Language of document : ECLI:EU:T:1999:124

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

15 juin 1999 (1)

«Responsabilité non contractuelle - Programmes MED - Rapport de la Cour des comptes - Critiques concernant la requérante»

Dans l'affaire T-277/97,

Ismeri Europa Srl, société de droit italien, établie à Rome, représentée par Mes Sergio Ristuccia et Gian Luigi Tosato, avocats au barreau de Rome, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Alex Schmitt, 7, Val Sainte-Croix,

partie requérante,

contre

Cour des comptes des Communautés européennes, représentée par MM. Jean-Marie Stenier, Jan Inghelram et Paolo Giusta, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile au siège de la Cour des comptes, 12, rue Alcide de Gasperi, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande, au titre des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE (ex-articles 178 et 215), visant à obtenir la réparation du préjudice prétendument subi par la société requérante à la suite des critiques formulées à son égard par la Cour des comptes dans le rapport spécial n° 1/96, relatif aux programmes MED accompagné des réponses de la Commission (présenté en vertu de l'article 188 C, paragraphe 4, deuxième alinéa, du traité CE) (JO 1996, C 240, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, K. Lenaerts et J. Azizi, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 11 février 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre factuel

Programmes MED

1.
    Les aides de l'Union européenne aux pays tiers méditerranéens s'inscrivent dans une démarche d'ensemble baptisée politique méditerranéenne rénovée. Les objectifs globaux de celle-ci visent, du point de vue économique, à favoriser l'émergence d'une zone de prospérité autour de la Méditerranée et, du point de vue politique, à renforcer le processus démocratique et d'intégration régionale de ces pays.

2.
    Les programmes MED répondent à la volonté de la Communauté de développer une coopération multilatérale avec et entre les pays tiers méditerranéens. Ils sont nés de l'inadaptation des protocoles financiers, conventions bilatérales de nature interétatique, pour mener à bien une telle politique.

3.
    Les programmes MED ont été conçus comme devant permettre de développer une coopération décentralisée à partir d'instruments nouveaux. Ils consistent à confier à des partenaires des pays de l'Union européenne et du pourtour méditerranéen,qui se constituent en réseaux de quatre à huit membres, la réalisation d'un projet conçu par eux-mêmes. Les secteurs concernés sont l'administration locale (MED-Urbs), l'enseignement supérieur (MED-Campus), les médias (MED-Média), la recherche (MED-Avicenne) et les entreprises (MED-Invest). La Commission apporte aux réseaux le complément financier et l'aide technique nécessaire dont ils ont besoin pour mener à bien leur projet.

Gestion des programmes MED

4.
    Ses ressources propres ne lui permettant pas de gérer elle-même les programmes MED, la Commission confie leur gestion administrative et financière à l'Agence pour les réseaux transméditerranéens (ci-après «ARTM»), une association sans but lucratif de droit belge, qu'elle a spécialement créée à cette fin. S'agissant des opérations de suivi technique, elles font l'objet de contrats passés avec des bureaux d'assistance technique (ci-après «BAT»). Ceux-ci sont généralement des cabinets de consultants.

5.
    Les projets sont approuvés par un comité, dit comité d'engagement, qui se compose des représentants de l'ARTM et du BAT, ces derniers assistant aux débats pour fournir un avis technique et n'ayant pas de droit de vote, et que préside l'administrateur responsable de la Commission.

Rapport spécial n° 1/96 de la Cour des comptes relatif aux programmes MED

6.
    Considérant que la gestion financière des programmes MED présentait un nombre élevé d'irrégularités et d'insuffisances importantes, la Cour des comptes a adopté le 30 mai 1996 le rapport spécial n° 1/96 relatif aux programmes MED accompagné des réponses de la Commission (présenté en vertu de l'article 188 C, paragraphe 4, deuxième alinéa, du traité CE) (JO 1996, C 240, p. 1, ci-après «RS 1/96»).

7.
    La défenderesse constate notamment que les conditions d'attribution des contrats, ainsi que la participation des mêmes cabinets de consultants à la conception des programmes, à l'élaboration des propositions de financement, à la gestion de l'ARTM et au suivi technique des programmes auraient créé une situation caractérisée par de graves confusions d'intérêts, préjudiciables à la bonne gestion des fonds communautaires.

8.
    Par ailleurs, les ressources et les procédures prévues par la Commission pour assurer le suivi de la mise en oeuvre des programmes MED et le contrôle de leur gestion décentralisée n'auraient pas été appropriées: après avoir constaté l'existence des graves confusions d'intérêts mentionnées ci-dessus, la Commission aurait longtemps été incapable de trouver des solutions.

9.
    La défenderesse relève à ce sujet en particulier:

«[...] Deux des quatre administrateurs de l'ARTM étaient, jusqu'au mois d'avril 1995, également les dirigeants des BAT (les cabinets FERE Consultants et Ismeri) chargés du suivi des programmes MED.

[...] Ces mêmes BAT ont participé à la conception des programmes MED, y compris jusqu'au stade de la préparation des projets de propositions de financement, tâche qui incombe en propre aux services de la Commission. Pour effectuer ces travaux, FERE Consultants dans le cadre de la préparation des programmes MED-URBS et du volet B du programme MED-Invest et Ismeri Europa dans celui de MED-Campus, ont respectivement obtenu 323 000 écus et 199 960 écus. Ces marchés ont également été attribués par entente directe.

[...] Les conditions d'attribution des contrats, la participation des mêmes cabinets de consultants à la conception des programmes, à l'élaboration des propositions de financement, au conseil d'administration de l'ARTM, au suivi des programmes ont entraîné une situation dans laquelle règne une confusion d'intérêts préjudiciable à la saine gestion des deniers communautaires et contraire à l'égalité de tous devant les marchés publics. Deux cas d'une particulière gravité doivent être relevés:

a)    après approbation par le comité d'engagement, l'ARTM a signé [...] des contrats de gré à gré [avec des] BAT dirigés par deux de ses administrateurs pour des montants respectifs de 547 750 écus à l'un et de 748 900 écus à l'autre. Il s'agit, dans le premier cas, d'un contrat du 14 décembre 1992 entre l'ARTM et FERE Consultants. Dans le deuxième cas, il s'agit d'un contrat du 21 décembre 1992 entre l'ARTM et Ismeri. Dans l'un et l'autre cas, les dirigeants signataires occupaient, au moment où ils signaient le contrat avec l'ARTM, deux des quatre postes d'administrateurs du conseil d'administration de l'ARTM. Il faut également noter que les deux firmes bénéficiaires des contrats précités ont participé aux réunions des comités d'engagement qui ont approuvé lesdits contrats;

b)    dans le cadre de la mise en oeuvre du programme MED-Invest, ces deux mêmes BAT se sont vu attribuer la réalisation de deux projets sans aucune procédure de mise en concurrence ou de sélection. Les rémunérations se sont élevées à 270 000 écus dans un cas et à 405 000 écus dans l'autre.

[...]

La Commission prenant enfin conscience du danger d'une telle situation a fini par demander la démission du conseil d'administration de l'ARTM des dirigeants des BAT chargés du suivi. Les procès-verbaux des réunions du conseil d'administration de l'agence montrent la résistance des intéressés à se plier aux demandes de la Commission. Il aura fallu plus d'un an et demi pour qu'ils finissent par s'y résoudre et dans des conditions pour le moins critiquables. C'est ainsi que la lecture du procès-verbal de l'assemblée générale du 11 octobre 1994 montre que les deuxadministrateurs concernés 'démissionneraient de leur mandat au cas où respectivement:

-    FERE consultants serait choisi par la Commission européenne pour assurer l'assistance technique du programme MED-Invest;

-    Ismeri Europa serait renouvelé comme bureau d'assistance technique pour le programme MED-Campus‘.

Ces deux dirigeants demandaient en outre de pouvoir proposer pour leur remplacement un candidat de leur choix en cas de démission. L'ensemble de ces conditions ayant été remplies, ces deux administrateurs ont démissionné du conseil d'administration de l'ARTM en avril 1995.

[...] Étant donné la gravité de ces constatations, la Cour en a immédiatement informé la Commission, afin que celle-ci puisse prendre les mesures nécessaires et examiner notamment la nécessité éventuelle d'engager des poursuites contre les responsables. A la fin du mois de novembre 1995, les services responsables au niveau de la Commission ont informé la Cour qu'ils avaient l'intention, d'une part, de ne pas renouveler les contrats signés avec l'ARTM à leur échéance en janvier 1996 et, d'autre part, de liquider l'ARTM. Ils envisageaient également de ne pas renouveler les contrats signés avec les BAT et d'ouvrir une enquête afin d'établir les responsabilités et d'examiner, en coopération avec le service juridique de la Commission, s'il convenait d'engager des poursuites.»

Résolution du Parlement du 17 juillet 1997 sur le RS 1/96

10.
    Le 26 septembre 1996, le RS 1/96 a été présenté par la défenderesse à la commission du contrôle budgétaire du Parlement, conformément à l'article 206, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 276, paragraphe 1, CE). Par la suite, dans le cadre de l'assistance prévue par l'article 188 C, paragraphe 4, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, 248, paragraphe 4, deuxième alinéa, CE), cette dernière a également eu accès aux dossiers de l'enquête de la défenderesse.

11.
    Le 17 juillet 1997, en séance plénière, le Parlement a adopté la résolution sur le RS 1/96 (JO C 286, p. 263). Il y relève, notamment:

«[...] dans le cadre des programmes, 62 % du total des dépenses d'assistance technique sont allés à deux bureaux d'assistance technique et [...] jusqu'à avril 1995, deux des quatre administrateurs de l'ARTM étaient aussi dirigeants des deux bureaux en question, de sorte qu'un cas manifeste de confusion d'intérêts s'est perpétué des années durant;

[...] conformément aux instructions de la Commission, l'ARTM a attribué à ces bureaux d'assistance technique des contrats de gré à gré, alors que les dirigeants des deux firmes avantagées par ces contrats étaient au même moment membres du conseil d'administration de l'ARTM;

[...] dans le cadre de la mise en oeuvre du programme MED-Invest, ces mêmes bureaux d'assistance technique se sont vu attribuer la réalisation de deux projets pour des rémunérations égales, respectivement, à 270 000 écus et à 405 000 écus, sans qu'il y ait eu mise en concurrence ou sélection;

[...] cette procédure a créé une confusion d'intérêts et une possibilité d'ingérence de personnel externe dans les enceintes décisionnelles de la Commission, même si cette dernière a présidé les comités d'engagement avec un droit de veto;

[...] les agents de la Commission ont ainsi contribué à la création et au fonctionnement d'un système qui a nui à une gestion correcte des crédits communautaires, entraîné des coûts supplémentaires et donné lieu à de graves dérapages;

[...] de plus, des agents de la Commission ont accepté que, du fait de la confusion des intérêts, les administrateurs précités de l'ARTM se trouvent dans une situation peut-être délictueuse au regard du code pénal des États membres concernés;

[...] dans l'ensemble, l'affaire est, à plusieurs égards, d'une importance exemplaire et [...], dans ce contexte, la Commission, dont la crédibilité est en jeu, doit prendre des mesures énergiques, [...] une vérification rigoureuse s'impose à cet effet, pour que des inconvénients analogues n'apparaissent pas dans le cadre d'autres programmes de coopération avec d'autres régions.»

Procédure précontentieuse

12.
    Ismeri Europa Srl (ci-après «requérante») est une société qui a pour objet l'organisation et la production de services dans le domaine de la recherche et de la conception de projets revêtant un caractère interdisciplinaire, dans les secteurs économique, social, juridique et administratif, avec un intérêt marqué pour le domaine européen.

13.
    Dans le cadre de la préparation du RS 1/96, deux auditeurs de la défenderesse se sont rendus au siège de la requérante, à Rome, du 16 au 19 juin 1995. A la suite de cette visite, la requérante a envoyé à la défenderesse, à la demande de celle-ci, sa réponse à deux questionnaires détaillés, portant, l'un, sur sa mission en tant que BAT du programme MED-Campus et l'autre sur son rôle en tant que coordinateur d'un projet du programme MED-Invest au Maroc. Ces questionnaires comportaient notamment une demande d'évaluation par la requérante des résultats obtenus dansles projets auxquels elle participait. Les réponses de la requérante ont été accompagnées d'une documentation particulièrement volumineuse.

14.
    La Commission, à qui la défenderesse avait communiqué informellement, le 6 octobre 1995, le projet du RS 1/96, a fait parvenir une copie de ce document à l'ARTM. Les réponses de celle-ci, portant notamment sur la confusion d'intérêts, ont été communiquées par la Commission à la défenderesse. Au moment de la rédaction de ces réponses, la requérante était toujours membre fondateur de l'ARTM.

15.
    Le 31 janvier 1997, la requérante a envoyé une première lettre à la défenderesse dans laquelle elle lui demandait de publier un rectificatif du RS 1/96. Elle estimait qu'il contenait des inexactitudes à son égard et que la défenderesse aurait dû la consulter avant de le publier.

16.
    Le 7 mars 1997, le directeur de la direction «relations extérieures institutionnelles, relations publiques et service juridique» de la défenderesse a répondu que le RS 1/96 ne contenait aucune erreur et que la procédure avait été respectée.

17.
    Par lettre du 24 avril 1997, la requérante a contesté la régularité de cette réponse dans la mesure où il ne ressortait pas que sa demande eût été soumise aux membres de la Cour des comptes.

18.
    Le 9 juin 1997, le directeur du service susvisé de la défenderesse a confirmé par lettre que la procédure suivie à l'occasion de sa réponse du 7 mars 1997 était régulière.

19.
    Le 12 juin 1997, la requérante a adressé à chacun des membres de la Cour des comptes un courrier dans lequel elle a exposé de nouveau sa position de façon détaillée.

20.
    Le 18 juillet 1997, le président de la Cour des comptes a répondu qu'il n'y avait pas lieu de revoir le RS 1/96 et a renvoyé pour le surplus au courrier du 7 mars 1997.

Procédure contentieuse et conclusions des parties

21.
    C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 octobre 1997, la requérante a introduit le présent recours, basé sur les articles 288, deuxième alinéa, CE (ex-article 215, deuxième alinéa) et 235 CE (ex-article 178).

22.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    ordonner à titre de mesure d'instruction l'audition de témoins;

-    condamner la défenderesse à publier le dispositif de l'arrêt au Journal officiel des Communautés européennes et à verser la somme de 200 000 écus ou le montant que le Tribunal considérera comme équitable en réparation du préjudice porté à la réputation de la requérante;

-    condamner la défenderesse à lui verser le montant de 943 725 écus à titre de réparation du préjudice subi en raison de la résolution de contrats et les montants que le Tribunal considérera comme équitable à titre de réparation du préjudice résultant du manque à gagner;

-    condamner la défenderesse à lui verser les intérêts légaux ainsi qu'un montant correspondant à la dépréciation monétaire;

-    condamner la défenderesse aux dépens.

23.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable, subsidiairement comme non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

24.
    La défenderesse considère que le recours est irrecevable. Elle opère dans ses moyens d'irrecevabilité une distinction entre les différents chefs de préjudice allégués par la requérante.

Sur la recevabilité de la demande en réparation des différents préjudices patrimoniaux allégués

25.
    La défenderesse présente des moyens spécifiques en ce qui concerne la demande de réparation du préjudice subi du fait, respectivement, de la résiliation d'un contrat FEDER conclu le 17 février 1997 avec la direction générale Politique régionale et cohésion (DG XVI) de la Commission (ci-après «contrat FEDER»), la non-attribution d'un marché par la Commission, la résiliation d'un contrat avec l'Agence pour les réseaux de coopération interrégionale (ci-après «ARCI») et en raison du manque à gagner.

Demande en réparation d'un préjudice patrimonial découlant de la résiliation du contrat FEDER

26.
    La défenderesse présente deux moyens d'irrecevabilité, le premier tiré de la nature contractuelle du préjudice, le second, présenté à titre subsidiaire, tenant à l'irrégularité formelle de la requête. Dans un souci de cohérence, il convient d'examiner d'abord le second moyen.

Sur le moyen d'irrecevabilité tiré de l'indication insuffisante dans la requête du lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués

27.
    La défenderesse relève l'absence d'indication dans la requête de l'existence d'un lien de causalité entre le comportement fautif allégué par la requérante et le préjudice prétendument subi par celle-ci du fait de la résiliation du contrat en question. Elle en déduit l'irrecevabilité de la requête.

28.
    Le Tribunal rappelle que, en vertu de l'article 19 du statut (CE) de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure, toute requête doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués.

29.
    Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l'appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu'un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir arrêts de la Cour du 13 décembre 1990, Commission/Grèce, C-347/88, Rec. p. I-4747, point 28, et du 31 mars 1992, Commission/Danemark, C-52/90, Rec. p. I-2187, points 17 et suivants; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387/94, Rec. p. II-961, point 106, et du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T-113/96, Rec. p. II-125, point 29).

30.
    Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d'identifier le comportement que le requérant reproche à l'institution, les raisons pour lesquelles il estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu'il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice (voir, par exemple, arrêt Dubois et Fils/Conseil et Commission, précité, point 30, et ordonnance du Tribunal du 14 mai 1998, Goldstein/Commission, T-262/97, Rec. p. II-2175, point 22).

31.
    En l'espèce, la requête expose que la publication du RS 1/96 par la défenderesse aurait amené la Commission à résilier le contrat FEDER. Elle indique donc d'une façon cohérente et compréhensible quel est, selon la requérante, le lien de cause à effet entre le comportement reproché à la défenderesse et le préjudice allégué. L'existence dans le dossier d'éléments contredisant éventuellement la thèse soutenue par la requérante est de nature à mettre en cause non pas la recevabilité de la requête, mais uniquement, le cas échéant, le bien-fondé du recours.

32.
    Il s'ensuit que la requête répond aux exigences formelles des textes précités et que le moyen doit donc être rejeté.

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré du caractère contractuel de la demande en réparation

33.
    La défenderesse relève que, dans la présente affaire, la requérante intente un recours en responsabilité extra-contractuelle contre son cocontractant, à savoir la Communauté, au motif de la résiliation par celle-ci du contrat. Or, la résiliation de ce contrat relèverait du domaine de la responsabilité contractuelle, régie par l'article 288, premier alinéa, CE (ex-article 215, premier alinéa). Le présent recours ayant pour objet la réparation d'un préjudice d'origine contractuelle serait donc irrecevable (ordonnance du Tribunal du 18 juillet 1997, Nutria/Commission, T-180/95, Rec. p. II-1317, points 39 et 40).

34.
    Le Tribunal constate que la responsabilité extra-contractuelle prévue par l'article 288, deuxième alinéa, CE, sur lequel est fondé le recours, engage, certes, la Communauté. Elle est toutefois assumée en raison «des dommages causés par [l]es institutions». Elle suppose donc que soit déterminé à quelle institution doit être imputée la cause du dommage.

35.
    En l'espèce, la requérante invoque à titre de préjudice la résiliation par la Commission du contrat FEDER, conclu avec la Communauté. Elle ne conteste, ni du point de vue formel, ni quant au fond, la régularité de cette résiliation. Son recours a uniquement pour objet de reprocher à la défenderesse d'avoir publié le RS 1/96 et d'avoir ainsi amené la Commission à procéder à la résiliation du contrat en question.

36.
    Il s'ensuit que le comportement reproché à la défenderesse est étranger à l'exécution des obligations nées du contrat entre la requérante et la Communauté. La responsabilité recherchée est, partant, de nature extra-contractuelle.

37.
    Le moyen doit donc être rejeté.

Demande en réparation d'un préjudice patrimonial découlant de la non-attribution d'un marché

38.
    La requérante invoque, à titre de préjudice, le fait d'avoir été privée de la possibilité de bénéficier d'une adjudication à la suite d'un appel d'offres important lancé par la Commission, concernant la création d'un parc technologique au Chili, à Santiago du Chili (projet CHI/B7-3011/94/172).

39.
    La défenderesse invoque l'origine contractuelle du préjudice. Elle considère que le fait préjudiciable, accompli par la Commission, ne lui est pas imputable et conclut à l'irrecevabilité du recours. Enfin, elle soutient que la requête n'indique pas, d'une façon suffisante, quel serait le lien de causalité entre le préjudice et le fait qui lui est reproché, à savoir la publication du RS 1/96. Il y a lieu, dans un souci de cohérence, d'analyser d'abord ce dernier moyen.

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré de l'indication insuffisante dans la requête du lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués

40.
    La défenderesse estime que la requérante n'a pas indiqué, avec le degré de clarté et de précision requis, quel serait le lien de causalité entre le comportement prétendument illégal, d'une part, et le préjudice résultant de la non-attribution par la Commission d'un marché, d'autre part. De plus, la requérante n'aurait produit aucun document de la Commission fournissant des précisions sur ce marché et sur les raisons pour lesquelles il ne lui aurait pas été attribué. La défenderesse conclut que la demande en cause est irrecevable.

41.
    Il résulte de la requête que la publication du RS 1/96 par la défenderesse aurait amené la Commission à ne pas retenir la requérante parmi les candidats au marché en question. Il résulte de documents annexés à la requête que celle-ci avait participé à l'appel d'offres. La requérante expose, enfin, qu'elle avait été probablement sélectionnée pour être parmi les meilleures sociétés soumissionnaires. Elle offre de prouver ce fait en proposant au Tribunal d'ordonner la production, par la Commission, des pièces correspondantes.

42.
    Ces indications sont suffisamment claires et précises pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours. La requête respecte donc, à ce sujet, les exigences de l'article 19 du statut (CE) de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

43.
    Le moyen doit donc être rejeté.

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré du caractère contractuel du préjudice subi

44.
    La défenderesse expose que, si le préjudice né du chef de la non-attribution d'un marché devait être considéré comme étant d'origine contractuelle, la demande de réparation basée, en l'espèce, sur la responsabilité extra-contractuelle serait irrecevable.

45.
    Le Tribunal relève que le préjudice allégué consiste en la non-attribution par la Commission d'un marché à la requérante. Il est imputé par celle-ci à la défenderesse qui, en publiant le RS 1/96, aurait amené la Commission à ne pas lui attribuer le marché en question. Il s'ensuit que le préjudice est étranger à l'exécution d'obligations contractuelles. La responsabilité engagée de ce chef est donc de nature extra-contractuelle.

46.
    Le moyen doit donc être rejeté.

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré du défaut d'imputabilité du préjudice à la défenderesse

47.
    La défenderesse soutient que le recours est irrecevable parce que le préjudice invoqué, à savoir la non-attribution du marché, aurait été causé par la Commission. En effet, le RS 1/96 ne présenterait aucun caractère contraignant et n'aurait, partant, limité d'aucune façon l'autonomie d'action de celle-ci.

48.
    Le Tribunal relève que ce moyen tend à soutenir que l'autonomie d'action de la Commission aurait interrompu le lien causal allégué entre le fait de la défenderesse, à savoir la publication du RS 1/96, et le préjudice allégué, à savoir la non-attribution du marché. Il met en cause l'existence du lien de causalité, donc une des conditions de fond de la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté. A ce titre, il relève de l'examen non de la recevabilité, mais du fond du litige.

49.
    La défenderesse cite au soutien du moyen deux arrêts de la Cour (arrêts du 27 mars 1980, Sucrimex et Westzucker/Commission, 133/79, Rec. p. 1299, points 22 et 23, et du 10 juin 1982, Interagra/Commission, 217/81, Rec. p. 2233, point 8), qui déclarent des recours en indemnité irrecevables au motif que le fait dommageable ne peut pas être imputé à l'institution défenderesse. Toutefois, ces arrêts ont été adoptés dans des affaires dans lesquelles un recours en indemnité avait été dirigé contre la Communauté, alors que la décision faisant grief avait été prise par un organisme national agissant pour assurer l'exécution d'une réglementation communautaire. Les dispositions combinées des articles 235 CE et 288 CE (ex-article 215) ne donnant compétence à la juridiction communautaire que pour réparer les dommages susceptibles de mettre en jeu la responsabilité non contractuelle de la Communauté, l'imputation d'un dommage à un organisme national entraîne l'incompétence de ladite juridiction et, partant, l'irrecevabilité du recours (voir aussi, en ce sens, les arrêts de la Cour du 26 février 1986, Krohn/Commission, 175/84, Rec. p. 753, points 18 et 19, et du 7 juillet 1987, L'Étoile commerciale et CNTA/Commission, 89/86 et 91/86, Rec. p. 3005, points 17 et 18).

50.
    En revanche, en l'espèce, la question de l'imputabilité du préjudice se pose exclusivement entre deux institutions communautaires. Or, la responsabilité engagée de leur chef relève de la compétence de la juridiction communautaire.

51.
    Le moyen doit donc être rejeté.

Demande en réparation d'un préjudice patrimonial découlant de la résiliation d'un contrat avec l'ARCI

52.
    La requérante invoque, à titre de préjudice, la résiliation, le 16 juillet 1997, d'un contrat conclu le 23 décembre 1996 avec l'ARCI.

53.
    La défenderesse soulève l'irrecevabilité de la requête tendant à obtenir la réparation de ce préjudice au motif, d'une part, qu'il ne pourrait pas lui être imputé et, d'autre part, que la requête n'aurait pas indiqué, avec le degré de clarté et de précision requis, quel serait le lien de causalité entre le prétendu fait générateur de responsabilité et le dommage.

54.
    Dans un souci de cohérence, il convient d'examiner d'abord le second moyen.

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré de l'indication insuffisante dans la requête du lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués

55.
    La défenderesse considère que la requérante n'a pas indiqué, avec le degré de clarté et de précision requis, quel serait le lien de causalité entre le comportement prétendument illégal, d'une part, et le préjudice tenant à la résiliation d'un contrat avec l'ARCI, d'autre part.

56.
    La défenderesse relève à ce sujet que la lettre produite par la requérante ne précise pas le motif de la résiliation. De plus, la requérante aurait été d'accord pour qu'il soit mis fin au contrat. Enfin, ce contrat aurait été conclu avec la requérante le 23 décembre 1996, donc à une date postérieure à celle de la publication du RS 1/96, ce qui rendrait tout à fait improbable, sinon impossible, tout lien de causalité entre le RS 1/96 et un préjudice éventuel résultant de la résiliation.

57.
    La défenderesse en conclut que la requête est donc irrecevable.

58.
    Le Tribunal relève que, en l'espèce, la requête expose que la publication du RS 1/96 par la défenderesse aurait amené l'ARCI à résilier le contrat en cause. Elle indique donc d'une façon cohérente et compréhensible quel est, selon la requérante, le lien de cause à effet entre le comportement reproché à la défenderesse et le préjudice allégué. Il convient de rappeler (voir, ci-dessus, point 31) que l'existence dans le dossier d'éléments contredisant la thèse soutenue par la requérante est de nature à mettre en échec non pas la recevabilité de la requête, mais uniquement, le cas échéant, le bien-fondé du recours.

59.
    Il s'ensuit que la requête répond aux exigences formelles des textes cités ci-dessus aux points 28 à 30 et que le moyen doit donc être rejeté.

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré du défaut d'imputabilité du préjudice à la défenderesse

60.
    La défenderesse soutient que le recours est irrecevable parce que le préjudice invoqué, à savoir la résiliation du contrat, aurait été causé par l'ARCI, soit de sapropre initiative, soit à la suite de l'intervention de la Commission. En tout état de cause, la défenderesse n'aurait eu aucune possibilité de contraindre l'ARCI à prendre cette mesure. En effet, le RS 1/96 ne présenterait aucun caractère contraignant et n'aurait, partant, limité d'aucune façon l'autonomie d'action de la Commission et de l'ARCI.

61.
    Le Tribunal relève que ce moyen, analogue à celui analysé ci-dessus aux points 47 à 51, tend à soutenir que l'autonomie d'action de l'ARCI et de la Commission a interrompu le lien causal allégué entre le fait de la défenderesse, à savoir la publication du RS 1/96, et le préjudice allégué, à savoir la résiliation du contrat. Il met ainsi en cause l'existence du lien de causalité, donc une des conditions de fond de la responsabilité extra-contractuelle de la Communauté. A ce titre, il relève de l'examen non de la recevabilité, mais du fond du litige.

62.
    Le moyen doit donc être rejeté.

Demande en réparation d'un préjudice patrimonial découlant d'un manque à gagner

63.
    La défenderesse soulève l'irrecevabilité de la requête au motif que celle-ci n'aurait pas indiqué, avec le degré de clarté et de précision requis, quels seraient, d'une part, le préjudice et, d'autre part, le lien de causalité entre le prétendu fait générateur de responsabilité et le préjudice.

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré de l'indication insuffisante dans la requête du préjudice

64.
    La défenderesse expose que, à défaut d'indication, soit du montant du préjudice, soit au moins d'éléments de fait permettant d'en apprécier la nature et l'étendue, la demande tendant à l'indemnisation du dommage né d'une prétendue diminution de l'activité commerciale de la requérante serait irrecevable (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64/89, Rec. p. II-367, points 73 à 77).

65.
    Le Tribunal, tout en renvoyant aux principes exposés ci-dessus aux points 28 à 30, rappelle qu'une demande en réparation tendant à obtenir une indemnité quelconque manque de la précision nécessaire et doit, par conséquent, être considérée comme irrecevable (voir arrêt de la Cour du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, 5/71, Rec. p. 975, point 9; arrêts du Tribunal Automec/Commission, précité, point 73, et du 29 octobre 1998, TEAM/Commission, T-13/96, non encore publié au Recueil, point 27).

66.
    En l'espèce, la requérante a indiqué dans sa requête que son préjudice au titre du manque à gagner résulterait de la non-attribution du marché CHI/B7-3011/94/172 (voir, ci-dessus, points 38 à 51), de la privation de la possibilité de participer aux appels d'offres lancés par la Communauté et, partant, de la perte d'opportunitésprofessionnelles ultérieures. Il se traduirait par une atteinte aux éléments incorporels de son fonds de commerce et l'impossibilité d'acquérir de nouvelles expériences professionnelles. Elle a ajouté que son bilan présenterait un chiffre d'affaires variant entre 2 000 et 2 500 millions de LIT. Elle a finalement précisé que ce serait par rapport à ces données qu'il conviendrait d'évaluer le préjudice causé par le RS 1/96 en termes de réduction de son activité commerciale.

67.
    Le Tribunal en conclut que la requérante, bien qu'elle n'ait pas chiffré le montant du préjudice allégué, a indiqué les éléments qui permettent d'en apprécier la nature et l'étendue. Dès lors, la défenderesse a pu assurer sa défense et le Tribunal est en mesure de statuer sur le recours. Dans ces conditions, l'absence de données chiffrées dans la requête n'affecte pas les droits de la défense, d'autant moins que la partie requérante a produit lesdites données dans sa réplique, permettant ainsi à la partie défenderesse de les discuter aussi bien dans sa duplique que lors de l'audience (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 décembre 1965, Laminoirs de la Providence e.a./Haute Autorité, 29/63, 31/63, 36/63, 39/63 à 47/63, 50/63 et 51/63, Rec. p. 1123, p. 1155.

68.
    Ainsi, en l'espèce, la requérante présente, dans sa réplique, un tableau duquel il résulte que son chiffre d'affaires, qui avait augmenté de presque 8 % chaque année de 1993 à 1995, a subi une forte diminution, de l'ordre de 55 %, en 1996 et en 1997 par rapport à 1995. Cette perte pourrait être chiffré à 683 742 écus par an.

69.
    Le moyen doit donc être rejeté.

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré de l'indication insuffisante dans la requête du lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués

70.
    La défenderesse soutient que la requérante n'a pas indiqué, avec le degré de clarté et de précision requis, le lien de causalité qui existerait entre le comportement prétendument illégal qu'elle lui reproche, d'une part, et le manque à gagner, d'autre part. En effet, la requérante se limiterait à faire valoir qu'elle a subi une diminution de son chiffre d'affaires, mais elle ne donnerait aucune explication sur les origines de celle-ci.

71.
    D'une part, si l'on admettait que la résiliation du contrat FEDER et du contrat conclu avec l'ARCI a contribué à la diminution de son chiffre d'affaires, la requérante demanderait en réalité deux fois réparation pour le même préjudice.

72.
    D'autre part, la thèse de la requérante selon laquelle, à cause du RS 1/96, elle ne pourrait plus oeuvrer comme auparavant dans le domaine de l'assistance et de l'évaluation de programmes communautaires devrait être réfutée. En effet, en premier lieu, les deux contrats précités ont été conclus alors que le RS 1/96 était déjà publié, donc connu par tous les intervenants. En deuxième lieu, lors d'uncontrôle des dépenses dans le cadre du Fonds social européen, effectué par des auditeurs de la défenderesse du 2 au 6 février 1998 en Italie, il aurait été constaté que la requérante a obtenu en septembre et en octobre 1997, en commun avec une autre entreprise, deux contrats d'expertise pour des montants de 800 millions et de 1 200 millions de LIT, financés intégralement par des fonds communautaires. Or, le montant total de ces deux contrats serait important par rapport au chiffre d'affaires annuel de la requérante.

73.
    La défenderesse en conclut que la requête est également irrecevable sur ce point.

74.
    Le Tribunal relève que la requête expose en quoi le préjudice né d'un manque à gagner aurait pour cause le RS 1/96, ce dernier, défavorable à la requérante et établi par une institution communautaire jouissant d'un grand prestige, ayant fait l'objet d'une publication au Journal officiel des Communautés européennes et ayant ainsi bénéficié d'une diffusion générale dans tous les États membres et notamment dans les milieux qui assument un rôle important au niveau politique et économique.

75.
    Ensuite, la requête distingue clairement entre le préjudice dû au manque à gagner et celui né de la résiliation des contrats conclus avec la Commission et l'ARCI. Ces deux chefs de préjudice y font l'objet de descriptions et d'évaluations distinctes. Ils sont distingués suivant leur degré de certitude, le préjudice né de la résiliation des contrats étant qualifié de «perte», par opposition au simple manque à gagner.

76.
    Le Tribunal considère donc que ces indications sont suffisamment claires et précises pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et pour pouvoir statuer sur le recours.

77.
    Par ailleurs, l'argument soulevé par la défenderesse dans la duplique, selon lequel la requérante aurait obtenu, en septembre et en octobre 1997, d'importants contrats financés par des fonds communautaires, est inopérant pour l'examen de la recevabilité de la requête. En effet, il ne met pas en question la cohérence interne et, partant, la régularité formelle de celle-ci, mais il concerne, le cas échéant, le fond du litige.

78.
    Il s'ensuit que la requête respecte les exigences de l'article 19 du statut (CE) de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

79.
    Le moyen doit donc être rejeté.

Sur la recevabilité de la demande en réparation du préjudice moral

80.
    La défenderesse soulève l'irrecevabilité de la requête au motif que celle-ci n'aurait pas indiqué, avec le degré de clarté et de précision requis, l'importance et la nature du préjudice moral allégué. Par ailleurs, la quantification de la réclamation, dansla réplique, à 200 000 écus, serait une demande nouvelle irrecevable et ne serait pas suffisamment précise.

81.
    Le Tribunal renvoie aux principes exposés ci-dessus aux points 28 à 30 et 65 et ajoute qu'une demande en réparation d'un préjudice moral, à titre symbolique ou pour l'obtention d'une véritable indemnité, doit préciser la nature du préjudice allégué au regard du comportement reproché à la défenderesse et, même de façon approximative, évaluer l'ensemble de ce préjudice (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 15 février 1995, Moat/Commission, T-112/94, RecFP p. II-135, point 38, et arrêt du Tribunal du 29 janvier 1998, Affatato/Commission, T-157/96, RecFP p. II-97, point 49).

82.
    En l'espèce, la requérante a indiqué dans la requête, que son préjudice moral consiste dans une atteinte à son honneur et à sa notoriété provoquée par la publication du RS 1/96, qu'elle qualifie de diffamatoire. Elle y souligne, comme il l'a été précisé ci-dessus au point 74, que cette atteinte émane d'une institution communautaire jouissant d'un grand prestige et a fait l'objet d'une publication au Journal officiel des Communautés européennes, ayant autorité de source officielle, bénéficiant d'une diffusion générale dans tous les États membres et s'adressant, notamment, aux milieux qui assument un rôle important au niveau politique et économique. Elle relève qu'une telle atteinte à l'honneur et à la notoriété perturbe sérieusement la bonne marche d'une société qui, comme la sienne, a la dimension d'une petite ou moyenne entreprise.

83.
    Le Tribunal en conclut que la requérante, bien qu'elle n'ait pas chiffré le montant du préjudice allégué, a indiqué les éléments qui permettent d'en apprécier la nature et l'étendue. Dès lors, la défenderesse a pu assurer sa défense et le Tribunal est en mesure de statuer sur le recours. Dans ces conditions, ainsi que cela a été exposé ci-dessus au point 67, l'absence de données chiffrées dans la requête n'affecte pas les droits de la défense, d'autant moins que la partie requérante a produit lesdites données dans la réplique, permettant ainsi à la partie défenderesse de les discuter aussi bien dans sa duplique que lors de l'audience (voir, en ce sens, arrêts Laminoirs de la Providence e.a./Haute Autorité, précité, et TEAM/Commission, précité, point 29).

84.
    Ainsi, en l'espèce la requérante a présenté, dans la réplique, une analyse exhaustive de son préjudice moral. Elle a d'abord développé cinq critères d'évaluation, tirés respectivement de l'ampleur du préjudice, de sa gravité, de son caractère évitable, de la capacité patrimoniale de son auteur et de la qualité de la personne lésée. Elle a ensuite proposé, en s'inspirant de l'arrêt du Tribunal du 26 octobre 1993, Caronna/Commission (T-59/92, Rec. p. II-1129, point 107), une estimation chiffrée à 200 000 écus. Elle a finalement ajouté être disposée à accepter la somme qui sera jugée équitable par le Tribunal.

85.
    Le moyen tiré de l'indication insuffisante, dans la requête, de l'importance du préjudice doit donc être rejeté.

86.
    Ensuite, il résulte de cette présentation des arguments développés par la requérante que la proposition d'évaluation chiffrée, contenue dans la réplique, n'a pour objet que de préciser la demande de réparation du préjudice moral présentée dans la requête, sans constituer elle-même une nouvelle demande.

87.
    Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'évaluation du préjudice moral à 200 000 écus comme formant une nouvelle demande doit être rejeté.

88.
    La défenderesse conteste ensuite que les troubles de santé subis par le dirigeant de la requérante puissent être invoqués par celle-ci au titre du préjudice moral. Elle en déduit que ce chef de la demande est irrecevable, faute d'indication suffisante.

89.
    Le Tribunal estime toutefois que cette argumentation de la défenderesse méconnaît que les exigences formelles de l'article 19 du statut (CE) de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal ont seulement pour objet de permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la juridiction de statuer sur le recours. Or, le chef de demande en cause respecte ces exigences. La circonstance qu'il puisse ne pas être bien-fondé ne le rend pas pour autant irrecevable.

90.
    Le moyen doit donc être rejeté.

91.
    La défenderesse conteste enfin que les conclusions en indemnité ne distinguent pas d'une façon suffisante le préjudice moral du préjudice patrimonial. Elle se réfère aux points 68 et 72 de la réplique.

92.
    Certes, au point 68 de la réplique, la requérante renvoie aux points 58 à 61 et 64 de celle-ci, pour l'appréciation du préjudice moral. Les points 58 à 61 sont relatifs au lien de causalité existant entre le RS 1/96 et l'ensemble des préjudices; dans le point 64, la requérante expose avoir indiqué tous les éléments nécessaires à leur évaluation. Ils concernent donc aussi le préjudice moral. Par ailleurs, les neuf points qui suivent le point 68 en question ont pour objet de préciser et d'évaluer ce préjudice.

93.
    Au point 72 de la réplique, la requérante expose en quoi sa qualité et ses fonctions doivent compter pour l'évaluation du préjudice moral. Elle relève qu'elle est un professionnel estimé et qu'elle exerce l'essentiel de son activité auprès des institutions communautaires. Certes, elle ajoute que le préjudice patrimonial subi en cas d'atteinte à l'honneur se trouve aggravé si le fait générateur de cette atteinte est porté à la connaissance du milieu dans lequel la victime exerce son activité. Toutefois, cette référence au préjudice patrimonial n'est faite qu'à titre incident.

94.
    Le moyen doit donc être rejeté.

Sur le fond

95.
    L'engagement de la responsabilité de la Communauté dans le cadre de l'article 288, deuxième alinéa, CE, est subordonné à la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement de l'institution et le préjudice allégué (arrêts de la Cour du 27 mars 1990, Grifoni/CEEA, C-308/87, Rec. p. I-1203, point 6, et du Tribunal du 18 septembre 1995, Blackspur e.a./Conseil et Commission, T-168/94, Rec. p. II-2627, point 38).

96.
    La requérante considère que la défenderesse a eu un comportement illégal en ce que, d'une part, elle aurait violé le principe du contradictoire et, d'autre part, elle aurait émis dans le RS 1/96 à son égard des critiques diffamatoires.

Sur la violation du principe du contradictoire

97.
    La requérante relève que le RS 1/96 porte sur elle des appréciations critiques sévères. Elle en conclut que, en application du principe du contradictoire, la défenderesse aurait dû lui donner la possibilité de faire des observations avant l'adoption du rapport et le réexaminer à la lumière de celles qu'elle a faites après sa publication.

98.
    La défenderesse soutient, à titre principal, que le moyen serait dépourvu d'objet, la requérante ayant eu la possibilité d'exprimer son point de vue tant avant qu'après l'adoption du RS 1/96. A titre subsidiaire, elle soutient que le moyen ne serait pas fondé, le principe du contradictoire ne devant recevoir application que dans les procédures juridictionnelles et dans les procédures administratives susceptibles d'aboutir à des sanctions. Or, le RS 1/96 n'aurait pas de caractère décisionnel et n'exprimerait qu'un avis. A titre encore plus subsidiaire, elle expose que le moyen est dépourvu de pertinence, la violation du principe du contradictoire n'ayant pas pu causer le préjudice allégué.

99.
    Le Tribunal décide d'analyser d'abord ce dernier argument de la défenderesse.

100.
    Une faute ne conduit pas, en tant que telle, à une responsabilité de la Communauté ouvrant au requérant un droit à la réparation des dommages qu'il invoque. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la responsabilité de la Communauté suppose que le requérant prouve non seulement l'illégalité du comportement reproché à l'institution concernée et la réalité d'un préjudice, mais également l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et ce préjudice (arrêts de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmühle e.a./Conseilet Commission, 197/80, 198/80, 199/80, 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 18, et du 14 janvier 1993, Italsolar/Commission, C-257/90, Rec. p. I-9, point 33; arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 80). En outre, selon une jurisprudence constante, le préjudice doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché (arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier Frères e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T-175/94, Rec. p. II-729, point 55, et du 25 juin 1997, Perillo/Commission, T-7/96, Rec. p. II-1063, point 41).

101.
    En l'espèce, le préjudice invoqué par la requérante résulte de l'adoption et de la publication par la défenderesse du RS 1/96. A supposer que la défenderesse ait été obligée de permettre à la requérante de faire valoir son point de vue avant l'adoption et la publication de ce document ou d'examiner plus en détail les observations de celle-ci, il est toutefois exclu, dans les circonstances de l'espèce, que cette consultation ou cet examen aient pu entraîner la modification ou la rectification du contenu du rapport tel qu'il a été publié.

102.
    En effet, la défenderesse aurait, nonobstant l'existence et la mise en oeuvre du principe du contradictoire, conservé son pouvoir d'appréciation et la faculté de décider de maintenir son point de vue. Or, l'appréciation par la défenderesse des arguments présentés par la requérante résulte de sa réponse en date du 7 mars 1997, citée au point 16 ci-dessus, à la demande de l'avocat de celle-ci, citée au point 15 ci-dessus, de publier au Journal officiel des Communautés européennes un rectificatif du RS 1/96. La défenderesse y réfute, en détail et point par point, les observations de la requérante sur le caractère inexact des passages du RS 1/96 la concernant et l'informe qu'il n'y a pas lieu de rectifier le rapport. A supposer que la requérante ait pu présenter ces observations antérieurement à l'adoption du RS 1/96, la défenderesse n'aurait donc pas adopté une position différente. De même, la teneur de ce courrier atteste suffisamment que la défenderesse, après un examen encore plus exhaustif des observations de la requérante, n'aurait pas procédé à une rectification du RS 1/96.

103.
    De même, à supposer que la défenderesse eût été obligée de réexaminer le rapport à la lumière des observations de la requérante et que son courrier du 7 mars 1997 ne démontre pas une exécution satisfaisante de cette obligation, la teneur de ce courrier atteste à suffisance que la défenderesse n'aurait, même en présence d'un examen encore plus exhaustif des observations de la requérante, pas procédé à une rectification du RS 1/96.

104.
    Il s'ensuit que ni l'omission de la défenderesse d'inviter la requérante à présenter ses observations antérieurement à l'adoption et à la publication du RS 1/96, ni l'examen insuffisant des observations de celle-ci n'a pu causer ou aggraver le préjudice allégué dans la requête.

105.
    Le moyen tiré d'une violation du principe du contradictoire doit donc être rejeté sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur la question de savoir si, en l'espèce, la requérante pouvait ou non se prévaloir de ce principe.

    Sur le caractère diffamatoire des critiques formulées par la défenderesse à l'égard de la requérante

Sur le principe de la diffamation

106.
    La requérante allègue que la défenderesse, dans le RS 1/96, a émis à son égard des critiques qui ne seraient pas fondées. Ce serait la première fois que la défenderesse aurait formulé dans le texte d'un rapport spécial, adressé au Parlement, des critiques graves visant directement et nommément des personnes étrangères aux institutions communautaires. Ces accusations s'appuieraient sur une interprétation partiale et déformée de la vérité.

107.
    Elle considère qu'une affirmation peut être diffamatoire indépendamment du caractère fondé ou non du fait rapporté. Un propos pourrait être diffamatoire même si le fait présenté est vrai ou partiellement vrai. Ainsi, en droit italien, seraient considérés comme susceptibles de porter atteinte à la réputation d'autrui ou de la mettre en péril non seulement les propos mensongers ou non objectifs, mais également les insinuations.

108.
    Le Tribunal constate que la Cour des comptes est, en vertu de l'article 188 C, paragraphe 2, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 248, paragraphe 2, premier alinéa, CE), tenue d'examiner la légalité et la régularité des recettes et dépenses de la Communauté et de s'assurer de la bonne gestion financière. Selon le paragraphe 4, elle exprime ses appréciations dans le cadre, soit du rapport annuel, soit de rapports spéciaux.

109.
    Le souci d'une exécution effective de cette mission peut amener la Cour des comptes, à titre exceptionnel, et notamment en cas de dysfonctionnement grave affectant sérieusement la légalité et la régularité des recettes ou des dépenses, ou les nécessités de la bonne gestion financière, à dénoncer les faits constatés d'une façon complète et donc à désigner nommément des personnes tierces directement impliquées. Une telle désignation s'impose plus particulièrement lorsque l'anonymat risque de prêter à confusion ou encore de jeter le doute sur l'identité de personnes impliquées, ce qui est susceptible de nuire aux intérêts de personnes concernées par l'enquête de la Cour des comptes mais non visées par ses appréciations critiques.

110.
    Les appréciations portées, dans ces conditions, sur des personnes tierces sont soumises à un contrôle complet du Tribunal. Elles sont de nature à constituer une faute, et donc d'engager, le cas échéant, la responsabilité extra-contractuelle de laCommunauté, soit si les faits relatés ne sont pas matériellement exacts, soit si l'interprétation donnée de faits matériellement exacts est erronée ou partiale.

Sur les griefs spécifiques de diffamation

111.
    La requérante conteste qu'elle se serait octroyée au moyen d'une confusion d'intérêts une position privilégiée et qu'elle aurait résisté aux demandes de la Commission. De plus, la défenderesse aurait omis de tenir compte des importants résultats des travaux auxquels elle aurait contribué.

- Sur la confusion d'intérêts

112.
    Le principe d'égalité de traitement en matière de marchés publics, le souci d'une bonne gestion financière des deniers communautaires et la prévention de la fraude rendent hautement critiquable, et le droit pénal de plusieurs États membres incrimine, le fait qu'une personne qui contribue à évaluer et sélectionner les offres d'un marché public se voit attribuer ce marché.

113.
    La Cour des comptes, qui, dans le cadre de l'exécution de sa mission, constate de tels dysfonctionnements graves, est tenue de les dénoncer.

114.
    En l'espèce, le RS 1/96 expose, dans ses points 50 à 55 et en son annexe 3, que la requérante a participé au conseil d'administration de l'ARTM, son dirigeant étant l'un des quatre administrateurs de celle-ci, ainsi qu'à la conception des programmes MED, jusqu'au stade de la préparation des projets de financement, et à leur suivi. Or, en même temps, elle se voyait attribuer en tant que BAT des marchés dans le cadre de ces programmes d'un montant total de 2 088 700 écus.

115.
    La requérante, qui ne conteste pas la matérialité des faits, d'ailleurs amplement documentée par la défenderesse, soutient qu'il ne saurait y avoir conflit d'intérêts. En effet, la Commission aurait conservé le pouvoir décisionnel et l'ARTM n'aurait eu qu'un rôle de préparation et d'exécution.

116.
    Toutefois, cet argument n'est pas pertinent. En effet, à supposer que cette assertion soit exacte, il n'en demeure pas moins que la requérante a participé à des réunions au cours desquelles des décisions ont été prises sur l'évaluation et la sélection de projets qui lui ont été confiés.

117.
    Ainsi, le contrat d'assistance technique pour la mise en oeuvre du programme MED-Campus, mentionné au point 52, sous a), du RS 1/96, conclu le 21 décembre 1992 entre l'ARTM et la requérante et comportant une rémunération de 748 900 écus, a été proposé par cette agence dont la requérante était membre fondateur et son dirigeant l'un des quatre administrateurs.

118.
    De plus, le contrat mentionné au point 52, sous b), du RS 1/96, conclu le 12 juillet 1993 entre l'ARTM et la requérante et comportant une rémunération de 405 000 écus, a été attribué de gré à gré, sans aucune procédure de mise en concurrence ou de sélection.

119.
    Il s'ensuit que la requérante était en mesure d'exercer une influence sur le processus de prise de décision et donc de favoriser par sa position et celle de son dirigeant ses intérêts privés. Elle se trouvait donc dans une situation de confusion d'intérêts.

120.
    Il convient d'ajouter que, s'il est vrai, comme le soutient la requérante, que la Commission disposait d'un droit de veto au sein du comité d'engagement, il n'en demeure pas moins que le dirigeant de la requérante bénéficiait de son côté d'un droit de vote au sein du conseil d'administration de l'ARTM. Or, dans les cas de figure susvisés, les projets proposés à la requérante ont été adoptés sans que la Commission s'y soit opposée.

121.
    La requérante souligne encore que durant la phase expérimentale des programmes MED, la Commission a passé des accords directs avec les sociétés de conseils qui l'assistaient, que ces sociétés ont été ensuite invitées à participer à l'ARTM nouvellement créée, qu'elle-même a accepté cette charge de travail supplémentaire par esprit de collaboration et qu'elle n'a jamais cherché à profiter de l'avantage qui pouvait en résulter.

122.
    Il est constant que, au cours d'une phase expérimentale, la Commission a dû passer des contrats de gré à gré avec des cabinets de consultants, dont la requérante. Le RS 1/96 renvoie à ce sujet, dans son point 51, au contrat conclu le 10 août 1992 entre la Commission et la requérante, prévoyant une rémunération de 199 960 écus et ayant pour objet la préparation de projets de propositions de financement dans le cadre du programme MED-Campus. La conclusion de ce contrat a précédé la constitution de l'ARTM, dont la requérante était un membre fondateur, intervenue le 24 septembre 1992.

123.
    Cependant, cet argument n'est pas pertinent. En effet, la confusion d'intérêts constitue en soi et objectivement un dysfonctionnement grave, sans qu'il soit nécessaire de tenir compte, pour sa qualification, des intentions des intéressés et de leur bonne ou mauvaise foi. Or, la présence des BAT, dont la requérante, au conseil d'administration de l'ARTM, était objectivement injustifiable. La défenderesse était donc tenue de la dénoncer sans être obligée de s'interroger sur la question de savoir si cette anormalité sérieuse était la conséquence d'un simple manque de prévoyance ou d'une intention frauduleuse caractérisée. Cette question, sans pertinence en ce qui concerne le contrôle financier effectué par la Cour des comptes, est, en revanche, d'importance en ce qui concerne les éventuelles suites à donner au RS 1/96 par la Commission.

124.
    Il s'ensuit que la défenderesse n'a pas commis une faute ni donné une interprétation erronée ou partiale des faits en dénonçant, dans le RS 1/96, l'existence d'une confusion d'intérêts impliquant la requérante.

125.
    Le moyen doit donc être rejeté.

- Sur la résistance de la requérante aux demandes de la Commission

126.
    La requérante critique le fait que le RS 1/96 relate (au point 56) ce qui suit:

«[...] les procès-verbaux des réunions du conseil d'administration de l'agence [...] montrent la résistance des intéressés à se plier aux demandes de la Commission. Il aura fallu plus d'un an et demi pour qu'ils finissent par s'y résoudre et dans des conditions pour le moins critiquables.»

127.
    La requérante considère que cette présentation constitue une véritable dénaturation des faits. Il n'y aurait pas eu résistance des intéressés à démissionner et les démissions ne seraient pas intervenues dans des conditions critiquables.

128.
    Le Tribunal relève que le 28 mai 1993 la Commission informait l'ARTM de son souhait que les dirigeants des BAT quittent le conseil d'administration de cette agence, leur présence constituant, selon elle, un facteur d'ambiguïté et donnant lieu à des questions de plus en plus insistantes de certains tiers.

129.
    Dans un premier temps, cette demande a été accueillie favorablement par l'ARTM. Ainsi, une note interne de cette agence du 14 juin 1993 proposait à cette fin un plan prévisionnel et un calendrier précis, la recomposition prévue devant être terminée en janvier 1994. Cette intention a été confirmée par le conseil d'administration de l'ARTM lors de ses réunions du 1er juillet 1993 et du 5 octobre 1993. Dès le 18 juin 1993, des démarches ont été entreprises en vue de recruter les nouveaux membres du conseil d'administration.

130.
    Toutefois, par la suite, non seulement le calendrier prévu n'a pas été respecté, mais l'ARTM a manifesté des réticences à recomposer son conseil d'administration et a soumis cette recomposition au respect de plusieurs conditions, présentées successivement.

131.
    Ainsi, le 18 mai 1994, à l'occasion de la soumission de la candidature de l'ARTM dans le cadre de l'appel d'offres lancé pour la poursuite de la mise en oeuvre et du suivi des programmes MED, le président de cette agence écrivait à la Commission que le conseil d'administration ne démissionnerait que si l'ARTM obtenait ce marché.

132.
    Cependant, bien que ce marché lui eût été attribué et le contrat correspondant signé le 1er septembre 1994, l'ARTM ne procéda pas à la recomposition promisede son conseil d'administration. Au contraire, l'assemblée générale de l'ARTM du 11 octobre 1994 renouvela le mandat du dirigeant de la requérante pour deux ans. Le procès-verbal de l'assemblée générale relève que ce dernier était toutefois prêt à démissionner à la condition, d'une part, que la requérante ait été renouvelée comme BAT pour le programme MED-Campus et, d'autre part, que, en cas de démission, ce dirigeant pût proposer un candidat de son choix. Cette prise de position a été confirmée par un document interne de l'ARTM du 12 janvier 1995.

133.
    Cette double condition a de toute évidence été respectée à son tour. D'une part, la mission de la requérante comme BAT du programme MED-Campus a été renouvelée pour l'année 1995 par contrat signé avec la Commission le 18 janvier 1995. D'autre part, il résulte des observations de l'ARTM du 12 janvier 1996 sur le projet du RS 1/96, qu'un de ses nouveaux administrateurs est un ancien collaborateur de la requérante.

134.
    C'est dans ces circonstances que le dirigeant de la requérante a finalement démissionné du conseil d'administration de l'ARTM en avril 1995.

135.
    La requérante soutient que le RS 1/96 interprète mal le comportement de l'ARTM à partir de l'année 1994 dans la mesure où la Commission aurait renoncé, en janvier 1994, à la démission du conseil d'administration de celle-ci. Elle renvoie à ce sujet au compte-rendu du conseil d'administration de l'ARTM du 21 janvier 1994, qui énonce, sous le point 3.6. «Évolution du conseil d'administration»:

«La Commission avait demandé il y a quelques mois que le conseil d'administration de l'ARTM soit modifié de sorte que les bureaux d'assistance technique des programmes ne participent pas dans le même temps au conseil d'administration. La Commission et les administrateurs estiment que cette demande n'a plus de sens aujourd'hui».

136.
    Le Tribunal relève, en premier lieu, que la crédibilité de ce document est douteuse. En effet, il ne précise pas pour quelles raisons la demande de la Commission n'aurait plus de sens. Il n'indique pas quel représentant de la Commission aurait exprimé ce point de vue et à quel titre. Enfin, il émane de l'ARTM et non de la Commission.

137.
    Il est, en second lieu, contredit par d'autres documents postérieurs émanant à la fois de l'ARTM et de la Commission.

138.
    Ainsi, la mention dans la lettre précitée du 18 mai 1994 du président de l'ARTM à la Commission du problème de la présence de représentants des BAT au conseil d'administration de l'ARTM et l'annonce de leur démission en cas d'attribution du marché à l'ARTM seraient dépourvues de sens si la Commission avait effectivement renoncé, dès janvier 1994, à obtenir ces démissions. En outre, cette lettre a été adressée à Mme Y., de la DG I, qui, selon le compte-rendu de laréunion du conseil d'administration de l'ARTM du 21 janvier 1994, dans lequel figure le passage discuté, assistait à cette réunion. Il est donc incohérent que quatre mois après cette réunion, l'ARTM lui écrive sans évoquer ce prétendu changement d'attitude et lui propose de respecter, sous certaines conditions, le souhait que la Commission aurait pourtant abandonné.

139.
    Par ailleurs, l'ARTM, dans ses observations sur le projet du RS 1/96, rappelle que la Commission avait souhaité voir les représentants des BAT quitter le conseil d'administration de l'agence et qu'elle-même y avait initialement consenti. Toutefois, non seulement elle n'évoque pas une renonciation de la Commission à cette démission, mais elle indique clairement que le report de celle-ci résulte de sa propre initiative.

140.
    Quant à la Commission, dans ses observations annexées au RS 1/96, elle considère que le long retard enregistré avant la démission des représentants des BAT du conseil d'administration de l'ARTM, alors que des assurances lui avaient été données, était inacceptable. Elle ne confirme donc d'aucune façon la remarque contenue dans le document discuté.

141.
    Il convient d'ajouter que la requérante explique la prétendue renonciation par la Commission à voir procéder à la recomposition du conseil d'administration de l'ARTM par la circonstance que les missions exercées jusqu'alors par cette dernière, à savoir la gestion des programmes MED, devaient être réattribuées en 1994 au moyen d'un appel d'offres auquel l'ARTM était libre de participer. Cette justification n'est toutefois pas cohérente, comme le soutient à juste titre la défenderesse. La confusion d'intérêts née de la présence au sein du conseil d'administration de l'ARTM de représentants des BAT n'est pas évitée et résolue par la participation de l'ARTM à un appel d'offres en vue de l'attribution de la gestion de ces programmes. Ce problème continue, en effet, à se poser de la même façon dès lors que l'ARTM a réussi à se faire attribuer ce marché.

142.
    En conclusion, les énonciations contenues au point 56 du RS 1/96 non seulement font référence à des faits matériellement établis, mais elles en donnent une interprétation objective et complète en soulignant que les conditions dans lesquelles est intervenue la démission du dirigeant de la requérante étaient critiquables. Cette démission, justifiée par une situation de confusion d'intérêts, a été en effet, soumise successivement à des conditions nouvelles. Dans un premier temps, elle a été subordonnée à l'octroi à l'ARTM du marché de la gestion des programmes MED. Ensuite, elle a été soumise à la double condition que la requérante soit reconduite comme BAT du programme MED-Campus et que le dirigeant de la requérante puisse proposer pour son remplacement un candidat de son choix. Ce n'est qu'après que ces conditions ont été respectées que le dirigeant de la requérante a finalement démissionné en avril 1995. Or, entre la date à laquelle la Commission a souhaité cette démission, en mai 1993, et le moment où celle-ci est intervenue, en avril 1995, la requérante s'est vu attribuer deux contrats de BAT du programme MED-Campus, le premier en janvier 1994, portant sur l'année 1994, comportantune rémunération de 610 800 écus, et le second, le 18 janvier 1995, pour l'année 1995, comportant une rémunération de 720 000 écus.

143.
    Le moyen doit donc être rejeté.

- Sur le défaut de prise en considération par la défenderesse des résultats des travaux auxquels la requérante a contribué

144.
    La requérante reproche à la défenderesse d'avoir totalement omis de mentionner dans le RS 1/96 les résultats obtenus par les programmes MED au cours de la phase expérimentale. Or, elle estime que ceux-ci étaient très positifs. Elle fonde ce constat sur les résultats d'un sondage effectué à la demande de la Commission auprès des participants aux réseaux, mentionné par la résolution du Parlement du 17 juillet 1997 sur le RS 1/96. Elle ajoute que les conclusions d'auditeurs indépendants, appelés à évaluer les activités exercées au cours de la phase expérimentale, auraient même insisté sur la nécessité de renforcer ses fonctions en tant que BAT.

145.
    Le Tribunal relève que la Cour des comptes est, en vertu de l'article 188 C, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 248, paragraphe 2, CE), compétente pour examiner la légalité et la régularité des recettes et des dépenses et pour s'assurer de la bonne gestion financière de la Communauté. Sa compétence est donc, en principe, circonscrite au domaine de la gestion financière. Sans qu'il soit besoin de répondre à la question de savoir si cette compétence pourrait aussi s'étendre à l'appréciation de choix politiques fondamentaux, il y a lieu de constater que celle-ci couvre toutefois manifestement, sous le point de vue de la bonne gestion financière, le contrôle des moyens de la mise en oeuvre de ces choix.

146.
    En l'espèce, la défenderesse a révélé de graves dysfonctionnements dans la gestion financière des programmes MED, se manifestant notamment par une confusion d'intérêts affectant la requérante. Or, la confusion d'intérêts en matière de marchés publics constitue en soi une atteinte à la saine gestion des deniers communautaires et à l'égalité de tous devant les marchés publics sans qu'il soit en plus nécessaire qu'elle ait causé un préjudice matériel quantifiable. L'appréciation de la qualité du travail accompli par la requérante et des résultats qu'il a permis d'obtenir ne constitue donc pas un critère susceptible de mettre en cause la pertinence des constatations effectuées par la défenderesse.

147.
    Le moyen doit donc être rejeté.

148.
    Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

149.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante est condamnée aux dépens.

Jaeger
Lenaerts
Azizi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juin 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Jaeger


1: Langue de procédure: l'italien.