l’homme et de l’État de droit et à cesser toute instrumentalisation de la justice, en vue de permettre de traduire devant une justice indépendante les auteurs d’atteintes graves à ces droits. À cette fin, elles visent à faire pression sur les personnes tenues pour responsables de l’instabilité de la situation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo.

101    C’est ainsi que le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses, par la décision 2016/2231 et par le règlement 2016/2230, aux motifs, en substance, qu’il occupait les fonctions de commandant de la première zone de défense des FARDC, dont les militaires étaient impliqués dans un recours disproportionné à la force et dans la répression violente de manifestations s’étant tenues à Kinshasa en septembre 2016.

102    De plus, par l’adoption de la décision 2020/2033 et du règlement d’exécution 2020/2021, portant quatrième prorogation de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil a ajouté à l’exposé des motifs d’une telle inscription la mention selon laquelle le requérant, en sa qualité de chef d’état-major adjoint des FARDC chargé des opérations et du renseignement de juillet 2018 à juillet 2020, et en raison de ses hautes fonctions d’inspecteur général des FARDC depuis juillet 2020, portait une responsabilité dans les violations des droits de l’homme commises par les FARDC en République démocratique du Congo.

103    Amené à se prononcer sur un recours en annulation dirigé contre la décision 2020/2033 et le règlement d’exécution 2020/2021, le Tribunal a constaté que le Conseil avait démontré à suffisance un lien entre le requérant et la situation sécuritaire en République démocratique du Congo, et que l’ensemble des motifs retenus par le Conseil étaient établis (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Amisi Kumba/Conseil, T‑107/21, non publié, EU:T:2022:252, points 124 à 132).

104    Dans les actes attaqués, le Conseil a laissé inchangé les motifs d’inscription en ce qui concerne le requérant, alors que les faits retenus dans la première partie de ceux-ci datent de plus de cinq ans et que le requérant n’occupe plus les fonctions qui avaient justifié l’inscription initiale de son nom sur les listes litigieuses.

105    Dans ce contexte, il importe donc de vérifier si, en application de la jurisprudence mentionnée au point 98 ci-dessus, le Conseil pouvait, au terme de son appréciation actualisée de la situation effectuée dans le cadre du réexamen des mesures restrictives en cause et sur la base de nouveaux éléments, décider de maintenir sur les listes litigieuses le nom du requérant en conservant les motifs retenus dans ses décisions antérieures. En d’autres termes, il convient de vérifier si ce maintien restait justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les situations combattues et les objectifs visés par les mesures restrictives, mentionnés au point 100 ci-dessus, n’auraient pas été atteints.

106    À cet égard, il a été relevé aux points 79 à 82 ci-dessus que la situation sécuritaire et des droits de l’homme en République démocratique du Congo était toujours préoccupante au cours de la période de réexamen en cause et au moment de l’adoption des actes attaqués, cet État connaissant une instabilité caractérisée par de nombreux actes de violations graves des droits de l’homme.

107    En particulier, il ressort des éléments de preuve soumis par le Conseil, notamment de ceux émanant du BCNUDH, que des effectifs appartenant aux FARDC, dont le requérant était l’un des hauts responsables en tant qu’inspecteur général des FARDC depuis juillet 2020, étaient spécifiquement mentionnés comme ayant fait partie des principaux responsables des actes constitutifs de violations des droits de l’homme pris en compte lors de la période de réexamen en cause. En outre, il ressort de l’analyse de la situation des droits de l’homme de janvier à juin 2021, réalisée conjointement par le BCNUDH, la Monusco et le HCDH que « le BCNUDH a continué à documenter les nominations aux fonctions de commandement, y compris pour des opérations militaires, d’officiers des FARDC et de la PNC dont des allégations sérieuses indiquent qu’ils portent une responsabilité – directe ou en tant que supérieur hiérarchique – sur des violations des droits de l’homme ». Le BCNUDH a alors considéré que « [c]ette situation risqu[ait] d’éroder davantage la confiance que les populations ont en les forces de défense et de sécurité et [d’amoindrir] les efforts fournis dans la protection des civils et la lutte contre l’impunité » et qu’il « conven[ait] d’adopter des directives claires définissant des critères de promotion au sein des [FARDC] et de la [PNC] ainsi qu’un processus permettant d’éloigner du front et du commandement certains officiers alors que des enquêtes promptes et sérieuses sont systématiquement ouvertes sur les allégations des violations des droits de l’homme ».

108    Or, en tant qu’inspecteur général des FARDC, soit l’une des plus hautes fonctions au sein de l’armée, et promu également en juillet 2020 au grade de général d’armée, soit le grade le plus élevé des FARDC, le requérant pouvait être tenu pour responsable des violations des droits de l’homme commises par des militaires des FARDC au cours de la période de réexamen en cause, conformément à la jurisprudence rappelée au point 96 ci-dessus.

109    Par ailleurs, il est vrai que plusieurs articles de presse, produits en annexe dans le courrier du Conseil du 19 octobre 2021, font état de manière concordante de la participation du requérant, dans le cadre de ses fonctions, à différentes opérations dans les provinces sous état de siège du Nord Kivu et d’Ituri, en vue de contrôler la gestion des fonds publics par les autorités provinciales militaires et ainsi, comme le relève le requérant, d’un comportement louable de sa part en vue de lutter contre la corruption au sein de l’armée. Néanmoins, la production de ces articles se révèle également pertinente, comme le soutient le Conseil, afin d’établir les hautes responsabilités et l’influence du requérant auprès des militaires des FARDC déployés dans deux des provinces les plus affectées par les violations des droits de l’homme commises par ces militaires.

110    Dans ces conditions, il convient de conclure que le Conseil a établi un lien suffisant, au sens de la jurisprudence citée au point 95 ci-dessus, entre le requérant et la situation sécuritaire en République démocratique du Congo au moment de l’adoption des actes attaqués.

111    Le Conseil pouvait dès lors considérer, à la date d’adoption des actes attaqués, que, malgré l’imposition de mesures restrictives contre le requérant depuis le mois de décembre 2016, en raison de son implication dans des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits à partir de septembre 2016, en tant que commandant de la première zone de défense des FARDC, dont les militaires étaient impliqués dans un recours disproportionné à la force et dans la répression violente des manifestations s’étant tenues à Kinshasa, de telles mesures continuaient d’être justifiées au moment de l’adoption des actes attaqués, en raison de la persistance établie des violences commises par les FARDC et du fait que le requérant, inspecteur général des FARDC titulaire du grade de général d’armée, occupait toujours, à ce moment-là, des fonctions parmi les plus hautes au sein de la hiérarchie des FARDC.

112    Le Conseil pouvait en déduire que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses demeurait justifié au regard de l’objectif initial poursuivi de faire cesser en République démocratique du Congo les actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits, c’est-à-dire sur la base du critère prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005.

113    Par ailleurs, les mesures restrictives imposées au requérant étant conformes à l’objectif poursuivi de faire pression sur celui-ci en vue d’une amélioration de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo (voir point 100 ci-dessus), ces mesures, adoptées dans le cadre et aux fins d’une procédure de nature administrative ayant une fonction conservatoire, ne s’apparentent pas, contrairement à ce que fait valoir le requérant, à des sanctions de nature pénale [voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 139 (non publié) et jurisprudence citée].

114    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter l’argument du requérant tiré de ce que, en substance, l’évolution de sa situation individuelle s’opposait au maintien de mesures restrictives à son égard et de rejeter la seconde branche du second moyen. Il y a donc lieu d’écarter le second moyen et, partant, de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

115    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Gabriel Amisi Kumba est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Gervasoni      Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2023.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.