Language of document : ECLI:EU:T:2023:663

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

18 octobre 2023 (*)

 « Clause compromissoire – Accord de prêt relatif à un projet de renforcement du système de distribution électrique dans un pays tiers – Inexécution du contrat – Remboursement des sommes avancées – Intérêts de retard – Procédure par défaut »

Dans l’affaire T‑469/22,

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par MM. T. Gilliams, R. Stuart et F. Oxangoiti Briones, en qualité d’agents, assistés de Mes D. Arts et E. Paredis, avocats,

partie requérante,

contre

République arabe syrienne,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de M. L. Truchot, président, Mme R. Frendo (rapporteure) et M. M. Sampol Pucurull, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 272 TFUE, la Banque européenne d’investissement (BEI) demande la condamnation de la République arabe syrienne à verser à l’Union européenne, qu’elle représente, la somme de 28 777 508,71 euros, assortie d’intérêts, en application de l’accord de prêt no 20948 relatif à un projet de renforcement du système de distribution électrique en Syrie (ci-après l’« accord de prêt »).

 Antécédents du litige

2        Faisant suite à l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République arabe syrienne du 18 janvier 1977 (JO 1978, L 269, p. 2) et à ses protocoles, la BEI a conclu, le 5 février 2001, l’accord de prêt avec la République arabe syrienne, modifié par lettres des 3 octobre 2003, 28 février 2006, 9 mai et 8 octobre 2007.

3        En vertu de l’article 1er, paragraphes 1, 2 et 4, de l’accord de prêt, la BEI a accordé à la République arabe syrienne un prêt de 115 000 000 euros à décaisser sur demande. Le montant total décaissé au titre de l’accord de prêt, entre le 29 mars 2005 et le 25 août 2009, s’est élevé à 100 600 000 euros.

4        Selon l’article 4, paragraphe 1, de l’accord de prêt, la République arabe syrienne devait rembourser le prêt selon 30 échéances semi-annuelles, à compter du 1er août 2006, avec des intérêts :

–        sur l’encours de chaque tranche assortie d’un taux d’intérêt fixe, à un taux déterminé à la date de l’avis de décaissement, sur la base du taux d’intérêt standard applicable aux prêts comparables octroyés par la BEI, libellés en euro et assortis des mêmes conditions, et sur l’encours de chaque tranche assortie d’un taux d’intérêt variable, à un taux variable qui sera déterminé par la BEI (article 3, paragraphe 1) (ci-après les « intérêts contractuels ») ;

–        sur tous les montants échus au taux interbancaire pertinent majoré de 2 % ou au taux payable en vertu de l’article 3, paragraphe 1, dudit accord, majoré de 0,25 %, le taux le plus élevé étant retenu pour toute période pertinente (article 3, paragraphe 2) (ci-après les « intérêts de retard »).

5        Par ailleurs, conformément aux contrats de cautionnement conclus le 10 novembre 1978 (ci-après le « contrat de cautionnement du 10 novembre 1978 ») et le 25 avril 1995 (ci-après, pris ensemble, les « contrats de cautionnement »), entre la BEI et la Communauté économique européenne concernant les prêts à octroyer par la BEI dans les pays du bassin méditerranéen, l’Union assume la garantie des prêts accordés par la BEI dans le cadre des engagements financiers de l’Union envers certains pays tiers, y compris la République arabe syrienne, et se trouve subrogée dans les droits de la BEI immédiatement après avoir réalisé chaque paiement en faveur de celle-ci sur la base du cautionnement (article 6, paragraphe 1, du contrat de cautionnement du 10 novembre 1978).

6        En vertu de l’accord de recouvrement conclu entre l’Union et la BEI, signé à Bruxelles le 3 octobre 2018, régissant les modalités et les procédures de recouvrement des paiements effectués par l’Union au titre des garanties qu’elle avait accordées à la BEI pour couvrir les pertes résultant d’opérations de financement en faveur de projets d’investissement réalisés en dehors de l’Union, tel que modifié le 10 août 2021, chaque fois que l’Union réalise un paiement en vertu de l’accord de cautionnement et est subrogée dans les droits et recours de la BEI dans le cadre et en vertu, notamment, d’un accord de prêt, la BEI engagera sans délai des procédures de recouvrement pour le compte et au nom de l’Union (article 3, paragraphe 1).

7        Depuis le mois de décembre 2011, la République arabe syrienne a cessé d’honorer les échéances dues en application de l’accord de prêt.

8        Par arrêt du 6 juin 2019, BEI/Syrie (T‑540/17, non publié, EU:T:2019:392), la République arabe syrienne a été condamnée à rembourser à l’Union, représentée par la BEI, d’une part, la somme de 52 657 141,77 euros au titre des échéances de paiement non honorées par la République arabe syrienne entre le 15 décembre 2011 et le 15 juin 2017, ainsi que des intérêts contractuels et de retard pour la période du 15 décembre 2011 au 9 août 2017 et, d’autre part, les intérêts de retard calculés selon la méthode prévue à l’article 3, paragraphe 2, de l’accord de prêt, à compter du 9 août 2017 et jusqu’à la date du paiement.

9        Entre le 9 août 2017 et le 30 juin 2022, sept tranches visées par l’accord de prêt sont venues à échéance et, la République arabe syrienne n’ayant pas effectué les paiements dus, la BEI a, à chaque reprise, émis des rappels de paiement, comme suit :

Échéance

Montant principal

Intérêts contractuels

Rappel

15 décembre 2017

3 912 709,02 EUR

30 629,25 EUR

27 décembre 2017

15 juin 2018

3 912 709,02 EUR

26 349,50 EUR

25 juin 2018

17 décembre 2018

3 912 709,02 EUR

22 872,50 EUR

27 décembre 2018

17 juin 2019

3 912 709,02 EUR

18 950,56 EUR

27 juin 2019

16 décembre 2019

3 912 709,02 EUR

10 430,93 EUR

27 décembre 2019

15 juin 2020

3 912 709,02 EUR

4 285,92 EUR

25 juin 2020

15 décembre 2020

3 912 709,28 EUR

2 572,61 EUR

28 décembre 2020


10      Toutefois, la République arabe syrienne est restée en défaut de paiement.

11      Conformément aux contrats de cautionnement, par huit lettres envoyées à la Commission européenne entre le 19 décembre 2017 et le 16 mars 2021, la BEI a demandé l’activation dudit cautionnement concernant les montants principaux et les intérêts contractuels portant sur les tranches faisant l’objet des échéances indiquées au point 9 ci-dessus, majorés des intérêts de retard pour chaque tranche. La Commission a déféré à ces demandes en effectuant les paiements des montants en cause (ci-après les « montants déboursés par l’Union »).

 Procédure et conclusions de la BEI

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 juillet 2022, la BEI, agissant pour son propre compte et pour le compte de l’Union, a introduit le présent recours.

13      Par lettre du 1er août 2022, la requête adressée, conformément à l’article 10, paragraphe 3, de l’accord de prêt, à l’ambassadeur de la République arabe syrienne auprès de l’Union à Bruxelles (Belgique) a été dûment signifiée à la République arabe syrienne par envoi postal recommandé avec accusé de réception.

14      La République arabe syrienne n’ayant pas produit de mémoire en défense dans le délai prescrit à l’article 81 du règlement de procédure du Tribunal, la BEI a, par acte déposé le 26 novembre 2022, demandé au Tribunal de lui adjuger ses conclusions, conformément à l’article 123, paragraphe 1, dudit règlement.

15      La BEI conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que la République arabe syrienne a manqué à ses obligations contractuelles en vertu de l’accord de prêt en ce qui concerne le paiement des montants principaux, des intérêts contractuels et des intérêts de retard à réaliser sur chaque échéance due et impayée entre le 15 décembre 2017 et le 15 décembre 2020 et, par conséquent, condamner la République arabe syrienne à payer à l’Union, qu’elle représente, premièrement, la somme de 28 777 508,71 euros à titre de montants déboursés par l’Union et d’intérêts de retard pour la période du 9 août 2017 au 30 juin 2022 et, deuxièmement, les intérêts de retard supplémentaires au taux interbancaire pertinent majoré de 2 % ou au taux payable en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de l’accord de prêt, majoré de 0,25 %, le taux le plus élevé étant retenu pour toute période pertinente, à compter du 30 juin 2022 et jusqu’à la réalisation du paiement ;

–        condamner la République arabe syrienne aux dépens.

 En droit

16      En vertu de l’article 123, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque le Tribunal constate que la partie défenderesse, régulièrement mise en cause, n’a pas répondu à la requête dans le délai prescrit, la partie requérante peut demander au Tribunal de lui adjuger ses conclusions.

17      En l’espèce, il convient de constater que la requête, qui, conformément à l’article 10, paragraphe 3, de l’accord de prêt, devait être adressée à l’ambassadeur de la République arabe syrienne auprès de l’Union à Bruxelles, a été dûment signifiée à l’adresse de l’ambassade où sont situés les locaux de la mission de cet État.

18      Or, ainsi qu’il ressort du point 14 ci-dessus, bien que la requête de la BEI ait été régulièrement signifiée à la République arabe syrienne, cette dernière n’a pas produit de mémoire en défense dans le délai prescrit à l’article 81 du règlement de procédure. 

19      Dès lors que la requérante a demandé au Tribunal de lui adjuger ses conclusions, il convient de faire application de l’article 123, paragraphe 3, du règlement de procédure, aux termes duquel le Tribunal adjuge à la partie requérante ses conclusions, à moins qu’il ne soit manifestement incompétent pour connaître du recours ou que ce recours soit manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur la compétence du Tribunal

20      Conformément à l’article 272 TFUE, la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par l’Union ou pour son compte.

21      Il convient de relever que l'accord de prêt a été conclu, notamment, en application de l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République arabe syrienne du 18 janvier 1977 de sorte qu'il doit être considéré comme ayant été conclu pour le compte de l'Union.

22      Or, l’article 10, paragraphe 2, de l’accord de prêt, contient une clause compromissoire en vertu de laquelle tous les litiges concernant cet accord seront soumis à la Cour de justice de l’Union européenne.

23      Conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE, le Tribunal est compétent pour connaître en première instance des recours introduits sur la base d’une clause compromissoire, tels que visés à l’article 272 TFUE.

24      Au vu de ce qui précède, il convient de considérer que le Tribunal n’est pas manifestement incompétent pour connaître du présent recours.

 Sur la recevabilité du recours

25      S’agissant du premier chef de conclusions, il ressort du point 11 ci-dessus que, à la suite des manquements contractuels de la République arabe syrienne en vertu de l’accord de prêt, la BEI a récupéré les montants payés par l’Union au titre des contrats de cautionnement.

26      Il s’ensuit que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, du contrat de cautionnement du 10 novembre 1978, l’Union est subrogée dans les droits que la BEI détient sur l’emprunteur en vertu de l’accord de prêt concernant les sommes visées dans le premier chef de conclusions.

27      Il convient de constater que, d’une part, les effets de cette subrogation à l’égard de la République arabe syrienne ne sont pas réglés par l’accord de prêt, et que, d’autre part, le contrat de cautionnement du 10 novembre 1978 au titre duquel la subrogation a eu lieu ne contient aucune disposition concernant le choix de la loi applicable.

28      À cet égard, tout d’abord, il convient de rappeler que l’article 13, paragraphe 1, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1), dispose ce qui suit :

« Lorsqu’en vertu d’un contrat, une personne, le créancier, a des droits à l’égard d’une autre personne, le débiteur, et qu’un tiers a l’obligation de désintéresser le créancier ou encore que le tiers a désintéressé le créancier en exécution de cette obligation, la loi applicable à cette obligation du tiers détermine si celui-ci peut exercer en tout ou en partie les droits détenus par le créancier contre le débiteur selon la loi régissant leurs relations. »

29      En l’espèce, les contrats de cautionnement ayant été conclus par l’Union et la BEI, il convient de se référer aux dispositions nationales régissant la subrogation, telles qu’elles ressortent des codes civils, belge et luxembourgeois, des États dans lesquels les contrats de cautionnement ont été signés, respectivement, par la Commission, au nom de l’Union, et par la BEI.

30      Selon lesdits droits nationaux, qui n’exigent pas que le débiteur ait consenti à la subrogation, celle-ci est opposable aux tiers dès lors que celui qui exécute l’obligation de remboursement d’un prêt échu ayant un intérêt légitime dans l’exécution, est subrogé dans les droits du créancier. En conséquence de la subrogation, le droit contractuel de la BEI au remboursement des sommes dues dans le cadre de l’accord de prêt est transféré à l’Union, laquelle est donc en mesure d’adresser sa demande contractuelle à l’égard de la République arabe syrienne (arrêt du 6 juin 2019, BEI/Syrie, T‑540/17, non publié, EU:T:2019:392, point 23).

31      Ensuite, il convient de relever que, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, du contrat de cautionnement du 10 novembre 1978, après avoir subrogé l’Union dans ses droits et actions, la BEI, sur demande de celle-ci, convient des modalités de l’administration et du service du prêt.

32      À cet égard, il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de l’accord de recouvrement évoqué au point 6 ci-dessus que, chaque fois que l’Union réalise un paiement en vertu d’un accord de cautionnement et est subrogée dans les droits et les recours de la BEI dans le cadre et en vertu, notamment, d’un accord de prêt, la BEI engage sans délai des procédures de recouvrement pour le compte et au nom de l’Union. 

33      Dans ces circonstances, il convient de constater que le premier chef de conclusions, introduit par la BEI au nom de l’Union, n’est pas manifestement irrecevable.

34      En outre, le présent recours ne soulève pas d’autres difficultés de nature à considérer qu’il serait manifestement irrecevable.

35      Par conséquent, il y a lieu de conclure que le présent recours n’est pas manifestement irrecevable.

 Sur le bien-fondé du recours

36      En premier lieu, il ressort du dossier que sur la base de l’accord de prêt, la BEI a accordé à la République arabe syrienne un prêt remboursable selon les échéances mentionnées au point 9 ci-dessus.

37      En outre, il ressort des indications de la BEI que la République arabe syrienne n’a pas honoré ces échéances de remboursement, en violation de l’article 4, paragraphe 1, de l’accord de prêt.

38      Par conséquent, les conclusions tendant à la condamnation de la République arabe syrienne au remboursement de la somme de 27 388 963,40 euros, au titre du montant principal, empruntée par cette dernière et qui aurait dû être remboursée entre le 15 décembre 2017 et le 15 décembre 2020 inclus ne sont pas manifestement dépourvues de fondement en droit.

39      En second lieu, il ressort de l’article 3, paragraphe 2, de l’accord de prêt que des intérêts de retard sont dus sur tous les montants échus au taux interbancaire pertinent majoré de 2 %, ou au taux payable en vertu de l’article 3, paragraphe 1, dudit accord, majoré de 0,25 %, le taux le plus élevé étant retenu pour toute période pertinente.

40      Par conséquent ne sont pas non plus manifestement dépourvues de tout fondement en droit les conclusions tendant à la condamnation de la République arabe syrienne au paiement de la somme de 1 388 545,31 euros au titre des intérêts contractuels et de retard pour la période du 9 août 2017 au 30 juin 2022, d’une part, et des intérêts de retard dus sur la somme de 27 388 963,40 euros à compter du 30 juin 2022 et jusqu’à la date du paiement, d’autre part. Les intérêts de retard sont calculés selon la méthode prévue à l’article 3, paragraphe 2, de l’accord de prêt.

41      Partant, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la BEI tendant à lui adjuger ses conclusions et, ainsi, à condamner la République arabe syrienne par défaut, conformément à l’article 123 du règlement de procédure.

 Sur les dépens

42      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République arabe syrienne ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BEI.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      La République arabe syrienne est condamnée à rembourser à l’Union européenne, représentée par la Banque européenne d’investissement (BEI), la somme de 28 777 508,71 euros représentant les montants principaux et les intérêts contractuels et de retard dus au 30 juin 2022.

2)      La somme de 27 388 963,40 euros comprenant les montants principaux porte intérêts de retard, calculés selon la méthode prévue par l’article 3, paragraphe 2, de l’accord de prêt no 20948 relatif à un projet de renforcement du système de distribution électrique en Syrie, conclu entre la BEI et la République arabe syrienne le 5 février 2001 et modifié par lettres des 3 octobre 2003, 28 février 2006, 9 mai et 8 octobre 2007, à compter du 30 juin 2022 et jusqu’à la date du paiement.

3)      La République arabe syrienne est condamnée aux dépens.

Truchot

Frendo

Sampol Pucurull

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 octobre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.