Language of document : ECLI:EU:T:2003:336

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
11 décembre 2003 (1)

«Concurrence – Règlement (CEE) n° 4056/86 – Vérifications de locaux d'une société distincte de celle destinataire de la décision de vérification – Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) – Réglementation étatique sur le transport maritime et pratique des autorités publiques – Applicabilité de l'article 85 du traité – Imputabilité du comportement infractionnel – Amende – Application des lignes directrices pour le calcul des amendes»

Dans l'affaire T-65/99,

Strintzis Lines Shipping SA, établie au Pirée (Grèce), représentée par Mes K. Adamantopoulos, V. Akritidis et A. Papakrivopoulos, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. Lyal et D. Triantafyllou, en qualité d'agents, assistés de Me G. Athanassiou, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant à l'annulation de la décision 1999/271/CE de la Commission, du 9 décembre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO L 1999, L 109, p. 24),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),



composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 1er juillet 2002,

rend le présent



Arrêt




Faits à l’origine du recours

1
La requérante, Strintzis Lines SA, est une société grecque d’exploitation de transbordeurs qui assure des services de transport de passagers et de véhicules sur des lignes maritimes en Grèce ainsi qu’à l’étranger, y compris sur le marché des lignes reliant la Grèce à l’Italie (ci-après le «marché Grèce/Italie») où elle assure les lignes entre Patras et Ancône, en passant par Corfou et Igoumenitsa, entre Patras et Brindisi et entre Patras et Bari.

2
À la suite d’une plainte adressée par un usager en 1992, selon laquelle les tarifs des transbordeurs étaient très semblables sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie, la Commission, agissant en vertu de l’article 16 du règlement (CEE) n° 4056/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, déterminant les modalités d’application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes (JO L 378, p. 4), a adressé des demandes de renseignements à certains exploitants de transbordeurs. Puis, conformément à l’article 18, paragraphe 3, du règlement n° 4056/86, elle a procédé à des vérifications dans les bureaux de six exploitants de transbordeurs, à raison de cinq en Grèce et de un en Italie.

3
En particulier, le 4 juillet 1994, la Commission a adopté la décision C (94) 1790/5 imposant à la société Minoan Lines de se soumettre à une vérification (ci-après la «décision de vérification»). Les 5 et 6 juillet 1994, les agents de la Commission ont procédé à l’inspection des locaux situés avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, lesquels se sont avérés par la suite appartenir à la société European Trust Agency (ci-après l’«ETA»), une entité juridique distincte de celle mentionnée dans la décision de vérification. Au cours de cette vérification, la Commission a obtenu copie d’un grand nombre de documents considérés par la suite comme pièces à l’égard des diverses entreprises visées par l’enquête.

4
Postérieurement, d’autres demandes de renseignements au titre de l’article 16 du règlement n° 4056/86 ont été adressées à la requérante ainsi qu’à d’autres compagnies maritimes afin que celles-ci fournissent un complément d’informations sur les documents découverts lors des vérifications.

5
Par décision du 21 février 1997, la Commission a ouvert une procédure formelle en envoyant une communication des griefs à neuf sociétés, dont la requérante.

6
Le 9 décembre 1998, la Commission a adopté la décision 1999/271/CE relative à une procédure d’application de l’article 85 du traité CE (IV/34.466 – Transbordeurs grecs) (JO 1999, L 109, p. 24, ci-après la «Décision»).

7
La Décision comprend les dispositions suivantes:

«Article premier

1. Minoan Lines, Anek Lines, Karageorgis Lines, Marlines et Strintzis Lines ont enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité CE en s’accordant sur les prix à appliquer aux services de transbordeurs rouliers entre Patras et Ancône.

La durée des infractions est la suivante:

a)
dans le cas de Minoan Lines et Strintzis Lines, du 18 juillet 1987 à juillet 1994;

b)
dans le cas de Karageorgis Lines, du 18 juillet 1987 au 27 décembre 1992;

c)
dans le cas de Marlines SA, du 18 juillet 1987 au 8 décembre 1989;

d)
dans le cas d’Anek Lines, du 6 juillet 1989 à juillet 1994.

2. Minoan Lines, Anek Lines, Karageorgis Lines, Adriatica di Navigazione SpA, Ventouris Group Enterprises SA et Strintzis Lines ont enfreint l’article 85, paragraphe 1, du traité CE en s’accordant sur les niveaux de prix devant être appliqués aux véhicules utilitaires sur les lignes de Patras à Bari et Brindisi.

La durée des infractions est la suivante:

a)
dans le cas de Minoan Lines, Ventouris Group Enterprises SA et Strintzis Lines, du 8 décembre 1989 à juillet 1994;

b)
dans le cas de Karageorgis Lines, du 8 décembre 1989 au 27 décembre 1992;

c)
dans le cas d’Anek Lines, du 8 décembre 1989 à juillet 1994;

d)
dans le cas d’Adriatica di Navigazione SpA, du 30 octobre 1990 à juillet 1994.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises suivantes pour l’infraction constatée à l’article 1er:

Minoan Lines: une amende de 3,26 millions d’écus,

Strintzis Lines: une amende de 1,5 million d’écus,

Anek Lines: une amende de 1,11 million d’écus,

Marlines SA: une amende de 0,26 million d’écus,

Karageorgis Lines: une amende de 1 million d’écus,

Ventouris Group Enterprises SA: une amende de 1,01 million d’écus,

Adriatica di Navigazione SpA: une amende de 0,98 million d’écus.

[...]»

8
La Décision a été adressée à sept entreprises: Minoan Lines, établie à Héraklion, Crète (Grèce) (ci-après «Minoan»), Strintzis Lines, établie au Pirée (Grèce) (ci-après la «requérante»), Anek Lines, établie à Hania, Crète (ci-après «Anek»), Marlines SA, établie au Pirée (ci-après «Marlines»), Karageorgis Lines, établie au Pirée (ci-après «Karageorgis»), Ventouris Group Enterprises SA, établie au Pirée (ci-après «Ventouris Ferries»), et Adriatica di Navigazione SpA, établie à Venise (Italie) (ci-après «Adriatica»).


Procédure et conclusions des parties

9
Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 3 mars 1999, la requérante a introduit un recours en annulation à l’encontre de la Décision.

10
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a demandé à la Commission de répondre par écrit à une question et de produire certains documents. La Commission a déféré à ces demandes dans le délai imparti.

11
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience qui s’est déroulée le 1er juillet 2002.

12
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

annuler l’ensemble de la Décision;

à titre subsidiaire, annuler l’article 1er de la Décision en ce qui concerne la durée de l’infraction imputée ainsi qu’annuler ou réduire l’amende infligée;

condamner la Commission aux dépens.

13
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

rejeter le recours dans son intégralité;

condamner la requérante aux dépens.


En droit

14
La requérante invoque trois moyens au soutien de ses conclusions en annulation de la Décision. Le premier moyen est pris de l’illégalité du contrôle effectué par la Commission dans les bureaux de l’ETA. Le deuxième moyen est pris d’une application erronée au cas d’espèce de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE), induite par une appréciation erronée et incomplète des circonstances de fait. Par son troisième moyen, la requérante invoque un défaut de motivation.

15
À l’appui de ses conclusions subsidiaires, tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende, la requérante invoque un moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité dans la détermination du montant de l’amende, divisé en trois branches prises d’une appréciation erronée de la gravité de l’infraction, de sa durée et du montant de l’amende.

I –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la Décision

Sur le premier moyen, tiré de l’illégalité du contrôle effectué par la Commission dans les bureaux de l’ETA

Arguments des parties

16
La requérante soutient que la vérification effectuée par la Commission en juillet 1994 dans les bureaux de l’agent de Minoan, ETA, était illégale et invoque, par conséquent, l’impossibilité d’utiliser les éléments trouvés au cours de cette vérification comme éléments de preuve.

17
Tout d’abord, elle justifie son intérêt légitime à ce que ladite vérification soit jugée illégale en faisant valoir qu’un bon nombre des éléments invoqués par la Commission contre elle ont été trouvés dans les bureaux de l’ETA. De même, elle affirme que le comportement d’autres entreprises concernées ainsi que le déroulement de la présente affaire dans sa globalité ont été directement influencés par les résultats du contrôle illégal effectué dans les bureaux de l’ETA. Pour cette raison et dans la mesure où les documents recueillis à cette occasion ainsi que d’autres documents déposés ultérieurement par d’autres entreprises ont tous été utilisés par la Commission comme éléments de preuve contre elle, la requérante considère qu’elle a un intérêt légitime à invoquer le caractère illégal de ce contrôle.

18
La requérante soutient que, contrairement à ce que prétend la Commission, elle peut invoquer le caractère illégal du contrôle effectué dans les bureaux de l’ETA en tant que moyen d’annulation de la Décision même si elle a admis explicitement les faits concernant les consultations relatives à la fixation des tarifs. La circonstance qu’elle ait admis certains faits ne signifierait, en aucun cas, qu’elle a marqué son accord sur l’appréciation que la Commission a effectuée à ce sujet.

19
La requérante fait observer que la décision de vérification était adressée à Minoan et non à l’ETA, son agent. Contrairement à ce que prétend la Commission, l’ETA et Minoan ne constitueraient pas une entité économique et juridique unique. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission aurait méconnu une réalité commerciale, à savoir le fait qu’une société à actionnariat populaire, telle que Minoan, confie habituellement la représentation de ses intérêts pour les liaisons internationales à une société comme l’ETA. Or, cela ne justifierait pas que l’ETA soit assimilée à Minoan. En fait, la requérante soutient que les intérêts économiques de l’ETA peuvent être contraires à ceux de Minoan.

20
La requérante doute en outre que la théorie de l’entité économique s’applique également dans le cas des vérifications effectuées par la Commission. Elle considère qu’elle ne peut se prévaloir de cette théorie pour effectuer un contrôle dans une société différente de celle à laquelle elle a adressé la décision de vérification. S’il en était autrement, la Commission disposerait d’un pouvoir absolu lui permettant d’effectuer des contrôles sans préavis dans les bureaux de toute entreprise faisant partie de la même entité économique que la société destinataire d’une décision de vérification à la seule condition qu’elle adopte une décision de portée générale prévoyant l’organisation de contrôles au siège central de cette société.

21
Enfin, selon la requérante, en agissant comme elle l’a fait, la Commission a violé les droits de la défense face à une intervention arbitraire ainsi que les principes de proportionnalité, de bonne administration, d’intervention limitée et de sécurité juridique.

22
La Commission conteste les allégations susmentionnées. Tout d’abord, elle estime que la requérante n’a pas d’intérêt légitime à invoquer ce moyen d’annulation, dans la mesure où elle a déjà admis explicitement les faits qui sont établis par les documents trouvés dans les bureaux de l’ETA. En outre, elle fait valoir que l’entente interdite aurait été constatée même s’il n’avait pas été tenu compte des documents en question.

23
La Commission soutient que, lorsque la requérante laisse entendre que son comportement ainsi que celui d’autres entreprises concernées auraient été différents si ce contrôle prétendument illégal n’avait pas été effectué, elle entre en totale contradiction avec l’argument invoqué au cours de la procédure administrative sur la collaboration totale de celles-ci, dans la mesure où la non-contestation, par les parties concernées, des faits sur lesquels les griefs de la Commission sont fondés a été prise en compte par la Commission comme circonstance atténuante justifiant une réduction de l’amende (considérant 169 de la Décision). Or, dans la mesure où la requérante sous-entend désormais que cette collaboration a eu lieu uniquement parce que des éléments de preuve relatifs à la conclusion et à la mise en oeuvre des ententes litigieuses avaient été trouvés, la Commission propose au Tribunal d’apprécier cette circonstance dans le cadre de l’exercice de la compétence qui lui revient d’évaluer le montant de l’amende et, éventuellement, de le majorer.

24
S’agissant de la légalité de la vérification, la Commission soutient que la question d’un contrôle arbitraire ne se pose pas en l’espèce, puisque la vérification a été effectuée dans des bureaux utilisés dans le cadre de l’activité commerciale de Minoan, c’est-à-dire de la société mentionnée en qualité de destinataire de la décision de vérification. La Commission considère que cette conclusion est corroborée tant par la façon dont Minoan se présentait aux tiers que par les contrats de gestion de navires en vertu desquels l’ETA agit en tant que gérant des navires de Minoan. Elle rappelle que, dans l’organisation maritime, le gérant opère en qualité de représentant direct, agissant au nom et pour le compte de l’armateur qui est le responsable des effets légaux des obligations assumées par le gérant et qui endosse en définitive les risques économiques. Or, en l’espèce, il ressortirait des contrats conclus entre ces deux compagnies que l’ETA agit en tant qu’intermédiaire entre la société d’armateurs et les agents, clients, banques et autorités étatiques et portuaires qui entrent en relation avec cette dernière.

25
À cet égard, la Commission fait valoir la jurisprudence constante en vertu de laquelle lorsqu’un intermédiaire exerce une activité au profit de celui qu’il représente, il peut en principe être considéré comme un organe auxiliaire faisant partie intégrante de l’entreprise de ce dernier et tenu de suivre les directives du représenté, constituant ainsi, avec cette entreprise, une entité économique, à l’instar de l’employé de commerce (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 539). Aux dires de la Commission, l’ETA agit en tant qu’organe faisant partie intégrante de Minoan, étant donné que cette dernière lui a confié la gestion courante de la supervision logistique et commerciale de ses navires. Elle en conclut que les deux sociétés sont caractérisées, pour ce qui est de l’exploitation des navires gérés par l’ETA, par une unité d’action et qu’elles constituent une seule entité économique. Par conséquent, la Commission ne se serait pas trompée quant au destinataire de la décision et quant à l’endroit où le contrôle devait être effectué.

26
À titre subsidiaire, la Commission soutient que, à supposer même qu’il y ait eu une erreur quant au destinataire de la décision de vérification, il ne faudrait pas en déduire que les éléments de preuve ne peuvent être utilisés, car une telle conséquence est uniquement prévue dans le cas où la Commission outrepasserait les pouvoirs d’enquête qui lui sont dévolus, afin que ces pouvoirs soient exercés de manière à assurer le respect des droits des entreprises concernées (ordonnance du président de la Cour du 26 mars 1987, Hoechst/Commission, 46/87 R, Rec. p. 1549, point 34).

Appréciation du Tribunal

A – Sur l’intérêt légitime de la requérante à soulever ce moyen

27
La Commission conteste que la requérante ait un intérêt légitime à invoquer le moyen d’annulation pris de l’illégalité de la vérification effectuée dans les locaux de l’ETA dans la mesure où la requérante a admis explicitement les faits qui sont établis par les documents trouvés dans lesdits locaux.

28
Toutefois, la circonstance qu’elle ait admis certains faits ne signifie, en aucun cas, qu’elle a renoncé ou se voit empêchée de contester la légalité des vérifications effectuées par la Commission au cours desquelles elle a obtenu des documents susceptibles de constituer des éléments de preuve d’une infraction. En réalité, comme le souligne la requérante, même si elle a admis explicitement les faits concernant les consultations relatives à la fixation des tarifs, elle peut ne pas être d’accord avec la manière dont la Commission a obtenu les documents sur lesquels se fonde la Décision ou la manière dont elle les a appréciés en tant qu’éléments de preuve d’une entente.

29
En effet, comme le Tribunal l’a jugé, «le risque qu’une entreprise ayant bénéficié d’une réduction du montant de l’amende, en contrepartie de sa coopération, forme ultérieurement un recours en annulation contre la décision constatant l’infraction aux règles de la concurrence et sanctionnant l’entreprise responsable à ce titre et obtienne gain de cause devant le Tribunal en première instance ou devant la Cour en cassation est une conséquence normale de l’exercice des voies de recours prévues par le traité et le statut [de la Cour de justice]. Dès lors, le seul fait que l’entreprise ayant coopéré avec la Commission et bénéficié d’une réduction du montant de son amende à ce titre ait obtenu judiciairement gain de cause ne saurait justifier une nouvelle appréciation de l’ampleur de la réduction qui lui a été accordée» (arrêt du Tribunal du 28 février 2002, Stora Kupparbergs Bergslags/Commission, T-354/94, Rec. p. II-843, point 85).

30
Au vu de ce qui précède, il convient de constater, d’une part, que la requérante a un intérêt légitime à contester la manière dont la vérification en cause s’est déroulée et, d’autre part, qu’il y a lieu de rejeter la demande formulée par la Commission au Tribunal afin qu’il exerce ses pouvoirs de pleine juridiction et qu’il majore l’amende imposée à la requérante afin de la priver des bénéfices qu’elle a obtenus de la Commission en admettant les faits.

B – Sur le fond

31
Dans le cadre de ce moyen, la requérante reproche en substance à la Commission d’avoir recueilli illégalement les preuves sur lesquelles repose la Décision, en ce qu’elle les a obtenues au cours d’une vérification effectuée dans les bureaux d’une entreprise qui n’était pas le destinataire de la décision de vérification. La requérante fait valoir que, en agissant ainsi, la Commission a abusé de ses pouvoirs en matière de vérification et a violé l’article 18 du règlement n° 4056/86 et les principes généraux du droit.

32
Le Tribunal estime qu’il convient d’apprécier le bien-fondé de ce moyen à la lumière des principes régissant les pouvoirs de la Commission en matière de vérification et du contexte factuel de l’espèce.

1. Pouvoirs de la Commission en matière de vérification

33
Il ressort du seizième considérant du règlement n° 4056/86 que le législateur a estimé que ce règlement devait prévoir «les pouvoirs de décisions et les sanctions nécessaires pour assurer le respect des interdictions prévues à l’article 85, paragraphe 1, et à l’article 86 [du traité] ainsi que des conditions d’application de l’article 85, paragraphe 3».

34
Plus précisément, les pouvoirs accordés à la Commission en matière de vérification sur le terrain sont exposés à l’article 18 du règlement n° 4056/86, qui est libellé comme suit:

«Article 18

Pouvoirs de la Commission en matière de vérification

1. Dans l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.

À cet effet, les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs ci-après:

a)
contrôler les livres et autres documents professionnels;

b)
prendre copie ou extrait des livres et documents professionnels;

c)
demander sur place des explications orales;

d)
accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises.

2. Les agents mandatés par la Commission pour ces vérifications exercent leurs pouvoirs sur production d’un mandat écrit qui indique l’objet et le but de la vérification, ainsi que la sanction prévue à l’article 19, paragraphe 1, [sous] c), au cas où les livres ou autres documents professionnels requis seraient présentés de façon incomplète. La Commission avise, en temps utile avant la vérification, l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée, de la mission de vérification et de l’identité des agents mandatés.

3.       Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux vérifications que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de la vérification, fixe la date à laquelle elle commence, et indique les sanctions prévues à l’article 19, paragraphe 1, [sous] c), et à l’article 20, paragraphe 1, [sous] d), ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision.

4. La Commission prend les décisions visées au paragraphe 3 après avoir entendu l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée.

5. Les agents de l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée peuvent, sur la demande de cette autorité ou sur celle de la Commission, prêter assistance aux agents de la Commission dans l’accomplissement de leurs tâches.

6.       Lorsqu’une entreprise s’oppose à une vérification ordonnée en vertu du présent article, l’État membre intéressé prête aux agents mandatés par la Commission l’assistance nécessaire pour leur permettre d’exécuter leur mission de vérification. À cette fin, les États membres prennent, avant le 1er janvier 1989 et après consultation de la Commission, les mesures nécessaires.»

35
Le libellé de l’article 18 du règlement n° 4056/86 étant identique à celui de l’article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), et ces deux règlements ayant été adoptés en application de l’article 87 du traité CE (devenu, après modification, article 83 CE) pour préciser les modalités d’application des articles 85 du traité et 86 du traité CE (devenu article 82 CE), la jurisprudence relative à la portée des pouvoirs de la Commission en matière de vérifications au sens de l’article 14 du règlement n° 17 est également applicable au cas d’espèce.

36
Conformément à l’article 87, paragraphe 2, sous a) et b), du traité, le règlement n° 17 a pour objet d’assurer le respect des interdictions visées aux articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité et de déterminer les modalités d’application de l’article 85, paragraphe 3. Ce règlement est destiné ainsi à assurer la réalisation de l’objectif visé à l’article 3, sous f), du traité. À ces fins, il confère à la Commission un large pouvoir d’investigation et de vérification en précisant, dans son huitième considérant, que celle-ci doit disposer, dans toute l’étendue du marché commun, du pouvoir d’exiger les renseignements et de procéder aux vérifications «qui sont nécessaires» pour déceler les infractions aux articles 85 et 86 du traité (arrêts de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, point 20, et du 18 mai 1982, AM & S/Commission, 155/79, Rec. p. 1575, point 15). Le seizième considérant du règlement n° 4056/86 se prononce également dans ce sens.

37
Le juge communautaire a de même souligné l’importance que revêt le respect des droits fondamentaux et, en particulier, des droits de la défense dans toutes les procédures d’application des règles de la concurrence du traité et a précisé dans ses arrêts la façon dont les droits de la défense doivent être conciliés avec les pouvoirs de la Commission au cours de la procédure administrative et également au cours des phases préalables d’enquête et d’obtention d’informations.

38
La Cour a, en effet, précisé que les droits de la défense doivent être respectés par la Commission tant pendant les procédures administratives susceptibles d’aboutir à des sanctions que pendant le déroulement des procédures d’enquête préalable, car il importe d’éviter que ces droits ne puissent être irrémédiablement compromis dans le cadre de procédures d’enquête préalable, dont notamment les vérifications, qui peuvent avoir un caractère déterminant pour l’établissement des preuves du caractère illégal de comportements d’entreprises de nature à engager leur responsabilité (arrêt de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859, point 15).

39
S’agissant plus précisément des pouvoirs de vérification reconnus par l’article 14 du règlement n° 17 à la Commission et de la question de savoir dans quelle mesure les droits de la défense limitent leur portée, la Cour a reconnu que l’exigence d’une protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée d’une personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient arbitraires ou disproportionnées constitue un principe général du droit communautaire (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 19, et arrêt de la Cour du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C-94/00, Rec. p. I-9011, point 27). En effet, la Cour a jugé que, dans tous les systèmes juridiques des États membres, les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, doivent avoir un fondement légal et être justifiées par les raisons prévues par la loi et que ces systèmes prévoient, en conséquence, bien qu’avec des modalités différentes, une protection face à des interventions qui seraient arbitraires ou disproportionnées.

40
La Cour a jugé que les pouvoirs conférés à la Commission par l’article 14 du règlement n° 17 ont pour but de permettre à celle-ci d’accomplir la mission, qui lui est confiée par le traité CE, de veiller au respect des règles de concurrence dans le marché commun. Ces règles ont pour fonction, ainsi qu’il ressort du quatrième alinéa du préambule du traité, de l’article 3, sous f), et des articles 85 et 86, d’éviter que la concurrence ne soit faussée au détriment de l’intérêt général, des entreprises individuelles et des consommateurs. L’exercice de ces pouvoirs concourt ainsi au maintien du régime concurrentiel voulu par le traité dont le respect s’impose impérativement aux entreprises (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 25).

41
La Cour a de même estimé que tant la finalité du règlement n° 17 que l’énumération, par son article 14, des pouvoirs dont sont investis les agents de la Commission font apparaître que les vérifications peuvent avoir une portée très large. Plus précisément, la Cour a affirmé expressément que «le droit d’accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présent[ait] une importance particulière dans la mesure où il [devait] permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c’est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises» (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 26).

42
La Cour a tenu à souligner également l’importance de sauvegarder l’effet utile des vérifications comme instrument nécessaire afin que la Commission puisse exercer ses fonctions de gardienne du traité en matière de concurrence, en indiquant ce qui suit (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 27):

«[...] ce droit d’accès serait dépourvu d’utilité si les agents de la Commission devaient se limiter à demander la production de documents ou de dossiers qu’ils seraient à même d’identifier au préalable de façon précise. Un tel droit implique, au contraire, la faculté de rechercher des éléments d’information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés. Sans une telle faculté, il serait impossible à la Commission de recueillir les éléments d’information nécessaires à la vérification au cas où elle se heurterait à un refus de collaboration ou encore à une attitude d’obstruction de la part des entreprises concernées.»

43
Toutefois, il convient de noter l’existence de diverses garanties résultant du droit communautaire, offertes aux entreprises concernées, contre des interventions de la puissance publique dans leur sphère d’activités privées qui seraient arbitraires ou disproportionnées (arrêt Roquette Frères, précité, point 43).

44
L’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 impose à la Commission de motiver la décision ordonnant une vérification en indiquant l’objet et le but de cette dernière, ce qui, ainsi que la Cour l’a précisé, constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles- ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps leurs droits de la défense (arrêts Hoechst/Commission, précité, point 29, et Roquette Frères, précité, point 47).

45
De même, il incombe à la Commission d’indiquer dans ladite décision, avec autant de précision que possible, ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification (arrêt National Panasonic/Commission, précité, points 26 et 27). Ainsi que la Cour l’a jugé, une telle exigence est propre à préserver les droits de la défense des entreprises concernées, dans la mesure où de tels droits seraient gravement compromis si la Commission pouvait invoquer à l’égard des entreprises des preuves qui, obtenues au cours d’une vérification, seraient étrangères à l’objet et au but de celle-ci (arrêts de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, Rec. p. 3137, point 18, et Roquette Frères, précité, point 48).

46
En outre, il y a lieu de rappeler qu’une entreprise à l’encontre de laquelle la Commission a ordonné une vérification peut, conformément aux dispositions de l’article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, quatrième alinéa, CE), former un recours contre une telle décision devant le juge communautaire. Au cas où ladite décision serait annulée par ce dernier, la Commission se verrait empêchée, de ce fait, d’utiliser, à l’effet de la procédure d’infraction aux règles de concurrence communautaires, tous documents ou pièces probantes qu’elle aurait réunis dans le cadre de cette vérification, sous peine de s’exposer au risque de voir le juge communautaire annuler la décision relative à l’infraction dans la mesure où elle serait fondée sur de tels moyens de preuve (voir ordonnances du président de la Cour, Hoechst/Commission, précitée, point 34, et du 28 octobre 1987, Dow Chemical Nederland/Commission, 85/87 R, Rec. p. 4367, point 17; arrêt Roquette Frères, précité, point 49).

47
C’est à la lumière des considérations précédentes que l’examen du bien-fondé du moyen, tiré de la prétendue illégalité de la vérification, doit être effectué.

2. Sur le bien-fondé du moyen

48
L’examen du bien-fondé du présent moyen exige un exposé préalable des circonstances dans lesquelles la vérification a été effectuée en l’espèce.

a) Faits pertinents et non contestés par les parties

49
Le 12 octobre 1992, agissant en vertu du règlement n° 4056/86, à la suite d’une plainte dénonçant la similitude des tarifs des transbordeurs sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie, la Commission a adressé une demande de renseignements à Minoan à l’adresse de son siège social (Agiou Titou 38, Héraklion, Crète).

50
Le 20 novembre 1992, la Commission a reçu une lettre, en réponse à sa demande de renseignements, signée par M. Sfinias, sur du papier à lettres de Minoan, sur lequel figurait, en haut à gauche, un seul logo commercial, à savoir «Minoan Lines», et au-dessous duquel était mentionnée une seule adresse: «2 Vas. Konstantinou Av. (Stadion); 11635, ATHENS».

51
Le 1er mars 1993, la Commission a adressé une deuxième demande de renseignements à Minoan toujours à son siège social à Héraklion.

52
Le 5 mai 1993, il a été répondu à la lettre de la Commission du 1er mars 1993 par une lettre signée également par M. Sfinias, rédigée sur du papier à lettres de Minoan, sur lequel figurait également en haut de la page à gauche un seul logo commercial, à savoir «Minoan Lines», mais, cette fois-ci, sans qu’aucune adresse ne soit mentionnée au-dessous. Au bas de la page figuraient deux adresses: «INTERNATIONAL LINES HEAD OFFICES: 64 B Kifissias Ave. GR, 151 25, Maroussi, Athens» et, au-dessous, «PASSENGER OFFICE: 2 Vassileos Konstantinou Ave, GR, 116 35 Athens».

53
Le 5 juillet 1994, des agents de la Commission se sont rendus dans les locaux situés, avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, et ont remis aux personnes les ayant reçus, lesquelles se sont révélés par la suite être des employés de l’ETA, d’une part, la décision de vérification et, d’autre part, les mandats D/06658 et D/06659, du 4 juillet 1994, signés par le directeur général de la direction générale de la concurrence et habilitant les agents de la Commission à procéder à la vérification.

54
S’appuyant sur lesdits documents, les agents de la Commission ont demandé aux employés de l’ETA d’accepter qu’il soit procédé à la vérification. Toutefois, ces derniers ont attiré leur attention sur le fait qu’ils se trouvaient dans les bureaux de l’ETA, qu’ils étaient des employés de l’ETA et que l’ETA était une personne juridique indépendante, sans autre rapport avec Minoan que celui d’être son agent. Les agents de la Commission ont insisté, après avoir téléphoné à leurs supérieurs hiérarchiques à Bruxelles, pour effectuer la vérification et ont rappelé aux employés de l’ETA que, en cas de refus, des sanctions au titre de l’article 19, paragraphe 1, et de l’article 20, paragraphe 1, du règlement n° 4056/86 pourraient être prises, ces deux dispositions étant citées dans la décision de vérification et leur teneur littérale figurant dans son annexe. En outre, ces agents de la Commission ont demandé à la direction de la vérification du marché et de la concurrence du ministère du Commerce hellénique, en tant qu’autorité nationale compétente en matière de concurrence, d’envoyer l’un de ses agents aux bureaux de l’ETA.

55
Les agents de la Commission n’ont pas expressément indiqué aux employés de l’ETA qu’ils avaient la possibilité de se faire assister d’un avocat, mais leur ont remis une note de deux pages contenant des explications au sujet de la nature et du déroulement normal de la vérification.

56
Les employés de l’ETA, après avoir téléphoné à leur directeur, alors absent d’Athènes, ont finalement décidé de se soumettre à la vérification, tout en signalant qu’ils allaient exprimer leur désaccord dans le procès-verbal.

57
Les agents de la Commission ont entamé, ensuite, la vérification, qui s’est achevée à la fin du jour suivant, le 6 juillet 1994.

58
Enfin, il convient de relever que l’ETA, en sa qualité de représentant de Minoan, était pleinement autorisée à agir et à se désigner dans le cadre de ses activités commerciales comme étant «Minoan Lines Athènes», ainsi qu’à faire usage de la marque et du logo de Minoan dans le cadre de ses activités d’agent.

59
À la lumière de ce qui précède, le Tribunal constate qu’il ressort clairement du cadre factuel que:

en premier lieu, dans la poursuite et la gestion de ses activités d’agent et de représentant de Minoan, l’ETA était autorisée à se présenter auprès du public en général et de la Commission comme étant Minoan, de sorte que son identité en tant que gestionnaire des activités commerciales en question était en pratique entièrement assimilée à celle de Minoan;

en deuxième lieu, le fait que les lettres adressées par la Commission à Minoan ont été transmises à M. Sfinias pour réponse directe à la Commission indique que tant Minoan que l’ETA et M. Sfinias savaient dès le début de l’intervention de la Commission que cette dernière était en train de donner suite à une plainte; ils ont également pris connaissance de la nature de la plainte, de l’objet de la demande de renseignements et du fait que la Commission agissait sur la base du règlement n° 4056/86, cité dans les lettres en question; il s’ensuit qu’en transmettant les lettres à M. Sfinias pour réponse Minoan a, de facto, autorisé non seulement ce dernier, mais également l’ETA à se présenter auprès de la Commission comme l’interlocuteur dûment mandaté de Minoan dans le cadre de l’enquête en question;

en troisième lieu, il ressort de tout ce qui précède ainsi que du fait que Minoan avait délégué l’exercice de ses activités commerciales à l’ETA que les bureaux situés avenue Kifissias 64 B, étaient, en pratique, le véritable centre des activités commerciales de «Minoan» et, de ce fait, l’endroit où les livres et documents professionnels relatifs aux activités en cause étaient détenus.

60
Il s’ensuit que les locaux en question étaient des locaux de Minoan en tant que destinataire de la décision de vérification au sens de l’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 4056/86.

b) Sur le respect, en l’espèce, des principes régissant l’exercice par la Commission de ses pouvoirs en matière de vérification

61
Il ressort du dossier que tant les mandats que la décision de vérification présentés par les fonctionnaires de la Commission aux employés de l’ETA remplissaient l’exigence d’indiquer l’objet et le but de la vérification. En effet, la décision de vérification consacre une page et demie de ses considérants à exposer les raisons pour lesquelles la Commission estime qu’il pourrait y avoir une entente portant sur les tarifs des transbordeurs applicables aux passagers, aux véhicules et aux poids lourds entre les principales entreprises assurant les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie qui serait contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité. Elle expose les principaux traits du marché en cause, les principales compagnies actives sur ce marché, dont Minoan, les parts de marché des entreprises assurant les trois lignes différenciées et décrit en détail le type de comportement qu’elle considère pouvoir se révéler contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité. Elle indique clairement que l’entreprise destinataire, à savoir Minoan, est l’une des principales compagnies actives sur le marché en cause et souligne que cette entreprise connaît déjà l’existence de l’enquête sous objet.

62
Ensuite, dans le dispositif de la décision de vérification, l’article 1er indique expressément que le but de la vérification est de déterminer si les systèmes de formation des prix ou tarifs appliqués par les compagnies actives dans le secteur des transbordeurs rouliers entre la Grèce et l’Italie sont contraires à l’article 85, paragraphe 1, du traité. L’article 1er de la décision de vérification expose également l’obligation pour l’entreprise destinataire de se soumettre à la vérification et décrit les pouvoirs accordés aux agents de la Commission à l’occasion de ladite vérification. L’article 2 se réfère à la date à laquelle la vérification devait avoir lieu. L’article 3 fait mention du destinataire de la décision. Il est précisé que la décision de vérification s’adresse à Minoan. Trois adresses figurent comme lieux d’inspection possibles: en premier lieu, Quai Poseidon 28, au Pirée, en deuxième lieu, Quai Poseidon 24, au Pirée et, en troisième lieu, avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, lieu où les agents de la Commission se sont finalement rendus. Enfin, l’article 4 indique la possibilité de former un recours contre la décision de vérification devant le Tribunal tout en soulignant que ce recours n’a pas d’effet suspensif sauf si le Tribunal en décide autrement.

63
Pour ce qui est des mandats accordés aux agents de la Commission en vue de procéder à la vérification, ils indiquent explicitement qu’ils sont habilités à y procéder dans le sens et le but exposés dans la décision de vérification, rendue en annexe de façon simultanée.

64
Dans ces conditions, il ressortait clairement du contenu de ces actes, d’une part, que la Commission voulait obtenir des indices et des preuves de la participation de Minoan à l’entente présumée et, d’autre part, qu’elle pensait pouvoir en trouver, entre autres lieux, dans les locaux sis avenue Kifissias 64 B, Maroussi, à Athènes, locaux qu’elle considérait appartenir à Minoan. Il convient, à cet égard, de rappeler que cette adresse figurait imprimée sur le papier à lettres utilisé par Minoan pour répondre le 5 mai 1993 à la lettre de demande de renseignements de la Commission du 1er mars 1993, au bas de page duquel figure la mention suivante: «INTERNATIONAL LINES HEAD OFFICES: 64B Kifissias Ave. GR, 151 25, Maroussi, Athens».

65
Le Tribunal estime que la décision et les mandats de vérification contenaient tous les éléments pertinents pour permettre aux employés de l’ETA de juger si, compte tenu de la motivation de ladite décision et à la lumière de la connaissance qu’ils avaient de la nature et de la portée des relations existant entre l’ETA et Minoan, ils étaient obligés de permettre ou non la vérification envisagée par la Commission dans leurs locaux.

66
Il faut donc conclure que, pour ce qui est de la décision et des mandats de vérification, les exigences découlant de la jurisprudence ont été pleinement respectées, en ce qui concerne le titulaire des locaux inspectés, à savoir l’ETA, car, d’une part, en tant qu’entreprise gestionnaire des affaires de Minoan sur le marché des transbordeurs rouliers assurant les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie, elle était en mesure de saisir la portée de son devoir de collaboration avec les agents de la Commission et, d’autre part, ses droits de la défense ont été pleinement préservés compte tenu du degré de motivation desdits actes et de la mention explicite de la possibilité d’introduire un recours contre la décision de vérification devant le Tribunal. Le fait que ni El’TA ni Minoan ne l’aient fait par la suite relève de leur seul choix et n’est pas de nature à infirmer cette conclusion, mais plutôt à la confirmer.

67
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si l’ETA était du point de vue juridique une entité distincte de Minoan, toutefois, dans son rôle de représentant de cette dernière et de gestionnaire exclusif des activités qui faisaient l’objet de l’enquête de la Commission, sa personnalité était entièrement assimilée à celle de son commettant, de sorte qu’elle était soumise à la même obligation de coopération que celui-ci.

68
En outre, dans l’hypothèse où il serait permis à Minoan de se prévaloir des droits de la défense de l’ETA en tant qu’entité distincte, force est de constater que ces droits n’ont jamais été mis en question. En effet, ni les activités distinctes, à supposer qu’il en ait existé, ni les propres livres et documents professionnels de l’ETA ne faisaient l’objet de la vérification en cause.

69
L’on ne saurait non plus reprocher à la Commission, dans les circonstances de l’espèce, ni d’avoir pensé que Minoan avait des locaux propres à l’adresse à laquelle les agents de la Commission se sont rendus, à Athènes, ni d’avoir, en conséquence, inclu ladite adresse dans sa décision de vérification comme étant l’adresse d’un des centres d’activités de Minoan.

70
Il convient ensuite d’aborder la question de savoir si, en insistant pour procéder à la vérification, la Commission a respecté le cadre de la légalité.

71
Il ressort de la jurisprudence, rappelée ci-dessus, que la Commission doit assurer dans ses activités de vérification le respect du principe de la légalité de l’action des institutions communautaires et du principe de protection contre les interventions arbitraires de l’autorité publique dans la sphère de l’activité privée de toute personne physique ou morale (voir arrêt Hoechst/Commission, précité, point 19). Il serait excessif et contraire aux dispositions du règlement n° 4056/86 et aux principes fondamentaux du droit de reconnaître à la Commission de façon générale un droit d’accès, sur la base d’une décision de vérification adressée à une entité juridique déterminée, aux locaux d’une entité juridique tierce sous le simple prétexte qu’elle est étroitement liée au destinataire de la décision de vérification ou que la Commission pense pouvoir y trouver des documents de cette dernière, et le droit d’effectuer des vérifications dans ces locaux sur la base de ladite décision.

72
Or, en l’espèce, la requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir tenté d’élargir ses pouvoirs de vérification en visitant les locaux d’une société autre que la société destinataire de la décision. Au contraire, il résulte du dossier que la Commission a agi diligemment et en respectant largement son devoir de s’assurer autant que possible, antérieurement à la vérification, que les locaux qu’elle envisageait d’inspecter étaient effectivement les locaux de l’entité juridique sur laquelle elle souhaitait enquêter. Il convient de rappeler, à cet égard, la préexistence d’une correspondance échangée entre la Commission et Minoan dans le cadre de laquelle cette société a répondu à deux courriers de la Commission au moyen de deux lettres signées par M. Sfinias, qui est finalement apparu comme étant l’administrateur de l’ETA, sans pour autant avoir fait la moindre mention de l’existence même de l’ETA ni du fait que Minoan agissait sur le marché via un agent exclusif.

73
En outre, il convient de constater que, comme la Commission l’a relevé dans son mémoire en défense, sans être contredite par la requérante, dans la liste des membres de l’Union des propriétaires grecs de transbordeurs est mentionné le nom de M. Sfinias, la personne ayant signé les deux lettres au nom de Minoan, que, dans le barème des prix publié par Minoan, une agence générale est mentionnée à l’adresse Kifissias 64 B, Athènes, et, enfin, que dans l’annuaire téléphonique d’Athènes, il est fait mention de la société Minoan Lines à l’adresse à laquelle la Commission s’est rendue pour procéder à la vérification.

74
Il reste la question de savoir si, une fois que les agents de la Commission ont su que l’ETA était une autre société, pour laquelle ils ne disposaient pas de décision de vérification, ils auraient dû se retirer et revenir, le cas échéant, avec une décision adressée à ETA et dûment motivée en ce qui concerne les raisons justifiant une telle vérification dans le cadre de l’affaire en question.

75
Il convient de constater que, compte tenu des circonstances particulières exposées ci-dessus, la Commission a pu raisonnablement estimer que les «précisions» des employés de l’ETA ne suffisaient ni à faire immédiatement la lumière sur la question de la distinction entre les personnes morales ni à justifier la suspension du déroulement du contrôle, d’autant plus que, comme le souligne la Commission, décider s’il s’agissait ou non de la même entreprise aurait requis une appréciation sur le fond et notamment une interprétation de la portée du champ d’application de l’article 18 du règlement n° 4056/86.

76
Force est de constater que, dans les circonstances de l’espèce, la Commission a estimé à bon droit, même après avoir su que les locaux situés à l’endroit visité appartenaient à l’ETA et non à Minoan, qu’ils devaient néanmoins être considérés comme des locaux utilisés par Minoan pour développer ses activités commerciales et, donc, qu’ils pouvaient être assimilés aux locaux commerciaux de l’entreprise destinataire de la décision de vérification. Il convient de rappeler à cet égard que la Cour a jugé que le droit d’accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c’est-à-dire dans les «locaux commerciaux des entreprises» (arrêt Hoechst/Commission, précité, point 26). Dès lors, la Commission pouvait tenir compte, dans l’exercice de ses pouvoirs de vérification, de la logique selon laquelle ses chances de trouver des preuves de l’infraction présumée sont plus élevées si elle enquête dans les locaux à partir desquels la société qui est sa cible développe habituellement et de facto son activité en tant qu’entreprise.

77
Enfin et en tout état de cause, il y a lieu d’ajouter qu’il n’y a pas eu d’opposition définitive à ce que la Commission procède à la vérification.

78
Il s’ensuit qu’en l’occurrence, en insistant pour procéder à la vérification dans un cas comme celui de l’espèce, la Commission n’a pas outrepassé les pouvoirs d’enquête que lui reconnait l’article 18, paragraphe 1, du règlement n° 4056/86.

c) Sur le respect des droits de la défense et sur l’absence d’ingérence excessive de l’autorité publique dans la sphère d’activité de l’ETA

79
Comme il a été rappelé ci-dessus, la jurisprudence de la Cour et du Tribunal montre que, s’il y a lieu de préserver l’effet utile des vérifications de la Commission, celle-ci doit pour sa part s’assurer du respect des droits de la défense des entreprises concernées par la vérification et s’abstenir de toute intervention arbitraire ou disproportionnée dans leur sphère d’activités privées (arrêts Hoechst/Commission, précité, point 19; Dow Benelux/Commission, précité, point 30; arrêt de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 16, et arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit «PVC II», T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931, point 417).

80
Pour ce qui est du respect des droits de la défense, il convient de constater que ni la requérante ni l’entité juridique titulaire des locaux inspectés, à savoir l’ETA, n’ont estimé opportun d’introduire un recours contre la décision de vérification sur la base de laquelle la vérification a eu lieu, alors même qu’ils aurait pu le faire, comme l’article 18, paragraphe 3, du règlement n° 4056/86 le prévoit expressément.

81
En outre, s’agissant de la requérante, il suffit de constater qu’elle se prévaut de son droit de demander le contrôle de la légalité intrinsèque de la vérification dans le cadre du présent recours en annulation contre la décision finale adoptée par la Commission en application de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

82
Il est également constant que, dans la mesure où les employés de l’ETA ne se sont finalement pas opposés à ce que la Commission procède à la vérification, la Commission ne s’est pas vue obligée de demander un mandat judiciaire et/ou l’aide de la force publique pour procéder à la vérification. Il s’ensuit qu’une vérification comme celle de l’espèce doit être considérée comme une vérification effectuée avec la coopération de l’entreprise concernée. Le fait que l’autorité grecque de la concurrence ait été contactée et qu’un de ses agents se soit rendu sur les lieux de la vérification ne peut contredire la conclusion qui précède, car une telle mesure est prévue à l’article 18, paragraphe 5, du règlement n° 4056/86 pour les cas où l’entreprise ne s’oppose pas à la vérification. Dans ces conditions, il ne pourrait être question d’une ingérence excessive de l’autorité publique dans la sphère d’activité de l’ETA en l’absence d’un quelconque élément invoqué pour soutenir que la Commission serait allée au-delà de la coopération offerte par les employés de l’ETA (voir, en ce sens, arrêt PVC II, précité, point 422).

C – Conclusion

83
Il ressort de tout ce qui précède qu’en l’espèce la Commission a pleinement respecté la légalité tant en ce qui concerne les actes de vérification qu’elle a adoptés que dans la manière dont s’est déroulée postérieurement la vérification et qu’elle l’a fait en préservant les droits de la défense des entreprises concernées et en respectant pleinement le principe général du droit communautaire garantissant une protection contre les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activités privées de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient disproportionnées ou arbitraires.

84
Dès lors, il y a lieu de déclarer ce moyen non fondé.

Sur le deuxième moyen, pris d’une application erronée de l’article 85, paragraphe 1, du traité au cas d’espèce, en ce que les entreprises ne disposaient pas de l’autonomie exigée, leur comportement étant imposé par le cadre législatif et les incitations des autorités grecques

Arguments des parties

85
La requérante admet que, comme la plupart des sociétés maritimes de transport de passagers et de véhicules qui opéraient sur le marché Grèce/Italie, elle a participé à des négociations pendant un assez grand nombre d’années en vue de fixer les tarifs applicables sur ce marché.

86
Toutefois, elle reproche à la Commission d’avoir fait une appréciation incomplète des faits pertinents en ignorant totalement l’impact du cadre législatif et réglementaire régissant la navigation marchande en Grèce, de l’intervention du ministère de la Marine marchande sur le marché Grèce/Italie et de la soumission des entreprises concernées à des obligations de service public sur l’activité desdites sociétés.

87
La requérante soutient que cette méconnaissance du contexte dans lequel les faits se sont déroulés a conduit la Commission à estimer, à tort, que les entreprises en cause disposaient d’une autonomie suffisante en matière de politique tarifaire sur le segment international des lignes reliant la Grèce à l’Italie et, de ce fait, à commettre une erreur manifeste en considérant que l’article 85, paragraphe 1, du traité était applicable en l’espèce.

88
Afin de démontrer qu’elle ne disposait pas d’autonomie dans la fixation des tarifs internationaux au cours de la période litigieuse, la requérante se réfère, en premier lieu, à l’impact du cadre législatif et réglementaire grec en matière de navigation et, notamment, aux effets de la loi n° 4195/29 relative à la concurrence déloyale des navires de passagers.

89
Après avoir souligné l’importance que la Grèce accorde aux lignes maritimes reliant la Grèce à l’Italie, la requérante rappelle que ces lignes incluent une section interne au territoire grec (à partir de Patras/Igoumenitsa jusqu’à Corfou). L’approbation des liaisons correspondantes et la fixation de prix uniformes pour la fraction nationale de ces lignes reviendrait au ministère de la Marine marchande en vertu de la législation grecque. Plus précisément, les tarifs seraient fixés par décision ministérielle sur proposition de l’Union des armateurs grecs de cabotage et après avis du comité consultatif des lignes de cabotage. La requérante précise que la législation applicable à la fraction nationale des lignes est le code de droit maritime public (chapitre relatif au cabotage, articles 158 à 180 bis), la loi n° 4195/29, précitée, et le décret-loi n° 288/69, relatif au contrôle des trajets effectués par des navires grecs de transport de passagers entre des ports grecs et des ports d’autres pays méditerranéens.

90
La requérante fait remarquer que les articles 1er, 2 et 4 de la loi n° 4195/1929, précitée, prévoient des obligations et interdictions qui s’appliquent aux sociétés opérant entre la Grèce et l’Italie et qui couvrent la fraction purement grecque des lignes. Elle considère que la Commission a mal évalué l’impact de cette loi en examinant uniquement son libellé et non sa substance, c’est-à-dire la façon dont s’applique cette loi sur l’ensemble du marché Grèce/Italie. Elle rappelle que cette loi interdit, «pour les lignes à destination de l’étranger, toute réduction des tarifs de transport de passagers et de marchandises qui, opérée à des fins de concurrence déloyale, ramène les prix à des niveaux dérisoires et disproportionnés au regard d’une rétribution raisonnable et juste des services fournis et des exigences de la sécurité et du confort des passagers, ou à des niveaux inférieurs à ceux généralement appliqués dans le port». Or, selon la requérante, les compagnies étant obligées de maintenir le fonctionnement des lignes maritimes en hiver, elles étaient prêtes à réduire les tarifs à des niveaux très bas afin de couvrir une partie du potentiel excédentaire qu’il leur était imposé de maintenir. Ainsi, une politique de bas prix sur un marché déterminé conduirait inéluctablement à une guerre de prix et à des tarifs «dérisoires et disproportionnés au regard [...] des services fournis», qui provoqueraient l’application de la loi n° 4195/1929, précitée, et, très certainement, l’intervention directe du ministère de la Marine marchande. Dans ces circonstances, même si cette loi ne fixe qu’un niveau de prix minimal, son effet réel serait de limiter toute possibilité de concurrence en matière tarifaire pour les sociétés auxquelles a été confiée l’exécution de services d’intérêt public. La Commission aurait, en conséquence, évalué de façon erronée les conséquences effectives de cette loi sur le marché en cause en ne comprenant pas que, combinée à l’obligation d’exécuter les services en question, ladite loi n’a laissé aucune autre possibilité aux sociétés concernées que de s’accorder en vue d’uniformiser leurs tarifs.

91
Ensuite, la requérante fait observer que le décret-loi n° 288/69, auquel sont soumis tous les navires de transport de passagers battant pavillon grec et qui embarquent des passagers dans des ports grecs vers d’autres ports de la Méditerranée, impose des obligations très strictes aux propriétaires des navires. En vertu des articles 2 et 3 de ce texte, les propriétaires doivent remettre au ministère de la Marine marchande une déclaration écrite indiquant l’ensemble des itinéraires, desquels ils ne peuvent s’écarter.

92
La requérante rappelle qu’il n’est possible d’assurer des lignes nationales qu’après délivrance d’une «licence d’exploitation» par le ministère de la Marine marchande pour chaque navire. Elle fait valoir que ce ministère considère, en substance, que la partie internationale des lignes est un prolongement naturel de la partie nationale, comme le démontrerait le fait que, dans le cas de deux navires de la requérante (Ionian Island et Ionian Galaxy), le ministère avait mentionné dans les licences d’exploitation la destination finale des navires. Enfin, le ministère n’aurait jamais, au moins pendant les quinze dernières années, accordé de licence d’exploitation à des navires en vue d’effectuer des trajets entre Patras et Corfou lorsque ces trajets n’étaient pas ensuite prolongés vers les ports italiens.

93
Selon la requérante, compte tenu de l’application de cette législation par le ministère de la marine marchande, les compagnies assurant les lignes entre la Grèce et l’Italie et assurant également la partie nationale des trajets se voient imposer des obligations lourdes qu’il convient de qualifier d’obligations de service public comme celles qui sont propres à la réglementation en matière de cabotage. Plus précisément, ces obligations incluraient l’exécution de liaisons suivant un calendrier régulier tout au long de l’année; une desserte régulière pendant toute la semaine dont la charge correspondante serait à répartir entre les entreprises les plus importantes; le contrôle obligatoire de la fréquence d’immobilisation des navires; des réglementations spécifiques pour le transport de marchandises, en particulier l’obligation de réserver un quota de places aux véhicules utilitaires indépendamment du taux de remplissage ou de la saison; le respect des tarifs fixés pour la partie nationale du trajet ainsi que des prix plafonds et des prix planchers fixés par le ministère de la Marine marchande pour la partie internationale du marché Grèce/Italie, afin de conserver le potentiel disponible pendant toute l’année, indépendamment de la très forte diminution de la demande en hiver.

94
La requérante tient à préciser que ces obligations de service public concernent uniquement les sociétés assurant les lignes internationales, mais effectuant aussi des liaisons Patras-Igoumenitsa-Corfou. Elle fait valoir que ces obligations se rattachent directement au besoin de ces sociétés d’obtenir et de conserver des licences d’exploitation pour la partie nationale des lignes, car, si ces sociétés ne respectent pas ces obligations, elles risquent de se voir retirer leurs licences d’exploitation obligatoires pour opérer dans le trafic national.

95
Ces obligations montreraient que l’objectif immédiat de l’intervention du ministère de la Marine marchande sur ce marché est d’assurer une répartition équilibrée dans le temps de l’ensemble du potentiel disponible sur le marché Grèce/Italie et ce suivant des modalités qui garantissent un flux régulier de personnes, de véhicules et de marchandises pendant toute l’année et durant toute la semaine.

96
La requérante ajoute que, en raison de la politique du ministère de la Marine marchande, les sociétés ne sont pas en mesure de retirer leurs navires pendant les mois d’hiver et de les affecter à d’autres marchés plus rentables, puisque la desserte Patras-Corfou-Igoumenitsa-Italie en hiver est une condition nécessaire pour pouvoir exploiter ce marché pendant la période d’activité touristique. Étant donné qu’elle n’est pas justifiée par la demande, l’obligation de desservir ces destinations pendant toute l’année requiert un excédent de capacité qui pourrait mettre la viabilité de ces sociétés en danger si cette obligation n’était pas accompagnée de l’invitation du ministère à fixer les tarifs de façon rationnelle, en respectant notamment certains prix planchers.

97
Ensuite, la requérante fait observer que le marché en question était caractérisé par une grande transparence: les sociétés impliquées connaissaient très précisément les paramètres relatifs aux tarifs et aux itinéraires nationaux en raison des réunions annuelles du comité consultatif pour la fixation des tarifs nationaux et des itinéraires, et ces paramètres étaient semblables à ceux applicables pour les lignes internationales. Dès lors, tous les armateurs auraient été fondamentalement en mesure de connaître avec précision la position de leurs concurrents, situation qui aurait créé un mouvement naturel d’alignement des tarifs pour l’ensemble des lignes entre la Grèce et l’Italie.

98
Selon la requérante, le résultat pratique de l’imposition d’obligations de service public était un excédent structurel de capacités sur le marché, situation impossible à maintenir en régime de libre concurrence. Dans ces conditions, selon elle, la seule solution était d’assurer une convergence des prix, en particulier en ce qui concerne leur niveau plancher. Partant, les négociations en vue de la convergence des tarifs étaient un moyen de fournir les services d’intérêt public demandés par le ministère. Enfin, ce comportement des sociétés maritimes aurait été indirectement approuvé par le gouvernement grec.

99
À cet égard, la requérante affirme que le ministère de la Marine marchande a pris les mesures correctrices prévues par la loi n° 4195/29 sur le marché Grèce/Italie à titre préventif et que, afin de maintenir le potentiel excédentaire à un niveau de prix concurrentiel sur le marché Grèce/Italie, il a incité les sociétés concernées à fixer le barème des prix à l’intérieur de limites maximales et minimales strictement définies, à ne pas procéder à des augmentations de tarifs allant au-delà du taux d’inflation et à ne pas réduire lesdits tarifs à des niveaux qui conduiraient à une guerre des prix entre les sociétés concernées.

100
La requérante invoque également l’impact de la loi n° 4195/29 sur l’autonomie des sociétés et ajoute que, si, pendant la période litigieuse, le ministère de la Marine marchande n’est jamais intervenu de façon drastique en vue de restructurer radicalement le marché en question, comme il aurait pu le faire en application de la loi n° 4195/29, c’est parce que les sociétés impliquées avaient respecté ses instructions, appuyé sa politique nationale en faveur des lignes entre la Grèce et l’Italie et fixé leurs tarifs de façon rationnelle, conformément à ses «exhortations».

101
En outre, la requérante fait valoir que les «souhaits», «exhortations» ou encore «recommandations» du ministère aux entreprises impliquées avaient en fait un caractère contraignant, dans la mesure où elles disposaient de licences d’exploitation tant pour le marché Grèce/Italie que pour d’autres lignes nationales (cabotage). En conséquence, la requérante n’aurait pas eu le choix en ce qui concerne l’exécution ou non des services d’intérêt public.

102
La requérante en conclut que le cadre réglementaire grec, la pratique du ministère de la Marine marchande ainsi que les obligations imposées par ce dernier, la nécessité d’une planification en temps utile, le volume incertain de la demande pendant la saison touristique, le risque d’une modification draconienne des coûts à la suite de la dépréciation annuelle imprévisible de la drachme grecque, l’obligation de révéler ses projets dans le cadre des négociations obligatoires pour la partie nationale des liaisons et la nécessité de se conformer aux recommandations du ministère de la Marine marchande pour que les tarifs sur la section internationale du marché Grèce/Italie soient fixés dans les limites de l’inflation l’ont contrainte à se protéger, dans une certaine mesure, d’une concurrence contre laquelle elle ne pouvait pas réagir en interrompant ou en diminuant ses activités. Dans le cas contraire, l’«équilibre» voulu par le ministère sur ce marché aurait été compromis par une action unilatérale de n’importe quelle société avec des résultats peu souhaitables pour le ministère de la Marine marchande (par exemple, interruption du transport des produits, prix élevés, guerre commerciale entre les sociétés et diminution inévitable du potentiel existant). La requérante admet que, dans ces circonstances, la convergence des prix se concrétisait par des accords-cadres entre les compagnies, mais tient à préciser que ces accords laissaient intacte la possibilité pour chaque compagnie de s’en écarter, car ils n’imposaient pas d’obligations ni de clauses pour en garantir le respect.

103
La requérante considère que les accords-cadres visant à la fixation du niveau des tarifs n’avaient aucune incidence négative sur la concurrence par les prix sur le marché des services fournis par les transbordeurs entre la Grèce et l’Italie, parce que, tout simplement, une telle concurrence n’existait pas. En fait, le cadre législatif et réglementaire avait limité la possibilité pour les compagnies de fixer les prix au niveau qu’elles souhaitaient, sur la base de leurs critères économiques, et rendait le marché en cause absolument transparent.

104
Afin d’illustrer cette conclusion, la requérante tient à rappeler, en premier lieu, que, comme la représentation permanente de la Grèce l’a souligné dans sa lettre du 17 mai 1995 à la Commission, le ministère de la Marine marchande fixe les tarifs pour les lignes nationales, y compris pour la partie nationale des lignes internationales, tandis que les tarifs sont fixés librement par les compagnies pour la partie internationale des trajets. En outre, en ce qui concerne les tarifs pour la partie internationale des trajets, la représentation permanente de la Grèce aurait souligné, dans la même lettre, que le ministère de la Marine marchande vérifie, en vue de protéger les intérêts nationaux de la Grèce, l’application des prix par les compagnies et les encourage à maintenir leurs tarifs à un niveau concurrentiel et peu élevé, de sorte que les augmentations annuelles ne dépassent pas, en tout état de cause, les limites de l’inflation. De plus, elle aurait reconnu que la liberté des compagnies de fixer leurs tarifs de façon autonome est limitée par les dispositions de la loi n° 4195/29, qui, notamment, interdisent la fixation de prix dérisoires et disproportionnés par rapport aux services fournis. Enfin, la représentation permanente de la Grèce aurait également indiqué que le souci fondamental du gouvernement est d’éviter par tous les moyens l’effondrement du marché à la suite d’une éventuelle guerre commerciale entre les compagnies présentes sur ce marché.

105
Pour la requérante, il ressort de ces affirmations, d’une part, que le ministère de la Marine marchande et la loi n° 4195/29 définissent des prix plafonds et des prix planchers et, d’autre part, que les tarifs appliqués sur les lignes internationales sont influencés indirectement et partiellement par les tarifs fixés par l’État pour la partie nationale des lignes internationales. Or, cette dernière influence s’expliquerait par le fait que la fixation des tarifs pour la partie nationale des lignes influence celle qui correspond à la partie internationale des lignes, compte tenu du fait que toutes les données pertinentes prises en considération pour la fixation des tarifs correspondant à la partie nationale des lignes (coût à l’unité, coût salarial, utilisation du potentiel, potentiel supplémentaire disponible, etc.) sont tout à fait semblables à celles utilisées pour la détermination des tarifs sur la partie internationale des lignes. En conséquence, selon la requérante, chaque fois qu’il existe des raisons pour le ministère de la Marine marchande de procéder à une majoration, à titre conservatoire, des tarifs pour la partie nationale des trajets, la majoration des tarifs correspondant à la partie internationale des lignes s’impose.

106
La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir réellement traité la question qu’elle lui avait soumise dès les premiers stades de la procédure administrative, à savoir la question relative à l’importance des obligations de service public du point de vue des conditions de concurrence sur le marché Grèce/Italie. La Commission se serait limitée à poser une seule question fragmentaire et fallacieuse aux autorités helléniques, celle de savoir dans quelle mesure ce ministère avait menacé les sociétés impliquées d’un retrait des licences d’exploitation si elles ne convenaient pas entre elles des tarifs applicables sur le segment international des lignes entre la Grèce et l’Italie. Or, si la requérante reconnaît que le ministère de la Marine marchande n’a pas imposé directement aux armateurs l’obligation de se mettre d’accord sur les tarifs appliqués à la partie internationale des trajets, elle estime que la Commission aurait dû demander au gouvernement grec quelles auraient été les conséquences du non-respect par les sociétés concernées des obligations de service d’intérêt public, telles que les désigne le gouvernement grec, du non-respect des exhortations du ministère de la Marine marchande pour que les tarifs sur la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie soient ajustés sans dépasser les limites de l’inflation et d’une pratique de concurrence déloyale. La requérante estime qu’un éventuel non-respect de sa part des obligations imposées par les autorités grecques aurait entraîné le retrait des licences d’exploitation dont elle dispose et l’aurait exposée à d’autres conséquences défavorables.

107
Dans ces circonstances, la requérante considère que son respect du cadre réglementaire et législatif grec, de la politique du ministère de la Marine marchande en ce qui concerne la fixation des tarifs sur le marché Grèce/Italie et des obligations de service public ainsi que la transparence régnant de ce fait sur ce marché lui ont fait perdre son autonomie quant à la fixation des prix applicables sur le marché Grèce/Italie.

108
Dès lors, le comportement de la requérante ne pourrait relever de l’interdiction édictée par l’article 85, paragraphe 1, du traité. L’appréciation juridique de la Commission serait erronée parce qu’elle part du postulat incorrect que les négociations relatives aux tarifs du transport de passagers, de véhicules de tourisme et de véhicules utilitaires entre la Grèce et l’Italie étaient voulues par les sociétés, alors qu’elles étaient le résultat des diverses interventions du ministère de la Marine marchande, qui pouvait s’appuyer à cet effet sur le cadre réglementaire et législatif en vigueur en Grèce.

109
La requérante soutient que le présent cas d’espèce est comparable aux faits à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission (T-387/94, Rec. p. II-961, point 65), dans lequel le Tribunal a jugé qu’une entreprise a perdu son autonomie s’il apparaît, sur le fondement d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’un comportement lui a été unilatéralement imposé par les autorités nationales, par l’exercice de pressions irrésistibles telles que, par exemple, la menace de l’adoption de mesures étatiques susceptibles de lui faire subir des pertes importantes. Elle se réfère également à l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité (points 63 à 73), dans lequel la Cour avait conclu que le comportement critiqué par la Commission ne relevait pas du champ d’application de l’article 85 du traité, compte tenu de l’impact de la réglementation italienne sur la concurrence en estimant, en particulier, que la Commission avait insuffisamment tenu compte de l’incidence décisive de la réglementation en cause et de son exécution sur des éléments essentiels du comportement reproché aux entreprises concernées et, dès lors, avait négligé un élément indispensable à l’appréciation des infractions alléguées.

110
Elle reproche à la Commission de ne pas avoir examiné dans quelle mesure les circonstances particulières de l’espèce rendaient l’article 85, paragraphe 1, du traité inapplicable, alors que ces circonstances ressortaient clairement des lettres envoyées par les autorités grecques à la Commission.

111
La Commission conteste l’affirmation selon laquelle les conditions d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité ne sont pas réunies en l’espèce et, en particulier, l’idée que cette disposition n’est pas applicable dans le cas d’un défaut d’autonomie des entreprises impliquées dans la détermination des tarifs pour la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie.

112
À titre liminaire, la Commission fait valoir que, comme la requérante le reconnaît elle-même, les facteurs invoqués par celle-ci à l’appui de sa thèse du manque d’autonomie n’ont nullement et en aucune façon, dans leur ensemble ou séparément, imposé aux sociétés impliquées de fixer d’un commun accord les prix s’appliquant à la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie. Aucune disposition de nature législative ou réglementaire ni l’attitude des autorités étatiques n’auraient obligé, en droit ou en fait, les sociétés impliquées à conclure les accords visés par la Décision. Elle ajoute que ces facteurs n’ont pas réduit à néant, directement ou indirectement, la concurrence pour ce qui est de la fixation des tarifs internationaux.

113
Ensuite, la Commission conteste la prétendue absence d’autonomie dans le chef des entreprises qui, selon la requérante, serait provoquée par le cadre législatif et réglementaire hellénique, par l’application de la loi n° 4195/29 relative à la concurrence déloyale et par les incitations des autorités helléniques à agir d’une manière déterminée.

114
S’agissant de la prétendue influence des pressions exercées par les autorités publiques grecques sur l’autonomie de la requérante, la Commission conteste l’affirmation selon laquelle l’entente litigieuse avait été conclue à l’initiative des autorités grecques, lesquelles auraient approuvé indirectement cette pratique en tant que moyen de réaliser leur politique nationale sur le marché Grèce/Italie.

115
La Commission conteste également les autres allégations de la requérante portant sur l’application erronée de l’article 85, paragraphe 1, du traité au cas de l’espèce.

116
En premier lieu, elle conteste l’argument de la requérante selon lequel, compte tenu d’une sorte d’«accoutumance» des sociétés aux négociations obligatoires, il aurait été impossible de déterminer avec précision les limites de ce qui était autorisé dans le cadre des négociations régulières. La Commission affirme que, selon une jurisprudence constante, le fait que la requérante ait été ou non consciente d’enfreindre l’article 85, paragraphe 1, du traité, ne revêt qu’une importance négligeable. Il suffirait d’établir qu’elle savait que le comportement litigieux auquel elle se livrait était susceptible de limiter la concurrence (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française/Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 112).

117
En deuxième lieu, la Commission fait valoir que, contrairement à ce que prétend la requérante, elle a effectivement tenu compte du contenu des lettres de la représentation permanente de la Grèce et du ministère de la Marine marchande grec aux termes desquelles, selon la requérante, les autorités helléniques réglementeraient en substance la plupart des paramètres de concurrence autres que les prix sur la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie (considérants 101 à 105 de la Décision).

118
En troisième lieu, en réponse à l’argument selon lequel l’accord n’aurait pas eu de caractère contraignant, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, pour considérer qu’une restriction consiste en une entente, au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité, il suffit qu’elle constitue l’expression fidèle de la volonté des entreprises impliquées, sans qu’il soit nécessaire que cet accord contienne les éléments constitutifs d’une convention contraignante. Pour ce qui est de la possibilité de variations tarifaires, les limites des écarts en question auraient été, en partie, convenues par les sociétés concernées, comme cela ressortirait des éléments de preuve.

Appréciation du Tribunal

119
Il ressort de la jurisprudence que les articles 85 et 86 du traité ne visent que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 20 mars 1985, Italie/Commission, 41/83, Rec. p. 873, points 18 à 20; du 19 mars 1991, France/Commission, C-202/88, Rec. p. I-1223, point 55; du 13 décembre 1991, GB-INNO-BM, C-18/88, Rec. p. I-5941, point 20, et du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C-359/95 P et C-379/95 P, Rec. p. I-6265, point 33). Si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui, lui-même, élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, les articles 85 et 86 ne sont pas d’application. Dans une telle situation, la restriction de la concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l’impliquent ces dispositions, dans des comportements autonomes des entreprises (arrêt Commission et France/Ladbroke Racing, précité, point 33; arrêts du Tribunal du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T-228/97, Rec. p. II-2969, point 130, et du 30 mars 2000, Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, T-513/93, Rec. p. II-1807, point 58).

120
En revanche, les articles 85 et 86 du traité peuvent s’appliquer s’il s’avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises (arrêts de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 126, et Commission et France/Ladbroke Racing, précité, point 34; arrêts du Tribunal Irish Sugar/Commission, précité, point 130, et Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, précité, point 59).

121
En outre, il convient de rappeler que la possibilité d’exclure un comportement anticoncurrentiel déterminé du champ d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, en raison du fait qu’il a été imposé aux entreprises en question par la législation nationale existante ou que celle-ci a éliminé toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, a été appliquée de manière restrictive par les juridictions communautaires (arrêts Van Landewyck e.a./Commission, précité, points 130 et 133; Italie/Commission, précité, point 19; arrêt de la Cour du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie e.a./Commission, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831, points 27 à 29; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387/94, Rec. p. II-961, points 60 et 65, et Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, précité, point 60).

122
Ainsi, en l’absence d’une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la Commission ne peut conclure à une absence d’autonomie dans le chef des opérateurs mis en cause que s’il apparaît sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l’exercice de pressions irrésistibles, telles que la menace de l’adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes (arrêt Asia Motor France e.a./Commission, précité, point 65).

123
En l’espèce, la thèse de la requérante consiste à soutenir que le cadre législatif et réglementaire existant en Grèce ainsi que la politique menée par le ministère de la Marine marchande grec ont limité de façon décisive l’autonomie des sociétés maritimes, en particulier en ce qui concerne la fixation des tarifs applicables tant sur les lignes nationales que sur la partie internationale des lignes entre la Grèce-et l’Italie. Il en résulterait que les sociétés maritimes se sont vues obligées d’établir entre elles des contacts, des concertations et des négociations relatives aux paramètres fondamentaux de leur politique commerciale tels que les prix.

124
Dès lors, il convient de déterminer si les comportements reprochés en l’espèce trouvent leur origine dans la législation nationale ou dans la pratique des autorités nationales grecques ou s’ils relèvent, en revanche, au moins pour une part, de la volonté de la requérante et des autres entreprises ayant pris part aux accords. Il convient donc de déterminer si le cadre législatif et réglementaire ainsi que la politique du ministère de la Marine marchande grec ont eu pour effet cumulatif d’éliminer l’autonomie des entreprises quant à l’adoption de leur politique tarifaire sur les lignes entre la Grèce et l’Italie et donc d’anéantir toute possibilité de se concurrencer entre elles.

125
La marine marchande en Grèce est régie par le code de droit public maritime, par le code de droit privé maritime et par d’autres réglementations particulières contenant des dispositions relatives à la concurrence déloyale dans les transports maritimes, dont en particulier la loi n° 4195/1929 sur la concurrence déloyale et la loi n° 703/1977, sur la libre concurrence, entrée en vigueur le 1er janvier 1979 dans la perspective de l’adhésion de la République hellénique aux Communautés européennes.

126
Exerçant les pouvoirs que la législation précitée lui confère, le ministère de la Marine marchande grec prend, notamment, les mesures suivantes: a) l’octroi de «licences d’exploitation» pour les lignes nationales, y compris pour la partie nationale des trajets internationaux; b) la ratification de tarifs uniformes et obligatoires pour les liaisons nationales ou pour la partie nationale des liaisons internationales, comme la section Patras-Igomenitsa-Corfou; c) l’approbation annuelle des liaisons; d) le contrôle de l’immobilisation des bateaux, afin de garantir la réalisation des liaisons obligatoires précitées; e) l’imposition de négociations obligatoires entre les sociétés maritimes afin de programmer et de coordonner les liaisons avant que les plans de route ne soient approuvés par le ministère de la Marine marchande pour l’année suivante, dans le cadre de nouvelles négociations entre ce ministère et les sociétés.

127
Il est constant entre les parties que l’octroi de licences d’exploitation, la fixation de tarifs obligatoires, l’approbation annuelle de trajets et le contrôle de l’immobilisation des navires par le ministère de la Marine marchande grec concernent les lignes maritimes nationales et non les lignes internationales. En outre, la Commission a précisé dans ses mémoires, sans être contredite par la requérante, que l’obligation d’effectuer des trajets réguliers, qui est liée à la licence d’exploitation, affecte uniquement les navires battant pavillon grec qui assurent exclusivement des lignes nationales ou qui assurent des lignes internationales, mais alors uniquement pour ce qui concerne la partie nationale des trajets. De même, la Commission a signalé, sans être contredite sur ce point, que les entreprises étaient libres de choisir d’assurer des lignes internationales comprenant ou non une partie nationale, ou même seulement des lignes exclusivement nationales. Partant, si une entreprise avait choisi d’assurer des lignes internationales sans partie nationale elle n’avait pas besoin d’obtenir de licence d’exploitation ni de respecter les engagements qui l’accompagnent.

128
De même, aux fins de la fixation des tarifs pour les lignes nationales, le ministère de la Marine marchande demandait aux sociétés maritimes de lui faire des propositions globales pour chaque ligne nationale, en justifiant les montants proposés sur la base des coûts d’exploitation, de l’inflation, de la rentabilité des lignes, de la fréquence des trajets, etc. Ensuite, sur la base des tarifs proposés, de leur justification et d’autres critères plus généraux tenant à la politique gouvernementale globale, le ministère approuvait ou modifiait les propositions, après avis de la commission des prix et revenus près le ministère des Finances grec, approbation ou modification qui prenait, en fait, la forme d’une fixation des tarifs en question. La fixation administrative des tarifs pour la partie nationale des liaisons correspondantes aurait donc un impact sur les tarifs de la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie, en ce que lesdits tarifs remplissent une fonction correspondant à celle de prix indicatifs.

129
La législation grecque en matière de concurrence déloyale et en particulier l’article 2 de la loi n° 4195/1929 interdit «pour les lignes à destination de l’étranger, toute réduction des tarifs de transport de passagers et de marchandises qui, opérée à des fins de concurrence déloyale, ramène les prix à des niveaux dérisoires et disproportionnés au regard d’une rétribution raisonnable et juste des services fournis et des exigences de la sécurité et du confort des passagers, ou à des niveaux inférieurs à ceux généralement appliqués dans le port en question». L’article 4 de la loi n° 4195/1929 dispose ce qui suit:

«[L]orsque la liberté de fixation des tarifs sur les lignes à destination de l’étranger mène à une concurrence déloyale, le ministère de la Marine (direction de la marine marchande) peut, outre l’application des dispositions des articles précédents, fixer, après avis du conseil de la marine marchande, des limites inférieures et supérieures aux tarifs de transport de passagers et de marchandises pour les liaisons assurées entre les ports grecs et ceux de l’étranger sur des bateaux de transport de passagers grecs. Le dépassement de ces limites est interdit; les contrevenants sont passibles des sanctions fixées à l’article 3.»

130
En outre, il a été allégué que le ministère de la Marine marchande incitait les sociétés maritimes à fixer les tarifs applicables à la partie internationale des lignes à un niveau peu élevé et à éviter que les augmentations annuelles ne dépassent le taux d’inflation ainsi que toute forme de guerre commerciale entre elles, pour qu’il ne soit pas obligé d’intervenir et de faire usage des pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi n° 4195/29.

131
Dans sa lettre du 23 décembre 1994, évoquée au considérant 101 de la Décision, en réponse à la lettre de la Commission du 28 octobre 1994, le ministère de la Marine marchande s’est exprimé comme suit:

«[...]

En ce qui concerne le mémorandum présenté par Strintzis Lines, je n’ai pas de commentaires particuliers sauf une précision, à savoir que le ministère n’intervient pas dans la politique de fixation des tarifs suivie par les sociétés sur les liaisons internationales. Nous n’intervenons que dans la fixation des prix sur les liaisons entre ports grecs.

Comme je vous l’ai déjà expliqué lors de notre réunion de septembre, la Grèce considère le corridor maritime entre les ports de sa côte occidentale et les ports de la côte orientale de l’Italie comme étant de toute première importance à la fois pour notre pays et pour la Communauté, puisque c’est la seule liaison directe importante entre la Grèce et le reste de l’Union européenne.

Il est donc de notre intérêt national et de l’intérêt communautaire que les navires opèrent pendant toute l’année entre la Grèce et l’Italie, pour faciliter nos importations et nos exportations ainsi que le trafic de passagers. D’autre part, vous comprendrez qu’il est de notre intérêt que les tarifs appliqués soient compétitifs, mais également fixés de telle sorte que le prix du transport reste peu élevé, pour que nos importations et nos exportations restent compétitives sur les marchés européens.

Pour en venir à la question spécifique que vous m’avez posée, je dois dire que je n’ai rien vu dans le mémorandum de Strintzis qui pourrait m’amener à cette conclusion.

Je suis sûr qu’il y a un malentendu. Il est impensable et il est absolument hors de question que le ministère menace de retirer des licences d’exploitation pour des liaisons entre ports nationaux lorsque des sociétés refusent de se mettre d’accord sur les prix pour les liaisons internationales.

Comme la législation pertinente ci-jointe vous le montrera, la licence d’exploitation accordée par le ministère pour les liaisons intérieures entraîne l’imposition de certaines obligations (dessertes pendant toute l’année, fréquence des trajets, etc.); si ces obligations ne sont pas respectées, le ministère a le droit de retirer la licence. De surcroît, les tarifs sont déterminés par une décision ministérielle prise à intervalles périodiques. Cette législation spécifique affecte les navires des sociétés pourvues de licences d’exploitation pour la partie nationale du trajet entre la Grèce et l’Italie (Patras-Igoumenitsa-Corfou) [...]»

132
De même, par lettre du 17 mars 1995, évoquée au point 103 de la Décision, en réponse à une lettre de la Commission du 13 janvier 1995, le représentant permanent adjoint de la République hellénique auprès des Communautés européennes s’est exprimé comme suit:

«1. Le gouvernement hellénique accorde une grande importance à un développement sans heurts de la route maritime qui lie les ports de la Grèce occidentale (principalement Patras, Igoumenitsa et Corfou) aux ports italiens d’Ancône, de Bari, de Brindisi et de Trieste.

[...]

Les liaisons régulières et ininterrompues, pendant toute l’année, à partir des ports grecs vers les ports italiens et inversement, sont un facteur d’importance décisive pour faciliter et assurer le développement des importations et des exportations grecques, qui par extension affecte également le commerce communautaire dans son ensemble.

L’intérêt du gouvernement hellénique, et plus particulièrement du ministère de la Marine marchande, chargé de l’élaboration de la politique nationale pour les transports maritimes, est donc orienté vers la préservation du fonctionnement normal de la ligne Grèce-Italie.

Ainsi, les services offerts sur cette ligne sont qualifiés par nous de services d’intérêt public pour notre pays. Dans ces conditions, vous comprendrez qu’une préoccupation fondamentale du gouvernement grec est d’assurer la viabilité de cette ligne en évitant par tous les moyens une guerre des prix qui pourrait entraver la marche normale de notre commerce d’importation et d’exportation, mais également le trafic normal en véhicules et en passagers. Nous répétons que notre principal souci est d’assurer la circulation sur cette ligne maritime pendant toute l’année et d’éviter que le flux ne se tarisse à cause d’une guerre des prix.

2. Partant de ces constatations et des positions adoptées en conséquence, les directions compétentes du ministère grec de la Marine marchande ont adopté des décisions afin de réglementer de la façon la plus adéquate le problème du trafic normal des véhicules, en fonction de la période correspondante de l’année. Des mesures ont donc été prises pour qu’un certain nombre de places soit toujours réservé sur les navires de transport de passagers et de véhicules aux véhicules utilitaires de transport de marchandises et que le garage des navires ne soit pas rempli uniquement de véhicules de tourisme, en particulier pendant les mois d’été où le trafic de passagers est plus élevé. Il a été rendu ainsi possible de maintenir le flux des marchandises et d’assurer un approvisionnement normal des marchés.

Il est également pris soin de respecter très strictement les plans de route des navires, afin d’éviter les retards, mais également pour pouvoir réglementer des questions comme la présence de sites appropriés d’accueil des navires dans les ports de destination, afin de garantir leur sécurité et d’améliorer le service des passagers et des véhicules transportés.

3. Concernant les frets appliqués par les sociétés d’armement, nous précisons que l’implication du ministère de la Marine marchande, en tant qu’administration responsable du contrôle de la marine, en ce qui concerne les frets des liaisons côtières, se limite à la fixation des prix pour les seules opérations de cabotage interne. Nous précisons que, sur les lignes internationales, même dans les cas où le trajet comporte des escales dans des ports grecs (par exemple Patras-Corfou-Ancône), si la portion de trajet comprise entre les ports grecs est soumise à un barème agréé, les prix sur le trajet entre la Grèce et l’Italie sont fixés librement par les sociétés qui exploitent la ligne. Dans ce cas, il est vrai que le prix total du billet à destination finale de l’Italie est influencé – indirectement et partiellement, cela va de soi – par le tarif fixé par l’État pour la partie du transport qui est interne à la Grèce.

Par ailleurs, en ce qui concerne les tarifs des voyages vers l’étranger – qui sont libres, comme nous l’avons dit – le ministère de la Marine marchande incite les sociétés maritimes à se maintenir à un niveau peu élevé et concurrentiel et à éviter en tout état de cause que les augmentations annuelles ne dépassent les limites de l’inflation. En effet, nos intérêts nationaux imposent que notre commerce à l’exportation se maintienne à un niveau concurrentiel, et que nos importations restent aussi bon marché que possible. À partir de là, les sociétés ont le droit de fixer leurs tarifs suivant leurs propres critères commerciaux et économiques.

Cette liberté est limitée par la législation hellénique si elle conduit à une concurrence déloyale. Plus concrètement, la loi n° 4195/1929 (copie ci-jointe) vise à éviter la concurrence déloyale entre sociétés d’armement qui exploitent des lignes entre la Grèce et l’étranger en interdisant notamment les tarifs dérisoires, le départ simultané à partir du même port de deux ou plusieurs navires desservant la même ligne et le non-respect de la desserte annoncée (à l’exception de certains cas de force majeure – article 3). Lorsqu’il y a concurrence déloyale, le ministère de la marine marchande a la possibilité de fixer des tarifs planchers et des tarifs plafonds (article 4). Dans ce cadre, il incite informellement les sociétés à maintenir leurs tarifs à des niveaux peu élevés et à éviter que les augmentations annuelles ne dépassent le niveau de l’inflation.

4.      Les observations ci-dessus nous ont semblé nécessaires pour montrer que la ligne maritime Patras-Italie, créée par l’initiative privée sans aucune aide de l’État, doit continuer de fonctionner sans interruption pour que les navires qui y opèrent fournissent les services d’intérêt public, comme nous les appelons pour notre pays, car cette liaison maritime est le seul lien direct avec les pays de l’Union européenne.

5.      Enfin, nous observons que le cadre juridique relatif à l’octroi et au retrait des licences d’exploitation qui, relevons-le, ne s’appliquent qu’aux liaisons internes à la Grèce, prévoit que, lorsque la société ne respecte pas les obligations indiquées dans la licence d’exploitation qui lui a été accordée (par exemple, exécution sans faille des liaisons annoncées, période annuelle d’immobilisation, respect de la fréquence des trajets), le ministère de la Marine marchande a la possibilité de retirer cette licence d’exploitation.»

133
Si ces deux courriers des autorités grecques soulignent que le bon fonctionnement et la régularité des lignes maritimes reliant la Grèce à l’Italie est une question d’importance nationale, ils confirment le fait que la conclusion d’accords visant à fixer les tarifs applicables sur les lignes internationales n’est imposée ni par la législation applicable en Grèce ni par la politique mise en oeuvre par les autorités grecques.

134
Certes, il ressort des précisions faites à la Commission par les autorités grecques qu’une de leurs préoccupations principales était d’assurer la régularité des liaisons maritimes avec l’Italie pendant toute l’année et qu’elles craignaient les effets nuisibles que des actes de concurrence déloyale pouvaient déclencher, telle une éventuelle guerre des prix. Il est également constant que, pour éviter de tels actes, la loi offre au ministère de la Marine marchande les pouvoirs de fixer des tarifs planchers et des tarifs plafonds. Mais, il n’en reste pas moins qu’aucune concertation sur les prix ne serait légitime, même dans un tel cas de figure, car chaque entreprise resterait libre de décider ses prix, de manière autonome, dans les limites des planchers supérieur et inférieur en question. En outre, les précisions contenues dans les lettres examinées ci-dessus confirment que les prix sur les lignes maritimes entre la Grèce et l’Italie sont fixés librement par les sociétés qui exploitent lesdites lignes. En outre, il ressort également de manière incontestable de ces déclarations que, afin d’assurer la compétitivité des exportations helléniques et le caractère raisonnable des prix des importations dans ce pays, le ministère de la Marine marchande a incité les sociétés maritimes non pas à augmenter les prix en concertation avec elles, mais uniquement à maintenir leurs prix à un niveau peu élevé et concurrentiel et à éviter, en tout état de cause, que les augmentations annuelles ne dépassent les limites de l’inflation.

135
Il s’ensuit que chacune des sociétés maritimes assurant lesdites lignes jouissait d’une autonomie notoire dans la détermination de sa politique de prix et que, dès lors, ces sociétés ont toujours été soumises aux règles de la concurrence. Ces lettres mettent en évidence le fait que, pour les autorités grecques, la pleine application des règles de concurrence et, donc, de l’interdiction des accords sur les prix découlant de l’article 85, paragraphe 1, du traité n’empêchait pas les compagnies maritimes, ni en droit ni en fait, de remplir la mission qui leur avait été confiée par le gouvernement grec. Dès lors, le fait que, dans sa lettre du 17 mars 1995, la représentation permanente de la République hellénique qualifie la liaison entre la Grèce et l’Italie de «services d’intérêt public» est sans pertinence aux fins de l’application de l’article 85 du traité. Pour des raisons identiques, il n’est pas nécessaire d’examiner si c’est à juste titre que la Commission conteste l’argument selon lequel les entreprises concernées par la Décision doivent être considérées en droit communautaire comme des «entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général», au sens de l’article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE).

136
Les informations contenues dans les lettres en question confirment que la requérante ne saurait se prévaloir d’un prétendu concours cumulatif de paramètres ayant influencé les tarifs applicables à la partie internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie et qui aurait eu pour effet de limiter l’autonomie des entreprises pour planifier et déterminer leur politique tarifaire. Elles confirment que le ministère de la Marine marchande grec ne s’immisçait dans la politique de fixation des tarifs, appliquée par les compagnies sur les lignes internationales, que pour les inciter informellement à maintenir leurs tarifs à des niveaux peu élevés et à éviter que les augmentations annuelles des tarifs ne dépassent le niveau de l’inflation. Face à une telle attitude des autorités grecques, la possibilité d’une concurrence susceptible d’être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises subsistait de manière évidente sur le marché.

137
Il y a lieu d’ajouter que la loi n° 4195/1929 ne comporte pas d’interdiction de réduction des tarifs applicables sur les lignes internationales. Si cette loi, qui a pour but d’éviter toute concurrence déloyale entre les sociétés d’armateurs qui opèrent sur des lignes reliant des ports grecs à des ports étrangers, interdit notamment la réduction des tarifs à des niveaux dérisoires, l’appareillage simultané au départ d’un même port de deux navires ou plus effectuant la même liaison et la non-exécution du trajet annoncé, à l’exception des cas de force majeure (article 2), elle ne prive pas les entreprises incriminées de «toute marge d’autonomie». Au contraire, elle confirme que chaque entreprise est, en principe, libre de déterminer sa politique tarifaire comme elle elle le souhaite, pour autant qu’elle n’adopte aucun acte de concurrence déloyale. L’interdiction d’actes de concurrence déloyale ne saurait nullement être interprétée comme imposant aux entreprises en question de conclure des accords ayant pour objet la fixation des tarifs applicables sur les lignes internationales. En l’absence d’une disposition réglementaire contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel, la requérante ne saurait se prévaloir d’une absence d’autonomie dans son chef qu’en invoquant des indices objectifs, pertinents et concordants établissant que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités grecques par l’exercice de pressions irrésistibles telles que, par exemple, la menace de l’adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes.

138
Or, les indications contenues dans les lettres des autorités grecques, mentionnées ci-dessus, démontrent que celles-ci n’ont nullement adopté de mesure ou mis en oeuvre une pratique qualifiable de «pression irrésistible» sur les entreprises maritimes pour qu’elles concluent des accords portant sur les tarifs. Il s’ensuit que la requérante ne saurait prétendre que les entreprises en cause étaient privées de tout marge d’autonomie lors de la définition de leur politique tarifaire et que le comportement anticoncurrentiel reproché par la Commission leur a été imposé par la législation nationale existante ou par la politique mise en oeuvre par les autorités grecques.

139
S’agissant de l’incitation du ministère de la Marine marchande visant à maintenir des tarifs peu élevés sur les lignes internationales et à ne pas dépasser les limites de l’inflation à l’occasion des augmentations annuelles desdits tarifs, si la lettre du ministère de la Marine marchande se réfère à une «incitation» informelle, elle n’évoque aucunement une «imposition unilatérale» de sa part. Partant, les sociétés avaient la possibilité de contester l’incitation informelle en question, sans s’exposer, pour cette raison, à la menace de l’adoption de quelque mesure étatique que ce soit. Au demeurant, le ministère grec exclut formellement qu’il puisse menacer de retirer les licences d’exploitation pour les lignes nationales si les sociétés n’arrivaient pas à un accord sur les tarifs applicables aux lignes internationales, comme cela ressortirait de sa lettre datée du 23 décembre 1994.

140
S’agissant du paramètre pris de la capacité du ministère de la Marine marchande grec, en vertu des dispositions de la loi n° 4195/29, de fixer, en cas de concurrence déloyale, des prix planchers et des prix plafonds aux fins d’éviter une guerre des prix, il y a lieu de constater que ladite loi ne prive pas les entreprises incriminées de «toute marge d’autonomie», mais qu’elle leur donne une certaine liberté dans la détermination de leur politique tarifaire pour autant qu’elles ne commettent pas d’actes de concurrence déloyale. En effet, selon l’article 4 de cette loi, le ministère de la Marine marchande n’a le droit de fixer les limites inférieure et supérieure des tarifs en question que dans le cas où la liberté dont jouissent les entreprises pour fixer de manière autonome les tarifs des lignes à destination de l’étranger aboutit à des actes de concurrence déloyale.

141
Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter ce moyen comme non fondée.

Sur le troisième moyen, tiré de l’insuffisance de motivation de la Décision

Arguments des parties

142
La requérante reproche à la Commission d’avoir insuffisamment motivé la Décision en ce qui concerne plusieurs arguments qu’elle a présentés lors de la procédure administrative.

143
En premier lieu, elle estime que, dans la mesure où la Commission n’a pas exprimé d’opinion sur l’impact des obligations de service public sur le degré d’autonomie des entreprises concernées pour fixer les tarifs applicables à la partie internationale des trajets, la Décision est entachée d’un défaut de motivation. En particulier, elle reproche à la Commission de ne pas avoir examiné dans quelle mesure le cadre réglementaire et législatif grec, les incitations des autorités grecques et les obligations de service public des entreprises concernées étaient des facteurs qui rendaient l’article 85, paragraphe 1, du traité inapplicable. En deuxième lieu, la Décision n’indiquerait pas les motifs pour lesquels la Commission a ignoré les observations fournies par la requérante concernant la confirmation de l’impact desdits facteurs sur l’autonomie des entreprises concernées par les lettres de la représentation permanente de la Grèce et du ministère de la Marine marchande grec. En troisième lieu, la Commission n’aurait pas suffisamment motivé les raisons pour lesquelles les arguments de la requérante quant à l’inapplicabilité de l’article 85, paragraphe 1, du traité aux faits de l’espèce devaient être rejetés ou ignorés.

144
La requérante admet que la Commission n’était pas tenue de reproduire dans la Décision la totalité des arguments avancés par les entreprises concernées, mais fait valoir que, selon la jurisprudence, elle doit cependant exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la Décision (arrêt Asia Motor France e.a./Commission, précité, point 104) et qui ont un lien direct avec l’affaire (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Chemie Linz/Commission, T-15/89, Rec. p. II-1275, point 328). En l’espèce, la requérante estime avoir démontré que les considérations relatives aux obligations de service public imposées par le ministère de la Marine marchande revêtent une importance essentielle dans l’économie de l’affaire. Or, elles n’auraient même pas été mentionnées dans la Décision (arrêt de la Cour du 17 janvier 1995, Publishers Association/Commission, C-360/92 P, Rec. p. I-23).

145
La Commission estime que la motivation de la Décision donne à la requérante la faculté de contrôler son bien-fondé. Elle considère avoir amplement pris position dans la Décision en ce qui concerne les arguments susmentionnés de la requérante en mentionnant explicitement les éléments sur lesquels elle s’est appuyée.

Appréciation du Tribunal

146
Comme la requérante l’admet elle-même, la Commission n’est pas tenue de reproduire dans sa Décision la totalité des arguments avancés par les parties. Elle doit cependant exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la Décision (arrêts Asia Motor France e.a./Commission, précité, point 104, et Chemie Linz/Commission, précité, point 328).

147
Or, contrairement à ce que prétend la requérante, il ressort des considérants 98 à 108 de la Décision que la Commission a amplement pris position sur les arguments de la requérante concernant l’impact des obligations de service public sur le degré d’autonomie des entreprises concernées et, donc, sur la question de l’applicabilité de l’article 85, paragraphe 1, du traité aux faits de l’espèce. De même, il ressort des considérants 101, 103, 105, 106, et 108 de la Décision que la Commission s’est référée, de manière concrète, aux lettres des autorités grecques évoquées par la requérante.

148
La requérante ne saurait non plus prétendre que ses arguments sur les obligations de service public imposées par le ministère de la Marine marchande ont été ignorés. Si l’existence de telles obligations pouvait se révéler importante dans l’économie de l’affaire, elle ne constituait que l’un des divers éléments évoqués par la requérante pour démontrer le manque d’autonomie des entreprises concernées découlant du cadre législatif et réglementaire ainsi que de la politique mise en place par les autorités grecques. Or, il convient de constater que la position de la Commission sur cette question a bien été exposée aux considérants 98 à 108 de la Décision, et que, plus précisément, l’argument pris de l’existence d’obligations de service public a été expressément évoqué au considérant 99 de la Décision dans le cadre de l’exposé des réponses fournies par la Commission à l’argument pris de la perte d’autonomie des entreprises concernées. Dans ces circonstances, la requérante ne saurait prétendre que la Commission n’a pas suffisamment motivé la Décision en n’ayant pas donné de réponse précise à l’argument pris des obligations de service public. Enfin et en tout état de cause, comme le souligne la Commission, la requérante ne saurait lui reprocher de ne pas avoir analysé ces arguments de manière plus détaillée dans la mesure où les obligations de service public en question ne concernent pas la section internationale des lignes entre la Grèce et l’Italie.

149
Dès lors, il y a lieu de déclarer ce moyen non fondé.

II –  Sur les conclusions subsidiaires tendant à la réduction du montant de l’amende

150
À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende infligée, la requérante fait valoir que, lors de la détermination du montant de l’amende qui lui a été infligée, la Commission a apprécié de façon erronée tant la gravité que la durée de l’infraction, ce qui l’a amené à violer le principe de proportionnalité.

A –  Sur la première branche, tirée d’une appréciation erronée de la gravité de l’infraction

Arguments des parties

151
La requérante soutient que le montant de l’amende qui lui a été infligée est d’un montant disproportionné, dès lors que la Commission n’a pas apprécié certains facteurs relatifs à la gravité de l’infraction. À supposer que l’infraction existe, la requérante la considère comme étant d’importance mineure au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices») en raison de l’impact limité, voire nul, de l’accord en cause et de sa faible portée géographique.

152
En premier lieu, la Commission n’aurait pas suffisamment pris en compte le cadre législatif grec et la pression exercée par le ministère de la Marine marchande grec, alors que, selon la jurisprudence, un impact significatif du cadre législatif national sur un marché constitue une circonstance atténuante (arrêts Stichting Sigarettenindustrie e.a/Commission, précité, points 94 et 96, et Suiker Unie e.a./Commission, précité, points 618 à 620). En l’espèce, la Commission ne se serait pas intéressée à l’examen des limites dans lesquelles les sociétés pouvaient se faire concurrence et à la forme que cette concurrence prenait sur le marché en question. Enfin, la requérante reproche à la Commission de n’avoir pas tenu compte du fait que, en l’espèce, les remises constituaient le seul domaine dans lequel pouvait jouer la concurrence, circonstance que la Cour aurait critiqué dans l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité (points 70 et 71).

153
En deuxième lieu, il n’y aurait pas eu de préjudice pour les consommateurs, comme le corrobore le fait que la Commission n’a reproché aux sociétés concernées aucune augmentation inadmissible des tarifs. Au contraire, la desserte régulière et ininterrompue des destinations en question à des prix très bas et avec des navires très modernes et sûrs aurait plutôt bénéficié aux usagers.

154
En troisième lieu, selon la requérante, il y a une contradiction dans le fait qu’elle est accusée d’une infraction grave au droit communautaire pour avoir participé à une pratique que le gouvernement grec considère comme réalisant un des objectifs de la Communauté, à savoir la promotion et le développement du commerce intracommunautaire.

155
La requérante soutient que la Commission n’a pas respecté les lignes directrices en qualifiant l’infraction en cause de grave alors qu’elle ne correspond à aucun des éléments de la définition des infractions graves contenue dans les lignes directrices. Elle rappelle que, en vertu de ces lignes directrices, les infractions graves sont le plus souvent des restrictions horizontales ou verticales de même nature que les infractions peu graves, mais dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun. Il peut également s’agir de comportements abusifs de position dominante, tels que les refus de vente, les discriminations, les comportements d’exclusion, les rabais fidélisants accordés par une entreprise en position dominante afin d’exclure ses concurrents du marché, etc. Or, en l’espèce, l’infraction prétendument commise par les entreprises ne s’appliquerait pas de manière rigoureuse, n’aurait pas un large impact sur le marché, ne produirait pas d’effets sur des zones étendues du marché et ne consisterait pas en un abus de position dominante.

156
Enfin, la requérante soutient qu’elle n’avait pas conscience du caractère illégal de son comportement dès lors que les sociétés impliquées ne pouvaient pas s’imaginer que, en raison de l’intervention et de l’incitation du gouvernement grec en faveur des diverses pratiques reprochées, leur comportement était illégal.

157
La Commission conteste ces arguments.

Appréciation du Tribunal

1. Considérations générales

158
En l’espèce, il est constant que la Commission a déterminé le montant de l’amende imposée à la requérante conformément à la méthode générale pour le calcul du montant des amendes exposée dans les lignes directrices, lesquelles sont également applicables aux amendes imposées au titre de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86. Il convient également de constater que la requérante ne conteste pas l’applicabilité au cas d’espèce desdites lignes directrices.

159
Aux termes de l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, «[l]a Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille [euros] au moins et de un million d’[euros] au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence [...] elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [85], paragraphe 1, [...] du traité». Il est prévu, dans la même disposition, que «[p]our déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci».

160
Or, les lignes directrices disposent, au point 1, premier alinéa, que, pour le calcul du montant des amendes, le montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86.

161
Selon les lignes directrices, la Commission prend comme point de départ, dans le calcul des amendes, un montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction. L’évaluation de la gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné (point 1 A, premier alinéa). Dans ce cadre, les infractions sont classées en trois catégories, à savoir les «infractions peu graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageables est compris entre 1 000 euros et 1 million d’euros, les «infractions graves», pour lesquelles le montant des amendes envisageables peut varier entre 1 million et 20 millions d’euros et les «infractions très graves» pour lesquelles le montant des amendes envisageables va au-delà de 20 millions d’euros (point 1 A, premier à troisième tiret).

162
Ensuite, dans le cadre du traitement différencié qu’il convient d’appliquer aux entreprises, les lignes directrices énoncent que, à l’intérieur de chacune des catégories d’infractions précitées, et notamment pour les catégories dites «graves» et «très graves», l’échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises (point 1 A, troisième alinéa). Il est, en outre, nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa). De plus, il peut être tenu compte du fait que les entreprises de grande dimension disposent la plupart du temps d’infrastructures suffisantes pour posséder des connaissances juridiques et économiques qui leur permettent de mieux apprécier le caractère infractionnel de leur comportement et les conséquences qui en découlent du point de vue du droit de la concurrence (point 1 A, cinquième alinéa).

163
À l’intérieur de chacune des trois catégories définies ci-dessus, il peut convenir de pondérer, dans les cas impliquant plusieurs entreprises, comme les cartels, le montant déterminé, afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature, et d’adapter en conséquence le montant de départ général selon le caractère spécifique de chaque entreprise (point 1 A, sixième alinéa).

164
Quant au facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieures à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu pour la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré d’un montant pouvant atteindre 50 % de sa valeur, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, paragraphe 1, premier à troisième tiret).

165
Ensuite, les lignes directrices citent, à titre d’exemple, une liste de circonstances aggravantes et atténuantes qui peuvent être prises en considération pour augmenter ou diminuer le montant de base, puis se réfèrent à la communication du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition ou la réduction du montant des amendes (JO C 207, p. 4).

166
À titre de remarque générale, les lignes directrices précisent que le résultat final du calcul de l’amende selon ce schéma (montant de base affecté des pourcentages d’aggravation et d’atténuation) ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises, conformément à l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86 [point 5, sous a)]. De plus, les lignes directrices prévoient qu’il convient, selon les circonstances, après avoir effectué les calculs décrits ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives, telles que le contexte économique spécifique, l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction, les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier pour adapter, in fine, le montant des amendes envisagé [point 5, sous b)].

167
Il s’ensuit que, suivant la méthode énoncée dans les lignes directrices, le calcul du montant des amendes continue d’être effectué en fonction des deux critères mentionnés dans l’article 19, paragraphe 2, du règlement n° 4056/86, à savoir la gravité de l’infraction et la durée de celle-ci, tout en respectant la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition. Par conséquent, les lignes directrices ne vont pas au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par cette disposition (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T-23/99, Rec. p. II-1705, points 231 et 232).

2. Sur le bien-fondé de la branche

168
Comme il vient d’être rappelé, dans les lignes directrices, les cartels sont classés, en principe, au rang des infractions très graves, une qualification qui s’inscrit parfaitement dans la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, selon laquelle ce type d’infraction figure parmi les restrictions à la concurrence les plus graves, notamment lorsque l’entente vise à la fixation des prix.

169
Or, s’agissant du cas d’espèce et de la situation de la requérante, il ressort des considérants 147 à 150 de la Décision que, bien que la Commission ait signalé (considérant 147 de la Décision) qu’un «accord conclu par certains des plus grands exploitants de transbordeurs rouliers sur le marché en cause afin de s’entendre sur les prix des services de transport de passagers et de véhicules constitu[ait], par nature, une infraction très grave au droit communautaire», en réalité, elle n’a considéré l’infraction en question que comme une infraction grave (considérant 150 de la Décision). Elle est parvenue à cette diminution du degré de gravité après avoir constaté que «l’infraction n’[avait] eu [...] qu’un effet réel limité sur le marché» et que le gouvernement grec ayant «encouragé les entreprises, au cours de cette même période, à contenir leurs hausses de tarifs dans les limites de l’inflation», «les prix [avaient] ainsi été maintenus à l’un des niveaux les plus bas du marché commun en matière de transport maritime entre deux États membres» (considérant 148 de la Décision). De surcroît, la Commission a tenu compte du fait que l’infraction «n’[avait] produit ses effets que dans une partie limitée du marché commun, à savoir trois des lignes maritimes de l’Adriatique», un marché considéré comme étant restreint par rapport à d’autres marchés de l’Union européenne (considérant 149 de la Décision).

170
Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a qualifié l’infraction de grave dans la Décision.

171
Il convient de rejeter également l’argument tiré de l’influence exercée par le cadre législatif et réglementaire grec. Il a été relevé dans le cadre de l’examen du deuxième moyen que, en l’espèce, le contexte législatif et le comportement des autorités grecques n’empêchaient pas l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité dans la mesure où les entreprises gardaient une marge de manoeuvre pour définir leur politique en matière tarifaire. Dès lors, la mention de la solution donnée par la Cour au problème de manque de concurrence résiduelle dans l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, est sans pertinence en l’espèce. Ensuite, s’agissant dudit contexte particulier, il suffit de constater que, comme le signale la Commission, elle l’a effectivement pris en compte en tant que circonstance atténuante. En effet, il ressort du considérant 163 de la Décision que la Commission a estimé que la pratique habituelle consistant à fixer les tarifs intérieurs, en Grèce, par le biais de consultations entre tous les exploitants nationaux et la décision prise ultérieurement par le ministère de la Marine marchande ont pu créer une certaine confusion parmi les compagnies grecques qui exploitent aussi des lignes nationales quant à la question de savoir si les consultations sur les tarifs applicables à la partie internationale des lignes maritimes constituaient ou non une infraction. Ces éléments ont justifié une réduction des amendes de 15 % pour toutes les compagnies. Pour ces mêmes raisons, la requérante ne saurait reprocher à la Commission d’avoir ignoré la circonstance qu’elle n’avait pas conscience du caractère illégal de son comportement.

172
S’agissant de l’argument selon lequel les ententes en question n’auraient pas causé de préjudice aux consommateurs, aucune augmentation inadmissible des tarifs n’étant intervenue, et selon lequel l’infraction n’a eu qu’une répercussion limitée sur le marché, contrairement à ce que prétend la requérante, il convient de constater que celui-ci a bien été pris en compte par la Commission, comme cela résulte des considérants 148 et 149 de la Décision. Au considérant 148, elle a constaté que «l’infraction n’[avait] eu [...] qu’un effet réel limité sur le marché» et que le gouvernement grec ayant «encouragé les entreprises, au cours de cette même période, à contenir leurs hausses de tarifs dans les limites de l’inflation», «les prix [avaient] ainsi été maintenus à l’un des niveaux les plus bas du marché commun en matière de transport maritime entre deux États membres». De surcroît, la Commission a tenu compte du fait que l’infraction «n’[avait] produit ses effets que dans une partie limitée du marché commun, à savoir trois des lignes maritimes de l’Adriatique», un marché considéré comme étant restreint par rapport à d’autres marchés de l’Union européenne (considérant 149 de le Décision). C’est précisément en tenant compte desdites circonstances qu’une diminution du degré de gravité de l’infraction a été décidée par la Commission, qui a qualifié les faits d’infraction grave au lieu d’infraction très grave, comme elle aurait pu le faire en application des lignes directrices.

173
En outre, dès lors qu’il a été établi que la requérante a commis une infraction grave au droit communautaire en participant à des ententes avec ses concurrents, elle ne saurait prétendre qu’elle a participé à une pratique que le gouvernement grec considérait comme poursuivant les objectifs de la Communauté. L’objectif du développement du commerce intercommunautaire ne saurait être servi par des moyens formellement interdits par les dispositions du traité.

174
Il résulte de ce qui précède que cette branche du moyen doit être rejetée.

B –  Sur la deuxième branche, tirée d’une appréciation erronée de la durée de l’infraction

Arguments des parties

175
La requérante conteste l’appréciation que la Commission a faite de la durée de l’infraction et soutient qu’aucun accord relatif aux prix n’a été conclu pour les années 1987, 1988 et 1989. En ce qui concerne l’année 1987, la Commission ne disposerait pas de preuve d’un éventuel accord portant sur la politique tarifaire. Les négociations entre les sociétés qui ont eu lieu en 1987, auxquelles elle admet avoir pris part, concerneraient exclusivement les tarifs pour l’année 1988. S’agissant des années 1988 et 1989, la requérante fait valoir que les négociations n’ont pas abouti à un barème commun de prix pour le transport des passagers, comme le confirmerait le fait que lesdits tarifs, qu’elle a publiés pour lesdites années diffèrent de ceux publiés par les autres sociétés.

176
La Commission rappelle la jurisprudence selon laquelle l’adhésion à des accords de fixation de prix constitue en soi une infraction à l’article 85, paragraphe 1, du traité et fait valoir que la participation de la requérante aux consultations en matière tarifaire pour les années 1987, 1988 et 1989 est établie par les documents mentionnés aux considérants 9, 10 et 12 de la Décision. Enfin, elle fait observer que l’interdiction d’un accord ne dépend pas de son degré de succès lors de son application.

Appréciation du Tribunal

177
En l’espèce, les arguments invoqués par la requérante concernant l’appréciation de la durée de l’infraction aux fins de la détermination du montant de l’amende reviennent à mettre en cause les éléments de preuve produits par la Commission quant à l’existence et à la portée de l’infraction. En effet, la requérante conteste l’appréciation que la Commission a faite de la durée de l’infraction car, d’après elle, aucun accord relatif aux tarifs n’a été conclu pour les années 1987, 1988 et 1989. Il convient donc d’examiner si les éléments de preuve concernant les années 1987, 1988 et 1989 (considérants 9 à 12 de la Décision) suffisent à démontrer l’existence d’une entente telle que celle retenue par la Commission et la participation de la requérante à celle-ci au cours de ladite période.

178
À cet égard, il ressort de la description des faits exposés aux considérants 9 à 12 de la Décision, non contestés par la requérante, et notamment du télex du 15 mars 1989, évoqué par la Commission, que Minoan a essayé de persuader Anek de prendre part à l’accord qui avait été conclu avec les autres sociétés incriminées exploitant cette ligne, dont la requérante, le 18 juillet 1987 et que, face aux hésitations d’Anek à se joindre à l’accord, les autres entreprises (Minoan, Karageorgis, Marlines et la requérante) ont décidé de pratiquer collectivement, à partir du 26 juin 1989, les mêmes tarifs que ceux appliqués par Anek aux véhicules utilitaires. En outre, un télex daté du 22 juin 1989 démontre que Minoan a notifié à Anek une telle décision. Il s’ensuit que la Commission pouvait estimer que le contenu de ce télex démontrait que non seulement un accord existait, mais que la requérante y avait pris part.

179
La requérante prétend que la preuve de l’entente pour ce qui est de l’année 1987 fait défaut dans la mesure où les négociations entre les sociétés en 1987, auxquelles elle admet avoir pris part, ne concernaient que les tarifs de l’année 1988. Toutefois, il convient de constater que, comme le souligne la Commission dans la Décision (considérant 9), l’auteur du télex du 15 mars 1989 a indiqué:

«[...] la politique tarifaire pour 1988, établie d’un commun accord avec les autres intéressés, a été décidée le 18 juillet 1987. Il s’agit en fait d’une pratique habituelle.»

180
S’agissant des années 1988 et 1989, la requérante admet que les négociations en matière tarifaire ont bien eu lieu. Or, contrairement à ce que prétend la requérante, le fait que lesdites négociations n’ont pas abouti à un barème commun des tarifs de transport des passagers n’est pas pertinent aux fins de déterminer s’il y a eu violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité dès lors que l’objet anticoncurrentiel des ententes en cause est établi comme en l’espèce.

181
En outre, s’agissant de la prise en considération de l’absence d’application réelle de l’accord litigieux par ses membres, celle-ci a bien été effectuée par la Commission lors du calcul de l’amende, comme il a été relevé ci-dessus.

182
Il ressort de ce qui précède que cette deuxième branche doit être rejetée.

C –  Sur la troisième branche, tirée de la violation du principe de proportionnalité dans la détermination du montant de l’amende

Arguments des parties

183
La requérante affirme que la Commission a violé le principe de proportionnalité, parce qu’elle lui a infligé une amende démesurée par rapport à la nature de l’infraction et compte tenu des obligations de service public auxquelles elle était soumise, de l’intervention du ministère de la Marine marchande et de l’impact limité des accords litigieux.

184
Elle fait observer que l’amende qui lui a été imposée correspond à 2,6 % de son chiffre d’affaires mondial, un taux qu’elle estime très élevé au regard de l’infraction en cause et par rapport aux autres affaires antérieures. En outre, elle fait observer que l’amende finalement imposée par la Commission s’élève à 115 % du montant de base, ce qu’elle considère particulièrement élevé compte tenu du nombre des circonstances atténuantes qui, bien que présentes en l’espèce, n’ont pas été prises en considération par la Commission. En effet, la requérante estime que la Commission aurait dû lui appliquer des taux de réduction de l’amende plus élevés en considération du fait qu’elle a collaboré avec elle pendant la procédure administrative et qu’elle se trouvait dans l’incertitude en ce qui concerne l’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité, et compte tenu du cadre législatif et réglementaire grec de ses obligations de service public et de l’intervention du ministère de la Marine marchande sur les lignes entre la Grèce et l’Italie.

185
Enfin, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir pris en compte d’autres causes de réduction de l’amende, telles que le fait que l’infraction n’était pas le produit d’une volonté indépendante, l’absence d’un accord pour l’année 1987 et l’application d’un programme de mise en conformité avec les règles de la concurrence. Elle invoque, à cet égard, l’arrêt PVC II, précité (point 1162).

186
La Commission estime que la requérante n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles l’amende infligée était disproportionnée par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction et rappelle que les circonstances atténuantes invoquées par la requérante ont déjà été appréciées dans la Décision (considérants 110, 148 et 149).

187
L’argument selon lequel le caractère disproportionné de l’amende résulte du traitement réservé à d’autres sociétés ayant commis des infractions plus graves ne saurait être accepté, car la détermination du montant des amendes n’obéit pas à un quelconque «calcul mathématique».

188
Quant au programme de mise en conformité avec le droit de la concurrence invoqué par la requérante, il ne changerait rien à la réalité de l’infraction constatée en l’espèce. En outre, la Commission souligne qu’elle a tenu compte du fait que la requérante n’a pas mis en question les faits sur lesquels reposent les griefs visés par la Décision et qu’elle a procédé à une diminution de l’amende.

Appréciation du Tribunal

189
Il y a lieu d’examiner si l’amende infligée à la requérante était disproportionnée par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction reprochée.

190
À titre liminaire, il doit être signalé que, pour avoir participé à une entente de longue durée qualifiée à juste titre d’infraction grave, la requérante s’est vu imposer une amende de 1 500 000 écus, qui correspond à 2,6 % de son chiffre d’affaires mondial, comme elle l’a elle-même souligné. L’amende finalement imposée à la requérante par la Commission s’élèverait à 115 % du montant de base.

191
En ce qui concerne la gravité de l’infraction, il a été relevé, lors de l’examen de la première branche, que c’est à tort que la requérante invoque une appréciation erronée de la gravité de l’infraction.

192
S’agissant de l’appréciation de la durée de l’infraction, il y a lieu de signaler que les lignes directrices prévoient que les infractions d’une durée supérieure à cinq ans sont à considérer comme des infractions de longue durée et que des telles infractions justifient d’appliquer une majoration pouvant être fixée pour chaque année à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction.

193
En l’espèce, il ressort du considérant 153 de la Décision que la Commission a estimé que, pour ce qui est de la requérante et de Minoan, l’infraction a débuté le 18 juillet 1987 au plus tard et a duré jusqu’en juillet 1994, date à laquelle la Commission a effectué ses vérifications, c’est-à-dire que la durée de l’infraction a été de sept ans et qu’une telle infraction a été qualifiée par la Commission d’infraction «de longue durée», pour ce qui est de la requérante, de Minoan et de Karageorgis, et de «moyenne durée», pour ce qui concerne les autres compagnies (considérant 155 de la Décision). La Commission a estimé que ces éléments justifiaient «une majoration des amendes de 10 % par année, sur toute la durée de l’infraction», pour ce qui est de la requérante et de Minoan, c’est-à-dire une majoration de 70 % (considérant 156 de la Décision). S’agissant des autres entreprises, la Commission a majoré le montant de l’amende de 20 % pour Marlines et de 35 % à 55 % pour les autres exploitants. Le tableau 2 indique les pourcentages de majoration appliqués aux différentes compagnies.

194
Dès lors et dans la mesure où les lignes directrices prévoient que les infractions d’une durée supérieure à cinq ans sont à considérer comme des infractions de longue durée, et que de telles infractions justifient d’appliquer une majoration pouvant être fixée pour chaque année à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction, la requérante ne saurait prétendre qu’elle a été victime d’une violation du principe de proportionnalité dans la détermination de la durée de l’infraction à laquelle elle a pris part.

195
Ensuite, il convient d’ajouter que, contrairement à ce que prétend la requérante, toutes les circonstances atténuantes invoquées par la requérante ont effectivement été prises en compte dans la Décision.

196
Il ressort des considérants 162 à 164 de la Décision que la Commission a tenu compte de plusieurs circonstances atténuantes à l’égard des entreprises destinataires.

197
En premier lieu, comme il a été rappelé (considérant 163 de la Décision) la Commission a estimé qu’une certaine confusion parmi les compagnies grecques qui exploitent aussi des lignes intérieures a pu avoir lieu quant à la question de savoir si les consultations sur les tarifs applicables à la partie internationale des lignes maritimes constituaient ou non une infraction. Ces circonstances ont justifié une réduction des amendes de 15 % pour toutes les compagnies.

198
En second lieu (considérant 164 de la Décision) la Commission a tenu compte du fait que Marlines, Adriatica, Anek et Ventouris Ferries ont eu un rôle exclusivement «suiviste» dans l’infraction et a estimé que cette circonstance justifiait une réduction des amendes de 15 % pour ces quatre compagnies. La requérante ne saurait prétendre avoir droit à une telle réduction dès lors qu’elle n’a pas eu un rôle simplement «suiviste», comme le démontrent l’ensemble des éléments de preuve évoqués dans la Décision.

199
En troisième lieu, il y a lieu de rappeler qu’au considérant 169 de la Décision la Commission a signalé qu’une réduction des amendes de 20 % a été appliquée à toutes les compagnies, dont la requérante, eu égard au fait qu’elles n’ont pas contesté les éléments de fait exposés par la Commission dans sa communication des griefs. Dès lors, la requérante ne saurait soutenir que sa coopération avec la Commission n’a pas été prise en compte dans la détermination du montant de l’amende ou qu’elle aurait dû l’être davantage, en l’absence de tout élément précisant la nature et la portée de la prétendue coopération.

200
Elle ne saurait non plus reprocher à la Commission de ne pas avoir appliqué une diminution additionnelle du montant de l’amende, tirée d’une prétendue ignorance complète de l’illégalité de son comportement, dans la mesure où la confusion créée par le cadre législatif et par la politique des autorités grecques concernant le trafic interne a bien été prise en compte et que, à ce titre, les entreprises ont bénéficié d’une réduction de 15 % (considérant 163 de la Décision).

201
Enfin, l’argument tiré de la prétendue application d’un programme de mise en conformité avec les règles de la concurrence ne saurait être retenu. S’il est certes important que la requérante ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit communautaire de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, une telle démarche n’a aucune incidence sur la réalité et la portée de l’infraction constatée. Le seul fait que, dans certains cas, la Commission a pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la mise en place d’un programme d’information en tant que circonstance atténuante n’implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon en l’espèce (arrêt PVC II, précité, point 1162). Il convient d’ajouter que sa volonté de coopérer avec la Commission, démontrée par le fait de ne pas avoir pas mis en cause les faits sur lesquels reposent les griefs visés dans la Décision, a déjà été reconnue par la Commission et lui a valu une diminution de l’amende équivalente à 20 %.

202
Il s’ensuit que cette troisième branche ainsi que le moyen dans son ensemble doivent être rejetés dans leur intégralité.

203
Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.


Sur les dépens

204
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens exposés par la Commission.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

déclare et arrête:

1)
Le recours est rejeté.

2)
La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

Cooke

García-Valdecasas

Lindh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh

Table des matières

Faits à l'origine du recours

Procédure et conclusions des parties

En droit

    I –  Sur les conclusions tendant à l'annulation de la Décision

        Sur le premier moyen, tiré de l'illégalité du contrôle effectué par la Commission dans les bureaux de l'ETA

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

                A – Sur l'intérêt légitime de la requérante à soulever ce moyen

                B – Sur le fond

                    1. Pouvoirs de la Commission en matière de vérification

                    2. Sur le bien-fondé du moyen

                    a) Faits pertinents et non contestés par les parties

                    b) Sur le respect, en l'espèce, des principes régissant l'exercice par la Commission de ses pouvoirs en matière de vérification

                    c) Sur le respect des droits de la défense et sur l'absence d'ingérence excessive de l'autorité publique dans la sphère d'activité de l'ETA

                C – Conclusion

        Sur le deuxième moyen, pris d'une application erronée de l'article 85, paragraphe 1, du traité au cas d'espèce, en ce que les entreprises ne disposaient pas de l'autonomie exigée, leur comportement étant imposé par le cadre législatif et les incitations des autorités grecques

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

        Sur le troisième moyen, tiré de l'insuffisance de motivation de la Décision

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

    II –  Sur les conclusions subsidiaires tendant à la réduction du montant de l'amende

        A –  Sur la première branche, tirée d'une appréciation erronée de la gravité de l'infraction

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

                1. Considérations générales

                2. Sur le bien-fondé de la branche

        B –  Sur la deuxième branche, tirée d'une appréciation erronée de la durée de l'infraction

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

        C –  Sur la troisième branche, tirée de la violation du principe de proportionnalité dans la détermination du montant de l'amende

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



1
Langue de procédure: l'italien.