Language of document : ECLI:EU:C:2023:588

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 13 juillet 2023 (1)

Affaire C255/21

Reti Televisive Italiane SpA (RTI)

contre

Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni

en présence de :

Elemedia SpA,

Radio Dimensione Suono SpA,

RTL 102,5 Hit Radio s.r.l.

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Services de médias audiovisuels – Directive 2010/13/UE – Publicité télévisée – Article 23 – Limites horaires imposées au temps de diffusion consacré à la publicité télévisée – Dérogation pour les messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes – Publicité pour un diffuseur radiophonique appartenant au même groupe de radiodiffusion »






I.      Introduction

1.        La publicité faite par un organisme de radiodiffusion télévisuelle pour un diffuseur radiophonique appartenant au même groupe de radiodiffusion peut-elle relever des « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13/UE (2) et, à ce titre, être exclue des limites horaires imposées au temps de diffusion consacré à la publicité télévisée prévues par cette directive ? Telle est, en substance, la question à laquelle la Cour doit répondre dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

2.        C’est la directive 2010/13 dans sa version initiale (ci-après la « directive 2010/13, ancienne version ») qui forme le cadre juridique de la présente affaire en droit de l’Union (sous-section 1). En outre, la juridiction de renvoi s’interroge sur la portée en l’espèce de la directive (UE) 2018/1808 qui a modifié la directive 2010/13 (3), même si les modifications introduites dans la directive 2010/13 par la directive 2018/1808 ne sont pas applicables dans l’affaire au principal (sous‑section 2).

1.      La directive  2010/13

3.        Les considérants 5, 21 à 23, 25, 41, 83, 87, 96 et 97 de la directive 2010/13, ancienne version, sont libellés comme suit :

« (5)      Les services de médias audiovisuels sont des services autant culturels qu’économiques. L’importance grandissante qu’ils revêtent pour les sociétés, la démocratie – notamment en garantissant la liberté d’information, la diversité d’opinions et le pluralisme des médias –, l’éducation et la culture justifie l’application de règles particulières à ces services.

[...]

(21)      Aux fins de la présente directive, la définition du service de médias audiovisuels [...] ne devrait couvrir que les services tels que définis par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et donc englober toutes les formes d’activité économique, y compris l’activité économique des entreprises de service public [...]

(22)      Aux fins de la présente directive, la définition du service de médias audiovisuels devrait couvrir les médias de masse en tant que moyens d’information, de divertissement et d’éducation du grand public, et devrait inclure les communications audiovisuelles commerciales [...]. Cette définition devrait exclure tous les services dont la finalité principale n’est pas la fourniture de programmes, autrement dit les services dont le contenu audiovisuel est secondaire et ne constitue pas la finalité principale. Tel est par exemple le cas des sites web qui ne contiennent des éléments audiovisuels qu’à titre accessoire, comme des éléments graphiques animés, de brefs spots publicitaires ou des informations concernant un produit ou un service non audiovisuel. [...]

(23)      Aux fins de la présente directive, le terme “audiovisuel” devrait se référer aux images animées, combinées ou non à du son, et donc couvrir les films muets, mais pas la transmission audio ni les services de radiodiffusion. [...]

[...]

(25)      La définition de la responsabilité éditoriale revêt une importance essentielle pour la définition du rôle du fournisseur de services de médias et, partant, pour celle des services de médias audiovisuels. [...]

[...]

(41)      Les États membres devraient pouvoir appliquer aux fournisseurs de services de médias relevant de leur compétence des règles plus spécifiques ou plus strictes dans les domaines coordonnés par la présente directive, en veillant à ce que ces règles soient en conformité avec les principes généraux du droit de l’Union. [...]

[...]

(83)      Pour assurer de façon complète et adéquate la protection des intérêts des consommateurs que sont les téléspectateurs, il est essentiel que la publicité télévisée soit soumise à un certain nombre de normes minimales et de critères, et que les États membres aient la faculté de fixer des règles plus strictes ou plus détaillées et, dans certains cas, des conditions différentes pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence.

[...]

(87)      Une limitation des 20 % de spots de publicité télévisée et de téléachat par heure d’horloge, s’appliquant aussi aux heures de grande écoute, devrait être prévue. La notion de [“]spot de publicité télévisée[”] devrait être comprise comme une publicité télévisée, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point i), dont la durée ne dépasse pas douze minutes.

[...]

(96)      Il est nécessaire de préciser que les activités d’autopromotion constituent une forme particulière de publicité réalisée par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en vue de promouvoir ses propres produits, services, programmes ou chaînes. Notamment, les bandes annonces consistant en des extraits de programmes devraient être traitées comme des programmes.

(97)      Le temps de transmission quotidien attribué aux messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion en ce qui concerne ses propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes ou les messages de service public ou les appels en faveur d’œuvres de bienfaisance diffusés gratuitement ne devrait pas être inclus dans la durée maximale du temps de transmission quotidien ou horaire qui peut être attribué à la publicité et au téléachat. »

4.        L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2010/13, ancienne version, contient notamment les définitions suivantes :

« 1.      Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “service de médias audiovisuels” :

i)      un service tel que défini aux articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui relève de la responsabilité éditoriale d’un fournisseur de services de médias et dont l’objet principal est la fourniture de programmes dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public [...] ;

ii)      une communication commerciale audiovisuelle ;

b)      “programme” : un ensemble d’images animées, combinées ou non à du son, constituant un seul élément dans le cadre d’une grille ou d’un catalogue établi par un fournisseur de services de médias et dont la forme et le contenu sont comparables à ceux de la radiodiffusion télévisuelle. Un programme est, à titre d’exemple, un film long métrage, une manifestation sportive, une comédie de situation, un documentaire, un programme pour enfants ou une fiction originale ;

c)      “responsabilité éditoriale” : l’exercice d’un contrôle effectif tant sur la sélection des programmes que sur leur organisation, soit sur une grille chronologique, dans le cas d’émissions télévisées, soit sur un catalogue, dans le cas de services de médias audiovisuels à la demande. La responsabilité éditoriale n’a pas nécessairement pour corollaire une responsabilité juridique quelconque en vertu du droit national à l’égard du contenu ou des services fournis ;

d)      “fournisseur de services de médias” : la personne physique ou morale qui assume la responsabilité éditoriale du choix du contenu audiovisuel du service de médias audiovisuels et qui détermine la manière dont il est organisé ;

e)      “radiodiffusion télévisuelle” : ou “émission télévisée” (c’est-à-dire un service de médias audiovisuels linéaire) : un service de médias audiovisuels fourni par un fournisseur de services de médias pour le visionnage simultané de programmes sur la base d’une grille de programmes ;

f)      “organisme de radiodiffusion télévisuelle” : un fournisseur de services de médias de radiodiffusion télévisuelle ;

[...]

h)      “communication commerciale audiovisuelle” : des images, combinées ou non à du son, qui sont conçues pour promouvoir, directement ou indirectement, les marchandises, les services ou l’image d’une personne physique ou morale qui exerce une activité économique. Ces images accompagnent un programme ou y sont insérées moyennant paiement ou autre contrepartie, ou à des fins d’autopromotion. La communication commerciale audiovisuelle revêt notamment les formes suivantes : publicité télévisée, parrainage, téléachat et placement de produit ;

i)      “publicité télévisée” : toute forme de message télévisé, que ce soit moyennant paiement ou autre contrepartie, ou de diffusion à des fins d’autopromotion par une entreprise publique ou privée ou une personne physique dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale ou d’une profession dans le but de promouvoir la fourniture, moyennant paiement, de biens ou de services, y compris de biens immeubles, de droits et d’obligations ;

[...] »

5.        L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2010/13, ancienne version, dispose :

« Les États membres ont la faculté, en ce qui concerne les fournisseurs de services de médias qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus détaillées ou plus strictes dans les domaines couverts par la présente directive, sous réserve que ces règles soient conformes au droit de l’Union. »

6.        L’article 23 de la directive 2010/13, ancienne version, prévoit :

« 1.      Le pourcentage de temps de diffusion de spots de publicité télévisée et de spots de téléachat à l’intérieur d’une heure d’horloge donnée ne dépasse pas 20 %.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes, aux annonces de parrainage et aux placements de produits. »

2.      La directive  2018/1808

7.        La directive 2018/1808 a modifié certaines parties de la directive 2010/13. Les considérants 1, 3 et 43 de la directive 2018/1808 sont libellés dans les termes suivants :

« (1)      La dernière modification de fond de la directive 89/552/CEE du Conseil[, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO 1989, L 298, p. 23)], ultérieurement codifiée par la directive [2010/13], a été introduite en 2007 par l’adoption de la directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 11 décembre 2007, modifiant la directive 89/552/CEE du Conseil visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO 2007, L 332, p. 27)]. Depuis lors, le marché des services de médias audiovisuels a évolué de manière rapide et conséquente en raison de la convergence qui s’établit entre la télévision et les services Internet. [...]

[...]

(3)      La directive [2010/13] ne devrait continuer à s’appliquer qu’aux services dont l’objet principal est la fourniture de programmes dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer. L’exigence relative à cet objet principal devrait également être présumée satisfaite si la forme et le contenu audiovisuel du service en cause sont dissociables de l’activité principale du fournisseur de services, par exemple des éléments autonomes de journaux en ligne proposant des programmes audiovisuels ou des vidéos créées par l’utilisateur lorsque ces éléments peuvent être considérés comme étant dissociables de leur activité principale. Un service devrait être considéré comme étant simplement un complément indissociable de l’activité principale en raison des liens qui existent entre l’offre audiovisuelle et l’activité principale, comme la fourniture d’informations sous forme écrite. [...]

[...]

(43)      Le temps de diffusion attribué aux messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion en ce qui concerne ses propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes, ou aux messages de service public ou aux appels en faveur d’œuvres de bienfaisance diffusés gratuitement, à l’exception des frais occasionnés par la diffusion de ces appels, ne devrait pas être inclus dans la durée maximale du temps de diffusion qui peut être attribué à la publicité télévisée et au téléachat. En outre, de nombreux organismes de radiodiffusion télévisuelle appartiennent à de grands groupes de radiodiffusion et diffusent des messages qui concernent non seulement leurs propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes, mais également les programmes et services de médias audiovisuels d’autres entités appartenant au même groupe de radiodiffusion. Le temps de diffusion attribué à de tels messages ne devrait pas non plus être inclus dans les durées maximales du temps de diffusion qui peut être attribué à la publicité télévisée et au téléachat. »

8.        L’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2010/13, telle que modifiée par la directive 2018/1808, est ainsi libellé :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      “programme” : un ensemble d’images animées, combinées ou non à du son, constituant un seul élément, quelle qu’en soit la longueur, dans le cadre d’une grille ou d’un catalogue établi par un fournisseur de services de médias, y compris des films longs métrages, des clips vidéos, des manifestations sportives, des comédies de situation, des documentaires, des programmes pour enfants ou des fictions originales »

9.        Tel que modifié par la directive 2018/1808, l’article 23 de la directive 2010/13 dispose désormais :

« 1.      La proportion de spots de publicité télévisée et de spots de téléachat au cours de la période comprise entre 6 et 18 heures ne dépasse pas 20 % de cette période. La proportion de spots de publicité télévisée et de spots de téléachat au cours de la période comprise entre 18 et 24 heures ne dépasse pas 20 % de cette période.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique pas :

a)      aux messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en liaison avec ses propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes, ou avec les programmes et services de médias audiovisuels d’autres entités appartenant au même groupe de radiodiffusion télévisuelle ;

b)      aux annonces de parrainage ;

c)      aux placements de produits ;

d)      aux cartons neutres insérés entre le contenu éditorial et les spots de publicité télévisée ou de téléachat, et entre chaque spot. »

B.      Le droit italien

10.      Le Decreto legislativo del 31 luglio 2005, n. 177 – Testo unico dei servizi di media audiovisivi e radiofonici (décret législatif no 177, du 31 juillet 2005, portant texte unique des services de médias audiovisuels et radiophoniques, ci‑après le « décret législatif no 177/2005 ») prévoit à son article 38, paragraphe 2, que la diffusion de spots de publicité télévisée par les organismes de radiodiffusion télévisuelle en clair – y compris analogique – dans le cadre national, autres que le concessionnaire du service public général de radiotélévision, ne peut dépasser 15 % du temps quotidien de programmation ni 18 % de chaque heure d’horloge donnée ; tout dépassement éventuel – qui ne peut, en tout état de cause, dépasser 2 % en une heure – doit être récupéré sur l’heure précédente ou suivante.

11.      L’article 38, paragraphe 6, du décret législatif no 177/2005 prévoit que le paragraphe 2 de cet article ne s’applique pas aux messages des organismes de radiodiffusion – y compris analogique – en ce qui concerne leurs propres programmes et les produits connexes directement dérivés de ces programmes, aux annonces de parrainage et aux placements de produits.

12.      L’article 52 du décret législatif no 177/2005 prévoit les sanctions applicables en cas de violation de l’article 38 susmentionné.

III. Les faits et les questions préjudicielles

13.      La société Reti Televisive Italiane SpA (ci-après « RTI ») détient les chaînes de télévision Canale 5, Italia 1 et Rete 4. Elle détient également 80 % des parts de Monradio Srl, qui exploite la station de radio R101 ; les 20 % restants sont détenus par une autre société appartenant au même groupe de radiodiffusion.

14.      Par trois décisions du 19 décembre 2017, notifiées le 8 janvier 2018, qui concernaient respectivement les chaînes Canale 5, Italia 1 et Rete 4, l’Autorità per le garanzie nelle comunicazioni, l’autorité de tutelle des communications italienne, a imposé des sanctions à RTI pour violation des dispositions du droit national relatives aux limites horaires imposées au temps de diffusion consacré à la publicité télévisée, telles que prévues à l’article 38, paragraphe 2, et à l’article 52 du décret législatif no 177/2005. Des messages diffusés dans les programmes de Canale 5, d’Italia 1 et de Rete 4 et qui faisaient de la publicité pour la station de radio R101 avaient été pris en compte dans ce temps de diffusion.

15.      RTI a introduit trois recours distincts, mais identiques sur le fond, contre les trois décisions susmentionnées devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie, ci-après le « TAR »). Selon RTI, les messages diffusés sur ses trois chaînes de télévision ne concernaient en effet que la présentation d’émissions de R101 et auraient donc dû être considérés comme des messages diffusés en ce qui concerne ses propres programmes, lesquels, conformément à l’article 38, paragraphe 6, du décret législatif no 177/2005, ne pouvaient pas être pris en compte dans les limites horaires imposées au temps de diffusion consacré à la publicité télévisée.

16.      En revanche, le TAR a jugé que des messages promouvant les programmes d’un organisme de diffusion radiophonique ne pouvaient pas être considérés comme étant des messages diffusés en ce qui concerne les « propres programmes » d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle, même si les deux organismes en question appartiennent au même groupe d’entreprises. En conséquence, il a rejeté les recours de RTI.

17.      RTI a alors formé des pourvois devant la juridiction de renvoi, le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie).

18.      Selon RTI, tout d’abord, il est sans pertinence que R101 appartienne à une autre société qu’à elle, dès lors qu’elles font toutes deux partie du même groupe de sociétés. Elle estime que c’est l’unité économique formée par le groupe de médias considéré, indépendamment de la pluralité de personnes morales, qui est déterminante en ce qui concerne l’applicabilité de l’exclusion de l’autopromotion du calcul des limites horaires de l’espace publicitaire.

19.      RTI fait également valoir que la pratique d’autopromotion croisée entre médias entre les services de télévision, de radio et d’Internet est désormais largement répandue, ce que confirmeraient d’ailleurs le considérant 43 de la directive 2018/1808 et la modification apportée par cette directive à l’article 23, paragraphe 2, sous a), de la directive 2010/13. RTI fait observer que, même si cette modification n’est pas encore applicable en l’espèce, elle est néanmoins pertinente pour l’interprétation du droit antérieurement en vigueur.

20.      C’est dans ces conditions que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, par une demande de décision préjudicielle du 25 mars 2021, parvenue à la Cour le 21 avril 2021 :

« a)      Aux fins de la réglementation de l’Union européenne en matière de limitation horaire de l’espace publicitaire, vu l’importance accordée, de manière générale, dans le droit [de l’Union] à la notion de [“]groupe[”] ou d’[“]entité économique[”] unique, qui ressort de nombreuses sources du droit de la concurrence (en l’espèce notamment du considérant 43 de la directive [2018/1808] et du nouveau libellé de l’article 23 de la directive 2010/13), sans préjudice de la différence existant dans le droit national italien entre les agréments prévus pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle et pour les organismes de radiodiffusion de radio, aux termes de l’article 5, paragraphe 1, sous b), du décret législatif no 177/[2005], peut-on considérer comme conforme au droit de l’Union une interprétation du droit national en matière de radiotélévision déduisant de l’article 1, paragraphe 1, sous a), de [ce décret] [...] que le processus de convergence entre les différentes formes de communication (communications électroniques, édition, y compris numérique, et Internet dans toutes ses applications) vaut a fortiori entre les fournisseurs de médias télévisés et de radio, surtout s’ils sont déjà intégrés à des groupes d’entreprises liées entre elles, et que [ce processus] s’impose de manière générale, avec les conséquences qui en découlent en matière d’interprétation de l’article 38, paragraphe 6, du[dit] décret législatif [...], de sorte que l’organisme de radiodiffusion pourrait être le groupe, considéré comme une seule entité économique, ou au contraire, au vu des principes de l’Union précités, du fait de l’autonomie de l’interdiction de dépassement des limites horaires de l’espace publicitaire par rapport au droit général de la concurrence, est-il impossible d’accorder une quelconque pertinence – avant 2018 – aux groupes et au processus de convergence précité ainsi qu’aux activités croisées entre médias, en ne considérant, aux fins du calcul de la limite horaire de l’espace publicitaire, que l’organisme de radiodiffusion pris isolément, même s’il relève d’un groupe (cet aspect n’étant évoqué que dans [...] l’article 23 de la directive [2010/13 telle que modifiée]) ?

b)      [À] la lumière des principes précités du droit de l’Union en matière de groupes et d’entreprise en tant que seule unité économique, aux fins de l’interdiction du dépassement des limites horaires de l’espace publicitaire et de la succession précitée des libellés de l’article 23 susmentionné, sans préjudice de la différence évoquée entre les agréments, est-il possible de déduire notamment de la réglementation anticoncurrentielle du [système intégré des communications] figurant à l’article 43 du décret législatif no 177/[2005] la pertinence de la notion de [“]groupe [‘]fournisseur de services de médias[’]” (ou, selon les termes de l’appelante, de “groupe éditorial”) afin d’exclure les messages de promotion croisée entre médias au sein du même groupe des limites horaires de l’espace publicitaire, au sens de l’article 38, paragraphe 6, du décret législatif no 177/[2005] ou, au contraire, une telle pertinence doit-elle être exclue avant 2018, en raison de l’autonomie du droit de la concurrence en matière télévisuelle par rapport à la réglementation des limites horaires de l’espace publicitaire ?

c)      [L]e nouveau libellé de l’article 23, paragraphe 2, sous a), de la directive [2010/13] reconnaît-il un principe préexistant dans le droit de la concurrence de pertinence générale des groupes, ou s’agit-il d’une innovation ? Ainsi, dans le premier cas, s’agit-il d’une réalité juridique déjà inhérente au droit de l’Union – de nature à recouvrir, ainsi, le cas d’espèce, antérieur au nouveau libellé, et à conditionner les interprétations de [l’autorité nationale de réglementation] en lui imposant en tout état de cause la reconnaissance de la notion de [“]groupe [‘]fournisseur de services de médias[’]” – ou, dans le second cas, cette innovation fait-elle obstacle à la reconnaissance de la pertinence des groupes de sociétés dans les affaires nées avant son introduction, dès lors qu’elle est inapplicable ratione temporis aux affaires antérieures du fait de sa portée innovante ?

d)      [E]n tout état de cause et au-delà du régime des agréments prévu à l’article 5 du décret législatif no 177/2005 et du nouveau libellé de l’article 23 [de la directive 2010/13] introduit en 20[1]8, et ainsi au cas où cette nouvelle disposition ne constituerait pas une reconnaissance de l’existant, mais revêtirait un caractère innovant, comme c’est l’objet de la question [c)], les relations intégrées entre télévision et radio, considérées de manière générale en droit de la concurrence, sont-elles, au regard du caractère général et transversal des notions d’[“]entité économique[”] et de [“]groupe[”], la clé permettant d’interpréter les limites de l’espace publicitaire, qui sont en tout état de cause régies implicitement au regard du groupe d’entreprises (ou plus précisément des relations de contrôle entre les entreprises du groupe) et de l’unité fonctionnelle de ces entreprises, de sorte que la promotion des programmes entre télévision et radio du même groupe [...] (4) si lesdites relations d’intégration sont dépourvues de pertinence dans le cadre des limites de l’espace publicitaire et ainsi, y a-t-il lieu de considérer que les “propres” programmes visés à l’article 23 [de la directive 2010/13] le sont en tant qu’appartenant au seul organisme de radiodiffusion qui les promeut, et non au groupe de sociétés dans son ensemble, en ce que cette réglementation est une disposition autonome qui n’admet aucune interprétation systématique l’étendant aux groupes entendus comme seule entité économique ?

e)      [E]nfin, l’article 23 [de la directive 2010/13], même s’il ne devait pas être interprété comme une disposition relevant du droit de la concurrence, doit-il en tout état de cause être entendu comme une disposition incitative, décrivant la particularité de la promotion, qui est exclusivement informative et ne tend pas à convaincre quiconque d’acquérir des biens et services autres que les programmes promus, et qui doit ainsi être considérée comme exclue du champ d’application des dispositions en matière d’espace publicitaire, étant ainsi applicable, dans le périmètre des entreprises appartenant au même groupe, dans tous les cas de promotion croisée et intégrée entre médias, ou doit-il être entendu comme une disposition à caractère dérogatoire et exceptionnel dans le cadre du calcul des limites de l’espace publicitaire et ainsi être interprété strictement ? »

21.      Dans le cadre de la procédure devant la Cour, RTI, Elemedia e.a. (parties au principal), les gouvernements italien et polonais ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. À l’exception du gouvernement polonais, ces parties étaient également représentées lors de l’audience qui s’est tenue le 14 septembre 2022.

IV.    Appréciation

22.      Par ses cinq questions préjudicielles, auxquelles il convient de répondre conjointement, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si la publicité faite par un organisme de radiodiffusion télévisuelle pour une station de radio appartenant au même groupe de sociétés peut relever de la dérogation prévue à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, selon laquelle les « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » ne sont pas pris en compte aux fins des limites horaires de l’espace publicitaire prévues au paragraphe 1 de cette disposition.

23.      Dans ce cadre, la juridiction de renvoi se réfère, d’une part, à la notion d’« entreprise » en tant qu’unité économique, telle qu’elle a été forgée dans le domaine du droit de la concurrence de l’Union (5), et à la modification de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13 par la directive 2018/1808.

24.      En effet, contrairement à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, qui n’excluait que les « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » du calcul des limites horaires de l’espace publicitaire prévues au paragraphe 1 de cette disposition, l’article 23, paragraphe 2, sous a), de la directive 2010/13, telle que modifiée par la directive 2018/1808, prévoit que les « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en liaison avec [...] les programmes et services de médias audiovisuels d’autres entités appartenant au même groupe de radiodiffusion télévisuelle » peuvent également bénéficier de cette dérogation. Certes, les modifications introduites dans la directive 2010/13 par la directive 2018/1808 ne sont pas encore applicables en l’espèce. En effet, la directive 2018/1808, plus récente, n’est entrée en vigueur que le 18 décembre 2018. Or, les décisions en cause dans l’affaire au principal ont été adoptées le 19 décembre 2017 et notifiées le 8 janvier 2018. La juridiction de renvoi se demande toutefois si la modification de l’article 23 de la directive 2010/13 par la directive 2018/1808 exprime un principe général du droit qui pourrait également influer sur l’interprétation de la directive 2010/13, ancienne version.

25.      D’autre part, par sa question e), la juridiction de renvoi soulève la question, en amont, de la qualification même des « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » en tant que publicité relevant du champ d’application des dispositions de l’article 23 de la directive 2010/13, ancienne version, relatives aux limites horaires de l’espace publicitaire.

26.      Nous aborderons donc, tout d’abord, la notion d’« autopromotion » au sens de la directive 2010/13, ancienne version, et montrerons que les « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes », au sens de l’article 23, paragraphe 2, de celle-ci, relèvent de cette notion (section A). Ensuite, nous expliquerons qu’il convient de répondre par la négative à la question de savoir si des messages diffusés en ce qui concerne des programmes d’un service de médias radiophoniques peuvent être des « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes », au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, sans qu’il importe de savoir si les messages diffusés par un organisme en ce qui concerne les programmes d’un radiodiffuseur appartenant au même groupe que lui peuvent ou non être considérés comme faisant référence aux « propres programmes » de cet organisme. En effet, en règle générale, des messages diffusés en ce qui concerne des programmes de services de médias radiophoniques ne sauraient par définition faire référence à des « programmes » ou « services de médias audiovisuels » au sens de la directive 2010/13, ancienne version (section B). Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire que nous aborderons, pour terminer, la question de la portée de la notion de « groupe de radiodiffusion télévisuelle » dans le cadre du litige au principal (section C).

A.      Sur la notion d’« autopromotion » au sens de la directive 2010/13, ancienne version

27.      Par sa question e), le Consiglio di Stato (Conseil d’État) demande si l’article 23 de la directive 2010/13, ancienne version, doit « être entendu comme une disposition incitative, décrivant la particularité de la promotion, qui est exclusivement informative et ne tend pas à convaincre quiconque d’acquérir des biens et services autres que les programmes promus, et qui doit ainsi être considérée comme exclue du champ d’application des dispositions en matière d’espace publicitaire ».

28.      Il ressort toutefois de l’article 1er, paragraphe 1, sous h) et i), de la directive 2010/13, ancienne version, que cette question appelle une réponse négative. En effet, il ressort de ces dispositions que les messages diffusés en ce qui concerne les programmes d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle doivent être qualifiés de « publicité télévisée ». Ainsi, ils ne sont exclus du calcul des limites horaires de l’espace publicitaire que s’il s’agit de messages diffusés par un organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes.

29.      L’article 1er, paragraphe 1, sous h), de la directive 2010/13, ancienne version, définit la « communication commerciale audiovisuelle » comme étant « des images, combinées ou non à du son, qui sont conçues pour promouvoir, directement ou indirectement, les marchandises, les services ou l’image d’une personne physique ou morale qui exerce une activité économique. Ces images accompagnent un programme ou y sont insérées moyennant paiement ou autre contrepartie, ou à des fins d’autopromotion. La communication commerciale audiovisuelle revêt notamment [la] form[e] suivant[e] : publicité télévisée [...] ».

30.      L’article 1er, paragraphe 1, sous i), de la directive 2010/13, ancienne version, définit la « publicité télévisée » comme étant « toute forme de message télévisé, que ce soit moyennant paiement ou autre contrepartie, ou de diffusion à des fins d’autopromotion par une entreprise publique ou privée ou une personne physique dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale ou d’une profession dans le but de promouvoir la fourniture, moyennant paiement, de biens ou de services [...] ».

31.      L’émission de messages télévisés, y compris ceux transmis par la voie de la télédistribution, constitue une prestation de services au sens de l’article 56 TFUE (6). Cela a été expressément constaté au sixième considérant de la directive 89/552 (7) dite « Télévision sans frontières », qui a précédé la directive 2010/13. Les considérants 21 et 35 de la directive 2010/13, ancienne version, évoquent également les « services » couverts par la définition du « service de médias audiovisuels » ou faisant l’objet de cette directive. En outre, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), i), de ladite directive, un « service de médias audiovisuels » est un service tel que défini aux articles 56 et 57 TFUE, dont l’objet principal est la fourniture de programmes dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public.

32.      Les messages diffusés en ce qui concerne les programmes d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle sont donc conçus pour promouvoir des services, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous h), de la directive 2010/13, ancienne version, et doivent par conséquent être qualifiés de « communication commerciale audiovisuelle » au sens de cette disposition. De tels messages relèvent également de la notion de « publicité télévisée » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous i), de la directive 2010/13, ancienne version, dans la mesure où ils constituent une forme de message télévisé, ou de diffusion à des fins d’autopromotion par une entreprise publique ou privée dans le cadre d’une activité commerciale, dans le but de promouvoir la fourniture de services moyennant paiement.

33.      Il s’ensuit qu’il est erroné de vouloir faire, comme RTI, une différence entre, d’une part, des mentions neutres qui auraient un caractère purement informatif et, d’autre part, de la publicité qui, elle, vanterait les mérites d’un produit ou d’un service. En effet, même si les messages diffusés en ce qui concerne les programmes d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle ont un caractère informatif, leur but est d’amener les téléspectateurs à regarder les programmes en question et, partant, celui d’une prestation de services à titre onéreux. Par ailleurs, l’exception prévue à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, serait inutile si les « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » étaient d’emblée exclus de la notion de « publicité télévisée » et, partant, du champ d’application de l’article 23, paragraphe 1, de cette directive.

34.      On ne saurait non plus voir dans le fait que l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, parle de « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » (8) et non de « publicité diffusée par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » un argument de nature à remettre en cause la qualification de tels messages d’« autopromotion » et, partant, de « publicité télévisée ». En réalité, les expressions « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » et « publicité pour ses propres programmes » sont tout simplement synonymes. Cette lecture est corroborée par le fait que la version en langue française de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, utilise les termes « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes ». Or, dans la version française de cette directive, le terme « messages » se retrouve au considérant 85, combiné avec l’adjectif « publicitaires » (« messages publicitaires »), d’autres versions linguistiques utilisant au même endroit des expressions telles que « publicité » ou « spots publicitaires » (9).

35.      Conformément à cela, le considérant 96 de la directive 2010/13, ancienne version, énonce également « que les activités d’autopromotion constituent une forme particulière de publicité réalisée par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en vue de promouvoir ses propres produits, services, programmes ou chaînes ». La Cour a d’ailleurs précisé, à propos de la directive 89/552, que les incitations à suivre d’autres émissions d’un organisme constituent de la publicité (10).

36.      Contrairement à ce que soutient RTI, il ne saurait non plus être déduit de la deuxième phrase du considérant 96 de la directive 2010/13, ancienne version, selon laquelle « [n]otamment, les bandes annonces consistant en des extraits de programmes devraient être traitées comme des programmes », que les annonces relatives à la future programmation ne relèvent pas de la notion de « publicité ». En effet, la diffusion de bandes annonces est conçue pour promouvoir des services (c’est-à-dire les programmes dont sont extraites les bandes annonces) [article 1er, paragraphe 1, sous h), de la directive 2010/13, ancienne version]. De même, il s’agit d’une forme de message télévisé ou de diffusion dans le but de promouvoir la fourniture de ces services [article 1er, paragraphe 1, sous i), de la directive 2010/13, ancienne version]. Ainsi que le gouvernement italien l’a indiqué lors de l’audience, il y a donc lieu de considérer que la diffusion de bandes annonces constitue une publicité pour les programmes correspondants. Aussi, les bandes annonces ne relèvent de l’exception prévue à l’article 23, paragraphe 2, de cette directive que s’il s’agit de bandes annonces des propres programmes de l’organisme de radiodiffusion télévisuelle qui les diffuse.

37.      Contrairement à l’avis de RTI, il importe peu, pour établir l’existence d’une prestation de services à titre onéreux, que la chaîne de télévision soit une chaîne de télévision à accès libre ou une chaîne privée payante. En effet, les chaînes à accès libre sont généralement financées par la publicité. L’autopromotion cherche à faire monter les taux d’audience, qui constituent la principale base de calcul du prix des créneaux publicitaires. Ainsi, la diffusion de publicités pour des programmes à accès libre est également une forme de message télévisé ou de diffusion dans le but de promouvoir de manière indirecte la fourniture de services de publicité moyennant paiement.

38.      Certes, selon la jurisprudence, les programmes des organismes publics de radiodiffusion financés au moyen de redevances audiovisuelles fixées et prélevées par l’État ou de subventions étatiques ne constituent pas une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens du droit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (11).

39.      Cela ne signifie pas pour autant que les messages diffusés en ce qui concerne les programmes de tels organismes de radiodiffusion télévisuelle, en tout cas lorsque ceux-ci diffusent également de la publicité à titre onéreux (12), ne relèvent pas de la « communication commerciale audiovisuelle » ou de la « publicité télévisée » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous h) et i), de la directive 2010/13, ancienne version. Cette disposition, sous i), fait expressément référence aux organismes de radiodiffusion publics. En outre, le considérant 21 de cette directive précise que la définition du « service de médias audiovisuels » devrait couvrir les services tels que définis par le traité FUE, et donc englober toutes les formes d’activité économique, y compris l’activité économique des entreprises de service public.

40.      Cette solution est cohérente. Certes, il peut être justifié que les modalités concrètes des règles relatives au temps de diffusion de la publicité télévisée varient en raison des différents modes de financement des chaînes concernées, celles-ci se trouvant, à cet égard, dans des situations différentes (13). Toutefois, il n’y a aucune raison d’exclure, par principe et a priori, une catégorie déterminée d’organismes de radiodiffusion télévisuelle des règles en matière de publicité télévisée. En effet, l’objectif de protection des consommateurs que sont les téléspectateurs contre la publicité excessive, qui sous-tend les directives relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (14), devrait s’appliquer à l’ensemble des organismes de radiodiffusion télévisuelle qui diffusent de la publicité pour des tiers.

41.      L’ensemble des considérations qui précèdent confirment que les messages diffusés en ce qui concerne les programmes d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle sont de la publicité télévisée. Celle-ci est exclue du calcul des limites horaires de l’espace publicitaire visées à l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2010/13, ancienne version, uniquement s’il s’agit, conformément au paragraphe 2 de cette disposition, de « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes ».

42.      L’exclusion de l’autopromotion du calcul des limites horaires de l’espace publicitaire est un privilège que le législateur octroie aux organismes de radiodiffusion télévisuelle. D’une part, il paraît justifié par l’importance particulière de ceux-ci pour l’intérêt général, soulignée notamment au considérant 5 de la directive 2010/13, ancienne version (garantie de la liberté d’information, de la diversité d’opinions et du pluralisme des médias). D’autre part, on peut supposer que, dans leur propre intérêt, les organismes de radiodiffusion télévisuelle n’abuseront pas du privilège de diffusion (à titre gratuit) de publicité en leur faveur, car cela pourrait nuire à l’attractivité de leurs programmes pour les téléspectateurs (et donc, indirectement, à leurs recettes provenant des services de publicité payants).

43.      Dans la dernière partie de la question e), la juridiction de renvoi demande si l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, est une disposition à caractère dérogatoire qui, par conséquent, doit être interprétée strictement. À cet égard, RTI soutient que, conformément à la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt ARD, les restrictions à la liberté fondamentale de diffuser des émissions télévisées doivent être interprétées strictement (15). La Cour s’y est toutefois bornée à préciser qu’une telle restriction doit être interprétée de façon restrictive lorsqu’elle n’est pas rédigée en des termes clairs et non équivoques.

44.      Or, la limitation ici litigieuse du pourcentage de temps de diffusion de spots de publicité télévisée et de spots de téléachat par l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2010/13, ancienne version, est formulée en des termes clairs et non équivoques. Elle exprime le principe en vertu duquel la libre prestation des services est restreinte dans le domaine de la publicité télévisée. En effet, dans ce domaine, la règle fondamentale n’est pas celle d’une diffusion libre et illimitée, mais celle d’une limitation horaire dans l’intérêt des consommateurs que sont les téléspectateurs, et qui est souligné au considérant 83 de la directive 2010/13, ancienne version. Ainsi que la Cour l’a relevé, c’est au regard de cet objectif que doit être appréciée, notamment, la portée de la notion de « publicité télévisée » (16). L’article 23, paragraphe 2, de cette directive, selon lequel les « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » sont exclus du calcul des limites horaires de l’espace publicitaire, est également formulé en des termes clairs et non équivoques.

45.      De même, il n’apparaît pas, au vu d’une interprétation de la directive 2010/13, ancienne version, à la lumière des libertés fondamentales, que la restriction de la publicité à l’article 23, paragraphe 1, de cette directive constituerait une restriction disproportionnée à la libre prestation des services. Ainsi que la Cour l’a elle-même déjà exposé, les règles relatives au temps de diffusion de la publicité télévisée édictées par les directives en matière de fourniture de services de médias audiovisuels visent à établir une protection équilibrée, d’une part, des intérêts financiers des organismes de radiodiffusion télévisuelle et des annonceurs et, d’autre part, des intérêts des ayants droit, à savoir les auteurs et les créateurs, ainsi que des consommateurs que sont les téléspectateurs. Dans cette mesure, elles peuvent justifier des restrictions à la libre prestation des services en matière de publicité télévisée (17).

46.      Il s’ensuit qu’il n’y a lieu ni d’interpréter de manière particulièrement restrictive la limitation de la libre prestation des services de publicité par l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2010/13, ancienne version, ni d’interpréter de manière particulièrement extensive l’exception relative aux messages diffusés en ce qui concerne les propres programmes de l’organisme de radiodiffusion télévisuelle, prévue au paragraphe 2 de cette disposition. Ces deux paragraphes doivent tout simplement être interprétés conformément à leur libellé ainsi qu’à l’économie générale et à la finalité de la directive 2010/13, ancienne version (18).

B.      Sur la notion de « programme » au sens de la directive 2010/13, ancienne version

47.      Par ses questions a) à d), la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si des messages diffusés par un organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne des programmes d’un organisme de diffusion radiophonique appartenant au même groupe de médias peuvent relever de la notion de « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version.

48.      Il découle de cette définition même, lue en combinaison avec celles de « programme » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2010/13, ancienne version, ainsi que de « radiodiffusion télévisuelle » ou « émission télévisée », dans cette même disposition, sous e), que tel n’est en principe pas le cas.

49.      Il ressort en effet de ces définitions qu’un « programme » est un « ensemble d’images animées, combinées ou non à du son », et qu’une « émission télévisée » est un « service de médias audiovisuels fourni par un fournisseur de services de médias pour le visionnage simultané de programmes sur la base d’une grille de programmes ». Par conséquent, les messages diffusés en ce qui concerne des émissions ou programmes d’un organisme de radiodiffusion qui ne contiennent que du son et aucune image ne peuvent pas être des « messages diffusés [...] en ce qui concerne [l]es propres programmes » d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version.

50.      Cette solution s’inscrit dans la logique des directives « Services de médias audiovisuels » qui, d’emblée, n’incluent pas les services de radiodiffusion sonore dans leur champ d’application. Certes, à l’origine, la Commission avait inclus la radiodiffusion sonore dans son livre vert « Télévision sans frontières » de 1984 (19). C’est également ce que prévoyait la proposition initiale de la Commission relative à la directive « Télévision sans frontières » 89/552 (20). La radiodiffusion sonore a toutefois finalement été exclue du champ d’application de la directive 89/552, notamment sous la pression des Länder allemands qui craignaient de perdre leurs pouvoirs de réglementation en la matière (21). Cela n’a pas été modifié lors de l’adoption de la directive 2010/13 : ainsi qu’il ressort de son considérant 23, le terme « audiovisuel » est censé se référer aux images animées, combinées ou non à du son, et donc couvrir les films muets, mais pas la transmission audio ni les services de radiodiffusion. Ainsi qu’Elemedia l’a fait observer lors de l’audience dans la présente affaire, cela reste le cas même après la modification de cette directive par la directive 2018/1808 [voir l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2010/13, telle que modifiée par la directive 2018/1808].

51.      Comme Elemedia l’a également indiqué, les services de diffusion radiophonique, d’une part, et les services de médias audiovisuels, d’autre part, restent des marchés distincts, malgré la convergence et les activités croisées entre médias. C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle le législateur de l’Union a choisi, malgré cette convergence, à laquelle la Commission elle-même a consacré un livre vert en 2013 (22) et qui est évoquée au considérant 1 de la directive 2018/1808, de continuer à exclure les services de radiodiffusion sonore du champ d’application de la directive 2010/13 dans sa version modifiée par la directive 2018/1808.

52.      L’interprétation défendue par RTI, selon laquelle la publicité d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle pour des émissions ou programmes d’un organisme de diffusion radiophonique pourrait elle aussi, en tant qu’autopromotion, être exclue du calcul des limites horaires de l’espace publicitaire, étendrait donc de manière illicite le champ d’application de la directive 2010/13. Une telle extension pourrait entraîner des distorsions de concurrence en défaveur des services de médias radiophoniques qui ne sont pas regroupés avec des organismes de radiodiffusion télévisuelle, et, ainsi, à des distorsions de concurrence sur un marché dont le législateur n’a pas voulu qu’il soit soumis aux règles du droit de l’Union relatives aux services de médias audiovisuels.

53.      C’est pourquoi la question de savoir si les messages en ce qui concerne les programmes d’un organisme de diffusion radiophonique relèvent de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, ne concerne pas non plus la marge de manœuvre que l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, tel qu’expliqué par les considérants 41 et 83 de celle-ci, octroie aux États membres. D’après cette disposition, les États membres ont en effet la faculté de prévoir des règles plus détaillées ou plus strictes, au-dessous du seuil fixé à l’article 23 de la directive 2010/13, ancienne version (23). Or, en l’espèce, il s’agit de savoir quels sont les messages dont la diffusion entre dans le calcul des limites horaires de l’espace publicitaire, c’est-à-dire de fixer dans un premier temps le cadre du droit de l’Union à l’intérieur duquel les États membres peuvent, dans un second temps seulement, éventuellement disposer d’une marge d’appréciation.

54.      Par conséquent, les messages diffusés par un organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne des émissions ou programmes d’un organisme de diffusion radiophonique qui ne contiennent que du son et aucune image ne sauraient constituer des messages diffusés en ce qui concerne des « programmes » au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de cette directive.

55.      Certes, les radiodiffuseurs disposent aujourd’hui également de sites Internet sur lesquels leurs émissions sont disponibles, souvent accompagnées d’images. Toutefois, lorsque ces éléments audiovisuels ne sont qu’accessoires et ne servent qu’à compléter l’activité principale de l’organisme de radiodiffusion, ils ne suffisent pas à transformer les émissions radiophoniques en « services de médias audiovisuels » relevant du champ d’application de la directive 2010/13, ancienne version.

56.      Ainsi, dans une affaire relative à des vidéos consultables sur le site de l’édition en ligne d’un journal, la Cour a constaté, certes, que de telles vidéos peuvent relever de la notion de « programme », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2010/13, ancienne version, pour autant que leur forme et leur contenu sont comparables à ceux de la radiodiffusion télévisuelle. Cela pourrait éventuellement être le cas des émissions de radio accompagnées de supports imagés.

57.      Toutefois, la Cour a précisé que les vidéos en question ne relèvent de la notion de « service de médias audiovisuels » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2010/13, ancienne version (et donc du champ d’application de cette directive), que lorsque le service consistant à mettre celles‑ci à disposition constitue une finalité principale qui a un contenu et une fonction autonomes par rapport à l’activité proprement dite du fournisseur, et n’est pas seulement un complément indissociable de cette activité (voir également le considérant 22 de ladite directive). Tel n’est pas le cas lorsque les contenus audiovisuels ne constituent pas une finalité principale, comme c’est le cas pour les sites Internet qui ne contiennent des éléments audiovisuels qu’à titre complémentaire (24).

58.      Ainsi, en dépit des éléments audiovisuels qu’il contient, le site Internet d’une station de radio ne saurait être considéré comme un service de médias audiovisuels lorsque ces éléments ne sont qu’accessoires et servent uniquement à compléter l’offre radiophonique. Par conséquent, les messages diffusés en ce qui concerne des émissions d’un organisme de diffusion radiophonique ne peuvent eux aussi être considérés comme des « messages diffusés [...] en ce qui concerne [d]es [...] programmes » au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, que si ces émissions constituent un service de médias audiovisuels autonome, dissociable de l’activité proprement dite de l’organisme de diffusion radiophonique.

59.      Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si les programmes de R101 faisant l’objet de publicités en l’espèce contenaient des éléments audiovisuels et, dans l’affirmative, si ceux-ci constituaient simplement un complément des émissions radiophoniques concernées ou un service de médias audiovisuels autonome. Compte tenu des éléments dont dispose la Cour et des débats qui ont eu lieu lors de l’audience, rien n’indique que tel soit le cas.

60.      En tout état de cause, pour que les messages diffusés en ce qui concerne des émissions d’un organisme de diffusion radiophonique puissent être considérés comme des « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, il faut non seulement qu’il s’agisse de messages diffusés en ce qui concerne des « programmes », mais également de messages diffusés en ce qui concerne ses « propres » programmes, au sens de cette directive. Nous allons maintenant aborder ce second critère.

C.      Sur la notion de « programme propre » au sens de la directive 2010/13, ancienne version

61.      RTI est d’avis que les messages diffusés par un organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne des programmes d’un autre radiodiffuseur sont des « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version, dès lors que les deux radiodiffuseurs appartiennent au même groupe. Cela découle, selon elle, du concept de l’entreprise en tant qu’unité économique, tel qu’il a été développé par la Cour en droit de la concurrence, et qui est d’ailleurs aujourd’hui reconnu à l’article 23, paragraphe 2, sous a), de la directive 2010/13, telle que modifiée par la directive 2018/1808.

62.      À la suite de la modification de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13 par la directive 2018/1808, ce ne sont plus seulement les « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes », mais également les « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en liaison avec [...] les programmes et services de médias audiovisuels d’autres entités appartenant au même groupe de radiodiffusion télévisuelle » qui sont exclus des limites horaires imposées au temps de diffusion consacré à la publicité, conformément au paragraphe 1 de cette disposition.

63.      Le considérant 43 de la directive 2018/1808 suggère toutefois qu’il s’agit d’une règle nouvelle et donc d’une modification de la situation juridique antérieure. En effet, il y est indiqué que « de nombreux organismes de radiodiffusion télévisuelle appartiennent à de grands groupes de radiodiffusion et diffusent des messages qui concernent non seulement leurs propres programmes [...], mais également les programmes et services de médias audiovisuels d’autres entités appartenant au même groupe de radiodiffusion », et que le « temps de diffusion attribué à de tels messages ne devrait pas non plus être inclus dans les durées maximales du temps de diffusion qui peut être attribué à la publicité télévisée et au téléachat ».

64.      L’article 23, paragraphe 2, sous a), de la directive 2010/13, telle que modifiée par la directive 2018/1808, qui n’est pas encore applicable aux faits de l’espèce (voir point 24 des présentes conclusions), ne saurait donc être considéré comme une simple clarification d’une situation juridique déjà existante.

65.      Contrairement à ce que soutient RTI, cette règle nouvelle ne saurait non plus être comprise comme l’expression d’un principe général selon lequel les sociétés d’un groupe forment une unité économique au sein de laquelle la responsabilité des agissements d’une filiale doit être imputée à la société mère.

66.      Certes, RTI invoque à cet égard tant le droit de la concurrence (25) que l’exemple, tiré du droit des marchés publics, en vertu duquel les groupements d’opérateurs économiques peuvent, le cas échéant, avoir recours aux capacités de participants du groupement dans le cadre de l’exécution de marchés publics (26). Toutefois, ces concepts sont fondés sur les liens juridiques et organisationnels de ces entreprises, lesquels justifient les mécanismes d’imputation réciproque des agissements et capacités au sein de l’entité économique, et s’expliquent par l’environnement réglementaire et législatif dans les domaines respectifs du droit de la concurrence et du droit des marchés publics (27). La logique qui les sous-tend peut être valable, certes, dans le cadre du secteur des services de médias audiovisuels lorsqu’une entreprise appartenant au secteur des services de médias audiovisuels doit être appréciée du point de vue du droit de la concurrence, ou participe à une procédure d’appel d’offres.

67.      Toutefois, contrairement aux concepts que nous venons d’évoquer, dans le cadre de la directive 2010/13, ancienne version, il convient, pour répondre à la question de savoir quand une émission d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle est considérée comme un « programme propre », de se référer non aux structures et liens juridiques et organisationnels des entreprises, mais à la responsabilité éditoriale concernant les programmes en question. Ainsi que le précise le considérant 25 de cette directive, la définition de la « responsabilité éditoriale » revêt une importance essentielle pour la définition du « rôle du fournisseur de services de médias » et, partant, pour celle des « services de médias audiovisuels ». Conformément à cela, l’article 1er, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2010/13, ancienne version, dispose qu’un « service de médias audiovisuels » est un service qui relève de la responsabilité éditoriale d’un fournisseur de services de médias. En vertu de cette disposition, sous d), on entend par « fournisseur de services de médias » la personne physique ou morale qui assume la responsabilité éditoriale du choix du contenu audiovisuel du service de médias audiovisuels et qui détermine la manière dont il est organisé. Selon ladite disposition, sous f), un « organisme de radiodiffusion télévisuelle » est un fournisseur de services de médias de radiodiffusion télévisuelle.

68.      La notion de « responsabilité éditoriale » est définie à l’article 1er, paragraphe 1, sous c), de la directive 2010/13, ancienne version, comme étant « l’exercice d’un contrôle effectif tant sur la sélection des programmes que sur leur organisation, soit sur une grille chronologique, dans le cas d’émissions télévisées, soit sur un catalogue, dans le cas de services de médias audiovisuels à la demande ». Cela étant, la responsabilité éditoriale n’a pas nécessairement pour corollaire une responsabilité juridique quelconque en vertu du droit national à l’égard du contenu ou des services fournis.

69.      Contrairement à ce que RTI a soutenu lors de l’audience dans la présente procédure, cette notion de « responsabilité éditoriale » au sens de la directive 2010/13, ancienne version, ne saurait être assimilée au type de contrôle auquel la Cour s’est référée pour constater l’existence d’une unité économique entre une société mère et une filiale. La Cour s’est à cet égard fondée sur le fait que, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (28).

70.      En dépit de l’existence éventuelle de tels liens entre RTI et les radiodiffuseurs qu’elle détient, il paraît improbable, ainsi que le gouvernement italien l’a fait observer lors de l’audience, qu’une société holding telle que RTI détermine le contenu concret des émissions et la grille des programmes de ces radiodiffuseurs. Selon Elemedia, RTI n’est qu’une holding financière qui détient des participations dans plusieurs radiodiffuseurs qui assument chacun la responsabilité éditoriale de leurs programmes.

71.      RTI soutient en revanche qu’elle n’est pas seulement une holding financière, mais qu’elle détermine, en dernier ressort, la ligne éditoriale de toutes les sociétés du groupe. Elle estime que cela devrait être assimilé à la responsabilité éditoriale au sens de la directive 2010/13, ancienne version. À cet égard, elle invoque notamment la constatation de la Cour dans l’affaire Baltic Media Alliance selon laquelle la responsabilité éditoriale signifie que la personne concernée a le pouvoir de décider en dernière instance de l’offre audiovisuelle en tant que telle (29).

72.      Par conséquent, il incombera en définitive à la juridiction de renvoi de déterminer si le contrôle exercé par RTI tant sur les émissions et le programme de R101 (le radiodiffuseur pour les programmes duquel la publicité a été diffusée) que sur les émissions de Canale 5, d’Italia 1 et de Rete 4 (les chaînes de télévision qui ont diffusé la publicité pour R101) doit être assimilé à la « responsabilité éditoriale » au sens de la directive 2010/13, ancienne version.

73.      Ce n’est que dans l’affirmative, et ce tant dans le cas des chaînes Canale 5, Italia 1 et Rete 4 que dans celui de R101, que les messages diffusés en ce qui concerne les programmes en question de R101 pourraient être des « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » au sens de l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13, ancienne version – à supposer, toujours, que ces programmes soient bien des « services de médias audiovisuels » au sens de cette directive (voir points 61 et 62 des présentes conclusions).

V.      Conclusion

74.      Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) de la manière suivante :

Il convient d’interpréter l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mars 2010, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »), lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 1, sous a) à f) ainsi que h) et i), de cette directive, dans sa version antérieure à la modification opérée par la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, en ce sens que les messages diffusés par un organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne des émissions ou programmes d’un organisme de diffusion radiophonique ne relèvent pas de la notion de « messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne ses propres programmes » au sens de cette disposition. Il n’y a exception que si les programmes faisant l’objet de la publicité sont des services de médias audiovisuels autonomes au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2010/13, dans sa version antérieure à la modification, dissociables de la finalité principale de l’activité de l’organisme de diffusion radiophonique et pour lesquels l’organisme de radiodiffusion télévisuelle assume la responsabilité éditoriale au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous c), de cette directive.


1      Langue originale : l’allemand.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels ») (JO 2010, L 95, p. 1).


3      Directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, modifiant la directive 2010/13, compte tenu de l’évolution des réalités du marché (JO 2018, L 303, p. 69).


4      Passage manquant.


5      Voir arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑516/15 P, EU:C:2017:314, points 46 à 48 et jurisprudence citée).


6      Voir arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a. (C‑250/06, EU:C:2007:783, point 28 et jurisprudence citée).


7      Note sans pertinence dans la version en langue française des présentes conclusions.


8      Mise en italique par nos soins. Voir également, par exemple, les versions en langues allemande : « Hinweise des Fernsehveranstalters auf eigene Sendungen » ; anglaise : « announcements made by the broadcaster in connection with its own programmes », et italienne : « annunci dell’emittente relativi ai propri programmi ».


9      Voir également, par exemple, les versions en langues allemande : « Werbeeinschübe » ; anglaise : « advertising », et italienne : « pubblicità ».


10      Arrêt du 18 octobre 2007, Österreichischer Rundfunk (C‑195/06, EU:C:2007:613, point 45).


11      Voir arrêts du 22 juin 2016, Český rozhlas (C‑11/15, EU:C:2016:470, points 23 à 28, 36 et dispositif), ainsi que du 16 septembre 2021, Balgarska natsionalna televizia (C‑21/20, EU:C:2021:743, points 32 à 34, 39 et point 1 du dispositif).


12      Il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de déterminer comment il conviendrait de se prononcer dans le cas particulier de l’autopromotion d’un organisme de radiodiffusion public qui serait purement financé par l’impôt et ne diffuserait pas de publicité. En tout état de cause, nous ne sommes pas en présence d’un tel cas de figure.


13      Voir, de manière analogue, arrêt du 18 juillet 2013, Sky Italia (C‑234/12, EU:C:2013:496, points 18 à 23).


14      Voir arrêts du 18 octobre 2007, Österreichischer Rundfunk (C‑195/06, EU:C:2007:613, points 26 à 28), et du 18 juillet 2013, Sky Italia (C‑234/12, EU:C:2013:496, point 17 et jurisprudence citée), ainsi que considérant 83 de la directive 2010/13, ancienne version.


15      Arrêt du 28 octobre 1999 (C‑6/98, EU:C:1999:532, points 29 à 31).


16      Voir références citées à la note en bas de page 14 des présentes conclusions.


17      Arrêts du 23 octobre 2003, RTL Television (C‑245/01, EU:C:2003:580, point 71 et jurisprudence citée), ainsi que du 18 juillet 2013, Sky Italia (C‑234/12, EU:C:2013:496, point 18 et jurisprudence citée)


18      Voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2011, Commission/Espagne (C‑281/09, EU:C:2011:767, points 48 et 49).


19      Télévision sans frontières. Livre vert sur l’établissement du marché commun de la radiodiffusion, notamment par satellite et par câble, COM(84) 300 final.


20      Voir notamment article 21 de la proposition et proposition modifiée de directive du Conseil visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion, COM(86) 146 final et COM(88) 154 final.


21      Voir à ce sujet Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne), arrêt du 22 mars 1995, 2 BvG 1/89, BVerfGE 92, 203 – EG‑Fernsehrichtlinie (dit « directive télévision », points 39 et 40).


22      Voir livre vert « Se préparer à un monde audiovisuel totalement convergent : croissance, création et valeurs », COM(2013) 231 final.


23      Voir arrêt du 18 juillet 2013, Sky Italia (C‑234/12, EU:C:2013:496, points 13 et 14) ; voir également arrêt du 17 février 2016, Sanoma Media Finland-Nelonen Media (C‑314/14, EU:C:2016:89, points 33, 55 et 60).


24      Arrêt du 21 octobre 2015, New Media Online (C‑347/14, EU:C:2015:709, points 24, 26, 33, 34 et 37 ainsi que dispositif). Cette jurisprudence a été reprise au considérant 3 de la directive 2018/1808.


25      Voir arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission, mentionné à la note en bas de page 5 des présentes conclusions (C‑516/15 P, EU:C:2017:314, points 46 à 48 et jurisprudence citée).


26      Voir les dispositions combinées de l’article 63, paragraphe 1, quatrième alinéa, et de l’article 19, paragraphe 2, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).


27      L’article 83, paragraphes 4 à 6, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1, rectifié au JO 2018, L 127, p. 2), lu conjointement au considérant 150 de ce règlement, montre que la notion d’« entreprise du droit de la concurrence » n’est pas automatiquement transposable à d’autres domaines du droit ; voir à ce propos conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Deutsche Wohnen (C‑807/21, EU:C:2023:360, points 44 à 50).


28      Voir arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑516/15 P, EU:C:2017:314, point 52 et jurisprudence citée).


29      Arrêt du 4 juillet 2019, Baltic Media Alliance (C‑622/17, EU:C:2019:566, point 43).