Language of document : ECLI:EU:T:1997:168

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

6 novembre 1997 (1)

«Fonctionnaires - Article 90, paragraphe 1, du statut - Décision implicite

de rejet d'une demande - Article 24 du statut - Devoir d'assistance»

Dans l'affaire T-223/95,

Luigi Ronchi, ancien fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Luxembourg, représenté par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure, Véronique Leclerq et Ariane Tornel, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, et Julian Currall, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation d'une décision implicite de la Commission portant rejet d'une demande d'assistance introduite par le requérant le 30 janvier 1995 et, d'autre part, une demande de paiement d'un écu symbolique en réparation du dommage moral qu'il estime avoir subi,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. C. W. Bellamy, président, A. Kalogeropoulos et M. Jaeger, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 3 juillet 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits et procédure

1.
    A la fin de l'année 1994, un livre de M. François d'Aubert, intitulé «Main basse sur l'Europe - Enquête sur les dérives de Bruxelles», a été publié notamment en France, en Belgique et au Luxembourg. Ce livre accuse un M. «Y», fonctionnaire de la Commission à Luxembourg, de certaines irrégularités, notamment en ce qui concerne l'installation d'une agence bancaire dans le bâtiment Jean Monnet de la Commission.

2.
    Le requérant était à l'époque fonctionnaire de la Commission à Luxembourg. Il a estimé que, malgré certaines erreurs de fait, on pouvait l'identifier comme étant ce M. «Y».

3.
    Par note du 30 janvier 1995, il a demandé à l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), en conformité avec l'article 24 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), de prendre toutes les mesures nécessaires afin de rétablir son niveau de réputation et d'honorabilité. A titre subsidiaire, pour le cas où la Commission n'aurait pas eu l'intention d'entreprendre elle-même immédiatement toutes les actions aptes à poursuivre l'auteur des propos en cause, le requérant demandait l'autorisation de les entamer en son nom propre. Il sollicitait également l'autorisation d'utiliser, à cette fin, tous les éléments, même confidentiels, dont il disposait, ainsi que l'octroi d'une aide financière et technique.

4.
    Par note du 27 février 1995, le directeur général de la direction générale du personnel et de l'administration (DG IX) lui a répondu, notamment, qu'il avait demandé à ses services de procéder à une enquête dans le but de vérifier si les allégations contenues dans le livre précité étaient fondées, et lui a demandé de communiquer au directeur de la direction B «droits et obligations» de la DG IX les éventuels éléments pertinents dont il disposait.

5.
    Dans cette note, le directeur général de la DG IX a également rappelé au requérant que, en vertu de l'article 17 du statut, il ne pouvait communiquer sous quelque forme que ce soit, à une personne non qualifiée pour en avoir connaissance, aucun document ni information qui n'auraient pas été rendus publics, sans en avoir préalablement demandé l'autorisation à l'institution.

6.
    Par note du 2 mars 1995 adressée au directeur général de la DG IX, le requérant a fait remarquer à celui-ci que sa «décision» en application de l'article 17 du statut le privait de la possibilité d'entreprendre les actions aptes à poursuivre l'auteur et l'éditeur des propos dont il s'estimait victime, tout en ajoutant qu'il se tenait à la disposition du directeur de la direction B ainsi que de toute autre personne dûment qualifiée pour leur permettre de procéder à l'enquête ordonnée.

7.
    Le 5 avril 1995, il a adressé au directeur général de la DG IX une note dans laquelle il exprimait sa surprise de ne pas avoir été informé des résultats de l'enquête. Il faisait également observer qu'il n'avait toujours pas été entendu aux fins de l'enquête.

8.
    Par note du 3 mai 1995, le directeur général de la DG IX lui a répondu que l'enquête était toujours en cours et que, avant qu'elle ne soit menée à terme, il n'y avait pas lieu de statuer sur sa demande. Il a précisé que sa note du 27 février 1995 n'interdisait pas au requérant d'entreprendre les actions qu'il jugeait utiles pour défendre ses intérêts, sous réserve des dispositions de l'article 17 du statut.

9.
    Le 19 mai 1995, l'avocat du requérant a écrit au directeur général de la DG IX pour lui confirmer, notamment, la demande d'assistance technique et financière de son client et son souhait d'être informé de l'état et des résultats éventuels de l'enquête ordonnée. Il demandait également que le directeur général précise les actions qu'il autorisait le requérant à entreprendre personnellement, ainsi que la liste des documents qu'il pouvait produire à leur soutien.

10.
    Le 17 juillet 1995, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, qui a été enregistrée le 7 août 1995. Par cette réclamation, il demandait à l'AIPN: de retirer sa décision implicite de rejet de la demande d'assistance introduite le 30 janvier 1995 et, en conséquence, d'entreprendre toutes les actions de nature à le rétablir publiquement dans son honneur et sa dignité; de lui accorder, à titre subsidiaire, une aide technique et financière pour lui permettre d'entreprendre lui-même ces actions, et de l'autoriser à faire état de tous les éléments dont il avait connaissance et à produire tout document établissant le caractère calomnieux des accusations portées contre lui. Il demandait également le paiement d'un écu en réparation du dommage moral qu'il estimait avoir subi.

11.
    Selon la réponse de la Commission à une question écrite du Tribunal, celle-ci s'est rendu compte, à la suite de l'introduction de la réclamation, que l'enquête n'avait pas avancé. Par conséquent, le 11 septembre 1995, l'enquête a été confiée au chef de l'unité 1 «personnel Luxembourg» au sein de la DG IX.

12.
    La Commission n'ayant pas adopté de décision explicite en réponse à la réclamation, le requérant a introduit le présent recours le 7 décembre 1995.

13.
    Le chef de l'unité «personnel Luxembourg» a déposé son rapport d'enquête le 22 décembre 1995.

14.
    Par note du 6 février 1996, le directeur général de la DG IX a informé le requérant que l'enquête administrative engagée par ses services venait de se terminer. Selon cette note, le rapport d'enquête met en évidence qu'il ne peut être fait aucun rapprochement entre toute une série d'allégations contenues dans l'ouvrage «Main basse sur l'Europe» et les activités professionnelles du requérant. En ce qui concerne l'installation d'une agence bancaire au bâtiment Jean Monnet, l'enquête en aurait approfondi tous les aspects et aurait «permis de conclure que cette opération s'est déroulée dans le respect des procédures établies, et notamment des règles d'appel à la concurrence». Le directeur général a poursuivi en ces termes: «En ma qualité d'AIPN, je puis donc vous confirmer que, au vu du dossier, rien ne peut vous être reproché et que votre personne ne peut en aucune façon être mise en cause par certains passages du livre en question. La présente note et le rapport d'enquête établi sont à votre disposition pour être utilisés aux fins que vous jugerez appropriées. Pour le surplus, les demandes que vous avez formulées ne paraissaient pas justifiées et il n'y a donc pas lieu pour l'AIPN d'y donner suite.»

15.
    Le requérant a été nommé directeur honoraire à l'occasion de son départ à la retraite, en mars 1996.

16.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, il a invité la Commission à répondre par écrit à une question concernant le déroulement de l'enquête entre janvier et septembre 1995, et à produire le rapport d'enquête.

Conclusions des parties

17.
    La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision de la Commission portant rejet de sa demande d'assistance du 30 janvier 1995;

-    condamner la Commission à lui payer un écu symbolique en réparation du dommage moral subi en raison de la faute de service dont elle s'est rendue coupable à son égard;

-    condamner la Commission aux dépens.

18.
    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable et, subsidiairement, comme non fondé;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

19.
    La défenderesse soutient que le recours est irrecevable au motif qu'il n'existe, en l'espèce, aucune décision de rejet de la demande, au sens d'un acte de nature à affecter directement et immédiatement la situation juridique et statutaire d'un fonctionnaire, émanant de l'AIPN et revêtant un caractère décisionnel (ordonnance du Tribunal du 11 mai 1992, Whitehead/Commission, T-34/91, Rec. p. II-1723).

20.
    Dans le cadre de l'article 24 du statut, l'administration serait tenue de prendre toutes mesures utiles pour vérifier si les accusations dont le fonctionnaire a été la cible sont fondées ou non (arrêt de la Cour du 18 octobre 1976, M. N./Commission, 128/75, Rec. p. 1567). En l'espèce, la Commission aurait expressément sursis à statuer sur la demande d'assistance du requérant, dans l'attente des résultats de l'enquête sur les allégations dirigées contre lui. Cela ressortirait très clairement des notes des 27 février et 3 mai 1995. Il ne serait donc pas possible d'affirmer que l'AIPN a opposé une réponse négative quelconque à la demande d'assistance.

21.
    Tout en reconnaissant qu'elle ne peut pas faire semblant d'ouvrir une enquête pour ensuite ne rien faire, la Commission soutient que l'on ne peut pas détourner l'article 90, paragraphe 1, du statut de son objet, qui serait d'éviter que l'absence de réaction devienne un obstacle aux voies de recours, pour en faire une obligation de prendre position sur le fondement de toute demande d'assistance au titre de l'article 24 du statut dans un délai de quatre mois. En effet, l'article 24 ne prévoirait pas un tel délai.

22.
    Le fait d'ouvrir une enquête et d'en informer l'intéressé dans le délai de quatre mois prévu par l'article 90, paragraphe 1, du statut aurait pour effet de suspendre ce délai. L'administration disposerait ensuite d'un délai raisonnable, correspondant aux particularités de l'espèce, pour prendre position sur le fond. Si ce dernier délai devenait excessif par rapport à ces circonstances, l'intéressé pourrait néanmoins considérer que sa demande a été rejetée.

23.
    Le requérant fait valoir que, aux termes de l'article 90, paragraphe 1, du statut, le dépassement des délais statutaires implique automatiquement une réponse implicite de rejet (voir ordonnance du Tribunal du 1er octobre 1991, Coussios/Commission, T-38/91, Rec. p. II-763). Il souligne que, si la thèse de la Commission était retenue, il lui suffirait d'ouvrir une enquête administrative pour ne pas avoir à répondre dans les délais, voire pour ne pas répondre du tout à une demande ou à une réclamation.

24.
    Par ailleurs, le chef de l'unité «personnel Luxembourg», chargé le 11 septembre 1995 de mener l'enquête annoncée dans la note du directeur général de la DG IX du 27 février 1995, l'aurait clôturée le 22 décembre 1995. L'administration aurait donc disposé du temps nécessaire pour adopter une décision explicite dans le délai imparti.

Appréciation du Tribunal

25.
    L'article 90, paragraphe 1, du statut dispose:

«Toute personne visée au présent statut peut saisir [l'AIPN] d'une demande l'invitant à prendre à son égard une décision. L'autorité notifie sa décision motivée à l'intéressé dans un délai de quatre mois à partir du jour de l'introduction de la demande. A l'expiration de ce délai, le défaut de réponse à la demande vaut décision implicite de rejet susceptible de faire l'objet d'une réclamation au sens du paragraphe 2.»

26.
    En l'espèce, la note du requérant du 30 janvier 1995 constituait une demande au sens de cette disposition.

27.
    Il découle du libellé même de celle-ci que le défaut de réponse dans les quatre mois suivant l'introduction de la demande du requérant du 30 janvier 1995 valait décision implicite de rejet de cette demande.

28.
    Selon la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, une communication signalant qu'une demande introduite au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut est à l'étude et que les services de la Commission ne sont pas encore parvenus à une conclusion définitive ne produit aucun effet juridique et n'est pas de nature, en particulier, à prolonger les délais prévus aux articles 90 et 91 du statut (arrêts de la Cour du 14 avril 1970, Nebe/Commission, 24/69, Rec. p. 145, points 2 et 6, et du 17 février 1972, Richez-Parise/Commission, 40/71, Rec. p. 73, points 8 et 9, et ordonnance Coussios/Commission, précitée, point 31).

29.
    Il s'ensuit que, dans le cas d'espèce, l'écoulement du délai prévu par l'article 90, paragraphe 1 du statut n'a pas été suspendu ou interrompu par la note du directeur général de la DG IX du 27 février 1995 informant le requérant qu'une enquête serait ouverte dans le but de vérifier si les allégations contenues dans le livre en cause étaient ou non fondées, ni par sa note du 3 mai 1995 l'informant qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur sa demande avant que cette enquête ne soit menée à terme.

30.
    Cette conclusion n'est pas infirmée par la circonstance que, dans le cadre d'une demande d'assistance au titre de l'article 24 du statut portant sur des accusations graves quant à l'honorabilité professionnelle d'un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, l'administration est tenue dans un premier temps de prendre les mesures nécessaires pour vérifier si les accusations sont ou non fondées (arrêts de la Cour du 11 juillet 1974, Guillot/Commission, 53/72, Rec. p. 791, point 3, et M. N./Commission, précité, point 10).

31.
    En effet, une telle obligation ne saurait permettre à l'institution concernée de déroger aux dispositions de l'article 90, paragraphe 1, du statut, qui permettent au fonctionnaire de provoquer une prise de position de nature décisionnelle de la part de l'administration dans un délai fixe (voir arrêt du Tribunal du 3 avril 1990, Pfloeschner/Commission, T-135/89, Rec. p. II-153, point 17).

32.
    En tout état de cause, il ressort de la réponse de la Commission à la question du Tribunal que l'institution n'a pas réellement mené l'enquête en cause entre le 30 janvier 1995, date à laquelle la demande du requérant a été introduite, et le 11 septembre 1995, date à laquelle l'enquête a été confiée au chef de l'unité «personnel Luxembourg». Or, ce dernier a clôturé l'enquête en déposant son rapport le 22 décembre 1995, soit dans un délai de moins de quatre mois.

33.
    La Commission n'a donc pas établi qu'il lui était impossible, ni même difficile, de terminer son enquête soit dans le délai de quatre mois à partir du 30 janvier 1995, prévu à l'article 90, paragraphe 1, du statut, soit dans le délai supplémentaire de quatre mois pour répondre à la réclamation, prévu à l'article 90, paragraphe 2, du statut, soit encore avant l'introduction du recours le 7 décembre 1995.

34.
    Il s'ensuit que le recours est recevable.

Sur le fond

Sur les conclusions en annulation

35.
    A l'appui de ses conclusions en annulation, le requérant invoque deux moyens. Le premier est tiré d'un défaut de motivation constitutif d'une violation de l'article 25 du statut, et le second d'une violation de l'article 24 du statut. Il convient d'examiner d'abord le second moyen.

Sur la violation de l'article 24 du statut

- Arguments des parties

36.
    Le requérant soutient que la Commission a violé le devoir d'aide et d'assistance résultant de l'article 24 du statut.

37.
    Il ressortirait de la note du 27 février 1995 du directeur général de la DG IX que la Commission n'a jamais douté que le requérant était personnellement visé par les accusations de M. d'Aubert. De même, la gravité de ces accusations n'aurait jamais été contestée.

38.
    Toutefois, dans un premier temps, la Commission n'aurait pas effectivement mené l'enquête visée par cette note. Par la suite, elle se serait abstenue de communiquer au requérant, en temps utile, les résultats de l'enquête finalement diligentée.

39.
    Il en résulterait que, au moment de l'introduction du recours, le 7 décembre 1995, elle n'avait pris aucune mesure pour défendre publiquement et nommément le requérant ou pour le rétablir dans son honorabilité. Elle aurait ainsi violé l'article 24 du statut (arrêt du Tribunal du 26 octobre 1993, Caronna/Commission, T-59/92, Rec. p. II-1129, points 92 à 99).

40.
    En outre, elle n'aurait pas accordé en temps utile l'aide financière et technique demandée par le requérant pour entamer, dans un délai fixé à peine de forclusion, une action en réparation contre M. d'Aubert. Au contraire, elle lui aurait formellement refusé cette aide plus d'un an après l'introduction de la demande, alors que le délai pour agir applicable selon le droit français est de trois mois.

41.
    De même, le rejet de sa demande visant à être autorisé à utiliser toute information de nature à démontrer l'inexactitude des accusations portées contre lui l'aurait empêché d'entamer une quelconque action sans violer l'article 17 du statut. En effet, seule la Commission aurait été en droit de produire les documents qu'elle détenait et qui établissaient que les propos de M. d'Aubert étaient calomnieux.

42.
    Quant au rapport d'enquête fourni au requérant après l'introduction du recours, il ne comporterait aucune trace des diligences accomplies par le directeur de la direction B qui, d'après la note du 27 février 1995, avait été chargé de l'enquête. Ce ne serait que le 11 septembre 1995 que le chef de l'unité «personnel Luxembourg» aurait été chargé de mener l'enquête.

43.
    La Commission n'aurait reconnu que dans sa note du 6 février 1996, c'est-à-dire dans un document confidentiel, qu'aucun reproche ne pouvait être fait au requérant dans sa vie professionnelle. Par ailleurs, la nomination de celui-ci en tant que directeur honoraire confirmerait l'appréciation portée sur ses prestations pendant l'ensemble de sa carrière, mais ne serait pas de nature à le rétablir publiquement dans son honneur et sa dignité.

44.
    La défenderesse fait valoir qu'elle ne pouvait pas communiquer au requérant les résultats d'une enquête alors qu'ils n'étaient pas disponibles.

45.
    Il aurait toujours été loisible au requérant d'entamer une action devant les tribunaux nationaux contre l'auteur de la diffamation, sans qu'il doive pour cela attendre la réponse définitive de la Commission à sa demande d'assistance. La Commission aurait pris soin d'attirer son attention sur ce fait dans sa note du 3 mai 1995 et n'aurait aucunement empêché ou entravé ses possibilités d'action personnelle. Elle n'aurait pas pu décider d'octroyer sur-le-champ une assistance financière aux fins d'une action devant les tribunaux nationaux, dans la mesure où elle devait attendre les résultats de l'enquête ordonnée.

46.
    Elle soutient que sa note du 27 février 1995 a rappelé au requérant l'obligation d'obtenir une autorisation avant de produire des pièces déterminées, mais n'a manifesté aucune opposition à ce qu'il prenne lui-même des initiatives en la matière. Selon elle, il appartenait au requérant d'identifier les pièces qu'il souhaitait produire devant les tribunaux nationaux, au lieu d'attendre que l'AIPN l'autorise a priori à produire n'importe quelle pièce.

47.
    Enfin, en indiquant au requérant, dans la note du 6 février 1996, qu'il pouvait exploiter comme il l'entendait les résultats de l'enquête, la Commission aurait fait un pas essentiel pour le rétablissement de l'honneur du requérant. En le nommant peu après directeur honoraire, distinction réservée aux anciens fonctionnaires considérés comme méritant des égards particuliers, la Commission aurait confirmé les résultats de l'enquête et la pleine confiance qu'elle fondait en lui.

- Appréciation du Tribunal

48.
    L'article 24 du statut exige que, en présence d'accusations graves quant à l'honorabilité professionnelle d'un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, l'administration prenne toutes mesures pour vérifier si les accusations sont fondées et, lorsque tel n'est pas le cas, qu'elle les rejette et prenne toutes mesures pour rétablir la réputation lésée (arrêts Guillot/Commission, précité, points 3 et 4, M. N./Commission, précité, point 10, et Caronna/Commission, précité, points 92 à 99).

49.
    Il n'est pas contesté, en l'espèce, que le requérant a été visé par au moins l'une des allégations contenues dans le livre en cause, à savoir celle concernant l'installation d'une agence bancaire dans le bâtiment Jean Monnet, et que cette allégation constituait une accusation grave quant à son honorabilité professionnelle.

50.
    La Commission n'a pas rejeté cette accusation ni pris la moindre mesure pour rétablir la réputation du requérant, ni même pris position sur sa demande d'assistance du 30 janvier 1995, que ce soit avant la décision implicite de rejet de cette demande intervenue le 30 mai 1995, en réponse à la réclamation enregistrée le 7 août 1995, ou avant l'introduction du recours, le 7 décembre 1995.

51.
    La thèse de la Commission selon laquelle il lui était impossible de prendre position plus tôt est démentie par son aveu selon lequel elle n'a commencé à enquêter sur les accusations que le 11 septembre 1995, soit plus de sept mois après l'introduction de la demande du requérant (voir point 33 ci-dessus).

52.
    Par ailleurs, en s'abstenant de conduire son enquête entre le 30 janvier 1995 et le 11 septembre 1995, la Commission n'a pas agi avec la diligence requise.

53.
    Il résulte de ce qui précède que la Commission a violé l'article 24 du statut.

54.
    La décision implicite de rejet de la demande d'assistance du requérant doit donc être annulée, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres arguments du requérant, ni sur son premier moyen, tiré d'une violation de l'article 25 du statut.

Sur les conclusions en indemnité

Arguments des parties

55.
    Le requérant demande la condamnation de la Commission au paiement d'un écu symbolique en réparation du dommage moral subi en raison de la faute de service que la Commission aurait commise en manquant à son devoir d'assistance. Celle-ci aurait dû adopter de sa propre initiative les mesures de nature à le rétablir publiquement dans son honneur et dans sa dignité, et cette faute aurait été aggravée par le rejet de sa demande formelle tendant à l'adoption de telles mesures. Le requérant aurait pu craindre que l'abstention de la Commission ne soit interprétée par le public comme une confirmation indirecte des allégations dirigées contre lui (arrêt Caronna/Commission, précité, point 106).

56.
    Dans sa réplique, le requérant souligne que la Commission l'a également empêché d'introduire dans le délai imparti une action contre M. d'Aubert devant les juridictions nationales.

57.
    La défenderesse soutient que, à défaut de tout motif d'annulation, la demande en indemnité ne peut être accueillie. En tout état de cause, elle estime qu'elle n'a pas commis de faute de service, dans la mesure où il lui était impossible de prendre position plus tôt sur la demande.

58.
    Par ailleurs, en adressant au requérant la note du 6 février 1996, et en lui indiquant qu'il pouvait utiliser tant le rapport d'enquête que la note elle-même aux fins qu'il jugerait appropriées, la Commission aurait effectivement pris les mesures concrètes nécessaires pour faire droit à la demande du requérant.

Appréciation du Tribunal

59.
    Il y a lieu de relever que, à la suite de la clôture de l'enquête finalement entamée par l'administration, le directeur général de la DG IX a, dans sa note du 6 février 1996, confirmé au requérant que, au vu du dossier, rien ne pouvait lui être reproché et que sa personne ne pouvait en aucune façon être mise en cause par certains passages du livre en question. Il lui a en outre signalé que ladite note et le rapport d'enquête étaient mis à sa disposition. Par ailleurs, la Commission a déclaré dans sa duplique que la nomination du requérant en tant que directeur honoraire confirmait le résultat de l'enquête et la pleine confiance qu'elle fondait en lui.

60.
    Il doit être également constaté que la Commission n'a pas empêché le requérant d'intenter une action contre M. d'Aubert ou contre toute autre personne devant les tribunaux nationaux. A cet égard, il incombait au requérant de prendre l'initiative d'intenter une action, conformément à l'article 24, deuxième alinéa, in fine, du statut, à l'encontre des auteurs du dommage qu'il estimait avoir subi et, en vue de préparer une telle action, de discuter avec l'administration des modalités de l'obligation de réserve qui lui était imposée par l'article 17 du statut (arrêt Caronna/Commission, précité, point 37). Ainsi, il lui appartenait notamment de préciser les documents qu'il considérait comme nécessaires aux fins d'une éventuelle action devant les tribunaux nationaux, et de demander l'approbation préalable de leur production, conformément à l'article 17 du statut.

61.
    Dans ces circonstances et en tout état de cause, l'annulation de la décision implicite de rejet qui fait l'objet du recours constitue une réparation adéquate du dommage moral prétendument subi par le requérant.

62.
    La demande d'indemnité doit donc être rejetée.

Sur les dépens

63.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en l'essentiel de ses conclusions, il y a lieu, au vu des conclusions du requérant, de la condamner à supporter l'ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision implicite de la Commission portant rejet de la demande d'assistance introduite par la partie requérante le 30 janvier 1995 est annulée.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La Commission est condamnée aux dépens.

Bellamy
Kalogeropoulos
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 novembre 1997.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. Kalogeropoulos


1: Langue de procédure: le français.