Language of document : ECLI:EU:C:2013:497

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

18 juillet 2013 (*)

«Marques – Règlement (CE) nº 207/2009 – Articles 9, paragraphe 1, sous b) et c), 15, paragraphe 1, et 51, paragraphe 1, sous a) – Motifs de déchéance – Notion d’‘usage sérieux’ – Marque utilisée en combinaison avec une autre marque ou en tant que partie d’une marque complexe – Couleur ou combinaison de couleurs dans laquelle une marque est utilisée – Renommée»

Dans l’affaire C‑252/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 26 avril 2012, parvenue à la Cour le 16 mai 2012, dans la procédure

Specsavers International Healthcare Ltd,

Specsavers BV,

Specsavers Optical Group Ltd,

Specsavers Optical Superstores Ltd

contre

Asda Stores Ltd,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, MM. E. Jarašiūnas, A. Ó Caoimh, Mme C. Toader et M. C. G. Fernlund, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mars 2013,

considérant les observations présentées:

–        pour Specsavers International Healthcare Ltd, Specsavers BV, Specsavers Optical Group Ltd et Specsavers Optical Superstores Ltd, par Mes A. Gold et K. Mattila, solicitors, ainsi que par Mes J. Mellor et A. Speck, QC,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. L. Christie, en qualité d’agent, assisté de Me S. Malynicz, barrister,

–        pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze ainsi que par Mmes J. Kemper et V. Cramer, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. F. Bulst et Mme J. Samnadda, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 9, paragraphe 1, sous b) et c), 15, paragraphe 1, et 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) nº 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Specsavers International Healthcare Ltd, Specsavers BV, Specsavers Optical Group Ltd et Specsavers Optical Superstores Ltd (ci-après, ensemble, le «groupe Specsavers») à Asda Stores Ltd (ci-après «Asda») au sujet d’une prétendue atteinte à des marques communautaires enregistrées par le groupe Specsavers.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’article 5, C, points 1 et 2, de la convention pour la protection de la propriété industrielle, signée à Paris le 20 mars 1883, révisée en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967 et modifiée le 28 septembre 1979 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 828, nº 11851, p. 305, ci-après la «convention de Paris»), dispose:

«1)      Si, dans un pays, l’utilisation de la marque enregistrée est obligatoire, l’enregistrement ne pourra être annulé qu’après un délai équitable et si l’intéressé ne justifie pas les causes de son inaction.

2)      L’emploi d’une marque de fabrique ou de commerce, par le propriétaire, sous une forme qui diffère, par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans une forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée dans l’un des pays de l’Union [pour la protection de la propriété industrielle, instituée en vertu de l’article 1er de la convention de Paris], n’entraînera pas l’invalidation de l’enregistrement et ne diminuera pas la protection accordée à la marque.»

 Le droit de l’Union

4        Le considérant 10 du règlement nº 207/2009 énonce ce qui suit:

«Il n’est justifié de protéger les marques communautaires et, contre celles-ci, toute marque enregistrée qui leur est antérieure, que dans la mesure où ces marques sont effectivement utilisées.»

5        L’article 7 de ce règlement, intitulé «Motifs absolus de refus», dispose:

«1.      Sont refusés à l’enregistrement:

[...]

b)      les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

c)      les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;

d)      les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce;

[...]

3.      Le paragraphe 1, [sous] b), c) et d) n’est pas applicable si la marque a acquis pour les produits ou services pour lesquels est demandé l’enregistrement un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait.»

6        Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement, intitulé «Droit conféré par la marque communautaire»:

«La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires:

[...]

b)      d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

c)      d’un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans [l’Union] et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice.»

7        L’article 15, paragraphe 1, de ce même règlement, intitulé «Usage de la marque communautaire», est libellé en ces termes:

«Si, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque communautaire n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans [l’Union] pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque communautaire est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage.

Sont également considérés comme usage au sens du premier alinéa:

a)      l’usage de la marque communautaire sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée;

[...]»

8        L’article 51, paragraphe 1, du règlement nº 207/2009, intitulé «Causes de déchéance», précise:

«Le titulaire de la marque communautaire est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’[Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles)] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:

a)      si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans [l’Union] pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire est déchu de ses droits, si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux; cependant, le commencement ou la reprise d’usage fait dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque des préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande ou la demande reconventionnelle pourrait être présentée;

[...]»

 Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles

9        Au mois d’octobre 2009, Asda, propriétaire d’une chaîne de supermarchés, a lancé une campagne publicitaire pour des produits d’optique ciblant le groupe Specsavers, ce dernier étant à la fois la plus grande chaîne de magasins d’optique au Royaume-Uni et le principal concurrent d’Asda. Dans le cadre de cette campagne, Asda a utilisé les slogans «Be a real spec saver at Asda» et «Spec savings at ASDA», ainsi que les logos suivants:

Image not found

Image not found


10      Peu après le début de cette campagne publicitaire, le 19 octobre 2009, le groupe Specsavers a introduit, devant la High Court of Justice (England & Wales) (Civil division), une action contre Asda, fondée sur l’atteinte aux marques communautaires suivantes:

–        les marques communautaires verbales nos 1321298 et 3418928, consistant en le mot «Specsavers»;

–        les marques communautaires figuratives nos 449256 et 1321348, qui couvrent le signe suivant (ci-après les «marques au logo ombré»):

Image not found

–        la marque communautaire figurative nº 5608385, qui couvre le signe suivant:

Image not found

–        et la marque communautaire figurative nº 1358589, qui couvre le signe suivant (ci-après la «marque au logo muet»):

Image not found

11      Par jugement rendu le 6 octobre 2010, la High Court of Justice (England & Wales) a considéré qu’Asda n’avait pas porté atteinte aux marques communautaires du groupe Specsavers. Cette juridiction a, en outre, prononcé la déchéance de la marque au logo muet pour non-usage. Le groupe Specsavers a interjeté appel de ce jugement devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division).

12      Par jugement rendu le 31 janvier 2012, la juridiction de renvoi a statué sur le litige en ce qui concerne la prétendue atteinte aux marques communautaires verbales nos 1321298 et 3418928 ainsi qu’aux marques communautaires figuratives nos 449256, 1321348 et 5608385 du groupe Specsavers. Elle a considéré que ce dernier était, sur le fondement de ces marques et conformément à l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 207/2009, habilité à interdire à Asda de faire usage des slogans «Be a real spec saver at Asda» et «Spec savings at Asda» ainsi que du logo utilisé par Asda dans le cadre de sa campagne publicitaire.

13      La juridiction de renvoi a considéré, en revanche, que, pour statuer sur l’aspect du litige au principal concernant la marque au logo muet, il lui était nécessaire de questionner la Cour sur les points suivants.

14      D’une part, et dans la mesure où Asda a demandé la déchéance des droits attachés à la marque au logo muet pour non-usage, la juridiction de renvoi se pose la question de savoir si l’utilisation des marques au logo ombré peut constituer un usage de la marque au logo muet.

15      D’autre part, cette juridiction souhaiterait savoir si la renommée accrue de la figure de couleur verte, qui est celle dont le groupe Specsavers a toujours fait usage pour la représentation de sa marque au logo muet, peut être prise en compte dans le cadre de l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 207/2009, nonobstant le fait que ladite marque a été enregistrée en noir et blanc. La juridiction de renvoi estime que tel devrait être le cas, mais considère toutefois que le droit de l’Union est sujet à interprétation à cet égard.

16      Dans ces conditions, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Lorsqu’un opérateur est titulaire d’enregistrements distincts de marques communautaires pour

a)      une marque figurative et

b)      une marque verbale

et utilise les deux ensemble, un tel usage est-il susceptible de constituer un usage de la marque figurative aux fins des articles 15 et 51 du règlement [nº 207/2009]? Dans l’affirmative, comment l’usage de la marque figurative doit-il être apprécié? [...]

2)      La réponse est-elle différente si:

a)      la marque verbale est surimposée sur l’élément figuratif,

b)      l’opérateur a également fait enregistrer, en tant que marque communautaire, la marque combinée composée de l’élément figuratif et de la marque verbale?

3)      La réponse aux [ première et deuxième] questions dépend-elle du point de savoir si l’élément figuratif et les termes sont perçus par le consommateur moyen[, d’une part,] comme étant des signes distincts ou[, d’autre part,] comme ayant chacun un rôle distinctif indépendant? Dans ce cas, dans quelle mesure?

4)      Lorsqu’une marque communautaire n’est pas enregistrée en couleur, mais que son titulaire en a fait un large usage dans une couleur ou une combinaison de couleurs particulières, si bien que, dans l’esprit d’une fraction importante du public (dans une partie mais pas dans l’ensemble de l’Union), elle est désormais associée à cette couleur ou combinaison de couleurs, la ou les couleurs dans lesquelles le défendeur utilise le signe litigieux sont-elles pertinentes dans le cadre de l’appréciation globale [soit] du risque de confusion au regard de l’article 9, paragraphe 1, sous b), [du règlement nº 207/2009, soit] du profit indu au regard de l’article 9, paragraphe 1, sous c), [de ce règlement]? Dans ce cas, dans quelle mesure?

5)      Dans l’affirmative, le fait que le défendeur lui-même est associé, dans l’esprit d’une fraction importante du public, à la couleur ou à la combinaison de couleurs particulières qu’il utilise pour le signe litigieux est-il pertinent dans le cadre de l’appréciation globale?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première à troisième questions

17      Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la condition d’usage sérieux d’une marque communautaire au sens des articles 15, paragraphe 1, et 51, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 207/2009 est satisfaite lorsqu’une marque communautaire figurative n’est utilisée que conjointement avec une marque communautaire verbale qui lui est surimposée, la combinaison de deux marques étant, de surcroît, elle‑même enregistrée comme marque communautaire.

18      Toutes les parties qui ont présenté des observations devant la Cour soutiennent, en substance, que l’usage d’une marque communautaire figurative conjointement avec une autre marque verbale qui lui est surimposée peut constituer un usage sérieux au sens des articles 15, paragraphe 1, et 51, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 207/2009, pour autant que ladite marque figurative garde un rôle distinctif autonome dans la configuration d’ensemble.

19      Tout d’abord, il convient de préciser qu’une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle une marque verbale est surimposée sur une marque figurative, relève de l’hypothèse visée au paragraphe 1, second alinéa, sous a), de l’article 15 du règlement nº 207/2009, à savoir celle de l’usage de la marque sous une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée.

20      En effet, la surimposition du signe verbal «Specsavers» sur la marque au logo muet modifie la forme sous laquelle cette marque avait été enregistrée, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition, puisque certaines parties de la marque au logo muet se retrouvent ainsi cachées par le signe verbal.

21      Il convient de relever, ensuite, qu’il découle directement des termes de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement nº 207/2009 que l’usage de la marque sous une forme qui diffère de la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée est considéré comme un usage au sens du premier alinéa de cet article, pour autant que le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée ne soit pas altéré.

22      Le caractère distinctif d’une marque au sens du règlement nº 207/2009 signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Procter & Gamble/OHMI, C‑468/01 P à C‑472/01 P, Rec. p. I‑5141, point 32; du 8 mai 2008, Eurohypo/OHMI, C‑304/06 P, Rec. p. I‑3297, point 66, et du 12 juillet 2012, Smart Technologies/OHMI, C‑311/11 P, point 23).

23      Ce caractère distinctif d’une marque enregistrée peut résulter aussi bien de l’usage, en tant que partie d’une marque enregistrée, d’un élément de celle-ci que de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée. Dans les deux cas, il suffit que, en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service en cause comme provenant d’une entreprise déterminée (voir, par analogie, arrêt du 7 juillet 2005, Nestlé, C‑353/03, Rec. p. I‑6135, point 30).

24      Il s’ensuit que l’utilisation de la marque au logo muet avec le signe verbal «Specsavers» surimposé, même si en définitive cette utilisation correspond à une utilisation en tant que partie d’une marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci, peut être considérée comme constituant un usage sérieux de la marque au logo muet en tant que telle pour autant que ladite marque telle qu’elle a été enregistrée, c’est-à-dire sans qu’une partie de celle-ci ne soit cachée par le signe verbal «Specsavers» surimposé, renvoie toujours sous cette forme aux produits du groupe Specsavers visés par l’enregistrement, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

25      Cette conclusion n’est pas affectée par la circonstance que le signe verbal «Spescsavers» ainsi que la combinaison du logo muet avec le signe verbal «Specsavers» surimposé sont également enregistrés comme marques communautaires.

26      En effet, la Cour a déjà jugé que la condition d’usage sérieux d’une marque au sens de l’article 15, paragraphe 1, du règlement nº 207/2009 peut être remplie lorsque la marque n’est utilisée que par l’intermédiaire d’une autre marque complexe ou lorsqu’elle n’est utilisée que conjointement avec une autre marque, la combinaison de ces deux marques étant, de surcroît, elle-même enregistrée comme marque, pour autant que la marque continue d’être perçue comme une indication de l’origine du produit en cause (voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2013, Colloseum Holding, C‑12/12, points 35 et 36).

27      Par ailleurs, la Cour a également considéré, par rapport à l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), cette dernière disposition correspondant, en substance, à l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement nº 207/2009, que le titulaire d’une marque enregistrée peut, aux fins d’établir l’usage de celle-ci au sens de cette disposition, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque, et ce nonobstant le fait que cette forme différente est elle-même enregistrée en tant que marque (arrêt du 25 octobre 2012, Rintisch, C‑553/11, point 30).

28      Les arguments ayant mené la Cour à interpréter l’article 10, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 en ce sens sont transposables mutatis mutandis au contexte de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement nº 207/2009.

29      Cette interprétation est, en particulier, corroborée par la finalité poursuivie par l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement nº 207/2009 qui, en évitant d’exiger une conformité stricte entre la forme utilisée dans le commerce et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, vise à permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. Cette finalité serait en effet compromise si, pour l’établissement de l’usage de la marque enregistrée, il était exigé une condition supplémentaire selon laquelle la forme différente sous laquelle cette marque est utilisée ne devrait pas avoir elle-même fait l’objet d’un enregistrement en tant que marque (voir, par analogie, arrêt Rintisch, précité, points 21 et 22).

30      Au demeurant, cette lecture de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement nº 207/2009 est conforme à l’article 5, C, point 2, de la convention de Paris, dans la mesure où rien dans cette disposition ne laisse entendre que l’enregistrement d’un signe en tant que marque a pour conséquence que l’usage de celui-ci ne peut plus être invoqué pour établir l’usage d’une autre marque enregistrée dont il diffère seulement d’une manière telle que le caractère distinctif de cette dernière n’est pas altéré (voir arrêt Rintisch, précité, point 23).

31      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que les articles 15, paragraphe 1, et 51, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 207/2009 doivent être interprétés en ce sens que la condition d’«usage sérieux», au sens de ces dispositions, peut être satisfaite lorsqu’une marque communautaire figurative n’est utilisée qu’en combinaison avec une marque communautaire verbale qui lui est surimposée, la combinaison de deux marques étant, de surcroît, elle-même enregistrée comme marque communautaire, pour autant que les différences entre la forme sous laquelle la marque est utilisée et celle sous laquelle cette marque a été enregistrée n’altèrent pas le caractère distinctif de ladite marque telle qu’enregistrée.

 Sur la quatrième question

32      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 207/2009 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une marque communautaire n’est pas enregistrée en couleur, mais que son titulaire en a fait un large usage dans une couleur ou une combinaison de couleurs particulières, si bien que, dans l’esprit d’une fraction importante du public, cette marque est désormais associée à cette couleur ou combinaison de couleurs, la ou les couleurs qu’un tiers utilise pour la représentation d’un signe accusé de porter atteinte à ladite marque sont pertinentes dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion ou de l’appréciation globale du profit indu au sens de ces dispositions.

33      Le groupe Specsavers et la Commission européenne proposent une réponse affirmative à cette question, tandis que le gouvernement du Royaume-Uni estime, en revanche, qu’il convient d’y répondre par la négative.

34      S’agissant, en premier lieu, de l’examen du risque de confusion au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 207/2009, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir, notamment, arrêts du 11 novembre 1997, SABEL, C‑251/95, Rec. p. I‑6191, point 22; du 6 octobre 2005, Medion, C‑120/04, Rec. p. I‑8551, point 27, et du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C‑334/05 P, Rec. p. I‑4529, point 34).

35      La Cour a également jugé à plusieurs reprises que l’appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. La perception des marques que le consommateur moyen a des produits ou des services en cause joue un rôle déterminant dans l’appréciation globale dudit risque. À cet égard, le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails (voir, notamment, arrêts précités SABEL, point 23; Medion, point 28, et OHMI/Shaker, point 35).

36      Il résulte, en outre, de la jurisprudence de la Cour que le risque de confusion est d’autant plus élevé que le caractère distinctif s’avère important. Partant, les marques qui ont un caractère distinctif élevé, soit intrinsèquement, soit en raison de la connaissance de celles-ci sur le marché, jouissent d’une protection plus étendue que celles dont le caractère distinctif est moindre (arrêt du 29 septembre 1998, Canon, C‑39/97, Rec. p. I‑5507, point 18).

37      Or, à tout le moins lorsque l’on est en présence d’une marque enregistrée, non pas sous une couleur déterminée ou caractéristique, mais en noir et blanc, la couleur ou la combinaison de couleurs dans laquelle la marque est, par la suite, effectivement utilisée affecte la perception, par le consommateur moyen des produits concernés, de cette marque et elle est, partant, susceptible d’accroître le risque de confusion ou d’association entre la marque antérieure et le signe accusé de porter atteinte à celle-ci.

38      Dans ces conditions, il ne serait pas logique de considérer que la circonstance qu’un tiers utilise pour la représentation d’un signe accusé de porter atteinte à une marque communautaire antérieure une couleur ou une combinaison de couleurs qui est devenue, dans l’esprit d’une fraction importante du public, celle associée à cette marque antérieure par l’usage qui en a été fait par son titulaire dans cette couleur ou cette combinaison de couleurs, ne peut pas être prise en considération dans le cadre de l’appréciation globale au seul motif que ladite marque antérieure a été enregistrée en noir et blanc.

39      En ce qui concerne, en second lieu, l’examen du profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 207/2009, il convient également de procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l’intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés. S’agissant de l’intensité de la renommée et du degré de caractère distinctif de la marque, la Cour a aussi jugé que plus le caractère distinctif et la renommée de cette marque seront importants, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise (voir arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, Rec. p. I‑5185, point 44).

40      À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que la similitude entre les marques du groupe Specsavers et les signes utilisés par Asda a été délibérément recherchée afin de créer une association entre les deux enseignes dans l’esprit du public. Or, la circonstance qu’Asda a utilisé une couleur similaire à celle utilisée par le groupe Specsavers dans le but de profiter du caractère distinctif et de la renommée des marques de ce dernier est un facteur qui doit être tenu en compte pour déterminer si l’existence d’un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque peut être constatée (voir, par analogie, arrêt L’Oréal e.a., précité, point 48).

41      Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 207/2009 doit être interprété en ce sens que lorsqu’une marque communautaire n’est pas enregistrée en couleur, mais que son titulaire en a fait un large usage dans une couleur ou une combinaison de couleurs particulières, si bien que, dans l’esprit d’une fraction importante du public, cette marque est désormais associée à cette couleur ou combinaison de couleurs, la ou les couleurs qu’un tiers utilise pour la représentation d’un signe accusé de porter atteinte à ladite marque sont pertinentes dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion ou de l’appréciation globale du profit indu au sens de cette disposition.

 Sur la cinquième question

42      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande si l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 207/2009 doit être interprété en ce sens que la circonstance que le tiers faisant usage d’un signe accusé de porter atteinte à la marque enregistrée est lui-même associé, dans l’esprit d’une fraction importante du public, à la couleur ou à la combinaison de couleurs particulières qu’il utilise pour la représentation de ce signe est un facteur pertinent dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion et du profit indu au sens de cette disposition.

43      Le groupe Specsavers propose de répondre à cette question par l’affirmative, alors que la Commission considère pour sa part que cet élément peut uniquement être pris en compte aux fins de l’appréciation du juste motif, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 207/2009. Dans la mesure où il propose de donner une réponse négative à la quatrième question, le gouvernement du Royaume-Uni estime qu’il n’y a pas lieu de répondre à la cinquième question.

44      À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il est rappelé aux points 34 et 39 du présent arrêt, tant le risque de confusion au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 207/2009 que le profit indu au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du même règlement doivent être appréciés globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.

45      Il découle en outre de la jurisprudence de la Cour que ces appréciations doivent tenir compte du contexte précis dans lequel le signe prétendument similaire à la marque enregistrée a été utilisé [voir en se sens, s’agissant de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104, arrêt du 12 juin 2008, O2 Holdings et O2 (UK), C‑533/06, Rec. p. I‑4231, point 64].

46      Dans ces conditions, il convient de constater que la circonstance que le tiers faisant usage d’un signe accusé de porter atteinte à la marque enregistrée est lui-même associé, dans l’esprit d’une fraction importante du public, à la couleur ou à la combinaison de couleurs particulières qu’il utilise pour la représentation de ce signe est un élément qui, parmi d’autres, peut revêtir une certaine importance lors de l’examen de l’existence d’un risque de confusion ou du profit indu au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b) ou sous c), du règlement nº 207/2009.

47      D’une part, il ne saurait être exclu qu’une telle circonstance puisse influencer la perception qu’a le public des signes en cause et, dès lors, avoir un impact sur l’existence d’un risque de confusion entre lesdits signes au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), dudit règlement.

48      Ainsi, dans l’affaire au principal, la circonstance qu’Asda est elle-même associée à la couleur verte, couleur qu’elle utilise pour les signes accusés de porter atteinte aux marques du groupe Specsavers, pourrait notamment avoir pour conséquence une diminution du risque de confusion ou d’association entre ces signes et les marques du groupe Specsavers, dans la mesure où le public pertinent pourrait percevoir que la couleur verte desdits signes est celle d’Asda, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

49      D’autre part, ainsi que la Commission l’a fait valoir dans ses observations devant la Cour, la circonstance que le tiers faisant usage d’un signe accusé de porter atteinte à la marque enregistrée est lui-même associé, dans l’esprit d’une fraction importante du public, à la couleur ou à la combinaison de couleurs particulières qu’il utilise pour la représentation de ce signe peut être un facteur pertinent pour déterminer si l’usage dudit signe a un «juste motif», au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 207/2009.

50      Il y a lieu dès lors de répondre à la cinquième question que l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 207/2009 doit être interprété en ce sens que la circonstance que le tiers faisant usage d’un signe accusé de porter atteinte à la marque enregistrée est lui-même associé, dans l’esprit d’une fraction importante du public, à la couleur ou à la combinaison de couleurs particulières qu’il utilise pour la représentation de ce signe est un facteur pertinent dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion et du profit indu au sens de cette disposition.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      Les articles 15, paragraphe 1, et 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) nº 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire, doivent être interprétés en ce sens que la condition d’«usage sérieux», au sens de ces dispositions, peut être satisfaite lorsqu’une marque communautaire figurative n’est utilisée qu’en combinaison avec une marque communautaire verbale qui lui est surimposée, la combinaison de deux marques étant, de surcroît, elle-même enregistrée comme marque communautaire, pour autant que les différences entre la forme sous laquelle la marque est utilisée et celle sous laquelle cette marque a été enregistrée n’altèrent pas le caractère distinctif de ladite marque telle qu’enregistrée.

2)      L’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 207/2009 doit être interprété en ce sens que lorsqu’une marque communautaire n’est pas enregistrée en couleur, mais que son titulaire en a fait un large usage dans une couleur ou une combinaison de couleurs particulières, si bien que, dans l’esprit d’une fraction importante du public, cette marque est désormais associée à cette couleur ou combinaison de couleurs, la ou les couleurs qu’un tiers utilise pour la représentation d’un signe accusé de porter atteinte à ladite marque sont pertinentes dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion ou de l’appréciation globale du profit indu au sens de cette disposition.

3)      L’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement nº 207/2009 doit être interprété en ce sens que la circonstance que le tiers faisant usage d’un signe accusé de porter atteinte à la marque enregistrée est lui-même associé, dans l’esprit d’une fraction importante du public, à la couleur ou à la combinaison de couleurs particulières qu’il utilise pour la représentation de ce signe est un facteur pertinent dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion et du profit indu au sens de cette disposition.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.