Language of document : ECLI:EU:T:2020:217

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

28 mai 2020 (*)

« Concurrence – Concentrations – Activités de télécommunications sans fil – Marché de détail des services de télécommunications mobiles – Marché de gros de l’accès et du départ d’appel sur les réseaux mobiles publics – Acquisition de Telefónica Europe par Hutchison – Décision déclarant la concentration incompatible avec le marché intérieur – Marché oligopolistique – Entrave significative à une concurrence effective – Effets non coordonnés – Charge de la preuve – Exigence de preuve – Parts de marché – Effets de la concentration sur les prix – Analyse quantitative sur la pression à la hausse attendue sur les prix – Concurrents proches – Forte contrainte concurrentielle – Important moteur de la concurrence – Accords de partage de réseau – Degré de concentration – Indice de Herfindahl-Hirschmann – Erreur de droit – Erreur d’appréciation»

Dans l’affaire T‑399/16,

CK Telecoms UK Investments Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Mes T. Wessely, O. Brouwer, avocats, Mmes A. Woods, M. Davis, I. Ditchfield, S. Prichard, MM. J. Aitken, R. Romney, M. Dickson, K. Asakura, solicitors, et B. Kennelly, QC,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, G. Conte, M. Farley, J. Szczodrowski et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par MM. S. Jones, S. Brandon, S. Huijts, C. Blairs, M. Rahman, J. McInnes, M. Brown, B. Potterill, Mmes S. Cardell, C. Brannigan, S. Munday, C. Short et A. Dadley, agents, assistés de M. R. Williams et Mme J. Morrison, barristers,

et par

EE Ltd, établie à Hatfield (Royaume-Uni), représentée par MM. A. Lindsay, barrister, C. Chapman et Mme J. Hulsmann, solicitors,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2016) 2796 final de la Commission, du 11 mai 2016, déclarant incompatible avec le marché intérieur l’opération de concentration relative à l’acquisition de Telefónica Europe plc par Hutchison 3G UK Investments Ltd (affaire COMP/M.7612 – Hutchison 3G UK/Telefónica UK),

LE TRIBUNAL (première chambre élargie),

composé de MM. M. van der Woude, président, E. Buttigieg, P. Nihoul, J. Svenningsen et U. Öberg (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience des 2 et 3 mai 2019,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Le 11 septembre 2015, la Commission européenne a reçu notification, conformément à l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), d’un projet de concentration par lequel CK Hutchison Holdings Ltd, par l’intermédiaire de sa filiale indirecte Hutchison 3G UK Investments Ltd, laquelle est devenue la requérante, CK Telecoms UK Investments Ltd, acquiert, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, le contrôle exclusif de Telefónica Europe plc (ci-après « O2 »).

2        À l’époque des faits à l’origine du présent litige, il y avait, sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles au Royaume-Uni (ci-après le « marché de détail »), quatre opérateurs de réseau mobile : EE Ltd, qui est une filiale de BT Group plc, acquise par cette dernière en 2016 (ci-après, prises ensemble, « BT/EE »), O2, Vodafone et Hutchison 3G UK Ltd (ci-après « Three »), filiale indirecte de CK Hutchison Holdings, dont les parts de marché en termes d’abonnés étaient respectivement d’environ [entre 30 et 40 %], [entre 20 et 30 %], [entre 10 et 20 %] et [entre 10 et 20 %]. L’opération de concentration qui fait l’objet du présent litige (ci-après l’« opération », la « concentration » ou la « transaction ») aurait permis à l’entité issue de la concentration, réunissant Three et O2 (ci-après, prises ensemble, les « parties à la concentration »), de représenter environ [entre 30 et 40 %] du marché de détail et de devenir ainsi le principal acteur de ce marché, devant l’ancien opérateur historique BT/EE et Vodafone.

3        Outre ces opérateurs de réseau mobile, le marché de détail comptait également plusieurs opérateurs de réseaux mobiles virtuels, tels que Tesco Mobile, Virgin Mobile et TalkTalk, qui ne possédaient pas les réseaux qu’ils utilisaient pour fournir des services mobiles aux consommateurs du Royaume-Uni et qui avaient donc conclu des accords avec un des opérateurs de réseau mobile afin d’avoir accès à son réseau à des prix de gros. Tesco Mobile est détenue à parts égales par Tesco et O2. Le marché de détail comptait également des revendeurs (ci-après, pris ensemble avec les opérateurs de réseaux mobiles virtuels, les « non-ORM ») et des détaillants indépendants, tels que Dixons.

4        Une caractéristique de ce marché était que BT/EE et Three, d’une part, et Vodafone et O2, d’autre part, avaient uni leurs réseaux par l’intermédiaire d’accords de partage de réseau. Cela permettait à BT/EE et Three (accord MBNL, ci-après « MBNL ») et à Vodafone et O2 (accord Beacon, ci-après « Beacon ») respectivement de partager les coûts de déploiement de leurs réseaux tout en continuant à se faire concurrence sur le plan du commerce de détail.

5        Le 2 octobre 2015, le Royaume-Uni a demandé, par l’intermédiaire de la Competition and Markets Authority (autorité de la concurrence et des marchés, Royaume-Uni), que la concentration lui soit renvoyée, sur la base de l’article 9, paragraphe 2, sous a), du règlement no 139/2004. Dans cette demande, le Royaume-Uni considère que la concentration menace d’entraver de manière significative la concurrence sur le marché de détail ainsi que sur le marché de gros de l’accès et du départ d’appel sur les réseaux mobiles publics au Royaume-Uni (ci-après le « marché de gros »). De plus, le Royaume-Uni soutient qu’il est le mieux placé pour traiter la concentration.

6        Le 4 décembre 2015, la Commission a adopté la décision C(2015) 8534 final, concernant l’article 9 du règlement no 139/2004 dans l’affaire M.7612 Hutchison 3G UK/Telefónica UK, par laquelle elle a rejeté cette demande de renvoi. Dans cette décision, elle invoque notamment la nécessité de faire preuve de cohérence et d’uniformité lors de l’appréciation des concentrations dans le secteur des télécommunications dans différents États membres et l’expérience considérable qu’elle a acquise lors de l’appréciation des concentrations sur les marchés européens des télécommunications mobiles.

7        Au terme de la première phase de l’enquête, la Commission a conclu que l’opération soulevait de sérieux doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur et, le 30 octobre 2015, elle a décidé d’engager la procédure prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004.

8        En se fondant sur la seconde phase de l’enquête, qui complétait les conclusions de la première phase, la Commission a émis une communication des griefs le 4 février 2016. Le 26 février 2016, la requérante a présenté ses observations écrites sur la communication des griefs.

9        Pour résoudre les problèmes de concurrence exposés dans la communication des griefs, la requérante a présenté une première série d’engagements le 2 mars 2016.

10      À la demande de la requérante, une audition a eu lieu le 7 mars 2016.

11      Le 15 mars 2016, la requérante a présenté des engagements modifiés (ci-après la « deuxième série d’engagements »). Le 18 mars 2016, la Commission a consulté les acteurs du marché sur cette deuxième série d’engagements. Cette consultation a été menée auprès, premièrement, des prestataires, actuels et potentiels, de services de télécommunications mobiles au Royaume-Uni, des prestataires de services d’infrastructure dans le secteur des télécommunications mobiles ainsi que des associations MVNO Europe et iMVNOx et, deuxièmement, d’autorités nationales de régulation des télécommunications, parmi lesquelles l’autorité de régulation des télécommunications du Royaume-Uni (ci-après l’« Ofcom »). En outre, les autorités nationales de concurrence du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des Pays-Bas ont exprimé leur point de vue sur la deuxième série d’engagements.

12      Les 17 et 23 mars 2016, la Commission a adressé à la requérante des lettres dans lesquelles elle mettait en lumière de nouveaux éléments de preuve figurant dans son dossier et rejoignant les conclusions préliminaires de la communication des griefs. Le 29 mars et le 4 avril 2016 respectivement, la requérante a présenté des observations écrites en réponse aux exposés des faits du 17 et du 23 mars 2016.

13      Le 6 avril 2016, à la suite de la consultation des acteurs du marché, la requérante a soumis une nouvelle série d’engagements modifiés.

14      Le comité consultatif en matière de concentrations a examiné le projet de décision de la Commission le 27 avril 2016 et a émis un avis favorable.

15      Le 11 mai 2016, la Commission a adopté la décision C(2016) 2796 final, déclarant l’opération incompatible avec le marché intérieur (affaire COMP/M.7612 – Hutchison 3G UK/Telefónica UK) (ci-après la « décision attaquée »).

16      Un résumé de la décision attaquée a été publié le 29 septembre 2016 au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2016, C 357, p. 15).

II.    Décision attaquée

17      Dans la décision attaquée, la Commission définit deux marchés pertinents : le marché de détail et le marché de gros.

18      La Commission a développé trois théories du préjudice, reposant toutes sur l’existence d’effets dits « non coordonnés » sur un marché oligopolistique.

19      Les deux premières théories du préjudice sont relatives au marché de détail, tandis que la troisième est relative au marché de gros.

20      Plus particulièrement, la première théorie du préjudice est relative à l’existence d’effets non coordonnés sur le marché de détail liés à l’élimination de fortes contraintes concurrentielles. En substance, selon la Commission, la forte diminution de la concurrence qui aurait résulté de l’opération aurait vraisemblablement entraîné une hausse des prix des services de téléphonie mobile au Royaume-Uni et une limitation du choix pour les consommateurs.

21      Selon la deuxième théorie du préjudice, relative à l’existence d’effets non coordonnés sur le marché de détail liés au partage de réseau, la transaction aurait également été susceptible d’influer négativement sur la qualité des services pour les consommateurs du Royaume-Uni en entravant le développement de l’infrastructure de réseau mobile au Royaume-Uni.

22      La troisième théorie du préjudice est relative à l’existence d’effets non coordonnés liés à l’élimination de fortes contraintes concurrentielles sur le marché de gros. Sur ce marché, les quatre opérateurs de réseau mobile fournissent des services d’hébergement aux non-ORM qui, à leur tour, proposent des services de détail aux abonnés. En particulier, le rachat risque, selon la Commission, d’avoir des effets non coordonnés significatifs sur le marché de gros résultant d’une réduction du nombre d’opérateurs de réseau mobile de quatre à trois, de l’élimination de Three en tant qu’important moteur de la concurrence, de la suppression des contraintes concurrentielles importantes que les parties exerçaient auparavant l’une sur l’autre et d’une réduction des pressions concurrentielles sur les acteurs restants.

23      Quant aux gains d’efficacité allégués par la requérante, la Commission estime qu’ils ne seraient pas vérifiables, pas spécifiques à la concentration et pas susceptibles de profiter aux consommateurs.

24      Dans la dernière section de la décision attaquée, la Commission examine les mesures correctives proposées par la requérante sous la forme d’engagements. La Commission a considéré que la deuxième série d’engagements ne supprimerait pas les problèmes de concurrence recensés et que la troisième série d’engagements, proposée le 6 avril 2016, ne supprimerait pas complètement les problèmes de concurrence constatés et ne serait pas exhaustive et efficace à tous égards.

25      En conséquence, la Commission a déclaré l’opération incompatible avec le marché intérieur.

III. Procédure

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 juillet 2016, la requérante a introduit le présent recours.

27      Dans la requête, la requérante a présenté une demande de mesure d’organisation de la procédure ou de mesure d’instruction visant à demander à la Commission de soumettre au Tribunal certaines informations de son dossier nécessaires à l’examen du recours par le Tribunal, mais confidentielles à l’égard de la requérante, et auxquelles seuls les avocats ou les consultants économiques externes de cette dernière auraient eu accès lors de la procédure administrative.

28      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 1er décembre 2016, BT/EE et le Royaume-Uni ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

29      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 21 décembre 2016 et le 5 janvier 2017 respectivement, la Commission et la requérante ont présenté leurs observations sur les demandes d’intervention de BT/EE et du Royaume-Uni.

30      Le 31 janvier 2017, la Commission a produit le mémoire en défense.

31      Dans le mémoire en défense, la Commission a indiqué qu’elle n’aurait pas d’objections à communiquer les documents faisant l’objet de la demande de mesure d’organisation de la procédure ou de mesure d’instruction formulée dans la requête si des mesures appropriées en termes de confidentialité étaient appliquées, conformément à l’article 103, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal.

32      Le 31 janvier 2017, la requérante a fait parvenir au greffe du Tribunal des demandes de traitement confidentiel et des versions non confidentielles de la requête à l’égard de BT/EE d’une part et du Royaume-Uni d’autre part.

33      Par ordonnances du 16 mars 2017, le président de la première chambre du Tribunal a admis BT/EE et le Royaume-Uni à intervenir au soutien des conclusions de la Commission et à se voir communiquer une version non confidentielle de chaque acte de procédure signifié aux parties principales, la décision sur le bien-fondé des demandes de traitement confidentiel étant réservée.

34      Par une ordonnance d’instruction du 16 mars 2017, le Tribunal a demandé à la Commission de produire les documents faisant l’objet de la demande de mesure d’organisation de la procédure ou de mesure d’instruction formulée dans la requête. La Commission a produit lesdits documents le 3 avril 2017.

35      Le 17 mars 2017, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a demandé à la requérante de soumettre une nouvelle version de sa demande de traitement confidentiel à l’égard de BT/EE.

36      Par lettre du 17 mars 2017, le greffe du Tribunal a informé les parties que la décision sur le second tour de mémoires était réservée.

37      Le 31 mars 2017, la requérante a fait parvenir au greffe du Tribunal une nouvelle version de sa demande de traitement confidentiel à l’égard de BT/EE, ainsi que des demandes de traitement confidentiel et des versions non confidentielles du mémoire en défense à l’égard de BT/EE, d’une part, et du Royaume-Uni, d’autre part.

38      Sur proposition de la première chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

39      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 21 avril 2017, le Royaume-Uni et BT/EE ont formulé des objections sur les demandes de traitement confidentiel introduites par la requérante.

40      Le 26 avril 2017, une réunion entre les parties, leurs représentants et le juge rapporteur a eu lieu, portant sur les questions de confidentialité et sur la possibilité de concentrer les moyens et les arguments des parties principales à l’instance.

41      Le 10 mai 2017, la requérante a déposé des observations sur la pertinence des documents faisant l’objet de la demande de mesure d’organisation de la procédure ou de mesure d’instruction formulée dans la requête. La Commission a fait parvenir au greffe du Tribunal une demande de traitement confidentiel et une version non confidentielle desdites observations à l’égard de BT/EE le 31 mai 2017.

42      Le 16 mai 2017, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties à déposer certains documents et leur a posé des questions écrites, en les invitant à y répondre par écrit.

43      Les parties ont déposé leurs observations en réponse les 2 et 16 juin 2017 ainsi que, en annexe des mémoires en réplique et en duplique, le 4 juillet et le 31 octobre 2017 respectivement. La requérante a notamment déposé une version révisée de ses demandes de traitement confidentiel à l’égard de BT/EE. BT/EE n’a pas déposé d’objections concernant ces demandes dans le délai imparti. Par ailleurs, la requérante et le Royaume-Uni ont indiqué avoir conclu un accord en vertu duquel la requérante transmettrait les versions confidentielles des différentes pièces du dossier au Royaume-Uni. Les parties principales ont également déposé des demandes d’omission de certaines données envers le public.

44      Le 4 juillet 2017, la requérante a fait parvenir au greffe du Tribunal le mémoire en réplique, accompagné d’une demande de traitement confidentiel et d’une version non confidentielle à l’égard de BT/EE ainsi que d’une demande d’omission de certaines données envers le public. En annexe du mémoire en réplique, la requérante a soumis, en réponse à une des mesures d’organisation de la procédure du 16 mai 2017, un résumé final des preuves, précisant la pertinence de chaque preuve.

45      Le 28 août 2017, la Commission a fait parvenir au greffe du Tribunal une demande de traitement confidentiel et une version non confidentielle du mémoire en réplique à l’égard de BT/EE.

46      Le 31 août 2017, le Royaume-Uni et BT/EE ont produit leurs mémoires en intervention respectifs.

47      Le 18 septembre 2017, la Commission a déposé une demande d’omission de certaines données envers le public concernant le mémoire en réplique.

48      Par ordonnance du 26 septembre 2017, le président de la première chambre du Tribunal a admis BT/EE, à la suite des demandes de traitement confidentiel déposées par la Commission à son égard, à se voir communiquer une version non confidentielle de chaque acte de procédure signifié aux parties principales, la décision sur le bien-fondé desdites demandes étant réservée.

49      Le 6 octobre 2017, les parties principales ont formulé une demande d’omission de certaines données envers le public ainsi qu’une demande de traitement confidentiel à l’égard de BT/EE concernant le mémoire en intervention du Royaume-Uni, accompagnées des versions non confidentielles correspondantes. BT/EE n’a pas déposé d’objections concernant cette demande de traitement confidentiel dans le délai imparti.

50      Le 20 octobre 2017, BT/EE a confirmé ne pas avoir d’objections concernant les demandes de traitement confidentiel du mémoire en réplique introduites par les parties principales.

51      Le 31 octobre 2017, la Commission a produit le mémoire en duplique. En annexe du mémoire en duplique, la Commission a soumis, en réponse à une des mesures d’organisation de la procédure du 16 mai 2017, un résumé final des preuves, précisant la pertinence de chaque preuve.

52      Le 28 novembre 2017, les parties principales ont introduit une demande commune d’omission de certaines données envers le public ainsi qu’une demande commune de traitement confidentiel à l’égard de BT/EE concernant le mémoire en duplique, accompagnées des versions non confidentielles correspondantes. BT/EE n’a pas déposé d’objections concernant cette demande de traitement confidentiel dans le délai imparti.

53      Le 31 octobre 2017, la requérante a produit ses observations sur les mémoires en intervention de BT/EE et du Royaume-Uni. La Commission a indiqué ne pas avoir d’observations sur lesdits mémoires. Le 14 décembre 2017, les parties principales ont fait parvenir au greffe du Tribunal une demande de traitement confidentiel et une version non confidentielle communes, à l’égard de BT/EE, des observations de la requérante sur les mémoires en intervention de BT/EE et du Royaume-Uni ainsi qu’une demande commune d’omission de certaines données envers le public. BT/EE n’a pas déposé d’objections concernant ces demandes dans le délai imparti.

54      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 février 2018, la requérante a présenté une demande d’audience de plaidoiries. La Commission n’a pas pris position sur la tenue d’une audience dans le délai imparti.

55      Les 17 avril et 25 juillet 2018, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a posé aux parties des questions écrites, en les invitant à y répondre par écrit.

56      Les parties ont déposé leurs observations en réponse les 1er, 2 et 18 mai, le 25 juin, le 13 juillet et les 8 et 13 août 2018. La requérante, BT/EE et le Royaume-Uni ayant notamment fourni des engagements de confidentialité signés par leurs représentants, les documents faisant l’objet de la demande de mesure d’organisation de la procédure ou de mesure d’instruction formulée dans la requête leur ont été signifiés. La requérante a également présenté des observations sur lesdits documents. Les parties principales ont ensuite introduit une demande de traitement confidentiel et des versions non confidentielles communes, à l’égard de BT/EE, du Royaume-Uni et du public, de ces observations. BT/EE et le Royaume-Uni n’ont pas souhaité présenter d’observations sur lesdits documents.

57      La Commission a déposé ses observations quant aux observations de la requérante sur les documents faisant l’objet de la demande de mesure d’organisation de la procédure ou de mesure d’instruction formulée dans la requête le 23 novembre 2018. Les parties principales ont ensuite introduit une demande de traitement confidentiel et des versions non confidentielles communes, à l’égard de BT/EE, du Royaume-Uni et du public, de ces observations.

58      Le 14 décembre 2018, la requérante a fait parvenir au greffe du Tribunal une lettre concernant l’organisation de l’audience de plaidoiries. La Commission a déposé ses observations sur ladite lettre le 8 février 2019.

59      Par une mesure d’organisation de la procédure du 15 février 2019, le Tribunal a demandé aux parties principales de produire des versions non confidentielles communes, à l’égard de BT/EE et du public, du rapport d’audience. Les parties principales ont produit lesdites versions le 1er mars 2019.

60      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure le 1er mars 2019.

61      Par une ordonnance d’instruction du 19 mars 2019, le Tribunal a demandé à la Commission de produire certains documents. La Commission a produit lesdits documents le 2 avril 2019.

62      Par une mesure d’organisation de la procédure du 19 mars 2019, le Tribunal a posé aux parties des questions écrites, en les invitant à y répondre par écrit. Les parties ont déposé leurs observations en réponse le 10 avril 2019. Les parties principales ont introduit une demande de traitement confidentiel et des versions non confidentielles communes, à l’égard de BT/EE et du public, de leurs observations.

63      Le 22 mars 2019, la requérante a fait parvenir au greffe du Tribunal une lettre demandant que l’audience de plaidoiries soit tenue à huis clos partiel. La Commission, BT/EE et le Royaume-Uni ont déposé leurs observations sur cette lettre le 2, le 3 et le 4 avril 2019 respectivement.

64      Le 15 avril 2019, le Tribunal a adopté une mesure d’organisation de la procédure concernant l’audience de plaidoiries.

65      Le 24 avril 2019, la requérante a fait parvenir au greffe du Tribunal une lettre concernant l’organisation de l’audience de plaidoiries. BT/EE a déposé ses observations sur ladite lettre le 30 avril 2019.

66      À la suite de l’audience des 2 et 3 mai 2019, la requérante a fait parvenir au greffe du Tribunal, le 10 mai 2019, une lettre contenant des réponses aux questions posées lors de l’audience. Les parties principales ont introduit une demande de traitement confidentiel et ont déposé au greffe du Tribunal des versions non confidentielles communes, à l’égard de BT/EE et du public, de cette lettre.

67      La phase orale de la procédure a été close le 27 juin 2019.

IV.    Conclusions des parties

68      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens, y compris ceux relatifs à toute intervention.

69      La Commission, soutenue par BT/EE et le Royaume-Uni, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

V.      En droit

A.      Sur le cadre juridique

70      Dans le cadre de la première branche du premier moyen, la requérante fait valoir des arguments sur l’intensité du contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal en matière de concentrations, sur le cadre juridique applicable à la suite de l’adoption du règlement no 139/2004 et sur la charge de la preuve et les exigences de preuve qui incombent à la Commission lorsqu’elle doit prouver une entrave significative à une concurrence effective, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.

71      Dans la mesure où ces arguments sont pertinents pour l’examen de l’ensemble des moyens et des arguments développés par les parties, il y a lieu d’examiner cette première branche du premier moyen avant de procéder à l’examen des autres moyens et arguments de la requérante. Par ailleurs, le Tribunal considère qu’il est également opportun de rappeler quelques principes concernant l’obligation de motivation.

1.      Sur l’intensité du contrôle juridictionnel en matière de concentrations

72      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’adjonction à la Cour du Tribunal et l’institution d’un double degré de juridiction d’une part, visaient à améliorer la protection juridictionnelle des justiciables, notamment pour les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes, et, d’autre part, avaient pour but de maintenir la qualité et l’efficacité du contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union européenne, en permettant à la Cour de concentrer son activité sur sa tâche essentielle, à savoir celle d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, EU:C:1998:608, point 41).

73      Dans la structure du système juridictionnel de l’Union, où le Tribunal est chargé d’établir les faits et de procéder à un examen matériel du litige, la portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission prises sur le fondement du règlement no 139/2004 dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par les parties requérantes et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par ces dernières.

74      Le recours en annulation offre un cadre procédural particulièrement approprié à l’examen approfondi et contradictoire de questions factuelles comme juridiques, notamment dans des domaines complexes tels que celui du droit de la concurrence, ainsi qu’il ressort du troisième considérant de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom, du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO 1988, L 319, p. 1) (voir, par analogie, arrêt du 25 juillet 2018, Georgsmarienhütte e.a., C‑135/16, EU:C:2018:582, point 19).

75      La décision attaquée ayant été adoptée sur le fondement notamment de l’article 8 du règlement no 139/2004 et constituant un acte d’application de l’article 2 dudit règlement à une opération de concentration, le Tribunal, dans le cadre de son contrôle de la légalité d’une telle décision, doit s’en tenir à analyser la prise de position de la Commission eu égard à l’opération notifiée, c’est-à-dire qu’il doit examiner, au regard des moyens et des arguments invoqués par la requérante, la manière dont le droit a été appliqué aux faits et se prononcer sur le bien-fondé des appréciations de la Commission concernant les effets de la concentration notifiée sur la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, EU:T:2002:146, point 53).

76      Or, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, même dans le cas où des appréciations complexes ont été effectuées par la Commission, le juge de l’Union doit non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 39 ; voir, également, arrêt du 26 mars 2019, Commission/Italie, C‑621/16 P, EU:C:2019:251, point 104 et jurisprudence citée).

2.      Sur la portée de la modification apportée par le règlement no 139/2004

77      La requérante soutient que la Commission a commis une erreur de droit en établissant un seuil d’intervention si bas dans la décision attaquée que l’exigence d’une entrave significative à la concurrence effective se serait trouvée vidée de toute substance. L’application du critère juridique retenu par la Commission dans le cas d’espèce, fondé sur ses propres lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, C 31, p. 5, ci-après les « lignes directrices »), lui permettrait de faire obstacle à toute concentration horizontale dans un marché oligopolistique.

78      Dans sa requête, la requérante a invité le Tribunal à clarifier les critères applicables pour établir l’existence d’une « entrave significative à la concurrence effective », lorsqu’il n’y a ni position dominante ni coordination entre les parties sur un marché oligopolistique.

79      Selon la requérante, la modification du libellé de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, destinée à englober les cas d’effets non coordonnés sur les marchés oligopolistiques, n’aurait pas abaissé le seuil d’intervention de la Commission en matière de concentrations.

80      La Commission fait valoir que, si le considérant 25 du règlement no 139/2004 ne permet pas de présumer l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective sur la base de la structure oligopolistique du marché, il indique cependant que, bien qu’aucune conclusion ne puisse être tirée ou n’ait été tirée en l’espèce, sur la base d’une telle structure, les oligopoles méritent une attention particulière.

81      Le Tribunal rappelle, à cet égard, que le règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1), désormais remplacé par le règlement no 139/2004, a établi le principe selon lequel les concentrations de dimension communautaire qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci serait entravée de manière significative doivent être déclarées incompatibles avec le marché intérieur, ce que confirme le considérant 24 du règlement no 139/2004.

82      Le considérant 26 du règlement no 139/2004 précise que les entraves significatives à une concurrence effective résultent généralement de la création ou du renforcement d’une position dominante et énonce que, « [a]fin de préserver les enseignements pouvant être tirés des précédents arrêts prononcés par les juridictions européennes et des décisions prises par la Commission en vertu du règlement […] no 4064/89, tout en sauvegardant en même temps la cohérence avec les critères de détermination du préjudice concurrentiel appliqués par la Commission et les juridictions communautaires pour statuer sur la compatibilité d’une concentration avec le marché commun, [ce] règlement devrait en conséquence établir le principe selon lequel les concentrations de dimension communautaire qui entraveraient de manière significative une concurrence effective, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun ».

83      De plus, l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, qui a remplacé l’article 2, paragraphe 3 du règlement no 4064/89, dispose désormais que les concentrations qui entraveraient de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, doivent être déclarées incompatibles avec le marché intérieur.

84      Il en résulte que la démonstration de la création ou du renforcement d’une position dominante, au sens du règlement no 139/2004, peut correspondre, dans certains cas, à la démonstration d’une entrave significative à une concurrence effective. Cette constatation ne signifie cependant aucunement que le second critère se confond juridiquement avec le premier, mais uniquement qu’il peut ressortir d’une même analyse factuelle d’un marché donné que les deux critères sont remplis (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T‑87/05, EU:T:2005:333, point 49).

85      Le juge de l’Union n’a, à ce jour, pas expressément interprété le règlement no 4064/89 ou le règlement no 139/2004 en ce qui concerne la compatibilité avec le marché intérieur des concentrations donnant lieu à des effets non coordonnés sur un marché oligopolistique.

86      Il résulte des travaux préparatoires et du libellé de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 (voir, en particulier, l’adverbe « notamment ») que cette disposition a été adoptée afin de réaliser les trois objectifs suivants.

87      En premier lieu, il s’agissait d’étendre, sur le plan matériel, le champ d’application du contrôle en permettant à la Commission d’appréhender, dans le contexte spécifique de marchés oligopolistiques, des opérations entravant de manière significative la concurrence effective même si elles ne permettent pas aux entreprises concernées de créer ou de renforcer une position dominante individuelle ou collective.

88      En deuxième lieu, l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 visait à préserver et même à conforter la notion de position dominante en reconnaissant le rôle que joue cette notion dans le système formé au sein de l’Union par le droit de la concurrence tel qu’interprété par le juge de l’Union, qui est de permettre aux autorités d’intervenir, dans un contexte marqué par la liberté d’entreprendre, lorsqu’elles font face à des opérations qui, si elles étaient réalisées, permettraient à un ou à plusieurs acteurs de déterminer les conditions de concurrence et d’éliminer la concurrence en tout ou en partie sur le marché considéré, sans craindre la réaction des concurrents et des consommateurs.

89      En troisième lieu, cette disposition visait à accroître la sécurité juridique et à rendre plus transparente et plus prévisible l’analyse des concentrations par la Commission.

90      Pour tenir compte de ces éléments, il convient d’interpréter l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 en ce sens que cette disposition permet à la Commission d’interdire, dans certaines circonstances, sur des marchés oligopolistiques, des concentrations qui, bien que ne donnant pas lieu à la création ou au renforcement d’une position dominante individuelle ou collective, sont susceptibles d’affecter les conditions de concurrence sur le marché dans une mesure comparable à celle attribuable à de telles positions, en conférant à l’entité issue de la concentration un pouvoir lui permettant de déterminer, par elle-même, les paramètres de la concurrence et, notamment, de fixer les prix au lieu de les accepter. 

91      Les conditions et les limites d’une telle extension du champ d’application du règlement no 139/2004 n’ayant toutefois pas été précisées par le législateur de l’Union, il y a lieu d’interpréter ce dernier à la lumière de ses objectifs.

92      L’article 3, paragraphe 3, TUE précise que l’Union établit un marché intérieur, lequel, conformément au protocole (no 27) sur le marché intérieur et la concurrence annexé au traité de Lisbonne (JO 2010, C 83, p. 309) qui, en vertu de l’article 51 TUE, a la même valeur que les traités, comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée.

93      Ainsi, le règlement no 139/2004 est, au même titre que les articles 101 et 102 TFUE, au nombre des règles de concurrence qui, telles celles visées à l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE, sont nécessaires au fonctionnement dudit marché intérieur. En effet, de telles règles ont précisément pour objectif d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs, contribuant ainsi au bien-être dans l’Union (voir, par analogie, arrêts du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C‑52/09, EU:C:2011:83, points 20 à 22, et du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission, T‑691/14, sous pourvoi, EU:T:2018:922, point 238).

94      En particulier, selon une jurisprudence désormais bien établie, le règlement no 139/2004 vise à assurer que les restructurations des entreprises n’entraînent pas de préjudice durable pour la concurrence. Selon les considérants 5, 6 et 8 du règlement no 139/2004, le droit de l’Union doit comporter des dispositions applicables aux concentrations qui seraient susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci et permettant un contrôle effectif de toutes ces concentrations en fonction de leur effet sur la structure de la concurrence dans l’Union (arrêts du 7 septembre 2017, Austria Asphalt, C‑248/16, EU:C:2017:643, point 21, et du 31 mai 2018, Ernst & Young, C‑633/16, EU:C:2018:371, point 41).

95      Plus particulièrement, il convient de constater que le considérant 25 du règlement no 139/2004 indique que, « dans certaines circonstances, les concentrations impliquant l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre, ainsi qu’une réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents, peuvent, même en l’absence de probabilité de coordination entre les membres de l’oligopole, avoir pour conséquence une entrave significative à une concurrence effective ».

96      Ainsi, l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 doit être interprété à la lumière de son considérant 25, qui prévoit deux conditions cumulatives pour que des effets non coordonnés résultant d’une concentration puissent, dans certaines circonstances, avoir pour conséquence une entrave significative à une concurrence effective : la concentration doit impliquer, d’une part, « l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre » et, d’autre part, « une réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents ».

97      Il s’ensuit que le seul effet de réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents n’est, en principe, pas, à lui seul, suffisant afin de démontrer une entrave significative à une concurrence effective dans le cadre d’une théorie du préjudice fondée sur des effets non coordonnés.

98      C’est notamment au vu de ces considérations qu’il convient de préciser que la Commission s’est, dans la décision attaquée, appuyée sur les concepts d’« effets non coordonnées », de « proximité de la concurrence », de « réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents » et d’« important moteur de la concurrence » qui figurent non pas à l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, mais uniquement à son considérant 25 et dans les lignes directrices.

99      À cet égard, il résulte de la jurisprudence que la Commission est liée par les lignes directrices et les communications qu’elle adopte en matière de contrôle des concentrations, dans la mesure où celles-ci ne s’écartent pas des normes du traité et du règlement no 139/2004 (voir arrêt du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T‑405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 58 et jurisprudence citée).

100    Par ailleurs, si la pratique suivie par la Commission dans ses décisions antérieures ou le contenu des lignes directrices peuvent constituer une base de référence utile et présenter indéniablement un intérêt en l’espèce, ils ne peuvent à eux seuls guider l’analyse du Tribunal. En effet, les lignes directrices de la Commission, de même que sa pratique antérieure, ne sauraient, en tout état de cause, lier le juge de l’Union, lequel demeure seul compétent aux fins d’interpréter le droit de l’Union, en application de l’article 19 TUE, dès lors que notamment ces lignes directrices font simplement état de la manière dont la Commission, en tant qu’autorité administrative, interprète la législation pertinente et, agissant en tant qu’autorité de la concurrence de l’Union, applique, notamment d’un point de vue économique, le règlement no 139/2004 (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, EU:C:2002:143, point 52 ; du 1er octobre 2015, Electrabel et Dunamenti Erőmű/Commission, C‑357/14 P, EU:C:2015:642, point 68, et du 13 décembre 2017, Crédit mutuel Arkéa/BCE, T‑712/15, EU:T:2017:900, point 75).

101    Ces considérations n’ont toutefois pas pour conséquence que le Tribunal ne puisse, dans le cadre de sa mission d’interprétation du droit de l’Union, faire siennes les orientations et les appréciations économiques ou juridiques contenues dans la pratique décisionnelle de la Commission ou dans ses lignes directrices.

102    Ainsi que le souligne la Commission, au point 24 des lignes directrices, concernant les effets non coordonnés, une concentration peut entraver de manière significative la concurrence effective sur un marché en supprimant d’importantes pressions concurrentielles sur un ou plusieurs vendeurs, dont le pouvoir de marché se trouve en conséquence accru. L’effet le plus direct de l’opération est l’élimination de la concurrence entre les parties à la concentration. Par exemple, si, avant l’opération, l’une des parties avait majoré ses prix, elle aurait enregistré un recul d’une partie de ses ventes au profit de l’autre partie à l’opération. Or, la concentration supprime cette contrainte particulière.

103    Les entreprises présentes sur le même marché qui ne sont pas parties à la concentration pourraient, elles aussi, tirer profit de l’affaiblissement de la pression concurrentielle que provoquerait l’opération, dès lors que l’augmentation des prix des parties pourrait orienter une partie de la demande vers des entreprises rivales, lesquelles pourraient, à leur tour, trouver profitable d’augmenter leurs prix. La diminution de ces contraintes concurrentielles pourrait déboucher sur des augmentations sensibles des prix sur le marché en cause.

104    Ainsi que le souligne la Commission au point 28 des lignes directrices, relatif au cas dans lequel les parties à la concentration sont des « concurrents proches », le fait que la rivalité entre les parties à la concentration ait été une source de concurrence importante sur le marché constitue un facteur clé dans cette analyse.

105    C’est à la lumière de cette interprétation de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 qu’il conviendra d’examiner successivement les premier, troisième et quatrième moyens de la requérante visant les trois théories du préjudice développées par la Commission dans la décision attaquée.

3.      Sur la charge de la preuve et le niveau de preuve en matière de concentrations

106    En vue de l’audience et au cours de celle-ci, les parties ont été invitées à se prononcer sur l’attribution de la charge de la preuve et sur l’exigence de preuve devant le Tribunal en matière de concentrations et dans le cas d’espèce.

107    Le Tribunal rappelle que, pour déclarer une concentration incompatible avec le marché intérieur, la Commission doit, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, prouver que la réalisation de la concentration notifiée entraverait de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante (arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T‑342/07, EU:T:2010:280, point 26).

108    Dans le cadre des procédures de contrôle des opérations de concentration, il importe de rappeler que l’analyse prospective nécessaire en la matière consiste à examiner en quoi une telle opération pourrait modifier les facteurs déterminant l’état et la structure de la concurrence sur les marchés affectés. Ce type d’analyse requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet afin de retenir ceux dont la probabilité est la plus forte (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C‑265/17 P, EU:C:2019:23, point 32).

109    Ainsi que l’a souligné à juste titre la requérante, l’exigence de preuve applicable aux fins d’établir l’existence d’effets non coordonnés sur un marché oligopolistique n’est pas substantiellement différente de celle applicable aux fins d’établir des effets coordonnés. Si tel n’était pas le cas, la Commission risquerait de qualifier les faits de manière à bénéficier du régime le plus favorable en matière de preuve devant le Tribunal.

110    Il y a lieu de rappeler que la complexité intrinsèque d’une ou de plusieurs théories du préjudice avancées au soutien d’une ou de plusieurs entraves significatives à une concurrence effective postulée à l’égard d’une opération de concentration constitue un élément dont il convient de tenir compte lors de l’appréciation de la plausibilité des diverses conséquences de cette opération, en vue d’identifier celle dont la probabilité est la plus forte, mais une telle complexité n’a pas, en tant que telle, d’influence sur le niveau de preuve exigé (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 51).

111    Toutefois, plus l’analyse est prospective et les enchaînements de cause à effet mal discernables, incertains et difficiles à établir, plus la qualité des éléments de preuve produits par la Commission pour établir la nécessité d’une décision déclarant l’opération de concentration incompatible avec le marché intérieur est importante (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 44). Autrement dit, plus une théorie du préjudice avancée au soutien d’une entrave significative à la concurrence effective postulée à l’égard d’une opération de concentration est complexe ou incertaine, ou découle d’une relation de cause à effet difficile à établir, plus le juge de l’Union doit être exigeant quant à l’examen concret des preuves produites à cet égard par la Commission.

112    Il ressort également de la jurisprudence que l’analyse prospective nécessaire en matière de contrôle des concentrations doit être effectuée avec une grande attention, dès lors qu’il ne s’agit pas d’examiner des événements du passé, au sujet desquels on dispose souvent de nombreux éléments permettant d’en comprendre les causes, ni même des événements présents, mais bien de prévoir les événements qui se produiront dans l’avenir, selon une probabilité plus ou moins forte, dans l’hypothèse où aucune décision interdisant ou précisant les conditions de la concentration envisagée ne serait adoptée (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 42).

113    Cette analyse requiert, dans un premier temps, une évaluation du comportement futur qui, selon la Commission, sera adopté par l’entité fusionnée et les autres opérateurs à la suite de l’opération de concentration (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, EU:T:2005:456, point 464), par le biais de l’appréciation de l’évolution économique attribuable à l’opération en cause dont la probabilité est la plus forte (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 51).

114    Par ailleurs, le Tribunal rappelle qu’il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut déclarer une concentration incompatible avec le marché intérieur que si l’entrave significative à une concurrence effective est la conséquence directe et immédiate de la concentration. Une telle entrave, qui découlerait des décisions futures de l’entité fusionnante, peut être considérée comme une conséquence directe et immédiate de la concentration, si ce comportement futur est rendu possible et économiquement rationnel par la modification des caractéristiques et de la structure du marché causée par la concentration (voir arrêt du 11 décembre 2013, Cisco Systems et Messagenet/Commission, T‑79/12, EU:T:2013:635, point 118 et jurisprudence citée).

115    Cette évaluation est complétée, dans un second temps, par une appréciation, par le biais d’une analyse prospective du marché de référence, de la question de savoir si ce comportement futur aboutira vraisemblablement à une situation dans laquelle une concurrence effective dans le marché en cause est entravée de manière significative (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, EU:T:2002:146, point 59).

116    C’est donc au regard de l’évolution économique attribuable à l’opération en cause dont la probabilité est la plus forte que la Commission doit, dans une étape successive, démontrer que ladite opération entraverait vraisemblablement et de manière significative la concurrence effective sur le marché concerné (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, EU:T:2005:456, point 364).

117    La seconde phase de l’analyse qui doit être effectuée par la Commission étant le résultat d’une appréciation fondée sur des hypothèses, il ne saurait être demandé que soit apportée la preuve que les scénarios et les théories du préjudice retenus dans le cadre de cette appréciation se produiront inévitablement. Ces scénarios et théories du préjudice doivent cependant apparaître suffisamment réalistes et plausibles et ne sauraient donc uniquement être envisageables d’un point de vue théorique, à la lumière d’une analyse de tous les facteurs pertinents.

118    Dans le cadre d’une analyse d’une entrave significative à une concurrence effective dont l’existence se déduit d’un faisceau de preuves et d’indices, et qui est fondée sur plusieurs théories du préjudice, la Commission est tenue de produire suffisamment de preuves pour démontrer avec une probabilité sérieuse l’existence d’entraves significatives à la suite de la concentration. Ainsi, l’exigence de preuve applicable dans le cas d’espèce est, par conséquent, plus stricte que celle en vertu de laquelle une entrave significative à une concurrence effective serait « plus probable qu’improbable », sur la base d’une mise en « balance des probabilités », comme le soutient la Commission. En revanche, elle est moins stricte que celle fondée sur l’« absence de doute raisonnable » (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2004:318, points 72 à 77, et de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire France/Commission, C-559/12 P, EU:C:2013:766, points 34 et 35 ; voir, a contrario, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C-413/06 P, EU:C:2007:790, points 209 à 211).

119    C’est au regard de ces considérations qu’il y aura lieu d’examiner les arguments avancés par la requérante au soutien du recours et notamment les trois théories du préjudice développées par la Commission.

4.      Sur la motivation

120    Le Tribunal note que la Commission n’est pas obligée, dans la motivation des décisions adoptées en application du règlement no 139/2004, de prendre position sur tous les éléments et les arguments invoqués devant elle, y compris ceux clairement secondaires pour l’appréciation à livrer, et ce afin de distinguer l’essentiel de l’accessoire.

121    Elle doit en revanche exposer clairement et de manière succincte les faits et les considérations juridiques et économiques déterminants, ainsi que les moyens et les éléments de preuve revêtant une importance essentielle dans l’économie d’une décision en matière de concentrations. En outre, la motivation doit être logique, ne présentant notamment pas de contradiction interne (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 169).

122    En outre, il ressort également d’une jurisprudence constante que l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal, en vertu de l’article 36, première phrase, et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci d’effectuer un exposé qui suivrait de manière exhaustive et un par un tous les moyens et les arguments articulés par les parties au litige (voir arrêt du 21 juillet 2011, Evropaïki Dynamiki/EMSA, C‑252/10 P, non publié, EU:C:2011:512, point 46 et jurisprudence citée).

123    En effet, dans un souci d’économie de procédure et dans le respect du principe de bonne administration de la justice, le juge de l’Union peut statuer sur un recours sans devoir nécessairement se prononcer sur l’ensemble des moyens et des arguments formulés par les parties.

B.      Résumé des moyens et de la structure du recours

124    Dans son recours, la requérante soulève cinq moyens. Elle conteste successivement les trois théories du préjudice développées dans la décision attaquée ainsi que les conclusions de la Commission relatives aux engagements qu’elle a pris afin de résoudre les problèmes soulevés par cette institution.

125    Le premier et le quatrième moyen portent respectivement sur la première et la troisième théorie du préjudice développées par la Commission, relatives à la suppression de la concurrence entre Three et O2 sur le marché de détail (premier moyen) et sur le marché de gros (quatrième moyen). Le deuxième moyen porte sur l’évaluation du scénario contrefactuel effectuée par la Commission, sur lequel reposerait l’évaluation des marchés de détail et de gros. Le troisième moyen porte sur la deuxième théorie du préjudice concernant le marché de détail, relative au partage de réseau, et sur les engagements relatifs au partage de réseau. Le cinquième moyen est relatif aux autres engagements.

126    L’articulation entre la structure de la décision attaquée et celle de la requête est illustrée dans le schéma ci-après, produit par la requérante.

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127    Il y a donc lieu, dans un premier temps, d’examiner successivement les premier, troisième et quatrième moyens de la requérante, relatifs aux trois théories du préjudice développées par la Commission, et, dans un second temps, d’examiner les deuxième et cinquième moyens.

C.      Sur la première théorie de préjudice, relative aux effets non coordonnés sur le marché de détail

1.      Résumé de la décision attaquée

128    Dans le cadre de la première théorie du préjudice, la Commission se fonde sur la forte contrainte concurrentielle exercée par Three et O2, l’étroitesse de leur relation de concurrence, leurs parts de marché et les incitations sur l’entité issue de la concentration à augmenter les prix ainsi que la capacité de concurrence de ses concurrents pour conclure, au considérant 1226 de la décision attaquée, que la concentration « est susceptible de produire des effets anticoncurrentiels non coordonnés sur le marché de détail ».

129    En particulier, la Commission relève que Three et O2 seraient les seuls opérateurs de réseau mobile au Royaume-Uni dont les parts de marché ont été en augmentation constante au cours des dernières années (considérants 330 à 406 de la décision attaquée) et qu’ils entretiendraient une relation de concurrence étroite entre eux et avec les autres opérateurs de réseau mobile (considérants 407 à 463 de la décision attaquée).

130    Aux considérants 468 à 681 de la décision attaquée, la Commission estime que Three constituait, avant l’opération, un « important moteur de la concurrence » au sens du point 37 des lignes directrices ou exerçait, en tout état de cause, une forte contrainte concurrentielle. En effet, il s’agirait de l’opérateur le plus agressif et le plus innovant, pratiquant les prix les plus compétitifs en circuit direct et ayant proposé la 4G sans frais supplémentaires, ce qui aurait obligé ses concurrents à abandonner leurs stratégies de vente de la 4G à un prix plus élevé.

131    Aux considérants 682 à 776 de la décision attaquée, la Commission estime que, en l’absence de transaction, Three continuerait probablement à exercer une forte contrainte concurrentielle, étant financièrement solide et ayant peu de chances de connaître des limites de capacité, comme il est expliqué à l’annexe C de la décision attaquée, qui fait partie intégrante de ladite décision.

132    De même, la Commission considère que O2 exerçait une forte contrainte concurrentielle avant l’opération et continuerait probablement de le faire en l’absence de transaction (considérants 778 à 872 de la décision attaquée).

133    L’opération éliminerait les pressions concurrentielles entre Three et O2, d’une part, et entre ces deux opérateurs et les autres opérateurs de réseau mobile, d’autre part, ce qui affaiblirait considérablement la concurrence sur le marché de détail. En particulier, il semblerait probable que l’entité issue de la concentration augmente les prix (considérants 873 à 906 de la décision attaquée).

134    La Commission tire la même conclusion de l’évaluation quantitative des effets probables sur les prix du fait de la suppression de la concurrence sur le marché de détail (considérants 1191 à 1225 de la décision attaquée), détaillée à l’annexe A de la décision attaquée, qui fait partie intégrante de ladite décision.

135    La Commission estime que l’opération est susceptible d’avoir une incidence négative sur la capacité de concurrence des autres opérateurs de réseau mobile. En effet, l’opération bouleverserait le bon fonctionnement des accords existants de partage de réseau. La Commission considère également que, au vu de l’histoire ainsi que de la stratégie et du positionnement actuels de BT/EE et de Vodafone, il y aurait de grandes chances que celles-ci s’alignent sur les hausses de prix de l’entité issue de la concentration (considérants 907 à 960 de la décision attaquée).

136    Quant aux non-ORM, leur capacité d’exercer la concurrence et d’innover serait limitée (considérants 961 à 1148 de la décision attaquée).

2.      Résumé du premier moyen et des principaux éléments de preuve avancés au soutien de la première théorie du préjudice

137    Par son premier moyen, la requérante soutient que la Commission aurait, dans la décision attaquée, commis des erreurs de droit et des erreurs manifestes d’appréciation et violé les formes substantielles, premièrement, dans son interprétation et son application à Three du critère d’« important moteur de la concurrence » (deuxième branche), deuxièmement, s’agissant de l’étroitesse de la relation de concurrence (troisième branche) et, troisièmement, concernant l’examen des parts de marché (quatrième branche).

138    En outre, la Commission aurait commis des erreurs de droit et des erreurs manifestes d’appréciation et aurait dénaturé les éléments de preuve dans son évaluation des effets quantitatifs de la concentration sur les prix (cinquième branche) et des motivations de la nouvelle entité après la concentration (sixième branche). Enfin, la Commission n’aurait pas examiné de manière globale ces différents facteurs (septième branche).

139    Lors de l’audience de plaidoiries, la Commission a précisé que la première théorie du préjudice reposait essentiellement sur les trois éléments de preuve suivants : le fait que Three constitue un important moteur de la concurrence, la proximité de la concurrence entre Three et O2 et l’analyse quantitative des effets de la concentration sur les prix.

140    Le Tribunal estime ainsi opportun d’examiner, dans un premier temps, d’abord la quatrième branche, relative à l’analyse des parts de marché, et la deuxième branche, relative à la qualification de Three d’important moteur de la concurrence, qui se recoupent en partie, et, ensuite, la troisième branche, relative à l’évaluation de la proximité de la concurrence, et la cinquième branche, relative aux effets quantitatifs de la concentration sur les prix. Dans un second temps, le cas échéant, il conviendra d’examiner les sixième et septième branches dudit moyen.

a)      Sur l’analyse des parts de marché

141    Dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen, la requérante soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit en considérant, d’une part, que la nouvelle entité aurait, à la suite de l’opération, la part de marché la plus importante et, d’autre part, que cette situation devait être considérée comme un indicateur de la diminution d’une forte contrainte concurrentielle. 

142    La requérante fait valoir, premièrement, que la part de marché de la nouvelle entité aurait été bien inférieure à 50 %, deuxièmement, que la Commission n’aurait pas pris en compte, dans son évaluation des parts de marché, d’autres facteurs, tels que la puissance des concurrents de Three et O2, et, troisièmement, qu’elle n’aurait pas pris en compte les effets de la cession de la participation de O2 dans Tesco Mobile, proposée par la requérante au titre des engagements soumis à la Commission.

143    La Commission conteste cette argumentation.

144    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable à toute appréciation portée sur l’impact concurrentiel d’une opération de concentration (arrêts du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, EU:C:1998:148, point 143, et du 7 juin 2013, Spar Österreichische Warenhandels/Commission, T‑405/08, non publié, EU:T:2013:306, point 116).

145    En effet, la définition des marchés pertinents constitue une étape essentielle du contrôle des concentrations, dans la mesure où elle permet, dans un premier temps, d’identifier le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre entreprises et, dans un second temps, d’apprécier leur pouvoir de marché.

146    Le marché des produits concernés par l’opération doit être défini en tenant compte de l’ensemble du contexte économique, de manière à pouvoir apprécier la puissance économique effective de la ou des entreprises en cause, et il importe, à cet effet, de définir au préalable les produits qui, sans être substituables à d’autres produits, sont suffisamment interchangeables avec les produits qu’elles proposent, en fonction non seulement de leurs caractéristiques propres, mais également des conditions de concurrence et de la structure de la demande et de l’offre sur le marché (arrêt du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, EU:T:2002:146, point 20).

147    En effet, dans la mesure où les entraves significatives à une concurrence effective résultent généralement de la création ou du renforcement d’une position dominante, les parts de marché peuvent uniquement être utilisées comme des indices de problèmes concurrentiels, pour autant que le marché auquel ces parts se réfèrent ait été correctement défini au préalable. Il en va de même de l’indice de Herfindahl-Hirschmann (utilisé pour mesurer le degré de concentration d’un marché) (ci-après l’« IHH »), auquel la Commission se réfère aux considérants 398 à 405 de la décision attaquée.

148    Dans le cas d’espèce, le Tribunal constate que la requérante ne conteste pas qu’il résulterait de la concentration un renforcement d’un marché oligopolistique sur un marché déjà fortement concentré. En effet, il s’agit d’un marché sur lequel quatre acteurs, ou trois si la concentration est réalisée, se partagent 90 % du marché. L’opération aurait permis à l’entité issue de la concentration, réunissant Three et O2, de représenter [entre 30 et 40 %] du marché de détail et de devenir ainsi le principal acteur, devant BT/EE et Vodafone, dont les parts de marché sont respectivement de [entre 30 et 40 %] et de [entre 20 et 30 %].

149    Or, si une telle analyse, fondée sur des parts de marché plus ou moins comparables, créant des effets de symétrie propices à faciliter la collusion tacite, permettait de conclure au renforcement de la concentration sur un marché oligopolistique, elle ne saurait cependant permettre de conclure qu’une telle concentration entraînerait un préjudice durable pour la concurrence qui serait, en tant que tel, susceptible de constituer une entrave significative à une concurrence effective dans le cadre d’une théorie du préjudice fondée sur des effets non coordonnés.

150    Un tel raisonnement reviendrait en pratique à permettre à la Commission d’interdire toute concentration horizontale sur un marché oligopolistique, dès lors que, tirés d’une application du considérant 25 du règlement no 139/2004, les critères d’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exercent, d’une part, l’une sur l’autre et, d’autre part, sur les autres concurrents seraient, par définition, remplis.

151    C’est pourquoi la Commission indique, à juste titre, que les parts de marché, examinées aux considérants 330 à 406 de la décision attaquée, ne fournissaient qu’une « première indication » de l’importance concurrentielle des parties à la concentration (voir considérants 330 et 406 et note en bas de page no 271 de la décision attaquée). Au considérant 406 de la décision attaquée, elle indique que « la taille et l’évolution des parts de marché des parties sur le marché pertinent et les segments qui le composent fournissent une première indication de la forte contrainte concurrentielle exercée par Three et O2 ».

152    Contrairement à ce qu’avance la requérante, la Commission n’a donc pas considéré le fait que la nouvelle entité aurait la part de marché la plus importante comme un indicateur de la diminution d’une forte contrainte concurrentielle, mais a estimé que la taille et l’évolution des parts de marché de Three et O2 étaient une première indication de la forte contrainte concurrentielle exercée par celles-ci, qui serait éliminée par la concentration.

153    Par ailleurs, l’analyse des parts de marché ne démontre pas autre chose que le fait que l’opération concentrerait davantage un oligopole restreint de la communication mobile au Royaume-Uni, sans pour autant générer des effets anticoncurrentiels comparables à ceux qui pourraient découler de la création ou du renforcement d’une position dominante, individuelle ou collective.

154    Il convient, par conséquent, de rejeter la quatrième branche du premier moyen.

b)      Sur la qualification de Three d’« important moteur de la concurrence »

155    Selon les termes de la décision attaquée, l’un des facteurs utilisés par la Commission pour conclure que la concentration donnerait lieu à des effets non coordonnés est le fait que « Three constitue un important moteur de la concurrence sur le marché de détail […], au sens du point 37 des lignes directrices, ou exerce en tout état de cause une forte contrainte concurrentielle sur ce marché, qu’elle continuerait probablement d’exercer si l’opération n’était pas réalisée » (considérant 777 de la décision attaquée).

156    Par la deuxième branche du premier moyen, tirée d’erreurs eu égard à la qualification de Three d’important moteur de la concurrence, la requérante fait valoir trois griefs, relatifs respectivement à la dénaturation de la notion d’important moteur de la concurrence, au degré de contrainte concurrentielle exercé par Three sur le marché de détail et à la dénaturation de la notion de forte contrainte concurrentielle, dont chacun suffirait, selon elle, à entraîner l’annulation de la décision attaquée.

1)      Sur la dénaturation de la notion d’« important moteur de la concurrence »

157    Selon la requérante, la Commission aurait commis une erreur de droit en considérant qu’il suffit, pour conclure qu’une entreprise constitue un important moteur de la concurrence, qu’elle « contribue de manière constante et soutenue au processus concurrentiel », dans la mesure où cette interprétation de la notion d’« important moteur de la concurrence » ne ferait pas de distinction entre la contribution au processus concurrentiel de chaque concurrent sur un marché oligopolistique et le rôle particulier joué par un important moteur de la concurrence au sens des points 37 et 38 des lignes directrices.

158    L’affirmation de la Commission, au considérant 326 de la décision attaquée ainsi que dans le mémoire en défense, selon laquelle un « important moteur de la concurrence » n’a pas besoin de se distinguer de ses concurrents en termes d’impact sur la concurrence, constituerait une erreur de droit, dans la mesure notamment où cette position lui permettrait de qualifier d’important moteur de la concurrence toute entreprise sur un marché oligopolistique, ce qui reviendrait à une interdiction de fait des concentrations horizontales sur des marchés oligopolistiques et violerait le principe de sécurité juridique.

159    La manière dont la Commission appliquerait la notion d’« important moteur de la concurrence » serait également incompatible avec la manière dont celle-ci est appliquée par les autorités de la concurrence au Royaume-Uni et aux États-Unis ainsi qu’avec la façon dont cette notion a été développée dans les travaux préparatoires du règlement no 139/2004, les décisions antérieures et les lignes directrices.

160    La Commission rétorque qu’il ressortirait du point 37 des lignes directrices que, contrairement à ce que prétend la requérante, il ne serait pas nécessaire qu’une entreprise se démarque de ses concurrents du point de vue de son incidence sur la concurrence pour constituer un important moteur de la concurrence, mais seulement qu’elle ait un rôle plus important dans le jeu de la concurrence que ne le laisseraient supposer ses parts de marché.

161    L’affirmation de la requérante selon laquelle la Commission ne ferait pas de distinction entre la contribution de chaque acteur au processus de concurrence sur un marché oligopolistique et le rôle particulier joué par un important moteur de la concurrence serait manifestement dénuée de fondement, étant donné qu’elle n’a pas qualifié O2 d’important moteur de la concurrence, ainsi qu’il ressort du considérant 872 de la décision attaquée. De plus, un membre d’un oligopole pourrait, en raison d’une approche plutôt défensive, avoir une influence limitée sur la concurrence.

162    Enfin, l’affirmation de la requérante selon laquelle l’approche de la Commission serait notamment incompatible avec celle des autorités de la concurrence au Royaume-Uni et aux États-Unis serait dénuée de pertinence et non fondée. Ainsi, les lignes directrices seraient à dessein différentes de leur équivalent américain. De plus, l’autorité de la concurrence et des marchés du Royaume-Uni aurait appuyé les conclusions de la Commission relatives à la contrainte concurrentielle exercée par Three, ainsi qu’il ressortirait du considérant 483 de la décision attaquée.

163    Le Tribunal constate, ainsi qu’il a été rappelé aux points 100 et 101 ci-dessus, que, si les lignes directrices de la Commission, de même que sa pratique décisionnelle antérieure, ne sauraient lier le juge de l’Union, le Tribunal peut, le cas échéant, faire siennes les orientations et les appréciations économiques ou juridiques contenues dans la pratique décisionnelle de la Commission ou dans ces lignes directrices.

164    En outre, le Tribunal rappelle que, dans un certain nombre d’affaires [voir affaires COMP/M.6203 – Western Digital Irland/Viviti Technologies (2011), COMP/M.6497 – Hutchison 3G Austria/Orange Austria (2012), COMP/M.7018 – Telefónica Deutschland/E-Plus (2014) (ci-après l’« affaire allemande »), COMP/M.6992 – Hutchison 3G UK/Telefonica Ireland (2014) (ci-après l’« affaire irlandaise »), COMP/M.7421 – Orange/Jazztel (2015), COMP/M.7637 – Liberty Global/BASE Belgium (2016), COMP/M.7758 – Hutchinson 3G Italy/Wind/JV (2016)], la Commission a qualifié une ou deux des parties à la concentration d’« important(s) moteur(s) de la concurrence », dont l’élimination du fait de la concentration, combinée à d’autres facteurs (barrières à l’entrée, degré de concentration du marché, hausse des prix, étroitesse de la relation de concurrence entre les parties à la concentration, etc.), serait susceptible d’entraîner une entrave significative à une concurrence effective, tout en autorisant, sous condition, la concentration.

165    En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la manière dont la Commission aurait appliqué la notion d’« important moteur de la concurrence » serait incompatible avec ses décisions antérieures, il y a lieu de relever que la position défendue par la Commission dans la décision attaquée est cohérente avec celle exposée dans les affaires allemande (considérants 120 à 122 ; voir point 164 ci-dessus), COMP/M.7421 – Orange/Jazztel (2015) (considérant 245) et COMP/M.6497 – Hutchison 3G Austria/Orange Austria (2012) (considérants 265 et 283).

166    En outre, la Commission a notamment examiné, dans l’affaire COMP/M.5650 – T‑Mobile/Orange (2010), la question de savoir si l’une ou l’autre des parties à cette concentration pouvait être considérée comme un « concurrent particulièrement important » sur le marché des télécommunications mobiles au Royaume-Uni, exerçant une « restriction particulièrement importante » sur les autres participants sur ce marché. Dans cette décision, la Commission a constaté, sur la base d’une analyse d’ajout brut d’abonnés, que 3UK pouvait être considérée comme un « perturbateur sur le marché », dans la mesure où elle « capturait » plus de clients d’Orange et de T‑Mobile que sa part de marché ne le suggérait. Par ailleurs, la Commission a considéré, dans cette décision, que 3UK était leader sur le marché en termes de prix et d’innovations sur les services.

167    Au point 380 de la communication des griefs, la Commission a constaté que, pour qu’une entreprise constitue un important moteur de la concurrence, il n’était pas nécessaire qu’elle soit un « franc-tireur » sur le marché. Plus précisément, la Commission a estimé qu’une telle entreprise devait contribuer, de manière substantielle et consistante, au processus de concurrence sur le marché sur la base de paramètres tels que le prix, la qualité, le choix et l’innovation. Une concentration qui comprendrait une entreprise récemment entrée sur le marché, et dont il pourrait être présumé qu’elle exerce une pression compétitive significative sur le marché, ne serait, selon la Commission, qu’un exemple de situation où des effets anticoncurrentiels non coordonnés significatifs seraient susceptibles de se produire.

168    Le Tribunal rappelle que, ainsi qu’il ressort du considérant 318 de la décision attaquée, la requérante avait déjà avancé, au cours de la procédure administrative, que, pour qu’une entreprise puisse être qualifiée d’« important moteur de la concurrence », elle devait se distinguer de ses concurrents s’agissant de son impact sur la concurrence, en ce qu’elle jouait un rôle unique sur le marché lui permettant d’exercer des contraintes fortes et disproportionnées sur les autres acteurs par rapport avec ses parts de marché, ce qui est indispensable pour préserver une concurrence effective.

169    Au considérant 326 de la décision attaquée, la Commission a répondu à cet argument en considérant qu’un « important moteur de la concurrence » n’avait pas besoin de se distinguer de ses concurrents en termes d’impact sur la concurrence. Selon la Commission, le fait qu’elle ait, dans sa pratique décisionnelle antérieure, estimé que certaines entreprises avaient été uniques dans leur « agressivité » sur le marché et avaient accru leur présence sur ce marché de manière plus rapide qu’aucun autre concurrent, en tant qu’importants moteurs de la concurrence, n’impliquerait pas qu’il n’existe qu’une seule définition de la notion d’« important moteur de la concurrence ».

170    En revanche, dans son mémoire en défense, la Commission a concédé qu’un « important moteur de la concurrence » devait avoir un rôle plus important que ses parts de marché ne le laisseraient supposer, se livrer à une concurrence particulièrement agressive et forcer les autres acteurs à suivre ce comportement.

171    Il ressort de la décision attaquée que, s’agissant de l’élimination d’un « important moteur de la concurrence », la Commission est d’avis que la simple baisse de la pression concurrentielle qui résulterait, notamment, de la disparition d’une entreprise ayant un rôle plus important que ses parts de marché ne le laisseraient entendre suffirait, en elle-même, à prouver une entrave significative à une concurrence effective.

172    Or, une telle interprétation de la notion d’« important moteur de la concurrence », développée dans la décision attaquée, introduirait, si elle devait être considérée comme un critère juridique autonome, une notion supplémentaire et alternative à la notion de « forte contrainte concurrentielle » qui figure au considérant 25 du règlement no 139/2004. Cela abaisserait le seuil de preuve requis pour prouver une entrave significative à une concurrence effective, selon que la Commission qualifie les effets prévisibles d’une concentration d’« effets non coordonnés » ou d’« effets coordonnés ».

173    En effet, l’approche suivie par la Commission dans la décision attaquée reviendrait en pratique à confondre trois notions, à savoir la notion d’« entrave significative à une concurrence effective », qui est le critère juridique visé à l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, la notion d’« élimination d’une forte contrainte concurrentielle », mentionnée au considérant 25 du même règlement, ainsi que la notion d’élimination d’un « important moteur de la concurrence », utilisée dans la décision attaquée et tirée des lignes directrices. En faisant l’amalgame de ces notions, la Commission procède à un élargissement considérable du champ d’application de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, dès lors que toute élimination d’un important moteur de la concurrence équivaudrait à l’élimination d’une forte contrainte concurrentielle qui, à son tour, justifierait de conclure à l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective. 

174    Il s’ensuit que la Commission a commis une erreur de droit et une erreur d’appréciation, au considérant 326 de la décision attaquée, en constatant qu’un « important moteur de la concurrence » n’avait pas besoin de se distinguer de ses concurrents en termes d’impact sur la concurrence, dans la mesure notamment où cette position lui permettrait de qualifier d’« important moteur de la concurrence » toute entreprise sur un marché oligopolistique exerçant une pression concurrentielle.

175    Cela reviendrait, ainsi que la requérante l’a souligné à juste titre, à permettre à la Commission d’interdire de ce seul fait des concentrations horizontales sur de tels marchés et violerait le principe de sécurité juridique, dès lors que la Commission pourrait ainsi omettre d’analyser l’élimination éventuelle des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exercent l’une sur l’autre, en faveur d’une théorie du préjudice fondée sur la seule réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents.

176    Le grief relatif à la dénaturation de la notion d’« important moteur de la concurrence » est donc fondé.

2)      Sur le degré de contrainte concurrentielle de Three sur le marché de détail

177    Dans la décision attaquée, la conclusion de la Commission selon laquelle Three constitue un « important moteur de la concurrence », ou exerce en tout état de cause une forte contrainte concurrentielle sur ce marché, repose sur les éléments suivants : premièrement, un ajout brut d’abonnés supérieur à sa part de marché (considérant 481), deuxièmement, le développement de sa part de marché et de sa clientèle (considérants 475 à 480), troisièmement, ses politiques de prix (considérants 578 à 633), quatrièmement, ses contributions à l’innovation et à la concurrence (considérants 485 à 577) et, cinquièmement, la qualité de son réseau, son service à la clientèle et la fidélisation de ses clients (considérants 653 à 680).

178    Selon la requérante, l’évaluation par la Commission des quatre premiers facteurs serait entachée d’erreurs manifestes d’appréciation.

i)      Sur l’ajout brut d’abonnés

179    Afin de conclure que Three constitue un « important moteur de la concurrence », ou exerce, en tout état de cause, une forte contrainte concurrentielle sur le marché de détail, la Commission s’est fondée, notamment, sur le fait que son ajout brut d’abonnés serait supérieur à sa part de marché (considérants 481 à 484 de la décision attaquée).

180    Selon la requérante, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant, au considérant 397 de la décision attaquée, que l’ajout brut d’abonnés (c’est-à-dire la part des nouveaux clients acquis) de Three « est le premier signe que Three exerce sur le marché de détail une contrainte concurrentielle plus forte que sa part de marché ne le laisse supposer », alors que la part brute de nouveaux abonnés de Three, de [entre 10 et 20 %] (selon que les calculs de Three ou de la Commission sont utilisés), est, d’une part, très faible en valeur absolue et, d’autre part, comparable ou même inférieure à sa part d’abonnés, de [entre 10 et 20 %].

181    En l’espèce, la Commission indique, au considérant 388 de la décision attaquée, que, selon ses calculs, la part brute de nouveaux abonnés de Three serait supérieure à sa part de marché.

182    Cependant, la Commission reconnaît, aux points 65 et 74 du mémoire en défense, que, d’après sa reconstitution des parts de marché et des parts brutes de nouveaux clients, les parts brutes de nouveaux clients de Three pour 2014 et le premier semestre de 2015 ne seraient que légèrement plus élevées que ses parts de marché pour la même période. Autrement dit, il n’y aurait pas de différence majeure entre les parts brutes de nouveaux clients de Three et ses parts de marché.

183    À cet égard, il convient de relever que les parts brutes de nouveaux clients de Three n’indiquent pas qu’elle jouerait, dans la concurrence, un rôle plus important que ne le laisseraient supposer ses parts de marché. En se fondant sur la thèse la plus favorable à la Commission, selon laquelle l’entreprise a connu une croissance soutenue, l’ajout brut d’abonnés caractérisant son activité s’élèverait à [entre 10 et 20 %]. Or, d’une part, un tel montant est très faible par rapport aux parts de marché décrites aux considérant 335 et 343 de la décision attaquée. D’autre part, un tel ajout doit être considéré comme étant très limité s’il est comparé aux chiffres relatifs aux nouveaux abonnés des entreprises que la Commission a qualifiées d’« importants moteurs de la concurrence » dans sa pratique décisionnelle antérieure, dans les affaires M.3916 – T‑Mobile Austria/Tele.ring (2006), COMP/M.6497 – Hutchison 3G Austria/Orange Austria (2012), allemande et irlandaise (voir point 164 ci-dessus).

184    En réponse à une question du Tribunal posée lors de l’audience sur l’importance qu’il conviendrait d’attribuer, en tant que moyen de preuve de l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective, à un ajout brut d’abonnés qui soit supérieur de [entre 0 et 5 %] aux parts de marché, la Commission s’est contentée d’affirmer que cet ajout n’était qu’un indice parmi d’autres aux fins de son évaluation globale de plusieurs facteurs au soutien de ses conclusions dans la décision attaquée.

185    En particulier, la Commission a fait valoir que le fait qu’un opérateur comme Three ait une part brute de nouveaux clients même limitée par rapport à sa part de marché demeure suffisant pour en faire un « important moteur de la concurrence » lorsqu’est pris en compte le fait que ce même opérateur a évolué en permanence sur le marché pertinent. En effet, selon la Commission, le fait que Three, durant les années ayant précédé l’adoption de la décision attaquée, ait observé une pleine croissance de sa part brute de nouveaux abonnés, serait une indication suffisante, permettant d’établir que Three est un concurrent exerçant une pression concurrentielle sur le marché de détail.

186    Toutefois, il y a lieu de relever que, par rapport aux parts de marché décrites aux considérants 335 et 343 de la décision attaquée, un ajout brut d’abonnés qui pourrait être quantifié, dans l’hypothèse la plus favorable à la thèse de la Commission, à hauteur de la croissance la plus soutenue, à environ [entre 10 et 20 %], paraît très faible et n’est pas comparable aux chiffres relatifs aux nouveaux abonnés des entreprises que la Commission a qualifiées d’« importants moteurs de la concurrence » dans sa pratique décisionnelle antérieure, dans les affaires M.3916 – T‑Mobile Austria/Tele.ring (2006), COMP/M.6497 – Hutchison 3G Austria/Orange Austria (2012), allemande et irlandaise (voir point 164 ci-dessus).

187    De plus, la requérante a soutenu, lors de la phase écrite de la procédure et au cours de l’audience, sans être contredite sur ce point par la Commission, que la part brute des nouveaux abonnés s’agissant d’autres entreprises que la Commission aurait également qualifiées d’« importants moteurs de la concurrence » dans le cadre de concentrations faisant passer le nombre de concurrents de quatre à trois dans le secteur des communications mobiles serait située entre 21 et 50 %, ce qui n’est manifestement pas le cas s’agissant de Three.

188    Il s’ensuit que, en tout état de cause, l’ajout brut d’abonnés de Three ne permettait pas à la Commission de conclure que cet opérateur constituait un « important moteur de la concurrence », dans le cadre d’une théorie du préjudice fondée sur des effets non coordonnés.

189    Il en résulte que la conclusion de la Commission, au considérant 397 de la décision attaquée, selon laquelle l’ajout brut d’abonnés de Three « est le premier signe que Three exerce sur le marché de détail une contrainte concurrentielle plus forte que sa part de marché ne le laisse supposer », est entachée d’une erreur d’appréciation.

190    L’argumentation concernant, en substance, une erreur d’appréciation relative à l’ajout brut d’abonnés de Three est donc fondée.

ii)    Sur la croissance des abonnés de Three

191    Selon la requérante, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant, au considérant 474 de la décision attaquée, que l’évolution de la part de marché de Three indiquait qu’elle était un « important moteur de la concurrence ». En effet, les données exposées aux considérants 335, 343, 475 et 477 de la décision attaquée prouveraient que Three connaît une croissance extrêmement lente.

192    La Commission soutient que la part de marché de Three en matière d’abonnés et de chiffre d’affaires ne cesse de croître. La croissance de 1 % par an de Three en tant que fournisseur entre 2013 et 2014 devrait être replacée dans le contexte d’un marché où aucun autre acteur, à l’exception de O2, n’a été en mesure de parvenir à un tel taux de croissance, comme cela est illustré aux considérants 343 et 346 de la décision attaquée. De plus, contrairement à ce que soutient la requérante, la clientèle de Three aurait constamment affiché [confidentiel] (1) sur le marché entre 2010 et 2014, le nombre total d’abonnés de Three, O2 et Vodafone ayant augmenté respectivement de [confidentiel] et celui de BT/EE ayant diminué de près de [confidentiel] (considérant 477 de la décision attaquée).

193    Le Tribunal constate que les données exposées aux considérants 335, 343, 346 et 477 de la décision attaquée semblent montrer que Three a connu une croissance supérieure à celle de ses concurrents. À cet égard, la Commission a soutenu que le Tribunal avait dit pour droit dans l’arrêt du 14 décembre 2005, General Electric/Commission (T‑210/01, EU:T:2005:456), que la croissance constante des parts de marché est un facteur convaincant de la pression compétitive exercée par un opérateur.

194    Il y a lieu de relever que le renforcement de parts de marché au cours de plusieurs années consécutives constitue, effectivement, un indice de puissance concurrentielle. Il convient toutefois de distinguer la présente affaire des conclusions tirées par le Tribunal dans l’arrêt du 14 décembre 2005, General Electric/Commission (T‑210/01, EU:T:2005:456), où la partie requérante était de loin le premier fournisseur de moteurs d’avions, présentait le taux de croissance le plus élevé du marché et se trouvait ainsi dans une situation de position dominante.

195    Ce raisonnement n’est en effet pas applicable au cas d’espèce, lequel ne concerne pas une entreprise en position dominante ayant renforcé sa puissance sur le marché. La simple croissance de la part brute de nouveaux abonnés pendant plusieurs années consécutives du plus petit opérateur de réseau mobile dans un marché oligopolistique, à savoir Three, qui, par le passé, a été qualifié de « franc-tireur » par la Commission (affaire COMP/M.5650 – T‑Mobile/Orange) et dans la communication des griefs dans la présente affaire, ne constitue pas, en soi, un indice suffisant pour pouvoir conclure à la puissance de cet opérateur sur le marché ou à l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exercent l’une sur l’autre.

196    Par ailleurs, le Tribunal constate que, comme l’a fait valoir la requérante dans sa requête et lors de l’audience de plaidoiries, il ressort des graphiques no 19 et no 20 de la décision attaquée que les parts de marché de Three ont stagné ou se sont stabilisées [entre 5 et 10 %] entre 2012 et 2014, aussi bien en termes d’abonnés que de revenus. Selon ces graphiques, Three a connu une croissance faible en termes d’abonnés au cours des dernières années.

197    Partant, la conclusion de la Commission, au considérant 474 de la décision attaquée, selon laquelle l’évolution de la part de marché de Three indiquerait qu’elle était un « important moteur de la concurrence », est également entachée d’une erreur d’appréciation.

198    L’argumentation concernant, en substance, une erreur d’appréciation relative à la croissance d’abonnés de Three est donc fondée.

iii) Sur la politique des prix de Three

199    La requérante fait valoir que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant, aux considérants 578 et 579 de la décision attaquée, sur la base d’une « analyse qualitative et quantitative des prix », que « Three a toujours exercé une forte contrainte concurrentielle sur le marché avec ses tarifs ».

200    En effet, les analyses de la requérante montreraient que Three pratiquerait des prix légèrement moins élevés que ceux pratiqués par d’autres opérateurs de réseau mobile sur le circuit de vente directe, mais nettement plus élevés que ceux pratiqués par les autres opérateurs de réseau mobile sur le circuit de vente indirecte et par les opérateurs de réseaux mobiles virtuels.

201    Quant à l’analyse qualitative des prix menée par la Commission, elle ignorerait les canaux de distribution indirecte et contiendrait une évaluation très limitée des ventes des opérateurs de réseaux mobiles virtuels.

202    La Commission soutient, s’agissant de sa propre analyse qualitative des prix, qu’elle a expressément pris en compte, aux considérants 1032 à 1079 de la décision attaquée, la position tarifaire des opérateurs de réseaux mobiles virtuels et des distributeurs indirects ainsi que leur capacité limitée à compenser les effets probables sur les prix résultant de l’opération.

203    En outre, l’analyse quantitative de la requérante, exposée au considérant 604 de la décision attaquée, confirmerait que Three était l’opérateur de réseau mobile le moins cher dans le circuit des ventes directes entre octobre 2014 et février 2016.

204    Quant à l’analyse qualitative des prix menée par la Commission, exposée aux considérants 580 à 602 de la décision attaquée, il en ressortirait que Three proposait les prix les plus compétitifs du marché pour un certain nombre de contrats, en comparaison avec les autres opérateurs de réseau mobile, et parmi les plus compétitifs sur le marché pour d’autres.

205    Selon la requérante, les analyses qualitatives et quantitatives figurant dans sa réponse à la communication des griefs, de même que dans l’étude réalisée par Hutchison, montreraient chacune que les prix de Three étaient moyens, oscillant entre ceux pratiqués par d’autres opérateurs de réseau mobile sur le circuit de vente directe et ceux pratiqués par les opérateurs de réseaux mobiles virtuels sur le circuit de vente indirecte.

206    Plus particulièrement, une analyse quantitative des parties fondée sur 80 000 prix, entre 2014 et 2016, aurait permis d’aboutir à la conclusion que Three était un concurrent « moyen », à savoir un concurrent « légèrement moins cher » que d’autres opérateurs de réseau mobile sur le circuit de vente directe, mais « nettement plus cher » que les autres opérateurs de réseau mobile sur le circuit de vente indirecte et que les opérateurs de réseaux mobiles virtuels. Par ailleurs, la décision attaquée assimilerait la fixation de prix bas à une politique de prix agressive, alors que celle-ci pourrait ne refléter qu’une offre de qualité inférieure ou une valeur de marque inférieure et, dès lors, ne pas avoir d’effets significatifs sur la concurrence.

207    Selon la requérante, cette analyse exhaustive de tous les prix sur le marché à l’époque démontrerait que la politique de tarification de Three se situait de façon cohérente au regard des prix du marché. Par contraste, la décision attaquée invoquerait des prix sélectifs, voire anecdotiques, comparativement à certains forfaits à certains moments, sans pour autant expliquer la raison d’être de cette sélection.

208    À cet égard, la Commission fait valoir que son analyse a porté sur les téléphones mobiles les plus représentatifs au Royaume-Uni. Selon elle, même si les tarifs proposés par les opérateurs présentent des différences (en matière de volume de données, de minutes de conversation, etc.) et n’offrent pas toujours des conditions identiques, ils n’en demeurent pas moins comparables.

209    Le Tribunal constate, contrairement à ce que soutient la requérante, que la Commission a pris en compte, aux considérants 584, 589, 590, 592 à 595 et 601 de la décision attaquée, les tarifs des non-ORM et des distributeurs indirects. Ainsi, si la Commission a tenu compte des tarifs des opérateurs de réseaux mobiles virtuels dans la décision attaquée, elle a, en même temps, précisé qu’un certain nombre de tarifs, notamment ceux de Tesco Mobile et de Virgin Mobile, étaient moins chers que ceux de Three.

210    Par ailleurs, le Tribunal constate que, dans l’affaire COMP/M.5650 – T‑Mobile/Orange, la Commission a considéré que, « dans le marché de détail du Royaume-Uni, les opérateurs de réseaux mobiles “virtuels” jouent un rôle significatif. […] Les opérateurs de réseaux mobiles “virtuels” ne font pas seulement concurrence avec leur opérateurs hôtes sur les prix et les services aux clients, mais ils stimulent également la concurrence en introduisant des modèles d’affaire innovants ».

211    Or, aux considérants 969 et suivants de la décision attaquée, la Commission a conclu que les opérateurs de réseaux mobiles virtuels étaient, à ce jour, incapables de restreindre utilement le comportement concurrentiel des opérateurs de réseau mobile sur le marché de détail.

212    Toutefois, il n’en résulte pas pour autant que Three exerçait par sa politique tarifaire une forte pression concurrentielle.

213    En effet, sans qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de prendre position sur cette question, il convient de constater que le seul fait que les tarifs de Three incluent les services 4G sans frais supplémentaires ne suffit pas à prouver que Three poursuivait une politique de prix particulièrement agressive.

214    De même, ainsi que le souligne à juste titre la requérante, le simple fait que l’offre de Three soit moins chère pour certains et non pas pour tous les segments du marché ne suffit pas, en tout état de cause, pour démontrer qu’elle constitue un « important moteur de la concurrence », dès lors que sa politique de prix doit être susceptible de changer les dynamiques concurrentielles d’une manière significative.

215    Or, la décision attaquée se limite, aux considérants 588 à 590, à dire des prix de Three qu’ils sont « parmi les plus bas [prix] sur le marché » et « parmi les moins chers pour le segment de données bas de gamme ». Cette description de Three est loin de prouver que sa politique de prix est susceptible de modifier, d’une manière significative, les dynamiques concurrentielles sur le marché.

216    L’argumentation concernant, en substance, une erreur d’appréciation de la politique des prix de Three est donc fondée, dès lors que la Commission n’a pas démontré, dans le cas d’espèce, à suffisance de droit et par des preuves convaincantes, que Three se livrait à une concurrence particulièrement agressive en termes de prix et qu’elle forçait les autres acteurs sur le marché à s’aligner sur ses prix ou que sa politique de prix était susceptible de modifier, d’une manière significative, les dynamiques concurrentielles sur le marché, conformément à la définition de la notion d’« important moteur de la concurrence » rappelée au point 170 ci-dessus et que la Commission elle-même a, par ailleurs, détaillée dans son mémoire en défense.

iv)    Sur le rôle historique joué par Three sur le marché

217    Selon la requérante, les faits exposés aux considérants 497 à 575 de la décision attaquée, relatifs au rôle historique joué par Three sur le marché, seraient anecdotiques et ne permettraient pas de retenir la qualification d’« important moteur de la concurrence ». Les preuves présentées par la requérante démontreraient l’impact limité sur la concurrence des initiatives de Three invoquées dans la décision attaquée.

218    La Commission rétorque que le rôle historique joué par Three sur le marché serait pertinent, car il démontrerait sa capacité à faire face aux défis de la concurrence et permettrait de prévoir son comportement à l’avenir (considérant 486 de la décision attaquée). Ses initiatives auraient contribué de manière conséquente à sa croissance annuelle. Les preuves contenues dans le dossier montreraient que Three a joué un rôle essentiel dans la baisse des prix de la 4G.

219    Le Tribunal rappelle que, dans la décision attaquée, la Commission a exposé la façon dont Three, dernier arrivé sur le marché de détail, a changé les habitudes du secteur en matière de limitation de l’utilisation des données et de hausse du prix des données en lançant son « One Plan » (voir considérants 497 à 522, et, en particulier, considérants 515 et 522), en lançant l’itinérance (roaming) internationale gratuite (considérants 523 à 538) et en proposant la 4G sans frais supplémentaires, ce qui a obligé ses concurrents à abandonner leurs stratégies de vente de la 4G à un prix plus élevé (considérants 539 à 572, et, en particulier, considérants 565 et 572).

220    Toutefois, ainsi que le souligne la requérante, les initiatives commerciales prises par Three, examinées par la Commission aux considérants 497 à 575 de la décision attaquée pour démontrer le comportement fortement concurrentiel de cette société, sont désormais de nature historique, celles-ci ayant été essentiellement menées avant son principal changement de stratégie fin 2013, quand Three est passé d’une concurrence de prix à une concurrence de marque.

221    Or, la Commission semble, dans un premier temps, avoir confirmé, dans sa communication des griefs, sa qualification antérieure de Three de « franc-tireur » sur le marché des télécommunications mobiles au Royaume-Uni.

222    En effet, aux points 1258 et 1357 de la communication des griefs, la Commission a conclu que, à la suite de la transaction, Three deviendrait un leader sur le marché, qui ne serait que peu, voire même aucunement, incité à perturber toute coordination potentielle. À la suite de la transaction, il y aurait ainsi sur le marché trois entreprises non perturbatrices, ce qui serait susceptible de produire des effets coordonnés sur le marché, tandis que des tentatives de coordination auraient auparavant échoué en raison du comportement perturbateur de Three.

223    Dès lors que la théorie du préjudice fondée sur les effets coordonnés a, par la suite, été abandonnée par la Commission, dans la décision attaquée, l’argumentation de la Commission relative au rôle historique de Three sur le marché relève d’une valeur probante anecdotique dans l’analyse globale du faisceau de preuves au soutien de la première théorie du préjudice.

224    Or, quand bien même l’argumentation de la Commission relative au rôle historique de Three serait en tant que telle correcte, ce que la requérante ne semble pas contester en soi, la Commission reste en défaut d’établir dans la décision attaquée que ce rôle historique de Three serait représentatif de sa politique de prix au moment de la notification de la concentration. Le raisonnement de la Commission à cet égard semble impliquer qu’une entreprise qui a historiquement joué un rôle perturbateur va nécessairement jouer le même rôle dans le futur et ne pourrait pas se repositionner sur le marché par l’adoption d’une politique de prix différente.

225    L’argumentation concernant, en substance, une erreur d’appréciation du rôle historique joué par Three sur le marché, et notamment de sa valeur en tant que preuve d’une entrave significative à une concurrence effective, est donc fondée.

226    Au regard de l’ensemble de ce qui précède, il convient d’accueillir le grief relatif au degré de contrainte concurrentielle de Three sur le marché de détail.

c)      Sur l’évaluation de la proximité de la relation de concurrence

227    Un autre facteur utilisé par la Commission pour conclure que la concentration donnerait lieu à des effets non coordonnés est le fait que Three et O2 « sont des concurrents proches sur l’ensemble du marché de détail » (considérant 463 de la décision attaquée). Cette conclusion repose sur une évaluation qualitative des ratios de diversion fondés sur des données de portabilité des numéros mobiles (ci-après les « PNM ») et des ratios de diversion fondés sur une étude réalisée par la Commission.

228    Par la troisième branche du premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission aurait commis une erreur en constatant que les quatre opérateurs de réseau mobile sont tous proches sur le marché de détail (considérants 438 et 439 de la décision attaquée), qu’elle n’aurait pas pris en compte le degré élevé de substituabilité avec les offres des tiers et qu’elle aurait conclu à tort que Three et O2 étaient des concurrents proches, dans la mesure où ils ne seraient pas les concurrents les plus proches. La conclusion de la Commission sur l’étroitesse de la relation de concurrence serait entachée d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle n’aurait pas procédé à une évaluation du degré de proximité entre les parties.

229    En premier lieu, la Commission fait valoir qu’elle a bien procédé à une évaluation relative de la proximité entre les parties (conformément aux principes rappelés au considérant 323 de la décision attaquée) et constaté que, pour un grand nombre de participants à l’enquête sur le marché, Three et O2 seraient les concurrents les plus proches l’un de l’autre (considérant 417 de la décision attaquée). Les documents internes des parties (considérants 418, 430 et 438 de la décision attaquée), les ratios de diversion (considérants 455 et 460 de la décision attaquée) et l’étude commandée par la Commission (considérant 461 de la décision attaquée) montreraient que Three et O2 entretiennent une relation de concurrence étroite.

230    La Commission soutient, en outre, avoir déduit des preuves contenues dans le dossier que les quatre opérateurs de réseau mobile sont en concurrence étroite sur le marché de détail, ce qui ne vaudrait pas nécessairement, pour autant, pour tout marché composé de quatre acteurs ou tout marché oligopolistique.

231    En deuxième lieu, la Commission fait valoir que, si le degré de substituabilité avec les entreprises tierces a une incidence sur la réaction de ces dernières aux hausses des prix pratiquées par l’entité issue de la concentration, il ne porte pas atteinte à l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exercent l’une sur l’autre, qui est l’effet le plus direct d’une concentration sur un marché oligopolistique, dont il permet la mesure.

232    De plus, étant donné qu’il ne serait pas nécessaire que les parties à la concentration soient les concurrents les plus proches (considérant 324 de la décision attaquée), le fait que d’autres concurrents sont également proches, voire plus proches que celles-ci, ne saurait permettre de réfuter l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective. Les preuves concernant la substituabilité avec les produits des entreprises tierces seraient donc secondaires par rapport à celles concernant la substituabilité entre les produits des parties à la concentration.

233    En troisième lieu, la Commission ne conteste pas que, d’après les ratios de diversion fondés sur les données de PNM, [confidentiel]. Cependant, pour qu’une augmentation unilatérale des prix soit profitable pour l’entité issue de la concentration, ce qui importerait serait non pas que les produits des parties à la concentration soient les substituts les plus proches (considérants 324 et 1193 de la décision attaquée), mais que ces dernières soient des concurrents proches et que leur rivalité ait été une source de concurrence importante sur le marché (considérant 463 de la décision attaquée).

234    Le Tribunal constate que la notion de « concurrent proche » ne figure pas dans le règlement no 139/2004, mais seulement dans les lignes directrices, qui comprennent une rubrique intitulée « [l]es parties à la concentration sont des concurrents proches ».

235    Par ailleurs, l’applicabilité de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, lu à la lumière du considérant 25 dudit règlement, requiert l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre, ce qui constitue l’effet unilatéral le plus direct d’une concentration sur un marché oligopolistique, ainsi que l’a souligné à juste titre la Commission devant le Tribunal.

236    À cet égard, la « proximité de la concurrence » a déjà été acceptée comme moyen de preuve économique par le Tribunal dans les arrêts du 9 juillet 2007, Sun Chemical Group e.a./Commission (T‑282/06, EU:T:2007:203), et du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission (T‑342/07, EU:T:2010:280, points 63 et suivants).

237    L’arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission (T‑342/07, EU:T:2010:280), visait l’utilisation de la notion de « concurrents les plus proches » et la question de savoir si la Commission pouvait automatiquement en déduire l’existence, puis l’élimination, des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre. À l’inverse, dans l’arrêt du 9 juillet 2007, Sun Chemical Group e.a./Commission (T‑282/06, EU:T:2007:203), le Tribunal a conclu qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir traité, dans la décision attaquée, de la proximité des relations de concurrence entre les parties à la concentration.

238    Selon le point 28 des lignes directrices, cette proximité s’apprécie en fonction du degré de substituabilité entre les produits des parties. Ce même point précise ainsi que, « [s]ur un même marché en cause, les produits peuvent être différenciés de telle sorte que certains produits sont des substituts plus proches que d’autres. Plus le degré de substituabilité entre les produits des parties à une opération de concentration est élevé, plus il est probable que celles-ci augmenteront significativement leurs prix. […] L’incitation des parties à la concentration à augmenter les prix a plus de chances d’être limitée lorsque leurs concurrents produisent des substituts proches de leurs produits que lorsqu’ils proposent des substituts moins proches. Il y a donc moins de risques qu’une opération de concentration entrave de manière significative la concurrence effective […] s’il existe un degré de substituabilité élevé entre les produits des parties à la concentration et ceux de producteurs rivaux ».

239    En effet, selon les circonstances, un marché de produits pertinent peut comprendre des substituts plus ou moins proches, de sorte que les rapports de concurrence entre les produits appartenant à ce marché peuvent varier en intensité, indépendamment des parts de marché. Par conséquent, les effets non coordonnés d’une concentration peuvent dépendre davantage de la proximité des produits des parties à l’opération de concentration que de leurs parts de marché respectives. 

240    En l’espèce, premièrement, il convient de constater que, selon le point 1366 de la communication des griefs, le marché de référence se caractérise, de manière générale, par un faible degré de différenciation des produits. Sur ce marché, les opérateurs tenteraient de surmonter cet aspect en poursuivant des stratégies de différenciation qui n’auraient cependant eu qu’un succès limité.

241    Deuxièmement, le Tribunal constate que la notion de « concurrent proche », figurant dans les lignes directrices, permet de tenir compte du fait que la rivalité entre les parties à la concentration est une source de concurrence importante sur le marché et peut donc constituer un facteur clé dans l’analyse, ainsi qu’il ressort du point 28 des lignes directrices. Par ailleurs, il convient de rappeler que l’applicabilité de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, lu à la lumière du considérant 25 dudit règlement, requiert l’élimination des « fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre », ce qui constitue l’effet unilatéral le plus direct d’une concentration sur un marché oligopolistique, ainsi que l’a souligné à juste titre la Commission devant le Tribunal.

242    Toutefois, la plupart des exemples mentionnés dans la décision attaquée ne visent pas à identifier le degré de proximité entre les parties, ou à montrer qu’elles exerçaient de fortes contraintes concurrentielles l’une sur l’autre, mais cherchent surtout à démontrer que Three et O2 sont des « concurrents proches » plutôt que des « concurrents particulièrement proches ». Ainsi, la Commission semble davantage analyser la proximité de concurrence entre Three et O2, d’une part, et les deux autres opérateurs de réseau mobile, d’autre part. En effet, elle conclut, au considérant 1183 de la décision attaquée, que les quatre opérateurs de réseau mobile, et non seulement Three et O2, sont des « concurrents proches ». 

243    Troisièmement, les données utilisées par la Commission pour calculer les ratios de diversion, utilisées pour analyser le degré de proximité des différents opérateurs, sont issues d’un sondage qu’elle a fait effectuer auprès d’un échantillon relativement limité d’une centaine d’utilisateurs. De plus, les résultats de cette analyse ne convergent pas avec ceux de l’analyse quantitative présentée à l’annexe A de la décision attaquée. En revanche, les ratios calculés par la requérante se fondent sur des données PNM et concernent 200 000 observations.

244    Quatrièmement, selon les chiffres présentés par la requérante, en ce qui concerne le report des clients privés de O2, [confidentiel] avec un ratio de diversion de [confidentiel] seulement, alors que celui de BT/EE est de [confidentiel] et celui de Vodafone de [confidentiel]. Par ailleurs, les concurrents les plus proches de O2 [confidentiel] sont globalement [confidentiel], qui représentent [confidentiel] des reports de O2. Cela signifie que [confidentiel].

245    Lors de l’audience, la requérante a étayé ces chiffres de manière convaincante, sans être contredite à cet égard par la Commission, ce qui confirme le fait que Three n’était pas un concurrent particulièrement proche de O2, que [confidentiel] serait le concurrent le plus proche de Three et [confidentiel] concurrent le plus proche de Three, et ce à une distance significative.

246    Par ailleurs, la Commission a confirmé, lors de l’audience, que Three n’était pas actif sur le segment des consommateurs professionnels de téléphonie mobile et que Three et O2 n’étaient donc pas des concurrents sur ce segment. L’absence de proximité de concurrence sur ce segment du marché est corroborée par le tableau no 35 de la décision attaquée, et notamment par la note en bas de page no 313 sur le degré de concentration et l’IHH, qui n’ont pas été fournis dans la décision attaquée, puisque la Commission n’a pas rencontré de problèmes structurels concernant ce segment du marché.

247    Il en découle que, sur le marché des télécommunications mobiles au Royaume-Uni, Three et O2 n’étaient pas des opérateurs de réseau mobile particulièrement proches, même si, sur un tel marché, tous les opérateurs sont, par définition, plus ou moins proches.

248    Toujours selon les chiffres présentés par la requérante lors de l’audience, et qui n’ont pas été contestés par la Commission, en ce qui concerne le report des clients de Three, [confidentiel] des clients ayant quitté Three, soit près de [confidentiel] que O2. Au total, [confidentiel] des clients délaissant Three choisissent un autre opérateur que O2.

249    S’il peut, certes, être établi que Three et O2 sont des concurrents relativement proches sur une partie des segments d’un marché concentré comptant quatre opérateurs de réseau mobile, ce seul élément ne saurait suffire à prouver, dans le cas d’espèce, l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre et ne saurait suffire pour établir une entrave significative à une concurrence effective, à moins d’interdire, par principe, toute concentration résultant en un passage de quatre opérateurs à trois.

250    Il convient donc d’accueillir la troisième branche du premier moyen, relative à la faible force probante de l’analyse de la proximité de la relation de concurrence entre Three et O2 dans le cas d’espèce.

d)      Sur l’évaluation des effets quantitatifs de la concentration sur les prix

251    Sur le fondement de son analyse quantitative sur la pression à la hausse attendue sur les prix (upward pricing pressure) (ci-après l’« analyse UPP »), la Commission conclut, au considérant 1225 de la décision attaquée, que « la concentration est susceptible d’inciter l’entité issue de la concentration à augmenter sensiblement les prix ».

252    Par la cinquième branche du premier moyen, la requérante avance deux griefs concernant l’analyse UPP. D’abord, elle fait valoir que cette analyse n’a pas la force probante que la Commission lui reconnaît. Ensuite, elle avance qu’une telle analyse n’a aucune force probante dans le cas d’espèce.

1)      Sur la force probante de l’analyse UPP en tant que premier « crible »

253    En premier lieu, selon la requérante, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation de la force probante de l’analyse UPP en l’utilisant, au considérant 1191 de la décision attaquée, comme une preuve concordante d’une entrave significative à une concurrence effective, alors que l’analyse UPP a pour but de fournir un premier « crible » afin de déterminer si une concentration mérite une enquête approfondie, et est par ailleurs contestée.

254    La Commission conteste cette argumentation.

255    Le Tribunal constate, à titre liminaire, que les indicateurs de pression à la hausse sur les prix, fondés sur les ratios de diversion et les marges des parties à une concentration, traduisent les incitations de ces dernières à augmenter les prix à l’issue de la concentration. Ils sont utilisés pour apprécier les effets non coordonnés des fusions, que l’on constate habituellement dans le cas de produits homogènes.

256    Il est généralement admis que, si les indicateurs de pression à la hausse sur les prix peuvent s’avérer utiles à des fins de filtrage, en permettant aux autorités de concurrence de juger de la nécessité d’une enquête plus approfondie, ils ne doivent en revanche pas être considérés comme des prévisions crédibles de hausses de prix ou des simulations de fusion.

257    La requérante affirme donc, à juste titre, que l’analyse UPP, en particulier, a initialement été mise au point en vue de fournir un premier « crible » afin de déterminer si une concentration mérite une enquête approfondie.

258    Il convient cependant de relever que, comme le souligne la Commission, son analyse quantitative, fondée sur une analyse GUPPI (gross upward pricing pressure index, à savoir, en français, pression brute à la hausse sur les prix), est plus élaborée qu’une simple analyse UPP, dans la mesure où elle est à même de tenir compte de la réaction probable des concurrents à une augmentation unilatérale des prix par l’entité issue de la concentration, comme cela est indiqué aux considérants 253 et 254 de l’annexe A de la décision attaquée.

259    Ce grief n’est donc pas fondé.

2)      Sur l’analyse UPP dans le cas d’espèce

260    En second lieu, selon la requérante, la Commission a également commis une erreur manifeste d’appréciation concernant les conclusions tirées de l’analyse UPP, dans la mesure où cette dernière prévoirait une hausse des prix dans toutes les concentrations horizontales et ne pourrait aboutir à des résultats utiles que si un seuil était défini au-delà duquel l’augmentation des prix prévue après l’opération serait considérée comme suffisamment significative. La Commission n’aurait pris en compte aucun de ces éléments dans la décision attaquée.

261    En dépit des imperfections de l’analyse UPP, son résultat ferait apparaître que la concentration ne soulèverait que peu de préoccupations concurrentielles, en comparaison notamment des résultats obtenus dans des affaires antérieures.

262    Pour ce qui est de l’argument de la requérante selon lequel les effets sur les prix prévus par l’analyse quantitative seraient moins importants que dans des affaires antérieures, la Commission indique y avoir répondu aux considérants 3056 à 3058 de la décision attaquée en démontrant que les effets sur les prix moyens dans ce cas précis se situent entre ceux qui étaient prévus dans les affaires irlandaise et allemande (voir point 164 ci-dessus).

263    En outre, selon la Commission, le fait que, en l’absence de gains d’efficacité ou d’autres facteurs qualitatifs compensatoires, l’analyse quantitative prédise toujours une hausse des prix, parfois même très faible, n’empêcherait pas de l’utiliser dans le cadre d’une appréciation globale du faisceau de preuves relatives à la probabilité que la transaction entraîne une entrave significative à une concurrence effective.

264    Premièrement, le Tribunal constate que la Commission reconnaît que son analyse quantitative repose sur un nombre limité de données clés, et notamment des ratios de diversion et des marges, mais fait valoir qu’il s’agirait d’indicateurs de marché essentiels, comme il est expliqué au considérant 1195 de la décision attaquée et au considérant 246 de l’annexe A de cette décision.

265    C’est pourquoi la Commission semble elle-même avoir fait preuve d’une certaine prudence dans la décision attaquée en ce qui concerne la force probante de son analyse quantitative.

266    En effet, d’une part, la Commission conclut, à l’issue de l’évaluation qualitative exposée aux considérants 1175 à 1190 de la décision attaquée, que la concentration entraînerait l’élimination de fortes contraintes concurrentielles sur le marché de détail, laquelle résulterait « vraisemblablement » en une hausse des prix. Cette évaluation qualitative est complétée par une analyse quantitative, résumée aux considérants 1191 à 1225 de la décision attaquée et détaillée à l’annexe A de ladite décision, dont la Commission tire la même conclusion.

267    D’autre part, la Commission précise, en substance, au considérant 250 de l’annexe A de la décision attaquée, que le résultat obtenu ne doit pas être envisagé comme une quantification exacte et précise de la hausse des prix pouvant résulter de l’opération, mais plutôt comme un « indicateur de probabilité » que cette dernière survienne.

268    Il s’ensuit que, ainsi qu’il ressort de la décision attaquée elle-même, l’analyse quantitative n’est pas considérée comme un élément de preuve déterminant. De ce fait, cette analyse ne saurait suffire pour démontrer, conformément aux exigences de preuve rappelées au point 118 ci-dessus, que l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties exerçaient l’une sur l’autre résulterait en une hausse significative des prix et, partant, en une entrave significative à une concurrence effective.

269    Deuxièmement, la requérante avance qu’il est nécessaire de définir un seuil au-delà duquel l’augmentation des prix prévue après l’opération sera considérée comme suffisamment significative.

270    À ce titre, il convient de relever que, au considérant 252 de l’annexe A de la décision attaquée, la Commission reconnaît qu’une analyse UPP prédira toujours, en l’absence de gains d’efficacité, une certaine hausse des prix à la suite d’une concentration horizontale qui élimine la concurrence entre les parties à la concentration.

271    La Commission fait cependant valoir, au considérant 252 de l’annexe A de la décision attaquée, que l’analyse quantitative relative à des hausses de prix ainsi que la force probante pouvant être accordée à une telle analyse varieront d’un cas à un autre.

272    De plus, l’ampleur de la hausse des prix ne serait qu’un des éléments pertinents pour l’appréciation globale faite par la Commission, en particulier dans les cas, comme celui-ci, dans lesquels un préjudice significatif est identifié dans le cadre de théories du préjudice distinctes, résultant de l’élimination de la concurrence horizontale entre les parties à la concentration. La Commission explique que, pour cette raison, elle n’a pas estimé nécessaire de définir un seuil au-delà duquel une augmentation des prix, indiquée par un élément de preuve particulier, serait significative.

273    Cet argument n’emporte toutefois pas la conviction du Tribunal, dès lors que, dans la présente affaire, la hausse des prix prévue serait, selon la requérante, non contredite sur ce point par la Commission, de [confidentiel], alors qu’une hausse des prix prévue de 6,6 % dans l’affaire irlandaise et de 9,5 % dans l’affaire allemande n’a pas empêché à la Commission d’autoriser ces opérations sous réserve du respect de certaines conditions.

274    Troisièmement, à supposer même que la Commission eût, à suffisance de droit, prouvé, dans la décision attaquée, que la concentration serait susceptible d’inciter l’entité issue de la concentration à augmenter les prix et eût quantifié ladite hausse de prix dans la décision attaquée, elle n’a, en tout état de cause, pas démontré, dans le cas d’espèce, que la hausse des prix quantifiée serait significative.

275    En effet, sans qu’il y ait lieu d’imposer à la Commission d’adopter une règle « de minimis » ou une « zone de sécurité » (safe harbour) en matière de hausse des prix dans le cadre de la démonstration des effets anticoncurrentiels éventuels d’une concentration, il lui incombe, en tout état de cause, d’établir cette hausse avec un degré de probabilité suffisamment élevé. Lorsqu’elle décide d’utiliser à cet effet des analyses quantitatives, telles que celles effectuées à l’annexe A de la décision attaquée, elle doit tenir compte de tous les facteurs pertinents qui peuvent influer sur le niveau de prix.

276    Il y a lieu de constater que, en raison des conditions de concurrence existant sur un tel marché, les concentrations intervenant dans un marché oligopolistique ont tendance à générer de façon quasi mécanique une hausse des prix à court terme, en raison de la disparition de la relation de concurrence entre les parties à la concentration. Ce n’est qu’à moyen terme que la concurrence externe, en provenance des acteurs déjà présents sur le marché ou, en fonction de l’importance des barrières à l’entrée, exercée par de nouveaux acteurs, contraindra la nouvelle entité à baisser ses prix.

277    De même, toute concentration entraînera des gains d’efficacité dont l’ampleur dépend également de la pression concurrentielle externe. Ces gains découlent notamment de la rationalisation et de l’intégration des processus de production et de distribution par l’entité issue de la concentration. En effet, celle-ci procédera généralement à l’élimination des structures doubles ou redondantes dans les chaînes de production et de distribution ainsi qu’au redéploiement ou au licenciement de personnel. Selon les circonstances, ces efforts de rationalisation peuvent amener l’entité issue de la concentration à baisser ses prix.

278    Or, force est de constater que la Commission n’a pas inclus ces gains d’efficacité standards dans son analyse quantitative, en estimant, aux considérants 1197 et 1223 de la décision attaquée, qu’il appartenait à la partie notifiante d’en démontrer l’existence et en se référant à cet effet à la section 8.5 de la décision attaquée relative aux efficiences.

279    La Commission confond ainsi deux types d’efficiences, à savoir celles qui sont visées à la section VII des lignes directrices et celles propres à chaque concentration. En effet, les efficiences au sens des lignes directrices doivent être prises en considération dans l’appréciation concurrentielle globale de la concentration, afin de vérifier si elles sont susceptibles de contrebalancer les effets restrictifs de la concentration. En revanche, la catégorie d’efficiences dont il est question en l’espèce n’est qu’une composante d’un modèle quantitatif qui vise à établir si une concentration est susceptible de produire de tels effets restrictifs. Il s’agit donc d’une question de preuve relative à l’existence d’effets restrictifs qui se pose en amont de l’appréciation concurrentielle globale au sens du point 76 des lignes directrices.

280    Par ailleurs, le Tribunal constate qu’il ressort des preuves soumises lors de la procédure administrative que, si une corrélation positive peut être établie entre les concentrations opérant un passage de quatre opérateurs à trois dans le secteur des télécommunications mobiles et une hausse des prix, une corrélation peut également être établie entre lesdites concentrations et une augmentation des investissements dans les réseaux par opérateur de réseau mobile [voir notamment l’étude du Centre on Regulation in Europe (CERRE) de Genakos C., Valletti T., Verboven F., CERRE, Bruxelles, 2015, intitulée « Evaluating Market Consolidation in Mobile Communications », dont il est fait mention notamment aux points 1, 64 à 68, 71, 72, 76 à 80 et 108 de l’annexe B de la décision attaquée].

281    Si une augmentation des investissements par opérateur ne signifie pas nécessairement une meilleure qualité de réseau, comme le souligne la Commission au point 79 de l’annexe B de la décision attaquée, une telle corrélation est plus probable que l’hypothèse inverse, qui consisterait en une dégradation de la qualité du réseau. La Commission, à qui incombe la charge de la preuve, n’a, à cet égard, pas prouvé dans la décision attaquée, conformément aux exigences de preuves applicables, sa thèse d’une dégradation de la qualité du réseau, sur laquelle est fondée en partie sa deuxième théorie du préjudice, visant à démontrer une entrave significative à une concurrence effective.

282    Il convient, par conséquent, de conclure que l’analyse quantitative effectuée dans le cas d’espèce manque de force probante, dès lors que la Commission n’a pas démontré avec une probabilité suffisante que les prix subiraient une hausse « significative » à la suite de l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre.

283    Au vu de ce qui précède, la cinquième branche du premier moyen doit être accueillie.

e)      Sur l’évaluation globale des effets non coordonnés

284    Par la septième branche du premier moyen, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas procédé à une évaluation globale de l’existence d’effets non coordonnés, ce qui constituerait une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation. De même, elle ne préciserait pas sur quelle base elle a conclu, aux considérants 1226 et 1227 de la décision attaquée, que les prétendues contraintes levées par la concentration seraient importantes au sens du point 25 des lignes directrices et que les prétendues entraves à la concurrence résultant de la concentration seraient significatives au sens de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, confondant la réduction de la concurrence entre Three et O2 avec l’élimination de fortes contraintes concurrentielles.

285    La Commission répond qu’elle a bien procédé à une appréciation globale des effets non coordonnés probables de la concentration, en présentant, en premier lieu, son évaluation qualitative, aux considérants 1175 à 1190 de la décision attaquée, en deuxième lieu, l’appréciation globale de l’évaluation quantitative, aux considérants 1191 à 1225 de la décision attaquée, et, en troisième lieu, la conclusion générale, aux considérants 1226 et 1227 de la décision attaquée.

286    À cet égard, il convient d’examiner si la Commission a concrétisé ou précisé dans la décision attaquée dans quelle mesure les effets non coordonnés seraient à ce point importants qu’ils justifieraient la conclusion que la concentration entraverait de façon « significative » une concurrence effective, comme l’exige l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.

287    Or, afin de démontrer l’existence d’effets non coordonnés sur le marché de détail, la Commission a examiné successivement différents facteurs aux considérants 330 à 1174 de la décision attaquée et résumé son évaluation qualitative et quantitative aux considérants 1175 à 1225 de ladite décision. Elle a ensuite procédé à une appréciation globale aux considérants 1226 et 1227 de la décision attaquée pour y conclure à l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective. Ainsi la décision attaquée contient effectivement une appréciation globale de l’existence de tels effets non coordonnés, contrairement à ce que fait valoir la requérante.

288    Toutefois, cette appréciation globale se limite à une référence sommaire au faisceau de preuves et de circonstances qui concernent notamment l’élimination d’un important moteur de la concurrence par la concentration, l’étroitesse de la relation de concurrence et la part de marché élevée de la nouvelle entité, et qui visent ainsi à démontrer l’existence d’effets non coordonnés.

289    Indépendamment de la valeur probante de ce faisceau de preuves et de circonstances, force est de constater que la Commission n’a à aucun moment précisé, dans la décision attaquée, si les effets non coordonnés identifiés seraient « significatifs » ou aboutiraient en l’espèce à une entrave significative à une concurrence effective, comme elle l’affirme au considérant 1227 de la décision attaquée.

290    Il convient dès lors d’accueillir l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’a pas précisé sur quelle base elle a conclu que les prétendues entraves à la concurrence résultant de la concentration seraient significatives.

291    Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le premier moyen sans qu’il soit besoin d’examiner les sixième et septième branches de celui-ci.

D.      Sur la deuxième théorie du préjudice, relative aux effets non coordonnés produits par le bouleversement des accords de partage de réseau

1.      Résumé de la décision attaquée

292    Au cours de la procédure devant la Commission, la requérante a notamment présenté deux plans de consolidation des réseaux : le « plan [A] » et le « plan [B] » . Ces plans de consolidation étaient fondés sur l’existence de deux accords de partage de réseau, d’une part, entre BT/EE et Three, c’est-à-dire MBNL, et, d’autre part, entre Vodafone et O2, c’est-à-dire Beacon.

293    MBNL comprend un partage « passif », couvrant un réseau d’environ [confidentiel] sites, et un partage actif de la seule technologie 3G, [confidentiel]. MBNL est donc essentiellement un accord de partage passif. MBNL autorise les développements unilatéraux.

294    Quant à Beacon, il comprend un partage au sein de Cornestone Telecommunications Infrastructure Ltd, prévu pour couvrir environ [confidentiel], et un partage actif par lequel chaque partie fournit un réseau actif dans une moitié du pays (Vodafone couvrant l’ouest du pays et O2 l’est du pays), et s’appuie sur le réseau de l’autre partie dans l’autre moitié du pays. Le partage actif porte sur les technologies 2G, 3G et 4G [confidentiel]. Beacon est donc [confidentiel]. Beacon contient certaines dispositions d’exclusivité.

295    Aux considérants 1229 à 1234 de la décision attaquée, la Commission énonce ses deux sous-théories du préjudice relatives aux accords de partage de réseau.

296    Selon la Commission, les partenaires de chacun des deux accords de partage de réseau ont aujourd’hui une bonne raison de développer conjointement les éléments partagés de leurs réseaux afin que le réseau partagé soit meilleur que celui des autres opérateurs de réseau mobile, et notamment des opérateurs de réseau mobile ayant conclu l’autre accord de partage de réseau. L’opération ferait disparaître cette dynamique concurrentielle, dans la mesure où l’entité issue de la concentration serait partie aux deux accords et où Vodafone et BT/EE ne disposeraient plus d’un partenaire pleinement engagé au sein de Beacon et de MBNL respectivement.

297    L’un des préjudices est relatif à l’affaiblissement de la position compétitive des deux partenaires respectifs aux accords de partage de réseau qui lient les parties à la concentration. Au considérant 1231 de la décision attaquée, la Commission constate que les réseaux mobiles sont une infrastructure cruciale pour les opérateurs de réseau mobile afin d’offrir des services de télécommunication mobile à leurs clients.

298    Or, selon la Commission, la qualité de ces réseaux est un facteur déterminant pour la concurrence. C’est pourquoi l’une des sous-théories du préjudice, résumée au considérant 1232 de la décision attaquée, concerne une réduction de la concurrence exercée de la part de l’un ou de l’autre ou des deux autres opérateurs de réseau mobile qui sont liés aux parties à la concentration par l’intermédiaire d’accords de partage de réseau, ce qui pourrait conduire à une entrave significative à la concurrence effective sur un marché oligopolistique, avec un nombre limité d’acteurs et des barrières importantes à l’entrée.

299    L’autre préjudice potentiel serait, selon la Commission, causé par le fait que la situation de partage de réseau qui résulterait de la transaction mènerait à une baisse des investissements à l’échelle du secteur de l’infrastructure des réseaux. En effet, au considérant 1233 de la décision attaquée, la Commission fait valoir que la transaction pourrait conduire à une baisse des synergies qui affecterait les partenaires des accords de partage de réseau et permettrait un comportement d’investissement opportuniste de l’entité issue de la concentration, ce qui réduirait les investissements à l’échelle du secteur, et, par conséquent, le degré de concurrence effective qui aurait prévalu en l’absence de transaction. Pour cette raison également, la transaction pourrait conduire à une entrave significative à la concurrence effective sur un marché oligopolistique, avec un nombre limité d’acteurs et des barrières importantes à l’entrée.

300    C’est à la lumière de ces deux sous-théories du préjudice que la Commission a examiné, aux considérants 1244 à 1784 de la décision attaquée, les plans de consolidation des réseaux de la requérante, après avoir expliqué en détail, aux considérants 1235 à 1243 de ladite décision, l’importance d’un alignement des intérêts entre les parties à un accord de partage de réseau.

301    Dans le cadre du plan [A], l’entité issue de la concentration conviendrait [confidentiel] (considérants 1373 à 1381 de la décision attaquée).

302    Dans le cadre du plan [B], l’entité issue de la concentration [confidentiel] (considérants 1382 à 1385 de la décision attaquée).

303    Les deux plans [confidentiel].

304    Au considérant 1246 de la décision attaquée, la Commission a énoncé la thèse centrale qui sous-tend son évaluation des possibles développements du marché à la suite de l’opération, à savoir qu’un bouleversement durable du bon fonctionnement d’un accord de partage de réseau est susceptible de constituer une entrave à la concurrence exercée de la part du partenaire à un tel accord.

305    À cet égard, la Commission a indiqué, au considérant 1229 de la décision attaquée, que, en général, le partage de réseau peut avoir des effets pro-compétitifs, en atteignant des synergies en matière de coûts dans le développement et l’opération de réseaux mobiles, qui, à leur tour, peuvent permettre aux opérateurs de réseau mobile d’atteindre une meilleure couverture et une meilleure qualité du réseau, promouvant ainsi une concurrence effective au bénéfice des citoyens et de la société en général.

306    Au considérant 1230 de la décision attaquée, la Commission indique que, étant donné que ces objectifs ont été atteints par des accords de partage de réseau conclus entre les parties à une concentration avec un autre opérateur, il s’agit d’examiner dans quelle mesure la transaction est susceptible d’influencer la poursuite de l’objectif d’une concurrence effective au bénéfice des consommateurs.

307    S’agissant du plan [A], aux considérants 1567 et 1778 de la décision attaquée, la Commission a conclu que ce plan présenté par les parties à la concentration aurait un impact négatif sévère sur la position concurrentielle de BT/EE en augmentant ses coûts pour maintenir le réseau MBNL et l’améliorer et en dégradant la qualité du réseau MBNL, notamment en retardant ou en faisant obstacle aux investissements de BT/EE. La Commission a conclu, au considérant 1778 de la décision attaquée, que le plan [A] serait susceptible de résulter en un préjudice significatif concernant la capacité de BT/EE de livrer concurrence sur les marchés des télécommunications mobiles au Royaume-Uni.

308    Une telle baisse de la pression compétitive aurait, selon la Commission, vraisemblablement pour effet d’entraîner une entrave significative à une concurrence effective sur un marché oligopolistique, avec un nombre limité d’acteurs et des barrières importantes à l’entrée.

309    Cette conclusion serait corroborée, notamment, par le considérant 1247 de la décision attaquée, qui indique que le fait d’augmenter les coûts de maintien et d’expansion du réseau actuel ou de la réalisation d’un standard d’un réseau futur pourrait entraver de manière significative la position concurrentielle de Vodafone et de BT/EE. L’augmentation des coûts différentiels (incremental costs) serait susceptible d’entraîner une hausse des prix et un préjudice pour les consommateurs. L’augmentation des coûts fixes entraînerait probablement, selon la Commission, une baisse des investissements, car des coûts fixes plus élevés rendraient non rentables des investissements qui seraient rentables si les coûts fixes étaient inférieurs. Une diminution des investissements dans la qualité du réseau serait donc susceptible de réduire la qualité du réseau par rapport à la situation en l’absence de la transaction.

310    Au considérant 1679 de la décision attaquée, la Commission concède que l’augmentation des coûts pour un opérateur concurrent ne mène pas nécessairement à une entrave à la concurrence. Cependant, si une augmentation des coûts mène à moins d’investissements, ou à une détérioration dans la qualité des services offerts sur le marché, ou si elle est répercutée sur les consommateurs par le biais d’une augmentation des prix, elle réduit, selon la Commission, la pression compétitive d’un tel opérateur sur le marché.

311    Or, des coûts différentiels plus élevés résulteraient vraisemblablement en des prix plus élevés, tandis que des coût fixes plus élevés résulteraient vraisemblablement en une baisse de la qualité du réseau. Dans le cadre de marchés oligopolistiques avec un nombre limité d’acteurs, il serait hautement probable qu’une perte de la pression compétitive d’un opérateur se traduise en une perte globale de la concurrence sur ce marché.

312    Quant au plan [B], la Commission a conclu qu’il risquerait de nuire sérieusement à la capacité de Vodafone et, dans une moindre mesure, de BT/EE de livrer concurrence sur les marchés des télécommunications mobiles au Royaume-Uni (considérants 1568 à 1749 et 1779 de la décision attaquée).

313    En particulier, la Commission considère [confidentiel] (considérants 1605 à 1652 de la décision attaquée). En outre, il y aurait un risque de dégradation de la qualité du réseau de Vodafone à la suite d’une possible congestion temporaire du réseau [confidentiel] (considérants 1660 à 1667 de la décision attaquée). Enfin, la Commission examine l’augmentation potentielle des coûts et leur incidence sur [confidentiel] (considérants 1668 à 1724 de la décision attaquée).

314    Selon la Commission, le plan [B] est également susceptible d’accroître la transparence relative aux investissements effectués dans le réseau, ce qui risquerait de réduire le niveau global des investissements dans l’infrastructure de réseau au Royaume-Uni (considérants 1725 à 1742 de la décision attaquée).

315    La Commission a également envisagé cinq autres scénarios d’intégration et conclut que, dans tous les cas envisagés, l’opération porterait atteinte à la position concurrentielle de l’un ou des deux partenaires des parties à la concentration dans les accords de partage de réseau (considérants 1386 à 1389 et 1750 à 1776 de la décision attaquée).

316    Par conséquent, aux considérants 1777 à 1784 de la décision attaquée, la Commission conclut que l’opération est susceptible de réduire la pression concurrentielle exercée par l’un des opérateurs de réseau mobile, ou par les deux, qui sont partenaires des parties à la concentration dans les accords de partage de réseau.

317    Au considérant 1777 de la décision attaquée, la Commission conclut que la mise en œuvre des plans de consolidation des réseaux tels qu’ils lui ont été présentés par les parties notifiantes, à la suite de la réduction d’opérateurs de réseau mobile, porterait de manière significative préjudice à la position compétitive de l’un ou de l’autre ou des deux partenaires aux accords de partage de réseau, à savoir BT/EE ou Vodafone.

318    De plus, la Commission note qu’aucun de ces plans de consolidation ne comporte d’engagement de mise en œuvre, ainsi que cela lui aurait été présenté. Prenant également en compte les cinq autres scénarios d’intégration possibles, mentionnés au point 315 ci-dessus, la Commission conclut, au considérant 1780 de la décision attaquée, que, dans tous les cas de figure, la transaction porterait préjudice à la position compétitive de l’un ou de l’autre ou des deux opérateurs de réseau mobile, partenaires des parties à la concentration aux accords de partage de réseau.

319    C’est pourquoi la Commission estime, au considérant 1781 de la décision attaquée, que la transaction serait susceptible de réduire la pression compétitive exercée soit par BT/EE, soit par Vodafone, soit par les deux opérateurs de réseau mobile qui sont partenaires des parties à la concentration aux accords de partage de réseau.

320    En outre, la Commission considère, relativement à sa deuxième sous-théorie du préjudice exposée au point 299 ci-dessus et au considérant 1233 de la décision attaquée, que la situation de partage de réseau qui résulterait de la transaction conformément au plan [B] conduirait probablement à une baisse des investissements à l’échelle du secteur de l’infrastructure des réseaux, ce qui réduirait le degré de concurrence effective qui aurait prévalu en l’absence de transaction.

321    Par conséquent, la Commission conclut, au considérant 1783 de la décision attaquée, que, en raison de la pression concurrentielle réduite exercée par l’un ou les deux autres opérateurs de réseau mobile et par le niveau plus faible des investissements à l’échelle de l’industrie dans l’infrastructure de réseau qui résulterait de certains plans de consolidation du réseau qu’elle a examinés, l’opération est susceptible d’entraîner des effets anticoncurrentiels non coordonnés sur le marché de détail des services de télécommunications mobiles au Royaume-Uni.

322    Au considérant 1784 de la décision attaquée, la Commission conclut, en substance, que, étant donné que de tels effets ne peuvent pas être compensés par le pouvoir d’achat, l’entrée sur le marché ou des efficacités qui en résulteraient, la transaction porterait atteinte de manière significative à la concurrence dans un marché oligopolistique avec un nombre limité de concurrents et des barrières élevées à l’entrée.

2.      Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs eu égard aux effets horizontaux non coordonnés produits par le partage de réseau

323    Par son troisième moyen, la requérante soutient que la Commission a, dans la décision attaquée, commis des erreurs de fait et de droit ainsi que des erreurs manifestes d’appréciation et a violé les formes substantielles eu égard aux effets non coordonnés qui seraient produits par le partage de réseau, en particulier en ce qui concerne la nécessité et l’étendue de la convergence entre les parties aux accords de partage de réseau (première branche), l’évolution des deux accords de partage de réseau existants dans le scénario contrefactuel (deuxième branche), la capacité de Three à faire obstacle aux déploiements unilatéraux de BT/EE ou à les retarder (troisième branche), l’incidence négative éventuelle de la concentration sur les concurrents et non sur la concurrence (quatrième branche), le préjudice à la position concurrentielle de BT/EE et de Vodafone (cinquième branche), l’incidence d’une transparence renforcée sur l’investissement global dans les réseaux (sixième branche) et l’évaluation des engagements relatifs au partage de réseau (septième branche).

324    La Commission, soutenue par le Royaume-Uni et BT/EE, conteste les arguments de la requérante.

a)      Sur la convergence entre les parties aux accords de partage de réseau

325    Dans le cadre de la première branche du troisième moyen, la requérante fait valoir que la théorie de la convergence serait à la fois nouvelle, n’ayant jamais été évoquée dans les concentrations antérieures dans le secteur des télécommunications, et paradoxale, en ce qu’elle impliquerait que la convergence entre les parties aux accords de partage de réseau serait préférable à la concurrence résultant de la concentration, ce qui serait contraire à la notion de concurrence et contredit par les propres constatations de la Commission relatives aux mesures correctives proposées par la requérante.

326    La Commission avance, s’agissant du prétendu caractère inédit de la théorie de la convergence, que le fait qu’elle n’a pas soulevé de préoccupations similaires dans des affaires précédentes s’expliquerait par la spécificité des accords de partage de réseau en cause dans le cas d’espèce. À cet égard, BT/EE ajoute que la théorie de la convergence aurait déjà été identifiée dans l’affaire COMP/M.5650 – T‑Mobile/Orange, dans laquelle la Commission aurait conclu que T‑Mobile pourrait, après la concentration, tenter de détériorer la qualité du radio access network (RAN, à savoir, en français, « réseau d’accès radio ») de Three dans le cadre de MBNL.

327    S’agissant du prétendu caractère paradoxal de la théorie de la convergence, la Commission, soutenue sur ce point par le Royaume-Uni, fait valoir que son appréciation de la convergence d’intérêts ne serait aucunement paradoxale. Si l’existence des accords de partage de réseau a pour effet de créer des points communs entre les parties auxdits accords, lesquels peuvent être favorables à la concurrence lorsque les accords se traduisent, notamment, par des synergies de coûts ou l’amélioration du réseau, les parties auxdits accords conserveraient généralement leur capacité à entrer en concurrence les unes avec les autres sur des paramètres significatifs, y compris les prix. La décision attaquée ne ferait pas référence à un alignement ou à une coordination de comportements, mais à un alignement d’intérêts, concernant le fait de disposer d’un réseau permettant d’exercer une concurrence effective.

1)      Sur le caractère nouveau de la théorie du préjudice sur les accords de partage de réseau

328    Sur le caractère novateur de la théorie du préjudice sur les accords de partage de réseau, développé à titre introductif dans le cadre de la première branche du troisième moyen, le Tribunal constate qu’il ressort des considérants 1242 et 1243 de la décision attaquée que la nécessité et l’importance d’un alignement des intérêts entre les parties à un accord de partage de réseau avaient été soulevées par 3UK devant la Commission dans ses observations sur la concentration notifiée dans l’affaire M.5650 – T‑Mobile/Orange.

329    Toutefois, la théorie du préjudice de la Commission dans l’affaire M.5650 – T‑Mobile/Orange était fondée non pas sur l’alignement ou la rupture des intérêts entre les parties à l’accord de partage de réseau, mais sur la nécessité de garantir l’accès d’une entreprise déterminée au réseau qu’elle partagerait avec une autre firme, alors que cette dernière avait conclu avec une entreprise tierce une transaction pouvant compromettre l’accès de la première audit réseau. Pour cette raison, afin de dissiper les doutes sérieux identifiés par la Commission, les parties à la concentration avaient, au titre de l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, pris des engagements envers 3UK relatifs à la durée de l’accord de partage de réseau MBNL, qui a été prolongée [confidentiel], et à l’instauration d’un mécanisme de règlement rapide des différends.

330    Il s’ensuit que la théorie du préjudice de la Commission dans la présente affaire, fondée sur la nécessité d’éviter un bouleversement de l’alignement des intérêts des parties à chaque accord de partage de réseau et le maintien de la stabilité desdits accords, est nouvelle au regard de sa pratique décisionnelle antérieure.

331    Toutefois, le simple fait qu’une théorie du préjudice formulée par la Commission dans une décision soit novatrice ne conduit pas, en soi, à la conclusion qu’elle est, en tant que telle, improbable ou dépourvue de fondement. Comme le souligne à juste titre BT/EE, la Commission n’a pas à limiter son analyse aux théories du préjudice développées dans des décisions antérieures.

332    De plus, et ainsi qu’il ressort du point 111 ci-dessus, plus l’analyse est prospective et les enchaînements de cause à effet mal discernables, incertains et difficiles à établir, plus le juge de l’Union doit être exigeant quant à l’examen concret des preuves produites à cet égard par la Commission.

2)      Sur le caractère prétendument paradoxal et erroné de la théorie de la convergence des intérêts et sur le bouleversement des accords de partage de réseau

333    La requérante fait valoir que la conclusion de la Commission, aux considérants 1238 et 1239 de la décision attaquée, selon laquelle MBNL et Beacon seraient « basés sur un certain degré de convergence des intérêts » que la concentration risquerait de bouleverser, est entachée d’erreurs.

334    La requérante allègue notamment qu’un assouplissement des liens dans MBNL et Beacon après la concentration pourrait favoriser une plus grande concurrence entre les parties à ces accords et renforcerait la concurrence entre les réseaux.

335    La Commission conteste ces arguments, en affirmant, en substance, que les accords de partage de réseau jouent un rôle important dans le secteur des télécommunications mobiles, en particulier au Royaume-Uni, où une appréciation de la convergence des intérêts ne serait aucunement paradoxale. La décision attaquée ne ferait pas référence à un alignement ou à une coordination de comportement, mais à un alignement d’intérêts, concernant le fait de disposer d’un réseau permettant d’exercer une concurrence effective.

336    À cet égard, le Tribunal constate, à titre liminaire, qu’il peut d’emblée souscrire à une partie de la théorie du préjudice de la Commission, résumée au considérant 1232 de la décision attaquée, en ce que la réduction de la concurrence exercée de la part d’un opérateur de réseau mobile, qui est lié aux parties à la concentration par l’intermédiaire d’accords de partage de réseau, pourrait, dans certains cas, conduire à une entrave significative à la concurrence. Ce serait, par exemple, le cas d’une entreprise perturbatrice, qui serait dépendante d’un accord de partage de réseau pour pouvoir asseoir son entrée sur le marché afin de pouvoir offrir ses services, et qui risquerait d’être forclose du marché à la suite de la concentration.

337    Ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 296 ci-dessus, selon la Commission, les partenaires de chacun des deux accords de partage de réseau préexistants au Royaume-Uni, à savoir BT/EE et Vodafone, ont aujourd’hui une bonne raison de développer conjointement les éléments partagés de leurs réseaux afin que le réseau partagé soit meilleur que celui des autres opérateurs de réseau mobile, et notamment des opérateurs de réseau mobile ayant conclu l’autre accord de partage de réseau. Selon la Commission, l’opération ferait ainsi disparaître cette dynamique concurrentielle, dans la mesure où l’entité issue de la concentration serait, en tout état de cause, à court ou à moyen terme, partie aux deux accords de partage de réseau et où Vodafone et BT/EE ne disposeraient plus d’un partenaire pleinement engagé au sein de Beacon et MBNL respectivement.

338    En résumé, la première sous-théorie du préjudice développée par la Commission suppose, comme celle-ci l’affirme elle-même aux considérants 1777 à 1783 de la décision attaquée, que la transaction porterait préjudice à la position compétitive de l’un ou de l’autre ou des deux opérateurs de réseau mobile, et serait ainsi susceptible de réduire la pression compétitive exercée soit par BT/EE, soit par Vodafone, soit par les deux opérateurs de réseau mobile qui sont partenaires des parties à la concentration dans les accords de partage de réseau. Le Tribunal rappelle à cet égard que la concurrence fondée sur les infrastructures peut être un élément important pour assurer la qualité des services sur le marché des télécommunications mobiles.

339    Selon la pratique décisionnelle de la Commission relative à l’article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE, les accords de partage de réseau, qui comportent la mise en commun de certaines infrastructures, présentent, de ce point de vue, des risques concurrentiels variables selon le contexte et le type de partage actif ou passif. Selon la modalité choisie de coopération, l’autonomie des opérateurs et le risque de collusion sont plus ou moins sérieux et les risques d’atteinte à la concurrence plus ou moins importants. En même temps, les accords de partage de réseau peuvent produire des avantages économiques substantiels en termes d’économie des coûts, une meilleure couverture et un déploiement du réseau plus rapide [voir, notamment, les décisions 2003/570/CE de la Commission, du 30 avril 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE – Affaire COMP/38.370 – O2 UK Limited/T‑Mobile UK Limited (« UK Network Sharing Agreement ») (JO 2003, L 200, p. 59), et 2004/207/CE de la Commission, du 16 juillet 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38.369 – T‑Mobile Deutschland et O2 Germany : accord-cadre sur le partage de réseau) (JO 2004, L 75, p. 32)].

340    Le Tribunal constate que le fait qu’un accord de partage de réseau peut, lorsqu’il est conclu, entraîner des effets pro-concurrentiels, contrebalançant ainsi les restrictions qu’il comporte, n’implique pas nécessairement que la résiliation, la renégociation, ou que chaque changement ultérieur dans son équilibre, à l’issue d’une concentration, puisse nécessairement être qualifié d’entrave significative à une concurrence effective.

341    En effet, une telle appréciation du nouvel équilibre concurrentiel sur le marché, en raison notamment de l’existence de tels accords de partage de réseau, dépend des possibles effets pro-concurrentiels ou anticoncurrentiels de la nouvelle situation, qui est susceptible d’être évaluée de manière séparée et individuelle par la Commission ou par les autorités de concurrence nationales, au regard notamment de l’évolution du marché, ainsi que l’a souligné, par ailleurs, l’Ofcom à plusieurs reprises au cours de la procédure administrative devant la Commission, tel qu’il ressort des annexes du mémoire d’intervention du Royaume-Uni, soumises au Tribunal.

342    Or, comme le souligne la requérante en réponse au mémoire en intervention du Royaume-Uni sur ce point, la capacité concurrentielle et les incitations à investir de BT/EE et de Vodafone ne dépendraient pas d’une manière décisive des décisions d’investissement de Three ou d’une augmentation des coûts, mais notamment du niveau de concurrence auquel elles feraient face, de leurs ressources financières et de leurs stratégies. Une réduction des incitations de Three à investir dans l’un ou l’autre des réseaux ne peut pas résulter seulement, et ce de manière significative, en l’affaiblissement de la capacité concurrentielle de l’autre partie à l’accord de partage de réseau.

343    Selon la Commission, tel serait toutefois notamment le cas si l’entité issue de la concentration décidait de se retirer de l’un des deux accords de partage de réseau pour se concentrer de manière exclusive sur l’autre, ainsi que l’a considéré la Commission dans deux hypothèses supplémentaires de consolidation des réseaux exposées aux considérants 1752 à 1756 de la décision attaquée pour la première, où il est envisagé que l’entité issue de la concentration dépendrait uniquement de MBNL, et aux considérants 1757 à 1759 de la décision attaquée pour la seconde, où il est envisagé que l’entité issue de la concentration dépendrait uniquement de Beacon. Dans ces deux cas, la Commission conclut, aux considérants 1755 et 1759 de la décision attaquée, que la réduction des investissements à l’échelle du secteur serait improbable.

344    Or, même si l’on admettait que de tels scénarios pourraient effectivement porter préjudice à la position concurrentielle soit de BT/EE, soit de Vodafone, force est de constater que ces effets anti-concurrentiels ne sauraient être qualifiés, dans le cas d’espèce, et en tant que tels, d’entraves significatives à une concurrence effective sur le marché des télécommunications mobiles au Royaume-Uni.

345    La conclusion contraire reviendrait en effet à permettre à la Commission d’interdire, par principe et sur ce seul fondement, toute concentration qui impliquerait le passage de quatre opérateurs à trois autre que celles qui seraient le cas échéant effectuées entre les partenaires d’accords de partage de réseau.

346    À cet égard, ainsi que le souligne à juste titre la requérante, un assouplissement des liens dans MBNL et Beacon après la concentration pourrait, tout autant, favoriser une plus grande concurrence sur les infrastructures entre les parties à ces accords et renforcer la concurrence entre les réseaux.

347    Dès lors, il y a lieu de constater qu’un possible désalignement des intérêts entre les partenaires à un accord de partage de réseau, un bouleversement des accords de partage de réseau préexistants dont la durée a été prolongée au bénéfice de Three, voire même leur résiliation, ne constituent pas, dans le cas d’espèce, et en tant que tels, une entrave significative à une concurrence effective dans le cadre d’une théorie du préjudice fondée sur des effets non coordonnés.

348    Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir la première branche du troisième moyen, en ce que la Commission a conclu, de manière erronée, qu’un bouleversement durable d’un accord de partage de réseau serait susceptible de constituer une entrave significative à la concurrence exercée de la part du partenaire à un tel accord.

b)      Sur les effets de la concentration sur les concurrents

349    Dans le cadre de la troisième branche du troisième moyen, la requérante soutient que la conclusion de la Commission, formulée au considérant 1522 de la décision attaquée, selon laquelle l’entité issue de la concentration serait susceptible de porter atteinte à BT/EE de manière significative en faisant obstacle à ses investissements dans les réseaux ou en les retardant, serait entachée d’erreurs.

350    La Commission aurait ainsi déclaré à tort, au considérant 1512 de la décision attaquée, [confidentiel].

351    Dans le cadre de la quatrième branche du troisième moyen, la requérante soutient que la Commission aurait commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en examinant les incidences de l’opération sur les concurrents, plutôt que sur la concurrence (considérant 1231 de la décision attaquée), afin d’établir une entrave significative à une concurrence effective.

352    Dans le cadre de la cinquième branche du troisième moyen, la requérante avance que les constatations de la Commission soutenant la conclusion que la concentration porterait atteinte à la position concurrentielle de BT/EE et de Vodafone ne reposeraient pas sur des éléments de preuve, mais sur de simples suppositions. La Commission aurait commis une erreur de droit et des erreurs manifestes d’appréciation résultant de l’absence de preuve d’un préjudice à la position concurrentielle de BT/EE et de Vodafone.

353    La Commission soutient que la requérante aurait isolé de leur contexte certains considérants de la décision attaquée, comme celui relatif à l’interruption d’un accord de partage de réseau (considérant 1246 de la décision attaquée). De plus, s’il est vrai qu’elle avait commencé par exposer les catégories de préjudice relevées par BT/EE et Vodafone (considérants 1249 à 1285 de la décision attaquée), elle les aurait ensuite analysées, au regard des observations de la requérante, dans le cadre du plan [A] (considérants 1391 à 1567 de la décision attaquée) et du plan [B] (considérants 1568 à 1748 de la décision attaquée).

354    À cet égard, le Royaume-Uni allègue que la conclusion de la Commission relative à l’interruption d’un accord de partage de réseau (considérant 1246 de la décision attaquée) serait inhérente à la nature et au fonctionnement des accords de partage de réseau. Il fait également valoir qu’il était justifié que la Commission, tout en effectuant une évaluation approfondie de l’impact potentiel de l’opération, tienne compte du point de vue de l’Ofcom sur les accords de partage de réseau existants (considérant 1722 de la décision attaquée).

355    En outre, la Commission allègue que, le marché de détail étant très concentré et la concurrence entre Three et O2 devant cesser à la suite de la concentration, toute réduction des niveaux de la concurrence effective susceptible d’être exercée par BT/EE ou Vodafone risquerait d’avoir un effet négatif sur la concurrence en général, comme cela est constaté au considérant 1679 de la décision attaquée, en particulier si le préjudice probable se manifestait par une réduction de la qualité de leur réseau. BT/EE soutient à cet égard qu’il ressort des considérants 1230 et 1529 à 1546 de la décision attaquée que la Commission était préoccupée par le fait que Three puisse affaiblir la position concurrentielle de BT/EE au motif que BT/EE contribuerait de manière significative à la concurrence.

356    Le Tribunal considère que les troisième, quatrième et cinquième branches du troisième moyen sont interdépendantes et peuvent être utilement examinées conjointement. Le Tribunal constate également, à titre liminaire, que la requérante a regroupé sous une même cinquième branche plusieurs griefs relatifs à l’évaluation des effets de l’opération sur BT/EE et Vodafone, sans faire de distinction nette entre le plan [A] et le plan [B].

357    C’est pourquoi le Tribunal examinera successivement les effets sur BT/EE et sur Vodafone, sachant que les effets sur BT/EE découlant du plan [A], constatés aux points 362 à 379 ci-après, apparaissent également, mais à un degré moindre, pour BT/EE dans le cadre du plan [B].

358    À titre liminaire, il y a lieu de constater que les effets non coordonnés de la concentration relativement à un possible exercice du pouvoir de marché, sous la forme d’une dégradation des services offerts ou de la qualité de son propre réseau par l’entité fusionnée, n’ont pas été analysés dans la décision attaquée.

359    Or, selon le considérant 25 du règlement 139/2004, l’évaluation d’une possible élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre, ainsi qu’une possible réduction des pressions concurrentielles sur les autres concurrents, est au cœur de l’évaluation des effets non coordonnés résultant de la concentration, ainsi qu’il a déjà été constaté aux points 96 et 97 ci-dessus.

360    En effet, les entraves à la concurrence, et donc le préjudice pour les consommateurs, résulteraient de la disparition de la relation concurrentielle existant entre les parties à la concentration et du fait qu’aucun concurrent restant ou entrant potentiel ne serait en mesure de concurrencer efficacement l’entité issue de la concentration. Au-delà des effets sur les prix, l’entité issue de la concentration ne faisant plus face aux pressions qui existaient antérieurement entre les parties à la concentration, la concentration aurait également des répercussions sur la qualité de l’offre et le choix offert aux clients (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2010, Ryanair/Commission, T‑342/07, EU:T:2010:280, point 224).

361    L’absence d’un examen approfondi de cette problématique constitue une faiblesse de l’analyse effectuée par la Commission dans la décision attaquée, qui nécessiterait, afin de prospérer, un raisonnement particulièrement solide et convaincant eu égard aux effets sur les concurrents.

1)      Sur les effets sur BT/EE

362    Premièrement, les règles de concurrence de l’Union sont principalement destinées à protéger le processus concurrentiel en tant que tel, et non les concurrents. À cet égard, la Commission a rappelé, à juste titre, dans ses lignes directrices sur l’appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2008, C 265, p. 6), que le fait qu’une concentration affecte les concurrents n’est pas en soi un problème. En particulier, le fait que les concurrents puissent être lésés du fait qu’une concentration génère des gains d’efficacité ne peut, en soi, donner lieu à des problèmes de concurrence.

363    Ce raisonnement est applicable par analogie dans le cadre d’une concentration horizontale, voire dans le cadre d’un oligopole restreint, comme c’est le cas en l’espèce.

364    En l’espèce, au considérant 1265 de la décision attaquée, la Commission expose que l’une des manières d’affaiblir la position concurrentielle d’un des partenaires aux accords de partage de réseau serait de dégrader la qualité de réseau de l’un ou de l’autre de ces deux accords. Cela semble, pour la Commission, particulièrement pertinent pour le partenaire à l’accord de partage de réseau qui ne constituera pas la base du réseau consolidé de l’entité issue de la concentration.

365    À titre d’exemple, il ressort des considérants 1430 et 1431 de la décision attaquée que, sous le plan [A], l’entité issue de la concentration prévoyait de ne pas utiliser [confidentiel] des sites MBNL. Néanmoins, elle resterait obligée de partager les coûts de ces sites en raison des engagements pris envers Three en 2009, dans le cadre de la concentration T‑Mobile/Orange (affaire COMP/M.5650), qui visaient à pallier les craintes exprimées par Three, [confidentiel].

366    Or, le maintien de l’obligation de partager les coûts relatifs aux sites devenant superflus dans le cadre de la présente concentration favoriserait la position concurrentielle de BT/EE, même si la Commission a conclu à juste titre que cela augmenterait les incitations des parties à la concentration à réduire de tels coûts. Toutefois, la détérioration éventuelle de l’incitation des parties à la concentration à continuer à investir dans ces sites redondants ne saurait affecter d’une manière disproportionnée la position concurrentielle de BT/EE ou constituer une entrave significative à une concurrence effective.

367    À cet égard, si l’augmentation des coûts pour un opérateur concurrent ne mène pas nécessairement à une entrave à la concurrence, comme l’a constaté, à juste titre, la Commission au considérant 1679 de la décision attaquée, il incombe, en tout état de cause, à la Commission de démontrer que sa théorie du préjudice est fondée sur un lien de causalité entre l’augmentation supposée des coûts fixes et celle des coûts différentiels, qui mènerait à moins d’investissements, à une détérioration de la qualité des services offerts sur le marché ou, s’ils étaient répercutés sur les consommateurs par le biais d’une augmentation des prix, à la réduction de la pression compétitive de BT/EE et de Vodafone sur le marché.

368    En l’espèce, force est de constater que la Commission n’a pas apporté la preuve d’un tel lien de causalité dans la décision attaquée, conformément aux exigences de preuves applicables dans le cas d’espèce, énoncées au point 111 ci-dessus.

369    À cet égard, rien dans la décision attaquée ne laisse supposer que, dans le cadre d’un marché oligopolistique dans le secteur des télécommunications, comportant un nombre limité d’acteurs, une perte de la pression compétitive d’un seul opérateur se traduirait de manière « hautement probable » en une perte globale de la concurrence sur ce marché, comme le fait valoir la Commission au considérant 1679 de la décision attaquée.

370    Deuxièmement, le Tribunal constate que, dans la mesure où il a déjà été établi au point 96 ci-dessus que, dans le cadre d’une théorie du préjudice fondée sur des effets non coordonnés, la concentration devait impliquer « l’élimination des fortes contraintes concurrentielles que les parties à la concentration exerçaient l’une sur l’autre », le seul effet de réduction de la pression concurrentielle qu’exerceraient les autres concurrents sur le marché, en termes de qualité, n’est pas, à lui seul, suffisant afin de démontrer une entrave significative à une concurrence effective.

371    Or, les conclusions de la Commission se limitent à constater que, en conséquence de la réduction de l’engagement de Three, BT/EE encourrait probablement, ou du moins s’attendrait à, des coûts plus élevés concernant la maintenance du réseau existant (considérants 1445 à 1455 de la décision attaquée) et l’amélioration du réseau (considérant 1530 de la décision attaquée).

372    En d’autres termes, la Commission n’a pas prouvé à suffisance de droit, dans la décision attaquée, qu’une possible augmentation des coûts réduirait la capacité de BT/EE à investir. Elle n’a pas non plus indiqué quels seraient les types d’investissements qui seraient touchés ou susceptibles d’être partagés par opposition à ceux qui ne le seraient pas. En effet, la décision attaquée semble reposer sur des hypothèses plus ou moins improbables concernant l’absence de toute réaction de BT/EE, qui cesserait tout simplement d’investir, à la suite d’une augmentation de ses coûts.

373    De plus, ainsi que le Tribunal l’a déjà constaté au point 280 ci-dessus, il ressort des preuves soumises au cours de la procédure administrative que, si une corrélation positive peut être établie entre les concentrations opérant un passage de quatre opérateurs à trois dans le secteur des télécommunications mobiles et une hausse des prix, une corrélation peut également être établie entre lesdites concentrations et une augmentation des investissements par opérateur de réseau mobile dans les réseaux.

374    Troisièmement, en ce qui concerne la possibilité que Three puisse faire obstacle aux déploiements unilatéraux de BT/EE, laquelle est développée aux considérants 1473 à 1522 de la décision attaquée, il convient de constater que ce raisonnement, tiré notamment des observations de BT/EE et d’une interprétation contestée de MBNL, n’est pas, en tant que tel, suffisant pour démontrer l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective dans le cas d’espèce en ce qui concerne le plan [A].

375    En effet, d’une part, un tel préjudice éventuel à la concurrence devrait être fondé non pas sur la possibilité que les parties à la concentration décident unilatéralement d’abaisser la qualité de leur propre réseau, mais sur les possibles effets de l’opération sur l’autre partenaire à l’accord de partage de réseau.

376    D’autre part, l’enchaînement de cause à effet est, dans cette hypothèse, particulièrement faible. En particulier, la thèse de la Commission repose sur l’affirmation selon laquelle, pour que le mécanisme d’entraves aux investissements de BT/EE puisse avoir lieu à l’initiative de Three,[confidentiel].

377    [confidentiel].

378    De plus, la thèse de la Commission supposerait que le mécanisme envisagé par les parties dans le cadre d’une relation de collaboration commerciale puisse facilement se prêter à des abus, qui permettraient de nuire sérieusement à un des deux partenaires. Enfin, elle supposerait qu’il n’y ait aucune possibilité de rétorsion effective de la part de BT/EE à l’égard de Three, en résiliant ou en renégociant l’accord MBNL, ou en demandant la révision auprès de la Commission des engagements pris envers Three rappelés au point 329 ci-dessus.

379    Le fait qu’une telle évolution soit envisageable d’un point de vue théorique n’implique pas qu’une telle chaîne d’événements se produirait de manière suffisamment réaliste et plausible et résulterait en l’impossibilité pour BT/EE d’offrir un niveau de service lui permettant de concurrencer utilement l’entité fusionnée.

2)      Sur les effets sur Vodafone

380    Le Tribunal constate, à titre liminaire, que le grief relatif aux effets sur Vodafone ne serait opérant que si le plan de consolidation du réseau alternatif était le plus probable dans le cas d’espèce, ce qui est contesté par la requérante.

381    Premièrement, le Tribunal relève, ainsi qu’il a déjà été constaté en ce qui concerne BT/EE, que le seul fait que Vodafone exercerait une pression concurrentielle moindre à la suite de la concentration n’est pas, à lui seul, suffisant pour établir une entrave significative à une concurrence effective dans le cas d’espèce.

382    Deuxièmement, en ce qui concerne les effets sur le réseau de Vodafone, le Tribunal constate que la Commission ne démontre pas, dans la décision attaquée, qu’une hausse des coûts aurait des effets sur les incitations de Vodafone à investir dans son réseau.

383    En effet, ainsi qu’il est constaté aux considérants 1680 et 1681 de la décision attaquée, il est vrai que [confidentiel].

384    Toutefois, de tels effets de la concentration, qui entraîneraient une [confidentiel], ce qui est a priori moins susceptible de favoriser la collusion, n’impliqueraient pas nécessairement une baisse des investissements de la part de Vodafone. En particulier, la Commission admet, au considérant 1643 de la décision attaquée, que Vodafone aurait la capacité d’absorber une hausse des coûts résultant de la concentration.

385    À cet égard, ainsi que le constate la Commission au considérant 1683 de la décision attaquée, la dégradation de la qualité du réseau n’est pas une conséquence d’une incapacité potentielle ou alléguée de la part de Vodafone d’effectuer les investissements nécessaires [confidentiel] de son propre chef, mais résulterait d’une décision économique que Vodafone serait appelée à prendre [confidentiel], selon un modèle de simulation présenté par Vodafone au cours de la procédure administrative.

386    Or, la théorie du préjudice de la Commission repose notamment sur les incitations de Vodafone à restreindre les investissements dans son propre réseau sur la base de la modélisation de Vodafone, ce qui laisse penser que [confidentiel] serait justifié sur le plan économique (considérant 1643 de la décision attaquée).

387    En l’espèce, la Commission fait valoir, en substance, au considérant 1645 de la décision attaquée, que « [confidentiel] de couverture dans un marché où tous les opérateurs en assurent [confidentiel] réduira de manière significative la compétitivité des tarifs offerts par Vodafone ».

388    S’il est permis de douter qu’un tel effet, qui découlerait non pas de décisions futures de l’entité issue de la concentration, mais de l’un de ses concurrents, puisse être considéré comme une conséquence directe et immédiate de la concentration, la Commission n’a, en tout état de cause, pas prouvé, dans la décision attaquée, à suffisance de droit et conformément à l’exigence de preuve applicable, qu’une telle décision de la part de Vodafone résulterait de manière suffisamment réaliste et plausible de la concentration, modifierait les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur les marchés affectés et entraverait, dans le cas d’espèce, de manière « significative », la concurrence effective sur le marché concerné.

389    À cet égard, la Commission ne parvient pas à prouver dans la décision attaquée sur quel fondement, alors que la capacité de Vodafone à couvrir l’augmentation des coûts n’est pas contestée, celle-ci choisirait volontairement de dégrader la qualité de son propre réseau ou de ne pas investir dans celui-ci.

390    Or, à supposer même qu’il en irait ainsi, l’appréciation de la qualité comme l’un des vecteurs de la concurrence est souvent un exercice complexe et imprécis, qui requiert, dans chaque cas d’espèce, une mise en balance des moyens de perception des différents consommateurs, et ce notamment dans les industries à haute technologie.

391    À supposer même que Vodafone décide donc volontairement, et sur le fondement de la rentabilité de ses sites, de réduire à [confidentiel] son taux de couverture du réseau dans un marché où tous les autres opérateurs seraient tenus d’assurer un taux de couverture du réseau de [confidentiel], il semble, dans le cas d’espèce, plus probable que Vodafone se retirerait et dégraderait son réseau uniquement dans les régions les moins peuplées, et donc les moins rentables.

392    Or, même à considérer qu’une dégradation de la qualité du réseau alléguée par la Commission doive se produire à la suite d’une décision commerciale de Vodafone de ne pas investir dans des sites à rentabilité faible [confidentiel], et ce notamment dans des zones à faible densité de population, il pourrait être utilement remédié à un tel effet de la concentration par les autorités de régulation du Royaume-Uni.

393    Troisièmement, d’autres facteurs permettent également de douter de la probabilité de l’analyse faite par la Commission dans la décision attaquée. D’une part, dans la mesure où la Commission a constaté, au considérant 1736 de la décision attaquée, que l’entité issue de la concentration investirait dans sa propre infrastructure [confidentiel], il semble probable que des investissements similaires puissent bien être engagés [confidentiel] par Vodafone.

394    D’autre part, [confidentiel], les parties à cet accord ont déjà prévu la possibilité que les coûts engagés par les parties augmenteraient à la suite [confidentiel].

395    Dans la mesure où une telle possibilité d’évolution de l’accord de partage de réseau était déjà prévue, il est difficile de concevoir que la mise en œuvre d’une telle option contractuelle porterait effectivement préjudice de manière significative à Vodafone.

396    Dès lors, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit dans la décision attaquée l’incapacité de Vodafone à exercer une concurrence de manière efficace, ni même que toute hausse des coûts de Vodafone serait répercutée sur les consommateurs sous la forme d’une augmentation du prix.

397    Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir les troisième, quatrième et cinquième branches du troisième moyen, prises conjointement.

c)      Sur l’incidence d’une transparence renforcée sur l’investissement global dans les réseaux

398    Dans le cadre de la sixième branche du troisième moyen, la requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit et des erreurs manifestes d’appréciation en analysant les effets de la concentration sur les investissements dans les réseaux respectivement dans le cadre du plan [B] et du plan [A].

399    La requérante soutient notamment que le mécanisme par lequel, dans le cadre du plan [B], la transparence accrue des investissements entre les opérateurs de réseau mobile pourrait réduire leur incitation à investir dans les réseaux (considérants 1732 à 1742 de la décision attaquée) relève, en application du point 22 des lignes directrices, des effets coordonnés, et non des effets non coordonnés.

400    Selon la Commission, soutenue par le Royaume-Uni, elle a fait valoir non pas que BT/EE et Vodafone coordonneraient leurs actions, c’est-à-dire se mettraient tacitement d’accord pour ne pas investir ou prendraient des mesures de représailles dans le cas où l’une d’elles investirait, mais que, à défaut d’une initiative d’investissement de la part de l’entité issue de la concentration, aucun des autres opérateurs de réseau mobile ne serait unilatéralement incité à investir dans de nouvelles technologies. La Commission se serait donc fondée sur une réduction de la pression concurrentielle et des incitations unilatérales à investir dans le réseau, laquelle constituerait bien un effet unilatéral, ou non coordonné, de la concentration en application du point 24 des lignes directrices.

401    BT/EE fait valoir que la Commission a non pas procédé à une analyse des effets coordonnés, mais simplement reconnu que le marché de détail est un marché oligopolistique. Or, sur un tel marché, tous les fournisseurs seraient généralement attentifs aux actions de leurs concurrents et réagiraient avec discernement.

402    Le Tribunal constate, à titre liminaire, que, au considérant 1562 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la transparence accrue des investissements entre les opérateurs de réseau mobile serait peu susceptible d’avoir une incidence négative significative sur les investissements dans le cadre du plan [A] (considérant 1564 de la décision attaquée).

403    Par ailleurs, la Commission a conclu, au considérant 1735 de la décision attaquée, que le plan [B] serait susceptible d’avoir une incidence négative significative sur les investissements dans les réseaux à l’échelle du secteur, dans la mesure où l’entité issue de la concentration pourrait être informée des investissements de BT/EE.

404    En outre, et ainsi que l’a reconnu la requérante elle-même dans sa propre analyse des scénarios de consolidation, l’option de [confidentiel], exposée aux considérants 1388 et 1389 de la décision attaquée, a été abandonnée compte tenu des réserves prévisibles des autorités de la concurrence et de la faible probabilité qu’un tel scénario soit approuvé.

405    Dans le cas d’espèce, la Commission a constaté, au considérant 1389 de la décision attaquée, que, dans l’immédiat, la concentration créerait toutefois une situation d’incertitude, dès lors que la nouvelle entité n’aurait pas pu immédiatement mettre en œuvre ni le plan [B] ni le plan [A]. Pendant une période intermédiaire et sur le court terme, [confidentiel].

406    L’entité issue de la concentration serait, le cas échéant, incitée à procéder aux mêmes investissements, tant dans l’est que dans l’ouest du pays, ce qui permettrait in fine à BT/EE et à Vodafone de prendre connaissance de leurs investissements respectifs (considérants 1735 et 1736 de la décision attaquée). Cette transparence accrue entraînerait alors le risque de voir BT/EE et Vodafone attendre que l’entité issue de la concentration procède à certains investissements, principalement relatifs au développement de nouvelles technologies, avant d’investir à leur tour (considérants 1737, 1739 et 1740 de la décision attaquée).

407    En d’autres termes, selon la Commission, ses inquiétudes dans le cadre de la deuxième théorie du préjudice seraient fondées sur une réduction des incitations de chaque opérateur de réseau mobile à investir et à améliorer son réseau de manière proactive ainsi que sur la réduction de la pression concurrentielle qui devrait en résulter. Cette réduction serait due à la structure du marché qui prévaudrait dans le cadre du plan [B], [confidentiel], ainsi qu’à la transparence accrue que cette structure apporterait sur les stratégies d’investissement de chaque opérateur de réseau mobile.

408    Le Tribunal constate, à cet égard, une difficulté particulière dans le cas d’espèce, relative au contrôle juridictionnel qu’il doit exercer sur la décision attaquée, à savoir que la Commission a omis d’énoncer le cadre temporel approprié dans lequel elle entend établir une entrave significative à une concurrence effective. En effet, la Commission a, dans la décision attaquée, analysé les effets immédiats de la concentration aussi bien à court qu’à moyen terme par l’effet d’un chevauchement temporaire des deux accords de partage des réseaux, ainsi que les effets à moyen et à long terme au regard des plans de consolidation du réseau, sans pour autant établir clairement lequel des multiples scénarios en présence serait le plus probable ou au regard de quel(s) scénario(s) les effets de la concentration sur la concurrence devraient prioritairement être examinés.

409    C’est pourquoi le Tribunal a demandé aux parties, en vue de l’audience, de développer leurs positions respectives quant au cadre temporel approprié pour évaluer les effets d’une concentration sur la concurrence.

410    Le Tribunal constate qu’il est établi, notamment aux considérants 1239 et 1244 de la décision attaquée, que, dans le cas d’espèce, quel que soit le plan de consolidation de réseau qui serait finalement retenu par les parties à la concentration, ces dernières ne maintiendraient pas sur le long terme deux réseaux séparés, et il ne semble pas que le long terme ait été considéré comme le cadre temporel approprié pour évaluer les effets de la concentration dans la décision attaquée.

411    À cet égard, il résulte du considérant 1244 de la décision attaquée que, selon les plans de la requérante, l’entité issue de la concentration ne continuerait pas à maintenir deux réseaux séparés sur le long terme. L’entité issue de la concentration devrait à long terme se concentrer sur l’un des deux accords de partage de réseau.

412     De plus, au considérant 1239 de la décision attaquée, la Commission a conclu que, à la suite de la transaction, l’alignement d’intérêts et la dépendance mutuelle seraient vraisemblablement rompus dans les deux accords de partage de réseau existant sur le marché des télécommunications mobiles au Royaume-Uni. La Commission a constaté que, alors que l’entité issue de la concentration reposerait sur les deux réseaux pour continuer de fournir des services de télécommunications mobiles aux clients de Three et de O2, elle serait incitée à ne plus maintenir deux réseaux sur le long terme. Selon la Commission, cela perturbera inévitablement l’alignement d’intérêts avec au moins l’un des deux partenaires aux accords de partage de réseau.

413    À la note en bas de page no 1012 de la décision attaquée, la Commission note que l’opération de deux réseaux séparés, de couverture nationale, apparaît comme hautement improbable pour plusieurs raisons. Premièrement, les deux plans de consolidation de réseau présentés par la requérante en tant que seuls scénarios réalistes prévoient la création d’un réseau consolidé. Deuxièmement, il semble économiquement imprudent d’exploiter deux réseaux distincts après la transaction de la même manière que sur une base autonome, en particulier en ce qui concerne les investissements futurs. La Commission indique que l’entité issue de la concentration devrait alors dupliquer les investissements pour les offrir à l’ensemble de sa clientèle.

414    BT/EE a attiré l’attention du Tribunal sur le fait qu’il y a un certain nombre d’affaires de concentrations dans lesquelles la Commission aurait pris pour base une analyse des effets à long terme, citant l’affaire COMP M.2375, Shell/Enterprise Oil (2002), où la Commission avait pris en considération une période de plus de dix ans pour l’analyse des effets de la concentration.

415    Le Tribunal constate que l’analyse des effets d’une opération de concentration sur un marché oligopolistique dans le secteur des télécommunications, qui nécessite des investissements à long terme et où les consommateurs sont souvent liés par des contrats sur plusieurs années, est une analyse prospective dynamique qui nécessite la prise en compte d’éventuels effets coordonnés ou unilatéraux sur un laps de temps relativement étendu dans l’avenir.

416    Or, quel que soit le plan de consolidation de réseau finalement retenu par les parties à la concentration, celles-ci ne maintiendraient pas deux réseaux séparés sur le long terme. Par conséquent, la thèse de la Commission, relative à l’incidence d’une transparence renforcée sur l’investissement global dans les réseaux, doit être rejetée, dans la mesure où elle est fondée sur l’hypothèse de l’existence de deux réseaux séparés.

417    Partant, il y a lieu d’accueillir la sixième branche du troisième moyen, en ce que la Commission a commis une erreur de droit en qualifiant l’incidence d’une transparence renforcée sur l’investissement global dans les réseaux d’effet non coordonné.

418    Par conséquent, s’agissant de la deuxième théorie du préjudice, il convient d’accueillir le troisième moyen, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres branches de ce moyen.

E.      Sur la troisième théorie de préjudice, relative à l’existence d’effets non coordonnés sur le marché de gros

419    La troisième théorie du préjudice, développée aux considérants 1815 à 2314 de la décision attaquée, est relative à l’existence d’effets non coordonnés sur le marché de gros liés à l’élimination de fortes contraintes concurrentielles. Sur ce marché, les quatre opérateurs de réseau mobile fournissent des services d’hébergement aux non-ORM, qui, à leur tour, proposent des services de détail aux abonnés. L’opération de concentration aurait, selon la Commission, réduit le nombre d’opérateurs de réseau mobile désireux d’héberger des non-ORM.

420    Plus en détail, la Commission estime que Three constitue, avant l’opération, un « important moteur de la concurrence » sur le marché de gros. À cet égard, la Commission a constaté notamment que Three, malgré sa part de marché historique modeste, s’élevant à [entre 0 et 5 %] en 2014 et en 2015 (considérants 1856 à 1867 de la décision attaquée), a un ajout brut de clients supérieur à sa part de marché (considérants 1868 à 1920 de la décision attaquée).

421    Pour ce faire, la Commission a calculé la valeur des contrats réalisés avec des clients entre 2012 et 2015. Selon son calcul, la part obtenue par Three serait comprise entre [confidentiel] après pondération en fonction de la valeur projetée de ces clients en 2018. La Commission constate également que Three a sensiblement amélioré sa position sur le marché de gros, a participé à plusieurs procédures de mise en concurrence, notamment pour les plus grands non-ORM, et a conclu des marchés avec des non-ORM ayant un potentiel de croissance. Elle relève que sa présence joue sur la concurrence dans les négociations de gros même lorsqu’elle ne décroche pas le marché, qu’elle propose des tarifs de gros compétitifs pour les nouvelles technologies telles que la 4G et qu’elle est considérée comme un concurrent de poids (considérants 1921 à 2125 de la décision attaquée).

422    En outre, la Commission conclut, au considérant 2210 de la décision attaquée, que la concentration, d’une part, réduirait les incitations de l’entité issue de la concentration à soutenir la concurrence, en raison du fait que cette entité disposerait d’une clientèle plus large sur le marché de détail, ce qui augmenterait les risques de « cannibalisation » (considérant 2209 de la décision attaquée), et, d’autre part, aurait des effets négatifs sur la capacité et les incitations de BT/EE et de Vodafone à soutenir la concurrence (considérant 2291 de la décision attaquée).

423    La Commission conclut, au considérant 2313 de la décision attaquée, que la concentration risque d’avoir des effets non coordonnés significatifs sur le marché de gros résultant d’une réduction du nombre d’opérateurs de réseau mobile de quatre à trois, de l’élimination de Three en tant qu’important moteur de la concurrence, conformément au point 37 des lignes directrices, de la suppression des contraintes concurrentielles importantes que les parties exerçaient auparavant l’une sur l’autre et d’une réduction des pressions concurrentielles sur les acteurs restants. De plus, les opérateurs de réseau mobile en concurrence n’auraient ni la capacité ni les incitations nécessaires pour contrecarrer les effets anticoncurrentiels non coordonnés de l’opération.

424    Par son quatrième moyen, la requérante soutient que la Commission a, dans la décision attaquée, commis des erreurs de droit ainsi que des erreurs manifestes d’appréciation et violé les formes substantielles eu égard aux effets non coordonnés sur le marché de gros, et ce du fait, en particulier, de ses conclusions selon lesquelles, premièrement, la concentration entraverait de manière significative une concurrence effective sur le marché de gros (première branche), deuxièmement, Three était un « important moteur de la concurrence » sur le marché de gros (deuxième et troisième branches), troisièmement, l’entité issue de la concentration aurait été moins incitée à affronter la concurrence (quatrième branche) et, quatrièmement, ses concurrents n’auraient eu ni la capacité ni les incitations nécessaires pour entrer en concurrence avec elle (cinquième branche), ainsi que du fait de la prise en compte par la Commission d’affirmations de tiers (sixième branche). Selon la requérante, chacune de ces erreurs devrait entraîner l’annulation de la décision attaquée.

425    Il convient d’examiner, d’abord et conjointement, les trois premières branches du quatrième moyen, tirées d’erreurs concernant la constatation que la concentration entraverait de manière significative une concurrence effective sur le marché de gros et d’une erreur manifeste d’appréciation concernant la constatation selon laquelle Three est un « important moteur de la concurrence ».

426    Par la première branche du quatrième moyen, la requérante soutient que, la part du marché de gros détenue par Three étant comprise [entre 0 et 5 %] en 2014 et n’ayant jamais dépassé ce seuil, ce que la Commission ne contesterait pas (considérant 1856 de la décision attaquée), la concentration n’aurait pas d’effet sensible sur la concurrence. À cet égard, la décision attaquée reposerait uniquement sur des constatations concernant l’élimination de Three en tant qu’« important moteur de la concurrence ».

427    Par les deuxième et troisième branches du quatrième moyen, la requérante soutient que la Commission n’a pas expliqué pourquoi la concurrence exercée par Three sur le marché de gros serait particulièrement performante par rapport à celle exercée par les autres opérateurs, dont la part prévisible de marché n’a pas été examinée. Non seulement tous les autres acteurs du marché seraient nettement plus solides que Three, mais cette situation aurait perduré au fil du temps, et le faible gain de parts de marché récemment enregistré par Three serait resté marginal et sans incidence sur la structure concurrentielle ou la dynamique du marché. En outre, la Commission, en qualifiant Three d’« important moteur de la concurrence », aurait commis des erreurs tant dans son analyse des parts de marché que dans son analyse de la part brute de nouveaux clients de Three et dans son évaluation qualitative de l’importance de Three sur le marché de gros.

428    En particulier, en ce qui concerne ce dernier point, la requérante soutient que le graphique no 125 de la décision attaquée, illustrant les parts du marché de gros détenues par les quatre opérateurs de réseau mobile, telles qu’estimées par la Commission, montre clairement la faiblesse de la position de Three par rapport à ses concurrents.[confidentiel]

429    La Commission aurait également affirmé à tort, au considérant 1920 de la décision attaquée, que la part de marché de Three ne refléterait pas sa force concurrentielle actuelle, ni son importance dans le processus concurrentiel futur, sur la base d’une projection de sa part brute de nouveaux clients supérieure aux données du marché actuel.

430    Enfin, selon la requérante, le fait que Three n’ait pas participé à [confidentiel] des sept grands appels d’offres adressés au grand public lancés au cours des trois années précédentes, de même que [confidentiel], irait contre l’idée que Three puisse rivaliser de manière crédible et être un « important moteur de la concurrence » sur le marché de gros.

431    La Commission conteste cette argumentation.

432    La Commission fait notamment valoir que les parts de marché et leur progression ne constituent que les premières indications d’un pouvoir de marché (point 27 des lignes directrices) et que les lignes directrices proposent plusieurs exemples de situations dans lesquelles de modestes parts de marché n’empêcheraient pas qu’une concentration fasse naître des problèmes de concurrence, par exemple lorsque l’entreprise en question a un rôle plus important que ne le laisseraient supposer ses parts de marché (voir point 37 des lignes directrices). Dès lors, le fait que Three ne possède que de modestes parts de marché sur le marché de gros ne saurait conduire automatiquement à la conclusion que la concentration n’est pas susceptible de donner lieu à une entrave significative à une concurrence effective.

433    En outre, selon la Commission, les parts du marché, leur progression et la croissance du degré de concentration, même si elles constituent seulement une première indication du pouvoir de marché, sont des éléments pertinents à prendre en considération dans les marchés oligopolistiques, où le fait qu’une entreprise soit un « important moteur de la concurrence » joue un rôle significatif.

434    Le Tribunal constate que la réduction de quatre opérateurs à trois, sur le marché de gros, n’est pas, en soi, de nature à établir une entrave significative à la concurrence sur le marché de gros dans le cas d’espèce. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 25 du règlement no 139/2004, un grand nombre de marchés oligopolistiques montrent un degré de concurrence pouvant être qualifié de sain.

435    S’agissant des parts de marché, le Tribunal constate qu’il n’est pas contesté que la part du marché de gros de Three était très modeste, à savoir [entre 0 et 5 %] en 2014 et en 2015.

436    À cet égard, la Commission a d’ailleurs concédé, au cours de la procédure devant le Tribunal, que les parts de marché et leur progression ne constituaient que les premières indications d’un pouvoir de marché, selon le point 27 des lignes directrices, puisqu’il est généralement admis, y compris dans sa pratique décisionnelle, que des parts de marché modestes sont, en général, un bon indicateur de l’absence d’un fort pouvoir de marché.

437    En effet, de même que l’existence de parts de marché d’une grande ampleur est hautement significative et que le rapport entre les parts de marché détenues par les parties à la concentration et celles de leurs concurrents constitue un indice valable de l’existence d’une position dominante ou d’une entrave significative à une concurrence effective, en ce qu’il permet d’évaluer la capacité concurrentielle des concurrents de l’entreprise en cause (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, EU:T:2006:64, point 201), une part de marché particulièrement faible détenue par l’une des parties à la concentration tend à suggérer, prima facie, l’absence d’entrave significative à une concurrence effective, surtout lorsque les autres opérateurs disposent de parts de marché beaucoup plus importantes.

438    S’il ne saurait être exclu que, en dépit de la part de marché relativement faible d’une des parties à la concentration, la concentration affecte de façon significative la concurrence effective, il appartient à la Commission d’en apporter des preuves convaincantes.

439    Premièrement, une part de marché cumulée des parties à la concentration comprise [entre 30 et 40 %] n’est pas indicative de la création ou du renforcement d’une position dominante, dans le cas d’espèce, voire, en tant que telle, d’une entrave significative à une concurrence effective.

440    Deuxièmement, le Tribunal constate que la Commission affirme, au considérant 1865 de la décision attaquée, que l’IHH produit par la concentration dépasserait le seuil prévu dans les lignes directrices.

441    S’agissant du calcul de l’IHH, le point 14 des lignes directrices prévoit que les parts de marché ou le degré de concentration donnent souvent une première indication utile sur la structure du marché et sur l’importance des parties à la concentration. Il ressort également du point 16 des lignes directrices que le degré de concentration global d’un marché peut constituer une donnée précieuse sur les conditions de concurrence.

442    Les points 19 à 21 des lignes directrices définissent les seuils de l’IHH en dessous desquels une concentration ne pose pas, selon toute probabilité, de problèmes concurrentiels. Ainsi, la Commission estime qu’il est peu probable qu’une opération soulève des problèmes de concurrence horizontaux sur un marché lorsque l’IHH, à l’issue de l’opération, est compris entre 1 000 et 2 000 et que le delta est inférieur à 250, ou lorsque l’IHH, à l’issue de l’opération, est supérieur à 2 000 et que le delta est inférieur à 150, sauf dans des cas exceptionnels.

443    Or, la requérante a soutenu devant le Tribunal, sans être démentie par la Commission, que le delta après l’opération ne serait, en l’espèce, que de [confidentiel]. Le Tribunal constate que cette valeur dépasse, certes, le seuil en dessous duquel il est, en principe, exclu que la concentration pose des problèmes concurrentiels. Toutefois, la seconde phrase du point 21 des lignes directrices précise qu’un dépassement de ces seuils ne donne pas lieu à une présomption d’existence de problèmes concurrentiels.

444    Il convient toutefois de considérer que plus le dépassement de ces seuils est prononcé, plus les valeurs sont révélatrices de problèmes concurrentiels (voir, à cet égard, l’arrêt du 9 juillet 2007, Sun Chemical Group e.a./Commission, T-282/06, EU:T:2007:203, point 138) et que, dans la présente affaire, le delta n’est que de [confidentiel] au-dessus du seuil prévu par les lignes directrices sur les concentrations horizontales.

445    Dans le cas d’espèce, le Tribunal constate que la Commission ne s’est pas fondée sur les parts de marché historiques de Three et le degré de concentration pour conclure que celle-ci est un « important moteur de la concurrence » sur le marché de gros, mais sur les parts brutes des nouveaux clients (considérant 1857 de la décision attaquée) et son analyse qualitative de l’importance de Three sur le marché de gros.

446    Cependant, le fait que la Commission ait déterminé que Three avait un rôle plus important dans le jeu de la concurrence que ne le laisserait supposer sa part de marché n’est pas, en lui-même, un élément de preuve suffisant pour établir une entrave significative à une concurrence effective dans le cas d’espèce.

447    En effet, s’il n’est pas exclu que l’application d’un seul des facteurs énoncés dans les lignes directrices puisse, dans certains cas, suffire à établir l’existence d’une entrave significative à une concurrence effective, la Commission n’a pas expliqué, de manière crédible, dans la décision attaquée, pourquoi les parts brutes de nouveaux clients étaient à ce point déterminantes dans le cas d’espèce. S’il est vrai qu’il n’est pas nécessaire que la Commission examine, dans tous les cas, tous les critères qu’elle s’est elle-même fixée dans les lignes directrices, il n’est pas non plus établi qu’un seul de ces critères suffise à prouver une entrave significative à une concurrence effective, en l’absence d’un examen circonstancié des faits.

448    Troisièmement, s’agissant des parts brutes de nouveaux clients, la Commission indique que Three aurait remporté, approximativement, entre [confidentiel] de la valeur totale des contrats ayant une nature contestables  relatifs aux clients de gros. D’après la Commission, même si tous les ajustements suggérés par la requérante étaient acceptés, la part restante des acquisitions brutes de clients de gros serait beaucoup plus élevée que la part de marché historique de Three (considérants 1896 et 1917 de la décision attaquée).

449    Cependant, le simple fait que la part brute de nouveaux clients de Three soit plus élevée que sa part de marché ne saurait suffire, en l’espèce, à établir une entrave significative à une concurrence effective, dans un contexte où la part de marché de Three est, en réalité, très modeste et où même sa part brute de nouveaux clients, sur un marché ne comptant que quatre opérateurs, est limitée.

450    Il convient de constater que, si ces éléments permettent de considérer que Three a la capacité de rivaliser avec les autres acteurs du marché de gros, qu’elle est un concurrent crédible et a une influence sur la concurrence, même lorsqu’elle ne remporte pas les offres, et qu’elle a renforcé sa position sur le marché, ils ne suffisent, en tout état de cause, pas à qualifier Three d’« important moteur de la concurrence ».

451    Quatrièmement, pour ce qui est, enfin, de son évaluation qualitative de l’importance de Three sur le marché de gros, la Commission a constaté que Three est considérée comme une menace crédible sur le marché et a participé à un nombre significatif d’appels d’offres (considérants 1936 à 1987 de la décision attaquée).

452    Or, ainsi que le souligne la requérante à juste titre, la Commission n’a pas établi que les critères qu’elle s’est elle-même fixée aux points 37 et 38 des lignes directrices s’appliquaient à Three. En effet, les constatations de la Commission quant à la part de marché future de Three, à sa crédibilité, aux conditions compétitives de ses offres ou aux effets de sa participation aux appels d’offres (considérants 2294 et 2295 de la décision attaquée) ne démontrent pas, quand bien même elles seraient fondées, que Three se distinguerait des autres participants au marché de gros.

453    Par ailleurs, même si les éléments pris en compte par la Commission étaient susceptibles de caractériser Three d’« important moteur de la concurrence », ils ne permettent pas de démontrer que Three et O2 exerçaient l’une sur l’autre de fortes contraintes concurrentielles qui seraient éliminées à la suite de l’opération.

454    Il convient par conséquent d’accueillir les trois premières branches du quatrième moyen sans qu’il soit besoin, pour le Tribunal, d’examiner les quatrième, cinquième et sixième branches du quatrième moyen.

455    Dès lors, il y a lieu d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur le caractère indépendant ou interdépendant des trois théories du préjudice ou de se prononcer sur les autres arguments et moyens de la requérante.

 Sur les dépens

456    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière. Le Royaume-Uni et EE Ltd supporteront leurs propres dépens en application des dispositions de l’article 138 du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2016) 2796 final de la Commission, du 11 mai 2016, déclarant incompatible avec le marché intérieur l’opération de concentration relative à l’acquisition de Telefónica Europe plc par Hutchison 3G UK Investments Ltd (affaire COMP/M.7612 – Hutchison 3G UK/Telefónica UK) est annulée.

2)      La Commission européenne supporte ses propres dépens ainsi que ceux exposés par CK Telecoms UK Investments Ltd.

3)      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et EE Ltd supporteront leurs propres dépens.

Van der Woude

Buttigieg

Nihoul

Svenningsen

 

      Öberg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 mai 2020.

Signatures

Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Décision attaquée

III. Procédure

IV. Conclusions des parties

V. En droit

A. Sur le cadre juridique

1. Sur l’intensité du contrôle juridictionnel en matière de concentrations

2. Sur la portée de la modification apportée par le règlement no 139/2004

3. Sur la charge de la preuve et le niveau de preuve en matière de concentrations

4. Sur la motivation

B. Résumé des moyens et de la structure du recours

C. Sur la première théorie de préjudice, relative aux effets non coordonnés sur le marché de détail

1. Résumé de la décision attaquée

2. Résumé du premier moyen et des principaux éléments de preuve avancés au soutien de la première théorie du préjudice

a) Sur l’analyse des parts de marché

b) Sur la qualification de Three d’« important moteur de la concurrence »

1) Sur la dénaturation de la notion d’« important moteur de la concurrence »

2) Sur le degré de contrainte concurrentielle de Three sur le marché de détail

i) Sur l’ajout brut d’abonnés

ii) Sur la croissance des abonnés de Three

iii) Sur la politique des prix de Three

iv) Sur le rôle historique joué par Three sur le marché

c) Sur l’évaluation de la proximité de la relation de concurrence

d) Sur l’évaluation des effets quantitatifs de la concentration sur les prix

1) Sur la force probante de l’analyse UPP en tant que premier « crible »

2) Sur l’analyse UPP dans le cas d’espèce

e) Sur l’évaluation globale des effets non coordonnés

D. Sur la deuxième théorie du préjudice, relative aux effets non coordonnés produits par le bouleversement des accords de partage de réseau

1. Résumé de la décision attaquée

2. Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs eu égard aux effets horizontaux non coordonnés produits par le partage de réseau

a) Sur la convergence entre les parties aux accords de partage de réseau

1) Sur le caractère nouveau de la théorie du préjudice sur les accords de partage de réseau

2) Sur le caractère prétendument paradoxal et erroné de la théorie de la convergence des intérêts et sur le bouleversement des accords de partage de réseau

b) Sur les effets de la concentration sur les concurrents

1) Sur les effets sur BT/EE

2) Sur les effets sur Vodafone

c) Sur l’incidence d’une transparence renforcée sur l’investissement global dans les réseaux

E. Sur la troisième théorie de préjudice, relative à l’existence d’effets non coordonnés sur le marché de gros

Sur les dépens



*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.