Language of document : ECLI:EU:C:2019:212

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

14 mars 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Régimes de sécurité sociale – Prestations d’invalidité – Articles 45 et 48 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Règlement (CE) n° 883/2004 – Régimes d’indemnisation distincts selon les États membres – “Stage préalable d’incapacité de travail” – Durée – Octroi de l’indemnité d’incapacité de travail – Désavantages pour les travailleurs migrants »

Dans l’affaire C‑134/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’arbeidsrechtbank Antwerpen (tribunal du travail d’Anvers, Belgique), par décision du 8 février 2018, parvenue à la Cour le 19 février 2018, dans la procédure

Maria Vester

contre

Rijksinstituut voor ziekte- en invaliditeitsverzekering,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de chambre, M. J. Malenovský et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Mme Vester, par Me D. Volders, advocaat,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, L. Van den Broeck et C. Pochet, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et M. van Beek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 45 et 48 TFUE, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), ainsi que du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 (JO 2009, L 284, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Maria Vester au Rijksinstituut voor ziekte-en invaliditeitsverzekering (Institut national d’assurance maladie‑invalidité, ci-après l’« INAMI ») au sujet du refus, par ce dernier, d’accorder à Mme Vester le bénéfice d’une indemnité d’invalidité.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement n° 883/2004

3        Le titre Ier du règlement n° 883/2004, intitulé « Dispositions générales », comprend l’article 6 qui prévoit :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, l’institution compétente d’un État membre dont la législation subordonne :

–        l’acquisition, le maintien, la durée ou le recouvrement du droit aux prestations,

[...]

à l’accomplissement de périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique. »

4        Le titre II du règlement n° 883/2004, intitulé « Détermination de la législation applicable », comprend l’article 11, paragraphe 3, sous c), qui énonce :

« Sous réserve des articles 12 à16 :

[...]

c)      la personne qui bénéficie de prestations de chômage conformément aux dispositions de l’article 65, en vertu de la législation de l’État membre de résidence, est soumise à la législation de cet État membre ».

5        Le chapitre 5, intitulé « Pensions de vieillesse et de survivant », du titre III du règlement n° 883/2004 comprend les articles 50 à 60.

6        L’article 51 de ce règlement, intitulé « Dispositions particulières relatives à la totalisation des périodes », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Si la législation d’un État membre subordonne l’octroi de certaines prestations à la condition que les périodes d’assurance aient été accomplies uniquement dans une activité salariée ou non salariée spécifique ou dans une occupation soumise à un régime spécial applicable à des travailleurs salariés ou non salariés, l’institution compétente de cet État membre ne tient compte des périodes accomplies sous les législations d’autres États membres que si elles ont été accomplies sous un régime correspondant ou, à défaut, dans la même occupation ou, le cas échéant, dans la même activité salariée ou non salariée.

Si, après qu’il a été tenu compte des périodes ainsi accomplies, l’intéressé ne satisfait pas aux conditions requises pour bénéficier de ces prestations dans le cadre d’un régime spécial, ces périodes sont prises en compte pour servir des prestations du régime général ou, à défaut, du régime applicable, selon le cas, aux ouvriers ou aux employés, à condition que l’intéressé ait été affilié à l’un ou l’autre de ces régimes.

2.      Les périodes d’assurance accomplies dans le cadre d’un régime spécial d’un État membre sont prises en compte pour servir des prestations au titre du régime général ou, à défaut, du régime applicable, selon le cas, aux ouvriers ou aux employés d’un autre État membre, à la condition que l’intéressé ait été affilié à l’un ou l’autre de ces régimes, même si ces périodes ont déjà été prises en compte dans ce dernier État membre dans le cadre d’un régime spécial. »

7        L’article 52 dudit règlement, intitulé « Liquidation des prestations », dispose, à son paragraphe 1 :

« 1.      L’institution compétente calcule le montant de la prestation due :

a)      en vertu de la législation qu’elle applique, uniquement lorsque les conditions requises pour le droit aux prestations sont remplies en vertu du seul droit national (prestation indépendante) ;

b)      en calculant un montant théorique et ensuite un montant effectif (prestation au prorata), de la manière suivante :

i)      le montant théorique de la prestation est égal à la prestation à laquelle l’intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies sous les législations des autres États membres avaient été accomplies sous la législation qu’elle applique à la date de la liquidation de la prestation. Si, selon cette législation, le montant de la prestation est indépendant de la durée des périodes accomplies, ce montant est considéré comme le montant théorique ;

ii)      l’institution compétente établit ensuite le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique, au prorata de la durée des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu’elle applique, par rapport à la durée totale des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres concernés. »

8        L’article 57 du même règlement, intitulé « Périodes d’assurance ou de résidence inférieures à une année », énonce, à son paragraphe 1 :

« Nonobstant l’article 52, paragraphe 1, point b), l’institution d’un État membre n’est pas tenue de servir des prestations au titre de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique et qui sont à prendre en compte au moment de la réalisation du risque si :

–        la durée totale desdites périodes n’atteint pas une année,

et

–        compte tenu de ces seules périodes, aucun droit aux prestations n’est acquis en vertu de cette législation.

Aux fins du présent article, on entend par “périodes” toutes les périodes d’assurance, d’emploi salarié, d’activité non salariée ou de résidence qui donnent droit à la prestation concernée ou la majorent directement. »

9        L’article 65 du règlement n° 883/2004, intitulé « Chômeurs qui résidaient dans un État membre autre que l’État membre compétent », prévoit, à son paragraphe 2, première phrase, et à son paragraphe 5, sous a) :

« 2.      La personne en chômage complet qui, au cours de sa dernière activité salariée ou non salariée, résidait dans un État membre autre que l’État membre compétent et qui continue à résider dans le même État membre ou qui retourne dans cet État membre se met à la disposition des services de l’emploi de l’État membre de résidence. [...] 

[...]

5.      a)      Le chômeur visé au paragraphe 2, première et deuxième phrases, bénéficie des prestations selon les dispositions de la législation de l’État membre de résidence, comme s’il avait été soumis à cette législation au cours de sa dernière activité salariée ou non salariée. Ces prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence. »

 Le règlement n° 987/2009

10      Le règlement n° 987/2009, qui fixe les modalités d’application du règlement n° 883/2004, prévoit, au chapitre IV de son titre III, les règles relatives aux prestations d’invalidité et aux pensions de vieillesse et de survivant.

11      L’article 45 du règlement n° 987/2009, intitulé « Demande de prestations », prévoit notamment :

« A.      Introduction de la demande de prestations au titre d’une législation de type A en vertu de l’article 44, paragraphe 2, du règlement [n° 883/2004]

[...]

B.      Introduction des autres demandes de prestations

4.      Dans les situations autres que celles visées au paragraphe 1, le demandeur adresse une demande soit à l’institution de son lieu de résidence, soit à l’institution du dernier État membre dont la législation est applicable. [...]

[...] »

12      L’article 47 du règlement n° 987/2009, intitulé « Examen des demandes par les institutions concernées », énonce notamment :

« A.      Institution de contact

1.      L’institution à laquelle la demande de prestations est adressée ou retransmise conformément à l’article 45, paragraphes 1 ou 4, du règlement [n° 987/2009 ] est dénommée ci-après “institution de contact” » [...]

Il incombe à cette institution d’instruire la demande de prestations au titre de la législation qu’elle applique ; en outre, en sa qualité d’institution de contact, elle favorise les échanges de données et de décisions et les opérations nécessaires pour l’instruction de la demande par les institutions concernées, donne toute information utile au requérant sur les aspects communautaires de l’instruction et le tient informé de son déroulement.

B.      Introduction de la demande de prestations au titre d’une législation de type A en vertu de l’article 44 du règlement [n° 883/2004]

[...]

C.      Instruction des autres demandes de prestations

4.      Dans les situations autres que celle visée au paragraphe 2, l’institution de contact transmet sans délai les demandes de prestations ainsi que tous les documents dont elle dispose et, le cas échéant, les documents pertinents fournis par le demandeur à toutes les institutions concernées afin qu’elles puissent toutes commencer simultanément à instruire la demande. Elle communique aux autres institutions les périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous la législation qu’elle applique. Elle mentionne également les documents qui seront communiqués à une date ultérieure et complète la demande dans les meilleurs délais.

5.      Chacune des institutions concernées communique à l’institution de contact et aux autres institutions concernées, dans les meilleurs délais, les périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous la législation qu’elle applique.

6.      Chacune des institutions concernées procède au calcul du montant des prestations conformément à l’article 52 du règlement [n° 883/2004] et communique à l’institution de contact et aux autres institutions concernées sa décision, le montant des prestations dues, ainsi que toute information requise aux fins des articles 53 à 55 du règlement [n° 883/2004].

[...] »

 Le droit belge

13      Aux termes de l’article 32 de la gecoördineerde wet betreffende de verplichte verzekering voor geneeskundige verzorging en uitkeringen (loi coordonnée relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités), du 14 juillet 1994 (ci‑après la « loi ZIV »), les travailleurs en chômage contrôlé sont bénéficiaires du droit aux prestations de santé telles qu’elles sont définies au chapitre III du titre III de cette loi et dans les conditions prévues par celle-ci.

14      L’article 86, paragraphe 1, sous c), de la loi ZIV prévoit que les travailleurs en chômage contrôlé sont également bénéficiaires, en qualité de titulaires, du droit aux indemnités d’incapacité de travail telles qu’elles sont définies au chapitre III du titre IV de cette loi et dans les conditions prévues par celle-ci.

15      L’article 87 de la loi ZIV énonce que le titulaire visé à l’article 86, paragraphe 1, de cette loi, qui est en état d’incapacité de travail, reçoit pour chaque jour ouvrable de la période d’un an prenant cours à la date de début de son incapacité de travail ou pour chaque jour de cette même période assimilé à un jour ouvrable une indemnité dite « d’incapacité primaire ».

16      Aux termes de l’article 93 de la loi ZIV, lorsque l’incapacité de travail se prolonge au-delà de la période d’incapacité primaire, il est payé pour chaque jour ouvrable de l’incapacité de travail ou pour chaque jour y assimilé une indemnité dite « d’invalidité ».

17      En ce qui concerne les incapacités de travail qui ont débuté avant le 1er mai 2017, l’article 128, paragraphe 1, de la loi ZIV prévoit que, pour obtenir le droit aux prestations prévues au titre IV de cette loi, les titulaires visés à l’article 86, paragraphe 1, de ladite loi doivent avoir totalisé, au cours d’une période de six mois précédant la date d’obtention du droit, 120 jours de travail, et ce conformément à l’article 203 du Koninklijk besluit tot uitvoering van de wet betreffende de verplichte verzekering voor geneeskundige verzorging en uitkeringen (arrêté royal portant exécution de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités), du 3 juillet 1996 (Moniteur belge du 31 juillet 1996, p. 20285), dans sa version applicable aux incapacités de travail ayant débuté avant le 1er mai 2017.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

18      Après avoir travaillé aux Pays-Bas du 10 novembre 1997 au 31 mars 2015, Mme Vester, ressortissante néerlandaise résidant en Belgique, a perçu, à compter du 2 avril 2015, une allocation de chômage de la part de l’institution belge compétente.

19      Le 7 avril 2015, Mme Vester s’est déclarée en incapacité de travail auprès de l’institution belge compétente. Alors même qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions prévues par la législation belge, l’institution belge compétente lui a octroyé, à compter de cette date et jusqu’au 6 avril 2016, une indemnité d’incapacité de travail sur le fondement du principe de totalisation des périodes d’assurance prévu à l’article 6 du règlement n° 883/2004.

20      Le 7 avril 2016, Mme Vester a acquis le statut d’invalide en Belgique.

21      Par lettre du 17 mai 2016, Mme Vester a présenté, auprès de l’Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen (institut de gestion des assurances pour les travailleurs salariés, Pays-Bas) (ci-après l’« UWV »), une demande visant à l’octroi d’une indemnité d’invalidité aux Pays-Bas.

22      Dans sa réponse en date du 19 mai 2016, l’UWV a informé Mme Vester que, conformément à la législation néerlandaise, l’acquisition du statut d’invalide et l’octroi de l’indemnité y afférente n’était possible qu’après l’accomplissement d’un « stage préalable d’incapacité de travail » de 104 semaines et que, dans la mesure où elle n’avait accompli que 52 semaines de « stage préalable d’incapacité de travail » en Belgique, il ne pouvait lui octroyer une telle indemnité, laquelle ne pourrait lui être versée qu’à compter du 4 avril 2017.

23      Par décision du 18 août 2016, l’INAMI a rappelé à Mme Vester que, dans la mesure où elle n’avait comptabilisé que quatre jours d’assurance en Belgique à la date à laquelle elle s’est déclarée en incapacité de travail, laquelle a été suivie de sa mise en invalidité, elle ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d’une indemnité d’invalidité en Belgique et lui a, partant, refusé, sur le fondement de l’article 57 du règlement n° 883/2004, l’octroi de cette indemnité. Mme Vester a introduit un recours contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

24      Le même jour, l’INAMI a, en application de l’article 47 du règlement n° 987/2009, présenté une demande de prestation à l’UWV, qui a été rejetée pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 22 du présent arrêt.

25      À partir du 4 avril 2017, date à laquelle Mme Vester a accompli le « stage préalable d’incapacité de travail » de 104 semaines requis par la législation néerlandaise, au cours duquel elle n’a pas perçu l’indemnité d’incapacité de travail qui est, en principe, accordée aux travailleurs effectuant un tel stage, le statut d’invalide lui a été reconnu aux Pays‑Bas et l’indemnité d’invalidité lui a été octroyée par l’institution néerlandaise compétente.

26      La juridiction de renvoi relève que, en raison de la divergence existant entre les législations belge et néerlandaise en ce qui concerne la durée du « stage préalable d’incapacité de travail » conditionnant l’acquisition du statut d’invalide en Belgique et aux Pays-Bas, Mme Vester n’a perçu aucune indemnité entre le 7 avril 2016, date de la fin du « stage préalable d’incapacité de travail » prévu par le droit belge et le 3 avril 2017, date de la fin du « stage préalable d’incapacité de travail » prévu par le droit néerlandais. Cette juridiction émet des doutes sur la compatibilité d’une telle situation avec les articles 45 et 48 TFUE.

27      Dans ces conditions, l’arbeidsrechtbank Antwerpen (tribunal du travail d’Anvers, Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Existe-t-il une violation des articles 45 et 48 [TFUE] dans une situation où l’État membre compétent en dernier lieu lors du début de l’incapacité de travail refuse le droit aux prestations d’invalidité sur la base de l’article 57 du [règlement n° 883/2004], après un délai de 52 semaines d’incapacité de travail au cours desquelles des prestations de maladie sont accordées, et où l’autre État membre, qui n’est pas l’État membre compétent en dernier lieu, applique aux fins de l’examen du droit à une prestation d’invalidité proratisée, un délai d’attente de 104 semaines conformément à sa législation nationale ?

2)      Dans ce cas, est-il conforme au droit à la libre circulation que l’intéressé dépende de l’aide sociale pendant ce délai d’attente, ou bien les articles 45 et 48 [TFUE] obligent-ils l’État membre qui n’est pas l’État membre compétent en dernier lieu à examiner le droit aux prestations d’invalidité à l’issue du délai d’attente prévu par la législation de l’État compétent en dernier lieu, alors même que sa loi nationale ne le permet pas ? »

 Sur les questions préjudicielles

28      Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les articles 45 et 48 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle un travailleur, ayant, après une période d’incapacité de travail d’un an, été reconnu comme invalide par l’institution compétente de l’État membre de sa résidence sans pouvoir bénéficier pour autant d’une indemnité d’invalidité sur le fondement de la législation de cet État membre, se voit imposer, par l’institution compétente de l’État membre dans lequel il a accompli l’intégralité de ses périodes d’assurance, une période d’incapacité de travail supplémentaire d’un an pour que lui soit reconnu le statut d’invalide et lui soit accordé le bénéfice de prestations d’invalidité proratisées, sans toutefois percevoir une indemnité d’incapacité de travail durant ladite période.

29      Afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il importe de rappeler, à titre liminaire, que le règlement n° 883/2004 dont l’objet consiste à assurer une coordination entre les régimes nationaux distincts laisse subsister ces derniers et n’organise pas un régime commun de sécurité sociale. Ainsi, selon une jurisprudence constante, les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale (voir, par analogie, arrêts du 21 février 2013, Salgado González, C‑282/11, EU:C:2013:86, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 décembre 2017, Zaniewicz-Dybeck, C‑189/16, EU:C:2017:946, point 38).

30      Dès lors, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union européenne, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer, notamment, les conditions qui donnent droit à des prestations (arrêts du 21 février 2013, Salgado González, C‑282/11, EU:C:2013:86, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 décembre 2017, Zaniewicz-Dybeck, C‑189/16, EU:C:2017:946, point 39).

31      Dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent néanmoins respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres (arrêts du 21 février 2013, Salgado González, C‑282/11, EU:C:2013:86, point 37 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 décembre 2017, Zaniewicz-Dybeck, C‑189/16, EU:C:2017:946, point 40).

32      À cet égard, il convient de souligner que le traité FUE ne garantit pas à un travailleur que l’extension de ses activités dans plus d’un État membre ou leur transfert dans un autre État membre soient neutres en matière de sécurité sociale. Compte tenu des disparités des législations de sécurité sociale des États membres, une telle extension ou un tel transfert peuvent, selon les cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour le travailleur sur le plan de la protection sociale. Il en découle que, même dans le cas où son application est ainsi moins favorable, une telle législation demeure conforme aux articles 45 et 48 TFUE si elle ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l’État membre où elle s’applique ou par rapport à ceux qui y étaient déjà précédemment assujettis et si elle ne conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2009, Leyman, C‑3/08, EU:C:2009:595, point 45 et jurisprudence citée).

33      Ainsi, la Cour a itérativement jugé que le but de l’article 45 TFUE ne serait pas atteint si, par suite de l’exercice de leur droit à la libre circulation, les travailleurs migrants devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d’un État membre. Une telle conséquence pourrait en effet dissuader le travailleur de l’Union d’exercer son droit à la libre circulation et constituerait, dès lors, une entrave à cette liberté (arrêt du 1er octobre 2009, Leyman, C‑3/08, EU:C:2009:595, point 41 et jurisprudence citée).

34      En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que les systèmes belges et néerlandais de l’assurance invalidité subordonnent la reconnaissance du statut d’invalide à l’accomplissement, par le travailleur concerné, d’un « stage préalable d’incapacité de travail » durant lequel ce dernier perçoit une indemnité d’incapacité de travail. Ce n’est qu’à l’expiration de ce stage que le travailleur concerné acquiert le statut d’invalide et perçoit une indemnité d’invalidité. Cependant, les législations belge et néerlandaise divergent en ce qui concerne la durée dudit stage, puisqu’elles prévoient que le même stage dure, respectivement, une année et deux années.

35      Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, Mme Vester, qui, à la date du 7 avril 2015, percevait une allocation de chômage en vertu de la législation belge et relevait de cette législation conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement n° 883/2004, a accompli en Belgique un « stage préalable d’incapacité de travail » d’une durée d’un an, comme le prévoit cette législation, et a perçu, durant cette période, une indemnité d’incapacité de travail non pas sur la base des périodes d’assurance accomplies en Belgique, celles-ci étant insuffisantes, mais sur la base des périodes d’assurance accomplies aux Pays-Bas, conformément au principe de totalisation des périodes d’assurance prévu à l’article 6 du règlement n° 883/2004.

36      À l’issue de ce stage, l’institution belge compétente a reconnu à Mme Vester le statut d’invalide, mais a refusé de lui octroyer une indemnité d’invalidité.

37      À cet égard, il importe de rappeler que, en application de l’article 57, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, l’institution compétente d’un État membre peut refuser l’octroi de prestations au titre de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique si la durée totale desdites périodes n’atteint pas une année et si, compte tenu de ces seules périodes, aucun droit aux prestations n’est acquis en vertu de cette législation.

38      En l’occurrence, il n’est pas contesté que Mme Vester n’a pas suffisamment cotisé en Belgique et pouvait uniquement percevoir une indemnité d’invalidité sur la base des périodes d’assurance accomplies aux Pays‑Bas.

39      Toutefois, lorsque les autorités belges ont, en application de l’article 47 du règlement n° 987/2009, transmis à l’institution néerlandaise compétente une demande de prestation d’invalidité, celle-ci a refusé de reconnaître à Mme Vester le statut d’invalide et de lui octroyer l’indemnité y afférente au motif que cette dernière n’avait pas accompli une période d’incapacité de travail de deux années, comme le prévoit la législation néerlandaise.

40      Par conséquent, cette institution a imposé à Mme Vester l’accomplissement d’une seconde année de « stage préalable d’incapacité de travail » prévue par la législation néerlandaise sans toutefois lui octroyer l’indemnité y afférente.

41      Or, si la législation néerlandaise en cause au principal n’opère, a priori, pas de distinction entre les travailleurs migrants et les travailleurs sédentaires, en ce qu’elle prévoit, de manière générale, le passage au statut d’invalide à l’issue d’une période d’incapacité de travail de deux ans, elle conduit, en pratique, à désavantager, durant la seconde année d’incapacité de travail, les travailleurs migrants se trouvant dans une situation telle que celle de Mme Vester, par rapport aux travailleurs sédentaires et conduit les premiers à perdre un avantage de sécurité sociale que cette législation était supposée leur assurer.

42      En effet, il résulte de la décision de renvoi que les travailleurs qui, contrairement à Mme Vester, ne font pas usage de leur droit à la libre circulation et accomplissent l’intégralité de leur période d’incapacité de travail sous la législation néerlandaise perçoivent, durant les deux années que dure cette période, une indemnité d’incapacité de travail de la part de l’institution néerlandaise compétente.

43      Or, il est constant que, durant la seconde année d’incapacité de travail qu’elle a accomplie sous la législation néerlandaise, Mme Vester n’a pas perçu cette indemnité.

44      Dans ces conditions, force est de constater que l’application de la législation néerlandaise en cause au principal au travailleur migrant se trouvant dans une situation telle que celle de Mme Vester produit des effets incompatibles avec le but de l’article 45 TFUE, liés au fait que le droit aux prestations d’invalidité de Mme Vester a été consécutivement régi par des législations divergentes.

45      La Cour a déjà jugé que, face à une telle divergence de législations, le principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE oblige les autorités nationales compétentes à mettre en œuvre tous les moyens dont elles disposent pour réaliser le but de l’article 45 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2009, Leyman, C‑3/08, EU:C:2009:595, point 49 et jurisprudence citée).

46      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, selon la jurisprudence constante de la Cour, lorsque le droit national, en violation du droit de l’Union, prévoit un traitement différencié entre plusieurs groupes de personnes, les membres du groupe défavorisé doivent être traités de la même façon et se voir appliquer le même régime que les autres intéressés. Le régime applicable aux membres du groupe favorisé reste, à défaut de l’application correcte du droit de l’Union, le seul système de référence valable (arrêts du 13 juillet 2016, Pöpperl, C‑187/15, EU:C:2016:550, point 46 et jurisprudence citée, ainsi que du 28 juin 2018, Crespo Rey, C‑2/17, EU:C:2018:511, point 73).

47      Ainsi qu’il résulte de la décision de renvoi et qu’il a déjà été relevé au point 42 du présent arrêt, les travailleurs sédentaires qui n’ont pas fait usage de leur droit à la libre circulation et qui accomplissent l’intégralité de leur période d’incapacité de travail sous la législation néerlandaise perçoivent une indemnité d’incapacité de travail pendant toute cette durée. C’est donc ce cadre juridique qui constitue le système de référence valable, au sens de la jurisprudence citée au point précédent.

48      Il appartient, certes, aux autorités nationales compétentes des États membres concernés de déterminer quels sont, en droit interne, les moyens les plus appropriés pour atteindre l’égalité de traitement entre les travailleurs migrants et les travailleurs sédentaires. Cependant, il convient de souligner que cet objectif pourrait, a priori, être atteint en octroyant également aux travailleurs migrants se trouvant dans une situation telle que celle en cause au principal, une indemnité d’incapacité de travail durant la seconde année d’incapacité de travail que leur impose la législation néerlandaise.

49      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 45 et 48 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle un travailleur, ayant été en incapacité de travail pendant un an et qui a été reconnu comme invalide par l’institution compétente de l’État membre de sa résidence sans pouvoir bénéficier pour autant d’une indemnité d’invalidité sur le fondement de la législation de cet État membre, se voit imposer, par l’institution compétente de l’État membre dans lequel il a accompli l’intégralité de ses périodes d’assurance, une période d’incapacité de travail supplémentaire d’un an pour que lui soit reconnu le statut d’invalide et lui soit accordé le bénéfice de prestations d’invalidité proratisées, sans toutefois percevoir une indemnité d’incapacité de travail durant ladite période.

 Sur les dépens

50      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

Les articles 45 et 48 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle un travailleur, ayant été en incapacité de travail pendant un an et qui a été reconnu comme invalide par l’institution compétente de l’État membre de sa résidence sans pouvoir bénéficier pour autant d’une indemnité d’invalidité sur le fondement de la législation de cet État membre, se voit imposer, par l’institution compétente de l’État membre dans lequel il a accompli l’intégralité de ses périodes d’assurance, une période d’incapacité de travail supplémentaire d’un an pour que lui soit reconnu le statut d’invalide et lui soit accordé le bénéfice de prestations d’invalidité proratisées, sans toutefois percevoir une indemnité d’incapacité de travail durant ladite période.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.