Language of document : ECLI:EU:T:2018:9

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

18 janvier 2018 (*) (1)

« Recherche et développement technologique – EIT – Programme-cadre pour la recherche et l’innovation Horizon 2020 – Appel à propositions en vue de la désignation d’une communauté de la connaissance et de l’innovation – Rejet de l’offre des requérants – Règlement (CE) no 294/2008 – Règlement (UE) no 1290/2013 – Délégation illégale de compétences »

Dans l’affaire T‑76/15,

Kenup Foundation, établie à Kalkara (Malte),

Candena GmbH, établie à Lunebourg (Allemagne),

CO BIK Center odličnosti za biosenzoriko, instrumentacijo in procesno kontrolo, établi à Ajdovščina (Slovénie),

Evotec AG, établie à Hambourg (Allemagne),

représentés initialement par Mes U. Soltész, C. Wagner, H. Weiß et A. Richter, puis par Mes Soltész, Weiß et Richter et enfin par Mes Soltész et Weiß, avocats,

parties requérantes,

soutenus par

République de Malte, représentée par Mme M. E. Perici Calascione, en qualité d’agent,

et par

Stiftung Universität Lüneburg, représentée par Me F. Oehl, avocat,

parties intervenantes,

contre

Institut européen d’innovation et de technologie (EIT), représenté par M. M. Kern, en qualité d’agent, assisté de Mes P. de Bandt et M. Gherghinaru, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation des décisions du 9 décembre 2014, dont le sens a été communiqué par lettre du 10 décembre 2014, par lesquelles l’EIT a désigné la communauté de la connaissance et de l’innovation (CCI) « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif » et a rejeté la proposition déposée par le consortium Kenup,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mmes V. Tomljenović, président, A. Marcoulli (rapporteur) et M. A. Kornezov, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le programme-cadre pour la recherche et l’innovation Horizon 2020 (ci-après le « programme-cadre Horizon 2020 ») a été établi, sur le fondement des articles 173 et 182 TFUE, par le règlement (UE) no 1291/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, portant établissement du programme-cadre Horizon 2020 (2014-2020) et abrogeant la décision no 1982/2006/CE (JO 2013, L 347, p. 104), et par le règlement (UE) no 1290/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, définissant les règles de participation au programme-cadre Horizon 2020 (2014-2020) et les règles de diffusion des résultats et abrogeant le règlement (CE) no 1906/2006 (JO 2013, L 347, p. 81). Son objectif général, tel que défini par l’article 5 du règlement no 1291/2013, est de contribuer à la construction d’une société et d’une économie fondées sur la connaissance et l’innovation dans l’ensemble de l’Union européenne, en mobilisant des fonds supplémentaires pour financer des activités de recherche, de développement et d’innovation et en contribuant à la réalisation des objectifs dans le domaine de la recherche et du développement, y compris l’objectif visant à ce que 3 % du produit intérieur brut (PIB) soient consacrés à la recherche et au développement dans l’Union d’ici 2020.

2        Selon l’article 5, paragraphe 5, du règlement no 1291/2013, l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT) contribue à la réalisation de l’objectif général du programme-cadre Horizon 2020, notamment par le biais des communautés de la connaissance et de l’innovation (CCI). Selon l’article 2, paragraphe 2, du règlement (CE) no 294/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2008, portant création de l’EIT (JO 2008, L 97, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1292/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, les CCI sont des partenariats autonomes d’établissements d’enseignement supérieur, d’instituts de recherche, d’entreprises et d’autres parties prenantes du processus d’innovation, sous la forme d’un réseau stratégique, quelle que soit leur forme juridique précise, fondés sur une planification commune dans le domaine de l’innovation à moyen et long terme.

3        Dans ce contexte, par un avis du 14 février 2014, l’EIT a publié un appel à propositions dans le cadre de la deuxième série de CCI, en vue de sélectionner deux nouvelles CCI, dont l’une dans le domaine de l’innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif. Cet appel à propositions définissait notamment des critères d’exclusion, d’éligibilité et de sélection des propositions. Celles-ci devaient être évaluées par des panels d’experts indépendants, au regard de trois critères, à savoir la stratégie, notée sur 30 points, les opérations, notées sur 35 points, et l’impact, noté également sur 35 points. Chaque critère de sélection comportait trois sous-critères. Les représentants des trois propositions les mieux classées devaient ensuite être auditionnés par l’EIT. Par ailleurs, un observateur indépendant de haut niveau devait être désigné par l’EIT. Il était chargé de suivre le déroulement du processus d’évaluation et de fournir à l’EIT, notamment par le biais d’un rapport, des recommandations en ce qui concerne la conduite du processus d’évaluation, l’application des critères de sélection par les experts et les manières d’améliorer les procédures.

4        L’appel à propositions précisait que la coopération instituée entre l’EIT et la CCI prendrait la forme d’un partenariat-cadre, d’une durée initiale de sept ans, dans le cadre duquel des subventions pourraient être versées par l’EIT moyennant la conclusion d’accords spécifiques.

5        Le 10 septembre 2014, des États, des collectivités locales, des établissements d’enseignement supérieur, des organismes de recherche et des entreprises privées, regroupés sous la forme d’un consortium dénommé Kenup, ont soumis une proposition pour la CCI « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif ».

6        Par décisions du 9 décembre 2014, le comité directeur de l’EIT (ci-après le « comité directeur ») a notamment désigné la proposition retenue au titre de la CCI « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif », à savoir la proposition identifiée sous le nom « InnoLife – Better, longer lives », et a rejeté les autres propositions qui lui avaient été soumises. L’EIT a informé la seconde intervenante, Stiftung Universität Lüneburg, en sa qualité de coordinateur du consortium Kenup, du sens desdites décisions par courrier du 10 décembre 2014.

7        Dès avant l’adoption des décisions mentionnées au point 6 ci-dessus, et dans la mesure où la proposition du consortium Kenup n’avait pas été sélectionnée en vue des auditions, ce dernier avait, par courrier du 5 décembre 2014, saisi le Médiateur européen d’une plainte dénonçant l’irrégularité de son éviction. Le 11 décembre 2014, le Médiateur a décidé de classer l’affaire. En substance, il a considéré, contrairement aux arguments du consortium Kenup, premièrement, qu’aucune décision de sélection d’une CCI n’avait été adoptée au jour de sa saisine et qu’à ce stade une telle décision serait prise sur la base du classement opéré par les experts, deuxièmement, que les experts avaient été désignés par l’EIT conformément aux règles en vigueur et, troisièmement, qu’il était prématuré qu’il se prononce sur la transparence de la procédure, non achevée au jour de sa saisine.

8        À la suite de la notification des décisions du 9 décembre 2014, Stiftung Universität Lüneburg a sollicité auprès de l’EIT des informations complémentaires, au moyen d’une série de questions auxquelles l’EIT a répondu par lettre du 7 janvier 2015. Elle a ensuite, par lettre du 9 janvier suivant, sollicité la révision de l’évaluation de la proposition du consortium Kenup en application des dispositions de l’article 16 du règlement no 1290/2013. Sa demande a été rejetée par décision de l’EIT du 16 mars 2015.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 février 2015, les requérants, Kenup Foundation, Candena GmbH, CO BIK Center odličnosti za biosenzoriko, instrumentacijo in procesno kontrolo (ci-après l’« organisme de recherche ») et Evotec AG, ont introduit le présent recours.

10      Le 1er juin 2015, l’EIT a produit un mémoire en défense.

11      Par décision du 6 juillet 2015, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis l’intervention de la République de Malte au soutien des conclusions des requérants.

12      Par ordonnance du 19 octobre 2015, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis l’intervention de Stiftung Universität Lüneburg au soutien des conclusions des requérants.

13      Le mémoire en intervention de la République de Malte a été déposé le 16 novembre 2015.

14      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 16 novembre 2015.

15      Le mémoire en intervention de Stiftung Universität Lüneburg a été déposé le 2 décembre 2015.

16      La duplique a été enregistrée au greffe du Tribunal le 27 janvier 2016.

17      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, la présente affaire a été attribuée à la septième chambre, dans laquelle un nouveau juge rapporteur a été désigné.

18      Par acte du 10 mai 2016, les requérants ont produit une nouvelle offre de preuve, sur laquelle l’EIT, la République de Malte et Stiftung Universität Lüneburg ont produit leurs observations.

19      Le 5 mai 2017, le Tribunal a adressé, au titre d’une mesure d’organisation de la procédure, des questions écrites aux parties, qui y ont répondu dans les délais impartis.

20      Par acte du 4 juillet 2017, les requérants ont soumis un moyen nouveau ainsi que de nouvelles offres de preuve, sur lesquels l’EIT et la République de Malte ont présenté leurs observations.

21      Le Tribunal (septième chambre) a décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure.

22      Les requérants, soutenus par la République de Malte et par Stiftung Universität Lüneburg, concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions du 9 décembre 2014, dont le sens a été communiqué par lettre du 10 décembre 2014 (ci-après les « décisions attaquées »), par lesquelles l’EIT a désigné la CCI « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif » et a rejeté la proposition déposée par le consortium Kenup ;

–        condamner l’EIT aux dépens.

23      L’EIT conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens, y compris ceux qu’il a exposés.

 En droit

 Sur la recevabilité

24      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, l’EIT fait valoir que les requérants ne justifient pas d’un intérêt à introduire le présent recours, en l’absence de tout avantage susceptible d’être tiré de l’annulation des décisions attaquées, y compris en termes de compensation financière d’éventuels préjudices.

25      L’EIT oppose deux motifs à l’irrecevabilité du recours. D’une part, alors que le recours a été introduit au nom propre des requérants et non au nom du consortium Kenup, ceux-ci ne pourraient être désignés au titre de la CCI dans la mesure où Kenup Foundation n’existait pas au jour du dépôt de la proposition et que les trois autres requérants ne représentent qu’une part minime des membres du consortium. D’autre part, selon l’EIT, les requérants n’établissent pas que le consortium Kenup aurait pu être désigné comme CCI au vu de l’écart considérable de notation entre la proposition dudit consortium et la proposition retenue. Ainsi, ils ne justifieraient pas d’un intérêt légitime à l’annulation de la décision de rejet de la proposition du consortium Kenup dès lors que, à supposer même qu’une telle annulation soit prononcée, une décision identique serait reprise.

26      Les requérants estiment au contraire qu’ils ont un intérêt à demander l’annulation des décisions attaquées.

27      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette personne a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué, ce qui suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a introduit (voir arrêt du 10 décembre 2009, Antwerpse Bouwwerken/Commission, T‑195/08, EU:T:2009:491, point 33 et jurisprudence citée).

28      L’intérêt à agir d’une partie requérante au vu de l’objet du recours s’apprécie, sous peine d’irrecevabilité, au jour où ledit recours est formé. En outre, l’objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer (voir ordonnance du 5 mars 2009, Commission/Provincia di Imperia, C‑183/08 P, non publiée, EU:C:2009:136, point 30 et jurisprudence citée).

29      En l’espèce, pour évaluer l’intérêt à agir des requérants, il convient d’analyser le bénéfice qu’ils pourraient tirer d’une annulation des décisions attaquées.

30      En premier lieu, il y a lieu de constater que la requête a été introduite, d’une part, par trois membres du consortium Kenup, à savoir Candena, Evotec et l’organisme de recherche, et, d’autre part, par Kenup Foundation. Cette fondation de droit maltais, créée le 6 novembre 2014, n’était pas membre du consortium Kenup. Elle devait être l’unique actionnaire d’une société européenne à créer, la société Kenup, cette dernière ayant vocation à devenir l’entité juridique de la CCI.

31      En second lieu, il convient de relever que les requérants avaient un intérêt à ce que la proposition du consortium Kenup soit retenue et, par suite, à contester le rejet qui leur était opposé (voir, en ce sens, ordonnance du 5 mars 2009, Commission/Provincia di Imperia, C‑183/08 P, non publiée, EU:C:2009:136, point 20). En effet, l’annulation des décisions attaquées donnerait, à tout le moins, à Candena, à Evotec et à l’organisme de recherche, une chance supplémentaire de pouvoir être retenus en tant que membres de la CCI (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2008, Provincia di Imperia/Commission, T‑351/05, EU:T:2008:40, point 33). À défaut, cette annulation pourrait constituer la base d’une action en responsabilité.

32      À cet égard, premièrement, l’EIT fait valoir que Candena, Evotec et l’organisme de recherche ne sont que des membres isolés du consortium Kenup et que, par suite, ne satisfaisant pas, à eux seuls, aux exigences minimales des critères de sélection, ils ne pourraient être désignés au titre de la CCI. Une telle circonstanceest toutefois sans incidence sur la recevabilité du recours compte tenu de l’effet erga omnes que produirait l’annulation des décisions attaquées, qui profiterait notamment à l’ensemble des membres du consortium Kenup.

33      Deuxièmement, s’il est constant que, le 10 septembre 2014, date du dépôt de la proposition du consortium Kenup, Kenup Foundation ne disposait pas de la personnalité juridique, cette circonstance est sans incidence sur l’intérêt à agir de ladite fondation, qui s’apprécie au jour de l’introduction du recours. En effet, à cette date, soit le 18 février 2015, Kenup Foundation, qui, ainsi que cela a été relevé, devait être l’unique actionnaire de la société gérant la CCI, disposait de la personnalité juridique, celle-ci lui ayant été conférée le 6 novembre 2014.

34      Troisièmement, l’EIT ne saurait conditionner la reconnaissance de l’intérêt à agir des requérants à la preuve que ces derniers auraient disposé, en l’absence des illégalités alléguées en général et des erreurs manifestes d’appréciation en particulier, d’une chance sérieuse que leur proposition soit retenue en tant que CCI et que, par suite, une demande indemnitaire serait fondée. En effet, il résulte de ce qui a été constaté au point 31 ci-dessus que les requérants ont un intérêt à contester les décisions attaquées sans qu’il y ait lieu d’apprécier à cette fin le caractère fondé ou non des moyens invoqués. À cet égard, si l’EIT fait valoir que les requérants n’ont pas d’intérêt légitime à obtenir l’annulation d’une décision dont il est d’ores et déjà certain qu’elle ne pourrait qu’être reprise à l’identique, il y a lieu de relever que, en l’espèce, d’une part, il ne saurait être conclu, dès avant l’examen des moyens soutenant les conclusions de la requête, que les décisions attaquées, si elles étaient annulées, ne pourraient qu’être reprises à l’identique, d’autre part, l’absence d’intérêt légitime se rapporte à la recevabilité des moyens du recours et concerne une question différente de l’intérêt que peut avoir un requérant à introduire un recours (voir, en ce sens, ordonnance du 2 juillet 2009, Evropaïki Dynamiki/BCE, T‑279/06, non publiée, EU:T:2009:241, point 98 et jurisprudence citée).

35      Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par l’EIT ne saurait être accueillie.

 Sur le fond

36      À l’appui du recours, les requérants présentent dix moyens.

37      Le premier est tiré de l’incompétence de l’auteur des décisions attaquées.

38      Par le deuxième moyen, les requérants doivent être regardés comme se prévalant de la méconnaissance des dispositions de l’article 204, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (JO 2012, L 362, p. 1, ci-après le « règlement délégué »).

39      Le troisième moyen ainsi qu’une branche des quatrième et cinquième moyens sont tirés, en substance, de l’insuffisante motivation des décisions attaquées.

40      Le quatrième moyen porte, en substance, sur la méconnaissance du principe d’égalité des candidats.

41      Plusieurs arguments présentés dans le cadre du quatrième moyen ainsi que le cinquième moyen, pris en sa deuxième branche, sont tirés de l’atteinte au principe de transparence en tant que les propositions auraient été évaluées sur la base de critères non publiés.

42      Le sixième moyen repose sur la violation des dispositions de l’article 14 du règlement no 1290/2013, relatif à l’examen éthique.

43      Par leur septième moyen, les requérants font valoir que les décisions attaquées sont entachées d’erreurs manifestes d’appréciation.

44      Le huitième moyen est tiré des conflits d’intérêts constatés en ce qui concerne les membres du comité directeur, le directeur de l’EIT et les experts indépendants.

45      Le neuvième moyen est tiré de l’illégalité de l’avis d’appel à propositions en tant qu’il méconnaîtrait la compétence exclusive du comité directeur pour désigner la CCI, les règles encadrant la sélection des appels à propositions en deux étapes et le principe d’égalité de traitement des candidats.

46      Le dixième moyen est tiré de l’insuffisante compétence des experts ayant procédé à l’évaluation des propositions.

47      Le Tribunal examinera en premier lieu le premier moyen.

48      Les requérants, soutenus par la République de Malte et Stiftung Universität Lüneburg, font valoir que, par leur évaluation, les experts indépendants mandatés par l’EIT ont agi au-delà du simple rôle consultatif qui leur était légalement confié. En effet, selon les requérants, ces experts se seraient vu attribuer une mission de présélection des propositions et auraient, à ce titre, pu éliminer la proposition présentée par le consortium Kenup sans qu’une décision soit adoptée par le comité directeur et sans que ce dernier l’ait examinée. Or, si les experts jouent un rôle majeur dans l’évaluation des propositions de CCI, leur sélection et leur désignation relèveraient de la seule compétence du comité directeur, sans possibilité de délégation, compte tenu notamment de l’importance fondamentale d’une telle décision. La décision de présélection opérée par les experts pourrait d’autant moins être imputée au comité directeur que ce dernier n’a pas, en violation du règlement no 1290/2013, nommé les experts, qui n’ont ni reçu d’instruction ou d’orientation, ni fait l’objet d’une surveillance de la part de ce dernier, ces missions ayant, en l’espèce, été assurées par l’ordonnateur, à savoir le directeur de l’EIT. À cet égard, les requérants font valoir que le directeur de l’EIT a exercé une influence indue sur la procédure d’évaluation. Enfin, les requérants soutiennent que, alors que les experts disposaient d’une large marge d’appréciation, le comité directeur ne pouvait s’appuyer sur leur évaluation sans la vérifier.

49      L’EIT conteste ces arguments en faisant valoir que la décision de désignation de la CCI a été adoptée par le comité directeur, à l’issue d’une procédure qui s’est déroulée conformément aux règlements applicables à l’EIT et à l’appel à propositions. L’EIT insiste sur le fait que l’organisation et l’administration d’un appel à propositions ne relèvent pas de la seule responsabilité du comité directeur, des fonctions étant dévolues tant aux experts indépendants qu’au directeur de l’EIT. Sur ce point, il soutient que, contrairement à ce que prétendent les requérants, la sélection des experts ne relève pas de la compétence du comité directeur. Par ailleurs, il fait valoir que l’ensemble du processus de désignation est demeuré sous l’entier contrôle du comité directeur. Ainsi, il soutient que ce dernier a adopté les critères de sélection de la CCI, le texte de l’appel à propositions et l’approche globale de l’évaluation. Il aurait également approuvé les profils, les critères et la procédure de sélection des experts indépendants ainsi que la composition des panels d’experts. En outre, le comité directeur aurait été dûment informé des résultats du processus d’évaluation mené par les experts. Enfin, il aurait, à l’issue des auditions, adopté seul la décision de désignation de la CCI et de rejet de la proposition du consortium Kenup, les experts n’ayant adopté aucune décision sur ce point.

50      Il y a lieu de considérer que le premier moyen de la requête comporte deux branches. Par la première branche, les requérants soutiennent, en substance, que la décision de rejet de la proposition du consortium Kenup a été prise par une autorité incompétente dès lors qu’elle résulte d’une décision des experts indépendants et non d’une décision formelle du comité directeur. Par la seconde branche du moyen, les requérants se prévalent de la délégation illégale, au profit des experts indépendants, des compétences dévolues au comité directeur, sans que ce dernier encadre ni contrôle leurs travaux.

51      À titre liminaire, il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que, selon l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1290/2013, la participation aux actions indirectes menées aux fins de mise en œuvre du programme-cadre Horizon 2020 est régie par les dispositions du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1), et du règlement délégué, sous réserve des règles spécifiques définies par le règlement no 1290/2013. Selon l’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 1290/2013, le règlement no 294/2008 peut également édicter des règles qui s’écartent des dispositions du règlement no 1290/2013.

52      Il en résulte que, lorsqu’il procède, comme en l’espèce, à la sélection et à la désignation d’une CCI visant à la mise en œuvre du programme-cadre Horizon 2020, l’EIT doit se conformer, d’abord, aux règles définies par le règlement no 294/2008, ensuite, aux règles de participation au programme-cadre Horizon 2020 et, enfin, au règlement no 1605/2002 et au règlement délégué.

53      Ensuite, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 4 du règlement no 294/2008, dans sa version applicable à l’espèce, « [l]’EIT dispose [d’u]n comité directeur composé de membres de haut niveau ayant une grande expérience du monde de l’enseignement supérieur, de la recherche, de l’innovation et des entreprises [qui] est chargé de la direction des activités de l’EIT, de la sélection, de la désignation et de l’évaluation des CCI, ainsi que de toutes les autres décisions stratégiques ». L’article 5 du même règlement dispose que, « [d]ans le but d’atteindre son objectif, l’EIT […] sélectionne et désigne des CCI ». Selon l’article 7 dudit règlement, « [l’]EIT sélectionne et désigne les partenariats appelés à devenir des CCI au terme d’une procédure concurrentielle, ouverte et transparente [et] adopte et publie des critères détaillés, fondés sur les principes de l’excellence et de l’intérêt pour l’innovation, applicables à la sélection des CCI ». Cet article précise également que « [d]es experts externes et indépendants participent à la procédure de sélection ».

54      Enfin, l’article 15 du règlement no 1290/2013 dispose que « [l]es propositions soumises sont évaluées sur la base [de divers] critères d’attribution[, à savoir l’]excellence[, l’]incidence [et la] qualité et [l’]efficacité de la mise en œuvre », que « [l]es propositions sont classées en fonction des résultats de l’évaluation », que « [l]a sélection se fait sur la base de ce classement » et que « [l]’évaluation est effectuée par des experts indépendants ». L’article 40 du même règlement dispose ainsi que « [l]a Commission et, le cas échéant, les organismes de financement peuvent désigner des experts indépendants pour évaluer les propositions conformément à l’article 15 ou fournir des conseils ou de l’assistance concernant […] l’évaluation des propositions […] ».

55      Il résulte de l’ensemble des dispositions rappelées aux points 53 et 54 ci-dessus que, d’une part, la sélection et la désignation des CCI relèvent de la compétence du comité directeur et que, d’autre part, des experts indépendants participent à la procédure de sélection en évaluant les propositions, afin de procéder à leur classement. Le comité directeur procède à la sélection des CCI sur la base de ce classement.

56      À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence que, même lorsque l’EIT s’adjoint le concours d’experts extérieurs, il ne s’en trouve pas pour autant dispensé d’apprécier leurs travaux (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 8 juillet 2009, Zenab/Commission, T‑33/06, non publié, EU:T:2009:250, point 64 et jurisprudence citée).

57      C’est au regard des dispositions et du principe rappelés aux points 51 à 56 ci-dessus qu’il convient d’apprécier le bien-fondé de chacune des deux branches du premier moyen.

 Sur la première branche

58      Il convient, tout d’abord, de relever que les décisions attaquées ont été adoptées dans le cadre de la procédure de sélection de la CCI « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif », telle que définie par l’appel à propositions adopté par l’EIT. Selon les indications du point 7 de cet appel, dont il est constant qu’elles ont été respectées tant par les experts indépendants que par l’EIT, les propositions éligibles devaient être évaluées par des experts externes indépendants de haut niveau. Chaque proposition était ainsi examinée par cinq experts, soit trois experts thématiques et deux experts dits « horizontaux », chacun devant établir un rapport d’évaluation par proposition. Le panel d’experts devait ensuite élaborer un rapport d’évaluation consolidé pour chaque proposition. Ensuite, les trois propositions les mieux classées étaient évaluées par un second panel d’experts indépendants de haut niveau chargé d’établir une recommandation finale contenant un aperçu de ces trois propositions ainsi que des recommandations sur la façon dont elles pourraient être améliorées ou renforcées. Enfin, les représentants des trois propositions les mieux notées devaient être auditionnés par le comité directeur avant que celui-ci désigne la CCI retenue.

59      Il résulte de ce qui précède que les experts indépendants se sont bornés à évaluer les propositions transmises sans prendre aucune décision formelle d’élimination des offres classées en deçà du troisième rang. Contrairement à ce que prétendent les requérants, la décision formelle rejetant la proposition formée par le consortium Kenup a été prise par le comité directeur concomitamment à la décision de désigner la proposition identifiée sous le nom « InnoLife – Better, longer lives » en tant que CCI « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif ».

60      Par suite, la première branche du moyen doit être écartée.

 Sur la seconde branche

61      Il ressort du processus d’évaluation des propositions tel que décrit au point 58 ci-dessus que le panel d’experts chargé de la recommandation finale ne devait examiner que les trois propositions les mieux notées à l’issue de l’évaluation par le premier panel d’experts. Par ailleurs, seuls les représentants de ces trois propositions devaient être auditionnés par le comité directeur. À cet égard, il y a lieu de relever que l’appel à propositions indiquait clairement que la CCI serait sélectionnée par l’EIT sur la base, premièrement, des rapports d’évaluation consolidés relatifs aux trois meilleures propositions, tel qu’établis par le panel d’experts, deuxièmement, du rapport établi par le panel chargé de la recommandation finale ainsi que, troisièmement, du résultat des auditions. Ainsi, l’EIT ne devait opérer sa sélection qu’au vu des seuls travaux menés par les experts indépendants sur les trois propositions les mieux notées et du résultat des auditions menées avec les représentants de ces dernières.

62      À cet égard, il ressort des pièces du dossier que les membres du comité directeur avaient à leur disposition, par le biais d’un site Internet protégé, l’ensemble des propositions présentées au titre de la CCI « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif », dont la proposition du consortium Kenup. Par ailleurs, avant les auditions, le directeur de l’EIT avait rappelé au comité directeur les différentes étapes de la procédure d’évaluation, y compris les différentes notes attribuées globalement et par sous-critères aux cinq propositions soumises. En revanche, aucune des analyses de la proposition du consortium Kenup effectuées par les experts indépendants n’avait été transmise aux membres du comité directeur. En effet, l’annexe 1 de la note d’information datée du 1er décembre 2014 établie par le directeur de l’EIT à l’attention des membres du comité directeur, versée à l’instance par l’EIT à la demande du Tribunal, ne comportait qu’un résumé des rapports d’évaluation réalisés par le panel d’experts afférents aux seules propositions sélectionnées pour les auditions. Par ailleurs, il ne résulte pas de la procédure d’appel à propositions, et il n’est d’ailleurs pas soutenu, que des membres du comité directeur aient assisté aux séances de travaux des experts.

63      Certes, ainsi que le fait valoir l’EIT dans le mémoire en défense, les membres du comité directeur étaient libres de poser des questions et de solliciter des informations complémentaires concernant l’ensemble des propositions et leur évaluation par les experts. Toutefois, ainsi qu’il a été dit au point 62 ci-dessus, les membres du comité directeur ne disposaient pas des évaluations ou d’un résumé des évaluations menées par le panel d’experts concernant les deux propositions non sélectionnées pour les auditions.

64      En tout état de cause, les éventuelles initiatives du comité directeur étaient insusceptibles de remettre en cause le fait que seules les trois propositions les mieux notées par les experts pouvaient être désignées en tant que CCI « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif ». En effet, la procédure fixée par l’appel à propositions faisait obstacle à toute possibilité pour le comité directeur tant de sélectionner la proposition du consortium Kenup que d’inviter ses représentants à participer aux auditions dès lors que cette proposition avait été classée en quatrième position par les experts indépendants. Cette conclusion est confirmée par les termes de la lettre du 10 décembre 2014 informant le coordinateur du consortium Kenup du rejet de sa proposition, qui lient sans conteste cette éviction au classement de la proposition du consortium en deçà de la troisième place. Sur ce point, il peut être relevé, à l’instar des requérants, que, dans sa réponse à leur demande d’informations complémentaires, l’EIT avait indiqué que les experts s’étaient vu accorder, par l’appel à propositions, une délégation de compétence en vue de procéder à la présélection des propositions.

65      Partant, selon la procédure définie par l’appel à propositions, le comité directeur ne pouvait, à l’issue des auditions, que modifier le classement des trois meilleures propositions opéré par les experts, ainsi que l’indique d’ailleurs l’EIT au point 63 du mémoire en défense. Or, la circonstance que, selon l’article 15 du règlement no 1290/2013, la sélection de la CCI est opérée sur la base du classement des propositions, en fonction de l’évaluation effectuée par les experts indépendants, ne saurait impliquer que l’EIT soit lié, même partiellement, quant à l’ordre des propositions ainsi retenu.

66      À cet égard, le fait que les membres du consortium Kenup n’ont pas contesté les termes de l’appel à propositions avant la clôture de cet appel ne saurait les priver de la possibilité de faire valoir, à l’occasion du présent recours, l’irrégularité de la procédure de sélection définie par cet appel à propositions. Sur ce point, il peut être rappelé qu’un document d’appel à la concurrence, tel que, en l’espèce, l’appel à propositions, n’est pas un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Les décisions attaquées étaient donc les premiers actes attaquables par les requérants et, partant, les premiers actes les autorisant à contester incidemment la légalité de la procédure de sélection de la CCI fixée par l’EIT (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2011, Evropaïki Dynamiki/BEI, T‑461/08, EU:T:2011:494, points 73 et 74 et jurisprudence citée). Partant, l’EIT ne saurait utilement faire valoir que l’exclusion du consortium Kenup résulte de la stricte application de la procédure d’appel à propositions définie par le comité directeur.

67      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les requérants sont fondés à soutenir que le comité directeur n’a pas pleinement exercé les compétences de sélection des propositions, en violation des dispositions de l’article 4 du règlement no 294/2008, une partie desdites compétences ayant été déléguée à des experts sans que ledit comité ait, à un quelconque moment, pu utilement porter une appréciation sur leurs travaux menés sur les propositions non classées parmi les trois premières.

68      Les circonstances que le comité directeur a adopté le texte de l’appel à propositions, les critères de sélection de la CCI ainsi que les critères de sélection des experts chargés de l’évaluation des propositions et qu’il a suivi toute la procédure aboutissant à leur sélection ne sauraient remettre en cause ce constat.

69      Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir le premier moyen, pris en sa seconde branche, et d’annuler, pour ce motif, tant la décision par laquelle l’EIT a rejeté la proposition du consortium Kenup que la décision, étroitement liée, par laquelle il a désigné la proposition identifiée sous le nom « InnoLife – Better, longer lives », sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les neuf autres moyens de la requête, en particulier sur le moyen tiré de l’existence d’une situation de conflit d’intérêts en ce qui concerne les membres du comité directeur, notamment sur la question de savoir si l’EIT a entrepris l’ensemble des diligences requises en vue de s’assurer de l’exercice impartial et objectif des fonctions desdits membres, alors, au demeurant, que, d’une part, l’exigence d’impartialité recouvre l’impartialité subjective, mais également l’impartialité objective, de ces derniers, en ce sens que l’organe ou l’organisme de l’Union doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 155), et que, d’autre part, un tel contrôle doit être mené indépendamment de toute appréciation quant à leur niveau d’expertise.

 Sur les dépens

70      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

71      En l’espèce, l’EIT ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux des requérants, conformément aux conclusions de ces derniers.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions en date du 9 décembre 2014, dont le sens a été communiqué par lettre du 10 décembre 2014, par lesquelles l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT) a désigné la communauté de la connaissance et de l’innovation (CCI) « Innovation en faveur d’une vie saine et d’un vieillissement actif » et a rejeté la proposition déposée pour le consortium Kenup, sont annulées.

2)      L’EIT supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Kenup Foundation, Candena GmbH, CO BIK Center odličnosti za biosenzoriko, instrumentacijo in procesno kontrolo et Evotec AG.

Tomljenović

Marcoulli

Kornezov

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 janvier 2018.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.