Language of document : ECLI:EU:T:2011:363

Affaires T-141/07, T-142/07, T-145/07 et T-146/07

General Technic-Otis Sàrl e.a.

contre

Commission européenne

« Concurrence — Ententes — Marché de l’installation et de l’entretien des ascenseurs et des escaliers mécaniques — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE — Manipulation des appels d’offres — Répartition des marchés — Fixation des prix »

Sommaire de l’arrêt

1.      Concurrence — Règles de l’Union — Infractions — Imputation — Société mère et filiales — Unité économique — Critères d’appréciation — Présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci

(Art. 81 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

2.      Concurrence — Règles de l’Union — Infractions — Imputation — Société mère et filiales — Unité économique — Critères d’appréciation — Présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci — Violation du principe d’individualité des peines — Absence — Violation de la présomption d’innocence — Absence

(Art. 81 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

3.      Actes des institutions — Motivation — Obligation — Portée — Motivation implicite — Admissibilité

(Art. 253 CE)

4.      Concurrence — Règles de l’Union — Infractions — Imputation — Société mère et filiales — Présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci — Filiale détenue par une société holding intermédiaire — Circonstance ne suffisant pas à renverser la présomption

(Art. 81 CE)

5.      Concurrence — Règles de l’Union — Infractions — Imputation — Société mère et filiales — Présomption d’une influence déterminante exercée par la société mère sur les filiales détenues à 100 % par celle-ci — Indépendance du comportement des salariés des filiales par rapport à celles-ci — Absence

(Art. 81 CE)

6.      Concurrence — Règles de l’Union — Destinataires — Entreprises — Notion — Exercice d’une activité économique — Entité détenant des participations de contrôle dans une société et s’immisçant dans sa gestion — Inclusion

(Art. 81, § 1, CE)

7.      Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense — Communication des griefs — Absence de communication d’un document non déterminant pour étayer un grief — Charge de la preuve

8.      Concurrence — Amendes — Lignes directrices pour le calcul des amendes — Nature juridique

(Communication de la Commission 98/C 9/03)

9.      Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l’infraction — Appréciation — Obligation de prendre en compte l’impact concret sur le marché — Absence — Rôle primordial du critère tiré de la nature de l’infraction

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)

10.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l’infraction — Obligation de prendre en considération la taille du marché — Absence

(Communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 2, 3e tiret)

11.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l’infraction — Prise en compte de la capacité économique effective de l’entreprise à créer un dommage

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)

12.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Durée de l’infraction — Infractions de longue durée — Majoration automatique de 10 % du montant de départ par année

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 B, al. 1, 1er à 3e tirets)

13.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Caractère dissuasif — Critères d’évaluation du facteur de dissuasion — Prise en compte de la taille et des ressources globales de l’entreprise sanctionnée

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A)

14.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Réduction du montant de l’amende en contrepartie d’une coopération de l’entreprise incriminée — Conditions — Valeur ajoutée significative des éléments de preuve fournis par l’entreprise concernée

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 2002/C 45/03)

15.    Procédure — Requête introductive d’instance — Exigences de forme — Exposé sommaire des moyens invoqués — Grief formulé en note en bas de page de la requête — Irrecevabilité

[Règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, c)]

16.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Non-imposition ou réduction de l’amende en contrepartie de la coopération de l’entreprise incriminée — Application de la communication sur la coopération — Réduction au titre de l’absence de contestation en dehors de ladite communication

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communications de la Commission 96/C 207/04 et 2002/C 45/03)

17.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Non-imposition ou réduction de l’amende en contrepartie de la coopération de l’entreprise incriminée — Réduction au titre de l’absence de contestation en dehors de la communication sur la coopération — Proportionnalité

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 2002/C 45/03)

18.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Marge d’appréciation réservée à la Commission — Respect du principe de proportionnalité — Conditions

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

1.      Le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction.

À cet égard, la Commission ne saurait se contenter de constater qu’une entreprise peut exercer une influence déterminante sur une autre entreprise, sans qu’il soit besoin de vérifier si cette influence a effectivement été exercée. Au contraire, il incombe, en principe, à la Commission de démontrer une telle influence déterminante sur la base d’un ensemble d’éléments factuels, dont, en particulier, l’éventuel pouvoir de direction de l’une de ces entreprises vis-à-vis de l’autre.

Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché.

L’appréciation de l’existence éventuelle d’un contrôle conjoint de sociétés mères sur leur filiale doit, par ailleurs, être effectuée en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Par conséquent, les appréciations portées par la Commission sur les circonstances factuelles d’affaires précédentes ne sont pas transposables à chaque cas d’espèce, les décisions concernant de telles affaires ne pouvant avoir qu’un caractère indicatif dès lors que les données circonstancielles les concernant ne sont pas identiques.

Il s’ensuit que lorsque, au cours de la période infractionnelle, une société mère détient directement 100 % du capital d’une de ses filiales et, indirectement, à travers celle-ci, 100 % du capital d’autres filiales localisées dans différents États membres, c’est à bon droit que la Commission présume que la société mère, pendant cette période infractionnelle, a exercé une influence déterminante sur la politique commerciale de ces dernières.

(cf. points 56-60, 69-70, 108, 381)

2.      En vertu du principe d’individualité des peines et des sanctions, qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles de la concurrence de l’Union, une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés. Toutefois, ce principe doit se concilier avec la notion d’entreprise. En effet, ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés.

Le principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l’homme, fait partie des droits fondamentaux qui sont reconnus dans l’ordre juridique de l’Union et a été, par ailleurs, réaffirmé par l’article 6, paragraphe 2, UE ainsi que par l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes.

Dans ce contexte, une règle concernant l’imputabilité d’une infraction, telle la présomption d’influence déterminante d’une société mère détenant 100% du capital de ses filiales sur celles-ci, ne saurait violer ladite présomption. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme ne s’oppose pas aux présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives, mais commande de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense. Ainsi, il ne saurait y avoir une violation de la présomption d’innocence si, dans des procédures de concurrence, certaines conclusions sont tirées des règles d’expérience commune, pourvu que les entreprises concernées conservent la possibilité de réfuter ces conclusions.

(cf. points 71, 73, 77)

3.      La motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’autorité de l’Union, auteur de l’acte litigieux, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle.

La question de savoir si la motivation d’une décision satisfait aux exigences de cette disposition doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

Par ailleurs, une motivation peut être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles les mesures en question ont été prises et au Tribunal de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle.

(cf. points 80, 97, 301-302)

4.      La qualité d’une société mère de société holding d’un conglomérat diversifié, dont la surveillance des activités d’une de ses filiales se limiterait à ce qu’auraient requis les obligations qui pèsent sur la société mère vis-à-vis de ses propres actionnaires, n’est pas de nature à renverser la présomption de responsabilité pour infraction aux règles de la concurrence de l’Union qui pèse sur la société mère détenant 100 % du capital de ses filiales. En effet, dans le contexte d’un groupe de sociétés, un holding est une société ayant vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et dont la fonction est d’en assurer l’unité de direction.

(cf. point 84)

5.      En ce qui concerne la présomption de responsabilité d’une société mère détenant 100 % du capital de ses filiales pour des infractions aux règles de concurrence de l’Union commises par ces filiales, le fait que certains salariés de ces filiales auraient agi contrairement aux instructions de la société mère, notamment en dissimulant leurs agissements aux yeux de leurs supérieurs et de celle-ci, ne saurait renverser la présomption d’absence d’autonomie des filiales concernées. À cet égard, la distinction entre les filiales et leurs employés, qui auraient commis les infractions tout en dissimulant leurs agissements à leurs supérieurs et à la société mère, est artificielle. Lesdits employés se trouvent, par rapport aux filiales qui les emploient, dans une relation qui est caractérisée par la circonstance qu’ils travaillent pour et sous la direction de chacune de celles-ci et sont intégrés, pendant la durée de cette relation, dans ces entreprises, formant ainsi avec chacune d’elles une unité économique.

(cf. point 87)

6.      Dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. La simple détention de participations, même de contrôle, ne suffit pas à caractériser une activité économique de l’entité détentrice de ces participations, lorsqu’elle ne donne lieu qu’à l’exercice des droits attachés à la qualité d’actionnaire ou d’associé ainsi que, le cas échéant, à la perception de dividendes, simples fruits de la propriété d’un bien. En revanche, une entité qui, détenant des participations de contrôle dans une société, exerce effectivement ce contrôle en s’immisçant directement ou indirectement dans la gestion de celle-ci doit être considérée comme prenant part à l’activité économique exercée par l’entreprise contrôlée. Pour vérifier si un tel contrôle est effectivement exercé dans le cadre de l’analyse de l’existence d’une unité économique entre plusieurs sociétés faisant partie d’un groupe, peuvent être pris en considération l’influence de la société mère sur la politique des prix, les activités de production et de distribution, les objectifs de vente, les marges brutes, les frais de vente, la trésorerie, les stocks et le marketing, mais aussi l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent lesdites sociétés, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient par conséquent faire l’objet d’une énumération exhaustive.

(cf. points 101, 103)

7.      Le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union, qui doit être observé, même s’il s’agit d’une procédure ayant un caractère administratif. À cet égard, la communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant ce principe fondamental. Celui-ci exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative engagée à son égard.

Dans ce contexte, l’absence de communication d’un document à charge ne constitue une violation des droits de la défense que si l’entreprise concernée démontre, d’une part, que la Commission s’est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l’existence d’une infraction et, d’autre part, que ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document. S’il existait d’autres preuves documentaires dont les parties ont eu connaissance au cours de la procédure administrative qui appuient spécifiquement les conclusions de la Commission, l’élimination en tant que moyen de preuve du document à conviction non communiqué n’infirmerait pas le bien-fondé des griefs retenus dans la décision contestée. Il incombe ainsi à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si devait être écarté comme moyen de preuve à charge un document non communiqué sur lequel la Commission s’est fondée pour incriminer cette entreprise.

(cf. points 122-124, 197)

8.      Si les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA ne sauraient être qualifiées de règle de droit à l’observation de laquelle l’administration serait, en tout cas, tenue, elles énoncent toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à suivre, dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement. En adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime. En outre, lesdites lignes directrices déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes et assure, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises.

(cf. points 137-139)

9.      La gravité des infractions au droit de la concurrence de l’Union doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte.

Conformément au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, la Commission doit, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, procéder à un examen de l’impact concret sur le marché uniquement lorsqu’il apparaît que cet impact est mesurable. Pour apprécier cet impact, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction. Ainsi, dès lors que les requérantes ne démontrent pas que l’impact concret des ententes aurait été mesurable, la Commission n’est pas obligée de tenir compte de l’impact concret des infractions aux fins de l’appréciation de leur gravité. L’effet d’une pratique anticoncurrentielle n’est, en effet, pas un critère déterminant dans l’appréciation de la gravité d’une infraction. Des éléments relevant de l’aspect intentionnel peuvent avoir plus d’importance que ceux relatifs auxdits effets, surtout lorsqu’il s’agit d’infractions intrinsèquement graves telles que la répartition des marchés. C’est ainsi que la nature de l’infraction joue un rôle primordial, notamment, pour caractériser les infractions de « très graves ». Il résulte de la description des infractions très graves par lesdites lignes directrices que des accords ou des pratiques concertées visant notamment à la répartition des marchés peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de « très graves », sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions graves mentionne expressément l’impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions très graves, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière.

Ces infractions figurent également parmi les exemples d’ententes expressément déclarées comme incompatibles avec le marché commun à l’article 81, paragraphe 1, sous c), CE. Outre la grave altération du jeu de la concurrence qu’elles entraînent, ces ententes, en ce qu’elles obligent les parties à respecter des marchés distincts, souvent délimités par les frontières nationales, provoquent l’isolement de ces marchés, contrecarrant ainsi l’objectif principal du traité d’intégration du marché communautaire. Aussi des infractions de ce type, en particulier lorsqu’il s’agit d’ententes horizontales, sont-elles qualifiées par la jurisprudence de « particulièrement graves » ou d’« infractions patentes ».

En outre, l’étendue du marché géographique ne représente qu’un des trois critères pertinents, selon lesdites lignes directrices, aux fins de l’appréciation globale de la gravité de l’infraction. Parmi ces critères interdépendants, l’étendue du marché géographique n’est pas un critère autonome en ce sens que seules des infractions concernant plusieurs États membres seraient susceptibles de recevoir la qualification de « très graves ». Ni le traité, ni le règlement nº 1/2003, ni ces lignes directrices, ni la jurisprudence ne permettent de considérer que seules des restrictions géographiquement très étendues peuvent être qualifiées ainsi. Par ailleurs, le territoire entier d’un État membre, même s’il est, en comparaison avec les autres États membres, relativement petit, constitue, en tout état de cause, une partie substantielle du marché commun.

(cf. points 135, 151-152, 156, 158-160, 163-164, 180, 182-184, 195, 202, 206)

10.    En matière de décisions de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence de l’Union et imposant des amendes, la taille du marché concerné n’est en principe pas un élément obligatoire, mais seulement un élément pertinent parmi d’autres pour apprécier la gravité de l’infraction, la Commission n’étant, d’ailleurs, pas obligée de procéder à une délimitation du marché concerné ou à une appréciation de la taille de celui-ci dès lors que l’infraction en cause a un objet anticoncurrentiel. En effet, les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA ne prévoient pas que le montant des amendes est calculé en fonction du chiffre d’affaires global ou du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises sur le marché concerné. Toutefois, elles ne s’opposent pas non plus à ce que de tels chiffres d’affaires soient pris en compte dans la détermination du montant de l’amende afin que soient respectés les principes généraux du droit de l’Union et lorsque les circonstances l’exigent.

Par ailleurs, la Commission fixe de manière cohérente les montants de départ généraux des amendes pour des infractions commises dans plusieurs États membres dès lors que, eu égard à la taille des marchés affectés, ces montants sont d’autant plus importants qu’est importante la taille de ces marchés, sans recourir pour autant à une formule mathématique précise.

Dans ces conditions, il n’y a lieu ni de réduire le montant de départ général d’une amende fixée pour une infraction commise au Luxembourg et correspondant à la moitié du seuil minimal qui est normalement prévu par lesdites lignes directrices pour une infraction qualifiée de très grave ni de considérer que ce montant revêt un caractère excessif.

(cf. points 168-172, 174, 176-177, 180, 203)

11.    Dans le cadre du calcul du montant des amendes infligées au titre de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, un traitement différencié entre les entreprises concernées est inhérent à l’exercice des pouvoirs qui incombent à la Commission en vertu de cette disposition. En effet, dans le cadre de sa marge d’appréciation, la Commission est appelée à individualiser la sanction en fonction des comportements et des caractéristiques propres aux entreprises concernées afin de garantir, dans chaque cas d’espèce, la pleine efficacité des règles de la concurrence de l’Union. Ainsi, selon les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA, pour une infraction de gravité donnée, il peut convenir, dans les cas impliquant plusieurs entreprises comme les cartels, de pondérer le montant de départ général pour établir un montant de départ spécifique tenant compte du poids, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature. En particulier, il est nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs.

En outre, selon ces lignes directrices, le principe d’égalité de sanction pour un même comportement peut conduire à l’application de montants différenciés pour les entreprises concernées sans que cette différenciation obéisse à un calcul arithmétique.

La Commission agit, dès lors, dans le respect du principe d’égalité de traitement lorsqu’elle prend en compte les différences entre la situation d’une entreprise ayant participé à un seul volet d’une entente jugée contraire aux règles de concurrence, d’une part, et celle d’entreprises ayant participé à plusieurs volets de celle-ci, d’autre part, et, partant, des chiffres d’affaires différents pour les deux catégories d’entreprises concernées.

(cf. points 210-212, 220-221)

12.    Conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, la durée de l’infraction constitue l’un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence, les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA établissant une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu au titre de la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 %. C’est donc en application des règles que la Commission s’est elle-même imposées dans ces lignes directrices que celle-ci peut procéder à une augmentation de 80 %, soit 10 % pour chaque année, du montant de départ de l’amende au titre de la durée pour une infraction qui s’est étalée sur une période de plus de huit ans, sans qu’une telle augmentation puisse être considérée comme manifestement disproportionnée eu égard à la longue durée de l’infraction.

De plus, en présence d’une infraction unique et continue caractérisée par le fait que, tout au long de la durée de l’infraction, les participants à celle-ci ont poursuivi un objectif commun visant notamment à se répartir des projets et à limiter leur comportement commercial individuel lorsqu’ils soumettaient des offres, et qui revêt, par conséquent un caractère très grave pendant toute sa durée, la Commission est en droit d’appliquer le même taux de majoration pour l’entière période d’infraction.

(cf. points 225-226, 228-229, 232)

13.    La nécessité d’assurer un effet dissuasif suffisant à l’amende, lorsqu’elle ne motive pas l’élévation du niveau général des amendes dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique de concurrence, exige que le montant de l’amende soit modulé afin de tenir compte de l’impact recherché sur l’entreprise à laquelle elle est infligée, et ce afin que l’amende ne soit pas rendue négligeable, ou au contraire excessive, notamment au regard de la capacité financière de l’entreprise en question, conformément aux exigences tirées, d’une part, de la nécessité d’assurer l’effectivité de l’amende et, d’autre part, du respect du principe de proportionnalité.

À cet égard, la Commission est en droit de retenir le chiffre d’affaires global de chaque entreprise faisant partie d’une entente comme critère pertinent aux fins de la fixation d’un taux multiplicateur de dissuasion. Ainsi, la taille et les ressources globales d’une entreprise sont les critères pertinents eu égard à l’objectif poursuivi, à savoir garantir l’effectivité de l’amende en adaptant son montant en considération des ressources globales de l’entreprise et de sa capacité à mobiliser les fonds nécessaires pour le paiement de ladite amende. En effet, la fixation du taux de majoration du montant de départ pour assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende vise davantage à garantir l’effectivité de l’amende qu’à rendre compte de la nocivité de l’infraction pour le jeu normal de la concurrence et, donc, de la gravité de ladite infraction.

En outre, l’éventuelle absence d’évaluation de la probabilité de récidive de la part de l’entreprise concernée n’affecte en rien la légalité du taux multiplicateur. En effet, le lien entre, d’une part, la taille et les ressources globales des entreprises et, d’autre part, la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de l’amende ne saurait être contesté. À cet égard, une entreprise de grande dimension, disposant de ressources financières considérables par rapport à celles des autres membres d’une entente, peut mobiliser plus facilement les fonds nécessaires pour le paiement de son amende, ce qui justifie, en vue d’un effet dissuasif suffisant de cette dernière, l’imposition, notamment par l’application d’un multiplicateur, d’une amende proportionnellement plus élevée que celle infligée pour la même infraction à une entreprise qui ne dispose pas de telles ressources.

Dès lors que la majoration du montant de départ pour assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende vise notamment à garantir l’effectivité de l’amende au regard de la capacité financière de l’entreprise, la Commission n’est, enfin, pas tenue, lorsqu’elle détermine le taux multiplicateur applicable, de prendre en compte l’établissement par l’entreprise concernée d’un programme de mise en conformité aux règles de concurrence.

(cf. points 239-242, 245, 247)

14.    La communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes constitue un instrument destiné à préciser, dans le respect du droit de rang supérieur, les critères que la Commission compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation dans la fixation des amendes infligées pour infraction aux règles de la concurrence de l’Union. Il en résulte une autolimitation de ce pouvoir, qui n’est toutefois pas incompatible avec le maintien d’une marge d’appréciation substantielle pour la Commission.

Ainsi, la Commission bénéficie d’une large marge d’appréciation lorsqu’elle est appelée à évaluer si des éléments de preuve fournis par une entreprise ayant exprimé son souhait de bénéficier de la communication sur la coopération apportent une valeur ajoutée significative au sens du point 21 de ladite communication.

De même, la Commission, après avoir constaté que des éléments de preuve présentent une valeur ajoutée significative au sens du point 21 de la communication sur la coopération, dispose d’une marge d’appréciation lorsqu’elle est appelée à déterminer le niveau exact de la réduction du montant de l’amende à accorder à l’entreprise concernée. En effet, le point 23, sous b), premier alinéa, de la communication sur la coopération prévoit des fourchettes pour la réduction du montant de l’amende pour les différentes catégories d’entreprises visées.

Dans ces conditions, la Commission n’excède pas manifestement sa marge d’appréciation en accordant une réduction de l’amende comprise dans lesdites fourchettes, lorsque les éléments de preuve, indépendamment de leur qualité et de leur utilité, ont été communiqués à un moment où la Commission disposait déjà des informations nécessaires pour établir une infraction à l’article 81 CE, avait déjà effectué une série d’inspections et avait déjà reçu une demande au titre de ladite communication par une autre entreprise.

(cf. points 260-261, 263-265, 270, 273-274, 278, 282-284, 289, 291, 295, 298, 309-312, 322-323, 326, 328-332, 345-349, 375, 377)

15.    Un grief, qui a été formulé en note en bas de page de la requête et n’a nullement été développé par les requérantes, ne satisfait pas aux conditions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal et est, partant, irrecevable.

(cf. point 338)

16.    Le droit de se prévaloir de la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées. En revanche, une personne ne peut invoquer une violation du principe de protection de la confiance légitime en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration. Constituent de telles assurances des renseignements précis, inconditionnels et concordants émanant de sources autorisées et fiables.

Dans le cadre de la détermination du montant d’une amende pour infraction aux règles de la concurrence de l’Union, l’annonce, dans la communication des griefs, que la Commission envisage d’accorder une réduction du montant de l’amende en dehors de la communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes ne saurait constituer une assurance précise quant à l’ampleur ou au taux de la réduction qui serait, le cas échéant, accordée aux entreprises concernées. Partant, une telle affirmation ne saurait en aucun cas faire naître une quelconque confiance légitime à ce sujet.

Une pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne saurait pas davantage servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence.

(cf. points 359-364)

17.    Le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés.

À cet égard, ne viole pas le principe de proportionnalité une décision de la Commission qui n’octroie qu’une réduction minimale de 1 % du montant de l’amende, au titre de l’absence de contestation des faits, et eu égard à la valeur marginale d’une coopération offerte après la communication des griefs, dès lors que cette réduction s’ajoute à celles déjà accordées dans le cadre de la communication sur l’immunité d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes.

(cf. points 366, 370, 383)

18.    En ce qui concerne le respect du principe de proportionnalité dans le cadre de la détermination du montant des amendes pour infraction aux règles de la concurrence de l’Union, de telles amendes ne doivent pas être démesurées par rapport aux buts visés, c’est-à-dire par rapport au respect des règles de concurrence, et le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre d’une telle infraction en matière de concurrence doit être proportionné à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité de celle-ci. En outre, dans la détermination du montant des amendes, la Commission est fondée à prendre en considération la nécessité de garantir à celles-ci un effet suffisamment dissuasif.

(cf. point 384)