Language of document : ECLI:EU:C:2014:2088

Affaires jointes C‑58/13 et C‑59/13

Angelo Alberto Torresi
et

Pierfrancesco Torresi

contre

Consiglio dell’Ordine degli Avvocati di Macerata

(demandes de décision préjudicielle,
introduites par le Consiglio Nazionale Forense)

«Renvoi préjudiciel – Libre circulation des personnes – Accès à la profession d’avocat – Possibilité de refuser l’inscription au tableau de l’ordre des avocats aux ressortissants d’un État membre ayant obtenu la qualification professionnelle d’avocat dans un autre État membre – Abus de droit»

Sommaire – Arrêt de la Cour (grande chambre) du 17 juillet 2014

1.        Questions préjudicielles – Saisine de la Cour – Juridiction nationale au sens de l’article 267 TFUE – Notion – Consiglio Nazionale Forense (Conseil national de l’ordre des avocats) – Inclusion

(Art. 267 TFUE)

2.        Questions préjudicielles – Saisine de la Cour – Question d’interprétation ayant déjà reçu une réponse dans une espèce analogue – Faculté de renvoi ouverte à toute juridiction nationale – Recevabilité d’une nouvelle demande

(Art. 267 TFUE)

3.        Droit de l’Union européenne – Exercice abusif d’un droit découlant d’une disposition de l’Union – Opérations constitutives d’une pratique abusive – Éléments à prendre en considération

4.        Libre circulation des personnes – Liberté d’établissement – Avocats – Exercice permanent de la profession dans un État membre autre que celui d’acquisition de la qualification – Directive 98/5 – Retour dans l’État membre d’origine peu de temps après l’acquisition de la qualification professionnelle dans un autre État membre – Pratique abusive – Absence

(Directive du Parlement européen et du Conseil 98/5, art. 1er, § 1, et 3)

5.        Libre circulation des personnes – Liberté d’établissement – Avocats – Exercice permanent de la profession dans un État membre autre que celui d’acquisition de la qualification – Directive 98/5 – Article 3 – Appréciation de validité au regard du respect de l’identité nationale des États membres – Validité

(Art. 4, § 2, TUE; directive du Parlement européen et du Conseil 98/5, art. 3)

1.        Pour apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une juridiction au sens de l’article 267 TFUE, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que l’origine légale de l’organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organe, des règles de droit, ainsi que son indépendance.

En ce qui concerne, plus précisément, l’indépendance de l’organisme de renvoi, cette exigence suppose que celui-ci soit protégé d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril l’indépendance de jugement de ses membres quant aux litiges qui leur sont soumis.

En outre, pour établir si un organisme national, auquel la loi confie des fonctions de nature différente, doit être qualifié de juridiction, au sens de l’article 267 TFUE, il est nécessaire de vérifier la nature spécifique des fonctions qu’il exerce dans le contexte normatif particulier dans lequel il est appelé à saisir la Cour. Les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel.

(cf. points 17-19)

2.        Dans le cadre d’une question préjudicielle, même en présence d’une jurisprudence de la Cour résolvant le point de droit en cause, les juridictions nationales conservent l’entière liberté de saisir la Cour si elles l’estiment opportun, sans que la circonstance que les dispositions dont l’interprétation est demandée ont déjà été interprétées par la Cour ait pour conséquence de faire obstacle à ce que la Cour statue de nouveau.

(cf. point 32)

3.        Voir le texte de la décision.

(cf. points 42-46)

4.        L’article 3 de la directive 98/5, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise, doit être interprété en ce sens que ne saurait constituer une pratique abusive le fait, pour le ressortissant d’un État membre, de se rendre dans un autre État membre afin d’y acquérir la qualification professionnelle d’avocat à la suite de la réussite d’épreuves universitaires et de revenir dans l’État membre dont il est le ressortissant pour y exercer la profession d’avocat sous le titre professionnel obtenu dans l’État membre où cette qualification professionnelle a été acquise.

En effet, l’objectif de la directive 98/5 est de faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui dans lequel a été acquise la qualification professionnelle.

À cet égard, le droit pour les ressortissants d’un État membre de choisir, d’une part, l’État membre dans lequel ils souhaitent acquérir leurs qualifications professionnelles et, d’autre part, celui où ils ont l’intention d’exercer leur profession est inhérent à l’exercice, dans un marché unique, des libertés fondamentales garanties par les traités.

Ainsi, le fait, pour un ressortissant d’un État membre qui a obtenu un diplôme universitaire dans ce même État, de se rendre dans un autre État membre, afin d’y acquérir la qualification professionnelle d’avocat, et de revenir par la suite dans l’État membre dont il est le ressortissant pour y exercer la profession d’avocat sous le titre professionnel obtenu dans l’État membre où cette qualification a été acquise constitue l’une des hypothèses dans lesquelles l’objectif de la directive 98/5 est atteint et ne saurait constituer, par lui-même, un usage abusif du droit d’établissement découlant de l’article 3 de la directive 98/5.

En outre, la circonstance que le ressortissant d’un État membre a choisi d’acquérir une qualification professionnelle dans un État membre autre que celui dans lequel il réside afin d’y bénéficier d’une législation plus favorable ne permet pas, à lui seul, de conclure à l’existence d’un abus de droit.

Par ailleurs, une telle constatation ne saurait être infirmée par le fait que la présentation de la demande d’inscription au tableau des avocats établis auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’accueil a eu lieu peu de temps après l’obtention du titre professionnel dans l’État membre d’origine. En effet, l’article 3 de la directive 98/5 ne prévoit nullement que l’inscription d’un avocat voulant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’accueil puisse être subordonnée à la condition qu’une période d’expérience pratique ait été accomplie en tant qu’avocat dans l’État membre d’origine.

(cf. points 47-52, disp. 1)

5.        L’article 3 de la directive 98/5, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui dans lequel a été acquise la qualification professionnelle, en ce qu’il permet aux ressortissants d’un État membre obtenant le titre professionnel d’avocat dans un autre État membre d’exercer la profession d’avocat dans l’État dont ils sont les ressortissants sous le titre professionnel obtenu dans l’État membre d’origine, n’est pas susceptible d’affecter les structures fondamentales politiques et constitutionnelles ni les fonctions essentielles de l’État membre d’accueil au sens de l’article 4, paragraphe 2, TUE.

En effet, l’article 3 de la directive 98/5 concerne uniquement le droit de s’établir dans un État membre pour y exercer la profession d’avocat sous le titre professionnel obtenu dans l’État membre d’origine. Cette disposition ne réglemente pas l’accès à la profession d’avocat ni l’exercice de cette profession sous le titre professionnel délivré dans l’État membre d’accueil. Il en résulte nécessairement qu’une demande d’inscription au tableau des avocats établis, présentée au titre de l’article 3 de la directive 98/5, n’est pas de nature à permettre d’éluder l’application de la législation de l’État membre d’accueil relative à l’accès à la profession d’avocat.

(cf. points 56-59, disp. 2)