Language of document : ECLI:EU:T:2024:123

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

27 février 2024 (*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds et des ressources économiques – Demande de mesures provisoires – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑102/23 R,

SBK Art OOO, établie à Moscou (Russie), représentée par Mes G. Lansky et P. Goeth, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agent, assisté de Me B. Maingain, avocat,

partie défenderesse,

soutenu par

République de Croatie, représentée par Mme G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,

par

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M.K. Bulterman, A. Hanje et C.S. Schillemans, en qualité d’agents,

et par

Commission européenne, représentée par Mmes M. Carpus Carcea, C. Georgieva et L. Puccio, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, SBK Art OOO, demande, notamment, le sursis à l’exécution de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), ainsi que du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), dans la mesure où ces actes l’empêchent d’exercer ses droits en tant que partie prenante de Fortenova Group STAK Stichting (ci-après le « holding néerlandais Fortenova) et de voter dans le cadre de la vente et du transfert d’actions de Fortenova Group MidCo BV (ci-après « Mid-Co ») par Fortenova Group TopCo BV (ci-après « Top-Co »).

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        La requérante est une société établie en Russie. Avant le 31 octobre 2022, la requérante était détenue à 100 % par la banque russe Sberbank. Depuis le 31 octobre 2022, son actionnaire unique est M. Saif Jaffar Suhail Markhan Alketbi, un ressortissant des Émirats arabes unis.

3        Le groupe Fortenova, un des plus grands groupes de distribution alimentaire de la région des Balkans, est contrôlé par le holding néerlandais Fortenova. Ce dernier détient 100 % de Top-Co, lequel détient à son tour 100 % de Mid-Co, qui elle détient 100 % de Fortenova Group holdCo BV. Enfin, cette dernière détient 100 % de Fortenova Grupa d.d.. La requérante détient 43 % des actions du holding néerlandais Fortenova.

4        Par le règlement d’exécution (UE) 2022/396 du Conseil, du 21 juillet 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 80, p. 1), Sberbank a été ajoutée à la liste qui figure à l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), tel que modifié.

5        Le 19 août 2022, le holding néerlandais Fortenova a convoqué une réunion en précisant que les parties prenantes faisant l’objet de mesures restrictives ou de sanctions seraient exclues du vote. Cette exclusion visait également la requérante, en tant que filiale de Sberbank.

6        La requérante a contesté cette décision devant les juridictions néerlandaises compétentes.

7        Par jugement du 6 septembre 2022, le voorzieningenrechter van de rechtbank te Amsterdam (le juge de référé du tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) a accordé une mesure provisoire à la requérante en jugeant que le holding néerlandais Fortenova devait lui permettre d’exercer ses droits de vote.

8        Le 16 décembre 2022, la requérante a été inscrite sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement (UE) 2022/1905 du Conseil (JO 2022, L 259I, p. 76), en application du règlement d’exécution (UE) 2022/2476 du Conseil, du 16 décembre 2022, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 322, p. 318) au motif que Sberbank conserve un contrôle effectif sur la requérante nonobstant le prétendu transfert de ses actions au nouveau l’acquéreur. Elle a également été inscrite à l’annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p 16) en vertu de la décision (PESC) 2022/2477 du Conseil, du 16 décembre 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 322, p. 466).

9        Par jugement du 29 décembre 2022, le Gerechtshof te Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam, Pays-Bas) a annulé le jugement du juge de référé du 6 septembre 2022, en estimant que le refus de permettre à la requérante d’exercer ses droits de vote était conforme à l’obligation de se conformer aux mesures restrictives existantes.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 février 2023, la requérante a introduit un recours tendant, en substance, à la déclaration de l’inapplicabilité et à l’annulation de la décision 2022/2477 et du règlement d’exécution 2022/2476.

11      Le 13 mars 2023, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision (PESC) 2023/572 modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 75I, p. 134), ainsi que le règlement d’exécution (UE) 2023/571 mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 75I, p. 1), qui prorogent les mesures prises à l’encontre de la requérante.

12      Par un mémoire en adaptation, déposé au greffe du Tribunal le 13 avril 2023, la requérante a demandé au Tribunal d’annuler les actes mentionnés au point 11 ci-dessus.

13      Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté les actes attaqués, qui prorogent les mesures prises à l’encontre de la requérante.

14      Par un mémoire en adaptation, déposé au greffe du Tribunal le 24 novembre 2023, la requérante a demandé au Tribunal d’annuler les actes mentionnés au point 13 ci-dessus.

15      Le 29 novembre 2023, le holding néerlandais Fortenova a publié un communiqué de presse dans lequel il a annoncé un accord relatif à la vente de Mid-Co à Open Pass, une société maltaise qui détient une participation de 26,55 % dans le holding néerlandais Fortenova, dans l’objectif de séparer ce dernier de ses parties prenantes sanctionnées. L’accord comprendrait la vente de 100 % des actions de Mid-Co à une structure nouvellement constituée (ci-après « Bid-Co), composée de la fondation néerlandaise Iter STAK Stichting et de la société néerlandaise Iter BidCo BV. Les actionnaires non sanctionnés pourraient soit transférer leur participation à la nouvelle structure, soit fournir un investissement supplémentaire et augmenter leur participation, soit retirer leur participation et quitter le groupe. S’agissant des actionnaires sanctionnés, les fonds à leur payer seraient versés sur un compte spécial, auquel ils auraient accès lorsque les réglementations en matière de mesures restrictives le permettraient.

16      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 13 décembre 2023, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution des actes attaqués dans la mesure où ces actes l’empêchent d’exercer ses droits en tant que partie prenante du holding néerlandais Fortenova et de voter dans le cadre de la vente et du transfert d’actions de Mid-Co par Top-Co ;

–        adopter toute mesure provisoire qu’il jugerait appropriée pour lui permettre de participer aux assemblées des parties prenantes du holding néerlandais Fortenova et de voter lors desdites assemblées sur des questions relatives à la préservation de l’état de sa participation dans ladite personne morale, ou à sa protection contre les mesures d’expropriation proposées ;

–        réserver les dépens.

17      Dans ses observations sur la demande en référé déposées au greffe du Tribunal le 8 janvier 2024, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 10 février 2024, la requérante a déposé des observations supplémentaires sur sa demande en référé. Il ressort de ces observations que la vente de Mid-Co à Bid-Co a été approuvée par l’assemblée des actionnaires qui a eu lieu le 18 décembre 2023. Le 28 décembre 2023, un contrat de vente et d’achat a été conclu entre Top-Co et Bid-Co.

 En droit

 Considérations générales

19      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

20      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

21      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

22      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

23      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

24      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

25      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

26      Par ailleurs, aux termes de l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure, les demandes en référé « contiennent toutes les preuves et offres de preuves disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires ».

27      Ainsi, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur cette demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle‑ci se fonde devant ressortir du texte même de ladite demande (voir ordonnance du 6 septembre 2016, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P‑R, non publiée, EU:C:2016:668, point 17 et jurisprudence citée).

28      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si la requérante parvient à démontrer l’urgence.

29      En l’espèce, afin de démontrer le risque imminent d’un préjudice grave et irréparable, la requérante fait valoir, en substance, que l’impossibilité d’exercer son droit de vote en tant qu’actionnaire du holding néerlandais Fortenova permettrait aux actionnaires minoritaires non sanctionnés de mettre en place une stratégie d’éviction dans l’objectif de séparer ce holding de ses parties prenantes sanctionnées. Cette stratégie conduirait à l’expropriation de la requérante de sa participation dans le holding néerlandais Fortenova. La requérante précise que la mise en œuvre de cette stratégie lui causerait les préjudices suivants.

30      En premier lieu, elle fait état d’un préjudice de nature pécuniaire, qui se concrétiserait de plusieurs façons.

31      Premièrement, la vente de Mid-Co à Open Pass la priverait de son investissement de manière irréversible et irréparable. À la suite de l’approbation de la vente de Mid-Co, la requérante resterait partie prenante d’une société holding réduite à l’état d’une coquille vide, sans activité économique réelle, tandis que l’activité génératrice de valeur du groupe Fortenova aurait été transférée presque entièrement à Open Pass.

32      Deuxièmement, la requérante conteste le prix de la transaction. Le prix d’achat fixé (au maximum) à 660 millions d’euros, dont le plafond de 160 millions d’euros reflète le prix conditionnel au profit des parties prenantes qui ne participent pas à la transaction, à savoir les parties prenantes sanctionnées, serait trop bas.

33      Troisièmement, la requérante fait valoir qu’il lui serait difficile de demander une réparation étant donné qu’Open Pass constitue une entité ad hoc vide de toute substance, qui pourrait facilement transférer ses actions dans Mid-Co à une autre société, ce qui compliquerait davantage la demande de réparations que la requérante pourrait adresser à Open Pass.

34      En second lieu, s’agissant du préjudice non pécuniaire, la requérante fait valoir que si la vente de Mid-Co était conclue, elle se verrait privée de la possibilité de développer les activités opérationnelles du groupe Fortenova. Elle fait valoir que, en investissant dans la requérante, l’objectif de M. Alketbi était de promouvoir le groupe Fortenova dans la distribution alimentaire au Moyen-Orient et de créer des synergies dans le secteur de l’alimentation et de la vente au détail entre la péninsule arabique et l’Europe. Cette rupture ferait perdre à la requérante une opportunité stratégique, voire géopolitique. Elle perdrait ainsi la chance de devenir un acteur majeur dans l’approfondissement des relations entre la région du Golfe et les Balkans. Aucune indemnité ne serait en mesure de compenser cette perte de chance.

35      En troisième lieu, dans ses observations supplémentaires sur la demande en référé, la requérante fait valoir que, en dépit de l’approbation de la vente de Mid-Co et de la conclusion du contrat de vente, le transfert de la propriété des actions n’a pas encore eu lieu et qu’elle pourrait toujours exercer ses droits de vote de manière utile.

36      Le Conseil soutient, en revanche, que la condition relative à l’urgence n’est pas remplie.

37      En premier lieu, il convient d’observer, premièrement, que les préjudices invoqués par la requérante découlent de l’exercice des droits de vote dans un holding de droit néerlandais par des actionnaires qui ne font pas l’objet de mesures restrictives. S’il est vrai que les sanctions visant la requérante l’empêchent de se prévaloir de ses propres droits de vote pour s’opposer aux décisions prises par ces actionnaires, il n’en demeure pas moins que ces préjudices, à les supposer avérés, sont imputables à ces actionnaires et que la requérante a entamé des procédures devant les juridictions néerlandaises afin de contester la légalité de leurs agissements en vertu du droit néerlandais. Il n’est donc pas certain que les préjudices dont se prévaut la requérante trouvent leurs causes dans les actes attaqués.

38      Deuxièmement, l’argumentation de la requérante vise, en substance, à remettre en cause les décisions de juridictions nationales. Par la demande de mesures provisoires, la requérante demande en effet, en substance, au président du Tribunal de contraindre les juridictions nationales à procéder à une interprétation de la mise en œuvre des actes attaqués au niveau national. En outre, il convient de constater que la question de savoir si ces mesures restrictives imposent l’interdiction d’exercer des droits de vote en tant qu’actionnaire ou que détenteur de titres ne fait pas l’objet du litige principal, auquel le présent référé est accessoire.

39      En deuxième lieu, en supposant qu’il existe tout de même un lien de causalité entre les préjudices invoqués et les actes attaqués, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en cas de préjudice d’ordre pécuniaire, une mesure provisoire se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, la partie qui la sollicite se trouvera dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière, avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 12 mars 2021, Ciano Trading & Services CT & S e.a./Commission, T‑45/21 R, non publiée, EU:T:2021:131, point 32 et jurisprudence citée)).

40      En outre, il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre pécuniaire est considéré comme irréparable s’il ne peut pas être chiffré, c’est‑à‑dire lorsqu’il apparaît clairement, dès l’appréciation effectuée par le juge des référés, que le préjudice invoqué, compte tenu de sa nature et de son mode prévisible de survenance, ne sera pas susceptible d’être identifié et chiffré de manière adéquate s’il se produit et que, en pratique, un recours en indemnité au titre des articles 268 et 340 TFUE ne saurait par conséquent permettre de le réparer [voir ordonnance du 13 février 2014, Luxembourg Pamol (Cyprus) et Luxembourg Industries/Commission, T‑578/13 R, non publiée, EU:T:2014:103, point 90 et jurisprudence citée].

41      À cette fin, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit, en principe, produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 10 juillet 2018, Synergy Hellas/Commission, T‑244/18 R, non publiée, EU:T:2018:422, point 27 et jurisprudence citée).

42      En l’espèce, premièrement, force est de constater que la requérante n’apporte aucune preuve démontrant que, en l’absence des mesures provisoires demandées, elle se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière.

43      Deuxièmement, la requérante n’expose pas comment les allégations selon lesquelles Open Pass constituerait une entité ad hoc vide de toute substance qui pourrait facilement transférer ses actions dans Mid-Co à une autre société l’empêcherait, en cas d’annulation des actes attaqués, d’obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité.

44      Troisièmement, s’agissant de la stratégie alléguée d’expropriation de sa participation, il convient de constater que, en dépit de la limitation de l’exercice de certains droits liés aux actifs qu’elle détient, la requérante demeure propriétaire de ces actifs et pourrait introduire à ce titre une action en justice devant les juridictions nationales à l’encontre d’éventuelles transactions qui lui seraient préjudiciables.

45      En troisième lieu, s’agissant du dommage non pécuniaire consistant dans la perte de l’opportunité stratégique de développer et réorienter les activités du groupe Fortenova, il convient de constater qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains. Dans la mesure où aucune preuve n’a été produite concernant cette stratégie et où aucun élément n’a été fourni pour étayer la certitude de ce préjudice, il convient de conclure qu’il s’agit d’un préjudice de nature hypothétique.

46      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée à défaut pour la requérante d’établir que la condition relative à l’urgence est remplie, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la condition tenant à l’existence d’un fumus boni juris ou de procéder à la mise en balance des intérêts.

47      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 27 février 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’anglais.