Language of document : ECLI:EU:T:2021:667


ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

6 octobre 2021 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Recrutement – Concours interne COM/1/AD 10/18 – Décision de ne pas inscrire le nom de la requérante sur la liste de réserve du concours – Obligation de motivation – Secret des travaux du jury – Large pouvoir d’appréciation du jury – Absence de communication des notes intermédiaires et de la pondération des éléments composant l’épreuve orale »

Dans l’affaire T‑668/20,

NZ, représentée par Me H. Tagaras, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes D. Milanowska et I. Melo Sampaio, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du jury du 29 avril 2020, prise au terme d’un réexamen, de ne pas inscrire le nom de la requérante sur la liste de réserve du concours interne COM/1/AD 10/18,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen (rapporteur), président, R. Barents et Mme T. Pynnä, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 juin 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 20 novembre 2018, la Commission européenne a, au titre de l’article 29, paragraphe 1, sous d), du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), publié un avis de concours interne sur titres et épreuves ayant pour objet la constitution d’une liste de réserve pour le recrutement d’administrateurs dans les grades AD 10 (COM/1/AD 10/18) et AD 12 (COM/2/AD 12/18) dans cinq domaines (ci-après l’« avis de concours »).

2        L’avis de concours indiquait, sous le titre III intitulé « Comment serai-je sélectionné ? », que les candidats ayant obtenu l’une des meilleures notes à la sélection sur titres et remplissant les conditions particulières d’admission, seraient invités à participer à une épreuve orale à Bruxelles (Belgique).

3        L’avis de concours précisait aussi, au point 4 dudit titre III, que l’épreuve orale consisterait en une présentation, portant sur un sujet lié au domaine du concours choisi par le candidat, suivie d’un entretien avec un jury visant à apprécier les trois critères suivants :

–        la personnalité du candidat et sa motivation ;

–        les compétences acquises lors de son parcours professionnel et les principales missions exercées ;

–        ses capacités à exercer les fonctions auxquelles le concours donne accès.

4        Il était également indiqué que les deux parties de l’épreuve orale donneraient lieu à une seule note globale de 0 à 20 points, le minimum requis étant de 10 points.

5        Enfin, au même titre III, point 5, l’avis de concours indiquait que le jury devait inscrire sur la liste de réserve les noms des candidats ayant obtenu les meilleures notes à l’épreuve orale ainsi que le minimum requis pour cette épreuve dans la limite du nombre de lauréats souhaités par concours et par domaine.

6        La requérante, NZ, s’est portée candidate au concours interne COM/1/AD 10/18 (AD 10) dans le domaine « Coordination, communication, gestion des ressources humaines et budgétaires, audit », pour lequel l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») souhaitait la constitution d’une liste de réserve de seize lauréats.

7        Par lettre du 10 octobre 2019, la requérante a été informée qu’elle avait obtenu l’une des meilleures notes lors de la sélection sur titres et qu’elle remplissait les conditions prévues pour être invitée à participer à l’épreuve orale. Cette épreuve s’est déroulée le 28 novembre suivant.

8        Par courriel du 20 janvier 2020, la requérante a été invitée à fournir au jury des pièces justificatives de l’expérience professionnelle renseignée dans son acte de candidature. La requérante a déféré à cette demande par courriel du 24 janvier suivant.

9        Par lettre du 6 février 2020, la requérante a été informée de la décision du jury de ne pas inscrire son nom sur la liste de réserve au motif qu’elle avait obtenu la note globale de 15,5/20 à l’épreuve orale, laquelle était inférieure au seuil de 16/20 qui devait être atteint pour figurer parmi les seize meilleurs candidats (ci-après la « décision du 6 février 2020 »). Cette lettre contenait également des informations supplémentaires concernant l’appréciation du jury sur la prestation de la requérante lors de l’épreuve orale.

10      D’une part, la prestation globale de la requérante lors de l’épreuve orale avait été qualifiée par le jury de « forte à très forte » (ci‑après l’« appréciation qualitative globale »). D’autre part, au titre de l’évaluation de trois composantes de l’épreuve orale, à savoir, premièrement, « l’adéquation entre l’expérience passée et les compétences requises », deuxièmement, « la démonstration des compétences en gestion des ressources et la motivation à accomplir les tâches requises » et, troisièmement, « la capacité à faire un exposé sur un sujet lié au domaine du concours », la prestation de la requérante était qualifiée de « très forte » (ci-après les « appréciations qualitatives partielles »).

11      Par lettre du 14 février 2020, la requérante a demandé le réexamen de la décision du 6 février 2020. Elle indiquait notamment ne pas comprendre comment le jury avait pu lui attribuer la note globale de 15,5/20, correspondant à une appréciation qualitative globale « forte à très forte » alors que, pour les trois composantes de l’épreuve orale, sa performance était qualifiée de « très forte ».

12      Par décision du 29 avril 2020, le jury a rejeté la demande de réexamen (ci-après la « décision du 29 avril 2020 »). Il était notamment précisé que, avant le début de l’épreuve orale, les membres du jury étaient convenus du contenu de l’épreuve orale, des questions qui seraient posées, des critères d’évaluation, de la procédure de notation ainsi que de la pondération qui serait appliquée pour chaque élément énoncé dans l’avis de concours.

13      Le 2 mai 2020, la requérante a, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, introduit une réclamation contre la décision du 29 avril 2020, laquelle a été rejetée par décision de l’AIPN du 3 septembre 2020 (ci‑après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 novembre 2020, la requérante a introduit le présent recours.

15      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a demandé à bénéficier de l’anonymat au titre de l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, ce qui lui a été accordé.

16      Le 2 février 2021, le Tribunal a décidé qu’un second échange de mémoires n’était pas nécessaire, en application de l’article 83, paragraphe 1, du règlement de procédure.

17      Le 10 février 2021, la requérante a présenté une demande de mesures d’organisation de la procédure au titre de l’article 88, paragraphe 1, du règlement de procédure. La Commission a fait valoir ses observations sur cette demande le 26 février suivant.

18      La phase écrite de la procédure a été close le 22 mars 2021.

19      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a invité la Commission à déposer certains documents. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

20      Les parties ont été entendues lors de l’audience de plaidoiries du 29 juin 2021. Au cours de l’audience, la Commission a été invitée à déposer, dans un délai de deux semaines, des informations concernant la pratique suivie dans le cadre du concours interne litigieux s’agissant des réunions qui auraient eu lieu entre les membres du jury à la fin de chaque jour et à la fin de chaque semaine des épreuves orales ainsi que lors de la délibération finale de la liste de réserve.

21      La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti. À la suite de la réception, le 25 juillet 2021, des observations écrites de la requérante sur ces informations, le Tribunal a clos la phase orale de la procédure.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions des 6 février et 29 avril 2020 ainsi que la décision de rejet de la réclamation,

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours,

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du litige

24      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsqu’un candidat à un concours sollicite le réexamen d’une décision prise par un jury, c’est la décision prise par ce dernier après réexamen de la situation du candidat qui constitue l’acte lui faisant grief au sens de l’article 90, paragraphe 2, ou, le cas échéant, de l’article 91, paragraphe 1, du statut. La décision prise après réexamen se substitue, ce faisant, à la décision initiale du jury (voir arrêt du 5 septembre 2018, Villeneuve/Commission, T‑671/16, EU:T:2018:519, point 24 et jurisprudence citée).

25      Il y a donc lieu de considérer, en l’espèce, que l’acte faisant grief à la requérante est la décision du 29 avril 2020 (ci-après la « décision attaquée »).

26      Quant aux conclusions formellement dirigées contre la décision de rejet de la réclamation, il y a lieu de rappeler que le recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le Tribunal de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (arrêt du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8), sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation a une portée différente de celle de l’acte contre lequel la réclamation a été formée (voir arrêt du 21 mai 2014, Mocová/Commission, T‑347/12 P, EU:T:2014:268, point 34 et jurisprudence citée).

27      En l’espèce, en ce qu’elle rejette la réclamation et confirme la décision du jury de ne pas inscrire le nom de la requérante sur la liste de réserve au motif que la note obtenue est inférieure au seuil requis, la décision de rejet de la réclamation n’a pas un contenu autonome de la décision attaquée. En pareille hypothèse, la légalité de la décision attaquée doit donc être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec ledit acte (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2021, BK/EASO, T‑277/19, non publié, EU:T:2021:161, point 43 et jurisprudence citée).

 Sur le fond

28      La requérante invoque cinq moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une violation du principe d’égalité de traitement, le troisième, d’une violation des règles qui président au fonctionnement du jury, le quatrième, d’une erreur manifeste d’appréciation et, enfin, le cinquième, d’une violation de l’article 27 du statut.

29      Dans le cadre du premier moyen, la requérante fait valoir que la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée.

30      Elle soutient, à cet égard, que la motivation de la décision attaquée ne lui permettrait pas de comprendre la manière dont les trois appréciations qualitatives partielles « très forte », obtenues pour les trois composantes de l’épreuve orale, ont permis au jury du concours interne litigieux de qualifier sa performance globale lors de ladite épreuve comme étant seulement « forte à très forte » et de traduire cette dernière par la note chiffrée de 15,5/20.

31      La requérante ajoute que, pour satisfaire à son obligation de motivation, le jury aurait dû lui communiquer les trois notes intermédiaires, sur 10 points, obtenues pour chacune des composantes de l’épreuve orale, ainsi que la pondération décidée par le jury avant le début desdites épreuves. En l’absence de telles informations, qui ne seraient pas couvertes par le secret des travaux du jury, la requérante ne serait pas en mesure de vérifier le bien-fondé du calcul ayant conduit le jury à lui attribuer la note globale de 15,5/20.

32      La Commission conteste cette argumentation. Elle soutient, à cet égard, que la communication de la note obtenue à l’épreuve orale constitue une motivation suffisante de la décision attaquée et que les notes intermédiaires ainsi que la pondération sont couvertes par le secret inhérent aux travaux du jury, énoncé à l’article 6 de l’annexe III du statut.

33      Il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation d’une décision faisant grief a pour but de permettre au juge de l’Union européenne d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est entachée d’un vice permettant d’en contester la légalité (arrêt du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, EU:C:1981:284, point 22).

34      La motivation d’une décision d’une institution, d’un organe ou organisme de l’Union constitue ainsi l’une des conditions de l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 103 et jurisprudence citée).

35      En ce qui concerne les décisions prises par un jury de concours, cette obligation de motivation doit néanmoins être conciliée avec le respect du secret qui entoure les travaux du jury en vertu de l’article 6 de l’annexe III du statut. Ainsi que la Cour a déjà eu l’occasion de l’indiquer, ce secret a été institué en vue de garantir l’indépendance des jurys de concours et l’objectivité de leurs travaux, en les mettant à l’abri de toutes ingérences et pressions extérieures, qu’elles proviennent de l’administration de l’Union elle-même, des candidats intéressés ou de tiers. Le respect de ce secret s’oppose dès lors tant à la divulgation des attitudes prises par les membres individuels des jurys qu’à la révélation de tous éléments ayant trait à des appréciations de caractère personnel ou comparatif concernant les candidats (arrêt du 4 juillet 1996, Parlement/Innamorati, C‑254/95 P, EU:C:1996:276, point 24).

36      L’exigence de motivation des décisions d’un jury de concours doit, dans ces conditions, tenir compte de la nature des travaux en cause, lesquels, au stade de l’examen des aptitudes des candidats, sont avant tout de nature comparative et, de ce fait, couverts par le secret inhérent à ces travaux (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 1996, Parlement/Innamorati, C‑254/95 P, EU:C:1996:276, points 25 à 28).

37      Dans ce cadre, la Cour a jugé que, compte tenu du secret entourant les travaux du jury, la communication des notes obtenues aux différentes épreuves constituait une motivation suffisante des décisions du jury et qu’une telle motivation ne lésait pas les droits des candidats, dès lors qu’elle leur permettait de connaître le jugement de valeur qui avait été porté sur leurs prestations et de vérifier, le cas échéant, qu’ils n’avaient effectivement pas obtenu le nombre de points requis par l’avis de concours (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 1996, Parlement/Innamorati, C‑254/95 P, EU:C:1996:276, points 31 et 32).

38      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier si, nonobstant l’indication de la note globale obtenue à l’épreuve orale et du seuil requis pour figurer sur la liste de réserve, la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation, ainsi que le soutient la requérante.

39      Il y a lieu de rappeler d’emblée, comme cela a été exposé au point 10 ci‑dessus, que la prestation globale de la requérante lors de l’épreuve orale a été qualifiée de « forte à très forte » et que, pour chacune des trois composantes de cette épreuve, sa prestation a été qualifiée de « très forte ».

40      Force est de constater qu’une telle information n’est pas dénuée de toute ambigüité et qu’elle est, en tant que telle, susceptible d’affecter la capacité de son destinataire à en apprécier le bien-fondé.

41      En effet, sans autres précisions, il peut sembler difficilement compréhensible que l’appréciation qualitative globale reflétant une note de 15,5/20 soit seulement qualifiée de « forte à très forte », alors que la requérante a obtenu l’appréciation qualitative partielle « très forte » pour chacune des trois composantes de l’épreuve orale.

42      À cet égard, en réponse aux interrogations formulées par la requérante dans la demande de réexamen au sujet du rapport entre ces deux types d’appréciations qualitatives et la note globale, le jury a notamment indiqué dans la décision attaquée qu’il avait, préalablement à l’épreuve orale, convenu du poids accordé à chaque élément de ladite épreuve, sans toutefois fournir davantage de précisions concernant le lien entre cette pondération, la note globale et les appréciations qualitatives globale et partielles.

43      Ensuite, dans la décision de rejet de la réclamation, dont il convient de tenir compte en application de la jurisprudence citée au point 27 ci‑dessus, l’AIPN a notamment révélé la méthode suivie par le jury pour établir la note globale et les appréciations qualitatives globale et partielles, dans les termes suivants :

« Chaque question est effectivement dotée d’un certain poids, lequel implique des décimales, qui génèrent des qualificatifs. Pour ce faire, les décimales doivent être arrondies. Prise isolément, chaque question peut générer un qualificatif “très fort” mais si, pour chaque question, le candidat obtient le score brut le plus bas possible, ce score résumé en score final peut ne pas permettre d’atteindre le même niveau (“très fort”) au total.

Au vu de l’échelle de conversion du jury, définissant la note de 7/10 comme correspondant à une performance “forte” et la note de 8/10 à une performance “très forte”, il est exact que la note globale obtenue par la requérante, soit 15,5/20, aurait pu être décrite comme correspondant à une performance “très forte”. Cependant, le jury a employé l’expression “[forte à très forte]” pour donner une information supplémentaire à la réclamante, à savoir que sa performance se situait entre 14/20 et 16/20, et par conséquent au-dessous du seuil de sélection. Une telle information est exacte et ne révèle en aucun cas une erreur de la part du jury dans l’attribution des notes.

Il convient par ailleurs de préciser que les qualificatifs ont une simple vocation explicative, et ne sauraient prévaloir sur le caractère essentiel de la notation. »

44      Il résulte de ce qui précède que, outre la pondération, le jury aurait établi des notes intermédiaires et adopté une échelle de conversion de ces notes en deux types d’appréciations qualitatives.

45      Il convient néanmoins de préciser d’emblée qu’il ressort des annexes au mémoire en défense que le jury a, en réalité, adopté deux grilles distinctes, l’une pour la conversion des notes intermédiaires en appréciations qualitatives partielles, l’autre pour la conversion de la note globale en une appréciation qualitative globale, de laquelle il ressort que l’appréciation qualitative globale « forte à très forte » correspond à une note globale comprise entre 14,75 et 15,74.

46      Si ces différents éléments précisent dans une certaine mesure la méthode suivie par le jury pour établir la note globale et les appréciations qualitatives, ceux-ci demeurent néanmoins insuffisants.

47      En premier lieu, il ressort en effet de la décision de rejet de la réclamation que les appréciations qualitatives partielles correspondent à des notes chiffrées sur 10 points qui ne sont pas prévues par l’avis de concours. Si l’AIPN a indiqué que l’appréciation qualitative partielle « très forte » correspondait à une note intermédiaire arrondie à 8/10, la requérante ignore toujours les notes intermédiaires « brutes », c’est-à-dire non arrondies, qui lui ont été attribuées afin d’établir la note globale déterminant la réussite du concours. La Commission n’a pas non plus révélé ces notes intermédiaires au cours de la procédure juridictionnelle et elle a d’ailleurs fait valoir à cet égard que cela n’était pas nécessaire à la motivation de la décision attaquée, car, selon elle, la note qui devait être communiquée était uniquement celle de l’épreuve orale, et non celle de chacun des éléments qui la composaient.

48      Sur ce point, il est certes exact que l’avis de concours ne prévoyait pas l’attribution de notes distinctes pour les différentes composantes de l’épreuve orale. Toutefois, il a déjà été jugé que l’obligation de motivation impliquait la communication sur demande d’un candidat de telles notes intermédiaires. En effet, la communication de ces éléments n’implique ni la divulgation des attitudes prises par les membres individuels du jury, ni la révélation d’éléments ayant trait à des appréciations de caractère personnel ou comparatif concernant les candidats. Elle n’est donc pas incompatible avec le respect du secret des travaux du jury (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2004, Pascall/Conseil, T‑277/02, EU:T:2004:117, point 28).

49      En outre, contrairement à ce que soutient la Commission, la communication des notes intermédiaires brutes répond à la double finalité de l’obligation de motivation.

50      D’une part, cela permet, en effet, au candidat de vérifier que la somme des points qu’il a obtenus à l’épreuve orale n’atteignait pas le seuil exigé pour que son nom puisse être inscrit sur la liste de réserve et, d’autre part, cela permet au Tribunal de contrôler la régularité de cette liste dans une mesure conciliable avec le large pouvoir d’appréciation reconnu à tout jury pour ses appréciations de valeur (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 1991, Valverde Mordt/Cour de justice, T‑156/89, EU:T:1991:33, points 130 à 132).

51      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation en raison de l’absence de communication des notes intermédiaires brutes sur 10 points attribuées à la requérante au titre de l’évaluation des différentes composantes de l’épreuve orale.

52      En second lieu, s’agissant de la méthode de pondération suivie par le jury, il y a lieu de faire remarquer que l’AIPN a, dans la décision de rejet de la réclamation, indiqué que les questions posées aux candidats avaient fait l’objet d’une pondération, tandis que la Commission a, dans le mémoire en défense, évoqué une pondération seulement liée aux trois critères énoncés dans l’avis de concours, tels que reproduits au point 3 ci‑dessus.

53      En dépit de l’imprécision de ces déclarations, la Commission a néanmoins confirmé que la note globale de 15,5/20 ne correspondait pas à la moyenne arithmétique des notes intermédiaires, mais résultait d’une moyenne pondérée de celles-ci, sans toutefois révéler le contenu de ladite pondération, c’est-à-dire les coefficients de pondération appliqués aux évaluations portées par le jury sur les prestations des candidats au regard des trois composantes de l’épreuve orale.

54      Eu égard à l’ambigüité de la motivation de la décision du jury, il y a lieu de considérer que la communication de la pondération en cause contribuerait de manière substantielle à la compréhension que la requérante peut avoir de la manière dont sa prestation, après avoir été qualifiée de « très forte » dans ces trois composantes, a été convertie en une note globale sur 20 points, seulement qualifiée de « forte à très forte ».

55      Il convient donc d’examiner si, ainsi que le fait valoir la Commission, la pondération en cause des trois composantes de l’épreuve orale est couverte par le secret des travaux du jury prévu à l’article 6 de l’annexe III du statut.

56      Sur ce point, tout d’abord, la Commission a, lors de l’audience, indiqué que le fait de révéler la pondération à la requérante risquerait de lui permettre « d’estimer de façon assez précise » les notes intermédiaires brutes qui lui ont été attribuées.

57      À cet égard, il suffit de rappeler qu’il ressort des points 47 à 51 ci‑dessus que le jury était tenu de communiquer lesdites notes à la requérante en application de son obligation de motivation, de sorte que cette argumentation ne peut qu’être écartée.

58      Ensuite, au cours de l’audience, la Commission a également indiqué que c’était la marge d’appréciation dont disposait le jury qui, selon elle, justifiait que la méthode de pondération soit couverte par le secret des travaux du jury et non le fait que l’adoption de cette méthode comporterait une appréciation de la nature comparative des mérites des candidats.

59      Or, la circonstance qu’une institution de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation, comme c’est le cas en matière de concours, ne dispense pas celle-ci du respect de certaines garanties procédurales, parmi lesquelles figure l’obligation de motiver ses décisions de façon suffisante (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, point 69, et du 8 septembre 2009, ETF/Landgren, T‑404/06 P, EU:T:2009:313, point 163 et jurisprudence citée).

60      En outre, il ne ressort pas de l’arrêt du 4 juillet 1996, Parlement/Innamorati (C‑254/95 P, EU:C:1996:276), que la seule circonstance que le jury dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de ses travaux suffise pour conclure que tout élément ayant trait à la méthode suivie pour établir la note globale déterminant la réussite du concours est couvert par le secret des travaux du jury.

61      Ainsi que cela a été rappelé au point 35 ci-dessus, la Cour a jugé que ce secret excluait la divulgation des attitudes prises par les membres individuels du jury ainsi que la révélation des éléments ayant trait à des appréciations de caractère personnel ou comparatif concernant les candidats.

62      Or, la décision du jury de pondérer les composantes d’une épreuve doit être distinguée des appréciations qu’il porte sur les aptitudes des candidats (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2016, GY/Commission, F‑123/15, EU:F:2016:160, point 51).

63      En effet, s’agissant de l’appréciation portée par le jury sur les aptitudes des candidats lors de l’épreuve, il est admis que, eu égard à son large pouvoir d’appréciation, le jury ne saurait être tenu, en motivant l’échec d’un candidat à une épreuve, de préciser les réponses du candidat qui ont été jugées insuffisantes ou d’expliquer pourquoi ces réponses ont été jugées insuffisantes (voir arrêt du 19 février 2004, Konstantopoulou/Cour de justice, T‑19/03, EU:T:2004:49, point 34 et jurisprudence citée).

64      De plus, un tel degré de motivation n’est pas nécessaire pour permettre au juge d’exercer son contrôle juridictionnel et, par conséquent, pour permettre au candidat d’apprécier l’opportunité de l’introduction d’une réclamation ou, le cas échéant, d’un recours (arrêt du 14 juillet 1995, Pimley-Smith/Commission, T‑291/94, EU:T:1995:142, point 64). Cela est la conséquence du fait que les appréciations d’un jury de concours sur les connaissances et aptitudes des candidats constituent l’expression d’un jugement de valeur et s’insèrent dans son large pouvoir d’appréciation. Ce jugement de valeur ne saurait être soumis au contrôle du juge de l’Union qu’en cas de violation évidente des règles qui président aux travaux d’un jury, d’erreur manifeste, de détournement de pouvoir, ou encore si les limites de son pouvoir d’appréciation ont été manifestement dépassées (voir, en ce sens, ordonnance du 24 septembre 2008, Van Neyghem/Commission, T‑105/08 P, EU:T:2008:402, point 47 et jurisprudence citée). Dans ce cadre, il n’appartient pas au Tribunal de substituer sa propre appréciation à celle du jury de concours.

65      En revanche, si le jury dispose certes d’un large pouvoir d’appréciation pour conduire ses travaux et qu’il lui est donc loisible, lorsque l’avis de concours ne fait pas état de la pondération des critères de notation, de déterminer cette dernière (voir arrêt du 8 juillet 2010, Wybranowski/Commission, F‑17/08, EU:F:2010:83, point 32 et jurisprudence citée), il reste qu’une telle pondération ne constitue pas une appréciation personnelle ou comparative des mérites respectifs des candidats. L’adoption de cette pondération ne comporte, en effet, aucun jugement de valeur de la part du jury sur les connaissances et aptitudes des candidats. Au contraire, le poids de chaque composante de l’épreuve orale est déterminé de façon objective, préalablement à celle-ci, en fonction de l’importance que le jury lui attribue au regard des exigences liées aux emplois à pourvoir (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2012, Mata Blanco/Commission, F‑65/10, EU:F:2012:178, point 56).

66      Partant, la pondération des composantes d’une épreuve et des critères d’évaluation énoncés dans l’avis de concours fait partie des éléments que le Tribunal est susceptible de contrôler afin de vérifier si le jury a usé de son pouvoir d’appréciation sur la base de critères objectifs et si cet exercice n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si les limites du pouvoir d’appréciation n’ont pas été manifestement dépassées. L’effectivité d’un tel contrôle juridictionnel suppose dès lors que le jury informe le candidat évincé, en application de l’obligation de motivation qui lui incombe, de la pondération des différentes composantes de l’épreuve en cause.

67      En l’espèce, si le Tribunal ne saurait substituer son appréciation à celle du jury, il doit néanmoins être en mesure de contrôler que celui-ci a évalué la prestation de la requérante à l’épreuve orale sur la base des différentes composantes de l’épreuve orale et des critères énoncés dans l’avis de concours et qu’il n’a pas outrepassé les limites de son pouvoir d’appréciation en adoptant une méthode de pondération sans commune mesure avec les exigences des emplois à pourvoir.

68      Loin de porter atteinte à l’indépendance du jury ou à l’objectivité de ses travaux, un tel contrôle permet à l’AIPN saisie d’une réclamation et, le cas échéant, au Tribunal de vérifier la régularité de la liste de réserve dans une mesure conciliable avec le large pouvoir d’appréciation du jury, en s’assurant de l’inscription sur cette liste des candidats qui correspondent au profil recherché et présentent les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d'intégrité, conformément à l’article 27, premier alinéa, du statut.

69      Au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que les notes intermédiaires et la pondération de celles-ci ne sont pas couvertes par le secret inhérent aux travaux du jury énoncé à l’article 6 de l’annexe III du statut.

70      Partant, il y a lieu d’accueillir le premier moyen et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens.

 Sur les dépens

71      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du 29 avril 2020, par laquelle le jury du concours interne COM/1/AD 10/18 a refusé, après réexamen, d’inscrire le nom de NZ sur la liste de réserve pour le recrutement d’administrateurs de grade AD 10, dans le domaine « Coordination, communication, gestion des ressources humaines et budgétaires, audit », est annulée.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Svenningsen

Barents

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.