Language of document : ECLI:EU:T:2006:270

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

27 septembre 2006 (*)

« Concurrence – Ententes – Acide citrique – Article 81 CE – Amende – Article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 – Imputabilité du comportement à une filiale – Principe de légalité des peines – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Principe de proportionnalité – Principe ne bis in idem – Droit d’accès au dossier »

Dans l’affaire T‑43/02,

Jungbunzlauer AG, établie à Bâle (Suisse), représentée par Mes R. Bechtold, U. Soltész et M. Karl, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. P. Oliver, en qualité d’agent, assisté de Me H. Freund, avocat,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme E. Karlsson et M. S. Marquardt, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision 2002/742/CE, du 5 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/E-1/36.604 – Acide citrique) (JO 2002, L 239, p. 18), et, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l’amende infligée par cette décision à la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, M. Jaeger et F. Dehousse, juges,

greffier : Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 mai 2004,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Jungbunzlauer AG (ci-après « Jungbunzlauer » ou la « requérante »), a été créée en 1993 comme filiale détenue à 100 % par Jungbunzlauer Holding AG, holding de tête détenue par la holding Montana AG (ci-après aussi le « groupe Jungbunzlauer »). Aux États-Unis, le groupe est présent par l’intermédiaire de Jungbunzlauer International AG, une filiale du groupe Jungbunzlauer. Le siège social du groupe se trouve dans les locaux de Jungbunzlauer à Bâle (Suisse). Avant 1993, le groupe était dirigé par Jungbunzlauer GmbH dont le siège social se trouvait à Vienne (Autriche).

2        Le groupe Jungbunzlauer produit et commercialise des ingrédients utilisés dans le secteur des produits alimentaires et des boissons, des produits pharmaceutiques et des cosmétiques, ainsi que pour différentes autres applications industrielles. Il est, notamment, l’un des premiers producteurs mondiaux d’acide citrique.

3        L’acide citrique est l’agent acidifiant et conservateur le plus utilisé dans le monde. Il en existe différents types, servant à des applications diverses, notamment dans les produits alimentaires et les boissons, dans les détergents et les nettoyants ménagers, dans les produits pharmaceutiques et cosmétiques ainsi que dans différents processus industriels.

4        En 1995, les ventes totales d’acide citrique au niveau mondial étaient d’environ 894,72 millions d’euros et celles réalisées dans l’Espace économique européen (EEE) d’environ 323,69 millions d’euros. En 1996, environ 60 % du marché mondial d’acide citrique étaient entre les mains des cinq destinataires de la décision faisant l’objet du présent recours, à savoir, outre Jungbunzlauer, F. Hoffmann-La Roche AG (ci-après « HLR »), Archer Daniels Midland Co. (ci-après « ADM »), Haarmann & Reimer Corporation (ci-après « H & R »), société appartenant au groupe Bayer AG (ci-après « Bayer »), et Cerestar Bioproducts BV (ci-après « Cerestar »), conjointement dénommées les « parties concernées ».

5        En août 1995, le ministère de la Justice américain a informé la Commission de ce qu’une enquête était en cours concernant le marché de l’acide citrique. Entre le mois d’octobre 1996 et le mois de juin 1998, les parties concernées, y compris Jungbunzlauer International AG, ont reconnu avoir participé à une entente. À la suite d’accords conclus avec le ministère de la Justice américain, ces entreprises se sont vu imposer des amendes par les autorités américaines. En outre, certaines personnes inculpées se sont vu infliger des amendes à titre personnel. Par ailleurs, des enquêtes ont également été menées au Canada où des amendes ont été imposées à certaines de ces mêmes entreprises, dont Jungbunzlauer International AG.

6        Le 6 août 1997, la Commission a adressé, en vertu de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), des demandes de renseignements aux quatre principaux producteurs d’acide citrique de la Communauté, dont Jungbunzlauer GmbH. En outre, en janvier 1998, la Commission a adressé des demandes de renseignements aux principaux acheteurs d’acide citrique dans la Communauté et, en juin et en juillet 1998, elle a à nouveau adressé des demandes de renseignements aux principaux producteurs d’acide citrique de la Communauté.

7        Faisant suite à la demande de renseignements qui lui avait été adressée en juillet 1998, Cerestar a pris contact avec la Commission et a déclaré, au cours d’une réunion qui s’est tenue le 29 octobre 1998, qu’elle avait l’intention de coopérer avec la Commission sur la base de la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »). À cette même occasion, Cerestar a fourni oralement une description des activités résultant de l’entente auxquelles elle avait participé. Le 25 mars 1999, elle a envoyé à la Commission une déclaration écrite confirmant ce qu’elle avait dit lors de cette réunion.

8        Par lettre du 28 juillet 1998, la Commission a adressé à Jungbunzlauer GmbH une nouvelle demande de renseignements à laquelle celle-ci a répondu par lettre du 28 septembre 1998.

9        Au cours d’une réunion qui s’est tenue le 11 décembre 1998, ADM a déclaré vouloir coopérer avec la Commission et a exposé oralement les activités anticoncurrentielles auxquelles elle avait participé. Par lettre du 15 janvier 1999, ADM a confirmé ses déclarations orales.

10      Le 3 mars 1999, la Commission a adressé des demandes de renseignements complémentaires à HLR, à Jungbunzlauer et à Cerestar.

11      Respectivement les 28 avril, 21 mai et 28 juillet 1999, Bayer, au nom de H & R, la requérante et HLR ont fourni des déclarations en vertu de la communication sur la coopération.

12      Le 28 mars 2000, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante et aux autres parties concernées pour violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, EEE. La requérante et toutes les autres parties concernées ont transmis des observations écrites en réponse aux griefs retenus par la Commission. Aucune de ces parties n’a demandé la tenue d’une audition ni contesté substantiellement la matérialité des faits exposés dans la communication des griefs.

13      Dans une lettre adressée à la Commission le 11 avril 2001, Jungbunzlauer GmbH a fait certaines remarques quant à la procédure en cours.

14      Le 27 juillet 2001, la Commission a adressé des demandes de renseignements complémentaires à la requérante et aux autres parties concernées. En son nom et au nom de Jungbunzlauer GmbH, la requérante a répondu par lettre du 3 août 2001.

15      Le 5 décembre 2001, la Commission a adopté la décision 2002/742/CE relative à une procédure au titre de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (COMP/E-1/36.604 – Acide citrique) (ci-après la « Décision »). La Décision a été notifiée à la requérante le 18 décembre 2001.

16      La Décision comprend notamment les dispositions suivantes :

« Article premier

[ADM], [Cerestar], [H & R], [HLR] et [la requérante] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, du traité et l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE en participant à un accord et/ou une pratique concertée continus dans le secteur de l’acide citrique.

L’infraction a duré :

–        dans le cas de [ADM], de [H & R], de [HLR] et de [la requérante] : de mars 1991 à mai 1995 ;

–      dans le cas de [Cerestar] : de mai 1992 à mai 1995.

[…]

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises visées à l’article 1er en raison de l’infraction constatée audit article :

a)      [ADM] : une amende de 39,69 millions d’euros,

b)      [Cerestar] : une amende de 170 000 euros,

c)      [HLR] : une amende de 63,5 millions d’euros,

d)      [H & R] : une amende de 14,22 millions d’euros,

e)      [La requérante] : une amende de 17,64 millions d’euros »

17      Aux considérants 80 à 84 de la Décision, la Commission a indiqué que l’entente portait sur l’attribution de quotas de vente précis à chaque membre et le respect de ces quotas, la fixation de prix cibles et/ou plancher, la suppression des remises et l’échange d’informations spécifiques sur les clients.

18      Aux considérants 185 à 188 de la Décision, la Commission a considéré que, concernant le groupe Jungbunzlauer, l’infraction devait être imputée à Jungbunzlauer.

19      Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application, dans la Décision, de la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »), ainsi que de la communication sur la coopération.

20      En premier lieu, la Commission a déterminé le montant de base de l’amende en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction.

21      Dans ce contexte, en ce qui concerne la gravité de l’infraction, la Commission a, tout d’abord, considéré que les parties concernées avaient commis une infraction très grave, eu égard à sa nature, à son impact concret sur le marché de l’acide citrique dans l’EEE et à l’étendue du marché géographique concerné (considérant 230 de la Décision).

22      Ensuite, la Commission a estimé qu’il fallait tenir compte de la capacité économique réelle à porter un préjudice à la concurrence et fixer l’amende à un niveau qui garantisse un effet dissuasif suffisant. Par conséquent, en se fondant sur le chiffre d’affaires mondial réalisé par les parties concernées par la vente de l’acide citrique au cours de l’année 1995, dernière année de la période infractionnelle, la Commission a réparti celles-ci en trois catégories, à savoir, dans une première catégorie, H & R avec une part du marché mondial de 22 %, dans une deuxième catégorie, ADM et Jungbunzlauer avec des parts de marché de [confidentiel](1) % ainsi que HLR avec une part de marché de 9 % et, dans une troisième catégorie, Cerestar avec une part du marché mondial de 2,5 %. Sur cette base, la Commission a fixé des montants de départ de 35 millions d’euros, pour l’entreprise appartenant à la première catégorie, de 21 millions d’euros, pour celles appartenant à la deuxième catégorie, et de 3,5 millions d’euros pour celle classée dans la troisième catégorie (considérant 239 de la Décision).

23      En outre, afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif, la Commission a procédé à un ajustement de ce montant de départ. Par conséquent, en tenant compte de la taille et des ressources globales des parties concernées, exprimées par le montant total des chiffres d’affaires mondiaux de celles-ci, la Commission a appliqué un coefficient multiplicateur de 2 aux montants de départ déterminés pour ADM et pour HLR et de 2,5 au montant de départ déterminé pour H & R (considérants 50 et 246 de la Décision).

24      En ce qui concerne la durée de l’infraction commise par chaque entreprise, le montant de départ ainsi déterminé a été majoré de 10 % par an, soit une majoration de 40 % pour ADM, pour H & R, pour HLR et pour Jungbunzlauer ainsi que de 30 % pour Cerestar (considérants 249 à 250 de la Décision).

25      C’est ainsi que la Commission a fixé le montant de base des amendes à 29,4 millions d’euros en ce qui concerne Jungbunzlauer. S’agissant d’ADM, de Cerestar, de HLR et de H & R, les montants de base ont été fixés, respectivement, à 58,8, à 4,55, à 58,8 et à 122,5 millions d’euros (considérant 254 de la Décision).

26      En deuxième lieu, au titre des circonstances aggravantes, les montants de base des amendes infligées à ADM et à HLR ont été majorés de 35 % au motif que ces entreprises avaient joué un rôle de meneur dans le cadre de l’entente (considérant 273 de la Décision).

27      En troisième lieu, la Commission a examiné et rejeté les arguments de certaines entreprises quant au bénéfice de circonstances atténuantes (considérants 274 à 291 de la Décision).

28      En quatrième lieu, en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission a adapté les montants ainsi calculés pour Cerestar et pour H & R afin qu’ils n’excèdent pas la limite de 10 % du chiffre d’affaires total des parties concernées (considérant 293 de la Décision).

29      En cinquième lieu, en application du titre B de la communication sur la coopération, la Commission a consenti à Cerestar une « réduction très importante » (à savoir de 90 %) du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération. En application du titre D de cette communication, la Commission a consenti une « réduction significative » (à savoir de 50 %) du montant de l’amende à ADM, (de 40 %) à Jungbunzlauer, (de 30 %) à H & R et (de 20 %) à HLR (considérant 326).

 Procédure et conclusions des parties

30      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 février 2002, Jungbunzlauer a introduit le présent recours.

31      Par ordonnance du 18 juin 2002, le président du Tribunal a admis le Conseil à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission.

32      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a posé par écrit des questions aux parties, auxquelles celles-ci ont répondu dans les délais impartis.

33      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 24 mai 2004.

34      Jungbunzlauer conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision ;

–        subsidiairement, réduire le montant de son amende ;

–        condamner la Commission aux dépens.

35      La Commission et le Conseil, partie intervenante, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner Jungbunzlauer aux dépens.

 En droit

36      La requérante soulève, premièrement, une exception d’illégalité en soutenant que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 viole le principe de légalité en ce sens que cette disposition ne prédétermine pas de façon suffisante la pratique décisionnelle de la Commission (ci-après le « principe de légalité »). Ensuite, la requérante fait valoir que la Décision est entachée d’erreurs en ce qui concerne le destinataire de la Décision, l’appréciation de la gravité de l’infraction, la reconnaissance de circonstances atténuantes, l’absence de prise en compte des amendes infligées dans d’autres États, le respect de la limite des amendes prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, et le droit d’accès au dossier. Enfin, la requérante prétend que la durée de la procédure administrative devrait avoir des répercussions sur le montant de l’amende.

I –  Sur la violation du principe de légalité

A –  Sur l’exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

1.     Arguments des parties

37      Jungbunzlauer soulève une exception d’illégalité, au sens de l’article 241 CE, et fait valoir que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, disposition portant habilitation de la Commission à infliger des amendes en cas d’infraction au droit communautaire de la concurrence, viole le principe de légalité, corollaire du principe de sécurité juridique qui constitue un principe général du droit communautaire, en ce sens que cette disposition ne prédétermine pas de façon suffisante la pratique décisionnelle de la Commission.

38      Tout d’abord, Jungbunzlauer fait valoir que le principe de légalité a été consacré par l’article 7, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), qui prévoit ce qui suit :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».

39      Jungbunzlauer invoque l’article 6, paragraphe 2, UE, aux termes duquel « [l]’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH], et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».

40      En outre, Jungbunzlauer souligne que, selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal, toute disposition communautaire prévoyant des sanctions, d’un caractère pénal ou non (arrêts de la Cour du 25 septembre 1984, Könecke, 117/83, Rec. p. 3291, point 11, et du 18 novembre 1987, Maizena, 137/85, Rec. p. 4587, point 15), doit respecter le principe de légalité, en tant que corollaire du principe de sécurité juridique (arrêts de la Cour du 12 novembre 1969, Stauder, 29/69, Rec. p. 419, point 7, du 13 février 1996, Van Es Douane Agenten, C‑143/93, Rec. p. I‑431, point 27, et du 12 décembre 1996, Procédures pénales contre X, C‑74/95 et C‑129/95, Rec. p. I‑6609, point 25 ; arrêt du Tribunal du 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑112/98, Rec. p. II‑729, points 59 et suivants).

41      Enfin, Jungbunzlauer relève que le principe de légalité est également ancré aux articles 41 et 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1, ci-après la « charte des droits fondamentaux ») et fait partie intégrante de la tradition constitutionnelle commune des États membres.

42      Jungbunzlauer fait valoir que, en vertu du principe de légalité, corollaire du principe de sécurité juridique, la législation communautaire doit être claire et prévisible pour les justiciables (arrêts de la Cour du 12 novembre 1981, Salumi, 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 10 ; du 22 février 1984, Kloppenburg, 70/83, Rec. p. 1075, point 11 ; Könecke, point 40 supra, point 11, et Maizena, point 40 supra, point 15) et que, lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, le caractère de certitude et de prévisibilité constitue un impératif qui s’impose avec une rigueur particulière (arrêt de la Cour du 13 mars 1990, Commission/France, C‑30/89, Rec. p. I‑691, point 23, et la jurisprudence y citée). Cela serait d’autant plus le cas lorsqu’il s’agit d’une norme du Conseil portant habilitation à agir de la Commission, qui ne peut être valable que si elle est suffisamment précise, en ce sens que le Conseil indique clairement les limites de la compétence conférée à la Commission (arrêt de la Cour du 5 juillet 1988, Central-Import Münster, 291/86, Rec. p. 3679, point 13).

43      Jungbunzlauer fait valoir que le principe de légalité revêt une importance essentielle pour les dispositions prévoyant des sanctions (arrêts de la Cour du 10 juillet 1980, Commission/Royaume-Uni, 32/79, Rec. p. 2403, point 46 ; Kloppenburg, point 42 supra, point 11 ; Maizena, point 40 supra, point 15, et du 14 juillet 1994, Milchwerke Köln, C‑352/92, Rec. p I‑3385, points 22 et 23). Ces dispositions doivent, souligne Jungbunzlauer, définir de manière prévisible non seulement le comportement sanctionné, mais également les conséquences juridiques qui en découlent pour le particulier (arrêt Procédures pénales contre X, point 40 supra, point 25).

44      Jungbunzlauer considère que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 prévoit la possibilité de prononcer une sanction pénale ou quasi pénale.

45      À cet égard, Jungbunzlauer invoque tout d’abord des déclarations de M. Monti, alors membre de la Commission chargé de la politique de la concurrence, le libellé des lignes directrices ainsi que les termes employés par la Commission dans son mémoire en défense. En effet, il y serait question de « sanctions » et de « punitions » pour les infractions aux articles 81 CE et 82 CE qui devraient être suffisamment élevées pour avoir un « caractère dissuasif ».

46      En outre, Jungbunzlauer rappelle que la Cour a déjà reconnu que les amendes prévues à l’article 15 du règlement n° 17 n’ont pas le caractère d’astreintes, mais qu’elles ont pour but de réprimer des comportements illicites aussi bien que d’en prévenir le renouvellement (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 172 et 173) ce qui, selon Jungbunzlauer, correspond à l’interprétation large donnée de la notion d’accusation pénale par la Cour européenne des droits de l’homme. Jungbunzlauer relève également que, dans l’arrêt du 20 mars 2002, Brugg Rohrsysteme/Commission (T‑15/99, Rec. p. II‑1613, points 109 et 122), le Tribunal a examiné la validité de l’amende infligée, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, au regard de l’article 7 de la CEDH.

47      Jungbunzlauer considère que l’expression utilisée à l’article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17, selon laquelle les décisions infligeant des amendes « n’ont pas un caractère pénal », ne saurait modifier cette appréciation, dès lors que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce n’est pas la désignation d’un acte juridique qui est déterminante mais son contenu réel.

48      Par conséquent, selon Jungbunzlauer, la procédure qui aboutit à l’imposition d’une amende, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, doit satisfaire à toutes les exigences minimales sous l’angle des droits fondamentaux qui résultent non seulement de la CEDH, tels qu’ils ont été interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, mais également de la charte des droits fondamentaux, laquelle confirme notamment les droits résultant de cette jurisprudence.

49      Dans ce contexte, Jungbunzlauer fait valoir qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que tant le délit que la peine encourue en cas d’infraction doivent être « prévus par la loi », ce qui implique que les justiciables doivent être en mesure de prévoir, à un degré raisonnable selon les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. La Cour européenne des droits de l’homme aurait ajouté qu’une loi qui confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à cette exigence, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime poursuivi, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire.

50      Eu égard à ce qui précède, Jungbunzlauer considère que le principe de légalité est violé lorsqu’une disposition prévoyant le prononcé d’une amende ne limite pas suffisamment les conséquences juridiques possibles d’une décision rendue en la matière mais qu’elle laisse à l’autorité compétente, du fait de la formulation imprécise du texte en cause, de larges possibilités quant à l’application au cas d’espèce. Dans ce cas, les conséquences juridiques ne sont, en effet, pas déterminées à l’avance par le législateur, contrairement à ce que le principe de légalité exige, mais ordonnées par l’administration. Si, admet Jungbunzlauer, l’existence d’une marge d’appréciation dans le chef de l’administration n’est pas en soi constitutive d’une illégalité en vertu du principe de légalité, il n’en resterait pas moins que cette marge ne doit pas être illimitée.

51      Jungbunzlauer estime que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne satisfait pas aux exigences minimales susmentionnées.

52      Jungbunzlauer rappelle que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 habilite la Commission à infliger, en cas d’infraction aux règles de concurrence du traité, une amende dont le montant minimal est de 1 000 euros et dont le montant maximal doit être constaté individuellement pour chaque entreprise en fonction du chiffre d’affaires. Elle ajoute que, en ce qui concerne le montant concret de l’amende, l’article 15, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 17 précise simplement que, « pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ».

53      Jungbunzlauer considère que, du fait de cette disposition, la Commission dispose d’une marge d’appréciation quasiment illimitée en ce qui concerne la fixation du montant de l’amende.

54      En premier lieu, Jungbunzlauer invoque le fait que, comme désormais, contrairement à la situation qui prévalait lors de l’adoption du règlement n° 17, les chiffres d’affaires de groupes mondiaux peuvent s’élever, en partie, à plusieurs centaines de milliards d’euros, la limite maximale peut facilement atteindre plusieurs dizaines de milliards d’euros. Elle relève, à titre d’exemple, que, si le groupe pétrolier ExxonMobil – dont le chiffre d’affaires du groupe s’élève à 248 milliards d’euros – participait à une entente, la Commission pourrait lui infliger une amende dont le montant se situerait entre 1 000 euros et 24,8 milliards d’euros, somme qui correspond au produit national brut du Luxembourg. Jungbunzlauer considère que, si, pour une infraction donnée, la loi met à la disposition de l’autorité une fourchette d’amendes allant de 1 000 à 24,8 milliards d’euros – ou même une exemption totale en vertu de la communication sur la coopération –, ce n’est plus la loi qui détermine à l’avance l’amende, mais exclusivement l’autorité. En définitive, une telle disposition ouvrirait la porte à une fixation arbitraire du montant de l’amende.

55      En deuxième lieu, en ce qui concerne les lignes directrices, Jungbunzlauer considère qu’elles ne constituent pas une « loi », au sens de la CEDH. Elle souligne que de telles lignes directrices lient uniquement la Commission elle-même, mais pas les instances juridictionnelles (arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Regione Toscana/Commission, T‑81/97, Rec. p. II‑2889, point 49, et conclusions de l’avocat général M. Alber sous l’arrêt de la Cour du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec. p. I‑2481, I‑2484, point 23) qui sont habilitées à exercer un contrôle de pleine juridiction sur les décisions de la Commission. Or, selon la requérante, comme ce sont lesdites instances qui sont compétentes pour fixer, de manière définitive, le montant des amendes et que celles-ci ne sont pas liées par les lignes directrices, ces dernières n’ont aucune incidence sur l’appréciation du caractère suffisant de la légalité d’une norme pénale au sens de l’article 7 de la CEDH. De plus, elle relève que le Tribunal a récemment affirmé que le cadre juridique applicable aux amendes était défini par le seul règlement n° 17 (arrêt Brugg Rohrsysteme/Commission, point 46 supra, point 123).

56      En troisième lieu, Jungbunzlauer conteste le bien-fondé de l’argumentation de la Commission selon laquelle un degré plus élevé de prévisibilité et de fiabilité du calcul du montant des amendes serait inconciliable avec le principe selon lequel l’amende doit, d’une part, prendre en compte les particularités du cas et, d’autre part, avoir un effet dissuasif suffisant pour garantir le respect des règles de concurrence par les entreprises. En effet, selon Jungbunzlauer, c’est, au contraire, la connaissance ou le fait de pouvoir avoir connaissance des conséquences possibles d’un acte délictueux qui permet de garantir plus efficacement l’effet dissuasif souhaité par la Commission. Ce serait surtout pour cette raison que les lois pénales des États membres seraient constituées d’une série d’éléments infractionnels différents ayant chacun des conséquences différenciées sous l’angle de la sanction. Sur la base de ces normes et de leur interprétation par la jurisprudence nationale, le justiciable serait en mesure de prévoir de manière suffisamment précise les conséquences pénales de ses actes. Le cadre de la sanction presque illimité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n’aurait précisément pas un tel effet dissuasif étant donné qu’il ne fournirait pas la moindre indication sur la teneur concrète de l’infraction qui pourrait, a priori, entraîner l’épuisement complet dudit cadre.

57      Jungbunzlauer ajoute que la circonstance que les lignes directrices ne délimitent pas de façon suffisante le calcul des amendes est illustrée par le fait que, pour les infractions dites « très graves », la Commission « peut » choisir comme montant de base n’importe quel montant supérieur à 20 millions d’euros. Or, les lignes directrices ne permettraient absolument pas de savoir quelles sont les conditions qui amènent la Commission à retenir un montant de base de 20, 50 ou 100 millions d’euros ou même un montant encore supérieur.

58      En quatrième lieu, Jungbunzlauer considère que l’argument du Conseil, tiré de ce que les amendes fixées par la Commission sont le cas échéant contrôlées par le juge communautaire, auquel est conférée une compétence de pleine juridiction, ne saurait non plus être retenu. En effet, selon Jungbunzlauer, le Conseil méconnaît le fait que les exigences de clarté suffisante de dispositions juridiques ont précisément pour finalité de permettre au juge communautaire de contrôler la légalité des décisions prises sur la base de ces dispositions. La thèse défendue par le Conseil aboutirait à déléguer aux juridictions communautaires la fonction de législateur communautaire.

59      En cinquième lieu, Jungbunzlauer invoque le fait que, au niveau national, il n’existe pas d’habilitation comparable d’une autorité permettant à cette dernière d’infliger des amendes de façon presque illimitée. Quant à la comparaison avec le droit suédois, invoquée par le Conseil, Jungbunzlauer considère que, dans cet État membre, le droit a été développé sur le modèle du droit communautaire et n’apporte donc rien d’utile au débat. En ce qui concerne le droit allemand, également invoqué par le Conseil, Jungbunzlauer fait valoir que les dispositions allemandes relatives à la fixation d’amendes frappant des infractions au droit de la concurrence constituent un système différencié, qui n’est pas comparable avec l’habilitation globale prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En effet, ces dispositions prévoiraient une limite supérieure pouvant aller jusqu’à 500 000 euros et, au-delà, jusqu’au triple du profit retiré du fait de l’infraction, ce qui, en pratique, aboutirait à un niveau d’amendes inférieur à celui résultant de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En outre, Jungbunzlauer relève que ce niveau d’amendes est encore modifié en fonction de la manière dont l’infraction est commise. Ce n’est qu’en cas d’acte commis de propos délibéré que le plein cadre de l’amende s’appliquerait, tandis que, en présence d’une infraction qui a été commise par négligence, seule la moitié du montant maximal prévu pourrait être fixée. Dans ce cadre, l’amende serait calculée selon des critères définis de manière stricte, tenant par exemple à l’importance de l’infraction, à la gravité du grief, aux circonstances particulières tenant à la personne et à la situation économique de l’auteur de l’infraction. Jungbunzlauer admet que cette réglementation ne permet pas non plus de déterminer à l’avance, avec une précision comptable, le montant des amendes. Toutefois, cette précision irait bien au-delà du degré de délimitation prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Jungbunzlauer invoque le fait que c’était principalement l’idée qu’une approche uniquement fondée sur le chiffre d’affaires ne tenait pas suffisamment compte de l’ampleur et de l’importance de l’infraction, qui a conduit le législateur, en 1999, à renoncer à une modification du cadre juridique en ce sens.

60      En sixième lieu, Jungbunzlauer considère que le bien-fondé de sa thèse est illustré par la pratique décisionnelle de la Commission en matière d’amendes. En effet, la pratique de la Commission ne se caractériserait pas uniquement par d’énormes différences dans les montants en valeur absolue des amendes, mais également et surtout par une augmentation drastique du montant des amendes à partir de l’année 2001. Jungbunzlauer relève, en particulier, qu’il résulte de la moyenne des amendes infligées aux entreprises entre 1994 et 2000 comparée à l’amende record de 462 millions d’euros infligée au cours de l’année 2001 dans le cadre de la décision 2003/2/CE de la Commission, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/37.512 – Vitamines) (JO 2003, L 6, p. 1), presque un rapport de un à quinze. Même la deuxième amende la plus élevée infligée à une entreprise en 2001, à savoir une amende de 184,27 millions d’euros, infligée dans le cadre de la décision 2004/337/CE de la Commission, du 20 décembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/36.212 – Papier autocopiant) (JO 2004, L 115, p. 1), représenterait encore près de six fois cette valeur moyenne. Jungbunzlauer considère que le fait que toutes ces décisions sont – tout comme la pratique antérieure tout à fait différente de la Commission – fondées sur l’unique cadre juridique des amendes, à savoir l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, démontrerait que cette disposition n’a en réalité aucun effet de délimitation de la pratique de la Commission. Cette évolution constituerait en réalité non une augmentation du niveau des amendes, mais bien une multiplication de celui-ci.

61      En septième lieu, Jungbunzlauer relève que, dans un article publié en 1993, un fonctionnaire de la Commission aurait admis que la procédure susceptible d’aboutir à une amende en vertu du règlement n° 17 « [semble] être loin de ce qu’on qualifie habituellement de procédure régulière (due process) ».

62      À titre subsidiaire, Jungbunzlauer considère que, à supposer même que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 soit compatible avec le principe de légalité, la Commission devrait au moins interpréter cette disposition de façon restrictive et compenser le degré de prévision insuffisant de cette disposition par un système d’amendes cohérent et transparent qui permette d’assurer aux entreprises concernées le niveau de sécurité juridique indispensable. Une telle interprétation devrait, selon Jungbunzlauer, se traduire par le fait que la Commission devrait être prête à garantir un minimum de transparence et de prévisibilité en ce qui concerne la fixation de l’amende. La large habilitation, conférée par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, devrait, à son avis, acquérir un minimum de concrétisation du fait de la pratique décisionnelle de la Commission, excluant ainsi des décisions surprises, comme cela aurait été le cas en l’espèce.

63      La Commission et le Conseil sont d’avis que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 n’enfreint pas le principe de légalité.

64      La Commission met tout particulièrement en exergue que ses décisions rendues en matière d’amendes sont soumises à la compétence de pleine juridiction du juge communautaire. En outre, elle souligne que les critères prévus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ont été précisés, d’une part, par la jurisprudence et, d’autre part, par les lignes directrices. Selon elle, si les critères devaient être définis de façon plus précise, elle ne serait pas en mesure, d’une part, de prendre en compte les particularités de chaque cas d’espèce et, d’autre part, d’assurer un effet dissuasif aux amendes.

65      La Commission souligne également que, conformément à l’article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17, les règles de concurrence n’ont pas de caractère pénal. En outre, elle estime que la requérante invoque à tort une violation de l’article 7, paragraphe 1, CEDH et des articles 41 et 49 de la charte des droits fondamentaux.

66      La Commission rappelle également qu’elle a le pouvoir de relever le niveau des amendes et que les lignes directrices n’affectent pas le cadre juridique applicable à la fixation des amendes.

67      Enfin, en ce qui concerne la comparaison avec le droit allemand, la Commission avance l’exemple d’une norme pénale pour illustrer le fait que le droit de ce pays prévoit également une très large marge d’appréciation dans le cadre de laquelle la sanction individuelle et concrète doit être fixée.

68      Le Conseil estime que les dispositions invoquées de la CEDH et de la charte des droits fondamentaux ne s’appliquent pas à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Par ailleurs, selon lui, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 est une norme parfaitement claire et non ambiguë.

2.     Appréciation du Tribunal

69      L’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, tel que modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1216/1999 (JO L 148, p. 5) prévoit :

« La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de [1 000 euros] au moins et de [1 million d’euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence :

a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, [CE] ou de l’article [82 CE], ou

b) elles contreviennent à une charge imposée en vertu de l’article 8, paragraphe 1.

Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. »

70      Il convient d’examiner si, comme la requérante le fait valoir, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 viole le principe de légalité en ne prédéterminant pas de façon suffisante la pratique décisionnelle de la Commission.

71      À ce sujet, il y a lieu de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que le principe de légalité est un corollaire du principe de sécurité juridique, lequel constitue un principe général du droit communautaire qui exige, notamment, que toute réglementation communautaire, en particulier lorsqu’elle impose ou permet d’imposer des sanctions, soit claire et précise, afin que les personnes concernées puissent connaître sans ambiguïté les droits et obligations qui en découlent et puissent prendre leurs dispositions en conséquence (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 9 juillet 1981, Gondrand, 169/80, Rec. p. 1931, point 17 ; Maizena, point 40 supra, point 15 ; Van Es Douane Agenten, point 40 supra, point 27, et Procédures pénales contre X, point 40 supra, point 25).

72      De même, il résulte de la jurisprudence que ce principe s’impose tant aux normes de caractère pénal qu’aux instruments administratifs spécifiques imposant ou permettant d’imposer des sanctions administratives (voir arrêt Maizena, point 40 supra, points 14 et 15, et la jurisprudence y citée) et qu’il s’applique non seulement aux normes qui établissent les éléments constitutifs d’une infraction, mais également à celles qui définissent les conséquences qui découlent d’une infraction aux premières (voir, en ce sens, arrêt Procédures pénales contre X, point 40 supra, points 22 et 25).

73      En outre, il convient de rappeler que le principe de légalité fait partie des principes généraux du droit communautaire se trouvant à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qu’il a été consacré par différents traités internationaux, notamment, par l’article 7 de la CEDH, et cela, entre autres, en ce qui concerne des infractions et des peines pénales (voir, en ce sens, arrêt Procédures pénales contre X, point 40 supra, point 25).

74      Il est de jurisprudence constante que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux de droit dont le juge communautaire assure le respect (avis de la Cour 2/94, du 28 mars 1996, Rec. p. I-1759, point 33, et arrêt de la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C‑299/95, Rec. p. I‑2629, point 14). À cet effet, la Cour et le Tribunal s’inspirent des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêts de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et Kremzow, précité, point 14). Par ailleurs, aux termes de l’article 6, paragraphe 2, UE, « l’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire » (arrêt de la Cour du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, Rec. p. I‑9011, points 23 et 24, et arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 40 supra, point 60).

75      À cet égard, il convient de rappeler le libellé de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH :

« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »

76      Selon la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour eur. D. H. »), il résulte de cette disposition que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (voir Cour eur. D. H., arrêt Coëme c. Belgique du 22 juin 2000, Recueil des arrêts et décisions, 2000-VII, p. 1, point 145).

77      En se référant à l’article 15, paragraphe 4, du règlement n° 17, qui dispose que les décisions prises par la Commission en vertu, notamment, du paragraphe 2 de cette disposition n’ont pas un caractère pénal, la Commission et le Conseil ont émis des doutes quant au fait de savoir si le Tribunal peut s’inspirer de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour eur. D. H. relative à cet article pour analyser la légalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

78      À ce sujet, le Tribunal souligne, tout d’abord, qu’il n’est pas compétent pour apprécier la légalité de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 au regard de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, dans la mesure où les dispositions de la CEDH ne font pas partie en tant que telles du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 40 supra, point 59). Cependant, comme indiqué au point 74 ci-dessus, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect en tenant compte en particulier de la CEDH en tant que source d’inspiration.

79      Ensuite, sans qu’il soit besoin que le Tribunal se prononce sur la question de savoir si, en raison, notamment, de la nature et du degré de sévérité des amendes infligées par la Commission en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH pourrait s’appliquer à de telles sanctions administratives et dès lors pourrait servir de source d’inspiration pour le Tribunal (voir, à cet égard, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P, C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 215 à 223), il suffit de constater que l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH n’exige pas que les termes des dispositions en vertu desquelles sont infligées ces sanctions soient à ce point précis que les conséquences pouvant découler d’une infraction à ces dispositions soient prévisibles avec une certitude absolue.

80      En effet, selon la jurisprudence de la Cour eur. D. H., l’existence de termes vagues dans la disposition n’entraîne pas nécessairement une violation de l’article 7 de la CEDH. Ainsi, la Cour eur. D. H. a reconnu que la notion de droit utilisée à l’article 7 de la CEDH correspond à celle de loi qui figure dans d’autres articles de la CEDH (voir Cour eur. D. H., arrêt Baskaya et Okçuoglu c. Turquie du 8 juillet 1999, Recueil des arrêts et décisions, 1999-IV, p. 308, point 36, et arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 79 supra, point 216). En outre, la Cour eur. D. H. a reconnu que bien des lois ne présentent pas une précision absolue et que beaucoup d’entre elles, en raison de la nécessité d’éviter une rigidité excessive et de s’adapter aux changements de situation, se servent par la force des choses de formules plus ou moins floues, et que l’interprétation et l’application de celles-ci dépendent de la pratique (voir Cour eur. D. H., arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260-A, points 40 et 52). Toutefois, la Cour eur. D. H. a également précisé que toute loi présuppose des conditions qualitatives dont, entre autres, celles d’accessibilité et de prévisibilité (arrêt Baskaya et Okçuoglu c. Turquie, précité, point 36). Le fait qu’une loi confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte cependant pas en soi à l’exigence de prévisibilité, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (voir Cour eur. D. H., arrêt Margareta et Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, série A nº 226-A, § 75). Enfin, la Cour eur. D. H. précise qu’outre le texte même de la loi elle tient compte de la jurisprudence constante et publiée lors de l’appréciation du caractère déterminé ou non des notions utilisées (voir Cour eur. D. H., arrêts G. c. France du 27 septembre 1995, série A nº 325-B, § 25, et E.K. c. Turquie du 7 février 2002, point 51).

81      Quant aux traditions constitutionnelles communes aux États membres, aucun élément ne permet au Tribunal de donner au principe général du droit communautaire que constitue le principe de légalité une interprétation différente de celle qui résulte des développements ci-dessus. Tout d’abord, en ce que la requérante invoque les termes de la disposition du droit allemand en vertu duquel les organes allemands compétents infligent des amendes pour l’infraction aux règles de la concurrence, il convient de remarquer qu’une tradition constitutionnelle commune aux États membres ne saurait être déduite de la situation juridique d’un seul État membre. Ensuite, ainsi que la requérante l’a admis à l’audience, le droit pertinent de bien d’autres États membres connaît, pour l’octroi de sanctions administratives telles que celles infligées pour la violation des règles nationales de la concurrence, un niveau de prédétermination comparable à celui de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, voire des critères semblables ou identiques à ceux prévus par cette disposition.

82      C’est dès lors à la lumière des considérations de principe énoncés ci-dessus qu’il convient d’apprécier si l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 respecte le principe de légalité.

83      À cet égard, il importe de rappeler que les sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, en cas de violation des articles 81 CE et 82 CE, constituent un instrument clé dont dispose la Commission pour veiller à la mise en place, au sein de la Communauté, d’un « régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur » [article 3, paragraphe 1, sous g), CE]. Ce régime permet à la Communauté de remplir sa mission qui consiste, par l’établissement d’un marché commun, à promouvoir dans l’ensemble de la Communauté, notamment, un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques et un haut degré de compétitivité (article 2 CE). Ce régime est en outre nécessaire pour l’instauration, au sein de la Communauté, d’une politique économique conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre (article 4, paragraphes 1 et 2, CE). Ainsi, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 permet la mise en œuvre d’un régime répondant aux missions fondamentales de la Communauté.

84      En outre, il convient de préciser que, afin d’éviter une rigidité normative excessive et de permettre une adaptation de la règle de droit aux circonstances, un certain degré d’imprévisibilité quant à la sanction pouvant être imposée pour une infraction donnée doit être permis. Une amende comprenant une variation suffisamment circonscrite entre l’amende minimale et l’amende maximale pouvant être infligée pour une infraction donnée est ainsi susceptible de contribuer à l’efficacité de cette sanction, tant du point de vue de son application que de son pouvoir de dissuasion.

85      En l’espèce, l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 prévoit comme sanction, pour une entreprise ayant enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 82 CE, l’imposition d’une amende dont le niveau se situe entre 1 000 euros et 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent de l’entreprise en cause. Force est donc de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission ne dispose pas d’une marge d’appréciation illimitée pour la fixation des amendes en cas d’infraction aux règles de la concurrence.

86      Par ailleurs, le Tribunal estime que, en prévoyant, en cas d’infraction aux règles de la concurrence, des amendes d’un montant allant de 1 000 euros à 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, le Conseil n’a pas laissé à la Commission une marge de manœuvre excessive. En particulier, le Tribunal estime que le plafond de 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée est raisonnable, eu égard aux intérêts défendus par la Commission lors de tels types d’infraction. Il importe également de souligner que, contrairement à ce qu’indique la requérante, l’appréciation du caractère raisonnable des amendes pouvant être imposées sur la base de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne doit pas être portée en termes absolus, mais en termes relatifs, c’est-à-dire par rapport au chiffre d’affaires du contrevenant.

87      En outre, le Tribunal souligne que, pour fixer le montant des amendes en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission est tenue de respecter les principes généraux de droit, tout particulièrement les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, tels que reconnus par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal. Une jurisprudence bien établie de la Cour et du Tribunal a également clarifié les critères et la méthode de calcul que la Commission doit appliquer dans le cadre de la fixation du montant des amendes (voir, notamment, points 213 et suivants ci-après). La requérante se réfère d’ailleurs elle-même à cette jurisprudence au soutien de ses moyens et de ses arguments (voir, notamment, point 199 ci-après).

88      Par ailleurs, sur la base des critères retenus à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et précisés dans la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, la Commission a, elle-même, développé une pratique décisionnelle publiquement connue et accessible. Si, certes, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne lie pas en tant que telle la Commission lorsqu’elle détermine le montant d’une amende (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 234, et du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 254), il n’en reste pas moins que, en vertu du principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe général du droit au respect duquel la Commission est tenue, la Commission ne peut traiter des situations comparables de manière différente ou des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309).

89      De surcroît, il convient de tenir compte de ce que, dans un souci de transparence et afin d’accroître la sécurité juridique des entreprises concernées, la Commission a publié des lignes directrices dans lesquelles elle énonce la méthode de calcul qu’elle s’impose à elle-même dans chaque cas d’espèce.

90      Sur la base de tous ces éléments, contrairement à ce que soutient la requérante, un opérateur avisé, en s’entourant au besoin d’un conseil juridique, peut, à suffisance de droit, prévoir la méthode et l’ordre de grandeur des amendes qu’il encourt pour un comportement donné. Le fait, non contesté par la Commission et le Conseil, que les entreprises ne sont pas en mesure, à l’avance, de connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission retiendra dans chaque cas d’espèce n’est pas de nature à établir que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 viole le principe de légalité.

91      S’il est vrai que les entreprises ne sont pas en mesure de connaître par avance le niveau précis des amendes que la Commission retiendra dans chaque cas d’espèce, il n’en reste pas moins que, conformément à l’article 253 CE, dans la décision infligeant une amende, la Commission est tenue de fournir une motivation, notamment quant au montant de l’amende infligée et quant à la méthode choisie à cet égard. Cette motivation doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de la Commission de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin d’apprécier l’opportunité de saisir le juge communautaire et, le cas échéant, de permettre à celui-ci d’exercer son contrôle.

92      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de rejeter l’exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

B –  Sur l’interprétation conforme de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

93      La requérante fait valoir que, à supposer même que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 soit compatible avec le principe de légalité, corollaire du principe de sécurité juridique, la Commission devrait au moins interpréter cette disposition de façon restrictive et compenser le degré de prévision insuffisant de cette disposition par un système d’amendes cohérent et transparent qui permette d’assurer aux entreprises concernées le niveau de sécurité juridique indispensable.

94      La Commission rappelle que c’est précisément dans l’objectif d’assurer un degré de transparence suffisant qu’elle a adopté les lignes directrices et que, depuis l’adoption de celles-ci, sa liberté de choisir le montant des amendes s’en trouve restreinte.

95      Le Tribunal constate que, dans le cadre de cette deuxième branche du présent moyen, soulevée à titre subsidiaire par rapport à la première, la requérante ne soulève aucun grief concret à l’encontre de la Décision, mais formule des postulats généraux en ce sens que la Commission doit, de façon générale, modifier sa politique en matière d’amendes en réduisant le montant de ces dernières ou en précisant les termes des lignes directrices.

96      Dès lors, cette branche du moyen doit être rejetée comme irrecevable.

II –  Sur le destinataire de la décision

97      La requérante soulève des moyens tirés, premièrement, de la violation de l’obligation de motivation et, deuxièmement, d’erreurs quant au destinataire de la Décision.

A –  Sur la violation de l’obligation de motivation

98      Jungbunzlauer considère que la Décision ne contient aucune motivation fournissant les raisons pour lesquelles la responsabilité du comportement anticoncurrentiel de Jungbunzlauer GmbH au cours de la période antérieure à 1993 devait lui être imputée.

99      La Commission n’a pas soulevé d’arguments spécifiques à ce sujet.

100    Le Tribunal rappelle qu’il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’autorité communautaire, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, Rec. p. I‑9919, point 87).

101    En l’espèce, la Commission a invoqué les raisons suivantes pour justifier sa décision d’imputer l’infraction à Jungbunzlauer non seulement pour la période postérieure au mois d’août 1993, mais également pour la période allant du début de l’infraction, en mars 1991, jusqu’en juillet 1993.

102    Aux considérants 30 et 33 de la Décision, la Commission a relevé que la requérante, la société Jungbunzlauer, était la société de gestion qui, depuis la restructuration du groupe en 1993, dirigeait les activités du groupe Jungbunzlauer à la tête duquel se trouvait une société holding, à savoir Jungbunzlauer Holding AG. La Commission a noté que, depuis 1993, la requérante, Jungbunzlauer, dirigeait ainsi également les activités du groupe sur le marché de l’acide citrique, lequel était produit au sein du groupe par Jungbunzlauer GmbH, filiale détenue à 100 % par Jungbunzlauer Holding AG. La Commission a ajouté que, avant la restructuration du groupe en 1993, le groupe était dirigé par Jungbunzlauer GmbH. La distribution d’acide citrique était réalisée, jusqu’en 1993, par Jungbunzlauer GmbH et, après cette date, par une autre filiale de Jungbunzlauer Holding AG, à savoir Jungbunzlauer International AG.

103    Au considérant 70 de la Décision, la Commission a noté que, lors des réunions de l’entente, le groupe Jungbunzlauer était représenté par le président-directeur général du groupe et par le directeur de Jungbunzlauer GmbH.

104    Au considérant 186 de la Décision, la Commission a relevé que, dans sa réponse à la communication des griefs, Jungbunzlauer et Jungbunzlauer GmbH avaient déclaré ensemble que c’était Jungbunzlauer GmbH qui devait être considérée comme destinataire de la Décision. À ce sujet, la Commission a fourni le raisonnement suivant :

« (187) […] D’abord, jusqu’au deuxième semestre de 1993, Jungbunzlauer [GmbH] était non seulement une filiale responsable de la production et de la distribution de l’acide citrique, mais également l’entité juridique chargée de diriger l’ensemble du groupe Jungbunzlauer. En 1993, la responsabilité de la direction du groupe a été transférée à Jungbunzlauer AG, qui peut être considérée comme le successeur de Jungbunzlauer [GmbH] pour la direction du groupe Jungbunzlauer. Depuis cette date, Jungbunzlauer [GmbH] est une filiale à 100 % du groupe, qui ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par Jungbunzlauer AG, société chargée de la gestion du groupe.

(188) Pour une partie de la période examinée dans la présente décision, Jungbunzlauer AG a pris part directement à des réunions de l’entente, à savoir dans la personne de son [président-directeur] général. Il convient donc de conclure qu’à tout moment pris en considération dans la présente décision l’entité juridique chargée de la gestion de l’ensemble du groupe Jungbunzlauer participait activement et directement à l’entente. L’entité juridique en cause étant actuellement Jungbunzlauer AG, c’est cette dernière qui doit être destinataire de la présente décision. »

105    Ces indications, quoique succinctes, identifient les éléments essentiels retenus par la Commission pour justifier l’imputation de l’infraction à Jungbunzlauer pour la période antérieure à 1993. La Commission a en effet indiqué que c’était en raison d’une succession des tâches de direction pour les activités du groupe, notamment sur le marché de l’acide citrique, de Jungbunzlauer GmbH à Jungbunzlauer qu’elle considérait que cette dernière était responsable de l’infraction pour la période antérieure à la restructuration du groupe en 1993.

106    Par conséquent, le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation doit être rejeté.

B –  Sur le moyen tiré d’erreurs quant au destinataire de la Décision

1.     Arguments des parties

107    Jungbunzlauer estime être à tort le destinataire de la Décision. Dans la requête, elle fait valoir que la Décision aurait dû être adressée à Jungbunzlauer GmbH. Elle relève que c’était cette société qui, au sein du groupe, produisait et distribuait l’acide citrique et qui, en outre, jusqu’en 1993, était chargée de la direction de l’ensemble du groupe. En ce qui concerne la période postérieure à sa propre création en 1993 en tant que société de gestion, elle souligne, dans son mémoire en réplique, que, même après cette date, la « direction effective » du groupe a été exercée par Jungbunzlauer Holding AG.

108    D’une part, en ce qui concerne la période postérieure à 1993, Jungbunzlauer rappelle, en premier lieu, que, à partir de l’année 1993, tant Jungbunzlauer GmbH qu’elle-même étaient des filiales détenues à 100 % par Jungbunzlauer Holding AG, de sorte qu’elle-même n’était pas la société mère de Jungbunzlauer GmbH, mais seulement sa société sœur.

109    Par conséquent, selon Jungbunzlauer, la Commission ne peut valablement invoquer les arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission (107/82, Rec. p. 3151, ci-après l’« arrêt AEG », point 50), et du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, ci-après l’« arrêt Stora », point 28), qui concernaient l’imputation du comportement d’une filiale à sa société mère. Or, cette relation entre société mère et filiale serait qualitativement différente de celle qui aurait existé entre elle-même et Jungbunzlauer GmbH, dès lors que Jungbunzlauer Holding AG, en tant que société mère commune, avait la possibilité de retirer à tout moment à une de ses filiales le droit de contrôler une de ses sociétés sœurs.

110    Jungbunzlauer ajoute qu’elle a uniquement fourni aux autres sociétés du groupe des services de gestion et de conseil concernant des questions de politique d’entreprise, d’organisation et d’investissement financier. Jungbunzlauer aurait exercé ses activités à la demande de Jungbunzlauer Holding AG qui aurait contrôlé le groupe et qui aurait été la seule à posséder le droit de donner des instructions aux sociétés du groupe. Jungbunzlauer n’aurait pas disposé en propre d’un tel droit à l’égard des différentes entreprises du groupe et ce droit ne lui aurait pas non plus été conféré en tant que « Treuhänder » (mandataire) de Jungbunzlauer Holding AG. Ses propres activités se seraient, au contraire, limitées à mettre à la disposition des autres sociétés du groupe les services des personnes qu’elle employait. Dans la mesure où, dans un cas particulier, ces personnes auraient transmis des instructions aux sociétés du groupe (par exemple à Jungbunzlauer GmbH), elles ne l’auraient pas fait en son nom propre, mais en tant que représentants de Jungbunzlauer Holding AG.

111    Jungbunzlauer en déduit que la « direction effective » des affaires de Jungbunzlauer Holding AG et de l’ensemble du groupe était uniquement le fait de celle-ci. Cela serait corroboré par le droit des sociétés autrichien applicable à Jungbunzlauer GmbH. En effet, une société constituée sous la forme d’une GmbH serait dirigée par ses organes, c’est-à-dire par le comité de gérance et par le conseil de surveillance, tandis que sa politique commerciale serait, en fin de compte, définie par l’assemblée des associés au sein de laquelle, en l’espèce, Jungbunzlauer Holding AG détenait tous les droits de vote en tant qu’associée unique.

112    En deuxième lieu, Jungbunzlauer soutient que, même après sa création en 1993, les principaux participants aux discussions, à l’exception du dirigeant de Jungbunzlauer, entré en fonction durant l’été 1993, avaient exercé, depuis longtemps, des fonctions de direction au sein de Jungbunzlauer GmbH. Par ailleurs, après la création de Jungbunzlauer en 1993, ces personnes auraient continué à exercer leurs fonctions auprès de Jungbunzlauer GmbH. La grande majorité des activités relèverait ainsi de Jungbunzlauer GmbH. L’affirmation de la Commission selon laquelle certaines des personnes en cause auraient exercé des fonctions au sein du groupe ne serait pas pertinente dans ce contexte. Selon Jungbunzlauer, la Commission aurait dû, à tout le moins, indiquer les différentes sociétés du groupe qui employaient ces personnes et dont une liste se trouvait dans la réponse à la communication des griefs. Jungbunzlauer avance, à titre d’exemple, qu’il est erroné d’affirmer que MM. H. et R. ont été employés par elle ou par Jungbunzlauer Holding AG.

113    En troisième lieu, Jungbunzlauer estime que, eu égard au déroulement de la procédure administrative, il était artificiel de lui imputer l’entente. Elle relève en effet que la Commission a adressé ses demandes de renseignements des 6 août 1997, 28 juillet 1998 et 3 mars 1999 à Jungbunzlauer GmbH et que la coopération intervenue dans le cadre de la communication sur la coopération était également le fait de celle-ci.

114    D’autre part, en ce qui concerne la période antérieure à 1993, Jungbunzlauer fait valoir, en premier lieu, que, jusqu’en 1993, c’était Jungbunzlauer GmbH qui dirigeait le groupe et que, avant cette date, Jungbunzlauer n’était même pas opérationnelle. Dès lors, selon elle, s’agissant de la période antérieure à 1993, la responsabilité du comportement anticoncurrentiel ne saurait en aucun cas lui être imputée.

115    En deuxième lieu, Jungbunzlauer considère que les arrêts invoqués par la Commission ne sont pas pertinents au soutien de sa thèse d’un transfert sur elle de la responsabilité de l’infraction de Jungbunzlauer GmbH. Elle souligne que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 84 à 87), concernait une succession de droit et que celle ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, NMH Stahlwerke/Commission (T‑134/94, Rec. p. II‑239, points 35 à 38), était relative à la reprise d’une société en faillite.

116    En troisième lieu, Jungbunzlauer estime qu’elle ne pouvait être considérée comme étant le « successeur économique » de Jungbunzlauer GmbH et que le comportement de celle-ci avant 1993 ne pouvait lui être imputé. Cela serait démontré par la circonstance que son propre rôle au sein du groupe était limité à la prestation de services pour d’autres sociétés dudit groupe (voir point 110 ci-dessus). De même, elle soutient que, même après 1993, Jungbunzlauer GmbH a continué ses activités consistant en la production et la commercialisation d’acide citrique. Or, si, à cet égard, Jungbunzlauer GmbH avait parfois recours à d’autres sociétés du groupe comme elle-même, celles-ci n’avaient qu’un statut d’agent. La politique de quantités et de prix aurait toujours été imposée par Jungbunzlauer GmbH.

117    En quatrième lieu, il serait inexact que MM. B. et H. aient géré Jungbunzlauer ou agi en son nom. En tout état de cause, en ce qui concerne M. H., Jungbunzlauer relève qu’il n’était pas employé par elle, mais par d’autres sociétés du groupe.

118    En cinquième lieu, Jungbunzlauer souligne qu’elle ne disposait que de moyens financiers limités.

119    La Commission souligne qu’elle s’est appuyée sur des informations fournies par Jungbunzlauer GmbH et par Jungbunzlauer elle-même au cours de la procédure administrative.

120    En ce qui concerne la période postérieure à 1993, la Commission estime qu’il ressort de ces informations que, jusqu’en 1993, Jungbunzlauer GmbH était chargée de la gestion du groupe et que, en 1993, Jungbunzlauer a repris cette fonction, de sorte qu’il y avait une succession économique entre ces sociétés en ce qui concerne les activités relatives à l’entente. Le fait que la requérante était seulement la société sœur de Jungbunzlauer GmbH n’infirmerait pas cette conclusion. En effet, la Commission souligne que la Cour déduit de manière constante de la détention du capital que la société mère est en mesure d’influencer de façon déterminante la politique économique de sa filiale, à moins que ce fait ne soit contesté. Partant, ce ne serait donc pas la détention du capital en tant que telle qui serait décisive, mais la possibilité que celle-ci confère à la société mère d’exercer une influence déterminante sur la politique économique de la filiale. Or, selon la Commission, la société mère peut transférer à une autre société du groupe la possibilité d’influencer le comportement d’une de ses filiales. Cela aurait été le cas en l’espèce.

121    En ce qui concerne la période antérieure à 1993, la Commission estime que, en raison de la succession économique susmentionnée quant aux tâches liées à la gestion des activités du groupe Jungbunzlauer sur le marché de l’acide citrique, l’infraction commise par Jungbunzlauer GmbH avant la restructuration intervenue en 1993 devait être imputée à Jungbunzlauer. Le fait que cette dernière société n’ait pas existé avant 1993 et que Jungbunzlauer GmbH ait continué d’exister après cette date serait dénué de pertinence, ainsi qu’il résulterait de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal.

2.     Appréciation du Tribunal

122    Il ressort de la jurisprudence que, en interdisant aux entreprises, notamment, de conclure des accords ou de participer à des pratiques concertées susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, l’article 81, paragraphe 1, CE s’adresse à des entités économiques constituées d’un ensemble d’éléments matériels et humains pouvant concourir à ce qu’une infraction visée par cette disposition soit commise (arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T‑6/89, Rec. p. II‑1623, point 235).

123    En l’espèce, la requérante ne conteste pas l’existence d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE. En revanche, elle soutient que la Commission ne pouvait lui imputer la responsabilité de cette infraction.

124    À ce sujet, il convient de rappeler tout d’abord que, jusqu’en 1993, le groupe Jungbunzlauer était dirigé par Jungbunzlauer GmbH laquelle produisait par ailleurs également de l’acide citrique, mais que, depuis la restructuration du groupe en 1993, Jungbunzlauer, en tant que société de gestion, dirigeait toutes les activités dudit groupe, y compris celles portant sur le marché de l’acide citrique et que, à la tête de ce groupe se trouvait une société holding, à savoir Jungbunzlauer Holding AG (voir point 102 ci-dessus).

125    En ce qui concerne la période postérieure à la restructuration du groupe Jungbunzlauer en 1993, il y a lieu d’observer que Jungbunzlauer, filiale à 100 % de Jungbunzlauer Holding AG, était une société sœur de Jungbunzlauer GmbH et non la société mère de celle-ci. Dans ce contexte, la requérante soulève à juste titre que le cas d’espèce était différent de ceux ayant donné lieu à une jurisprudence de la Cour et du Tribunal (voir notamment arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, T‑354/94, Rec. p. II‑2111, point 80, confirmé, sur pourvoi, par l’arrêt Stora, point 109 supra, points 27 à 29, ainsi que l’arrêt AEG, point 109 supra, point 50, et arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II‑389, point 149), selon laquelle, en substance, la Commission est en droit de présumer qu’une filiale à 100 % applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère, sans devoir vérifier si la société mère a effectivement exercé ce pouvoir.

126    Or, ainsi qu’il ressort des considérants de la Décision et contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission ne s’est pas appuyée sur une telle présomption, mais a, en revanche, examiné, sur la base des réponses fournies par Jungbunzlauer et Jungbunzlauer GmbH au cours de la procédure administrative, si, malgré la structure du groupe Jungbunzlauer, analysée ci-dessus, l’infraction devait être imputée à Jungbunzlauer.

127    À cet égard, il y a lieu d’observer que, faisant suite, notamment, à une demande de renseignements que la Commission avait adressée le 3 mars 1999 à Jungbunzlauer GmbH, par lettre du 21 mai 1999, celle-ci a, dans le cadre de sa coopération avec la Commission, décrit la structure du groupe Jungbunzlauer et a, en particulier, déclaré que la « direction du groupe [était] assurée par Jungbunzlauer AG […] qui, en tant que société de gestion, dirige[ait] les entreprises détenues par Jungbunzlauer Holding AG ».

128    En outre, le 29 mars 2000, la Commission a adressé sa communication des griefs à Jungbunzlauer. Dans sa réponse à cette communication des griefs que Jungbunzlauer a fournie le 22 juin 2000, « au nom de Jungbunzlauer GmbH », Jungbunzlauer a estimé qu’elle ne pouvait être le destinataire de tout acte relatif à cette procédure. À ce sujet, elle a décrit la structure organisationnelle du groupe Jungbunzlauer en joignant notamment un schéma. La requérante a indiqué que Jungbunzlauer constituait uniquement la société de gestion qui dirigeait les sociétés détenues par le groupe à la tête duquel se trouvait Jungbunzlauer Holding AG. En revanche, Jungbunzlauer a précisé que c’était Jungbunzlauer GmbH qui était « opérationnelle » sur le marché de l’acide citrique, sauf en ce qui concernait la distribution de ce produit qui, à partir de 1993, était confiée, pour le compte de Jungbunzlauer GmbH, à une autre filiale de Jungbunzlauer Holding AG, à savoir Jungbunzlauer International AG. Par ailleurs, Jungbunzlauer a précisé que « [j]usqu’au second semestre de 1993, l’ensemble de la direction était confié à Jungbunzlauer [GmbH] » et que, « [d]epuis 1993, Jungbunzlauer AG […] existe en tant que société de gestion ».

129    Sur la base des déclarations communes de Jungbunzlauer et de Jungbunzlauer GmbH, mentionnées au considérant 187 de la Décision, la Commission pouvait à juste titre estimer que, depuis la restructuration du groupe Jungbunzlauer en 1993, les activités de Jungbunzlauer GmbH se limitaient à la simple production d’acide citrique alors que la direction des activités du groupe, y compris en ce qui concerne ce produit, était confiée à Jungbunzlauer de sorte que Jungbunzlauer GmbH ne déterminait pas de façon autonome son comportement sur ce marché, mais appliquait, pour l’essentiel, les instructions données par Jungbunzlauer. En effet, la Commission pouvait valablement en déduire que la société mère commune à Jungbunzlauer GmbH et à Jungbunzlauer avait décidé de confier à cette dernière la tâche de conduire l’ensemble des activités du groupe et, par conséquent, également celles liées au comportement du groupe sur le marché faisant l’objet de l’entente, à savoir celui de l’acide citrique.

130    Dès lors, la Commission n’a pas commis d’erreurs en concluant que, en ce qui concerne la période postérieure à la restructuration du groupe Jungbunzlauer en 1993, l’infraction devait être imputée à Jungbunzlauer.

131    En ce qui concerne la période antérieure à la restructuration du groupe Jungbunzlauer en 1993, il convient de constater, comme la Commission l’a fait au considérant 187 de la Décision, que, jusqu’en 1993, Jungbunzlauer GmbH était responsable non seulement des activités du groupe sur le marché de l’acide citrique, mais également de la direction de l’ensemble des activités du groupe. Cette dernière tâche qui consistait à conduire les activités du groupe, y compris celles portant sur le marché de l’acide citrique, avait toutefois été transférée en 1993 à Jungbunzlauer, laquelle est ainsi devenue le successeur économique de Jungbunzlauer GmbH en ce qui concerne la gestion des activités du groupe.

132    Or, le fait qu’une société continue à exister en tant qu’entité juridique n’exclut pas que, au regard du droit communautaire de la concurrence, il puisse y avoir transfert d’une partie des activités de cette société à une autre, laquelle devient responsable des actes commis par la première (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 356 à 359).

133    Dès lors, la Commission n’a pas non plus commis d’erreurs en considérant que, en ce qui concerne la période antérieure à la restructuration du groupe Jungbunzlauer en 1993, l’infraction devait être imputée à Jungbunzlauer.

134    Par conséquent, le moyen tiré d’erreurs quant au destinataire de la Décision doit être rejeté.

III –  Sur la gravité de l’infraction

135    La requérante considère, d’une part, que la Commission n’a pas correctement apprécié l’impact concret de l’entente sur le marché de l’acide citrique et n’a pas fourni une motivation suffisante à ce sujet. D’autre part, la requérante estime que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de la puissance économique relativement limitée de la requérante par rapport aux autres entreprises concernées.

A –  Quant à l’existence d’un impact concret de l’entente sur le marché

1.     Introduction

136    Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire et son contexte, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, Rec. p. I‑1611, point 54 ; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 33, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 443). Dans ce contexte, l’impact concret de l’entente sur le marché concerné peut être pris en compte comme un des critères pertinents.

137    Dans ses lignes directrices (point 1 A, premier alinéa), la Commission a indiqué que, pour évaluer la gravité d’une infraction, elle prenait en considération, outre la nature propre de cette infraction et l’étendue du marché géographique concerné, « l’impact concret [de l’infraction] sur le marché lorsqu’il est mesurable ».

138    En l’espèce, il ressort des considérants 210 à 230 de la Décision que la Commission a effectivement fixé le montant de l’amende, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, en tenant compte de ces trois critères. En particulier, elle a, dans ce contexte, considéré que l’entente avait eu un « effet réel » sur le marché de l’acide citrique (considérant 230 de la Décision).

139    Or, selon Jungbunzlauer, dans ce contexte, la Commission n’a pas correctement apprécié l’impact concret de l’entente sur le marché de l’acide citrique et n’a pas fourni une motivation suffisante à ce sujet.

2.     Sur l’existence d’erreurs d’appréciation

140    Selon Jungbunzlauer, la Commission a commis plusieurs erreurs d’appréciation qui affectent le calcul du montant des amendes.

a)     En ce que la Commission aurait choisi une approche erronée pour démontrer que l’entente avait eu un impact concret sur le marché

 Arguments des parties

141    Jungbunzlauer reproche à la Commission d’avoir omis de prouver l’impact concret de l’entente sur le marché et d’avoir renversé la charge de la preuve sur les entreprises concernées. Or, il appartient à la Commission d’apporter cette preuve lorsqu’elle choisit d’en tenir compte pour la fixation des amendes (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T‑308/94, Rec. p. II‑925, points 180 et suivants, et du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 4863).

142    Les exigences en matière de preuve ne pourraient pas, dans ce contexte, être moins sévères que pour d’autres constatations matérielles : le doute profiterait aux entreprises concernées (« in dubio pro reo »). Par conséquent, Jungbunzlauer considère que, si les circonstances constatées par la Commission peuvent avoir une autre explication convaincante que celle retenue par la Commission, les exigences incombant à cette dernière en matière d’administration de la preuve ne sont pas remplies (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, point 115 supra ; arrêts de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, point 267, et du 28 mars 1984, CRAM/Commission, 29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 20).

143    Jungbunzlauer fait valoir qu’il ressort des considérants 211, 213, 216, 218 et 226 de la Décision que, au lieu d’apporter la preuve de l’existence des effets de l’entente sur le marché, la Commission a déduit de l’existence de l’entente la réalité des effets de celle-ci sur le marché. Or, un tel raisonnement constituerait un cercle vicieux, car, s’il était exact, toute entente aurait nécessairement des effets sur le marché et l’examen de la Commission serait inutile. Or, il ressortirait de la pratique même de la Commission qu’il existe des ententes qui n’ont aucun effet sur le marché, ainsi que cela aurait été confirmé par les lignes directrices (point 3) et la jurisprudence du Tribunal (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 141 supra, points 4863 et suivants).

144    La Commission ne conteste pas que les critères de la mise en œuvre et de l’impact concret d’une entente sur le marché concerné ne sauraient être confondus et que c’est à elle d’apporter des preuves à ce sujet. Toutefois, selon elle, en l’espèce, elle n’a pas renversé la charge de la preuve, mais a produit à suffisance de droit une telle démonstration.

 Appréciation du Tribunal

145    Au vu des griefs formulés par Jungbunzlauer quant à l’approche même choisie par la Commission pour démontrer que l’entente a eu un impact concret sur le marché de l’acide citrique, il convient de résumer l’analyse effectuée par la Commission, telle qu’elle ressort des considérants 210 à 228 de la Décision, avant de se prononcer sur le bien-fondé des arguments invoqués par Jungbunzlauer.

–       Résumé de l’analyse effectuée par la Commission

146    Tout d’abord, la Commission a observé que « [l]’infraction a été commise par des entreprises qui, pendant la période considérée, représentaient plus de 60 % du marché mondial et 70 % du marché européen de l’acide citrique » (considérant 210 de la Décision).

147    Ensuite, la Commission a affirmé que, « [c]omme ces accords ont effectivement été mis en œuvre, ils ont eu des effets réels sur le marché » (considérant 210 de la Décision). Au considérant 212 de la Décision, en se référant à la partie de la Décision relative à la description des faits, la Commission a réitéré l’argument selon lequel les accords de l’entente avaient été « minutieusement mis en œuvre » et a ajouté qu’« un des participants a déclaré ‘être surpris par le niveau de formalisme et d’organisation atteint par les participants pour parvenir à cet accord’ ». De même, au considérant 216 de la Décision, elle a noté que, « [e]u égard aux considérations qui précèdent et aux efforts déployés par chaque participant pour l’organisation complexe de l’entente, l’efficacité de sa mise en œuvre ne peut être mise en doute ».

148    En outre, la Commission a estimé qu’il n’était pas nécessaire « de quantifier précisément l’écart de ces prix par rapport à ceux qui auraient pu être appliqués en l’absence de ces accords » (considérant 211 de la Décision). En effet, la Commission a soutenu que « cet écart ne peut toujours être mesuré d’une manière fiable : un certain nombre de facteurs extérieurs peuvent simultanément avoir affecté l’évolution des prix du produit, ce qui rend extrêmement périlleuse toute conclusion sur l’importance relative de toutes les causes possibles » (ibidem). Néanmoins, au considérant 213 de la Décision, elle a décrit l’évolution des prix de l’acide citrique de mars 1991 à 1995 en notant en substance que, entre mars 1991 et le milieu de l’année 1993, les prix de l’acide citrique avaient augmenté de 40 % et que, après cette date, ils avaient en substance été maintenus à ce niveau. De même, aux considérants 214 et 215 de la Décision, elle a rappelé que les membres de l’entente avaient fixé des quotas de vente et avaient conçu et appliqué des mécanismes d’information, de surveillance et de compensation pour assurer l’application des quotas.

149    Enfin, aux considérants 217 à 228 de la Décision, la Commission a résumé, analysé et rejeté des arguments invoqués par les parties concernées au cours de la procédure administrative, dont ceux présentés par Jungbunzlauer. Au considérant 226 de la Décision, la Commission a pourtant estimé, dans les termes suivants, que les arguments avancés par les parties concernées ne pouvaient être retenus :

« Les explications des hausses de prix de 1991-1992 fournies par ADM, [H & R] et Jungbunzlauer peuvent avoir une certaine validité, mais elles ne démontrent pas d’une manière convaincante que la mise en oeuvre de l’entente n’aurait pu jouer aucun rôle dans les fluctuations de prix. Si les phénomènes décrits peuvent se produire en l’absence d’une entente, ils cadrent aussi parfaitement avec son existence. La hausse des prix de l’acide citrique de 40 % en quatorze mois ne peut s’expliquer exclusivement par une réaction purement concurrentielle, mais doit être interprétée à la lumière des accords conclus entre les participants pour coordonner les hausses de prix et s’attribuer des parts de marché, ainsi que pour mettre en place un système d’information et de surveillance. Tous ces éléments auront contribué au succès des hausses de prix ».

150    De même, au considérant 228 de la Décision, la Commission a répondu de la façon suivante à des arguments avancés par Jungbunzlauer :

« La réduction graduelle, soulignée par Jungbunzlauer, de la ‘part de marché’ globale de l’entente d’environ 70 % au début à 52 % en 1994 illustre très certainement les difficultés rencontrées par les participants à l’entente pour maintenir les prix au-dessus de leur niveau concurrentiel. Il ne démontre toutefois pas que la pratique illégale n’ait pas eu d’effet sur le marché. Au contraire, la forte augmentation des importations de Chine à partir de 1992 indique que les membres de l’entente ne s’adaptaient pas comme ils l’auraient fait normalement aux pressions sur les prix exercées par ces importations. »

–       Appréciation

151    Tout d’abord, il convient de rappeler que, selon les termes du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, dans son calcul de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission tient compte, notamment, de « l’impact concret [de l’infraction] sur le marché lorsqu’il est mesurable ».

152    À cet égard, il y a lieu d’analyser la signification exacte des termes « lorsqu’il [c’est-à-dire l’impact concret] est mesurable ». En particulier, il s’agit de déterminer si, au sens de ces termes, la Commission peut uniquement tenir compte de l’impact concret d’une infraction dans le cadre de son calcul des amendes si, et dans la mesure où, elle est en mesure de quantifier cet impact.

153    Ainsi que la Commission l’a allégué à juste titre, l’examen de l’impact d’une entente sur le marché implique nécessairement le recours à des hypothèses. Dans ce contexte, la Commission doit notamment examiner quel aurait été le prix du produit en cause en l’absence d’entente. Or, dans l’examen des causes de l’évolution réelle des prix, il est hasardeux de spéculer sur la part respective de chacune de ces dernières. Il convient de tenir compte de la circonstance objective que, en raison de l’entente sur les prix, les parties ont précisément renoncé à leur liberté de se concurrencer par les prix. Ainsi, l’évaluation de l’influence résultant de facteurs autres que cette abstention volontaire des parties à l’entente est nécessairement fondée sur des probabilités raisonnables et non quantifiables avec précision.

154    Dès lors, à moins d’ôter au critère du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices son effet utile, il ne saurait être reproché à la Commission de s’être appuyée sur l’impact concret d’une entente sur le marché ayant un objet anticoncurrentiel, tel qu’une entente sur les prix ou bien sur des quotas, sans quantifier cet impact ou sans fournir une appréciation chiffrée à ce sujet.

155    Par conséquent, l’impact concret d’une entente sur le marché doit être considéré comme suffisamment démontré si la Commission est en mesure de fournir des indices concrets et crédibles indiquant, avec une probabilité raisonnable, que l’entente a eu un impact sur le marché.

156    En l’espèce, il résulte du résumé de l’analyse effectuée par la Commission (voir points 146 à 150 ci-dessus) que celle-ci s’est appuyée sur deux indices pour conclure à l’existence d’un « effet réel » de l’entente sur le marché. En effet, d’une part, elle a invoqué le fait que les membres de l’entente ont minutieusement mis en œuvre les accords de l’entente (voir notamment considérants 210, 212, 214 et 215, mentionnés aux points 147 et 148 ci-dessus) et que, pendant la période considérée, ces membres représentaient plus de 60 % du marché mondial et 70 % du marché européen de l’acide citrique (considérant 210 de la Décision, cité au point 146 ci-dessus). D’autre part, elle a estimé que les données fournies par les parties concernées au cours de la procédure administrative montraient une certaine concordance entre les prix fixés par l’entente et ceux réellement pratiqués sur le marché par les membres de l’entente (considérant 213 de la Décision, cité au point 148 ci-dessus).

157    Même s’il est vrai que les termes utilisés aux considérants 210 et 216 de la Décision (voir point 147 ci-dessus) pourraient, à eux seuls, être compris comme suggérant que la Commission s’est fondée sur une relation de cause à effet entre la mise en œuvre de l’entente et son impact concret sur le marché, il n’en reste pas moins qu’une lecture d’ensemble de l’analyse de la Commission démontre que, contrairement à ce qu’affirme Jungbunzlauer, la Commission ne s’est pas limitée à déduire de la mise en œuvre de l’entente l’existence d’effets réels de celle-ci sur le marché.

158    Outre l’existence d’une mise en œuvre « minutieuse » des accords de l’entente, elle s’est appuyée sur l’évolution des prix de l’acide citrique pendant la période concernée par l’entente. En effet, au considérant 213 de la Décision, elle a décrit les prix de l’acide citrique entre 1991 et 1995 tels qu’ils avaient été convenus entre les membres de l’entente, annoncés aux clients et, dans une large mesure, appliqués par les parties concernées. Il sera examiné ci-après si, comme le soutient Jungbunzlauer, la Commission a commis des erreurs manifestes dans l’appréciation des éléments factuels sur lesquels elle a fondé ses conclusions.

159    Dans ce contexte, il ne saurait être reproché à la Commission de considérer que la circonstance que les membres de l’entente représentaient une partie très importante du marché de l’acide citrique (60 % du marché mondial et 70 % du marché européen) constituait un facteur important dont elle devait tenir compte pour examiner l’impact concret de l’entente sur le marché. Il ne peut en effet être nié que la probabilité de l’efficacité d’une entente portant sur la fixation des prix et des quotas de vente s’accroît avec l’importance des parts de marché que se partagent les membres de cette entente. S’il est vrai, que, à elle seule, cette circonstance n’établit pas l’existence d’un impact concret sur le marché en cause, il n’en reste pas moins que, dans la Décision, la Commission n’a nullement établi une telle relation de cause à effet, mais en a uniquement tenu compte comme d’un élément parmi d’autres.

160    Quant aux différents arrêts de la Cour et du Tribunal invoqués par Jungbunzlauer, il convient de relever, premièrement, que les arrêts de la Cour cités au point 142 ci-dessus portent sur la charge de la preuve de la Commission pour conclure à l’existence d’une pratique concertée relevant de l’article 81 CE et non, comme en l’espèce, sur l’effet d’une infraction sur le marché, étant entendu que l’infraction poursuivait incontestablement un objectif anticoncurrentiel.

161    Deuxièmement, en ce que la requérante se prévaut du raisonnement figurant au point 4863 de l’arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 141 supra, il convient de constater que le Tribunal y a en substance jugé que, lorsque, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction pour le calcul des amendes, la Commission se fonde sur les effets de cette infraction sur le marché concerné, elle doit « [parvenir] à les prouver ou à fournir de bonnes raisons d’en tenir compte ». Par conséquent, contrairement à la lecture que Jungbunzlauer fait de cet arrêt, le Tribunal a clairement indiqué que la charge de la preuve de l’existence d’effets de l’infraction sur le marché en cause qui incombe à la Commission lorsqu’elle en tient compte dans le cadre du calcul de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction est moins lourde que celle qui pèse sur elle lorsqu’elle doit démontrer l’existence en tant que telle d’une infraction dans le cas d’une entente. En effet, pour tenir compte de l’impact concret de l’entente sur le marché, il suffit, selon cet arrêt, que la Commission fournisse « de bonnes raisons d’en tenir compte ».

162    Troisièmement, quant à l’arrêt Cascades/Commission, point 141 supra, il est vrai que, dans cette affaire, le Tribunal a examiné si la Commission avait prouvé l’existence d’effets de l’infraction sur le marché pertinent. Toutefois, il ressort des points 181 à 185 dudit arrêt que la Commission s’était appuyée en l’espèce sur un rapport pour démontrer l’existence d’effets lequel, selon les constatations faites par le Tribunal, ne soutenait que partiellement les conclusions que la Commission en avait tirées.

163    Il découle de tout ce qui précède que la Commission n’a pas adopté une approche manifestement erronée pour apprécier l’impact concret de l’entente sur le marché de l’acide citrique.

b)     En ce qui concerne l’appréciation de l’évolution des prix de l’acide citrique

 Arguments des parties

164    D’une part, Jungbunzlauer conteste que la Commission ait apporté la preuve de l’impact concret de l’entente sur le marché par son appréciation de l’évolution du prix de l’acide citrique entre 1991 et 1993, reprise aux considérants 213 et 214 de la Décision.

165    En effet, si Jungbunzlauer ne conteste pas que, de façon générale, des accords sur les prix aient des répercussions lorsque les prix effectifs évoluent à l’instar des prix convenus, il n’en resterait pas moins qu’un tel alignement n’aurait précisément pas été démontré par la Commission en l’espèce. Jungbunzlauer fait observer que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Cascades/Commission (point 141 supra, points 180 et suivants), dans la présente affaire, elle a toujours contesté que les prix convenus au cours des réunions de l’entente aient été exigés des clients. Elle soutient avoir expliqué cela en détail pour toute la période comprise entre 1991 et 1995, et ce tant dans la réponse à la communication des griefs que dans la requête.

166    D’autre part, Jungbunzlauer soutient que la Commission n’a pas dûment tenu compte des différentes circonstances qu’elle avait invoquées au cours de la procédure administrative pour contester l’impact de l’entente sur le marché.

167    En premier lieu, Jungbunzlauer reproche à la Commission d’avoir tenu compte de l’évolution des prix de l’acide citrique, constatée au cours des années 1991 et 1992 (considérant 213 de la Décision), et d’avoir rejeté son argument tiré de ce que cette évolution des prix n’aurait pas eu son origine dans l’entente (considérants 224 à 226 de la Décision). Selon Jungbunzlauer, si la Commission avait, comme elle devait le faire, examiné les conditions économiques caractérisant la période concernée, elle aurait constaté qu’il n’était pas possible de démontrer avec suffisamment de certitude que c’était l’entente qui était à l’origine de cette évolution des prix.

168    Jungbunzlauer soulève le fait que au point III 1, sous a), de sa réponse à la communication des griefs, elle avait déjà exposé que c’était principalement l’expansion marquée de la demande résultant du développement du marché de l’acide citrique ou du citrate de sodium (pour lequel l’acide citrique sert de produit de base), en tant qu’agent utilisé dans l’industrie des détergents, qui était responsable de l’augmentation des prix dans les années 1991 et 1992. Elle indique que, à la fin des années 80 et au début des années 90, l’industrie des détergents a commencé, pour des raisons liées à la protection de l’environnement et à la politique du marché, à remplacer l’utilisation des phosphates par les produits à base d’acide citrique, plus avantageux sur le plan écologique, ce qui a entraîné un doublement des taux de croissance de l’acide citrique et des citrates. De plus, expose-t-elle, on prévoyait une demande encore accrue pour les années suivantes. Elle en déduit que l’augmentation effective de la demande et celle de la consommation prévue pour les années 1990 ont permis aux producteurs d’acide citrique d’exiger des prix plus élevés.

169    Jungbunzlauer rappelle que, au soutien de cette argumentation, elle a déposé des études internes ainsi qu’un article tiré de la presse spécialisée dont il résultait, premièrement, que l’utilisation de citrates de sodium dans le domaine des détergents en Europe était 22 fois plus élevée en 1990 qu’en 1989, deuxièmement, que l’on pouvait, de façon réaliste, prévoir des ventes portant sur un volume de 44 000 tonnes pour 1993 (ce qui correspondait à une augmentation de 100 % entre 1990 et 1993) et, troisièmement, que à cette évolution s’ajoutait encore une augmentation significative prévue dans le domaine des détergents de vaisselle portant sur un volume de 22 000 tonnes par an pour l’année 1993.

170    Elle ajoute que, dans les années 1991 et 1992, la demande croissante d’acide citrique n’a pas pu être satisfaite par les capacités de production existantes. Le groupe Jungbunzlauer et d’autres producteurs auraient effectué des achats supplémentaires en Indonésie ou en Chine afin de couvrir les besoins. Cela montrerait qu’il existait une demande excédentaire considérable, qui était à l’origine de l’augmentation des prix en 1991 et en 1992.

171    Jungbunzlauer invoque encore le fait que, au point III 1, sous b), de sa réponse à la communication des griefs, elle a déjà exposé que l’augmentation des prix constatée par la Commission dans les années 1991 et 1992 devait, par ailleurs, être relativisée au regard du fait que, dans les années 1986 à 1990, les prix du marché avaient baissé d’environ 45 %. Elle en déduit que l’augmentation de prix constatée durant les années 1991 et 1992 constituait, en fin de compte, une correction des prix provoquée par les forces du marché.

172    En deuxième lieu, Jungbunzlauer considère que c’est à tort que, au considérant 227 de la Décision, la Commission a rejeté ses arguments tirés des réponses des acheteurs d’acide citrique aux demandes de renseignements qui leur avaient été adressées par la Commission le 20 janvier 1998. En effet, selon elle, ces réponses, dont elle reproduit des extraits dans sa requête et dans sa réplique, confirment que l’entente n’a pas eu d’effets négatifs pour les acheteurs. En revanche, la Commission ne produirait pas de réponses des acheteurs qui prouveraient le contraire.

173    C’est à tort, considère Jungbunzlauer, que, au considérant 227 de la Décision, la Commission a cherché à minimiser l’importance de ces réponses en invoquant le fait que la question ayant donné lieu à ces réponses « était formulée en termes généraux [relatifs à] l’intensité de la concurrence sur le marché » et qu’elle devait « être vue dans le contexte d’une enquête préliminaire sur les caractéristiques essentielles du marché de l’acide citrique ». Tout au contraire, la question posée aurait été ciblée sur la question suivante : « Existe-t-il une concurrence intense au niveau des prix sur le marché de l’acide citrique ? Veuillez donner une réponse détaillée à cette question ». Selon Jungbunzlauer, les réponses données par les clients ont fourni une image tout à fait claire à ce propos, ce que la Commission avait purement et simplement ignoré. La Commission ne pourrait formuler une demande de renseignements et l’adresser, à grands frais, à de nombreuses entreprises pour la déclarer inappropriée par la suite, apparemment parce qu’elle n’aurait pas produit le résultat souhaité. En outre, contrairement à ce que soutient la Commission, il résulterait de façon claire du contexte des questions posées qu’elles se rapportaient toutes à la période postérieure à l’année 1990.

174    De même, selon Jungbunzlauer, c’est à tort que, au considérant 227 de la Décision, la Commission a invoqué à l’encontre de ces réponses le fait que, « [e]u égard au caractère extrêmement complexe des arrangements illégaux, on ne peut certainement pas s’attendre à ce que les clients soient capables de confirmer l’inexistence de la concurrence sur le marché en question ». Tout au contraire, Jungbunzlauer est d’avis que l’on ne saurait croire que les acheteurs mentionnés n’aient pas remarqué des modifications inhabituelles de la structure des prix. Cela serait d’autant plus vrai que la demande de renseignements a été adressée aux clients dans le cadre d’une enquête ouverte au titre du droit des ententes et que la procédure relative à l’acide citrique avait déjà été close aux États-Unis. Le lien entre des hausses de prix et des accords restrictifs de concurrence aurait, dès lors, dû être évident – presque tous les clients mentionnés seraient, par ailleurs, de grandes entreprises qui étaient parfaitement en mesure d’établir un tel lien. Le fait qu’aucune des entreprises interrogées n’ait tiré cette conclusion soulignerait bien que les accords n’ont pas eu de répercussions sur le marché.

175    En troisième lieu, Jungbunzlauer relève qu’il ressort du considérant 225 de la Décision qu’elle avait déjà soutenu, au cours de la procédure administrative, que, à son avis, « le fait que la part totale du marché mondial détenue par les parties [concernées] soit tombée de 70 % à l’origine à 52 % en 1994 tendrait à démontrer que l’entente n’était plus en mesure d’influencer la formation des prix ». Selon elle, la Commission a omis d’aborder cette circonstance. Or, il en résulte, à son avis, que les participants à l’entente ne disposaient absolument plus de la puissance sur le marché qui aurait été nécessaire pour imposer les prix souhaités et que l’entente a constamment perdu de son importance et n’était, depuis 1993, certainement plus en mesure d’influencer la formation des prix au niveau mondial. Cela serait clairement confirmé par la réponse de la société Procter & Gamble aux demandes de renseignements que la Commission avait adressées à celle-ci le 20 janvier 1998.

176    La Commission rejette l’argumentation de Jungbunzlauer et fait valoir qu’elle a démontré à suffisance de droit l’existence d’un impact concret de l’entente sur le marché.

 Appréciation du Tribunal

177    Il est de jurisprudence constante que, aux fins du contrôle de l’appréciation portée par la Commission sur l’impact concret de l’entente sur le marché, il importe surtout d’examiner son appréciation quant aux effets produits par l’entente sur les prix (voir arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, et, en ce sens, arrêt Cascades/Commission, point 141 supra, point 173, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 225).

178    En outre, la jurisprudence rappelle que lors de la détermination de la gravité de l’infraction, il y a lieu de tenir compte, notamment, du contexte réglementaire et économique du comportement incriminé (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 115 supra, point 612, et Ferriere Nord/Commission, point 136 supra, point 38) et que, pour apprécier l’impact concret d’une infraction sur le marché, il appartient à la Commission de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l’absence d’infraction (voir, en ce sens, arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 115 supra, points 619 et 620 ; Mayr-Melnhof/Commission, point 177 supra, point 235, et arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 645).

179    D’une part, il en résulte que, dans le cas d’ententes portant sur les prix, il doit être constaté – avec un degré de probabilité raisonnable (voir point 155 ci-dessus) – que les accords ont effectivement permis aux parties concernées d’atteindre un niveau de prix supérieur à celui qui aurait prévalu en l’absence d’entente. D’autre part, il en découle que, dans le cadre de son appréciation, la Commission doit prendre en compte toutes les conditions objectives du marché concerné, eu égard au contexte économique et éventuellement réglementaire qui prévaut. Il ressort des arrêts du Tribunal rendus dans l’affaire relative au cartel du carton (voir, notamment, arrêt Mayr-Melnhof/Commission, point 177 supra, points 234 et 235) qu’il convient de tenir compte de l’existence, le cas échéant, de « facteurs économiques objectifs » faisant ressortir que, dans le cadre d’un « libre jeu de la concurrence », le niveau des prix n’aurait pas évolué de manière identique à celui des prix pratiqués (voir, également, arrêts Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 177 supra, points 151 et 152, et Cascades/Commission, point 141 supra, points 183 et 184).

180    Dans le cas d’espèce, au considérant 213 de la Décision, la Commission a décrit comme suit l’évolution des prix de l’acide citrique, tels que convenus et appliqués par les membres de l’entente :

« De mars 1991 au milieu de 1993, les prix convenus entre les membres de l’entente ont été annoncés aux clients et très largement mis en œuvre, en particulier pendant les premières années de l’entente. La hausse de prix à 2,25 [marks allemands (DEM)] le kilo […] en avril 1991, décidée lors de la réunion de l’entente de mars 1991, a été facilement appliquée. Elle a été suivie par la décision, prise par téléphone en juillet, de porter le prix à 2,70 DEM par kilo […] pour le mois d’août. Cette hausse de prix a également pu être appliquée avec succès. La décision finale de porter le prix à 2,80 DEM par kilo […] a été prise à la réunion de mai 1991 et appliquée en juin 1992. Après cette date, les prix n’ont plus été majorés et l’entente s’est concentrée sur la nécessité de maintenir ces prix ».

181    Jungbunzlauer ne conteste pas les constatations factuelles de la Commission quant à l’évolution des prix convenus et la fixation des quotas de vente, mais se limite, en substance, à invoquer le fait que, en réalité, ces prix n’ont pas été exigés des clients.

182    À cet égard, il convient de constater que, dans sa lettre du 29 avril 1999, fournissant à la Commission les informations demandées sur la base de l’article 11 du règlement n° 17, la requérante a décrit les prix fixés dans le cadre de l’entente. En outre, à l’annexe de sa réponse à la communication des griefs, la requérante a soumis à la Commission des graphiques relatifs à l’évolution du prix de l’acide citrique au cours des années 1991 à 1995.

183    Or, il résulte notamment desdits graphiques, que Jungbunzlauer a de sa propre initiative établi et soumis à la Commission, que les prix effectivement demandés aux clients suivaient de façon parallèle l’évolution des prix tels qu’ils avaient été fixés par les membres de l’entente, même s’ils étaient, de façon générale, situés en dessous du niveau des prix convenus. En particulier, il résulte de ces graphiques que, lorsque, en mars et en juillet 1991, les membres de l’entente ont décidé d’augmenter les prix de l’acide citrique utilisé dans le secteur de l’alimentation de 2,25 DEM par kilo à environ 2,7 DEM par kilo, les prix effectivement demandés aux clients, qui se situaient en avril 1991 entre 1,9 et 2,1 DEM par kilo, avaient augmenté pour se situer entre 2,7 et 2,75 DEM par kilo. De même, il résulte de ces graphiques que, lorsque, après cette hausse des prix, les membres de l’entente furent convenus de maintenir les prix entre 2,7 et 2,8 DEM par kilo, les prix réellement demandés aux clients se sont situés entre 2,6 et 2,75 DEM par kilo. De même, il résulte de ces graphiques que les prix réellement demandés aux clients ont largement suivi les décisions des membres de l’entente, prises en 1994, de diminuer les prix de l’acide citrique à 2,65 DEM par kilo, quoique à un niveau plus bas pour se situer entre 2,45 et 2,6 DEM par kilo.

184    Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient Jungbunzlauer, il résulte clairement des informations fournies par elle à la Commission au cours de la procédure administrative qu’il y avait un parallélisme permanent entre les prix fixés par les membres de l’entente et ceux réellement pratiqués.

185    Or, dans une telle situation, la Commission pouvait à bon droit invoquer, au considérant 219 de la Décision, l’arrêt Cascades/Commission, point 141 supra (point 179), et considérer qu’il existait une relation directe entre l’évolution des prix annoncés et celle des prix pratiqués pour conclure que, sur la base de ces éléments, il était démontré à suffisance de droit que l’entente avait eu un impact concret sur le marché qui était, au sens des lignes directrices, « mesurable » par comparaison entre le prix hypothétique qui aurait prévalu en l’absence d’entente et le prix appliqué en l’espèce à la suite de la constitution de l’entente.

186    L’objection soulevée par Jungbunzlauer, selon laquelle les prix auraient augmenté même en l’absence d’entente, ne saurait affecter cette conclusion. En effet, même s’il est vrai qu’une telle hypothèse n’est pas exclue, il n’en reste pas moins que la Commission pouvait à juste titre estimer, au considérant 226 de la Décision, que la hausse des prix ne pouvait s’expliquer exclusivement par une réaction purement concurrentielle du marché mais devait être interprétée à la lumière de l’entente ayant permis à ses membres de coordonner l’évolution des prix. Il ne saurait dès lors être soutenu que le niveau des prix en l’absence de l’entente aurait évolué de manière identique à celui des prix pratiqués à la suite de l’entente. Cela est confirmé par la déclaration de Jungbunzlauer elle-même dans sa lettre du 21 mai 1999. S’il ne peut pas être exclu que d’autres raisons que la recherche de l’efficacité de l’entente aient incité ses membres à établir des mécanismes de concertation, d’information et de surveillance, il n’en reste pas moins que, compte tenu notamment des frais d’administration et des risques de détection liés à une telle entente, l’explication fournie par la Commission, à savoir l’optimisation de l’efficacité de l’entente, constitue l’explication la plus plausible (voir point 154 ci-dessus).

187    De même, contrairement à ce que soutient Jungbunzlauer, la Commission pouvait, à bon droit, rejeter, au considérant 227 de la Décision, les réponses fournies par les acheteurs d’acide citrique à sa demande de renseignements du 20 janvier 1998 comme non concluantes.

188    En effet, d’une part, par la question n° 4 de cette demande de renseignements, la Commission cherchait à savoir si les acheteurs avaient constaté des hausses sensibles du prix de l’acide citrique entre 1990 et la date d’envoi de cette demande en 1998. Dans leur réponse, si certains acheteurs ont indiqué qu’ils avaient constaté des hausses de prix au cours de certaines périodes précises qui correspondaient aux hausses convenues dans le cadre de l’entente, d’autres se référaient uniquement à des périodes postérieures à la fin de l’entente en 1995 ou indiquaient avoir constaté une baisse des prix. D’autre part, les autres questions, telles que formulées par la Commission dans sa lettre du 20 janvier 1998, portaient non sur la période concernée par l’entente, mais sur la situation du marché au moment de l’envoi de cette lettre. C’est pour cette raison que les réponses des acheteurs n’étaient pas concluantes au sujet de l’impact concret de l’entente sur le marché.

189    Enfin, le fait, invoqué par Jungbunzlauer que, en 1994, la part totale du marché mondial détenue par les parties concernées soit tombée de 70 % dans la phase initiale de l’entente à 52 % ne permet pas non plus d’infirmer l’existence d’un effet réel de l’entente sur le marché pertinent. En effet, d’une part, ainsi que la Commission l’invoque à juste titre, c’est pour l’essentiel en raison de l’augmentation des prix de l’acide citrique entre 1991 et 1993 qu’elle a conclu à l’existence d’un tel effet sur le marché. D’autre part, en ce qui concerne la période allant de 1993 à 1995, l’effet constaté par la Commission était pour l’essentiel une stabilisation du prix à un niveau plus élevé que celui qui avait prévalu avant l’augmentation, en 1991. Or, le fait que les membres de l’entente ne réunissaient plus que 52 % du marché n’indique pas qu’ils n’étaient pas en mesure, à tout le moins, de favoriser cette tendance de stabilisation du prix.

190    Eu égard à tout ce qui précède, la Commission n’a pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation quant à l’évolution des prix de l’acide citrique.

3.     Sur la violation de l’obligation de motivation

191    Jungbunzlauer fait valoir que la Décision est entachée d’une violation de l’obligation de motivation. Selon elle, la Commission n’a pas indiqué en quoi les accords avaient eu des effets sur le marché, mais s’est contentée de rejeter les preuves contraires fournies par Jungbunzlauer au cours de la procédure administrative, en les déclarant insuffisantes sans apporter la moindre justification. En particulier, Jungbunzlauer reproche à la Commission de ne pas avoir pris position sur les réponses fournies par les différentes entreprises à ses demandes de renseignements alors que la requérante a expressément abordé cet aspect dans sa réponse à la communication des griefs.

192    La Commission estime avoir suffisamment motivé la Décision à cet égard.

193    Le Tribunal observe que, aux considérants 92 à 111 de la Décision, la Commission a décrit de façon précise les accords tels qu’ils avaient été mis en œuvre par les membres de l’entente, y compris, notamment, les accords sur les prix (considérants 95 et 96 de la Décision). En outre, dans la partie relative à l’appréciation juridique des faits, la Commission a analysé ces données. Pour conclure à l’existence d’un impact réel de l’entente sur le marché, elle s’est appuyée sur le fait que les accords avaient été minutieusement appliqués (considérant 212), que le prix de l’acide citrique tel qu’annoncé aux acheteurs avait été appliqué par les membres de l’entente (considérant 213), que les membres de l’entente avaient fixé des quotas de vente dont le respect avait été constamment surveillé ainsi qu’un système de compensation (considérants 214 et 215). Enfin, la Commission a analysé les arguments des parties concernées, dont la requérante, et a fourni une motivation succincte, mais suffisante à cet égard (voir notamment considérants 226 à 228 de la Décision).

194    Il s’ensuit que la Commission a expliqué en quoi, à son avis, l’entente avait eu un impact concret sur le marché de l’acide citrique.

195    Par conséquent, la Décision est suffisamment motivée sur ce point.

B –  Sur l’ajustement du montant de l’amende en fonction de la taille relative des entreprises concernées

1.     Arguments des parties

196    Jungbunzlauer fait valoir que, en procédant, dans le cadre du calcul des amendes en fonction de la gravité de l’infraction, à un ajustement du montant des amendes sur la base de la taille et des ressources globales des entreprises concernées, la Commission n’a pas tenu compte de manière appropriée de la puissance économique très limitée de Jungbunzlauer par rapport aux autres entreprises concernées et a, ce faisant, violé les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, un « principe d’appréciation individuelle des amendes » ainsi que ses propres lignes directrices.

197    Jungbunzlauer indique qu’il ressort des considérants 240 à 246 de la Décision que, pour tenir compte de la taille et des ressources globales des entreprises concernées, la Commission a comparé les chiffres d’affaires mondiaux des entreprises concernées, voire des groupes auxquels celles-ci appartenaient, tels qu’ils ressortent du tableau 3 repris au considérant 50 de la Décision. Sur cette base, Jungbunzlauer rappelle que, afin d’assurer un niveau des amendes suffisamment dissuasif, la Commission a majoré de 100 % le montant de départ des amendes d’ADM et de HLR et de 150 % celui de H & R.

198    Jungbunzlauer fait valoir que, en appliquant cette méthode d’ajustement des montants de l’amende, la Commission aboutit à un résultat absurde, car elle pénalise de façon flagrante plus durement des entreprises nettement plus petites, telles que Jungbunzlauer, et confère aux amendes infligées aux grandes entreprises un effet dissuasif beaucoup moins important.

199    Jungbunzlauer admet que le calcul de l’amende peut impliquer la prise en compte de nombreux facteurs et que la Commission dispose dans le cadre de ce calcul d’une très large marge d’appréciation. Toutefois, en se référant aux arrêts de la Cour du 12 novembre 1985, Krupp/Commission, 183/83, Rec. p. 3609, point 37, du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 121, et arrêt du Tribunal du 14 juillet 1994, Parker Pen/Commission, T‑77/92, Rec. p. II‑549, point 94, elle fait valoir qu’il convient dans ce contexte d’attribuer un rôle essentiel à la puissance économique de l’entreprise concernée.

200    En ce qui concerne, en particulier, l’arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 199 supra, Jungbunzlauer estime que, dans cette affaire, il était question du cas d’une grande entreprise qui avait participé à des accords concernant un produit qui ne représentait qu’une petite partie de son chiffre d’affaires global. Selon Jungbunzlauer, dans cette affaire, en suivant la position qui avait été défendue par la Commission, la Cour a clairement affirmé que la taille et la puissance économique de l’entreprise devaient se refléter de manière adéquate dans l’amende infligée (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 199 supra, point 121). Ainsi, selon Jungbunzlauer, la Cour voulait précisément éviter qu’un grand groupe ne doive payer une amende qui, comparée à sa puissance économique, soit relativement réduite, et ce du seul fait de l’importance réduite du produit concerné dans le chiffre d’affaires global.

201    Or, souligne Jungbunzlauer, cela s’est précisément passé dans la présente affaire, ainsi qu’il résulte de plusieurs comparaisons.

202    Jungbunzlauer souligne que, en l’espèce, comparé à la capacité économique de toutes les entreprises destinataires de la Décision, le montant de départ calculé en fonction de la gravité de l’infraction affecte le groupe Jungbunzlauer beaucoup plus durement que les autres parties concernées.

203    À cet égard, en s’appuyant sur les données résultant des considérants 239 et 246 de la Décision, Jungbunzlauer présente le tableau suivant :

Entreprise

Chiffre d’affaires
global
(en millions d’euros)

Montant de départ (montant
pris en fonction de la gravité
de l’infraction)

(en millions d’euros)

Montant de départ en % du
chiffre d’affaires global

Jungbunzlauer

314

21

6,69

HLR

18 403

42

0,23

ADM


13 936

42

0,30

H & R/Bayer AG


30 971

87,5

0,29

Cerestar/

Cerestar AG


1 693

3,5

0,20


204    Il en résulte, selon Jungbunzlauer, que, bien que le chiffre d’affaires de HLR soit 58,6 fois plus élevé que celui du groupe Jungbunzlauer et qu’ADM réalise un chiffre d’affaires 44,38 fois plus élevé que ledit groupe, l’amende infligée à ces deux entreprises n’a été que doublée dans cette étape spécifique du calcul des amendes. De même, malgré le fait que le chiffre d’affaires du groupe Bayer, auquel H & R appartenait et qui a été retenu par la Commission dans le cadre de l’ajustement des amendes (considérants 243 et 244), est 99,8 fois plus élevé que celui du groupe Jungbunzlauer, l’amende pour H & R a seulement été multipliée par 2,5, ce qui serait d’autant plus étonnant que le groupe Bayer disposait de loin de la part de marché la plus importante de toutes les parties concernées.

205    Or, selon Jungbunzlauer, un tel traitement inégal ne saurait être justifié dès lors que, mise à part leur taille, toutes les entreprises destinataires de la Décision étaient en tous points comparables entre elles en ce qui concerne, notamment, leur contribution à l’infraction et leur position sur le marché.

206    En outre, ce serait à tort que la Commission a rejeté l’argumentation de Jungbunzlauer en invoquant l’importance de sa part de marché de l’acide citrique. En effet, d’une part, elle rappelle que le groupe Jungbunzlauer disposait d’une part de [confidentiel] % du marché de l’acide citrique, mais s’est vu infliger une amende qui était 23 fois plus élevée que celle infligée à H & R, qui pourtant disposait d’une part de marché plus importante (22 %). D’autre part, elle fait valoir que l’importance de la part de marché des différentes entreprises avait déjà été retenue par la Commission dans le cadre d’une étape antérieure du calcul du montant de l’amende, à savoir lors de la classification des entreprises en trois catégories (considérants 233 à 239 de la Décision).

207    Un traitement disproportionné des entreprises plus petites ressortirait également d’une comparaison des montants de départ calculés en fonction de la gravité de l’infraction que la Commission a retenue en ce qui concerne, d’une part, Jungbunzlauer dans la Décision et, d’autre part, d’autres parties dans des affaires similaires ayant donné lieu à des décisions contemporaines à celle attaquée en l’espèce. Jungbunzlauer se réfère à cet égard aux décisions adoptées par la Commission dans les affaires dites « Gluconate de sodium » [décision de la Commission du 2 octobre 2001, concernant une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/36.756 – Gluconate de sodium) (ci-après la « décision Gluconate de sodium »)], « Acides aminés » [décision 2001/418/CE de la Commission, du 7 juin 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 – Acides aminés) (JO L 152, p. 24) (ci-après la « décision Acides aminés »)] et « Vitamines » [décision 2003/2/CE de la Commission, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/37.512 – Vitamines) (JO 2003, L 6, p. 1) (ci-après la « décision Vitamines »)]. En effet, dans ces affaires, les montants de base retenus par la Commission pour différentes entreprises concernées constituaient, en pourcentage des chiffres d’affaires globaux réalisés par celles-ci, dans l’affaire Gluconate de sodium, entre 0,04 et 0,58 %, dans l’affaire Acides aminés, entre 0,24 et 1,59 % et, dans l’affaire Vitamines, entre 0,7 et 2,0 % alors que ce même pourcentage serait pour elle, en ce qui concerne le cas d’espèce, de 6,69 %.

208    Jungbunzlauer compare également les montants des amendes retenus dans la Décision avant réduction pour coopération (considérants 293 et 326 de la Décision) à son endroit avec ceux infligés par la Décision à HLR et à ADM en tant que pourcentage des chiffres d’affaires globaux de ces entreprises. À cet égard, relève Jungbunzlauer, comparé à la puissance des entreprises respectives exprimée en chiffre d’affaires global (voir point 203 ci-dessus), le montant de l’amende qui lui a été infligée avant réduction pour coopération (soit 29,4 millions d’euros ou 9,36 % de son chiffre d’affaires global) représente en pourcentage 21,8 fois celui de l’amende infligée à HLR (soit 79,38 millions d’euros ou 0,43 % du chiffre d’affaires global d’HLR) et 16,4 fois celui de l’amende infligée à ADM (soit 79,38 millions d’euros ou 0,57 % du chiffre d’affaires global d’ADM).

209    Jungbunzlauer considère que le caractère disproportionné du montant de l’amende qui lui a été infligée en l’espèce est encore plus flagrant lorsque l’on compare le montant des amendes définitif retenu dans la Décision la concernant avec ceux infligés à HLR et à ADM au titre du pourcentage du chiffre d’affaires global de ces entreprises. En effet, relève Jungbunzlauer, comparé à la puissance des entreprises respectives exprimée en chiffre d’affaires global (voir point 203 ci-dessus), le montant définitif de l’amende qui lui a été infligée (17,64 millions d’euros) représente 16 fois celui de l’amende infligée à HLR (63,5 millions d’euros) et 20 fois celui de l’amende infligée à ADM (39,69 millions d’euros).

210    En outre, Jungbunzlauer compare également les montants définitifs des amendes retenus dans la Décision la concernant avec ceux infligés dans les décisions « Gluconate de sodium », « Acides aminés » et « Vitamines » ainsi que dans l’affaire Sun-Air/SAS et Maersk Air [décision 2001/726/CE de la Commission, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP.D.2 37.444 – SAS/Maersk Air et affaire COMP.D.2 37.386 – Sun-Air contre SAS et Maersk Air) (JO L 265, p. 15)]. Selon Jungbunzlauer, il en ressort que, comparé à la puissance des entreprises respectives exprimée en chiffre d’affaires global, le montant définitif de l’amende infligée à ces autres entreprises représentait seulement entre 0,06 et 2,61 % de leur chiffre d’affaires.

211    Eu égard à tout ce qui précède, Jungbunzlauer est d’avis que, dans la partie de son calcul du montant des amendes destinée à assurer un caractère suffisamment dissuasif à celles-ci, la Commission aurait dû corriger à la baisse le montant de départ à retenir à l’encontre du groupe Jungbunzlauer.

212    La Commission rejette l’argumentation de la requérante.

2.     Appréciation du Tribunal

a)     Introduction

213    Selon une jurisprudence bien établie, la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire et son contexte, et ce sans qu’une liste contraignante ou exhaustive des critères devant obligatoirement être pris en compte ait été établie (ordonnance SPO e.a./Commission, point 136 supra, point 54 ; arrêts Ferriere Nord/Commission, point 136 supra, point 33, et HFB e.a./Commission, point 136 supra, point 443).

214    De même, il est de jurisprudence constante que, parmi les éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction, peuvent, selon les cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché pertinent. D’une part, il s’ensuit qu’il est loisible, en vue de la détermination du montant de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, lequel constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de sa taille et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient de la vente des marchandises faisant l’objet de l’infraction qui est de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. D’autre part, il en résulte qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation, de sorte que la fixation du montant approprié d’une amende ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global (voir, en ce sens, arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 199 supra, points 120 et 121 ; Parker Pen/Commission, point 199 supra, point 94 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 176 ; Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 177 supra, point 187, et HFB e.a./Commission, point 136 supra, point 444).

215    En l’espèce, la Commission a tenu compte tant du chiffre d’affaires tiré de la vente des produits en cause que du chiffre d’affaires global des entreprises concernées. En effet, après avoir constaté que l’infraction devait être considérée comme « très grave » au sens du point 1 A, deuxième alinéa, des lignes directrices (considérant 230 de la Décision), c’est en fonction de ces deux critères qu’elle a pondéré le montant des amendes au sein de cette catégorie d’infractions très graves pour lesquelles les lignes directrices prévoient des montants « envisageables » de plus de 20 millions d’euros.

216    Il ressort des considérants 233, 234 et 240 de la Décision que la Commission s’est à ce sujet appuyée sur le point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices. En substance, dans ces passages des lignes directrices, la Commission a indiqué que, notamment lorsqu’il s’agit d’une infraction impliquant plusieurs entreprises et qu’il existe une disparité considérable dans la taille des entreprises parties à l’infraction, elle procéderait à un traitement différencié des entreprises concernées pour tenir compte de leur capacité économique réelle à causer un dommage important à la concurrence et pour fixer l’amende à un niveau qui lui assure un effet suffisamment dissuasif.

217    Ainsi, d’une part, en s’appuyant sur le chiffre d’affaires des parties concernées tiré de la vente des produits en cause, la Commission les a classées en trois catégories. L’objectif de cette modulation était, ainsi que la Commission l’indique au considérant 234 de la Décision, de tenir compte de l’effet réel du comportement de chacune des parties concernées sur la concurrence. En cela, la Commission poursuivait également un but de dissuasion en ce qu’elle mettait au grand jour le fait qu’elle pénaliserait plus largement les entreprises qui avaient participé à un cartel sur un marché sur lequel elles avaient eu un poids important.

218    Dans ce contexte, la requérante ayant, sur le marché mondial de l’acide citrique, une part moyenne, la Commission l’a classée dans la seconde catégorie d’entreprises, pour lesquelles elle a fixé un montant de départ de 21 millions d’euros.

219    D’autre part, en s’appuyant sur le chiffre d’affaires global des parties concernées, elle a estimé approprié d’ajuster le montant de départ des amendes pour trois d’entre elles au motif que leur taille et leurs ressources globales étaient telles que, sans une augmentation de ces montants, l’amende n’aurait pas d’effet dissuasif, étant donné qu’elle constituerait une fraction beaucoup trop faible du chiffre d’affaires global des parties concernées.

220    C’est uniquement sur cette étape précise du calcul de l’amende, décrite au point précédent, que porte la critique formulée par la requérante. Elle relève, en substance, que, en se limitant à multiplier par un coefficient de 2, voire de 2,5, le montant de départ de l’amende pour les membres de l’entente qui constituent ou font partie de grands groupes multinationaux, mais en omettant de diminuer en même temps le montant de départ de l’amende pour des entreprises nettement plus petites, la Commission a commis une discrimination à l’égard de ces dernières par rapport aux premières. Sans être contredite sur ce point, la requérante déduit à cet égard des considérants de la Décision que le montant de base de l’amende qui lui a été infligée en fonction de la gravité de l’infraction représente 6,69 % de son propre chiffre d’affaires global, alors que ce montant fixé pour les grands groupes multinationaux (à savoir, en l’espèce, HLR, ADM et Bayer auquel appartient H & R) s’élève à entre 0,23 et 0,30 % de leur chiffre d’affaires global respectif, même après application du coefficient multiplicateur destiné à tenir compte de la taille et des ressources globales de ces dernières entreprises.

221    Dans ce contexte, la requérante invoque trois moyens, tirés de la violation, premièrement, d’un « principe d’appréciation individuelle des amendes » et des lignes directrices, deuxièmement, du principe de proportionnalité et, troisièmement, du principe d’égalité de traitement.

b)     Sur les griefs tirés de la violation d’un « principe d’appréciation individuelle des amendes » et des lignes directrices

222    En ce que la requérante invoque la violation d’un « principe d’appréciation individuelle des amendes » et des lignes directrices, elle soutient, en substance, que la Commission avait l’obligation de fixer les amendes sur la base du pourcentage du chiffre d’affaires global de chaque entreprise concernée.

223    Or, il convient de rappeler que le Tribunal a déjà jugé à plusieurs reprises que, sur la base des principes énoncés par la jurisprudence constante, il est en effet loisible à la Commission, conformément à ses lignes directrices, de ne pas fixer les amendes en fonction du chiffre d’affaires réalisé par chacune des entreprises concernées sur le marché en cause, mais d’appliquer, comme point de départ de son calcul pour toutes les entreprises concernées, un montant absolu fixé en fonction de la nature même de l’infraction commise, montant qui est ensuite modulé pour chacune des entreprises concernées en fonction de plusieurs éléments (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 51 à 53 ; arrêts du Tribunal LR AF 1998/Commission, point 88 supra, point 281, et du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, points 384, 385, 416 et 437).

224    La requérante ne conteste pas que, en l’espèce, la Commission a appliqué cette méthode, telle que prévue par les lignes directrices.

225    Par conséquent, la requérante ne saurait se prévaloir d’une violation des lignes directrices. S’agissant de la violation du prétendu « principe d’appréciation individuelle des amendes », il suffit d’observer que la requérante n’a pas précisément défini ce principe et que ce principe n’a pas été expressément reconnu par la jurisprudence. Partant, l’invocation de ce principe par la requérante ne peut, en soi, remettre en cause la validité de la Décision. Il convient, dès lors, de rejeter les arguments de la requérante en ce qui concerne la violation tant des lignes directrices que d’un prétendu « principe d’appréciation individuelle des amendes ».

c)     Sur la violation du principe de proportionnalité

226    Le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché (arrêts du Tribunal du 19 juin 1997, Air Inter/Commission, T‑260/94, Rec. p. II‑997, point 144, et la jurisprudence y citée, et du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98, Rec. p. II‑4653, point 201).

227    Dans le contexte du calcul des amendes, il ressort d’une jurisprudence constante que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments et qu’il ne faut attribuer à aucun de ces éléments une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation (voir points 213 et 214 ci-dessus).

228    Le principe de proportionnalité implique dans ce contexte que la Commission doit fixer l’amende proportionnellement aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction et qu’elle doit à ce sujet appliquer ces éléments de façon cohérente et objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 106 ; CMA CGM e.a./Commission, point 223 supra, points 416 à 418, et du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 1541).

229    En l’espèce, après avoir déterminé que l’infraction constituait, par sa nature, une infraction très grave passible d’une amende de plus de 20 millions d’euros, la Commission a procédé à une pondération du montant de départ de l’amende. Pour ce faire, elle a pris en compte, conformément à la jurisprudence citée au point 214 ci-dessus, d’une part, le volume et la valeur des produits faisant l’objet de l’infraction pour chaque entreprise en cause donnant une indication de l’ampleur de l’infraction commise par ces entreprises sur le marché des produits en question et, d’autre part, la taille et la puissance économique de chacune des entreprises en cause. Même si la Commission a tenu compte de ces deux critères au sein d’une même opération de calcul, il s’agit de deux critères distincts. Il y a dès lors lieu d’examiner de façon séparée si la Commission a attribué une importance disproportionnée à l’un de ces deux critères.

230    Premièrement, en fixant le montant de départ à un niveau plus élevé pour les entreprises ayant une part de marché relativement plus importante que les autres sur le marché concerné, elle a tenu compte de l’influence effective que l’entreprise exerçait sur ce marché et, partant, de la responsabilité spécifique de l’entreprise pour le maintien de la libre concurrence comme étant un élément subjectif de gravité du comportement des entreprises concernées. En effet, cet élément est l’expression du niveau de responsabilité plus élevé des entreprises ayant une part de marché relativement plus importante que les autres sur le marché concerné pour les dommages causés à la concurrence et, en fin de compte, aux consommateurs en concluant une entente secrète.

231    En l’espèce, en classant la requérante dans la seconde catégorie des entreprises concernées et en fixant, pour cette entreprise, comme point de départ, le même montant que celui retenu pour deux autres entreprises qui, sur ce marché, avaient une part de marché équivalente à celle de la requérante, la Commission n’a pas déterminé de façon disproportionnée ce montant, eu égard à la gravité de l’infraction commise par la requérante et à la nécessité de garantir un effet dissuasif à l’amende au vu de cette gravité. Cette appréciation n’est pas remise en cause par le fait que, en termes de taille globale, ces autres entreprises étaient plus importantes que la requérante. En effet, l’affectation du marché en cause par les agissements de la requérante justifie l’appréciation faite par la Commission à ce stade du calcul de l’amende.

232    Deuxièmement, en appliquant un coefficient multiplicateur à ADM, à HLR et à H & R, la Commission a dûment apprécié la taille et les ressources globales des entreprises concernées, et a ainsi poursuivi l’objectif d’assurer aux amendes un niveau dissuasif.

233    Jungbunzlauer ne peut valablement soutenir que, en raison du principe de proportionnalité, la Commission aurait dû, dans le cadre de cette même opération, baisser le montant de l’amende qui lui avait été infligée dès lors que, en comparant ce montant avec son chiffre d’affaires global, il dépassait les limites de ce qui était approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, à savoir assurer un niveau dissuasif à l’amende.

234    En effet, comme indiqué au point 231 ci-dessus, en fixant le montant de l’amende, la Commission n’a pas pris en compte un montant disproportionné, eu égard à l’ampleur de l’infraction commise par la requérante sur le marché des produits en question. Cette appréciation n’est pas remise en cause par le fait que cette amende représente, en l’espèce, 6,69 % du chiffre d’affaires d’une entreprise concernée.

235    Par conséquent, le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité doit être rejeté.

d)     Sur la violation du principe d’égalité de traitement

236    Le principe d’égalité de traitement s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêts du Tribunal BPB de Eendracht/Commission, point 88 supra, point 309, et la jurisprudence y citée, et du 13 janvier 2004, JCB Service/Commission, T‑67/01, Rec. p. II‑49, point 187).

237    En l’espèce, la Commission ne conteste pas que la requérante s’est trouvée dans une situation comparable à celle des autres entreprises auxquelles la Commission a imputé la responsabilité de l’infraction, l’objectif de dissuasion valant tout autant pour la requérante que pour les autres entreprises concernées. De même, la Commission ne conteste pas que, en ce qui concerne le rapport entre le montant de l’amende et le chiffre d’affaires des parties concernées, élément dont la Commission a tenu compte pour fixer le montant de l’amende des parties concernées en fonction de la gravité de l’infraction, le montant de base de l’amende tel que fixé pour la requérante en fonction de la gravité de l’infraction représente 6,69 % de son propre chiffre d’affaires global, alors que ce montant fixé pour les grands groupes multinationaux (à savoir, en l’espèce, HLR, ADM et Bayer auquel appartient H & R) est compris entre 0,23 et 0,30 % de leur chiffre d’affaires global respectif, même après application du coefficient multiplicateur destiné à tenir compte de la taille et des ressources globales de ces dernières entreprises.

238    Toutefois, d’une part, à moins de fixer l’amende à un niveau proportionnel au chiffre d’affaires des entreprises concernées, un certain traitement différencié entre les entreprises concernées est inhérent à l’application de la méthode choisie par les lignes directrices afin d’atteindre l’objectif de dissuasion, méthode qui a été considérée comme légale par le juge communautaire (arrêt LR AF 1998/Commission, point 88 supra, point 222).

239    D’autre part, l’appréciation faite par la Commission du caractère proportionné du montant de départ de l’amende n’ayant pas été considérée comme erronée (voir points 226 à 235 ci-dessus), l’argumentation de la requérante revient en réalité à inviter le Tribunal à vérifier la légalité des montants des amendes fixées pour les grandes entreprises avec lesquelles la requérante compare l’amende qui lui a été infligée. Or, la requérante ne peut se prévaloir d’un droit à agir à cet égard. En effet, le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (voir arrêt HFB e.a./Commission, point 136 supra, point 515, et la jurisprudence y citée).

240    Par conséquent, il convient de rejeter le moyen tiré de la violation du principe d’égalité de traitement.

IV –  Sur les circonstances atténuantes

241    Jungbunzlauer soulève des moyens tirés de la violation, premièrement, des lignes directrices et, deuxièmement, de l’obligation de motivation.

A –  Sur la violation des lignes directrices

242    Jungbunzlauer fait valoir que, conformément au point 3, premier et deuxième tirets, des lignes directrices, la Commission aurait dû lui accorder le bénéfice de circonstances atténuantes au titre, d’une part, du rôle exclusivement suiviste de Jungbunzlauer GmbH dans la réalisation de l’infraction et, d’autre part, de la non-application effective de l’entente par Jungbunzlauer GmbH.

1.     Sur le rôle exclusivement suiviste de Jungbunzlauer GmbH dans la réalisation de l’infraction

a)     Arguments des parties

243    Jungbunzlauer considère que, conformément au point 3, premier tiret, des lignes directrices, la Commission aurait dû lui accorder le bénéfice de circonstances atténuantes au titre du rôle exclusivement suiviste de Jungbunzlauer GmbH dans la réalisation de l’infraction. Jungbunzlauer considère que le bénéfice du rôle de « suiveur », notion qui n’est pas définie dans les lignes directrices, ne saurait être exclu pour la seule raison qu’une entreprise respecte, à tout le moins partiellement, les règles de l’entente. Selon elle, ce qui caractérise le rôle de suiveur est que, eu égard à la pression considérable exercée par les autres membres de l’entente, celui-ci participe, dans une mesure la plus réduite possible, à la mise en œuvre des accords en endossant certaines fonctions au sein de l’entente et en participant aux négociations. Toute autre interprétation aurait pour effet que le suiveur risquerait de se voir infliger des sanctions dans le cadre de l’entente et de faire l’objet de mesures de représailles de la part des autres entreprises.

244    Jungbunzlauer fait valoir que, au début de l’entente, Jungbunzlauer GmbH n’avait pas été en mesure de se soustraire aux accords et a été plus ou moins forcée d’adhérer aux accords en 1991. En tant que petit vendeur spécialisé d’acide citrique, l’entreprise aurait couru le risque de se voir exclure du marché par des concurrents plus importants, financièrement beaucoup plus puissants (avec des chiffres d’affaires jusqu’à 58,6 fois celui du groupe Jungbunzlauer) et disposant, contrairement à elle, d’une très large base de production. En outre, Jungbunzlauer soutient que, entre 1991 et 1995, le groupe Jungbunzlauer s’est trouvé dans une situation économique très difficile qui a eu pour effet que Jungbunzlauer GmbH n’aurait pas été en mesure de conserver son indépendance si elle n’avait pas adhéré à l’entente au début de l’année 1991. À cela s’est ajouté le fait, souligne Jungbunzlauer, que 40 % du coût total de la production d’acide citrique résultent du coût des matières premières, notamment du glucose. Or, ce dernier aurait en partie été produit par d’autres membres de l’entente, de sorte que ceux-ci auraient été en mesure d’influencer considérablement les prix de revient des produits à base d’acide citrique de Jungbunzlauer GmbH qui, à l’époque, n’aurait pratiquement pas disposé de sources d’approvisionnement alternatives.

245    Or, Jungbunzlauer critique la position de la Commission qui, selon elle, s’est contentée, aux considérants 282 et 284 de la Décision, de rejeter sommairement ces arguments en invoquant que, à compter de 1994, Jungbunzlauer avait repris la responsabilité de la collecte des données de vente et que son président-directeur général avait présidé les réunions de l’entente. Cela aurait suffi, selon la Commission, à démontrer que Jungbunzlauer « y a[vait] joué un rôle actif allant bien au-delà de ce qu’elle reconnaît » (considérant 284 de la Décision).

246    Jungbunzlauer considère que la Commission a exagéré l’importance de la fonction de président des réunions de l’entente. En effet, ainsi que la Commission l’aurait indiqué au considérant 120 de la Décision, ce rôle était lié à la présidence de l’Association européenne des producteurs d’acide citrique, le représentant de Jungbunzlauer n’ayant repris ce rôle que parce que cela aurait été prévu par les règles de l’entente en vertu d’un système de roulement. Selon Jungbunzlauer, cette fonction se résumait principalement à assurer le bon fonctionnement de la collecte de données et constituait une tâche « ingrate » qui comprenait surtout des aspects administratifs. Cette fonction ne se serait en aucun cas accompagnée d’une possibilité d’influence accrue au sein de l’entente. En outre, en se référant aux arguments invoqués au point 244 ci-dessus, la requérante considère qu’elle n’a pas été en mesure de refuser cette fonction. De plus, ce rôle de président, tel qu’appréhendé par la Commission, serait en contradiction avec le fait que Jungbunzlauer GmbH avait en permanence été critiquée pour ne pas avoir pleinement respecté les accords convenus. Enfin, Jungbunzlauer considère que, dans le contexte des rapports de force économiques décrits au point 244 ci-dessus, le fait qu’une entreprise familiale d’importance moyenne comme le groupe Jungbunzlauer ait pu imposer une quelconque mesure aux autres membres de l’entente apparaît comme peu réaliste.

247    Jungbunzlauer estime que la reprise de la fonction de président des réunions de l’entente pourrait, tout au plus, prouver que Jungbunzlauer n’a eu un rôle important au sein de l’entente qu’à partir de 1994, c’est-à-dire en ce qui concerne la dernière année de la période retenue par la Commission. En revanche, cette circonstance ne serait en aucun cas susceptible de contredire les arguments invoqués aux points 243 et 244 ci-dessus. La reprise d’une telle fonction environ trois ans plus tard n’exclurait absolument pas que, en 1991, Jungbunzlauer GmbH ait été contrainte à s’associer à l’entente.

248    De même, selon Jungbunzlauer, c’est à tort que la Commission invoque le fait qu’elle était régulièrement présente aux réunions de l’entente en la personne de ses dirigeants. Elle fait en effet valoir que, d’une part, cela n’aurait pas été le cas en ce qui concerne MM. R. et H. et, d’autre part, une entreprise relativement petite comme Jungbunzlauer se caractérise par une hiérarchie « peu dessinée ». En ce que la Commission relève, au considérant 122 de la Décision et dans son mémoire en défense, que Jungbunzlauer avait un rôle de « porte-parole » dans le cadre d’une action de l’entente contre les producteurs chinois, elle fait valoir qu’il ne s’agissait que de la préparation d’une plainte antidumping auprès de la Commission, ce qui constitue un moyen légitime de se défendre contre des distorsions de concurrence provoquées par des importations inférieures au prix de revient et non une violation de l’article 81 CE.

249    Enfin, Jungbunzlauer reproche à la Commission de s’être approprié l’argumentation de deux membres de l’entente au cours de la procédure administrative, à savoir H & R et HLR, résumée aux considérants 279 à 281 de la Décision. À cet égard, elle fait valoir, premièrement, que les affirmations de ces deux entreprises sont inexactes, deuxièmement, qu’elles n’ont pas de valeur probante, car il s’agit de déclarations de coïnculpés qui, naturellement, cherchent à rejeter la contribution principale à l’infraction sur d’autres entreprises et, troisièmement, que la Commission n’a pas évoqué ces affirmations dans la communication des griefs de sorte que, en les invoquant dans la Décision, celle-ci a violé ses droits de la défense (voir, en ce qui concerne ce troisième élément, point 336 ci-après).

250    La Commission rejette l’argumentation de la requérante.

b)     Appréciation du Tribunal

251    Au point 3, premier tiret, des lignes directrices, il est précisé qu’une diminution du montant de l’amende au titre des circonstances atténuantes est accordée si, par exemple, l’entreprise concernée a joué un « rôle exclusivement passif ou suiviste dans la réalisation de l’infraction ».

252    À cet égard, il ressort de la jurisprudence (arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. I‑1181, point 331) que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d’une entreprise au sein d’une entente, peuvent être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de sa participation aux réunions par rapport à celles des autres membres de l’entente (arrêt BPB de Eendracht/Commission, point 88 supra, point 343) de même que son entrée tardive sur le marché ayant fait l’objet de l’infraction, indépendamment de la durée de sa participation à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, point 100), ou encore l’existence de déclarations expresses en ce sens émanant de représentants d’entreprises tierces ayant participé à l’infraction (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Weig/Commission, T‑317/94, Rec. p. II‑1235, point 264). Par ailleurs, le Tribunal a jugé que le « rôle exclusivement passif » d’un membre d’un cartel implique l’adoption par celui-ci d’un « profil bas », c’est-à-dire une absence de participation active à l’élaboration du ou des accords anticoncurrentiels (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 167).

253    Dans la Décision, la Commission, tout en ne qualifiant pas Jungbunzlauer de meneur, conteste que celle-ci ait joué un rôle passif ou suiviste, eu égard au fait que, à compter de 1994, Jungbunzlauer avait repris la responsabilité de la collecte des données sur les ventes et que son président-directeur général avait présidé les réunions de l’entente (considérant 284 de la Décision).

254    En l’espèce, la requérante ne peut, en premier lieu, valablement soutenir avoir été contrainte de participer à l’entente pour réclamer le bénéfice de circonstances atténuantes. En effet, à supposer même qu’il soit établi que les autres membres de l’entente aient exercé des pressions économiques sur Jungbunzlauer GmbH afin que celle-ci souscrive aux accords de l’entente, il n’en reste pas moins que, une fois qu’elle a adhéré à l’entente, celle-ci s’est conformée aux décisions des membres de l’entente sans adopter de rôle exclusivement passif ou suiviste dans la réalisation de l’infraction. Or, dans ses lignes directrices, la Commission souligne que seul un rôle « exclusivement » passif ou suiviste peut donner lieu à une réduction du montant de l’amende. Il ne suffit donc pas que, pendant certaines périodes de l’entente, ou à l’égard de certains accords de l’entente, l’entreprise concernée ait adopté un « profil bas ».

255    En deuxième lieu, cette conclusion est confirmée par le fait que Jungbunzlauer a, de façon régulière, participé aux réunions de l’entente.

256    En troisième lieu, la requérante ne peut valablement invoquer les difficultés économiques qu’elle a rencontrées au cours de la période concernée par l’entente. En effet, c’est justement en raison des difficultés rencontrées par tous les opérateurs sur le marché de l’acide citrique à la fin des années 80 que certains d’entre eux, y compris la requérante, ont décidé d’adopter un comportement anticoncurrentiel. Or, en règle générale, les cartels comme ceux du cas d’espèce naissent au moment où un secteur connaît des difficultés (voir, en ce sens, arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 252 supra, point 345).

257    En quatrième lieu, c’est à tort que la requérante estime que le rôle de président des réunions de l’entente impliquait uniquement des tâches administratives et ne lui conférait aucune influence accrue au sein de l’entente. En effet, il est constant que convoquer des réunions, proposer un ordre du jour, distribuer des documents préparatoires en vue des réunions est incompatible avec un rôle passif de suiveur adoptant un profil bas. De telles initiatives révèlent une attitude favorable et active de la requérante concernant l’élaboration, la continuation et le contrôle de l’entente. C’est également à tort que la requérante minimise le fait que le président-directeur général de Jungbunzlauer a lui-même participé aux réunions de l’entente, étant donné l’absence, au sein de cette entreprise, de structure hiérarchique équivalente à celle des autres membres de l’entente. En effet, même à supposer ces éléments établis, ils pourraient tout au plus être invoqués pour démontrer que la requérante n’avait pas de rôle de meneur au sein de l’entente, mais ils ne sont pas de nature à établir que le rôle de la requérante était « exclusivement passif ou suiviste ». Or, il est constant que la Commission n’a pas estimé que la requérante était l’un des meneurs de l’entente.

258    Par conséquent, la Commission n’a pas violé ses lignes directrices en refusant d’octroyer à la requérante le bénéfice de circonstances atténuantes au titre du rôle exclusivement passif ou suiviste qu’aurait joué Jungbunzlauer GmbH dans la réalisation de l’infraction.

2.     Sur la non-application effective de l’entente par Jungbunzlauer GmbH

a)     Arguments des parties

259    Jungbunzlauer considère que, conformément au point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, la Commission aurait dû lui accorder le bénéfice de circonstances atténuantes au titre de la non-application effective de l’entente par Jungbunzlauer GmbH. Jungbunzlauer fait valoir que, bien que les représentants de Jungbunzlauer GmbH aient régulièrement assisté aux réunions, Jungbunzlauer GmbH a mené une politique commerciale autonome et orientée sur la concurrence. En outre, plus que toute autre entreprise participant à l’entente, Jungbunzlauer GmbH se serait, de manière conséquente et durant une période relativement longue, soustraite à la tentative des autres membres de l’entente de « discipliner » sa politique en matière de conditions de vente et de prix.

260    En premier lieu, Jungbunzlauer fait valoir que, ainsi qu’il ressort du considérant 72 de la Décision, le comportement de Jungbunzlauer GmbH sur le marché, jusqu’en 1990, a été à l’origine de la baisse des prix de l’acide citrique en Europe ce qui, en fin de compte, a provoqué la constitution de l’entente. En effet, elle relève que, entre 1970 et 1990, Jungbunzlauer GmbH a multiplié ses ventes d’acide citrique par 30, alors que, sur la même période, le volume du marché aurait augmenté d’à peine 96 %. Ces gains de parts de marché auraient été effectués au détriment des gros vendeurs d’acide citrique établis sur le marché. L’entente s’est dès lors avérée être un moyen, notamment, de la soumettre à une discipline commune, ainsi qu’il résulterait de la description de la première réunion de l’entente à Bâle, le 6 mars 1991, figurant dans sa réponse à la communication des griefs. Le déroulement de cette première réunion prouverait que les accords étaient, dès le départ, contraires aux intérêts économiques de Jungbunzlauer GmbH.

261    En deuxième lieu, Jungbunzlauer fait valoir que, pendant toute la durée de l’entente, Jungbunzlauer GmbH a perturbé considérablement le travail de l’entente et a réduit les effets de celle-ci sur le marché. Ainsi, bien qu’elle ait participé à la plupart des réunions de l’entente, Jungbunzlauer GmbH aurait été perçue par les autres membres de l’entente comme un « trouble-fête ».

262    Jungbunzlauer indique que, pendant la première phase de l’entente, qui s’est étendue du mois de mars 1991 à la première moitié de l’année 1993 (considérant 90 de la Décision), Jungbunzlauer GmbH a principalement tenté de limiter l’efficacité de l’entente. Son principal souci aurait été d’éviter la mise en place d’un mécanisme de compensation visant à sanctionner des violations de quotas. Cela serait démontré par le comportement des représentants de Jungbunzlauer GmbH au cours de la réunion tenue à Jérusalem en mai 1992, ainsi qu’elle l’avait déjà décrit dans sa lettre du 29 avril 1999, dans sa déclaration du 21 mai 1999 intervenue au titre de la communication sur la coopération et dans sa réponse à la communication des griefs.

263    En ce qui concerne la seconde phase de l’entente, qui s’est étendue de la seconde moitié de l’année 1993 au mois de mai 1995 (considérant 91 de la Décision), Jungbunzlauer invoque que les parties concernées ont eu de plus en plus de mal à faire respecter les prix convenus. Elle soutient que, outre les importations en provenance de Chine, c’était Jungbunzlauer GmbH qui, du fait de sa tentative de quitter l’entente, était la principale responsable de cet état de choses.

264    En effet, selon Jungbunzlauer, ainsi qu’il ressort du considérant 117 de la Décision, dès le début de l’année 1993, des désaccords croissants sont apparus entre les membres de l’entente, et Jungbunzlauer GmbH a été identifiée comme en étant la principale responsable, car celle-ci ne respectait plus les accords et refusait, selon les autres membres de l’entente, de se soumettre à la discipline. Cela serait également confirmé par le procès-verbal d’audition du FBI concernant la réunion de Chicago du mois de mars 1993. De même, elle fait valoir que, ainsi qu’elle l’avait déjà déclaré à la Commission dans sa lettre du 29 avril 1999, dans sa déclaration du 21 mai 1999 au titre de la communication sur la coopération et dans sa réponse à la communication des griefs, et ainsi qu’il résulterait également des déclarations d’autres membres de l’entente et du procès-verbal du FBI, annexés à la réponse à la communication des griefs, au cours de différentes réunions de l’entente intervenues entre 1993 et 1995, Jungbunzlauer GmbH a été critiquée par les autres membres de l’entente pour s’être opposée à des mesures anticoncurrentielles et pour ne pas avoir appliqué certains des accords convenus. Enfin, au début de l’année 1995, l’exclusion de Jungbunzlauer GmbH de l’entente aurait même été envisagée et, étant donné qu’aucune solution n’avait pu être trouvée, les activités de l’entente ont pris fin au cours d’une réunion le 22 mai 1995.

265    En troisième lieu, Jungbunzlauer considère que la non-application effective des accords par Jungbunzlauer GmbH apparaît également au regard des prix pratiqués par cette société. Elle se réfère en effet à quatre graphiques qu’elle avait transmis à la Commission dans le cadre de sa réponse à la communication des griefs, dans lesquels elle avait comparé les prix cibles de l’entente avec ceux que Jungbunzlauer GmbH appliquait effectivement sur le marché. Il en résulte, à son avis, que les offres de Jungbunzlauer GmbH se situaient, en règle générale, en deçà des prix cibles et que cette dernière a, de ce fait, « violé », dans une large mesure, les prix fixés par l’entente et pas uniquement de façon ponctuelle. Contrairement à ce que soutient la Commission, Jungbunzlauer estime que ces graphiques ne font pas apparaître un parallélisme entre les prix cibles et ceux effectivement pratiqués par Jungbunzlauer GmbH.

266    La Commission rejette l’argumentation invoquée par la requérante.

b)     Appréciation du Tribunal

267    Au point 3, deuxième tiret, des lignes directrices, il est précisé qu’une diminution du montant de l’amende au titre des circonstances atténuantes est accordée, par exemple, dans le cas de la non-application effective des accords.

268    À cette fin, il importe de vérifier si les circonstances avancées par la requérante sont de nature à établir que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché (voir, en ce sens, arrêts Cimenteries CBR e.a./Commission, point 141 supra, points 4872 à 4874, et Cheil Jedang/Commission, point 252 supra, point 192).

269    Il est de jurisprudence constante que le fait qu’une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents en matière de prix est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d’une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l’amende à infliger. En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d’utiliser l’entente à son profit (arrêts Cascades/Commission, point 141 supra, point 230, et Cheil Jedang/Commission, point 252 supra, point 190).

270    En tout état de cause, en l’espèce, il a déjà été jugé aux points 183 et 184 ci-dessus qu’il y avait effectivement un certain parallélisme entre les prix fixés par l’entente et ceux pratiqués par la requérante, même si ces derniers étaient en règle générale plus bas que les premiers. Dans une telle situation, la requérante ne peut valablement faire valoir à décharge que l’entente aurait été contraire à ses intérêts économiques, qu’elle a perturbé le travail de l’entente et réduit l’efficacité de celle-ci et qu’elle a, en règle générale, facturé des prix se situant en deçà des prix convenus.

271    Par conséquent, la Commission n’a pas violé ses lignes directrices en refusant d’octroyer à la requérante le bénéfice de circonstances atténuantes au titre de la non-application effective de l’entente par Jungbunzlauer GmbH.

B –  Sur la violation de l’obligation de motivation

272    Jungbunzlauer considère, en substance, que la Décision n’est pas suffisamment motivée en ce qui concerne tant la non-application effective des accords que son rôle suiviste au sein de l’entente, étant donné que la Commission a omis de prendre position sur les différents arguments invoqués par elle au cours de la procédure administrative.

273    La Commission conclut au rejet du moyen.

274    Le Tribunal rappelle la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus et constate que, au considérant 284 de la Décision, la Commission a considéré que « [l]e simple fait que, à compter de 1994, cette société ait repris la responsabilité de la collecte des données sur les ventes et que son [président-directeur général] ait présidé les réunions de l’entente suffi[sai]t à démontrer qu’elle y a[vait] joué un rôle actif allant bien au-delà de ce qu’elle reconnaît ».

275    Par ailleurs, aux considérants 218 et 219 de la Décision, la Commission a apprécié et rejeté l’affirmation de la requérante selon laquelle celle-ci n’aurait pas joué un rôle actif au sein de l’entente et n’aurait pas mis en œuvre ses décisions.

276    En outre, en ce qui concerne l’absence de mise en œuvre des accords, au considérant 285 de la Décision, la Commission s’est référée à son analyse comprise aux considérants 212 à 218 de cette même Décision, où elle a exposé de façon détaillée la mise en œuvre des accords de l’entente par les parties concernées quant aux prix de l’acide citrique, aux quotas et aux mécanismes de compensation.

277    Par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, la Décision est suffisamment motivée à ce sujet.

V –  Sur l’absence de prise en compte des amendes infligées dans d’autres États

A –  Arguments des parties

278    Jungbunzlauer considère que, en refusant de tenir compte des amendes déjà infligées dans le cadre de procédures diligentées aux États-Unis et au Canada pour infraction aux règles de concurrence de ces pays et de réduire le montant de l’amende infligée dans la Décision en fonction de cette circonstance, la Commission a excédé les limites de son pouvoir d’appréciation.

279    Jungbunzlauer relève que, dans le cadre de la procédure diligentée aux États-Unis, le groupe Jungbunzlauer a conclu, en 1997, une transaction judiciaire (Plea Agreement) avec les autorités de la concurrence de ce pays, dans laquelle elle s’est engagée à payer une amende s’élevant à 11 millions de dollars des États-Unis (USD). Or, selon les termes de cette transaction, l’engagement porterait non seulement sur la partie des accords qui concernait le marché des États-Unis, mais aussi sur les parties des accords qui étaient censées être mises en œuvre dans des pays tiers. En effet, aux points 2 et 4, sous b), de cette transaction, les autorités américaines ont tenu compte, dans le calcul de l’amende, du fait qu’il s’agissait d’une entente au niveau mondial (« aux États-Unis et ailleurs »). Jungbunzlauer ajoute que, dans ce contexte, les autorités américaines ont, pour la première fois, infligé une amende beaucoup plus élevée en se référant, notamment, au caractère international des accords. Dès lors, la procédure engagée aux États-Unis porterait également sur tous les accords et tous les actes des entreprises concernées en vue de la mise en œuvre de ces derniers dans la mesure où ils concernaient le marché européen. Les opérations décrites dans la communication des griefs et leurs répercussions sur le marché européen auraient, dès lors, déjà été sanctionnées par une amende.

280    De même, Jungbunzlauer invoque le fait que les autorités du Canada compétentes en matière de concurrence ont, elles aussi, engagé une procédure susceptible d’aboutir à l’imposition d’une amende au titre du droit des ententes sur la base des mêmes accords. Dans une transaction judiciaire (Plea Agreement) datant de 1998, le groupe Jungbunzlauer aurait accepté de payer une amende de 2 millions de dollars canadiens (CAD) (soit 1,2 million d’euros) afin de mettre fin à la procédure ouverte par les autorités canadiennes sur la base de ces mêmes accords.

281    Dans ce contexte, Jungbunzlauer admet, tout d’abord, que le principe ne bis in idem ne s’applique pas en tant que tel en l’espèce, dès lors qu’il s’agit de relations entre des dispositions pénales communautaires et nationales. Toutefois, selon Jungbunzlauer, en vertu du principe général d’équité, reconnu en tant que tel par le juge communautaire (arrêts de la Cour du 13 février 1969, Wilhelm e.a., 14/68, Rec. p. 1, point 11, et du Tribunal du 6 avril 1995, Sotralentz/Commission, T‑149/89, Rec. p. II‑1127, point 29), la Commission aurait dû tenir compte en l’espèce de l’idée qui sous-tend le principe ne bis in idem. Jungbunzlauer souligne que, en l’espèce, il s’agit d’un marché mondial sur lequel les accords de l’entente ont eu des répercussions internationales et que les autorités des États-Unis et du Canada ont infligé des amendes pour les mêmes faits que la Commission. Ainsi, à son avis, une sanction infligée par les autorités d’un État tiers doit influencer le calcul de l’amende de la Commission, à tout le moins lorsque celle-ci et les autorités de l’État tiers en question ont à connaître des mêmes faits. Dans la littérature spécialisée, cette conception serait partagée par de nombreux auteurs, y compris certains anciens fonctionnaires de la Commission. De plus, selon Jungbunzlauer, l’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer/Commission (7/72, Rec. p. 1281, point 3), la Cour a envisagé le fait de tenir compte d’amendes infligées dans des États tiers lorsque les faits reprochés sont identiques. Dans cet arrêt, la Cour aurait estimé que, lors de la fixation du montant des amendes, il ne fallait pas tenir compte des amendes étrangères déjà infligées pour la seule et unique raison que les faits n’étaient pas identiques. Cela démontrerait qu’une telle prise en considération s’impose lorsque les faits sont identiques.

282    Ensuite, Jungbunzlauer fait valoir que plusieurs des objectifs poursuivis par l’imposition d’une amende, dont, notamment, la dissuasion et la suppression de l’enrichissement, avaient déjà été atteints du fait des sanctions infligées dans les pays tiers. Dans ce contexte, Jungbunzlauer insiste plus particulièrement sur le fait que, dans le cadre des procédures répressives tant aux États-Unis qu’au Canada, elle a été, en raison des ressources limitées dont elle dispose, autorisée à s’acquitter du paiement de l’amende en versements échelonnés sur plusieurs années. Le groupe Jungbunzlauer aurait, dès lors, déjà vu sa capacité économique lourdement affectée par les amendes considérables qui lui ont été infligées aux États-Unis et au Canada. Par conséquent, la prise en considération des amendes déjà infligées s’imposerait même du point de vue des objectifs visés par l’imposition d’une amende.

283    Enfin, selon Jungbunzlauer, la Commission objecte à tort que les autorités des États-Unis et du Canada n’ont pas compétence pour infliger des amendes pour des restrictions de la concurrence sur le territoire de la Communauté dès lors qu’il ressort du texte de la transaction conclue avec les autorités américaines que celles-ci ne se sont pas limitées aux répercussions sur le marché de ce pays.

284    La Commission conclut au rejet du moyen.

B –  Appréciation du Tribunal

285    Il convient de rappeler que le principe ne bis in idem interdit de sanctionner une même personne plus d’une fois pour un même comportement illicite afin de protéger un même intérêt juridique. L’application de ce principe est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir l’identité des faits, l’identité du contrevenant et l’identité d’intérêt juridique protégé (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 132 supra, point 338).

286    La jurisprudence communautaire a ainsi admis qu’une entreprise peut valablement faire l’objet de deux procédures parallèles pour un même comportement illicite et donc de deux sanctions distinctes, l’une par l’autorité compétente de l’État membre en cause, l’autre communautaire, dans la mesure où lesdites procédures poursuivent des fins distinctes et qu’il n’y a pas d’identité entre les normes enfreintes (arrêt Wilhelm e.a., point 281 supra, point 11 ; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T‑141/89, Rec. p. II‑791, point 191, et Sotralentz, point 281 supra, point 29).

287    Il s’ensuit que le principe ne bis in idem ne peut, à plus forte raison, trouver à s’appliquer dans un cas comme celui de l’espèce où les procédures diligentées et les sanctions infligées par la Commission, d’une part, et par les autorités américaines et canadiennes, d’autre part, ne poursuivent pas, à l’évidence, les mêmes objectifs. En effet, si dans le premier cas, il s’agit de préserver une concurrence non faussée sur le territoire de l’Union européenne ou dans l’EEE, la protection recherchée dans le second cas concerne le marché américain ou canadien (voir, en ce sens, arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 252 supra, point 134, et la jurisprudence y citée). La condition de l’identité d’intérêt juridique protégé, nécessaire pour que trouve à s’appliquer le principe ne bis in idem, fait ainsi défaut.

288    Partant, le Tribunal estime que le principe ne bis in idem ne s’applique pas en l’espèce. Cela rejoint l’appréciation de Jungbunzlauer mentionnée au point 281 ci-dessus.

289    Jungbunzlauer estime cependant que, nonobstant l’absence d’application du principe ne bis in idem, la Commission devait tenir compte, lors de la détermination de l’amende, des amendes infligées par les autorités américaines et canadiennes qui ont eu à connaître des mêmes faits. Selon Jungbunzlauer, une telle exigence découlerait tant du principe d’équité que de la réalisation des objectifs d’une amende que sont la dissuasion et la disparition de l’enrichissement.

290    S’agissant du principe d’équité, le Tribunal rappelle que la possibilité d’un cumul de sanctions, l’une communautaire, l’autre nationale, à la suite de deux procédures parallèles dont l’admissibilité résulte du système particulier de répartition des compétences entre la Communauté et les États membres en matière d’ententes étant donné la poursuite de fins distinctes, est soumise à une exigence d’équité. Cette exigence d’équité implique que, en fixant le montant des amendes, la Commission est obligée de tenir compte des sanctions qui auraient déjà été supportées par la même entreprise pour le même fait, lorsqu’il s’agit de sanctions infligées pour des infractions au droit des ententes d’un État membre et, par conséquent, commises sur le territoire communautaire (arrêts Wilhelm e.a., point 281 supra, point 11, Tréfileurope/Commission, point 286 supra, point 191, et Sotralentz, point 281 supra, point 29).

291    Toutefois, l’obligation, selon cette jurisprudence, de prendre en compte l’exigence d’équité résulte, d’une part, de l’étroite interdépendance des marchés nationaux des États membres et du marché commun et, d’autre part, du système particulier de répartition des compétences entre la Communauté et les États membres en matière d’ententes sur un même territoire.

292    Or, en l’espèce, ces éléments font défaut et il ne saurait donc, sur cette base, être reproché à la Commission d’avoir méconnu cette obligation.

293    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’arrêt Boehringer/Commission, point 281 supra, invoqué par Jungbunzlauer. En effet, dans cette affaire, la Cour n’a pas indiqué que la Commission devait imputer une sanction infligée par les autorités d’un État tiers dans l’hypothèse où les faits retenus contre une entreprise par la Commission et par lesdites autorités seraient identiques, mais s’est limitée à indiquer que cette question devrait être tranchée quand elle surviendrait (arrêt Boehringer/Commission, point 281 supra, point 3).

294    En l’espèce, quand bien même il conviendrait de considérer que le principe d’équité contraint la Commission à tenir compte des sanctions infligées par les autorités des États tiers lorsque les faits retenus contre une entreprise par la Commission sont identiques à ceux retenus par une autorité d’un État tiers à l’encontre de cette même entreprise, force est de constater que Jungbunzlauer reste en défaut de démontrer que les autorités américaines et canadiennes ont visé des applications ou des effets de l’entente autres que ceux concernant leur territoire respectif.

295    En effet, la simple référence, dans la transaction conclue avec les autorités américaines, au fait que l’entente avait trait « aux États-Unis et ailleurs » ne démontre pas que, lors du calcul du montant de l’amende, les autorités américaines aient tenu compte des applications ou des effets de l’entente autres que ceux concernant le territoire américain, et en particulier dans l’EEE (voir, en ce sens, arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 252 supra, point 143). Une telle application serait d’ailleurs susceptible d’empiéter sur la compétence territoriale de la Commission.

296    De même, en ce qui concerne la transaction conclue avec les autorités canadiennes, Jungbunzlauer reste en défaut de fournir la preuve du fait que, lors de la détermination du montant de l’amende, ces autorités aient visé des applications ou des effets de l’entente autres que ceux concernant le territoire canadien, et en particulier dans l’EEE.

297    S’agissant de l’effet dissuasif des amendes déjà infligées et de la disparition de l’enrichissement à cause des amendes déjà infligées, le Tribunal rappelle que le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE, ou de l’article 82 CE, constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir sa mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comporte le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 199 supra, point 105).

298    Il s’ensuit que la Commission a le pouvoir de décider du niveau du montant des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif lorsque des infractions d’un type déterminé sont encore relativement fréquentes, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière de concurrence, en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 199 supra, point 108).

299    Jungbunzlauer ne saurait valablement faire valoir qu’une disparition de l’enrichissement de l’entreprise en raison des amendes déjà infligées justifie nécessairement une réduction de l’amende infligée au niveau communautaire, étant donné qu’il importe à la Commission de garantir l’effet dissuasif des amendes infligées.

300    Par ailleurs, Jungbunzlauer ne saurait valablement faire valoir qu’aucune dissuasion ne s’imposait à son égard au motif qu’elle avait déjà été condamnée pour les mêmes faits par des juridictions d’États tiers. En effet, l’objectif de dissuasion visé par la Commission a trait à la conduite des entreprises au sein de la Communauté ou de l’EEE. Par conséquent, le caractère dissuasif d’une amende infligée à Jungbunzlauer, en raison de sa violation des règles de la concurrence communautaire, ne saurait être déterminée ni en fonction de la seule situation particulière de Jungbunzlauer ni en fonction du respect par celle-ci des règles de concurrence fixées dans des États tiers en dehors de l’EEE (voir, en ce sens, arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 252, points 146 et 147).

301    Dès lors, il convient de rejeter le moyen tiré de l’absence de prise en compte des amendes infligées dans d’autres États.

VI –  Sur la limite maximale du montant des amendes prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

A –  Introduction

302    Jungbunzlauer relève que, au considérant 293 de la Décision, la Commission a réduit le montant des amendes pour Cerestar et H & R afin de respecter la limite maximale du montant des amendes prévues à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Jungbunzlauer estime que, dans ce contexte, la Commission a commis des erreurs d’appréciation ainsi que des violations du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de motivation.

303    Jungbunzlauer articule ses présents moyens en trois branches, tirées de ce que, dans son calcul relatif à la limite du montant des amendes prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission, premièrement, a refusé de tenir compte des amendes infligées dans le cadre de l’affaire dite « Gluconate de sodium », deuxièmement, a pris en compte le chiffre d’affaires de Jungbunzlauer Holding AG et, troisièmement, n’a pas tenu compte des amendes infligées dans d’autres États.

B –  Sur le refus de tenir compte des amendes infligées dans le cadre de l’affaire dite « Gluconate de sodium »

1.     Arguments des parties

304    Jungbunzlauer considère que la Commission a violé l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 en ce qu’elle n’a pas tenu compte, pour le respect de la limite maximale du montant des amendes prévue par ladite disposition, de l’amende qu’elle lui avait déjà infligée environ deux mois avant l’adoption de la décision dans le cadre de l’affaire « Gluconate de sodium ». Elle soulève le fait que, si la Commission avait additionné ces deux amendes, l’application de la limite maximale du montant des amendes prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 aurait entraîné une réduction de l’amende infligée.

305    Selon Jungbunzlauer, la Commission a disjoint artificiellement ces deux affaires. En effet, selon Jungbunzlauer, l’acide citrique et le gluconate de sodium constituent des produits apparentés et appartiennent à la même famille de produits, étant donné que la matière première est la même pour les deux produits, que les processus de production sont largement identiques, que les deux produits sont, en grande partie, vendus par les mêmes canaux de distribution et que l’on retrouve les mêmes acheteurs tant pour l’acide citrique que pour le gluconate de sodium.

306    La circonstance qu’il existe une différence entre les cercles des participants dans les deux affaires ne serait pas convaincante, étant donné que la jonction de deux situations de fait ne saurait dépendre de la décision individuelle d’une entreprise de produire ou de ne pas produire un produit déterminé. En outre, contrairement à ce que la Commission soutient, une comparaison entre les périodes infractionnelles dans les deux affaires plaiderait en faveur de l’adoption d’une décision unique pour ces deux affaires. Jungbunzlauer ajoute que les autorités compétentes des États-Unis et du Canada ont, quant à elles, joint ces affaires dans le cadre d’une procédure unique et ont infligé une seule amende pour les infractions relatives aux deux produits. Enfin, Jungbunzlauer considère que la décision « Vitamines », dans le cadre de laquelle la Commission a traité ensemble huit ententes, dans une décision unique, démontre qu’un regroupement procédural de griefs indépendants relevant du droit des ententes correspond à une pratique courante.

307    La Commission rejette l’argumentation de la requérante.

2.     Appréciation du Tribunal

308    En vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes pouvant être portées à 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction.

309    En l’espèce, la requérante reproche à la Commission d’avoir artificiellement disjoint le cas d’espèce de celui ayant donné lieu à la décision « Gluconate de sodium ».

310    Or, il résulte de plusieurs considérants de la Décision et de la décision « Gluconate de sodium » que, en 2001, la Commission a infligé à la requérante deux amendes, étant donné que celle-ci avait enfreint les règles de concurrence en participant à deux ententes qui portaient sur des produits différents lesquels, quoique proches pour certaines de leurs applications, constituaient deux marchés en cause distincts. En effet, ainsi qu’il ressort des considérants 34 à 39 de la décision « Gluconate de sodium », l’acide citrique ne constitue pas un produit de substitution générale, mais seulement un substitut partiel du gluconate de sodium, selon le domaine d’application. Le Tribunal estime que cette appréciation de la Commission n’est pas erronée et que, partant, dans une telle situation, c’est pour des raisons objectives – et non pas artificielles, comme l’affirme la requérante – que la Commission a entamé deux procédures distinctes, a constaté deux infractions distinctes et a infligé, de façon indépendante, deux amendes distinctes relatives à ces deux infractions.

311    De ce point de vue, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n’a pas agi de façon différente par rapport à l’affaire « Vitamines ». En effet, même si, dans cette dernière affaire, la Commission avait joint les procédures relatives aux ententes sur le marché des vitamines et avait adopté une décision unique, il n’en reste pas moins qu’elle avait constaté des infractions distinctes pour chacune des vitamines concernées et avait sanctionné les entreprises concernées par l’infliction de huit amendes autonomes.

312    Par ailleurs, il convient de constater que, parmi les cinq producteurs d’acide citrique qui sont destinataires de la Décision, seuls deux ont participé à l’entente dans le secteur du gluconate de sodium, à savoir la requérante et ADM. En outre, l’entente dans le secteur du gluconate de sodium a existé de 1987 au mois de juin 1995, alors que celle portant sur le secteur de l’acide citrique n’a duré que du mois de mars 1991 jusqu’à mai/juin 1995, et les membres des deux ententes n’avaient ni un projet ni un objectif commun qui aurait visé l’élimination coordonnée et globale de la concurrence sur les deux marchés en cause.

313    Enfin, le fait, relevé par la requérante, que les autorités de concurrence des États-Unis et du Canada ont joint les affaires relatives à l’acide citrique, d’une part, et au gluconate de sodium, d’autre part, est dénué de pertinence pour apprécier la légalité de la démarche adoptée par la Commission en ce qui concerne la limite prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

314    Par conséquent, il convient de rejeter la première branche de ce moyen, tirée du refus de tenir compte des amendes infligées dans la décision « Gluconate de sodium » en ce qui concerne la limite prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

C –  Sur la prise en compte du chiffre d’affaires de Jungbunzlauer Holding AG

1.     Introduction

315    En ce qui concerne la prise en compte du chiffre d’affaires de Jungbunzlauer Holding AG, la requérante invoque des moyens tirés de la violation, premièrement, du principe d’égalité de traitement, deuxièmement, de l’obligation de motivation et, troisièmement, d’une erreur d’appréciation.

2.     Sur la violation du principe d’égalité de traitement

 Arguments des parties

316    Jungbunzlauer fait valoir que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement en ce qu’elle a tenu compte, pour le respect de la limite maximale du montant des amendes prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, du chiffre d’affaires du groupe Jungbunzlauer alors que, en ce qui concerne deux autres parties destinataires de la Décision, à savoir H & R et Cerestar, elle n’a pas pris en considération les chiffres d’affaires réalisés par les sociétés mères de celles-ci ni les participations tenues par ces dernières.

317    Jungbunzlauer souligne qu’elle ne conteste pas le bien-fondé du calcul appliqué par la Commission dans le cas de H & R et de Cerestar, même si, à son avis, en agissant de la sorte, la Commission s’est écartée de sa méthode de calcul appliquée jusque-là. En effet, en se référant aux décisions « Gluconate de sodium » et « Vitamines », Jungbunzlauer considère que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission a consisté à intégrer dans le calcul de la limite de l’amende en fonction du chiffre d’affaires global des entreprises concernées, prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, le chiffre d’affaires réalisé par le groupe, c’est-à-dire par la ou les sociétés mères et les filiales détenues par cette ou ces dernières. Jungbunzlauer fait valoir que la Commission aurait dû lui accorder ce même traitement plus favorable.

318    En ce qui concerne le traitement réservé à H & R, Jungbunzlauer observe qu’il ressort des considérants 292 et 293 de la Décision que la Commission s’est uniquement fondée sur le chiffre d’affaires réalisé par les participations de H & R et que, en raison de ce choix, elle a réduit l’amende de 122,5 à 20,31 millions d’euros. Or, selon Jungbunzlauer, si la Commission avait appliqué sa pratique antérieure, il n’aurait pas été nécessaire de procéder à cette réduction. Jungbunzlauer déduit en effet des considérants 25 et suivants, 50, 183 et 243 de la Décision que, en 2000, H & R appartenait au groupe Bayer qui, au cours de cette année, avait réalisé un chiffre d’affaires de 30 971 millions d’euros.

319    Quant au traitement réservé à Cerestar, Jungbunzlauer observe que, sans fournir de raisons spécifiques, la Commission a réduit l’amende de 4,55 à 1,75 million d’euros. Jungbunzlauer déclare supposer, à cet égard, que la Commission s’est fondée sur le chiffre d’affaires réalisé par Cerestar, indiqué au considérant 21 de la Décision. Or, selon Jungbunzlauer, en 2000, Cerestar appartenait au groupe Eridania-Béghin-Say qui, durant cette même année, avait réalisé un chiffre d’affaires de 98 053 millions d’euros (considérant 19).

320    En revanche, rappelle Jungbunzlauer, en ce qui la concerne, la Commission s’est référée au chiffre d’affaires réalisé par le groupe Jungbunzlauer (considérants 50, 185 et 293 de la Décision). Or, d’après Jungbunzlauer, si la Commission lui avait appliqué la même méthode de calcul qu’à H & R et à Cerestar, elle n’aurait dû prendre en compte que le chiffre d’affaires de Jungbunzlauer qui, en tant que société de gestion, n’avait réalisé qu’un chiffre d’affaires peu important (environ 3,5 millions d’euros). Cela aurait ainsi abouti, en application de la limite maximale de 10 %, à une réduction considérable de l’amende (environ 0,35 million d’euros). Jungbunzlauer ajoute que, si la Commission s’était référée au chiffre d’affaires de Jungbunzlauer GmbH – en 2000, Jungbunzlauer GmbH a réalisé un chiffre d’affaires de seulement 197,3 millions d’euros – qui, à son avis, aurait dû être le destinataire de la Décision, le montant définitif serait passé de 29,4 à 19,73 millions d’euros.

321    La Commission rejette l’argumentation de Jungbunzlauer.

 Appréciation du Tribunal

322    Il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt BPB de Eendracht/Commission, point 88 supra, point 309, et la jurisprudence y citée).

323    En l’espèce, il ressort des considérants 30, 34 et 187 de la Décision, sans que cela ait été contesté par Jungbunzlauer, que l’infraction a été commise par les entreprises qui, consécutivement, ont été chargées de la gestion de l’ensemble du groupe, à savoir Jungbunzlauer GmbH et, après la restructuration du groupe, Jungbunzlauer. Les cadres dirigeants du groupe Jungbunzlauer ont pris part aux réunions de l’entente et prenaient les décisions relatives à la participation du groupe à l’entente et à son comportement au sein de celle-ci.

324    En revanche, Jungbunzlauer ne cherche même pas à démontrer que la situation des deux autres sociétés, à savoir H & R et Cerestar, était comparable à sa propre situation. Elle est dès lors restée en défaut de démontrer que dans la présente espèce la situation dans laquelle se trouvaient ces deux autres entreprises était comparable à la sienne.

325    Par conséquent, le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement doit être rejeté.

3.     Sur la violation de l’obligation de motivation

326    Jungbunzlauer reproche à la Commission de ne pas avoir fourni d’éléments suffisants quant aux raisons pour lesquelles elle n’a pas réduit le montant de son amende en application du plafond prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En effet, selon elle, ce ne serait que dans le cadre de son mémoire en défense que la Commission aurait fourni une explication quant au traitement différent entre Jungbunzlauer et H & R et Cerestar.

327    La Commission conclut au rejet de ce moyen.

328    Le Tribunal observe que, aux considérants 30 à 34, 187 et 188, la Commission a fourni les raisons pour lesquelles elle avait imputé l’infraction à Jungbunzlauer en tant qu’entreprise de gestion du groupe. Une lecture d’ensemble des considérants de la Décision permet donc sans difficultés de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission n’a pas, contrairement à ce qu’elle a fait dans le cas de H & R et de Cerestar, réduit le montant de l’amende en application du plafond de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Elle n’était donc nullement obligée d’exposer une nouvelle fois ces raisons dans la partie de la Décision relative à l’application de ce plafond.

329    Par conséquent, le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation doit également être rejeté.

4.     Sur l’existence d’une erreur d’appréciation tirée de ce que la Commission a refusé de tenir compte des amendes infligées dans d’autres États

330    Jungbunzlauer fait valoir que, pour calculer le plafond maximal des amendes en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, il convient d’additionner le montant des amendes que le groupe Jungbunzlauer s’est vu infliger aux États-Unis et au Canada (10,9 millions d’euros) avec celui infligé par la Commission (29,4 millions d’euros, avant application de la communication sur la coopération). On obtiendrait ainsi un montant total de 40,3 millions d’euros, qui dépasserait largement la limite en question.

331    La Commission rejette cette argumentation.

332    Le Tribunal considère qu’il ressort de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 que le plafond des amendes y fixé s’applique uniquement aux amendes infligées par la Commission pour des infractions commises au regard des règles communautaires de la concurrence. Cette interprétation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 est d’ailleurs cohérente avec ce qui a été jugé aux points 285 à 301 ci-dessus, à savoir que la Commission n’a pas violé le principe ne bis in idem en infligeant à Jungbunzlauer une amende sans tenir compte de l’amende déjà payée par cette dernière dans le cadre des procédures diligentées dans des pays tiers.

333    Dès lors, c’est à tort que Jungbunzlauer reproche à la Commission de ne pas avoir pris en compte des amendes infligées à Jungbunzlauer aux États-Unis et au Canada pour le calcul du plafond des amendes prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

334    Par conséquent, cette branche du moyen et le moyen dans son ensemble doivent être rejetés.

VII –  Sur la violation du droit d’accès au dossier

A –  Arguments des parties

335    Jungbunzlauer estime que la Commission a violé son droit d’accès à l’intégralité du dossier en ce que celle-ci a fondé la Décision sur certains documents à l’égard desquels elle ne l’a pas entendue. Du fait de ces vices de procédure, il convient, selon Jungbunzlauer, d’annuler la Décision ou, en tout cas, la partie cette dernière en ce qu’elle se réfère à des documents auxquels la requérante n’a pas eu accès.

336    Selon Jungbunzlauer, la Commission est tenue de rendre accessible aux entreprises concernées l’intégralité du dossier d’instruction afin qu’elles soient en mesure de se défendre de façon appropriée contre les reproches qui leur sont faits dans la communication des griefs (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235, point 54, et arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 141 supra, point 144). Le droit d’accès au dossier existerait également s’agissant des réponses des autres entreprises concernées à la communication des griefs (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 141 supra, points 384 et suivants). Le droit d’accès à l’entièreté du dossier concernerait non seulement tous les documents à charge, mais également les éléments à décharge. Si, selon Jungbunzlauer, on ne peut exclure que la défense des entreprises concernées ait été affectée par le fait qu’elles ont eu un accès incomplet aux documents du dossier d’instruction, la décision doit être annulée (arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 141 supra, points 156 et suivants). En se référant aux conclusions de l’avocat général M. Léger sous l’arrêt de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission (C‑310/93 P, Rec. p. I‑865, I-987, points 119 et 120) ainsi qu’à l’ordonnance du président du Tribunal du 4 avril 2002, Technische Glaswerke Illmenau/Commission (T‑198/01 R, Rec. p. II‑2153, points 85 et suivants), Jungbunzlauer estime qu’il convient de ne pas poser d’exigences élevées en ce qui concerne la preuve que le caractère incomplet de l’accès au dossier a restreint les possibilités de défense de l’entreprise.

337    En l’espèce, Jungbunzlauer reproche à la Commission de ne pas lui avoir communiqué les réponses de Cerestar, de H & R, de HLR et d’ADM à la communication des griefs. Jungbunzlauer relève que, dans les notes en bas de page n° 113 (considérant 217), n° 118 (considérant 220) et n° 119 (considérant 223) de la Décision, la Commission a cité des extraits desdits documents qui portaient, notamment, sur la mise en œuvre effective des accords.

338    Or, premièrement, ces documents auraient pu lui être utiles en vue de sa défense, étant donné qu’ils étayaient ses propres affirmations.

339    Deuxièmement, Jungbunzlauer fait valoir que, aux considérants 279 et 281 de la Décision, la Commission a utilisé à sa charge certaines parties des réponses de H & R et de HLR à la communication des griefs concernant le rôle de suiveur de Jungbunzlauer GmbH.

340    Jungbunzlauer ajoute que, au cours de la procédure administrative, la Commission a demandé aux parties de lui transmettre des versions non confidentielles de leur réponse à la communication des griefs. Dès lors, la Commission aurait pu, sans coûts administratifs supplémentaires, donner aux parties concernées l’accès à ces documents.

341    La Commission conclut au rejet du moyen.

B –  Appréciation du Tribunal

1.     Introduction

342    La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir eu accès aux réponses d’autres parties concernées à la communication des griefs alors que, d’une part, dans la Décision, la Commission aurait utilisé certaines informations contenues dans ces réponses comme des éléments à charge vis-à-vis de la requérante et, d’autre part, certaines autres informations comme des éléments à sa décharge.

2.     Quant aux éléments à charge

343    Si la Commission entend se fonder sur le passage d’une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l’existence d’une infraction dans une procédure ayant pour objet l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, les autres parties impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve. Dans de telles circonstances, le passage en question d’une réponse à la communication des griefs ou le document annexé à cette réponse constitue en effet un élément à charge à l’encontre des différentes parties qui auraient participé à l’infraction (voir arrêt Cimenteries CBR e.a./Commission, point 141 supra, point 386, et la jurisprudence y citée).

344    Il incombe à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si devait être écarté comme moyen de preuve à charge un document non communiqué sur lequel la Commission s’est fondée pour incriminer cette entreprise (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 132 supra, points 71 à 73).

345    En l’espèce, la requérante fait valoir que, aux considérants 279 et 281 de la Décision, la Commission a utilisé certaines parties des réponses de H & R et de HLR à la communication des griefs concernant le rôle de Jungbunzlauer GmbH au sein de l’entente à l’encontre de la requérante.

346    À ce sujet, il convient de constater que, après avoir résumé les arguments de la requérante relatifs aux circonstances atténuantes qu’elle estimait être en droit de faire valoir au titre de son rôle exclusivement passif ou suiviste (considérants 275 à 278 de la Décision) et avant de fournir une réponse à ces arguments (considérants 282 et 284 de la Décision), la Commission a résumé des déclarations faites par H & R et HLR dans leur réponse respective à la communication des griefs (considérants 279 à 281). Dans ces déclarations, ces parties ont, en substance, contesté que la requérante ait joué un rôle exclusivement passif ou suiviste au sein de l’entente.

347    Toutefois, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les principes énoncés aux points 343 et 344 ci-dessus s’appliquent à l’analyse relative non seulement à l’existence d’une entente et à la participation à celle-ci, mais également à la fixation du montant des amendes, il y a lieu d’observer que, pour rejeter les arguments de la requérante quant au bénéfice des circonstances atténuantes au titre de son rôle exclusivement passif ou suiviste, la Commission a pu, à bon droit, s’appuyer exclusivement sur des informations que cette partie lui avait elle-même soumises au cours de la procédure administrative.

348    En effet, au considérant 284 de la Décision, la Commission a uniquement retenu au soutien de sa conclusion le fait que, « à compter de 1994, cette société [av]ait repris la responsabilité de la collecte des données sur les ventes et que son [président-directeur général av]ait présidé les réunions de l’entente [ce qui] suffi[sai]t à démontrer qu’elle y [avait] joué un rôle actif allant bien au-delà de ce qu’elle reconnaît ». Or, la requérante avait elle-même fourni ces informations à la Commission tant dans sa lettre du 29 avril 1999 que dans celle du 21 mai 1999.

349    Dès lors, le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa Décision n’aurait pas été différent si les réponses de H & R et de HLR à la communication des griefs avaient dû être écartées du dossier.

350    Par conséquent, cette branche du moyen doit être rejetée.

3.     Quant aux éléments à décharge

351    S’agissant de l’absence de communication d’un document à décharge, l’entreprise concernée doit seulement établir que sa non-divulgation a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Il suffit que l’entreprise démontre qu’elle aurait pu utiliser ledit document à décharge pour sa défense, en ce sens que, si elle avait pu s’en prévaloir lors de la procédure administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influencer, de quelque manière que ce soit, les appréciations portées par cette dernière dans la décision, au moins en ce qui concerne la gravité et la durée du comportement qui lui était reproché, et, partant, le niveau de l’amende. Dans ce contexte, la possibilité qu’un document non divulgué ait pu avoir une influence sur le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission ne peut être établie qu’après un examen provisoire de certains moyens de preuve faisant apparaître que les documents non divulgués pouvaient avoir – au regard de ces moyens de preuve – une importance qui n’aurait pas dû être négligée (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 132 supra, points 74 à 76).

352    La requérante invoque, premièrement, que, dans la note en bas de page n° 113 (considérant 217) de la Décision, la Commission s’est référée à la partie de la réponse à la communication des griefs de Cerestar dans laquelle, au sujet de la mise en œuvre effective de l’entente, celle-ci avait déclaré avoir refusé d’adhérer à certains accords de fixation des prix et, à partir de janvier 1992, d’avoir toujours pratiqué des prix inférieurs à ceux d’autres producteurs. Selon la requérante, ces déclarations de Cerestar auraient pu lui être utiles en vue de sa propre défense, étant donné qu’elles étayent sa propre argumentation quant à l’absence d’impact concret de l’entente sur le marché.

353    Or, le simple fait que Cerestar ait avancé, en substance, les mêmes arguments que la requérante quant au prétendu non-respect des règles convenues ne saurait constituer un élément à décharge.

354    En premier lieu, il convient en effet de constater, que, au considérant 218 de la Décision, la Commission a rejeté l’argumentation présentée par Cerestar et par la requérante en s’appuyant en particulier sur une déclaration d’ADM, annexée à la communication des griefs. Selon cette déclaration d’ADM, la requérante avait joué un rôle actif dans l’entente et avait cherché à obtenir une certaine stabilité sur le marché. En outre, au considérant 219 de la Décision, la Commission a invoqué la jurisprudence du Tribunal selon laquelle une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d’utiliser l’entente à son profit. Or, un simple rappel de la jurisprudence ne saurait constituer un élément à charge, cette dernière étant, en tout état de cause, publique et accessible, indépendamment des pièces d’un dossier administratif particulier.

355    En deuxième lieu, le simple fait qu’ADM et Cerestar ont invoqué les mêmes arguments que la requérante et que l’une d’elles ait employé plus de ressources pour sa défense ne suffit pas pour considérer ces arguments comme des « éléments à décharge ».

356    Il s’ensuit que, même si la requérante avait pu se prévaloir de la partie en cause de la réponse à la communication des griefs de Cerestar lors de la procédure administrative, les appréciations portées par la Commission n’auraient pas pu en être influencées.

357    Deuxièmement, la requérante invoque le fait que, dans les notes en bas de page n° 118 (considérant 220) et n° 119 (considérant 223) de la Décision, la Commission s’est référée, d’une part, à la réponse à la communication des griefs de H & R et, d’autre part, à un rapport d’experts fourni par ADM. Ces deux documents auraient également pu, selon la requérante, lui permettre d’approfondir sa propre argumentation quant à l’absence d’impact concret de l’entente.

358    Or, ainsi qu’il a déjà été jugé ci-dessus, la Commission s’est appuyée sur plusieurs éléments, dont certaines preuves documentaires, et pouvait à juste titre estimer, au considérant 226 de la Décision, que, si les arguments présentés dans ces documents avaient une certaine valeur, ils ne démontraient pas l’absence d’impact de l’entente sur le marché.

359    Dès lors, même si la requérante avait pu se prévaloir de ces documents lors de la procédure administrative, les appréciations portées par la Commission n’auraient pas pu être influencées par ces documents.

360    Eu égard à tout ce qui précède, le moyen tiré de la violation du droit d’accès au dossier doit être rejeté.

VIII –  Sur la portée de la durée de la procédure administrative sur le montant de l’amende

A –  Introduction

361    Jungbunzlauer relève que la Décision n’a été adoptée que près de six ans et demi après la fin de l’infraction. En particulier, le temps écoulé entre la fin de l’infraction et l’ouverture formelle de la procédure, le 28 mars 2000, aurait été très long. Selon elle, cette circonstance a influencé doublement la fixation du montant de l’amende.

B –  En ce que la Commission a pris en compte le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises concernées en 2000

1.     Arguments des parties

362    En se référant au tableau inséré au considérant 50 de la Décision, Jungbunzlauer fait observer que, pour tenir compte, dans le cadre du calcul du montant de l’amende, de la taille des entreprises concernées et des groupes dans lesquels celles-ci ont été réparties, la Commission n’a pas tenu compte du montant des chiffres d’affaires relatifs à la période durant laquelle existait l’entente (1991 à 1995) mais s’est appuyée, à cet égard, sur le chiffre d’affaires de l’année 2000. Or, Jungbunzlauer souligne, que depuis la fin de l’infraction en 1995, son chiffre d’affaires a augmenté de façon considérable : en 1995, le groupe Jungbunzlauer n’aurait réalisé que 76,3 % de son chiffre d’affaires actuel et, de 1999 à 2000, le chiffre d’affaires du groupe aurait augmenté de 13,5 %.

363    Jungbunzlauer soutient que, dans ses lignes directrices, la Commission a indiqué qu’elle tiendrait compte de la « capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs » (point 1 A, quatrième alinéa). Dans ce contexte, la Commission pourrait uniquement se fonder sur la taille des entreprises concernées au moment de l’infraction, étant donné que cette information serait la seule qui permettrait de répondre à cette question et que l’importance du chiffre d’affaires réalisé par celles-ci à une époque bien plus tardive n’aurait aucune valeur.

364    En outre, la méthode de calcul choisie par la Commission aurait pour effet de favoriser injustement les entreprises qui ont profité de l’entente et qui, après la fin de l’entente, ont dû faire face à une baisse considérable de leur chiffre d’affaires. En revanche, les entreprises qui, comme Jungbunzlauer, ont réalisé une augmentation de leur chiffre d’affaires depuis la fin de l’entente se verraient injustement désavantagées, ce qui serait un résultat absurde.

365    C’est à tort, estime Jungbunzlauer, que la Commission rétorque à cet argument que, si elle lui avait infligé une amende à une époque antérieure, Jungbunzlauer aurait été affectée encore plus durement par l’amende. En effet, si la Commission avait pris sa Décision à une époque antérieure à l’année 2001, l’amende aurait été considérablement moins élevée.

366    La Commission rejette l’argumentation de la requérante.

2.     Appréciation du Tribunal

367    Il convient de rappeler que l’application du coefficient multiplicateur vise à assurer un effet dissuasif de l’amende. Cet effet permet de prendre en compte la taille et les ressources globales des entreprises concernées au moment où l’amende est infligée.

368    À supposer même que, comme la requérante le soutient, le chiffre d’affaires global des parties concernées ait connu une évolution entre la fin de l’entente et l’année 2000, il n’en demeure pas moins que, en appliquant aux amendes, telles que calculées pour ADM, HLR et H & R, un coefficient multiplicateur de, respectivement, 2 et 2,5, la Commission a tenu compte non pas d’un calcul très précis fondé sur ces chiffres d’affaires, mais a affirmé qu’il existait, concernant ces chiffres d’affaires, une différence de d’ordre de grandeur. Or, la requérante ne prétend pas même que cette différence essentielle d’ordre de grandeur aurait changé entre 1995 et 2000.

369    Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, en s’appuyant sur le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises concernées en 2000 pour moduler le montant des amendes, la Commission n’a violé ni les lignes directrices ni le principe d’égalité de traitement.

370    Par conséquent, il convient de rejeter les moyens invoqués par la requérante.

C –  En ce que la Commission a durci sa politique en matière d’amendes

1.     Arguments des parties

371    Jungbunzlauer fait valoir que, en adoptant la Décision et, de façon plus générale, en 2001, la Commission a très substantiellement durci sa politique en matière d’amendes. Or, selon Jungbunzlauer, en raison de la durée anormalement longue de la procédure en l’espèce, elle s’est vu infliger une amende correspondant à la nouvelle pratique plus dure de la Commission. En revanche, si la procédure avait été close plus tôt, elle aurait bénéficié de la pratique décisionnelle antérieure qui était beaucoup plus avantageuse pour les entreprises concernées.

372    Jungbunzlauer estime que la durée anormalement longue de la procédure est confirmée par une comparaison avec les décisions « Acides aminés » et « Vitamines ». En effet, selon Jungbunzlauer, ces deux autres affaires ont été traitées beaucoup plus rapidement que la présente affaire : dans l’affaire « Acides aminés », l’entente a pris fin au milieu de l’année 1995 et la décision a été adoptée à peine cinq ans plus tard ; dans l’affaire « Vitamines », l’entente a pris fin au printemps 1999 et la décision a été adoptée seulement deux ans et neuf mois plus tard. Dans la présente affaire, en revanche, la Décision n’aurait été adoptée que six ans et demi après la fin définitive des accords. Cela serait d’autant plus étonnant que, en comparaison avec ces autres affaires, le cas d’espèce aurait été beaucoup moins compliqué, tant d’un point de vue matériel que procédural.

373    Jungbunzlauer estime que, de manière tout à fait réaliste, la procédure du cas d’espèce aurait dû être terminée en deux ou trois ans. En outre, elle considère que si la procédure avait été close plus tôt, d’une part, les critères retenus auraient été beaucoup moins sévères que ceux qui ont été appliqués lors de l’adoption de la Décision et, d’autre part, la Décision aurait même pu être adoptée avant la publication des lignes directrices de sorte que l’ancienne méthode de calcul aurait été applicable.

374    Selon Jungbunzlauer, la différence dans la durée de traitement de ces affaires ne pourrait s’expliquer que par l’attribution d’un niveau de priorité différent à ces dernières. Jungbunzlauer ne conteste pas que la Commission puisse se fixer des priorités en fonction de l’importance attribuée aux affaires sous l’angle de la politique de la concurrence. Toutefois, cela ne pourrait aboutir à ce qu’une entreprise, concernée par une affaire moins prioritaire, se voie infliger une amende plus élevée que d’autres entreprises impliquées dans des affaires prioritaires. En outre, cette manière de procéder serait contre-productive au regard de l’objectif de dissuasion des amendes.

375    La Commission rejette l’argumentation de la requérante.

2.     Appréciation du Tribunal

376    La requérante estime, en substance, que si la procédure d’instruction par la Commission avait été close plus tôt, elle aurait bénéficié d’une pratique décisionnelle antérieure et de critères pour la détermination du montant de l’amende beaucoup moins sévères. Elle précise que la Décision aurait même pu être adoptée avant la publication des lignes directrices de sorte qu’elle aurait pu bénéficier de l’ancienne méthode de calcul des montants des amendes.

377    À cet égard, le Tribunal rappelle que le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, au contraire, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir arrêt LR AF 1998/Commission, point 88 supra, point 237, et la jurisprudence y citée). Par conséquent, la requérante ne peut prétendre au bénéfice d’une pratique décisionnelle antérieure uniquement au motif que la décision la concernant aurait également dû être adoptée antérieurement.

378    Par ailleurs et en tout état de cause, le Tribunal constate que la pratique décisionnelle de la Commission pour la détermination du montant de l’amende dans la Décision émane de l’application des critères définis dans les lignes directrices.

379    Le Tribunal rappelle en outre que, en août 1995, la Commission a été informée par le ministère de la Justice américain que ce dernier menait une enquête concernant le marché de l’acide citrique. En avril 1997, la Commission a été informée par le ministère de la Justice américain du fait que la requérante avait participé à une entente aux États-Unis. Enfin, en août 1997, la Commission a envoyé des demandes de renseignements aux quatre plus importants producteurs d’acide citrique de la Communauté, dont Jungbunzlauer.

380    Au regard de ces éléments, le Tribunal relève que la seule communication d’informations à la Commission par des autorités de la concurrence de pays tiers ne peut entraîner une obligation pour celle-ci d’ouvrir une instruction. En effet, la mission générale de surveillance en matière de concurrence confiée à la Commission en vertu de l’article 85 CE n’implique pas pour la Commission une obligation d’engager des procédures visant à établir d’éventuelles violations du droit Communautaire (arrêts de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P, C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 447 et 448, et du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, Rec. p. II‑2223, point 74). Il s’ensuit qu’il ne peut exister une obligation pour la Commission d’ouvrir une procédure d’instruction sur la base des informations fournies par le ministère de la Justice américain.

381    Toutefois, si la Commission ne peut être tenue d’engager une procédure à la suite d’informations communiquées par des autorités de la concurrence de pays tiers, la Commission peut cependant, de sa propre initiative, engager une telle procédure à la suite de telles informations. Ainsi, en l’espèce, la Commission a entamé une procédure peu de temps après la communication de l’information selon laquelle la requérante avait participé à une entente aux États-Unis. Partant, le Tribunal estime que, en l’espèce, il ne peut être reproché à la Commission de ne pas avoir commencé à instruire l’affaire avant le mois d’août 1997.

382    En outre, le Tribunal relève que la requérante estime qu’une instruction par la Commission de deux à trois ans pour la présente affaire est tout à fait réaliste.

383    Il s’ensuit que, même s’il devait être admis que, en l’espèce, l’instruction de l’affaire par la Commission n’aurait pu durer plus de trois ans, comme le soutient la requérante, les lignes directrices publiées le 14 janvier 1998 auraient, selon toute vraisemblance, été prises en compte par la Commission pour le calcul du montant de l’amende de la requérante.

384    Par conséquent, le Tribunal estime que la requérante ne démontre pas que, en l’absence du retard allégué dans le traitement de la présente affaire par la Commission, elle aurait bénéficié des critères de détermination du montant de l’amende et, partant, d’une pratique décisionnelle, antérieurs à ceux repris dans les lignes directrices.

385    Il convient dès lors de rejeter l’argument de la requérante tiré de ce que lui ont été appliqués des principes et une pratique plus sévères pour la détermination du montant de l’amende, en raison d’un prétendu retard dans l’examen de l’affaire par la Commission.

386    Aucun des moyens soulevés à l’encontre de la Décision n’ayant été retenu, il n’y a pas lieu de réduire le montant de l’amende en vertu des pouvoirs de pleine juridiction qui sont attribués au Tribunal. Partant, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

387    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la défenderesse et de la partie intervenante.

388    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Dès lors, le Conseil en tant que partie intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Jungbunzlauer AG supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

3)      Le Conseil supportera ses propres dépens.

Azizi

Jaeger

Dehousse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 septembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Azizi

Table des matières

Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

I –  Sur la violation du principe de légalité

A –  Sur l’exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

B –  Sur l’interprétation conforme de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

II –  Sur le destinataire de la décision

A –  Sur la violation de l’obligation de motivation

B –  Sur le moyen tiré d’erreurs quant au destinataire de la Décision

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

III –  Sur la gravité de l’infraction

A –  Quant à l’existence d’un impact concret de l’entente sur le marché

1.  Introduction

2.  Sur l’existence d’erreurs d’appréciation

a)  En ce que la Commission aurait choisi une approche erronée pour démontrer que l’entente avait eu un impact concret sur le marché

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Résumé de l’analyse effectuée par la Commission

–  Appréciation

b)  En ce qui concerne l’appréciation de l’évolution des prix de l’acide citrique

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur la violation de l’obligation de motivation

B –  Sur l’ajustement du montant de l’amende en fonction de la taille relative des entreprises concernées

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Introduction

b)  Sur les griefs tirés de la violation d’un « principe d’appréciation individuelle des amendes » et des lignes directrices

c)  Sur la violation du principe de proportionnalité

d)  Sur la violation du principe d’égalité de traitement

IV –  Sur les circonstances atténuantes

A –  Sur la violation des lignes directrices

1.  Sur le rôle exclusivement suiviste de Jungbunzlauer GmbH dans la réalisation de l’infraction

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur la non-application effective de l’entente par Jungbunzlauer GmbH

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur la violation de l’obligation de motivation

V –  Sur l’absence de prise en compte des amendes infligées dans d’autres États

A –  Arguments des parties

B –  Appréciation du Tribunal

VI –  Sur la limite maximale du montant des amendes prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

A –  Introduction

B –  Sur le refus de tenir compte des amendes infligées dans le cadre de l’affaire dite « Gluconate de sodium »

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  Sur la prise en compte du chiffre d’affaires de Jungbunzlauer Holding AG

1.  Introduction

2.  Sur la violation du principe d’égalité de traitement

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur la violation de l’obligation de motivation

4.  Sur l’existence d’une erreur d’appréciation tirée de ce que la Commission a refusé de tenir compte des amendes infligées dans d’autres États

VII –  Sur la violation du droit d’accès au dossier

A –  Arguments des parties

B –  Appréciation du Tribunal

1.  Introduction

2.  Quant aux éléments à charge

3.  Quant aux éléments à décharge

VIII –  Sur la portée de la durée de la procédure administrative sur le montant de l’amende

A –  Introduction

B –  En ce que la Commission a pris en compte le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises concernées en 2000

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  En ce que la Commission a durci sa politique en matière d’amendes

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.


1 Données confidentielles occultées.