Language of document : ECLI:EU:T:2021:904

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

15 décembre 2021 (*)

« Aides d’État – Mesures de soutien prises par la Roumanie en faveur d’une entreprise pétrochimique – Non-exécution, accumulation et annulation de créances publiques – Recours en annulation – Délai de recours – Point de départ – Article 24, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 – Intérêt à agir – Existence d’une ou de plusieurs mesures – Ressources d’État – Imputabilité à l’État – Applicabilité du critère du créancier privé – Application du critère du créancier privé – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑565/19,

Oltchim SA, établie à Râmnicu Vâlcea (Roumanie), représentée par Mes C. Arhold, L.-A. Bondoc, S.-E. Petrisor et K. Struckmann, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. V. Bottka et Mme F. Tomat, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision (UE) 2019/1144 de la Commission, du 17 décembre 2018, concernant l’aide d’État SA.36086 (2016/C) (ex 2016/NN) mise en œuvre par la Roumanie en faveur d’Oltchim (JO 2019, L 181, p. 13),

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),

composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, E. Buttigieg, Mme K. Kowalik‑Bańczyk, MM. G. Hesse et D. Petrlík, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 7 mai 2021,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

A.      Contexte factuel et procédure administrative

1        La requérante, Oltchim SA, fondée en 1966 et dont la Roumanie détient une participation de 54,8 % du capital, était l’une des plus grandes entreprises pétrochimiques de Roumanie et du sud-est de l’Europe. Elle avait pour activité la fabrication de produits pétrochimiques, principalement de la soude caustique liquide, des polyols à base d’oxyde de propylène, des plastifiants et des oxo-alcools.

2        Au cours de la période allant de 2007 à 2012, la requérante a vu sa situation financière se détériorer en ce qu’elle a connu une augmentation systématique de ses pertes d’exploitation, de ses pertes cumulées et de ses fonds propres négatifs.

3        Afin d’y remédier, la Roumanie a notifié à la Commission des Communautés européennes, le 17 juillet 2009, notamment, une mesure de soutien consistant en la conversion de la dette publique d’Oltchim en actions. Le 7 mars 2012, par la décision 2013/246/UE concernant l’aide d’État SA.29041 (C 28/2009) (ex N 433/2009) – Mesures de soutien en faveur d’Oltchim SA Râmnicu Vâlcea (JO 2013, L 148, p. 33, ci-après la « décision de 2012 »), la Commission a considéré que la conversion en actions de la dette de la requérante d’un montant de 1 049 000 000 lei roumains (RON) (correspondant à environ 231 millions d’euros) ne constituait pas une aide d’État.

4        Le 23 novembre 2012, le ministère des Finances roumain, le ministère de l’Économie roumain, le ministère des Transports et des Infrastructures roumain, l’Oficiul Participațiilor Statului și Privatizării în Industrie (bureau des participations de l’État et de la privatisation dans l’industrie, Roumanie) et l’Autoritatea pentru Valorificarea Activelor Statului (autorité de valorisation des actifs de l’État, Roumanie), cette dernière ayant été ensuite renommée Autoritatea pentru Administrarea Activelor Atatului (autorité de gestion des actifs de l’État, Roumanie, ci-après l’« AAAS »), ainsi que quatre entreprises publiques créancières de la requérante, à savoir Electrica SA, Salrom SA, CFR Marfă SA et CEC Bank SA, deux banques privées créancières de la requérante, à savoir Banca Transilvania SA et Banca Comercială Română SA, cette dernière étant devenue ultérieurement Erste Bank, et la requérante ont conclu un protocole d’accord (ci-après le « protocole ») en vue du financement de la reprise de la production de cette dernière.

5        Ayant pris connaissance de l’existence du protocole par voie de presse, la Commission a ouvert une enquête d’office le 16 janvier 2013.

6        Le 30 janvier 2013, la requérante a, à sa propre demande, fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité. Dans le cadre de cette procédure, l’administrateur judiciaire de celle-ci a finalisé, le 9 janvier 2015, la liste définitive des créanciers, indiquant le montant, la priorité et la nature de chaque créance et l’a envoyée à l’autorité judiciaire nationale compétente.

7        Le 9 mars 2015, les créanciers de la requérante ont approuvé un plan de réorganisation de l’entreprise, lequel prévoyait, en substance, la vente de celle-ci à un nouvel investisseur qui reprendrait ses actifs ou ses activités (ci-après le « plan de réorganisation » ou le « plan »). Le plan approuvé prévoyait, en outre, une annulation partielle de la dette de la requérante. Le 22 avril 2015, l’autorité judiciaire nationale compétente a adopté le plan de réorganisation, en approuvant l’annulation partielle de la dette de la requérante, la création d’une nouvelle entité (Oltchim SPV) et le transfert de tous les actifs viables de la requérante à cette dernière. Le plan de réorganisation est devenu définitif le 24 septembre 2015.

8        Le 8 avril 2016, la Commission a informé la Roumanie de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

9        Le 6 mars 2017, les créanciers de la requérante ont approuvé un plan de réorganisation révisé, lequel prévoyait dorénavant la vente des actifs de la requérante par lots et non par l’intermédiaire de la création d’une nouvelle entité. Ce plan révisé a été confirmé par l’autorité judiciaire nationale compétente le 28 juin 2017 et est devenu définitif le 16 octobre 2017. En application de ce plan révisé, la majeure partie des lots d’actifs de la requérante a été vendue à la société Chimcomplex, un autre lot ayant été vendu à la société Dynamic Selling Group, tandis que, pour les lots restants, un nouvel appel d’offres a été lancé en mai 2018.

B.      Décision attaquée

10      Le 17 décembre 2018, la Commission a adopté la décision (UE) 2019/1144 concernant l’aide d’État SA.36086 (2016/C) (ex 2016/NN) mise en œuvre par la Roumanie en faveur d’Oltchim SA (JO 2019, L 181, p. 13, ci-après la « décision attaquée »).

11      Dans la décision attaquée, la Commission a examiné la qualification d’aides d’État et leur compatibilité avec le marché intérieur des trois mesures suivantes :

–        la non-exécution et l’accumulation des dettes de la requérante par l’AAAS, entre septembre 2012 et janvier 2013 (ci-après la « mesure 1 ») ;

–        le soutien aux activités d’Oltchim sous la forme de la poursuite des livraisons à titre gratuit entre septembre 2012 et janvier 2013 par CET Govora et Salrom (ci-après la « mesure 2 ») ;

–        l’annulation de la dette opérée en 2015 dans le cadre du plan de réorganisation par l’AAAS, l’Administrația Națională Apele Române (administration nationale des eaux roumaines, ci-après l’« ANE »), Salrom, Electrica et CET Govora (ci-après la « mesure 3 »).

12      Au point 6.1 de la décision attaquée (considérants 183 à 301), la Commission a conclu que les mesures citées au point 11 ci-dessus constituaient des aides d’État, à l’exception du soutien des activités de la requérante par Salrom dans le cadre de la mesure 2 et de l’annulation de la dette opérée en 2015 dans le cadre du plan de réorganisation par CET Govora au titre de la mesure 3. Selon ladite décision, les mesures qualifiées d’aide d’État ont été accordées en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et étaient, dès lors, illégales.

13      Au point 6.2 de la décision attaquée (considérants 302 à 310), la Commission a conclu que les aides d’État étaient incompatibles avec le marché intérieur.

14      Aux points 6.3 (considérants 311 à 315) et 6.4 (considérants 316 à 351) de la décision attaquée, la Commission a considéré que les autorités roumaines devaient procéder au recouvrement des montants correspondant aux mesures d’aide en cause, ce recouvrement ne pouvant toutefois être étendu aux acquéreurs des actifs de la requérante, en l’absence de continuité économique entre elle et eux.

15      L’article 1er de la décision attaquée est rédigé comme suit :

« Les mesures suivantes faisant l’objet de la présente décision, qui ont été illégalement mises en œuvre par la Roumanie en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qu’elles soient prises ensemble ou séparément, constituent des aides d’État :

a)       la non-exécution et l’accumulation des dettes [par l’AAAS] entre septembre 2012 et janvier 2013 ;

b)       le soutien aux activités d’Oltchim sous la forme de la poursuite des livraisons à titre gratuit depuis septembre 2012 et l’accumulation des dettes depuis septembre 2012 par CET Govora sans mesures utiles en vue de protéger ses créances d’un montant à déterminer avec la Roumanie durant la phase de récupération ;

c)       l’annulation de la dette dans le cadre du plan de réorganisation par l’AAAS, [l’ANE], Salrom et Electrica SA pour un montant total, conjointement avec celle visée à l’article 1er, [sous] a), de 1 516 598 405 RON. »

16      L’article 2 de la décision attaquée est rédigé comme suit :

« Les mesures suivantes faisant l’objet de la présente décision ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE :

a)       le soutien des activités d’Oltchim par Salrom, sous la forme de la poursuite des livraisons depuis septembre 2012 ;

b)       l’annulation de la dette opérée en 2015 dans le cadre du plan de réorganisation par CET Govora. »

17      L’article 3 de la décision attaquée est rédigé comme suit :

« L’aide d’État visée à l’article 1er, [sous] a) et c), d’un montant total de 1 516 598 405 RON ainsi que l’aide d’État visée à l’article 1er, [sous] b), illégalement accordée[s] par la Roumanie, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, en faveur d’Oltchim, sont incompatibles avec le marché intérieur. »

18      Aux articles 4 et 5 de la décision attaquée, la Commission a enjoint à la Roumanie de récupérer l’aide d’État visée à l’article 1er de ladite décision auprès de la requérante, avec effet immédiat, la décision attaquée devant être entièrement mise en œuvre dans les six mois suivant sa notification. À l’article 6 de la décision attaquée, la Commission a ordonné à la Roumanie de lui communiquer certaines informations et de la tenir informée de l’état d’avancement des mesures prises pour mettre en œuvre la décision attaquée. À l’article 7 de la décision attaquée, la Commission a précisé que la Roumanie était destinataire de cette décision et que la Commission pouvait publier les montants des aides et des intérêts récupérés en application de celle-ci.

II.    Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 août 2019, la requérante a introduit le présent recours.

20      Le 3 décembre 2019, la Commission a déposé le mémoire en défense.

21      Le 21 février 2020, la requérante a déposé la réplique.

22      Le 25 mai 2020, la Commission a déposé la duplique.

23      Le 19 juin 2020, en application de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la requérante a présenté une demande motivée d’audience de plaidoiries.

24      Par lettre du greffe du 19 mars 2021, le Tribunal a adressé, au titre des mesures d’organisation de la procédure, prévues à l’article 89 du règlement de procédure, des questions écrites aux parties, qui y ont répondu dans les délais impartis.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 7 mai 2021.

26      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er et les articles 3 à 7 de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

A.      Sur la recevabilité du recours

28      La Commission soulève deux fins de non-recevoir à l’encontre du présent recours, relatives, la première, à la tardiveté du recours et, la seconde, à l’absence d’intérêt à agir de la requérante.

1.      Sur la tardiveté alléguée du recours

29      La Commission estime que le recours est irrecevable pour cause de tardiveté. Selon elle, en substance, le délai de recours a commencé à courir dès le moment où un représentant de la requérante a eu connaissance de la décision attaquée. En l’espèce, en application de l’article 24, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), la Commission aurait, par lettres recommandées du 16 mai 2019, envoyé aux administrateurs judiciaires de la requérante, à savoir Rominsolv S.p.r.l. et BDO – Business Restructuring S.p.r.l., une version non confidentielle de la décision attaquée en roumain et en anglais. Selon la Commission, BDO – Business Restructuring aurait reçu cette communication le 30 mai 2019, alors que Rominsolv l’aurait reçue le 4 juin 2019. Ainsi, le délai de recours aurait commencé à courir dès que le premier d’entre eux avait pris connaissance de celle-ci, en l’occurrence, le 30 mai 2019, et non à partir de la date de la publication de la décision attaquée au Journal officiel, à savoir le 5 juillet 2019, de sorte que la date limite pour l’introduction du présent recours aurait été le 12 août 2019. Or, la requête ayant été déposée le 14 août 2019, le recours serait irrecevable pour cause de tardiveté.

30      Selon la Commission, le point de départ du délai de recours au titre de l’article 263, sixième alinéa, TFUE ne serait la date de la publication de l’acte attaqué au Journal officiel que lorsque cette publication conditionne l’entrée en vigueur ou la prise d’effet dudit acte et est prévue par le traité FUE. Or, les décisions adoptées par la Commission au titre de l’article 9 du règlement 2015/1589, telles que la décision attaquée, prendraient effet par leur notification à l’État membre concerné, qui est leur seul destinataire, et non par leur publication au Journal officiel. Ainsi, selon la Commission, la publication au Journal officiel d’une telle décision, au titre de l’article 32, paragraphe 3, de ce règlement, ne constitue pas une publication au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, mais une simple prise de connaissance de celle-ci, au sens de cette dernière disposition. Par conséquent, en matière d’aides d’État, le point de départ du délai de recours serait soit la date de la notification de la décision attaquée, en ce qui concerne l’État membre destinataire de celle-ci, soit la date de la prise de connaissance de ladite décision, en ce qui concerne les parties intéressées. Ainsi, de l’avis de la Commission, si la date de la réception, par une partie intéressée, de la communication de la décision attaquée prévue à l’article 24, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, précède celle de sa publication au Journal officiel, ce serait cette première date qui ferait courir le délai de recours.

31      La Commission reconnaît que l’interprétation de l’article 263, sixième alinéa, TFUE qu’elle préconise se heurte à une jurisprudence de longue date des juridictions de l’Union européenne. Toutefois, ainsi qu’elle l’a confirmé expressément lors de l’audience, elle soutient que le Tribunal doit reconsidérer cette jurisprudence, à la lumière notamment de l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C‑339/16 P, EU:C:2017:384), et des conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:120), lesquels confirmeraient, selon elle, l’interprétation qu’elle avance de cette disposition.

32      La requérante conteste les arguments de la Commission.

33      En vertu de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, un recours en annulation doit être introduit dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte, de sa notification à la partie requérante ou, à défaut, du jour où celle-ci en a eu connaissance.

34      La notification au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE est l’opération par laquelle l’auteur d’un acte communique celui-ci à son ou à ses destinataires et leur permet ainsi d’en prendre connaissance (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, LL/Parlement, C‑326/16 P, EU:C:2018:83, point 48 et jurisprudence citée).

35      En l’espèce, il est constant que, comme il ressort de l’article 7, paragraphe 1, de la décision attaquée, la Roumanie était le seul destinataire de la décision attaquée. Partant, la requérante n’étant pas le destinataire de celle-ci, la communication qui lui fut faite de ladite décision, au titre de l’article 24, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, ne constitue pas une notification au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2005, Olsen/Commission, T‑17/02, EU:T:2005:218, points 75 et 76 et jurisprudence citée).

36      Dans ces conditions, il convient d’apprécier si, dans les circonstances de l’espèce, le point de départ du délai de recours à l’égard de la requérante doit être déterminé en application du critère de la publication ou en application de celui de la prise de connaissance de l’acte au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

37      À cet égard, il découle du libellé même de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, et notamment des termes « à défaut », que le critère de la date de la prise de connaissance de l’acte présente un caractère subsidiaire par rapport à celui de la publication (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil, C‑122/95, EU:C:1998:94, point 35, et du 11 mars 2009, TF1/Commission, T‑354/05, EU:T:2009:66, point 33). Ainsi, la date de la publication, s’il y en a une, est, par rapport à celle de la prise de connaissance de l’acte, le critère décisif pour déterminer le point de départ du délai de recours (ordonnance du 25 novembre 2008, S.A.BA.R./Commission, C‑501/07 P, non publiée, EU:C:2008:652, point 22, et arrêt du 11 novembre 2010, Transportes Evaristo Molina/Commission, C‑36/09 P, non publié, EU:C:2010:670, point 37).

38      Le Tribunal a déjà eu l’occasion de souligner que, s’agissant des actes qui, selon une pratique constante de l’institution concernée, faisaient l’objet d’une publication au Journal officiel, bien que cette publication ne fût pas une condition de leur applicabilité, le critère de la date de prise de connaissance n’était pas applicable et que c’était la date de la publication qui faisait courir le délai de recours. Dans de telles circonstances, en effet, le tiers concerné peut légitimement escompter que l’acte en question sera publié. Cette solution, qui vise la sécurité juridique et s’applique à tous les tiers intéressés, vaut, notamment, lorsque le tiers intéressé auteur du recours a connaissance de l’acte avant sa publication (voir arrêt du 11 mars 2009, TF1/Commission, T‑354/05, EU:T:2009:66, point 34 et jurisprudence citée).

39      La jurisprudence rappelée au point 38 ci-dessus vaut à plus forte raison pour les actes dont la publication au Journal officiel est rendue obligatoire par le droit de l’Union. Tel est le cas en l’espèce, l’article 32, paragraphe 3, du règlement 2015/1589 exigeant la publication au Journal officiel des décisions de la Commission prises en application notamment de l’article 9 de ce règlement. En vertu de cette obligation, une version non confidentielle de la décision attaquée a été publiée intégralement au Journal officiel du 5 juillet 2019 (JO 2019, L 181, p. 13).

40      La Commission soutient cependant que le Tribunal doit reconsidérer cette jurisprudence. Selon elle, le critère de la publication au sens de l’article 263, sixième alinéa, TFUE vise uniquement l’hypothèse où la publication au Journal officiel de l’acte attaqué conditionne l’entrée en vigueur ou la prise d’effet de celui-ci et est prévue par le traité FUE.

41      Afin d’examiner s’il y a lieu de reconsidérer la jurisprudence existante dans le sens préconisé par la Commission, il convient de tenir compte, dans un premier temps, de l’interprétation de l’article 263, sixième alinéa, TFUE et, dans un second temps, de l’incidence éventuelle sur cette interprétation de l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C‑339/16 P, EU:C:2017:384), et des conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:120), invoqués par la Commission.

a)      Sur l’interprétation de l’article 263, sixième alinéa, TFUE

42      Selon une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union doit tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2018, SNCF Mobilités/Commission, C‑127/16 P, EU:C:2018:165, point 29 et jurisprudence citée).

43      En premier lieu, s’agissant du libellé de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, premièrement, il convient de relever que cette disposition emploie les termes « publication de l’acte », sans rien y ajouter et sans exiger qu’une telle publication doive nécessairement conditionner l’entrée en vigueur ou la prise d’effet d’un tel acte, ou être prévue par le traité FUE. Le libellé de l’article 263, sixième alinéa, TFUE ne laisse donc pas apparaître que les auteurs du traité aient voulu restreindre la notion de publication au sens de cette disposition à la seule hypothèse où la publication conditionne l’entrée en vigueur ou la prise d’effet de l’acte attaqué et où celle-ci est prévue par le traité FUE.

44      Deuxièmement, l’emploi de la locution « à défaut » démontre que la prise de connaissance de l’acte attaqué a été consciemment désignée par les auteurs du traité comme un critère subsidiaire ne trouvant à s’appliquer qu’en l’absence de publication de l’acte attaqué.

45      En second lieu, l’interprétation contextuelle et téléologique de l’article 263, sixième alinéa, TFUE confirme ces conclusions. À cet égard, il convient de relever que l’article 263 TFUE, lequel fait partie de la section 5, intitulée « La Cour de justice de l’Union européenne » du chapitre 1, dénommé « Les institutions », du titre I de la sixième partie du traité FUE, régit, en particulier, les conditions dans lesquelles les justiciables peuvent saisir le juge de l’Union d’un recours en annulation d’un acte d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union.

46      À cet égard, il importe de rappeler que les dispositions du traité FUE concernant le droit d’agir des justiciables ne sauraient être interprétées restrictivement (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 222, et ordonnance du 25 mai 2004, Schmoldt e.a./Commission, T‑264/03, EU:T:2004:157, point 59).

47      Or, l’interprétation de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, préconisée par la Commission, revient, en substance, à concevoir le critère de la publication au sens de cette disposition de manière plus restrictive que celle ressortant du libellé de celle-ci, en y ajoutant une condition supplémentaire, selon laquelle la publication doit conditionner l’entrée en vigueur ou la prise d’effet de l’acte attaqué et être prévue par le traité FUE. Or, outre qu’une telle condition supplémentaire ne ressort pas du libellé de l’article 263, sixième alinéa, TFUE (voir point 43 ci-dessus), elle se heurte également à l’objectif qui sous-tend cette disposition.

48      En effet, la finalité de l’article 263, sixième alinéa, TFUE consiste à sauvegarder la sécurité juridique en évitant la remise en cause indéfinie des actes de l’Union entraînant des effets de droit (voir, en ce sens, ordonnance du 5 septembre 2019, Fryč/Commission, C‑230/19 P, non publiée, EU:C:2019:685, point 18 et jurisprudence citée). Le principe de sécurité juridique exige que les délais de recours et leur point de départ soient définis de façon suffisamment précise, claire, prévisible et facilement vérifiable [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2010, Uniplex (UK), C‑406/08, EU:C:2010:45, point 39 et jurisprudence citée]. En effet, il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, et plus généralement de la stabilité de l’ordre juridique de l’Union, de pouvoir déterminer avec certitude la date à partir de laquelle les actes de l’Union deviennent définitifs, faute de recours à leur égard.

49      C’est en poursuivant l’objectif de sécurité juridique que les auteurs du traité FUE ont entendu faire primer la date de la publication de l’acte comme point de départ du délai de recours, cette date pouvant être déterminée par toute partie intéressée avec la certitude requise et sans doute possible, sur celle de la prise de connaissance de l’acte attaqué.

50      En effet, d’une part, cette dernière date peut varier selon la prise de connaissance individuelle de chaque personne concernée, de sorte que le point de départ du délai de recours et, par là, la date de l’expiration de celui-ci ne peuvent être uniformément déterminés. D’autre part, la date de la prise de connaissance de l’acte attaqué peut, dans certains cas, être difficile à déterminer et être sujette à controverses, la preuve de la prise de connaissance étant éminemment factuelle et circonstancielle.

51      Les exigences liées à la sécurité juridique imposent donc de privilégier, aux fins de la détermination du point de départ du délai de recours, le caractère certain, prévisible et facilement vérifiable de la publication de l’acte de l’Union au Journal officiel, que cette publication conditionne ou non l’entrée en vigueur ou la prise d’effet de cet acte et qu’elle soit prévue dans le traité FUE ou dans le droit secondaire.

52      Il convient de rappeler, en outre, que les règles concernant les délais de recours doivent être appliquées par le juge de manière à assurer non seulement la sécurité juridique, mais également l’égalité des justiciables devant la loi (voir arrêt du 19 juin 2019, RF/Commission, C‑660/17 P, EU:C:2019:509, point 58 et jurisprudence citée).

53      À ce dernier égard, il n’est certes pas exclu que, dans les faits, comme le souligne à juste titre la Commission, une partie intéressée reçoive communication de l’acte attaqué au titre de l’article 24, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant la publication de celle-ci au Journal officiel, de sorte qu’elle puisse bénéficier, dans de telles circonstances, d’un délai supérieur à deux mois pour préparer son recours et donc plus long que celui dont dispose l’État membre concerné.

54      Toutefois, tout éventuel écart dans le temps entre la communication d’une décision aux parties intéressées au titre de l’article 24, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 et la publication de celle-ci au Journal officiel est largement tributaire de la célérité avec laquelle les services de la Commission préparent la version de la décision en cause pour publication, ainsi que des éventuels retards dans la publication de celle-ci au Journal officiel. L’origine de cet écart est donc administrative, voire conjoncturelle, et n’est donc aucunement attribuable à la partie intéressée en cause. Dès lors, il appartient à la Commission de veiller au respect du principe d’égalité de traitement en évitant, dans la mesure du possible, un tel écart par la mise en œuvre de mesures administratives appropriées, et non par le biais d’une interprétation restrictive de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, telle qu’elle préconise.

55      La Commission ne saurait non plus tirer argument du fait que, selon elle, l’interprétation de l’article 263, sixième alinéa, TFUE suivie dans la jurisprudence rappelée aux points 37 et 38 ci-dessus ôterait tout effet utile à l’article 24, paragraphe 1, du règlement 2015/1589. Il suffit de noter à cet égard que cette dernière disposition ne vise pas à régir le point de départ du délai de recours et qu’elle ne saurait, en tout état de cause, conditionner l’interprétation d’une disposition du droit primaire.

56      Partant, il découle d’une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 263, sixième alinéa, TFUE que, contrairement à ce que soutient la Commission, la notion de publication de l’acte attaqué, en tant que point de départ du délai pour introduire un recours en annulation par une partie requérante qui n’est pas le destinataire de cet acte, ne doit pas être interprétée comme visant uniquement l’hypothèse où la publication au Journal officiel conditionne l’entrée en vigueur ou la prise d’effet dudit acte et est prévue par le traité FUE.

b)      Sur l’incidence de l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C339/16 P), et des conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C135/16)

57      Il convient d’examiner si, comme le fait valoir la Commission, l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C‑339/16 P, EU:C:2017:384), et les conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:120) ont fait évoluer la jurisprudence dans le sens envisagé par la Commission.

58      Premièrement, il y a lieu de relever que l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C‑339/16 P, EU:C:2017:384), concernait un cas de figure tout à fait différent de celui en cause dans la présente affaire, puisque était en cause dans cette affaire l’articulation entre le critère de la publication et celui de la notification à l’égard d’une partie requérante qui était le destinataire de l’acte attaqué et à qui celui-ci avait été notifié.

59      C’est dans ce contexte que la Cour a considéré qu’il résultait d’une lecture combinée de l’article 263, sixième alinéa, TFUE et de l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE que, en ce qui concernait les recours en annulation, la date à prendre en compte pour déterminer le point de départ du délai de recours était celle de la publication, lorsque cette publication, qui conditionnait l’entrée en vigueur de l’acte, était prévue par ce traité et celle de la notification dans les autres cas mentionnés à l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, au nombre desquels figurait celui des décisions qui désignaient leur destinataire. Selon la Cour, la notification d’un acte n’a pas un caractère subsidiaire, par rapport à la publication de celui-ci au Journal officiel, pour la détermination du point de départ du délai de recours s’appliquant au destinataire de cet acte (voir, en ce sens, arrêts du 17 mai 2017, Portugal/Commission, C‑337/16 P, EU:C:2017:381, points 36, 38 et 40 ; du 17 mai 2017, Portugal/Commission, C‑338/16 P, EU:C:2017:382, points 36, 38 et 40, et du 17 mai 2017, Portugal/Commission, C‑339/16 P, EU:C:2017:384, points 36, 38 et 40).

60      La Cour a donc fait référence à l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE pour clarifier l’articulation entre le critère de la publication et celui de la notification à l’égard de l’État membre destinataire de l’acte attaqué. Étant donné que l’article 263, sixième alinéa, TFUE n’indique pas si l’un de ces critères prime sur l’autre, la Cour s’est appuyée sur l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE afin de les délimiter.

61      En revanche, la présente affaire concerne l’articulation entre le critère de la publication et celui de la prise de connaissance à l’égard d’une partie requérante qui n’est pas le destinataire de l’acte attaqué. Or, dans cette hypothèse, l’article 263, sixième alinéa, TFUE prévoit lui-même le caractère subsidiaire du critère de la prise de connaissance par rapport à celui de la publication.

62      De surcroît, rien n’indique que, dans l’arrêt du 17 mai 2017, Portugal/Commission (C‑339/16 P, EU:C:2017:384), la Cour ait entendu abandonner sa jurisprudence rappelée au point 37 ci-dessus. Au contraire, au point 39 de son arrêt, la Cour a confirmé les enseignements découlant du point 35 de l’arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil (C‑122/95, EU:C:1998:94), aux termes duquel il ressort du libellé même de l’article 263, sixième alinéa, TFUE que le critère de la date de prise de connaissance de l’acte en tant que point de départ du délai de recours présente un caractère subsidiaire par rapport à ceux de la publication ou de la notification de l’acte.

63      Or, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil (C‑122/95, EU:C:1998:94), soulevait, en substance, la même question que celle en cause dans la présente affaire concernant le point de départ du délai de recours. Dans cette affaire était en cause la recevabilité d’un recours introduit par un État membre à l’encontre d’une décision du Conseil de l’Union européenne portant conclusion d’un accord international liant l’Union, dont le contenu était connu par cet État membre depuis le jour même de son adoption, du fait de sa participation à ladite adoption au sein du Conseil. Ladite décision avait, par la suite, fait l’objet d’une publication au Journal officiel, sans que cette publication conditionnât son entrée en vigueur. Devant la Cour, le Conseil avait soutenu, en substance, pour les mêmes motifs que ceux avancés par la Commission dans la présente affaire, que le recours était irrecevable, en arguant que la date de la publication au Journal officiel ne saurait être retenue comme point de départ du délai de recours que pour les actes pour lesquels celle-ci était une condition de leur applicabilité.

64      Or, la Cour n’a pas suivi l’interprétation préconisée par le Conseil, dès lors qu’il ressort, implicitement mais nécessairement, des points 34 à 40 de l’arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil (C‑122/95, EU:C:1998:94), que, lorsque l’acte attaqué n’indique pas de destinataire ou, s’il en indique, lorsque la partie requérante n’est pas le destinataire de cet acte, la publication au Journal officiel dudit acte constitue le point de départ du délai de recours, même lorsque ladite publication ne conditionne pas l’entrée en vigueur ou la prise d’effet de l’acte, et même si la partie requérante a pris connaissance de l’acte, avant la date de la publication, par d’autres moyens tout aussi fiables.

65      Deuxièmement, quant aux conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:120, point 63), il suffit de relever que, dans son arrêt du 25 juillet 2018, Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:582), la Cour n’a pas repris, à son compte, l’affirmation faite au point 63 de ces conclusions.

66      Troisièmement, le fait, invoqué par la Commission, que la jurisprudence citée aux points 37 et 38 ci-dessus précède l’entrée en vigueur du règlement 2015/1589 est dépourvu de pertinence, étant donné que l’article 263, sixième alinéa, TFUE est resté inchangé et que, à l’évidence, les modifications apportées au droit secondaire de l’Union ne sauraient altérer l’interprétation des dispositions du traité. De surcroît, force est de constater que l’article 24, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, sur lequel la Commission construit une partie de son argumentation, ainsi que l’article 32, paragraphe 3, de ce règlement, sont demeurés, en substance, inchangés par rapport aux dispositions analogues du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1).

c)      Conclusions

67      Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de considérer que le point de départ du délai du recours en annulation à l’encontre d’une décision de la Commission prise au titre de l’article 9 du règlement 2015/1589, à l’égard d’une partie requérante qui n’est pas le destinataire de celle-ci, est la date de la publication au Journal officiel de cette décision.

68      La décision attaquée ayant été publiée au Journal officiel le 5 juillet 2019 et la requête ayant été déposée le 14 août 2019, il convient de constater que le présent recours a été introduit dans le délai de deux mois prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, augmenté, conformément aux articles 59 et 60 du règlement de procédure, respectivement, des délais de quatorze et de dix jours.

69      Dès lors, il y a lieu de rejeter la première fin de non-recevoir soulevée par la Commission, tirée de la tardiveté du recours.

2.      Sur l’absence alléguée d’intérêt à agir de la requérante

70      La Commission soutient que la requérante n’aurait pas d’intérêt à agir du fait, d’une part, qu’elle cesserait d’exister vraisemblablement avant la fin de la présente procédure en raison de sa liquidation définitive imminente et, d’autre part, que le présent recours ne servirait que l’intérêt de certains créanciers privés privilégiés de la requérante, et non celui de la requérante elle-même.

71      La requérante conteste les arguments de la Commission.

72      Selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 55 et jurisprudence citée). L’intérêt à agir d’une partie requérante doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci, sous peine d’irrecevabilité, et perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer (voir arrêt du 20 juin 2013, Cañas/Commission, C‑269/12 P, non publié, EU:C:2013:415, point 15 et jurisprudence citée).

73      Premièrement, en l’espèce, il n’est pas contesté que, au moment de l’introduction du présent recours, la requérante existait en tant que personne morale. L’argument de la Commission selon lequel la requérante pourrait cesser d’exister avant la fin de la présente procédure est purement hypothétique, aucun élément du dossier ne permettant d’établir avec certitude si et quand la requérante pourrait cesser d’exister.

74      Deuxièmement, il convient de rappeler que l’un des objectifs de toute procédure d’insolvabilité est de maximiser la masse du patrimoine de l’entreprise insolvable, y compris par le biais de l’introduction de recours visant à contester les dettes réduisant cette masse. Or, si le Tribunal devait annuler la décision attaquée, et notamment la récupération de l’aide en cause, cette annulation serait susceptible de se répercuter sur la masse du patrimoine restant de la requérante. Il s’ensuit que, dans le cadre de la présente procédure, la requérante agit dans son propre intérêt.

75      Par ailleurs, la circonstance que cet intérêt puisse coïncider avec celui d’autres personnes ne fait pas obstacle à la recevabilité du recours (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a., C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 84).

76      Partant, il y a lieu de rejeter la seconde fin de non-recevoir soulevée par la Commission, tirée de l’absence d’intérêt à agir de la requérante.

B.      Sur le fond

77      La requérante soulève neuf moyens concernant, en substance, la qualification d’aide d’État de chacune des trois mesures mentionnées au point 11 ci-dessus. En particulier, s’agissant des mesures 1 et 2, elle estime que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’existence d’un avantage économique ainsi que d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation. S’agissant de la mesure 3, elle soulève trois moyens tirés d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne, respectivement, l’existence d’un transfert de ressources d’État concernant Electrica, l’imputabilité de cette mesure à l’État et l’existence d’un avantage économique ainsi qu’un moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation et, également, un moyen concernant le calcul du montant de l’aide à récupérer.

78      Il convient de relever, au préalable, que, aux points 6.1.1 et 6.1.2.1 à 6.1.2.3 de la décision attaquée, la Commission a examiné séparément chacune des trois mesures énumérées au point 11 ci-dessus et, au considérant 298 de ladite décision, les a qualifiées, chacune séparément, d’aides d’État. Ensuite, au point 6.1.2.4 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les mesures 1, 2 et 3 étaient intrinsèquement liées et poursuivaient le même objectif et a conclu, au considérant 299 de ladite décision, que la « combinaison des mesures 1, 2 et 3 constitu[ait] une aide d’État ». Enfin, la Commission, tout en énumérant à l’article 1er, sous a) à c), de la décision attaquée chacune de ces trois mesures, a conclu, audit article, qu’elles constituaient des aides d’État, « qu’elles soient prises ensemble ou séparément ».

79      Il convient donc d’examiner d’emblée si les mesures 1, 2 et 3 constituent trois interventions distinctes ou bien une seule intervention.

1.      Sur la question de savoir si les mesures 1, 2 et 3 constituent trois interventions distinctes ou bien une seule intervention

80      Sans invoquer un moyen distinct concernant la qualification des mesures 1, 2 et 3 en tant qu’interventions distinctes ou en tant qu’une seule intervention, la requérante fait valoir, en substance, que l’existence d’une aide d’État en l’espèce ne pouvait être établie que de manière individuelle, mesure par mesure et créancier par créancier.

81      Ainsi, dans sa requête, la requérante souligne, en faisant référence au point 6.1.2.4 de la décision attaquée, que la Commission « devait […] démontrer que la conclusion du protocole était imputable à l’État en ce qui concern[ait] chaque créancier public pris individuellement » et que « [l]es mesures prises par chacun des créanciers publics devaient […] être évaluées séparément ». En outre, dans la partie de la requête intitulée « L’imputabilité à l’État doit être examinée individuellement pour tous les créanciers publics concernés », elle fait valoir, en substance, que « la Commission doit démontrer l’imputabilité pour chaque entreprise publique prise individuellement ».

82      En outre, selon la requérante, lorsque la Commission a appliqué le critère du créancier privé pour déterminer s’il existait un avantage économique au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle aurait dû procéder, « [p]our chaque mesure », à une « évaluation individuelle de chacune des entreprises publiques concernées ».

83      Dans sa réplique, la requérante fait valoir, en outre, que « l’imputabilité à l’État (ainsi que tous les autres éléments constitutifs de la notion d’aide d’État, comme l’avantage économique) doit être appréciée pour chaque mesure de chaque créancier public individuellement ».

84      Dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure du Tribunal, la requérante a ajouté, en substance, que, compte tenu de l’objet, de la nature, de la chronologie, de la finalité et du contexte des mesures 1, 2 et 3 ainsi que de l’identité différente de chacun des dispensateurs de celles-ci et de sa situation différente au moment où ces mesures avaient été adoptées, celles-ci constituaient trois interventions distinctes, et non une seule intervention, au sens de l’arrêt du 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a. (C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175, points 103 et 104).

85      Dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure du Tribunal, la Commission fait valoir, en substance, que, dans sa requête, la requérante n’a pas contesté l’existence d’un avantage économique découlant de la nature interconnectée des mesures en cause et que, partant, tout moyen nouveau soulevé par la requérante à cet égard, même en réponse à ladite mesure d’organisation de la procédure, est tardif et irrecevable. Quant au fond, la Commission réitère certaines constatations figurant au point 6.1.2.4 de la décision attaquée et estime avoir démontré, dans celle-ci, que les mesures en cause étaient intrinsèquement liées et qu’elles poursuivaient le même objectif, à savoir soutenir et maintenir la requérante sur le marché ainsi que protéger les employés de celle-ci et que, partant, ensemble, elles avaient accordé un avantage économique à la requérante et constituaient une aide d’État.

a)      Sur la recevabilité des arguments soulevés par la requérante

86      La Commission estime, en substance, que les arguments soulevés par la requérante dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure du Tribunal au sujet de la qualification des mesures 1, 2 et 3 en tant qu’une seule intervention ou en tant qu’interventions séparées constituent un moyen nouveau irrecevable.

87      Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne soient fondés sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen, ou un argument, qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (voir arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 66 et jurisprudence citée).

88      En l’espèce, ainsi qu’il ressort des points 81 et 82 ci-dessus, l’ensemble des moyens et arguments avancés par la requérante dans sa requête repose sur la prémisse, d’une part, que chacune des mesures 1, 2 et 3 doit faire l’objet d’une appréciation séparée et, d’autre part, que cette appréciation doit porter individuellement sur chaque créancier concerné par ces mesures. En outre, la requérante souligne, à plusieurs reprises dans sa requête et dans sa réplique, que la Commission devait prouver que chacune de ces mesures, prise individuellement, et, par suite, les agissements de chaque créancier dans le contexte de chacune de ces mesures étaient imputables à l’État et lui conféraient un avantage.

89      Le seul fait que la requérante n’a pas présenté cette argumentation comme un moyen distinct à l’appui de son recours n’est pas déterminant. En effet, selon une jurisprudence constante, la requête doit être interprétée dans le souci de lui donner un effet utile, en procédant à une appréciation d’ensemble de celle-ci (voir arrêt du 29 avril 2020, Intercontact Budapest/CdT, T‑640/18, non publié, EU:T:2020:167, point 25 et jurisprudence citée).

90      Dans ces circonstances, les arguments soulevés par la requérante dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure du Tribunal, résumés au point 84 ci-dessus, s’ajoutent et développent davantage l’argumentation déjà énoncée dans sa requête ainsi que dans sa réplique, de sorte qu’ils constituent l’ampliation de cette argumentation et présentent un lien étroit avec elle. Partant, de tels arguments ne sauraient être qualifiés de moyen nouveau au sens de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure.

91      Au demeurant, la question de savoir si les mesures 1, 2 et 3 constituent trois interventions distinctes ou bien une seule intervention est un préalable nécessaire au contrôle juridictionnel de la légalité de la décision attaquée. En effet, afin de vérifier si la Commission est parvenue à démontrer à suffisance de droit que les mesures en cause étaient imputables à l’État et conféraient un avantage économique sélectif, il est nécessaire d’établir, au préalable, si ces critères doivent être remplis pour chaque mesure prise séparément ou pour l’ensemble des mesures, conçues comme une seule intervention.

92      Il s’ensuit que la fin de non-recevoir avancée par la Commission doit être écartée.

b)      Sur la qualification des mesures 1, 2 et 3 en tant que trois interventions distinctes ou en tant qu’une seule intervention

93      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les mesures 1, 2 et 3 étaient intrinsèquement liées et relevaient du même objectif principal, tel que cela avait été explicité par le protocole et les déclarations publiques des autorités roumaines (ci-après les « déclarations publiques »), à savoir soutenir et maintenir la requérante sur le marché et protéger les emplois de ses salariés, compte tenu de la même identité des dispensateurs des mesures, de la chronologie de celles-ci, de leur finalité et de la situation de la requérante au moment où la décision d’adopter chacune de ces mesures avait été prise. La Commission a conclu que la mesure 3 ne pouvait être dissociée des mesures 1 et 2 et que l’ensemble de ces mesures constituait une série d’interventions étroitement liées imputables à l’État qui auraient conféré un avantage à la requérante, comme l’indiquerait le protocole (point 6.1.2.4 de la décision attaquée).

94      Selon la jurisprudence, il ne saurait être exclu que plusieurs interventions consécutives de l’État doivent, aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, être regardées comme une seule intervention. Tel peut notamment être le cas lorsque des interventions consécutives présentent, au regard notamment de leur chronologie, de leur finalité et de la situation de l’entreprise au moment de ces interventions, des liens tellement étroits entre elles qu’il est impossible de les dissocier (arrêt du 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175, points 103 et 104).

95      À cette fin, la Commission doit se fonder sur l’ensemble des éléments de fait et de droit pertinents, tels que, outre les critères mentionnés au point 94 ci-dessus, l’objet, la nature et le contexte des interventions en cause (voir, en ce sens, arrêts du 13 septembre 2010, Grèce e.a./Commission, T‑415/05, T‑416/05 et T‑423/05, EU:T:2010:386, points 176 et 178, et du 15 janvier 2015, France/Commission, T‑1/12, EU:T:2015:17, points 45 à 48), l’identité des dispensateurs ou des bénéficiaires de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 15 janvier 2015, France/Commission, T‑1/12, EU:T:2015:17, points 38, 47 et 48), et la question de savoir si les différentes interventions en cause étaient prévues ou prévisibles au moment de la première intervention (voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2020, Valencia Club de Fútbol/Commission, T‑732/16, sous pourvoi, EU:T:2020:98, point 169).

96      Il convient donc d’examiner si, compte tenu des critères rappelés aux points 94 et 95 ci-dessus, la Commission pouvait considérer, sans commettre d’erreur d’appréciation, que les mesures 1, 2 et 3 constituaient une seule intervention étatique.

1)      Sur l’objet et la nature des mesures 1, 2 et 3

97      Dans la décision attaquée, la Commission ne s’est pas penchée, à tout le moins explicitement, sur les différences ou les similarités d’objet et de nature des mesures 1, 2 et 3.

98      La requérante fait valoir, en substance, que l’objet et la nature des trois mesures en cause sont différents. Ainsi, la mesure 1 aurait été adoptée par l’AAAS, agissant comme un créancier « classique », alors que la mesure 2 aurait été caractérisée par l’existence d’une situation d’interdépendance technologique entre le dispensateur de celle-ci, CET Govora, et le bénéficiaire, à savoir la requérante. Quant à la mesure 3, celle-ci se présenterait comme le point culminant de la procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre de cette dernière.

99      Il convient de relever, à l’instar de la requérante, que l’objet et la nature des mesures 1, 2 et 3 ne sont pas les mêmes. La mesure 1 consiste en la non-exécution et l’accumulation des dettes par l’AAAS. Il s’agit, en substance, d’un comportement passif de la part de l’AAAS, par lequel celle-ci s’est abstenue, pendant une période relativement courte de quatre mois, de procéder à l’exécution de ses créances auprès de la requérante. Par ailleurs, l’accumulation de créances par l’AAAS pendant cette période aurait consisté non pas en de nouvelles créances contractées pendant celle-ci, mais uniquement en l’accumulation d’intérêts encourus sur des créances préexistantes. La mesure 2 consiste, quant à elle, en la poursuite des livraisons de matières premières à titre gratuit et en l’accumulation des dettes sans mesures utiles en vue de protéger les créances de CET Govora. La mesure 3 consiste, quant à elle, en un comportement actif de la part de l’AAAS, l’ANE, Salrom et Electrica, par lequel celles-ci ont annulé une partie de leurs créances, dans le cadre du plan de réorganisation.

100    Ainsi, chacune de ces mesures est caractérisée par un objet et une nature spécifiques. En outre, comme le relève la requérante, et ainsi qu’il ressort notamment des considérants 246, 248 et 251 de la décision attaquée, la mesure 2 a été adoptée par CET Govora dans un contexte très particulier caractérisé par l’interdépendance technologique existante entre CET Govora et la requérante, dans la mesure où, d’une part, la requérante était un acheteur important, notamment de la vapeur industrielle fournie par CET Govora, et, d’autre part, les activités de CET Govora dépendaient de la fourniture d’eau industrielle par la requérante. Quant à la mesure 3, elle est, par son objet et par sa nature, également différente des mesures 1 et 2, en ce qu’elle consiste en l’annulation partielle des créances de certains créanciers dans le cadre d’un plan de réorganisation, ce qui n’est pas le cas des mesures 1 et 2.

2)      Sur les dispensateurs des mesures 1, 2 et 3

101    Au considérant 286 de la décision attaquée, la Commission a relevé la « même identité des dispensateurs des mesures ».

102    La requérante fait valoir, en substance, que les dispensateurs des mesures 1, 2 et 3 étaient différents et qu’ils se trouvaient dans des situations différentes lorsqu’ils ont adopté celles-ci.

103    Il convient de relever, à l’instar de la requérante, que l’AAAS est dispensateur de l’aide dans le cadre de la mesure 1, que CET Govora est dispensateur de l’aide dans le cadre de la mesure 2 et que l’AAAS, l’ANE, Salrom et Electrica sont dispensateurs de l’aide dans le cadre de la mesure 3. Il s’agit donc de différents dispensateurs, à l’exception de l’AAAS qui apparaît dans les mesures 1 et 3.

104    Qui plus est, ces différents dispensateurs sont des entités de nature juridique différente. En effet, tandis que l’AAAS fait partie de l’administration publique, l’ANE, Salrom et CET Govora sont des entreprises publiques et Electrica est une entreprise dont le capital est majoritairement détenu par des personnes privées depuis juillet 2014.

3)      Sur la chronologie des mesures 1, 2 et 3

105    Au considérant 286 de la décision attaquée, la Commission a justifié sa conclusion selon laquelle les trois mesures en cause constituaient une seule intervention étatique, notamment, par « la chronologie des mesures en question », sans développer davantage l’appréciation de ce critère.

106    La requérante fait valoir qu’il y avait un écart de presque trois ans entre l’adoption des mesures 1 et 2, d’une part, et de la mesure 3, d’autre part.

107    À cet égard, il convient de relever que les mesures 1 et 2 se rapportent à la même période, à savoir celle allant de septembre 2012 à janvier 2013. En revanche, l’annulation partielle des dettes de la requérante qui constitue l’objet de la mesure 3 a eu lieu en 2015 (voir point 7 ci-dessus). Ainsi, tandis que les mesures 1 et 2 ont été concomitantes, la mesure 3 n’est intervenue que plus de deux ans plus tard.

108    Par ailleurs, aucun élément de la décision attaquée ou du dossier dont dispose le Tribunal ne suggère que la mesure 3 était prévue ou prévisible au moment de l’adoption des mesures 1 et 2, étant précisé que ce critère figure parmi les éléments pertinents que la Commission doit prendre en compte conformément à la jurisprudence citée au point 95 ci-dessus.

4)      Sur la finalité des mesures 1, 2 et 3

109    Aux considérants 285 et 286 de la décision attaquée, la Commission a affirmé que les mesures 1, 2 et 3 relevaient du même objectif principal, à savoir soutenir et maintenir la requérante sur le marché et protéger les emplois de ses salariés.

110    La requérante fait valoir que la finalité des mesures en cause n’était pas la même. Selon elle, par la mesure 1, l’AAAS avait comme objectif de « gagner du temps » pour évaluer sa situation. Par la mesure 2, CET Govora aurait visé à protéger ses propres intérêts économiques, compte tenu de son interdépendance technologique à l’égard de la requérante. Par la mesure 3, les dispensateurs auraient eu comme objectif d’exécuter leurs créances, tout en annulant une partie de celles-ci, aux fins de maximiser le recouvrement de celles-ci, dans le cadre de la procédure d’insolvabilité.

111    Quant à la mesure 1, il convient de noter que, dans le cadre de l’examen de celle-ci, la Commission reproche, en substance, à l’AAAS une certaine passiveté pendant une période relativement courte de quatre mois, durant laquelle cette dernière n’aurait pas procédé à l’exécution de ses créances auprès de la requérante. Selon celle-ci, le droit roumain empêchait pourtant l’AAAS de procéder à une telle exécution. Dans ces circonstances, il paraît difficile d’attribuer un objectif clair à cette mesure.

112    Quant à la mesure 2, il suffit de noter qu’il n’est pas contesté que celle-ci visait notamment à protéger les intérêts économiques propres de CET Govora, et même à assurer la survie de celle-ci sur le marché, dans un contexte caractérisé par l’interdépendance technologique existant entre CET Govora et la requérante, ainsi qu’il a été relevé au point 100 ci-dessus.

113    Quant à l’objectif de la mesure 3, il convient de rappeler que celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité au cours de laquelle tant des créanciers publics que des créanciers privés ont voté en faveur d’un plan de réorganisation impliquant l’annulation partielle des créances détenues sur la requérante par ces créanciers. Or, par une telle annulation, ces créanciers poursuivaient le double objectif de procéder à la restructuration de la requérante et à la récupération de leurs créances restantes ou d’une partie de celles-ci. Ainsi, la finalité de la mesure 3 ne coïncidait pas avec celle des mesures 1 et 2.

5)      Sur la situation de la requérante au moment où les mesures 1, 2 et 3 ont été adoptées

114    Au considérant 286 de la décision attaquée, la Commission a justifié sa conclusion selon laquelle les trois mesures en cause ne constituaient qu’une seule intervention en faisant référence à « la situation (financière et de risque) de l’entreprise au moment où la décision d’adopter chacune de ces mesures a été prise, à savoir quand Oltchim était sur le point de faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité ».

115    La requérante souligne, cependant, que sa situation au moment de l’adoption de la mesure 3 était différente de sa situation au moment de l’adoption des mesures 1 et 2, la mesure 3 ayant été adoptée dans le cadre de la procédure d’insolvabilité ouverte à son égard.

116    Premièrement, le Tribunal constate qu’aucune procédure d’insolvabilité n’a été ouverte à l’encontre de la requérante au cours de la période concernée par les mesures 1 et 2. En revanche, la mesure 3 s’inscrit dans le cadre de la procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre de celle-ci le 30 janvier 2013. La situation juridique dans laquelle se trouvait la requérante lorsque la mesure 3 a été adoptée était donc différente de celle qui prévalait lors de la mise en œuvre des mesures 1 et 2.

117    Deuxièmement, il ressort des considérants 77 et 78 de la décision attaquée que la situation financière de la requérante avait elle aussi évolué entre la période couverte par les mesures 1 et 2 et le moment où a été adoptée la mesure 3. En effet, pendant la procédure d’insolvabilité, avant l’approbation du plan de réorganisation, la requérante a mis en œuvre des mesures pour réduire ses coûts, en décidant notamment du licenciement de salariés, du changement d’un électrolyseur dans les grandes installations de production et du redémarrage de son usine de production d’oxo-alcools. Ces mesures auraient permis à la requérante d’améliorer ses résultats économiques et financiers, son chiffre d’affaires de l’année 2015 ayant augmenté de 31 % par rapport à l’année 2014 et de 59 % par rapport à l’année 2013 et son bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissements (EBITDA) s’étant également amélioré.

6)      Sur le contexte dans lequel s’inscrivent les mesures 1, 2 et 3

118    Aux considérants 285, 288 et 290 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les trois mesures en cause étaient intrinsèquement liées et indissociables également en raison du contexte dans lequel elles s’inscrivaient, lequel était caractérisé notamment par l’existence du protocole et de certaines déclarations publiques des autorités roumaines.

119    La requérante soutient que ni le protocole ni les déclarations publiques ne permettent de considérer que les mesures en cause étaient intrinsèquement liées et indissociables, étant donné, en substance, qu’il n’y aurait aucun lien entre le protocole et lesdites mesures. La requérante souligne que le protocole n’aurait fait qu’établir un cadre de coopération entre ses principaux créanciers et actionnaires, tant publics que privés, et qu’il ne contenait aucune obligation de l’État ou d’autres entités publiques de lui accorder une aide d’État. Ce protocole ne contiendrait pas non plus d’obligations contractuelles visant à l’abandon des créances. Les déclarations publiques, quant à elles, ne démontreraient pas non plus que l’État aurait pris des engagements contraignants à son égard.

i)      Sur le protocole

120    Premièrement, il convient de constater d’emblée que la Commission n’a pas qualifié le protocole de mesure constitutive d’une aide d’État. Il ne s’agit donc que d’un élément de contexte dans lequel s’inscrivaient les mesures en cause.

121    Deuxièmement, il y a lieu de relever que le protocole a été signé non seulement par des représentants de l’administration, mais aussi par des entreprises publiques et par deux banques privées, lesquelles figuraient parmi les créanciers principaux de la requérante. La Commission n’allègue pas que ces créanciers auraient été contraints par l’État de conclure ledit protocole. La circonstance que des créanciers tant publics que privés ont décidé de le conclure suggère qu’au moins certains signataires du protocole pourraient avoir été guidés par la sauvegarde de leurs propres intérêts économiques lors de la conclusion du protocole et non par un prétendu objectif de soutenir et de maintenir la requérante sur le marché.

122    Troisièmement, il y a lieu de relever que certains dispensateurs des mesures d’aides alléguées, à savoir CET Govora, dans le cadre de la mesure 2, et l’ANE, dans le cadre de la mesure 3, ne sont pas parties audit protocole.

123    Quatrièmement, quant à la teneur du protocole, celui-ci prévoyait, en substance, que ses signataires s’engageaient à coopérer en vue d’élaborer une stratégie garantissant la viabilité à long terme de la requérante et permettant à celle-ci d’atteindre un niveau durable de rentabilité, de solvabilité et de liquidités, dans le but notamment de protéger ses créanciers et d’assurer la réorganisation de cette dernière. Le protocole contenait des engagements de la part des banques signataires, de l’État et de la requérante pour assurer la mise en œuvre d’une telle stratégie.

124    Toutefois, aucune clause du protocole ne mentionne, ni explicitement, ni implicitement, les mesures 1, 2 et 3. En particulier, aucune clause de celui-ci n’impose à l’AAAS de ne pas procéder à l’exécution de ses créances à l’encontre de la requérante ou de ne pas entreprendre d’autres démarches à l’égard de cette dernière en vue de protéger ses créances, ce qui constitue l’objet de la mesure 1. De même, aucune clause de celui-ci n’oblige l’AAAS, l’ANE, Salrom ou Electrica à accepter une quelconque annulation de leurs créances, non plus qu’à approuver un plan de réorganisation donné, ce qui constitue l’objet de la mesure 3. Quant à la mesure 2, il suffit de relever que son seul dispensateur, à savoir CET Govora, n’était pas partie audit protocole.

125    Qui plus est, la clause 8.1 du protocole prévoyait ce qui suit :

« Aucune disposition du présent accord ne peut être interprétée comme une renonciation, une restriction, une limitation ou une suspension de droits, de prérogatives ou d’intérêts d’une partie en vertu ou en rapport avec un contrat auquel elle est partie ou qui pourrait découler de toute législation applicable. Pour éviter toute ambiguïté, les parties conviennent que le présent accord ne peut être interprété comme un moratoire sur la suspension des paiements ou la restructuration, ni comme une obligation, pour les banques, Electrica ou [l’AAAS], de convenir d’un rééchelonnement de la dette ou de toute autre mesure de restructuration, ou de fournir un financement, de mettre en œuvre une annulation de dettes, une suspension des paiements ou d’autres mesures similaires en rapport avec Oltchim. »

126    Ainsi, cette clause du protocole a explicitement établi que, « [p]our éviter toute ambiguïté », celui-ci n’imposait à ses signataires ni d’abandonner leurs créances sur la requérante, ni d’accepter un quelconque plan de réorganisation, ni, plus généralement, de renoncer à un quelconque droit contractuel ou autre à l’égard de la requérante.

127    Cinquièmement, il ressort des constatations opérées par la Commission dans la décision attaquée que, en réalité, le prétendu impact du protocole a été différent en ce qui concernait chacune des trois mesures en cause et chaque dispensateur des aides alléguées. Les exemples suivants en témoignent. En ce qui concerne la mesure 1, ainsi qu’il ressort du considérant 231 de la décision attaquée, le fait qu’Electrica a signé le protocole ne l’a pourtant pas empêchée d’adopter des mesures pour recouvrer ses créances dès le mois de novembre 2012, à la différence de l’AAAS, laquelle avait également signé le protocole. En ce qui concerne la mesure 2, comme le relève la requérante, et ainsi qu’il ressort des considérants 255 à 257 et 263 de la décision attaquée, le fait que Salrom a signé le protocole ne l’a pas non plus empêchée de se comporter comme un créancier privé, ce qui a amené la Commission à conclure que Salrom n’avait pas accordé d’aide d’État à la requérante dans le cadre de la mesure 2. En ce qui concerne la mesure 3, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort de la note en bas de page no 84 de la décision attaquée, CFR Marfă, une entreprise publique partie au protocole, a voté contre l’approbation du plan de réorganisation.

128    Partant, compte tenu de la teneur du protocole et du comportement de ses différents signataires dans le cadre des mesures 1, 2 et 3, il apparaît, d’une part, que le protocole n’a eu qu’un impact limité sur la portée de ces mesures et, d’autre part, que son impact éventuel sur chacune de ces mesures n’a pas été le même.

129    Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait, souligné par la Commission, que le protocole a été signé par des représentants de trois ministères et approuvé par le Premier ministre. Comme le fait valoir la requérante, à l’époque des faits, elle était détenue majoritairement par l’État et était, elle-même, partie au protocole, de sorte que la signature du protocole par de hauts fonctionnaires de l’État semble découler du cadre juridique régissant l’organisation et le fonctionnement de ses principaux actionnaires étatiques. En tout état de cause, cette circonstance ne change en rien la teneur du protocole et n’a pas non plus empêché les différents signataires de ce dernier d’agir de façon différente et non coordonnée dans le cadre de chacune des mesures en cause, ainsi qu’il a été relevé au point 127 ci-dessus.

ii)    Sur les déclarations publiques

130    Au considérant 285 de la décision attaquée, la Commission a également fait référence, en renvoyant à d’autres considérants de celle-ci, à plusieurs déclarations publiques des autorités roumaines afin de démontrer que les trois mesures en cause s’inscrivaient dans une stratégie d’ensemble visant à maintenir la requérante en activité et à éviter sa liquidation.

131    Il convient de relever d’emblée que la Commission n’a pas qualifié les déclarations publiques de mesures constitutives d’aides d’État.

132    Ainsi, il convient d’examiner si les déclarations publiques en tant qu’éléments de contexte sont susceptibles de démontrer que les mesures 1, 2 et 3 présentaient des liens tellement étroits entre elles qu’il était impossible de les dissocier, de sorte qu’elles devaient être considérées comme une seule aide d’État.

133    La Commission a fait référence aux déclarations suivantes :

–        une déclaration du Premier ministre roumain dans un article de presse du 1er octobre 2012, dans laquelle il aurait déclaré notamment qu’il devait « expliquer aujourd’hui le plan de réserve pour reprendre les activités, sauver les emplois et préparer une nouvelle procédure de privatisation, dans des conditions très différentes et considérablement améliorées », que « [l]e plan de relance d’Oltchim » serait présenté prochainement, que les autorités lanceraient officiellement des discussions avec tous les principaux créanciers de celle-ci à cette fin (considérant 27 de la décision attaquée). Cette déclaration annonce le début des discussions ayant conduit à l’adoption du protocole environ un mois et demi plus tard. Elle n’a donc pas de contenu autonome par rapport au protocole lui-même ;

–        une déclaration du secrétaire d’État du ministère de l’Économie du 17 octobre 2012 dans laquelle il aurait annoncé la réouverture partielle de la requérante et l’intention du gouvernement de lui octroyer une aide au sauvetage (considérant 28 de la décision attaquée). Toutefois, ladite « aide au sauvetage » n’a pas été accordée et ne fait, en tout état de cause, pas l’objet de la décision attaquée ;

–        une déclaration du ministre de l’Économie du 15 novembre 2012 dans laquelle il aurait déclaré, en substance, que « [l]’idée d’insolvabilité [était] écartée à condition que [soit] trouv[é] un accord avec les principaux créanciers [d’Oltchim] » et annoncé l’adoption du protocole, lequel a été signé huit jours plus tard, et dont l’objectif serait, selon cette déclaration, « de pouvoir relancer, sauver, restructurer Oltchim de manière contrôlée, avec l’accord des créanciers » (considérant 30 de la décision attaquée). D’une part, l’impact de cette déclaration est limité, car, contrairement à ce que ledit ministre venait d’annoncer, environ deux mois plus tard, la procédure d’insolvabilité a été déclenchée. D’autre part, cette déclaration ne fait qu’annoncer la signature du protocole et n’a donc pas de contenu autonome par rapport à celui-ci ;

–        des déclarations des dirigeants du syndicat des salariés de la requérante [considérant 204, sous b), et note en bas de page no 72 de la décision attaquée]. Toutefois, celles-ci, n’étant pas des déclarations de représentants de l’État, sont dépourvues de pertinence ;

–        un article de presse du 26 janvier 2013, dans lequel il est mentionné que l’ancien ministre de l’Économie aurait discuté les conséquences de l’échec de la privatisation de la requérante, en mentionnant notamment que « l’ouverture de la procédure d’insolvabilité à l’encontre d’Oltchim [serait] une chance de restructuration et de valorisation des parties viables » [considérant 204, sous c), de la décision attaquée]. Cette déclaration ne comporte aucun engagement de l’État ;

–        un article de presse du 29 mars 2013, selon lequel, en substance, le Premier ministre roumain aurait indiqué que la Commission n’approuverait pas l’octroi d’une aide d’État à la requérante, que, pour cette raison, celle-ci devrait obtenir un financement auprès des banques et des négociants et que le gouvernement souhaitait que « les emplois soient préservés » [considérant 204, sous d), de la décision attaquée]. Cette déclaration indique, contrairement à ce que suggère la Commission, que l’État membre concerné n’avait aucune intention d’accorder une aide d’État à la requérante. Quant au fait que le gouvernement « souhaitait » que des emplois soient préservés, le Tribunal n’y voit aucun reproche possible, ni aucun indice de la volonté de l’État d’accorder une aide à la requérante ;

–        une déclaration du ministre de l’Économie datant du mois de mars 2013, dans laquelle il a indiqué avoir une préférence pour trouver un investisseur stratégique dans le capital de la requérante, ce qui aurait été plus important que le prix de vente [considérant 204, sous e), de la décision attaquée]. Cette déclaration ne comporte aucun engagement de la part des autorités roumaines ;

–        une déclaration du ministre de l’Économie du 30 mai 2013, dans laquelle il aurait indiqué que, « au-delà de sa marque, Oltchim dét[enait] un nombre important de brevets qui val[ai]ent des millions d’euros » et que « la destruction de cette entreprise revenait à détruire un trésor de propriété intellectuelle » [considérant 204, sous f), de la décision attaquée]. Or, cette déclaration n’a aucun rapport avec les mesures en cause ;

–        une déclaration du ministre de l’Économie du 9 juillet 2013, dans laquelle il aurait affirmé notamment que « des solutions exist[ai]ent pour sauver la société », que la requérante était une question « de fierté et de dignité nationales » et qu’elle « mérit[ait] d’être sauvée » [considérant 204, sous g), de la décision attaquée]. Si, certes, cette déclaration laisse entendre que les autorités roumaines auraient souhaité « sauver » la requérante, il s’agit d’une simple déclaration de nature politique visant à rassurer les salariés, et plus généralement le public. De plus, cette déclaration ne contient aucun engagement clair, précis, concret et ferme de la part des autorités roumaines de faire adopter le plan de réorganisation, dont les contours n’étaient pas encore connus à l’époque de cette déclaration ;

–        une déclaration du ministre de l’Économie datant de septembre 2013, dans laquelle il aurait annoncé, en substance, que les créanciers de la requérante allaient prochainement approuver « un financement », que celle-ci obtiendrait des crédits de banques privées et que « Oltchim no 2 » n’aurait plus de dettes « fin septembre » [considérant 204, sous h), de la décision attaquée]. Cette déclaration semble se référer à un financement privé et ne contient aucun engagement clair, précis, concret et ferme de l’État. Par ailleurs, le fait que ledit ministre se soit prononcé « contre la liquidation de grandes entreprises publiques » traduit également une simple déclaration de nature politique ne comportant aucun engagement clair de l’État ;

–        une déclaration du Premier ministre roumain du 19 février 2014, dans laquelle il aurait exhorté le nouveau ministre de l’Économie à reprendre le « problème Oltchim », ajoutant qu’il « ne voudrait pas que la situation explose […] en raison d’un manque de capacité politique » [considérant 204, sous i), de la décision attaquée]. Cette déclaration est très générale ;

–        des déclarations du ministre de l’Économie datant de 2014, selon lesquelles la requérante « [était] une entreprise d’intérêt national et stratégique », « les investisseurs souhait[ai]ent également racheter la raffinerie d’Arpechim » et « Oltchim ne sera[it] jamais fermée » [considérant 204, sous j), de la décision attaquée]. Si cette dernière affirmation pouvait, en effet, suggérer que les autorités roumaines souhaitaient éviter la fermeture de la requérante, il n’en demeure pas moins que ladite déclaration n’est pas suffisamment spécifique et concrète.

134    Par ailleurs, le seul fait que les créanciers publics et privés tiennent compte des déclarations publiques des responsables afin de déterminer leur comportement sur le marché n’est pas suffisant pour démontrer qu’il existait des liens si étroits entre les mesures 1, 2 et 3 qu’il était impossible de les dissocier.

135    En outre, en ce qui concerne plus spécifiquement la mesure 3, adoptée le 9 mars 2015, ces différentes déclarations publiques lui sont antérieures d’environ un ou deux ans, la date de la déclaration la plus proche de la date de cette mesure étant le 3 juin 2014, soit environ neuf mois avant l’adoption de ladite mesure. Partant, si ces déclarations peuvent être prises en compte, en tant qu’élément de contexte, il n’a pas été établi, compte tenu du temps écoulé entre celles-ci et la date de l’adoption de la mesure 3, qu’elles présentaient un lien suffisamment étroit avec ladite mesure.

136    Partant, si la Commission a pu valablement tenir compte desdites déclarations, en tant qu’un élément du contexte dans lequel s’inscrivaient les mesures 1, 2 et 3, leur teneur ne laisse pas apparaître qu’il existait des liens si étroits entre les mesures 1, 2 et 3 qu’il était impossible de les dissocier, de sorte qu’elles devaient être considérées comme une seule aide d’État.

7)      Conclusion

137    Compte tenu de l’ensemble des critères prévus dans la jurisprudence citée aux points 94 et 95 ci-dessus, notamment de l’objet et de la nature des mesures 1, 2 et 3, de l’identité différente des dispensateurs de celles-ci, de la chronologie de ces mesures, du fait qu’elles n’étaient pas prévues ou prévisibles au moment de la première intervention, de leur finalité, de la situation de la requérante au moment de la mise en œuvre de chacune d’elles ainsi que du contexte dans lequel elles s’inscrivaient, il y a lieu de conclure que, contrairement à ce qu’a considéré la Commission au point 6.1.2.4 de la décision attaquée, les mesures en cause ne présentaient pas de liens si étroits entre elles qu’il aurait été impossible de les dissocier. Par conséquent, les mesures 1, 2 et 3 doivent être considérées comme étant trois interventions distinctes aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

2.      Sur la qualification des mesures en cause d’aides d’État

138    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt du 21 octobre 2020, Eco TLC, C‑556/19, EU:C:2020:844, point 18 et jurisprudence citée).

139    Dans le cadre du contrôle des aides d’État, il appartient, en principe, à la Commission de rapporter, dans la décision attaquée, la preuve de l’existence d’une aide d’État. En effet, il incombe à la Commission de démontrer que les conditions d’existence d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sont réunies (voir arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, points 194 et 196 et jurisprudence citée).

140    En l’espèce, la requérante ne conteste pas que les mesures 1 et 2 impliquent des ressources d’État et soient imputables à l’État. En revanche, elle conteste que cette condition soit remplie en ce qui concerne la mesure 3. En outre, la requérante considère qu’aucune des mesures en cause ne lui confère un avantage.

a)      Sur l’existence d’un transfert de ressources d’État dans le cadre de la mesure 3 et sur l’imputabilité de celle-ci à l’État

141    Au point 6.1.1.3 de la décision attaquée, la Commission a relevé que l’annulation d’une partie de leurs créances respectives par l’AAAS, Electrica, Salrom, CET Govora et l’ANE dans le cadre du plan de réorganisation impliquait un transfert de ressources d’État et était imputable à l’État.

142    La requérante soutient, en substance, premièrement, que l’annulation partielle des créances d’Electrica dans le cadre de la mesure 3 n’impliquait pas de transfert de ressources d’État et, deuxièmement, que la mesure 3, prise dans son ensemble, n’était pas imputable à l’État.

1)      Sur la question de savoir si l’annulation partielle des créances d’Electrica dans le cadre du plan de réorganisation impliquait un transfert de ressources d’État

143    La requérante relève que, en juillet 2014, Electrica, qui était jusqu’alors une entreprise publique, a été privatisée, de sorte qu’elle n’était plus, à partir de cette date, une entreprise publique se trouvant sous l’influence dominante de l’État. Partant, les ressources d’Electrica n’auraient pas été des ressources de l’État, de sorte que l’annulation d’une partie des créances détenues par cette entreprise sur la requérante n’impliquait aucun transfert de ressources d’État.

144    La Commission fait valoir, en substance, que la question de savoir si Electrica était une entreprise publique n’est pas pertinente en l’espèce, la Roumanie ayant joué un rôle essentiel dans la mise en œuvre de la mesure 3 et dans le choix de ses modalités de financement.

145    Dans la décision attaquée, la Commission a relevé que, depuis juillet 2014, la majorité des participations d’Electrica étaient privées, l’État ne détenant que 48,78 % de son capital.

146    La décision attaquée ne contient aucun autre motif concernant la situation d’Electrica, telle qu’elle se présentait à la suite de sa privatisation, susceptible d’expliquer les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que l’annulation partielle de ses créances dans le cadre de la mesure 3 impliquait un transfert de ressources de l’État.

147    Selon la jurisprudence, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État (voir arrêt du 13 septembre 2017, ENEA, C‑329/15, EU:C:2017:671, point 20 et jurisprudence citée). La notion d’intervention « au moyen de ressources d’État », au sens de cette disposition, vise à inclure, outre les avantages accordés directement par un État, ceux accordés par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État en vue de gérer l’aide (voir arrêt du 9 novembre 2017, Viasat Broadcasting UK/TV2/Danmark, C‑657/15 P, EU:C:2017:837, point 36 et jurisprudence citée). Ainsi, l’article 107, paragraphe 1, TFUE englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l’État. Même si des sommes correspondant à la mesure d’aide concernée ne sont pas de façon permanente en la possession de l’État, le fait qu’elles restent constamment sous le contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de « ressources d’État » (voir arrêt du 15 mai 2019, Achema e.a., C‑706/17, EU:C:2019:407, point 53 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Essent Netwerk Noord e.a., C‑206/06, EU:C:2008:413, point 70 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2017, ENEA, C‑329/15, EU:C:2017:671, point 25 et jurisprudence citée).

148    En l’espèce, la Commission ne conteste pas l’affirmation de la requérante selon laquelle, à partir du mois de juillet 2014, la Roumanie ne contrôlait plus la majorité des droits de vote dans Electrica, ne pouvait pas nommer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette entreprise et ne disposait d’aucun droit spécial selon les statuts de cette entreprise lui permettant de contrôler les décisions de celle-ci.

149    Aucun élément du dossier dont dispose le Tribunal ne permet de conclure que les ressources d’Electrica utilisées dans le cadre de la mesure 3 étaient constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, au sens de la jurisprudence citée au point 147 ci-dessus.

150    Le simple fait pour une entreprise telle qu’Electrica d’avoir signé le protocole en 2012 (considérant 203 de la décision attaquée) ne signifie pas que ses ressources étaient sous le contrôle de l’État. En tout état de cause, lors de la mise en œuvre de la mesure 3, en 2015, l’État ne contrôlait plus les ressources d’Electrica.

151    De même, le fait qu’une entreprise privée puisse tenir compte des déclarations publiques des autorités (considérant 205 de la décision attaquée) lorsqu’elle décide de son comportement sur le marché ne signifie aucunement, en l’absence de tout autre élément concret en ce sens, que ses ressources se trouveraient sous le contrôle de l’État ou à sa disposition.

152    Par ailleurs, le fait, souligné par la Commission, que les créances d’Electrica en cause dans le cadre de la mesure 3 auraient été contractées antérieurement à sa privatisation est dénué de pertinence, car, d’une part, les dettes et les créances préexistantes à la privatisation d’une entreprise sont habituellement répercutées dans le prix de vente de celle-ci et, d’autre part, la décision d’Electrica d’approuver le plan de réorganisation a été prise en 2015, c’est-à-dire après sa privatisation.

153    De même, le fait que, après la privatisation d’Electrica, l’État détenait 48,78 % de son capital et que, par là, il conservait, selon la Commission, un « degré élevé d’influence » sur la politique commerciale d’Electrica ne signifie pas, en l’absence d’autres éléments concrets en ce sens, que les ressources de celle-ci étaient constamment sous le contrôle de l’État ou à sa disposition au sens de la jurisprudence citée au point 147 ci-dessus. Au contraire, l’analyse figurant aux points 148 à 152 ci-dessus suggère que, en dépit de sa participation, certes importante, mais devenue minoritaire dans le capital d’Electrica, l’État ne disposait d’aucun mécanisme lui permettant de contrôler la façon dont cette entreprise gérait ses ressources dans le cadre de la mesure 3.

154    Enfin, la Commission ne saurait non plus tirer argument de l’arrêt du 27 septembre 2012, France/Commission (T‑139/09, EU:T:2012:496). Dans cet arrêt, le Tribunal a conclu que des mesures d’aide adoptées en faveur de certaines organisations de producteurs agricoles, financées en partie par des contributions privées facultatives, entraînaient un transfert de ressources d’État au motif, en substance, que les autorités françaises décidaient, de manière unilatérale, des mesures financées par le régime d’aides ainsi que des modalités de leur mise en œuvre, alors que les bénéficiaires desdites mesures ne disposaient que du seul pouvoir de participer ou non au système ainsi défini par l’État, en acceptant ou en refusant de verser les contributions fixées par ce dernier. Or, à la différence de cette affaire, en l’espèce, la Commission n’a pas démontré que les autorités roumaines avaient décidé, de manière unilatérale, la façon dont les ressources d’Electrica devaient être utilisées dans le cadre de la mesure 3.

155    Pour ce qui est d’Electrica Furnizare, un autre créancier de la requérante, dont la plupart des actions étaient détenues par Electrica entre 2011 et 2017, il suffit de constater que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas qualifié le comportement de cette société de mesure constitutive d’une aide d’État, de sorte que les arguments des parties à cet égard sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

156    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’est pas parvenue à démontrer à suffisance de droit que la mesure 3 impliquait un transfert de ressources d’État s’agissant de l’annulation partielle des créances d’Electrica, ni, partant, qu’elle était constitutive d’une aide d’État en ce qu’elle était accordée par l’intermédiaire de celle-ci.

2)      Sur l’imputabilité à l’État de la partie restante de la mesure 3

157    La requérante soutient que la partie restante de la mesure 3, c’est-à-dire l’annulation partielle des créances d’AAAS, de Salrom, de CET Govora et de l’ANE dans le cadre du plan de réorganisation, n’était pas imputable à l’État.

158    La Commission conteste les arguments de la requérante. Elle fait valoir que, dans la décision attaquée, elle a démontré à suffisance de droit que la mesure 3 était imputable à l’État.

159    Dans la décision attaquée, la Commission a conclu que la mesure 3 était imputable à l’État au motif, premièrement, que, selon le droit roumain en matière d’insolvabilité, le plan de réorganisation ne pouvait être approuvé sans l’accord de l’AAAS ou de CET Govora (considérant 201 de la décision attaquée). Deuxièmement, ce plan aurait été élaboré par l’administrateur judiciaire, qui faisait partie de l’État (considérant 202 de la décision attaquée). Troisièmement, ledit plan aurait été approuvé grâce aux créanciers privés et publics ayant signé, en novembre 2012, le protocole, ce dernier étant l’outil utilisé par l’État pour maintenir la requérante sur le marché et pour réunir la majorité requise au sein de l’assemblée des créanciers afin de garantir l’adoption dudit plan (considérants 202, 203 et 205 à 210 de la décision attaquée). Quatrièmement, l’intention de l’État de maintenir la requérante sur le marché aurait été confirmée par les déclarations publiques (considérant 204 de la décision attaquée). Cinquièmement, la Commission a avancé certains éléments plus ponctuels démontrant l’imputabilité à l’État du comportement de l’ANE dans le cadre de la mesure 3 (considérants 212 à 217 de la décision attaquée).

160    Il ressort de la jurisprudence que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent être imputables à l’État (voir arrêt du 13 septembre 2017, ENEA, C‑329/15, EU:C:2017:671, point 20 et jurisprudence citée). À cet égard, il convient de relever que, lorsqu’un avantage est accordé par une autorité publique, celui-ci est, par définition, imputable à l’État, même si l’autorité en question jouit d’une autonomie juridique à l’égard d’autres autorités publiques (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 1996, Air France/Commission, T‑358/94, EU:T:1996:194, point 62).

161    En l’espèce, l’article 1er, sous c), de la décision attaquée ayant défini la mesure 3 comme étant l’annulation de la dette « dans le cadre du plan de réorganisation » par certains créanciers, il convient d’examiner si ledit plan, dont l’approbation par les créanciers de la requérante a conduit à l’annulation partielle de la dette de celle-ci, était, dans son ensemble, imputable à l’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

162    En effet, il convient de constater que l’annulation partielle de certaines dettes dans le cadre de la mesure 3 n’était pas une annulation unilatérale, décidée séparément par chacun des créanciers en cause, mais une annulation collective, intervenue dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, soumise à des règles légales spécifiques concernant notamment la majorité requise au sein de l’assemblée des créanciers pour approuver le plan de réorganisation. En d’autres termes, le vote individuel d’un créancier donné en faveur du plan ne pouvait pas aboutir à l’approbation dudit plan, à moins que ses créances ne réunissent, à elles seules, les exigences légales en ce qui concerne la majorité nécessaire à cette fin.

163    Il convient également de constater que la liste des créanciers incluait une multitude de créanciers tant publics que privés et que les votes en faveur de ce plan provenaient tant des créanciers publics que des créanciers privés.

164    Dans ces circonstances, afin de vérifier si la Commission a considéré à juste titre que le plan de réorganisation était imputable à l’État, dans un premier temps, il convient de vérifier si le vote en faveur de l’approbation du plan de réorganisation par l’AAAS, l’ANE, Salrom et CET Govora était imputable à l’État. Dans un second temps, il y aura lieu de déterminer si, ensemble, les créanciers dont le vote en faveur de l’approbation du plan de réorganisation était imputable à l’État avaient la majorité requise, selon le droit national, pour approuver ce plan.

i)      Sur l’imputabilité à l’État des votes de l’AAAS, de Salrom, de CET Govora et de l’ANE

–       Sur l’imputabilité à l’État du vote de l’AAAS

165    Il ressort des considérants 186, 187 et 201 de la décision attaquée que la Commission a considéré que le vote de l’AAAS était imputable à l’État au motif, notamment, que celle-ci faisait partie de l’administration publique et était subordonnée au gouvernement.

166    Cette conclusion n’est pas contestée par la requérante.

–       Sur l’imputabilité à l’État du vote de Salrom

167    La requérante soutient que la décision attaquée ne contient aucune évaluation de la question de savoir si le vote de Salrom en faveur du plan de réorganisation était imputable à l’État. Le fait que l’État détenait la majorité des parts de Salrom, qu’il avait nommé des représentants au sein du conseil d’administration de celle-ci et que le budget annuel de Salrom devait être approuvé par l’État suffiraient, certes, à démontrer que Salrom était une entreprise publique, mais non que son vote en faveur de l’approbation dudit plan était imputable à l’État.

168    La Commission fait valoir, en substance, que l’imputabilité du vote de Salrom à l’État découle du « degré élevé d’intervention de l’État dans la définition de la mesure et de ses modalités de financement », notamment du protocole et des déclarations publiques.

169    Premièrement, le Tribunal constate que, au point 6.1.1.3 de la décision attaquée (considérants 201 à 218), consacrée à l’imputabilité à l’État de la mesure 3, la Commission a omis d’examiner si le vote de Salrom, créancier et fournisseur notamment en solutions salines de la requérante, était imputable à l’État. En effet, ce point ne contient que deux références à Salrom, l’une à la note en bas de page no 70 de la décision attaquée, laquelle se limite à signaler que Salrom était l’un des signataires du protocole, et l’autre au considérant 218 de ladite décision, lequel est le considérant conclusif de ce point de la décision attaquée, et auquel la Commission conclut que l’octroi de la mesure 3 notamment par Salrom était imputable à l’État. À ce même point, la Commission a fait référence, de manière générale et sans mentionner spécifiquement Salrom, à la signature du protocole par certains des créanciers de la requérante et aux déclarations publiques afin de justifier l’imputabilité à l’État de la mesure 3.

170    À cet égard, il n’est pas contesté que Salrom était une entreprise publique lors de l’adoption de la mesure 3. Toutefois, selon la jurisprudence, il n’est pas possible de déduire l’imputabilité d’une mesure à l’État de la seule circonstance qu’elle a été prise par une entreprise publique. En effet, même si l’État est en mesure de contrôler une entreprise publique et d’exercer une influence dominante sur les opérations de celle-ci, l’exercice effectif de ce contrôle dans un cas concret ne saurait être automatiquement présumé, étant précisé qu’il ne saurait être exigé qu’il soit démontré, sur le fondement d’une instruction précise, que les autorités publiques ont incité concrètement l’entreprise publique à prendre la mesure d’aide en cause (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, EU:C:2002:294, points 51 à 53).

171    Dans le cas des avantages accordés par des entreprises publiques, il est nécessaire d’examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de la mesure en cause, l’imputabilité à l’État pouvant être déduite d’un ensemble d’indices résultant des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel cette mesure est intervenue. À cet égard, la Cour a déjà pris en considération le fait que l’organisme en question ne pouvait pas prendre la décision contestée sans tenir compte des exigences des pouvoirs publics ou que, outre des éléments de nature organique qui liaient les entreprises publiques à l’État, celles-ci, par l’intermédiaire desquelles les aides avaient été accordées, devaient tenir compte des directives émanant d’un organisme public. D’autres indices pourraient, le cas échéant, être pertinents pour conclure à l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide prise par une entreprise publique, tels que, notamment, son intégration dans les structures de l’administration publique, la nature de ses activités et l’exercice de celles-ci sur le marché dans des conditions normales de concurrence avec des opérateurs privés, le statut juridique de l’entreprise, celle-ci relevant du droit public ou du droit commun des sociétés, l’intensité de la tutelle exercée par les autorités publiques sur la gestion de l’entreprise ou tout autre indice indiquant, dans le cas concret, une implication des autorités publiques ou l’improbabilité d’une absence d’implication dans l’adoption d’une mesure, eu égard également à l’ampleur de celle-ci, à son contenu ou aux conditions qu’elle comporte (arrêt du 16 mai 2002, France/Commission, C‑482/99, EU:C:2002:294, points 52, 55 et 56).

172    Or, il convient de relever que, au point 6.1.1.3 de la décision attaquée, à part avoir constaté l’existence du protocole et des déclarations publiques, la Commission n’a pas relevé l’existence d’indices tels que ceux figurant au point 171 ci-dessus permettant d’établir l’imputabilité à l’État du comportement de Salrom dans le cadre de la mesure 3.

173    Quant au fait que Salrom a signé le protocole, il convient de constater, à l’instar de la requérante, d’une part, que celui-ci prévoyait explicitement que ses signataires n’avaient aucune obligation d’abandonner leurs créances envers la requérante, d’accepter un plan de réorganisation donné ou, plus généralement, de renoncer à un quelconque droit contractuel ou autre à l’égard de la requérante, de sorte que ce protocole n’imposait à Salrom aucune obligation dans le cadre du plan de réorganisation.

174    D’autre part, aucun élément de la décision attaquée ne laisse apparaître les raisons pour lesquelles le protocole aurait joué un rôle décisif dans le comportement de Salrom dans le cadre de la mesure 3. Au contraire, le comportement de cette entreprise dans le cadre de la mesure 2 tend à démontrer que tel n’a pas été le cas, ainsi qu’il ressort du point 127 ci-dessus.

175    Il en va de même en ce qui concerne les déclarations publiques, ainsi qu’il a été relevé aux points 134 et 136 ci-dessus.

176    Deuxièmement, certes, au point 6.1.1.2 de la décision attaquée (considérants 188 à 200), consacrée à l’imputabilité à l’État de la mesure 2, la Commission a observé que la Roumanie détenait 51 % des parts de Salrom, avait nommé ses représentants au sein du conseil d’administration de celle-ci et que le budget annuel de Salrom devait être approuvé par l’État, cette approbation ex ante concernant notamment les montants correspondant aux créances commerciales des clients tels que la requérante (considérants 191 et 192 de la décision attaquée). La Commission a toutefois souligné qu’il n’était pas nécessaire de conclure que le comportement de Salrom dans le cadre de la mesure 2 était imputable à l’État, car cette mesure ne constituait pas une aide de la part de Salrom au motif, en substance, que cette dernière avait agi comme l’aurait fait un créancier privé (considérants 193 et 263 de la décision attaquée).

177    Toutefois, étant donné que la mesure 2 se rapporte à la période allant de septembre 2012 à janvier 2013, il ne peut qu’être relevé que la décision attaquée ne contient aucun élément susceptible de démontrer que ces éléments étaient toujours d’actualité en 2015, lors de l’adoption de la mesure 3. Or, aux fins d’analyser si le critère de l’imputabilité est rempli, il convient de se placer au moment où la mesure est adoptée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 juillet 2015, France et Orange/Commission, T‑425/04 RENV et T‑444/04 RENV, EU:T:2015:450, points 221 et 229).

178    À supposer même que l’ensemble de ces éléments reste d’actualité en 2015, force est pourtant de constater que la Commission n’a pas conclu à l’imputabilité à l’État du comportement de Salrom dans le cadre de la mesure 2. Dans ces circonstances, il n’est pas possible de connaître l’appréciation de la Commission desdits éléments et notamment de savoir si ceux-ci auraient suffi pour imputer la mesure 2, en ce qu’elle concernait Salrom, à l’État. Partant, même à supposer que ces éléments soient toujours pertinents en 2015, le Tribunal ne peut substituer son appréciation à celle, manquante, de la Commission.

179    Partant, il y a lieu de conclure, à l’instar de la requérante, que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que le vote de Salrom en faveur de l’approbation du plan de réorganisation était imputable à l’État.

–       Sur l’imputabilité à l’État du vote de CET Govora

180    La requérante fait valoir que la décision attaquée ne contient aucune appréciation de la question de savoir si le vote de CET Govora sur le plan de réorganisation était imputable à l’État. Or, CET Govora n’aurait pas signé le protocole et, partant, il serait improbable que celui-ci ait pu l’influencer dans son vote. En outre, selon la requérante, les décisions du conseil du comté de Vâlcea, entité publique dont il ressort du considérant 194 de la décision attaquée qu’elle est l’actionnaire unique de CET Govora, mentionnées au considérant 195 de cette décision ne concernaient pas la mesure 3.

181    La Commission fait valoir, en substance, que, ainsi qu’il ressort du considérant 196 de la décision attaquée, il est « peu vraisemblable », au regard du contexte général dans lequel s’inscrit le comportement de CET Govora, que celle-ci n’ait subi aucune influence de l’État, compte tenu, notamment, du protocole et des déclarations publiques.

182    Aux considérants 201 et 205 de la décision attaquée, la Commission a expressément renvoyé à son analyse de l’imputabilité à l’État de la mesure 2, en ce qu’elle concernait CET Govora, créancier et fournisseur notamment en électricité et en vapeur de la requérante, afin d’étayer sa conclusion selon laquelle le vote de CET Govora en faveur de l’approbation du plan de réorganisation était imputable à l’État. Ainsi, au considérant 201 de la décision attaquée, la Commission a renvoyé au considérant 200 de celle-ci, lequel est le point conclusif de l’analyse de l’imputabilité à l’État de la mesure 2, ce renvoi global devant être, dès lors, compris comme un renvoi à l’ensemble des éléments relevés à cette fin dans le cadre de l’analyse de l’imputabilité à l’État de la mesure 2. À cet égard, la Commission a relevé, en substance, tout d’abord, que CET Govora était entièrement détenue par l’État, ensuite, que la poursuite des livraisons d’électricité à titre gratuit en faveur de la requérante, laquelle faisait l’objet de la mesure 2, avait été mise en œuvre en exécution de plusieurs décisions du conseil du comté de Vâlcea et, enfin, que le « contexte plus général » démontrerait qu’il était « peu vraisemblable de penser que CET Govora n’a[vait] subi aucune influence de l’État » (considérants 194 à 198 de la décision attaquée). En outre, au point 6.1.1.3 de la décision attaquée, la Commission a fait référence, de manière générale, à la signature du protocole par certains des créanciers de la requérante et aux déclarations publiques afin de justifier l’imputabilité à l’État de la mesure 3.

183    À cet égard, il convient de relever qu’il n’est pas contesté que CET Govora ait été une entreprise publique lors de l’adoption de la mesure 3. Toutefois, ainsi qu’il a été relevé au point 170 ci-dessus, selon la jurisprudence, il n’est pas possible de présumer l’imputabilité d’une mesure à l’État sur la base de la seule circonstance qu’elle a été prise par une entreprise publique.

184    En effet, conformément à la jurisprudence rappelée au point 171 ci-dessus, la Commission doit tenir compte d’un ensemble d’indices pertinents aux fins d’établir si le comportement de CET Govora dans le cadre de la mesure 3 était imputable à l’État.

185    À cet égard, la Commission ne saurait invoquer valablement le protocole, car CET Govora ne l’a même pas signé. Au demeurant, à supposer même que CET Govora en ait tenu compte lors de son vote dans le cadre de la mesure 3, il n’en demeure pas moins, ainsi qu’il a été relevé au point 173 ci-dessus, que le protocole prévoyait explicitement que ses signataires n’avaient aucune obligation d’abandonner leurs créances envers la requérante, d’accepter un plan de réorganisation donné ou, plus généralement, de renoncer à un quelconque droit contractuel ou autre à l’égard de la requérante. S’agissant des déclarations publiques, il suffit de renvoyer au point 136 ci-dessus.

186    Quant aux indices relevés dans la décision attaquée dans le cadre de la mesure 2, auxquels la Commission a renvoyé, force est de constater que ceux-ci se rapportent à la période allant de septembre 2012 à janvier 2013 et que la décision attaquée ne contient aucun élément susceptible de démontrer que ces éléments étaient toujours d’actualité en 2015, lors de l’adoption de la mesure 3, étant précisé que, selon la jurisprudence citée au point 177 ci-dessus, aux fins d’analyser si le critère de l’imputabilité est rempli, il convient de se placer au moment où la mesure est adoptée.

187    De surcroît, certains éléments relatifs au comportement de CET Govora relevés dans le cadre de la mesure 2 sont dénués de pertinence aux fins de l’examen de l’imputabilité à l’État du vote de CET Govora en faveur du plan de réorganisation. Ainsi, comme le fait valoir la requérante, les décisions du conseil du comté de Vâlcea mentionnées aux considérants 29, 85 et 195 de la décision attaquée concernaient exclusivement la mesure 2 et n’avaient pas de lien avec l’approbation du plan de réorganisation ayant eu lieu plus de deux ans plus tard.

188    Quant aux éléments du « contexte plus général » auxquels font référence les considérants 196 et 197 de la décision attaquée, ils ne sont pas directement pertinents pour la question de savoir si le vote de CET Govora en faveur du plan de réorganisation était imputable à l’État. En effet, la Commission ne définit pas clairement le lien qu’elle établit entre, d’une part, le fait que le président-directeur général de CET Govora ait été condamné par les juridictions pénales nationales pour abus de pouvoir et trafic d’influence commis pendant la période allant d’octobre 2011 à juillet 2014 et, d’autre part, le vote de CET Govora en faveur du plan de réorganisation. De même, le fait que le président-directeur général de CET Govora ait été, ensuite, président-directeur général de la requérante entre octobre 2012 et février 2013 et qu’il soit redevenu, après février 2013, président-directeur général de CET Govora n’est pas pertinent. En effet, outre le fait que cette circonstance se rapporte, elle aussi, à une période antérieure à celle concernée par la mesure 3, le seul fait qu’une personne physique donnée ait été, à des moments différents, nommée président-directeur général de deux entreprises publiques ne signifie pas, en tant que tel, que les actions adoptées par l’une d’elles deux ans plus tard soient imputables à l’État.

189    Partant, en l’absence d’autres indices pertinents et contemporains dans la décision attaquée, il convient de conclure, à l’instar de la requérante, que la Commission n’est pas parvenue à démontrer à suffisance de droit que le vote de CET Govora en faveur de l’approbation du plan de réorganisation était imputable à l’État.

–       Sur l’imputabilité à l’État du vote de l’ANE

190    Dans la décision attaquée, la Commission a fondé sa conclusion selon laquelle le vote de l’ANE en faveur de l’approbation du plan de réorganisation était imputable à l’État, notamment, sur le fait que l’ANE était une institution publique d’intérêt national disposant d’une capacité juridique, coordonnée par l’administration publique centrale de gestion de l’eau ; que son objet était, notamment, d’appliquer la stratégie et la politique nationales dans le domaine de la gestion des ressources hydrauliques, de garantir le respect des réglementations dans ce domaine, de gérer et d’exploiter l’infrastructure du système national de gestion de l’eau et d’assurer l’exercice d’un certain nombre d’activités d’intérêt national et social ; que les membres de son conseil d’administration étaient nommés sur ordre du directeur de l’administration publique centrale de gestion de l’eau et comprenaient un représentant du ministère des Finances publiques et un représentant de l’administration publique centrale de gestion de l’eau et que le directeur général de l’ANE était nommé, suspendu et démis de ses fonctions sur ordre du directeur de l’administration publique centrale de gestion de l’eau et que ses revenus et ses dépenses étaient approuvés par le conseil d’administration avec l’accord du directeur de l’administration publique centrale de gestion de l’eau.

191    La requérante soutient que, dans la décision attaquée, la Commission aurait confondu deux institutions distinctes. En particulier, la référence à l’ANE faite dans la catégorie « Créanciers chirographaires en vertu de l’article 96 de la loi [roumaine] sur l’insolvabilité » du tableau 1 figurant au considérant 67 de la décision attaquée serait erronée, car cette créance appartiendrait à une autre institution publique, à savoir l’Administration nationale des eaux – Administration du bassin d’Olt (ci-après l’« ANE-ABO »). Selon la requérante, l’ANE-ABO aurait voté en faveur du plan de réorganisation, alors que l’ANE n’aurait voté ni en faveur ni en défaveur dudit plan. Partant, dans la décision attaquée, la Commission aurait omis d’analyser l’imputabilité à l’État du vote de l’ANE-ABO.

192    La Commission relève que l’ANE-ABO est l’une des onze succursales régionales de l’ANE. Les considérations exposées aux considérants 212 à 217 de la décision attaquée en ce qui concerne l’ANE s’appliqueraient aussi à cette succursale.

193    La requérante se limite, en substance, à affirmer que la Commission se serait référée, par erreur, à un organe qui ne serait pas celui détenant des créances à son égard. Or, elle ne conteste ni le fait, relevé par la Commission dans son mémoire en défense, que l’ANE-ABO est une succursale de l’ANE, ni la conclusion de la Commission selon laquelle, en substance, les considérations exposées aux considérants 212 à 217 de la décision attaquée en ce qui concerne l’ANE s’appliqueraient, mutatis mutandis, à sa succursale. En effet, en l’absence de tout élément dans le sens contraire, les éléments relevés dans la décision attaquée en ce qui concerne l’ANE valent également pour ses succursales.

194    Dans ces conditions, s’il est, certes, regrettable que, dans la décision attaquée, la Commission ait confondu l’ANE avec sa succursale, il ne s’agit, tout au plus, que d’une erreur formelle sans incidence sur le bien-fondé de la décision attaquée.

195    Partant, il y a lieu d’écarter les arguments de la requérante à cet égard.

–       Conclusions intermédiaires

196    À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que, dans la décision attaquée, la Commission est parvenue à démontrer que le vote de l’AAAS et celui de la succursale de l’ANE en faveur de l’approbation du plan de réorganisation étaient imputables à l’État. En revanche, elle n’est pas parvenue à démontrer à suffisance de droit l’imputabilité à l’État du vote de Salrom et de CET Govora dans le cadre de ce plan.

ii)    Sur l’imputabilité à l’État du plan de réorganisation

197    En premier lieu, dans la décision attaquée, la Commission a affirmé, au considérant 201 de celle-ci, en substance, que la mesure 3 était imputable à l’État, parce que le plan de réorganisation ne pouvait être approuvé sans l’accord de l’AAAS ou de CET Govora.

198    Cette conclusion est toutefois erronée.

199    Premièrement, ainsi qu’il ressort des points 180 à 189 ci-dessus, la Commission n’est pas parvenue à démontrer à suffisance de droit que le vote de CET Govora en faveur de l’approbation du plan de réorganisation était imputable à l’État.

200    Deuxièmement, à supposer même que le vote de CET Govora en faveur de l’approbation du plan de réorganisation fût imputable à l’État, il y a lieu de relever, à l’instar de la requérante, que la conclusion de la Commission figurant au considérant 201 de la décision attaquée n’est pas compatible avec la description des règles nationales applicables en matière d’insolvabilité figurant dans la décision attaquée.

201    À cet égard, il ressort du considérant 42 de la décision attaquée que, conformément aux articles 100 et 101 de la legea no 85 privind procedura insolvenţei (loi n° 85 sur les procédures d’insolvabilité, ci-après la « loi roumaine sur l’insolvabilité »), du 5 avril 2006 (Monitorul Oficial al României, Partea I, no 359, du 21 avril 2006), un plan de réorganisation doit être considéré comme étant accepté si une majorité absolue des catégories de créanciers vote en faveur du plan, à condition qu’au moins une des catégories défavorisées accepte le plan. Le plan est considéré comme accepté par une catégorie de créanciers si, dans cette catégorie, le plan est accepté par des créanciers détenant une majorité absolue de la valeur des créances appartenant à cette catégorie.

202    En outre, il ressort du considérant 43 de la décision attaquée que, conformément à l’article 3, paragraphe 21, de la loi roumaine sur l’insolvabilité, il est entendu par « catégorie défavorisée » une catégorie de créances pour laquelle le plan de réorganisation prévoit notamment une diminution du montant de la créance.

203    En l’espèce, ainsi qu’il ressort du tableau 1, figurant au considérant 67 de la décision attaquée, les créanciers de la requérante ont été répartis en cinq catégories, ce qui signifiait que, pour approuver le plan, il était nécessaire qu’au moins trois de ces catégories votent en faveur de celui-ci. Il n’est pas contesté que, en l’espèce, toutes ces catégories de créanciers aient été des catégories défavorisées, au sens de l’article 3, paragraphe 21, de la loi roumaine sur l’insolvabilité, ainsi qu’il ressort de la note en bas de page no 42 de la décision attaquée.

204    Il ressort de ce même tableau, en outre, que l’AAAS et CET Govora n’auraient détenu, ensemble, une majorité absolue de la valeur des créances que dans deux catégories, à savoir celle des « créanciers fiscaux » et celle des « créanciers chirographaires en vertu de l’article 96 de la loi [roumaine] sur l’insolvabilité », comme le reconnaît d’ailleurs la Commission au considérant 201 de la décision attaquée.

205    Partant, l’AAAS et CET Govora n’auraient pas détenu la majorité requise pour approuver, à elles seules, le plan de réorganisation.

206    Le fait relevé au considérant 205 de la décision attaquée, selon lequel une troisième catégorie, à savoir celle des salariés, avait « naturellement » privilégié le plan, étant donné que celui-ci ne prévoyait aucune diminution des créances des salariés, est dénué de pertinence, car la Commission n’a à aucun moment soutenu que le vote des salariés était imputable à l’État.

207    De surcroît, la Commission n’a pas établi que l’AAAS et CET Govora ensemble avaient le pouvoir de bloquer l’adoption du plan de réorganisation. Au contraire, il ressort des informations sur l’orientation du vote des différents créanciers figurant au considérant 74 de la décision attaquée et au tableau du point 75 des observations de la Roumanie de mai 2018 qu’il y aurait eu un nombre suffisant de créanciers ayant voté en faveur dudit plan pour que celui-ci soit considéré comme accepté par trois des cinq catégories de créanciers, y compris par au moins une « catégorie défavorisée », même dans l’hypothèse où l’AAAS et CET Govora auraient voté contre le plan de réorganisation.

208    Troisièmement, l’AAAS et la succursale de l’ANE, dont le vote était imputable à l’État, comme la Commission a pu le constater à juste titre, ne détenaient, ensemble, la majorité absolue des créances que dans une seule catégorie, à savoir celle des créanciers fiscaux. Partant, elles n’auraient pu, à elles seules, ni faire adopter le plan de réorganisation ni bloquer son approbation par l’assemblée des créanciers.

209    Quatrièmement, à supposer même que le vote de CET Govora en faveur de l’approbation du plan de réorganisation fût imputable à l’État, et dût être rajouté à ceux de l’AAAS et de la succursale de l’ANE, il y a lieu de relever qu’elles n’auraient détenu, ensemble, une majorité absolue de la valeur des créances que dans deux catégories, à savoir celle des « créanciers fiscaux » et celle des « créanciers chirographaires en vertu de l’article 96 de la loi [roumaine] sur l’insolvabilité ». En outre, même dans l’hypothèse où celles-ci avaient voté contre le plan de réorganisation, il y aurait eu un nombre suffisant de créanciers ayant voté en faveur dudit plan pour que celui-ci soit considéré comme accepté par trois des cinq catégories de créanciers, y compris par au moins une catégorie défavorisée. Partant, elles n’auraient pu, à elles seules, ni faire adopter le plan de réorganisation ni bloquer son approbation par l’assemblée des créanciers.

210    En deuxième lieu, l’affirmation, figurant au considérant 202 de la décision attaquée, selon laquelle, en substance, la mesure 3 serait imputable à l’État, parce que le plan de réorganisation avait été « élaboré » par l’administrateur judiciaire, qui faisait partie de l’État, ne peut qu’être écartée. En effet, il ressort du considérant 41 de la décision attaquée que l’administrateur judiciaire « prépare » le plan de réorganisation, lequel doit, ensuite, être examiné et approuvé par les créanciers. L’administrateur judiciaire n’a donc pas le pouvoir d’adopter le plan de réorganisation.

211    En troisième lieu, il est certes vrai, comme le souligne la Commission, que le tribunal compétent, qui est une émanation de l’État, doit également approuver le plan, conformément au droit national applicable. Toutefois, ce tribunal ne peut approuver un plan qui n’a pas été adopté par les créanciers. En réalité, la thèse de la Commission, si elle devait être suivie, reviendrait à considérer tout plan de réorganisation adopté dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité comme imputable à l’État du seul fait de l’implication d’un administrateur judiciaire et d’un juge dans la procédure.

212    La Commission ne saurait tirer aucun argument à cet égard des arrêts du 26 octobre 2016, DEI et Commission/Alouminion tis Ellados (C‑590/14 P, EU:C:2016:797, points 59, 77 et 81), et du 3 mars 2016, Simet/Commission (T‑15/14, EU:T:2016:124, points 38, 44 et 45). En effet, force est de constater que les mesures d’aide en cause dans ces affaires n’étaient en rien comparables à la mesure 3 en cause dans la présente affaire. L’affaire ayant donné lieu au premier arrêt susmentionné concernait une aide d’État accordée à des producteurs d’aluminium et modifiée par une ordonnance de référé du tribunal national compétent, prolongeant l’application d’un tarif préférentiel de fourniture d’électricité. L’affaire ayant donné lieu au second arrêt susmentionné concernait une aide d’État accordée par les autorités italiennes en exécution d’une ordonnance d’un tribunal national. Dans ces affaires, l’origine des mesures d’aide en question, dont la nature et l’objet n’ont rien de comparable avec ceux d’un plan de réorganisation adopté dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, était étatique, alors que la décision d’annuler une partie des dettes de la requérante a été prise, dans la présente affaire, ainsi que l’a relevé la Commission elle-même, par les créanciers de celle-ci et non par l’administrateur judiciaire ou le tribunal compétent.

213    En quatrième lieu, l’affirmation, figurant notamment aux considérants 203 à 205 et 209 de la décision attaquée, selon laquelle, en substance, l’existence du protocole et des déclarations publiques démontrerait que la mesure 3 était, dans son ensemble, imputable à l’État, doit être rejetée pour les raisons exposées aux points 128 et 136 ci-dessus.

214    En particulier, le fait, relevé au considérant 205 de la décision attaquée, que les signataires du protocole et CET Govora détenaient ensemble la majorité nécessaire dans quatre des catégories de créanciers est dénué de pertinence. En effet, d’une part, à aucun moment la Commission n’a argué, et encore moins démontré, que le vote des banques privées signataires du protocole était imputable à l’État. D’autre part, en ce qui concerne les votes d’Electrica et de Salrom, il suffit de renvoyer aux points 156 et 167 à 179 ci-dessus, tandis que s’agissant de CET Govora, elle n’a même pas signé ce protocole. La Commission ne pouvait, dès lors, conclure, au considérant 206 de la décision attaquée, que le protocole avait permis de réunir la majorité requise au sein de l’assemblée des créanciers.

215    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’est pas parvenue à démontrer à suffisance de droit que la mesure 3 était imputable à l’État et que, partant, elle était constitutive d’une aide d’État.

b)      Sur les moyens relatifs aux mesures 1 et 2 tirés d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne l’existence d’un avantage économique

216    En premier lieu, au considérant 219 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le caractère sélectif de l’aide ne posait pas de difficulté, les mesures 1 et 2 étant exclusivement accordées à la requérante, tandis que d’autres entreprises, du secteur pétrochimique ou d’autres secteurs se trouvant dans une situation juridique et factuelle similaire, à la lumière de l’objectif poursuivi par lesdites mesures, n’en avaient pas bénéficié.

217    En deuxième lieu, aux considérants 221 et 222 de la décision attaquée, la Commission a considéré que le critère du créancier privé n’était pas applicable en l’espèce.

218    En troisième lieu, au considérant 223 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que, « par souci d’exhaustivité », elle avait néanmoins vérifié si les mesures en cause respectaient le critère du créancier privé. Ainsi, aux points 6.1.2.1 (considérants 224 à 243) et 6.1.2.2 (considérants 244 à 263) de la décision attaquée, elle a appliqué ce critère, respectivement, aux mesures 1 et 2 et a conclu que celles-ci accordaient à la requérante un avantage économique sélectif, à l’exception du soutien apporté aux activités de la requérante par Salrom dans le cadre de la mesure 2, cette entreprise s’étant comportée, selon la Commission, comme un créancier privé et n’ayant donc accordé aucun avantage économique à la requérante.

219    La requérante conteste les conclusions de la Commission selon lesquelles, premièrement, le critère du créancier privé n’était pas applicable en l’espèce et, deuxièmement, un avantage économique lui a été accordé dans le cadre des mesures 1 et 2, dans la mesure indiquée au point 218 ci-dessus.

220    Il convient de préciser d’emblée qu’il n’est plus nécessaire d’examiner le moyen de la requérante tiré d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concernel’existence d’un avantage économique dans le cadre de la mesure 3. En effet, comme il a été relevé aux points 156 et 215 ci-dessus, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que cette mesure impliquait un transfert de ressources d’État et était imputable à l’État, ce qui suffit pour conclure que la mesure 3 ne constitue pas une aide d’État, compte tenu de la nature cumulative des conditions visées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 138 ci-dessus.

1)      Sur l’applicabilité du critère du créancier privé

221    Aux considérants 221 et 222 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, contrairement à ce qu’avait soutenu la Roumanie pendant la procédure administrative, le critère de l’opérateur en économie de marché n’était pas applicable en l’espèce, au motif, en substance, que la Roumanie aurait constamment et clairement agi en sa capacité d’autorité publique pour sauver la requérante de la faillite, y compris par des déclarations publiques et au moyen du protocole, et non en tant qu’actionnaire investissant dans celle-ci ou en tant que créancier de celle-ci.

222    Le considérant 222 de la décision attaquée renvoie, à cet égard, aux considérants « 204 et suivants », 274 et 276 de cette décision. Or, il convient de relever d’emblée que ces renvois ne paraissent apporter aucun élément supplémentaire par rapport aux motifs énoncés aux considérants 221 et 222 de la décision attaquée. En effet, les considérants « 204 et suivants » de la décision attaquée font référence notamment aux déclarations publiques, déjà mentionnées au considérant 222 de la décision attaquée, alors que les considérants 274 et 276 de cette décision concernent l’application, et non l’applicabilité, du critère du créancier privé dans le cadre spécifique de la mesure 3.

223    Quant à l’applicabilité de ce critère, la requérante fait valoir, en substance, que les mesures en cause n’impliquent pas l’exercice par l’État de prérogatives de puissance publique, comme le démontrerait le fait que celles-ci auraient également pu être, et auraient effectivement été, prises par des créanciers privés. En outre, leur nature, leur objet, le contexte dans lequel elles s’inscrivaient, les objectifs qu’elles poursuivaient et les règles auxquelles elles étaient soumises indiqueraient également que ledit critère trouve à s’appliquer en l’espèce. Selon la requérante, ni le protocole ni les déclarations publiques ne seraient susceptibles d’exclure l’applicabilité dudit critère.

224    La Commission conteste les arguments de la requérante. Elle fait valoir, en substance, que le critère du créancier privé n’est pas applicable en l’espèce, parce que, lorsque la Roumanie a adopté les mesures en cause, elle aurait agi en sa capacité d’autorité ou de puissance publique, et non en tant que créancier privé, comme le démontreraient le protocole et les déclarations publiques.

225    Il convient de rappeler que le test du créancier privé et le test de l’investisseur privé sont des expressions spécifiques du critère de l’opérateur en économie de marché qui sont utilisées afin d’examiner si le comportement, respectivement, d’un créancier public ou d’un investisseur public sont susceptibles de donner lieu à une aide d’État.

226    Selon la jurisprudence, il y a lieu de distinguer les rôles de l’État actionnaire d’une entreprise, d’une part, et de l’État agissant en tant que puissance publique, d’autre part. Ainsi, le critère de l’investisseur privé s’applique lorsque l’État membre concerné accorde, en sa qualité d’actionnaire, et non pas en sa qualité de puissance publique, un avantage économique à une entreprise. Pour apprécier si une mesure est le fait de l’État en sa qualité d’actionnaire, et non en celle de puissance publique, il y a lieu d’effectuer une appréciation globale prenant en compte, en particulier, la nature et l’objet de la mesure, le contexte dans lequel elle s’inscrit, l’objectif poursuivi et les règles auxquelles ladite mesure est soumise (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, points 80, 81 et 86).

227    Si un État membre invoque, au cours de la procédure administrative, le critère de l’investisseur privé, il lui incombe, en cas de doute, d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs, vérifiables et contemporains que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’actionnaire. Si l’État membre concerné fait parvenir à la Commission des éléments de la nature requise, il appartient à cette dernière d’effectuer une appréciation globale prenant en compte, outre les éléments fournis par l’État membre, tout autre élément pertinent. Toutefois, la Cour a précisé que le critère de l’investisseur privé ne constituait pas une exception ne s’appliquant que sur la demande d’un État membre, mais, lorsqu’il était applicable, figurait parmi les éléments que la Commission était tenue de prendre en compte pour établir l’existence d’une aide d’État. Ainsi, lorsqu’il apparaît que ce critère pourrait être applicable, il incombe à la Commission de demander à l’État membre concerné de lui fournir toutes les informations pertinentes lui permettant de vérifier si les conditions d’applicabilité et d’application de ce critère sont remplies et elle ne peut refuser d’examiner de telles informations que si les éléments de preuve produits ont été établis postérieurement à l’adoption de la décision d’effectuer l’investissement en question (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2012, Commission/EDF, C‑124/10 P, EU:C:2012:318, points 82 à 86, 103 et 104).

228    La Cour a également eu l’occasion de préciser que, lorsqu’un créancier public octroyait des facilités de paiement pour une dette qui lui était due par une entreprise, le critère du créancier privé était, en principe, applicable (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 71).

229    En outre, la Cour a souligné que la nature économique de l’action de l’État membre devait être le « point de départ » de l’analyse de l’applicabilité du critère du créancier privé et que, lorsqu’il apparaissait que le critère du créancier privé pourrait être applicable, il incombait à la Commission d’examiner cette hypothèse indépendamment de toute demande en ce sens (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, points 25 et 27).

230    Dans certains cas, l’applicabilité du critère de l’investisseur privé peut même être présumée, en raison de la nature même de la mesure en cause (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2018, BTB Holding Investments et Duferco Participations Holding/Commission, T‑100/17, non publié, EU:T:2018:900, point 53).

231    En l’espèce, il convient de relever que, aux considérants 221 et 222 de la décision attaquée, la Commission a fondé sa conclusion quant à l’inapplicabilité du critère du créancier privé, en substance, sur l’existence du protocole et des déclarations publiques. Or, dans la mesure où la Commission n’a pas qualifié ledit protocole et lesdites déclarations d’aide d’État, ces derniers doivent être regardés uniquement comme des éléments du contexte dans lequel s’inscrivent les mesures en cause.

232    Ce faisant, la Commission n’a pas procédé à l’appréciation globale de tous les facteurs pertinents, en particulier, de ceux relatifs à la nature et à l’objet de la mesure, à l’objectif poursuivi et aux règles auxquelles ladite mesure était soumise, comme l’exige la jurisprudence rappelée aux points 226 et 227 ci-dessus.

233    Certes, il n’est pas exclu que la décision attaquée puisse être lue comme indiquant, implicitement mais nécessairement, que, selon la Commission, les éléments du contexte avaient une telle importance en l’espèce qu’ils suffisaient, à eux seuls, pour conclure à l’inapplicabilité du critère du créancier privé, indépendamment des autres facteurs dégagés par la jurisprudence.

234    La requérante fait toutefois valoir que ces autres facteurs démontraient que le critère du créancier privé trouvait à s’appliquer en l’espèce.

235    Il convient donc d’examiner si, compte tenu de l’ensemble des facteurs pertinents, relatifs à la nature et à l’objet des mesures 1 et 2, au contexte dans lequel elles s’inscrivent, à l’objectif poursuivi et aux règles auxquelles elles sont soumises, la Commission a pu conclure, sans commettre d’erreur, à l’inapplicabilité du critère du créancier privé aux mesures 1 et 2.

236    En premier lieu, s’agissant de l’objet et de la nature des mesures 1 et 2, il découle du point 99 ci-dessus que la mesure 1 concerne, en substance, l’opportunité, le calendrier et les modalités d’une éventuelle exécution des créances de l’AAAS. Tout créancier privé pourrait également être confronté à un tel choix.

237    De même, la mesure 2 concerne les modalités selon lesquelles il conviendrait de poursuivre ou d’interrompre des livraisons de matières premières à une entreprise en difficulté. Tout fournisseur privé pourrait également être confronté à un tel choix.

238    La nature des mesures 1 et 2 est donc essentiellement économique et n’implique pas, en tant que telle, l’exercice de prérogatives de puissance publique.

239    En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, premièrement, il convient d’observer que, comme le relève la requérante, la période pertinente des mesures 1 et 2 débutait en septembre 2012, alors que le protocole a été signé le 23 novembre 2012. Ainsi, les mesures 1 et 2 ont été mises en œuvre environ deux mois avant la signature du protocole, de sorte que ce dernier ne pouvait pas être la raison de leur adoption.

240    Deuxièmement, comme le fait valoir la requérante, et ainsi qu’il a été relevé au point 124 ci-dessus, aucune clause du protocole n’imposait à l’AAAS de ne pas exécuter ses créances à l’encontre de la requérante. Quant à CET Govora, seul dispensateur d’une aide dans le cadre de la mesure 2, elle n’est même pas signataire du protocole.

241    Troisièmement, comme cela est relevé au point 127 ci-dessus, le fait d’avoir signé le protocole n’a pas empêché certains des signataires de se comporter comme des créanciers privés.

242    Quant aux déclarations publiques, il suffit de renvoyer aux points 130 à 136 ci-dessus, dont il ressort que celles-ci ne comportaient pas d’engagements clairs, précis, concrets et fermes de l’État imposant à l’AAAS et à CET Govora d’adopter un comportement caractérisé par l’exercice de prérogatives de puissance publique (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2015, France et Orange/Commission, T‑425/04 RENV et T‑444/04 RENV, EU:T:2015:450, points 235 à 245).

243    En troisième lieu, s’agissant des objectifs des mesures 1 et 2, il est renvoyé aux points 111 et 112 ci-dessus, dont il ressort qu’aucun objectif clair ne peut être assigné à la mesure 1, tandis que la mesure 2 poursuit l’objectif de maintenir la viabilité de CET Govora elle-même.

244    En quatrième lieu, s’agissant des règles auxquelles étaient soumises les mesures 1 et 2, celles-ci n’impliquent pas non plus l’exercice de prérogatives de puissance publique.

245    En effet, les règles applicables à la mesure 1 sont, en substance, celles relatives aux procédures d’exécution de créances. S’il est vrai qu’il existe des lois spéciales encadrant le recouvrement des dettes de l’État, lesquelles prévoient notamment la possibilité d’exécution directe des créances sans décision d’un tribunal, il n’en demeure pas moins que l’AAAS, dont le comportement passif fait l’objet de la mesure 1, n’a pas mis en œuvre cette possibilité en l’espèce (voir points 266 à 275 ci-après).

246    Quant à la mesure 2, elle se rapporte, en substance, aux relations contractuelles entre CET Govora, Salrom et la requérante pendant la période allant de septembre 2012 à janvier 2013.

247    Par conséquent, il ressort de la nature, de l’objet, du contexte, de l’objectif et des règles de droit auxquelles étaient soumises les mesures 1 et 2 que celles-ci relevaient de la sphère économique et commerciale et ne se rattachaient pas à l’exercice par l’État de prérogatives de puissance publique.

248    Partant, la Commission a considéré à tort que le critère du créancier privé n’était pas applicable aux mesures 1 et 2.

2)      Sur l’existence d’un avantage économique en ce qui concerne la mesure 1

249    Au point 6.1.2.1 de la décision attaquée (considérants 224 à 243), la Commission a considéré que l’AAAS avait conféré un avantage économique à la requérante en raison de la non-exécution et de l’accumulation de créances pendant la période allant du mois de septembre 2012 au mois de janvier 2013, au motif, en substance, que l’AAAS n’aurait pas agi comme l’aurait fait un créancier privé. En effet, même si elle connaissait la situation financière difficile et en détérioration de la requérante, l’AAAS n’aurait pas adopté des mesures pour tenter d’exécuter ses créances ou, à tout le moins, pour obtenir une meilleure position en tant que créancier.

250    En particulier, dans la décision attaquée, la Commission s’est fondée sur plusieurs éléments afin de démontrer que l’AAAS avait accordé un avantage économique à la requérante dans le cadre de la mesure 1, à savoir :

–        à la différence des circonstances entourant l’adoption de la décision de 2012, la non-exécution et l’accumulation des créances par l’AAAS pendant la période concernée ne pourraient pas se justifier par un projet de privatisation imminente ;

–        la période concernée aurait été suffisamment longue pour que l’AAAS puisse prendre des mesures d’exécution ;

–        l’AAAS aurait pu se prévaloir des droits spéciaux qu’elle détenait en tant qu’administration publique pour exécuter ses créances ;

–        la legea no 137 privind unele măsuri pentru accelerarea privatizării (loi no 137 sur les mesures visant à accélérer la privatisation, ci-après la « loi roumaine sur la privatisation »), du 28 mars 2002 (Monitorul Oficial al României, Partea I, no 215, du 28 mars 2002), n’aurait pas empêché l’AAAS de recouvrer ses créances ;

–        l’AAAS n’aurait présenté aucun rapport ou document interne contemporain démontrant qu’elle avait agi comme un créancier privé ;

–        à la différence de l’AAAS, d’autres créanciers de la requérante auraient pris des mesures pour recouvrer ou protéger leurs créances ;

–        le protocole prouverait que l’AAAS aurait accepté le non-recouvrement et l’accumulation des dettes ;

–        l’AAAS aurait pu se prévaloir des dispositions de la loi roumaine sur l’insolvabilité lui permettant de proposer un plan de réorganisation alternatif ;

–        l’AAAS aurait pu menacer la requérante de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ;

–        l’AAAS aurait pu saisir les comptes de la requérante ou obtenir des gages immobiliers.

251    La requérante conteste chacun de ces éléments. Elle soutient, en substance, que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en constatant que la mesure 1 n’était pas conforme au critère du créancier privé. En effet, la Commission n’aurait pas démontré qu’elle n’aurait manifestement pas obtenu les mêmes avantages d’un créancier privé se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS.

252    La Commission conteste les arguments de la requérante. Elle fait valoir que, dans la décision attaquée, elle a démontré à suffisance de droit que l’AAAS avait conféré un avantage économique à la requérante en raison de la non-exécution et de l’accumulation de ses créances sur celle-ci.

253    Selon la jurisprudence, le critère du créancier privé tend à examiner si l’entreprise bénéficiaire n’aurait manifestement pas obtenu des facilités comparables d’un créancier privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle du créancier public qui chercherait à obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues par un débiteur connaissant des difficultés financières et, partant, si cette entreprise aurait pu obtenir le même avantage que celui qui avait été mis à sa disposition au moyen de ressources d’État dans des circonstances qui correspondaient aux conditions normales du marché (voir arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 28 et jurisprudence citée).

254    Il convient encore de rappeler que, selon la jurisprudence, confronté à un débiteur connaissant une détérioration importante de sa situation financière, chaque créancier est amené à devoir faire un choix quant aux possibilités et aux modalités d’une éventuelle récupération de ses créances. Son choix est influencé par une série de facteurs, tels que sa qualité de créancier hypothécaire, privilégié ou ordinaire, la nature et l’étendue des sûretés éventuelles qu’il détient, son appréciation des chances de redressement de l’entreprise ainsi que le bénéfice qui lui reviendrait en cas de liquidation. Il s’ensuit qu’il incombe à la Commission de déterminer, pour chaque organisme public en cause, et en tenant compte des facteurs précités, si les facilités qu’il a octroyées étaient manifestement plus importantes que celles qu’aurait accordées un créancier privé hypothétique se trouvant, à l’égard de l’entreprise bénéficiaire, dans une situation comparable à celle de l’organisme public concerné et cherchant à récupérer des sommes qui lui sont dues (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2011, Buczek Automotive/Commission, T‑1/08, EU:T:2011:216, point 84 et jurisprudence citée).

255    Il y a donc lieu d’examiner si la Commission a démontré à suffisance de droit que, en n’exécutant pas ses créances et en en accumulant d’autres pendant la période concernée, l’AAAS avait octroyé à la requérante des facilités qu’elle n’aurait manifestement pas obtenues d’un créancier privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’AAAS, au sens de la jurisprudence citée au point 253 ci-dessus.

256    Premièrement, la requérante fait valoir que, pendant la durée, très courte, de cette mesure, l’AAAS n’aurait pas procédé à l’exécution de ses créances, car elle était encore en train de rechercher la meilleure solution possible pour recouvrer celles-ci, comme en témoignerait le protocole. En outre, au cours de la période concernée, l’AAAS pouvait encore s’appuyer sur les conclusions et l’analyse économique de la Commission figurant dans la décision de 2012, lesquelles confirmaient que la conversion de la dette et la privatisation étaient plus rentables qu’une liquidation. Par ailleurs, ainsi qu’il a été relevé au point 99 ci-dessus, la requérante souligne, sans être contredite par la Commission sur ce point, que l’accumulation de créances par l’AAAS pendant cette période aurait consisté non pas en de nouvelles créances contractées pendant celle-ci, mais uniquement en l’accumulation d’intérêts encourus sur des créances préexistantes.

257    À cet égard, il convient de relever que, dans la décision de 2012, adoptée à peine environ six mois avant le début de la période concernée par la mesure 1, la Commission avait conclu, notamment, que la conversion des dettes de la requérante en capital ne constituait pas une aide d’État et qu’une privatisation serait plus avantageuse qu’une liquidation, étant précisé que les autorités roumaines s’étaient engagées à privatiser intégralement la requérante à court terme (considérants 17, 52, 73, 86, 153, 160 et article 2 de la décision de 2012).

258    Or, il ressort de la décision attaquée que la tentative de privatisation de la requérante a échoué le 22 septembre 2012, en raison du fait que certains actionnaires minoritaires auraient bloqué la conversion prévue de la dette en actions.

259    Ainsi, la période pertinente de la mesure 1 a commencé à courir, selon le considérant 224 de la décision attaquée, à la suite de l’échec de cette tentative. Ainsi, selon la décision attaquée, l’AAAS aurait dû procéder à l’exécution de ses créances sur la requérante immédiatement après ledit échec ou, tout au plus, dans une période de quatre mois à la suite de celui-ci, ou prendre d’autres mesures visant à obtenir une meilleure position en tant que créancier dans cette même période de temps.

260    Or, d’une part, comme le fait valoir la requérante, la Commission n’a pas démontré qu’un créancier privé se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS aurait nécessairement considéré, à ce moment-là, qu’aucune autre tentative de privatisation ne serait envisageable, étant donné que l’échec de celle-ci n’était dû ni au manque d’investisseurs potentiels, ni à la rentabilité de l’investissement envisagé, ni à la situation financière de la requérante.

261    Si, certes, la Commission a relevé que d’autres tentatives avant celle-ci avaient également échoué et qu’il n’y avait plus aucun projet de privatisation imminente à ce moment-là, elle n’a pourtant pas démontré qu’un créancier privé se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS aurait nécessairement escompté que la privatisation de la requérante était dorénavant exclue, compte tenu non seulement des raisons spécifiques de ce dernier échec, mais également du fait que, à peine six mois auparavant, la Commission avait elle-même considéré qu’une telle possibilité était envisageable à court terme.

262    D’autre part, il y a lieu de constater, à l’instar de la requérante, que la période pertinente de la mesure 1 était relativement courte, à savoir du 22 septembre 2012 au 31 janvier 2013, c’est-à-dire environ quatre mois. Or, dans la mesure où, dans la décision de 2012, la Commission avait conclu que le scénario de la privatisation était plus avantageux que celui de la liquidation, il aurait été légitime pour un créancier privé se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS de réfléchir sur les options dont il disposait pendant un certain temps au lieu de procéder immédiatement à l’exécution de ses créances, laquelle aurait pu entraîner la liquidation de la requérante, un scénario qui, selon ladite décision, aurait été désavantageux.

263    S’il n’y a pas de règles quant à la promptitude avec laquelle un créancier doit agir pour faire exécuter ses créances, il ne saurait être attendu que des créanciers privés hypothétiques exigent la mise en faillite de l’entreprise à la première défaillance, sans tenir aucun compte du potentiel de celle-ci à plus long terme, même s’il ne saurait toutefois être admis que les pouvoirs publics tolèrent passivement une accumulation de dettes sur de longues périodes sans que se dessine la moindre perspective d’une amélioration (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mischo dans l’affaire Espagne/Commission, C‑480/98, EU:C:2000:305, points 36 et 37).

264    Le critère du créancier privé n’exige donc pas de demander la mise en faillite immédiate d’une entreprise en difficulté, dans la mesure où il pourrait être tout à fait concevable qu’un créancier privé, doté de moyens importants, eût intérêt à maintenir un certain temps l’activité d’une entreprise débitrice, si les coûts d’une liquidation immédiate se révélaient plus élevés que les coûts de l’octroi d’une aide (conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Espagne/Commission, C‑276/02, EU:C:2004:211, point 39).

265    Par ailleurs, le fait, relevé au considérant 234 de la décision attaquée, selon lequel la requérante avait suspendu sa production et n’avait aucune perspective de recettes d’exploitation dans un avenir proche, ce qui, selon la Commission, aurait dû pousser l’AAAS à entamer une procédure d’exécution, manque partiellement en fait. En effet, il ressort des considérants 29 et 244 de la décision attaquée que le 24 octobre 2012, c’est-à-dire au début de la période concernée par la mesure 1, la requérante a repris sa production et a donc pu dégager des recettes.

266    Deuxièmement, la requérante soutient que l’AAAS était légalement empêchée de faire valoir ses créances, conformément à l’article 16, paragraphe 5, sous c), de la loi roumaine sur la privatisation, aussi longtemps qu’elle-même était placée sous administration spéciale. Or, tel était le cas depuis l’ordonnance du ministre de l’Économie du 2 juillet 2012.

267    À cet égard, il n’est pas contesté que, ainsi qu’il ressort du considérant 228 de la décision attaquée, les lois spéciales encadrant le recouvrement des dettes de l’État, en particulier l’article 50, paragraphes 1 et 2, de l’ordonanță no 51 de urgenţă privind valorificarea unor active ale statului (ordonnance no 51 d’urgence sur la récupération de certains biens de l’État), du 15 décembre 1998 (Monitorul Oficial al României, Partea I, no 482, du 15 décembre 1998), confèrent à l’AAAS des droits spéciaux comprenant notamment l’exécution directe de ses créances, par son propre corps d’huissiers, sans décision d’un tribunal.

268    Toutefois, l’article 16, paragraphe 5, sous c), de la loi roumaine sur la privatisation empêchait les créanciers fiscaux de procéder à l’exécution de leurs créances sur la requérante. En effet, cette disposition, telle qu’applicable à l’époque des faits, prévoyait ce qui suit :

« À compter de la date d’établissement de la procédure spéciale d’administration pendant la période de privatisation, les mesures exceptionnelles suivantes s’appliquent à la société : […] les créanciers fiscaux suspendent, jusqu’au transfert de propriété des actions, l’application des mesures d’exécution prises à l’encontre de la société et ne prennent aucune mesure pour introduire de telles mesures. Les mêmes dispositions s’appliquent à l’institution publique concernée si elle est un créancier. »

269    Or, il n’est pas contesté que, au cours de la période concernée par la mesure 1, la requérante fût placée sous le régime de la procédure spéciale d’administration. Il n’est pas contesté non plus que l’AAAS fût un créancier fiscal au sens de l’article 16, paragraphe 5, sous c), de la loi roumaine sur la privatisation.

270    Partant, comme le relève la requérante, cette disposition du droit national s’appliquait à l’AAAS.

271    D’une part, la Commission a toutefois fait valoir, au considérant 229 de la décision attaquée, que le ministère de l’Économie avait, « pour des raisons inexpliquées », maintenu la requérante sous le régime de la procédure spéciale d’administration même après l’échec de la privatisation en septembre 2012.

272    Toutefois, ce reproche est inopérant, car la Commission n’a pas qualifié d’aide d’État la décision du ministre de l’Économie de maintenir la requérante sous le régime de la procédure spéciale d’administration, mais uniquement le comportement de l’AAAS.

273    D’autre part, au considérant 229 de la décision attaquée, la Commission a affirmé que l’AAAS aurait pu essayer de contester la « décision du ministère de prolonger [l]e statut spécial [de la requérante] sans explication ».

274    Toutefois, la Commission n’a pas démontré qu’un créancier privé hypothétique se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS aurait décidé d’engager une telle procédure judiciaire, compte tenu notamment de sa durée escomptée par rapport à la période très courte concernée par la mesure 1. Or, la durée d’une procédure judiciaire est un élément susceptible d’influencer, de manière non négligeable, le processus décisionnel d’un créancier privé normalement prudent et diligent (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 81).

275    Devant le Tribunal, la Commission affirme que la Roumanie aurait pu modifier la loi roumaine sur la privatisation. Toutefois, une telle considération ne figure pas dans la décision attaquée. Or, la Commission ne saurait compléter la motivation de la décision attaquée en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2007, Duales System Deutschland/Commission, T‑289/01, EU:T:2007:155, point 132).

276    Troisièmement, dans la décision attaquée, la Commission a constaté que, contrairement à l’AAAS, certains créanciers publics et privés, notamment Electrica, Salrom, Polcheme SA et Bulrom Gas, avaient entamé des procédures d’exécution pendant ladite période.

277    La requérante soutient que la grande majorité des créanciers privés a agi de la même manière que l’AAAS.

278    À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que, dans la décision attaquée, la Commission n’a présenté aucun élément de nature à démontrer, ni explicitement ni implicitement, que l’AAAS et trois des quatre créanciers mentionnés au point 276 ci-dessus, à savoir Salrom, Polcheme et Bulrom Gas, se trouvaient, pendant la période pertinente, dans une situation comparable. Au contraire, il ressort du considérant 231 de la décision attaquée que Polcheme et Bulrom Gas figuraient parmi les créanciers privilégiés, tandis que la quasi-totalité des créances détenues par l’AAAS n’était pas garantie.

279    Quant à Electrica, la Commission a, certes, relevé, au considérant 231 de la décision attaquée, qu’elle aurait eu « le même taux de recouvrement » que l’AAAS, d’après une étude de la banque Raiffeisen de 2011. Toutefois, Electrica était, en 2012, c’est-à-dire avant sa privatisation, un créancier public. Or, aux fins de l’application du critère du créancier privé, ce n’est que le comportement des créanciers privés se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’AAAS qui est pertinent (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 28 et jurisprudence citée).

280    De surcroît, la Commission n’a pas remis en cause l’argument de la requérante, selon lequel la plupart de ses créanciers privés n’aurait pas procédé, comme l’AAAS, à l’exécution de leurs créances ou adopté d’autres mesures conservatoires, pendant la période concernée. Si la Commission reproche à la requérante de ne pas avoir démontré que ces autres créanciers privés se trouvaient dans une situation comparable à celle de l’AAAS, ce même reproche peut être opposé à la Commission elle-même, dans la mesure où elle n’a pas démontré que les quatre créanciers qu’elle a mentionnés dans la décision attaquée se trouvaient dans une situation comparable à celle de l’AAAS. Or, selon la jurisprudence, il incombe à la Commission de démontrer que le comportement d’un créancier public n’était pas compatible avec le critère du créancier privé et que, dès lors, il a octroyé un avantage (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 29).

281    Il y a encore lieu de noter, par souci d’exhaustivité, que l’application du critère du créancier privé peut être fondée sur le comportement d’un créancier privé hypothétique se trouvant dans une situation comparable à celle du créancier public en cause (voir jurisprudence citée au point 254 ci-dessus). L’application de ce critère n’exige donc pas nécessairement qu’un créancier privé réel se trouvant dans une telle situation comparable soit identifié. Toutefois, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas non plus démontré qu’un créancier privé hypothétique se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS aurait procédé à l’exécution de ses créances ou adopté d’autres mesures conservatoires pendant la période concernée, dont la durée était relativement courte.

282    À cet égard, et sans que cela soit contesté de façon étayée par la Commission, il était vraisemblable que, compte tenu du montant des créances de l’AAAS, l’exécution de celles-ci aurait entraîné l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.

283    Or, il est important de tenir compte du fait que presque la totalité des créances de l’AAAS n’était pas garantie. À cet égard, la Commission n’a pas démontré qu’un créancier privé ayant une exposition similaire à celle de l’AAAS aurait eu un intérêt économique à provoquer l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, étant donné que, à la différence des créanciers privilégiés, il risquait de perdre une partie plus importante de ses créances dans le cadre d’une telle procédure. Ainsi, pour un tel créancier, une éventuelle privatisation ou une autre solution auraient pu, à cette époque, paraître à la fois envisageables et plus intéressantes pour les raisons déjà exposées au point 262 ci-dessus. À tout le moins, il serait légitime qu’un tel créancier évalue les options qui se présentent à lui pendant un certain temps au lieu de se précipiter dans une démarche telle que celle préconisée par la Commission.

284    Le motif, figurant au considérant 242 de la décision attaquée, selon lequel l’AAAS aurait pu provoquer l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité pour ensuite proposer un plan de réorganisation alternatif n’est ni suffisamment étayé ni convaincant. En effet, même si l’AAAS pouvait proposer un plan de réorganisation alternatif dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, la Commission n’a démontré ni qu’elle aurait pu, à elle seule, le faire adopter, ni que ce plan alternatif aurait conduit à un meilleur recouvrement des créances non garanties de l’AAAS.

285    De même, la Commission n’a pas démontré qu’un créancier privé hypothétique se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS aurait procédé, pendant la période concernée, à la saisie des comptes de la requérante ou aurait pu obtenir des sûretés pour ses créances, telles qu’un gage immobilier. En effet, la Commission s’est bornée à mentionner une telle possibilité sans pour autant effectuer un examen concret et étayé à cette fin. Ainsi, à titre d’exemple, la Commission n’a pas examiné la disponibilité de liquidités ou de biens immobiliers d’une valeur suffisante dans le patrimoine de la requérante qu’un créancier privé hypothétique se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS aurait pu saisir ou sur lesquels il aurait pu obtenir une sûreté. Elle n’a pas non plus examiné les procédures à suivre et les conditions requises à cette fin et si, compte tenu de celles-ci, un tel créancier privé hypothétique aurait agi de la manière qu’elle préconisait, pendant la période relativement courte du 22 septembre 2012 au 31 janvier 2013. En tout état de cause, conformément à la jurisprudence rappelée au point 254 ci-dessus, il appartient à la Commission de démontrer qu’il était manifeste qu’un tel créancier privé hypothétique aurait agi de la façon préconisée par elle pendant la période concernée par la mesure 1. Quant aux exemples concrets donnés par la Commission dans la décision attaquée, ils ne concernent pas des créanciers ayant une exposition comparable à celle de l’AAAS.

286    Par ailleurs, la requérante fait valoir, sans être contredite de façon étayée par la Commission sur ce point, que, en tout état de cause, l’article 16, paragraphe 5, sous c), de la loi roumaine sur la privatisation empêchait l’AAAS de lui imposer de telles mesures.

287    Quatrièmement, dans la décision attaquée, la Commission a reproché aux autorités roumaines de n’avoir présenté aucun rapport ou document interne contemporain démontrant que l’AAAS avait agi, pendant la période concernée, comme un créancier privé.

288    La requérante soutient, en substance, qu’il était légitime que l’AAAS ne procède pas à la préparation immédiate de tels documents, compte tenu du fait qu’elle avait signé le protocole précisément dans le but de maintenir toutes les options ouvertes et d’évaluer sa viabilité.

289    À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que l’AAAS disposait, pendant la période pertinente, de l’analyse économique de la Commission figurant dans la décision de 2012, laquelle constituait une évaluation contemporaine et accessible à tout créancier, portant notamment sur les avantages et les désavantages du scénario de la liquidation par rapport à celui de la privatisation. Pour les raisons déjà exposées aux points 256 à 265 ci-dessus, et comme le fait valoir la requérante, il était légitime pour un créancier de considérer que cette évaluation demeurait pertinente pendant la période concernée.

290    Ensuite, les créanciers, y compris l’AAAS, disposaient également de l’étude de la banque Raiffeisen d’octobre 2011, qualifiée par la Commission de « la dernière étude disponible datant de l’époque » (considérant 230 de la décision attaquée). Cette étude, soumise par les autorités roumaines à la Commission au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption de la décision de 2012, comparait le produit d’une liquidation de la requérante à celui d’une privatisation. Il ressort de la décision attaquée que, selon cette étude, dans l’hypothèse d’une liquidation, l’AAAS aurait recouvré environ 23 000 000 EUR, alors que, dans l’hypothèse d’une conversion de la dette et d’une privatisation, elle aurait recouvré entre 22 900 000 EUR et 79 500 000 EUR. S’il est vrai que cette étude est antérieure, d’une année, à l’adoption de la mesure 1, la Commission n’allègue pas que les données figurant dans celle-ci n’auraient plus été d’actualité pendant la période pertinente de cette mesure. En outre, étant donné que cette étude a été soumise à la Commission par la Roumanie et qu’elle contient des données spécifiques sur le recouvrement des créances de l’AAAS, il est vraisemblable que cette dernière a eu accès ou était en mesure d’avoir accès à ladite étude, sans que cela soit contesté par la Commission.

291    Enfin, la clause 1.1.b) du protocole prévoyait l’élaboration d’une étude de viabilité. Cette étude a été commandée le 23 novembre 2012, c’est-à-dire le jour même de la signature du protocole et a été élaborée par Alvarez & Marsal. Il s’ensuit que les créanciers signataires du protocole, dont l’AAAS, ont agi promptement, en commandant une telle étude environ deux mois après l’échec de la dernière tentative de privatisation de la requérante.

292    Dans ces circonstances, il apparaît légitime qu’un créancier privé se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS attende les résultats de ladite étude sur la viabilité du débiteur pour décider, en toute connaissance de cause, des démarches à entreprendre sur la base de celle-ci, au lieu de procéder immédiatement à l’exécution de ses créances, étant précisé, au demeurant, que l’accumulation de créances par l’AAAS à l’encontre de la requérante pendant la période concernée a consisté non pas en de nouvelles créances contractées pendant celle-ci, mais uniquement en l’accumulation d’intérêts encourus sur les créances préexistantes.

293    La Commission soutient que la Roumanie n’aurait pas établi que cette étude avait été menée pour l’AAAS ou pour son compte, ni même qu’elle avait été utilisée par l’AAAS.

294    Toutefois, aucune règle de droit n’exige qu’un créancier privé effectue sa propre étude économique. En effet, de telles études peuvent être commandées collectivement par les créanciers et mises à leur disposition, comme en l’espèce. En tout état de cause, la Commission n’a même pas argué qu’un créancier privé se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS aurait, par exemple en raison de certaines caractéristiques qui lui sont spécifiques, nécessairement effectué une étude distincte.

295    Cinquièmement, s’agissant de l’affirmation, dans la décision attaquée, selon laquelle le protocole prouverait que l’AAAS aurait accepté le non-recouvrement et l’accumulation des dettes, il suffit de renvoyer au point 124 ci-dessus, dont il ressort que le protocole ne comportait pas un tel engagement.

296    Sixièmement, s’agissant des considérations de la Commission figurant aux considérants 231 et 241 de la décision attaquée selon lesquelles l’AAAS pouvait « menacer » la requérante de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, il suffit de relever qu’il paraît douteux qu’une telle menace eût été perçue comme crédible pour les raisons exposées au point 283 ci-dessus.

297    Partant, il y a lieu de conclure que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que, en n’exécutant pas ses créances et en en accumulant d’autres pendant la période concernée, l’AAAS avait octroyé à la requérante des facilités qu’elle n’aurait manifestement pas obtenues d’un créancier privé se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’AAAS, au sens de la jurisprudence citée au point 253 ci-dessus. En effet, la Commission n’a démontré ni qu’un créancier privé hypothétique se trouvant dans une situation comparable à celle de l’AAAS aurait procédé à l’exécution immédiate de ses créances ou aurait pris d’autres mesures pour les recouvrer ou pour les protéger pendant la période relativement courte allant du 22 septembre 2012 au 31 janvier 2013, ni qu’une telle exécution ou de telles mesures lui auraient permis de recouvrer ou de protéger une partie de ses créances.

298    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’est pas parvenue à démontrer à suffisance de droit que la mesure 1 conférait un avantage à la requérante et que, partant, elle était constitutive d’une aide d’État.

3)      Sur l’existence d’un avantage économique en ce qui concerne la mesure 2

299    Au point 6.1.2.2 de la décision attaquée (considérants 244 à 263), la Commission a relevé qu’il existait une interdépendance technologique entre CET Govora et Salrom, d’une part, et la requérante, d’autre part, dans le sens que chacune d’entre elles était, en même temps, fournisseur et client de l’autre. En effet, alors que CET Govora fournissait de l’électricité et de la vapeur à la requérante et que Salrom lui fournissait des solutions salines et de la craie, la requérante fournissait à CET Govora et à Salrom de l’eau industrielle nécessaire aux activités de ces dernières. Ainsi, ces entreprises étaient des clients captifs les unes des autres, de sorte que la disparition de l’une d’entre elles aurait entraîné la disparition des autres.

300    Toutefois, la Commission a considéré que le comportement de CET Govora n’était pas conforme à celui d’un créancier privé et aurait conféré un avantage à la requérante, notamment parce que CET Govora aurait décidé de poursuivre ses livraisons en électricité et en vapeur à la requérante « à titre gratuit », sans demander des paiements anticipés en échange de la reprise desdites livraisons, ni une sûreté immobilière concernant les dettes antérieures de la requérante envers elle. En outre, selon la Commission, ladite poursuite des livraisons aurait été décidée par le conseil du comté de Vâlcea sur la base de considérations politiques qu’un créancier privé n’aurait pas suivies.

301    En revanche, selon la Commission, Salrom aurait agi comme l’aurait fait un créancier privé et n’aurait donc pas conféré un avantage à la requérante, car elle aurait conditionné la poursuite de ses livraisons à des paiements anticipés et à la constitution d’une sûreté immobilière.

302    La requérante soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en constatant que le comportement de CET Govora dans le cadre de la mesure 2 n’était pas conforme au critère du créancier privé.

303    La Commission conteste les arguments de la requérante.

304    En l’espèce, premièrement, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a fondé sa thèse selon laquelle CET Govora n’aurait pas agi comme l’aurait fait un créancier privé, en substance, sur une comparaison entre le comportement de celle-ci et celui de Salrom. À cette fin, la Commission a relevé que ces deux entreprises auraient poursuivi leurs livraisons à la requérante entre septembre 2012 et janvier 2013 malgré le non-paiement des dettes de celle-ci. Or, alors que Salrom aurait exigé de la requérante des paiements anticipés ainsi qu’une sûreté immobilière, CET Govora n’aurait pas imposé de conditions similaires.

305    La requérante considère, en substance, qu’il n’est pas suffisant de comparer les agissements de CET Govora avec ceux de Salrom pour conclure que CET Govora n’aurait pas agi comme l’aurait fait un créancier privé.

306    En l’espèce, tout d’abord, il convient de constater que la nature et l’objet des comportements respectifs de CET Govora et de Salrom, à savoir la poursuite des livraisons de matières premières à la requérante, étaient comparables et que ces livraisons ont eu lieu en parallèle, pendant la même période, s’inscrivant donc dans un contexte similaire.

307    Ensuite, il convient également de constater qu’il existait une interdépendance technologique entre CET Govora et Salrom, d’une part, et la requérante, d’autre part, ainsi que l’a constaté la Commission elle-même dans la décision attaquée.

308    Enfin, les données contenues dans les tableaux 7 et 8 de la décision attaquée, lesquels ne sont pas contestés, montrent que l’évolution des dettes de la requérante envers CET Govora et Salrom étaient globalement comparables pendant la période concernée par la mesure 2. En effet, il en ressort que les créances de ces dernières ont quasi doublé pendant cette période, en suivant des trajectoires similaires.

309    Dans ces conditions, la Commission pouvait, dans la décision attaquée, sans commettre d’erreur, considérer, implicitement mais nécessairement, que CET Govora et Salrom se trouvaient dans une situation comparable dans le cadre de la mesure 2.

310    Il est vrai, comme il a été exposé au point 279 ci-dessus, que, aux fins de l’application du critère du créancier privé, il est nécessaire de comparer le comportement d’un créancier public avec celui d’un créancier privé, réel ou hypothétique, tandis que, en l’espèce, la Commission a comparé le comportement de deux entreprises publiques.

311    Toutefois, il importe de souligner que, du fait de leur situation d’interdépendance technologique avec la requérante, tant CET Govora que Salrom se trouvaient dans une situation très particulière, voire unique, à l’égard de celle-ci. C’est cette situation très particulière et commune à CET Govora et Salrom qui justifiait, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, la comparaison de l’une avec l’autre.

312    En outre, la Commission a conclu que Salrom avait agi comme un créancier privé dans le cadre de la mesure 2. Ainsi, s’agissant d’une entreprise publique qui avait pourtant agi en tant que créancier privé, la comparaison avec celle-ci, en tant que référence pour illustrer le comportement d’un créancier privé hypothétique se trouvant dans une situation comparable à celle de CET Govora, est justifiée.

313    Deuxièmement, il convient de relever que CET Govora et Salrom ont agi de manière très différente dans le cadre de la mesure 2, ainsi que le relève à juste titre la Commission dans la décision attaquée.

314    En effet, tandis que Salrom a demandé et obtenu des paiements anticipés pour ses livraisons et a sécurisé, autant que possible, ses créances par le biais d’une sûreté immobilière, CET Govora n’a pas pris de mesures comparables.

315    La requérante considère toutefois que CET Govora aurait quand même pris certaines mesures pour garantir ses créances à son égard.

316    Tout d’abord, la requérante fait valoir que CET Govora aurait reçu des paiements de sa part d’un montant de 8 millions de RON entre septembre 2012 et janvier 2013. Toutefois, ainsi qu’il ressort du considérant 254 de la décision attaquée, au cours de cette période, CET Govora a effectué des livraisons à la requérante pour un montant d’environ 50 millions de RON, de sorte que les paiements reçus n’en constituent qu’une partie minimale.

317    Ensuite, la requérante mentionne l’existence d’un « engagement » de sa part afin de payer l’électricité livrée par CET Govora par acomptes jusqu’en février 2013. Toutefois, elle reste en défaut de fournir plus d’informations quant au montant de ces acomptes et à la question de savoir si ceux-ci ont été effectivement payés par elle, qui permettraient de saisir la portée et la pertinence d’un tel engagement.

318    Enfin, la requérante fait valoir que CET Govora aurait ajouté des pénalités aux créances qu’il détenait à son égard, nées entre février 2008 et décembre 2012. Or, une telle mesure n’a pas pour objet de garantir les créances de CET Govora.

319    Troisièmement, il ressort du considérant 260 de la décision attaquée que la poursuite par CET Govora des livraisons à la requérante, sans négocier ni protéger ses créances, a été décidée par le conseil du comté de Vâlcea. L’affirmation de la requérante selon laquelle cette autorité aurait pris cette décision sur la base de propositions de CET Govora et de considérations purement économiques n’est étayée par aucun élément de preuve. Elle est, par ailleurs, contredite par les motifs d’ordre public invoqués par les autorités municipales pour justifier l’adoption de cette décision, cités à la note en bas de page no 110 de la décision attaquée et non contestés par la requérante.

320    Quatrièmement, la requérante fait valoir que, si CET Govora n’avait pas continué à l’approvisionner, elle aurait subi des pertes et fait faillite elle-même.

321    Il suffit de relever à cet égard que la Commission n’a pas reproché à CET Govora le fait d’avoir poursuivi ses livraisons à la requérante en tant que tel, mais le fait de les avoir poursuivies sans aucune mesure en vue de protéger ses créances. L’argument de la requérante sur ce point est donc inopérant.

322    Cinquièmement, la requérante fait valoir que « de nombreux fournisseurs privés » auraient continué, à l’instar de CET Govora, à l’approvisionner en dépit de l’existence de créances impayées. Toutefois, cet argument n’est pas étayé, la requérante n’ayant même pas identifié ces autres « nombreux fournisseurs privés ».

323    Sixièmement, la requérante reproche à la Commission de s’être fondée sur les déclarations de PCC, un de ses actionnaires minoritaires, ou de celles de l’administrateur judiciaire de CET Govora, notamment, aux considérants 258, 259, 261 et 262 de la décision attaquée. Selon la requérante, ces déclarations ne seraient pas pertinentes et seraient en contradiction avec les observations de la Roumanie au cours de la procédure administrative. En outre, PCC ne jouirait que d’une « crédibilité limitée ».

324    Ces arguments sont toutefois inopérants. En effet, lesdites déclarations ne revêtent qu’une pertinence secondaire dans l’économie de cette partie de la décision attaquée, les conclusions de la Commission reposant principalement sur la comparaison du comportement de CET Govora avec celui de Salrom et sur le fait que c’est le conseil du comté de Vâlcea qui aurait imposé à CET Govora de poursuivre ses livraisons.

325    Septièmement, la requérante souligne que CET Govora a l’obligation légale de ne pas interrompre le service de fourniture de chauffage et d’énergie thermique au public.

326    Cet argument est toutefois dénué de toute pertinence, car la requérante est un client industriel de CET Govora, de sorte que ladite obligation ne trouve pas à s’appliquer dans les relations contractuelles entre elles.

327    Il s’ensuit que le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne l’existence d’un avantage économique dans le cadre de la mesure 2 doit être rejeté comme non fondé.

3.      Sur le moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne la mesure 2

328    La requérante soutient, en outre, que, dans la décision attaquée, la Commission a violé son obligation de motivation, en substance, parce que, d’une part, il n’est pas suffisant de comparer les agissements de CET Govora avec ceux de Salrom pour conclure que CET Govora n’aurait pas agi comme l’aurait fait un créancier privé et, d’autre part, la Commission se serait fondée sur des déclarations de PCC et de l’administrateur judiciaire de CET Govora sans expliquer pourquoi celles-ci étaient plus crédibles que les explications fournies par les autorités roumaines.

329    La Commission conteste les arguments de la requérante.

330    Conformément à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, la Commission a l’obligation de motiver ses décisions. Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par cette disposition doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, EU:C:2001:178, point 35 et jurisprudence citée).

331    En l’espèce, premièrement, ainsi qu’il a été relevé aux points 306 à 309 ci-dessus, la lecture globale du point 6.1.2.2 de la décision attaquée laisse clairement apparaître les éléments pertinents ayant justifié la comparaison entre CET Govora et Salrom dans le cadre de la mesure 2. La motivation de la décision attaquée à cet égard est cohérente et suffisante.

332    S’agissant, deuxièmement, de la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la crédibilité des déclarations de PCC et de l’administrateur judiciaire de CET Govora, cet argument n’est pas, en tout état de cause, susceptible d’entraîner l’annulation de la décision attaquée sur ce point pour les raisons déjà exposées au point 324 ci-dessus.

333    Il s’ensuit que le moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne la mesure 2 doit être rejeté comme non fondé.

4.      Conclusions

334    Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que les mesures 1 et 3 étaient constitutives d’une aide d’État, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante en ce qui concerne ces mesures.

335    En revanche, l’ensemble des moyens de la requérante relatifs à la mesure 2 doivent être écartés comme non fondés.

336    Partant, il y a lieu d’annuler l’article 1er, sous a) et c), de la décision attaquée, ainsi que les articles 3 à 5 de cette décision, en ce qu’ils visent les mesures prévues à l’article 1er, sous a) et c), de la décision attaquée.

337    Il y a également lieu d’annuler l’article 6 de la décision attaquée, pour autant que l’obligation de la Roumanie de communiquer à la Commission certaines informations, prévue à cet article, concerne les mesures 1 et 3.

338    La requérante conclut également à l’annulation de l’article 7 de la décision attaquée. Toutefois, l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci se limite à indiquer que la Roumanie est la destinataire de cette décision, conformément à l’article 31, paragraphe 2, du règlement 2015/1589. Or, aucun moyen ni argument n’ayant été soulevé par la requérante à cet égard, il y a lieu de rejeter la conclusion en annulation de l’article 7, paragraphe 1, de la décision attaquée.

339    Quant à l’article 7, paragraphe 2, de la décision attaquée, cette disposition prévoit la publication des montants des aides et des intérêts récupérés en application de la décision attaquée. Partant, l’article 7, paragraphe 2, de cette décision doit également être annulé, en tant qu’il vise les mesures mentionnées à l’article 1er, sous a) et c), de ladite décision.

IV.    Sur les dépens

340    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

341    Le Tribunal ayant rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la Commission et le recours ayant été accueilli en ce qui concerne deux des trois mesures faisant l’objet de la décision attaquée, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera un quart de ses propres dépens, le reste de ses dépens étant supporté par la Commission, cette dernière supportant également ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er, sous a) et c), de la décision (UE) 2019/1144 de la Commission, du 17 décembre 2018, concernant l’aide d’État SA.36086 (2016/C) (ex 2016/NN) mise en œuvre par la Roumanie en faveur d’Oltchim SA, est annulé.

2)      Les articles 3 à 6 et l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2019/1144 sont annulés en ce qu’ils concernent les mesures mentionnées à l’article 1er, sous a) et c), de cette décision.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Oltchim supportera un quart de ses propres dépens.

5)      La Commission européenne supportera, outre ses propres dépens, trois quarts de ceux exposés par Oltchim.

Kornezov

Buttigieg

Kowalik-Bańczyk

Hesse

 

      Petrlík

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 décembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.