Language of document : ECLI:EU:T:2001:251

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

18 octobre 2001 (1)

«Fonctionnaires - Agents de la Banque centrale européenne - Compétence du Tribunal - Légalité des conditions d'emploi - Droits de la défense - Licenciement - Harcèlement - Utilisation abusive d'Internet»

Dans l'affaire T-333/99,

X, demeurant à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), représenté par Mes N. Pflüger, R. Steiner et S. Mittländer, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Banque centrale européenne, représentée par Mmes C. Zilioli et V. Saintot, en qualité d'agents, assistées de Me B. Wägenbaur, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du directoire de la Banque centrale européenne du 9 novembre 1999 de maintenir la suspension du requérant et de retenir la moitié de son salaire de base et de celle du 18 novembre 1999 de licencier le requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, K. Lenaerts et M. Jaeger, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 20 février 2001,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (BCE), annexé au traité CE (ci-après les «statuts du SEBC»), contient notamment les dispositions suivantes:

«Article 12

[...]

12.3    Le conseil des gouverneurs adopte un règlement intérieur déterminant l'organisation interne de la BCE et de ses organes de décision.

[...]

Article 36

Personnel

36.1    Le conseil des gouverneurs arrête, sur proposition du directoire, le régime applicable au personnel de la BCE.

36.2    La Cour de justice est compétente pour connaître de tout litige entre la BCE et ses agents dans les limites et selon les conditions prévues par le régime qui leur est applicable.»

2.
    Sur le fondement de l'article 36.1 des statuts du SEBC, le conseil des gouverneurs a adopté les Conditions of Employment for Staff of the European Central Bank (conditions d'emploi de la Banque centrale européenne, ci-après les «conditions d'emploi»), qui prévoient dans leur version applicable aux faits litigieux notamment:

«4.    (a)    Les agents de la BCE doivent exercer leurs fonctions en conscience et sans considération de leurs intérêts personnels. Ils doivent régler leur conduite en accord avec les fonctions auxquelles ils ont été affectés et avec le statut de la BCE en tant qu'institution de la Communauté.

[...]

9.    (a)    Les rapports d'emploi entre la BCE et ses agents sont régis par les contrats de travail conclus en conformité avec les présentes conditions d'emploi. Les Staff Rules (règles applicables au personnel, ci-après le statut du personnel) adoptées par le directoire, précisent les modalités de ces conditions d'emploi.

[...]

    (c)    Les conditions d'emploi ne sont régies par aucun droit national spécifique. La BCE applique i) les principes généraux du droit commun aux États membres, ii) les principes généraux du droit communautaire (CE) et iii) les règles contenues dans les règlements et directives (CE) concernant la politique sociale adressés aux États membres. Chaque fois que cela est nécessaire, ces actes juridiques seront mis en oeuvre par la BCE. Il sera dûment tenu compte à cet égard des recommandations (CE) en matière de politique sociale. Pour l'interprétation des droits et obligations prévus par les présentes conditions d'emploi, la BCE prendra dûment en considération les principes consacrés par les règlements, règles et jurisprudence s'appliquant au personnel des institutions communautaires.

10.    (a)    Les contrats de travail entre la BCE et ses agents prennent la forme de lettres d'engagement qui sont contresignées par les agents. Les lettres d'engagement contiennent les éléments du contrat précisés par la directive 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991. [...]

[...]

11.    (a)    La BCE peut mettre fin aux contrats conclus avec ses agents, sur la base d'une décision motivée du directoire, conformément à la procédure définie dans le statut du personnel et pour les motifs suivants:

        (i)    En cas d'insuffisance professionnelle persistante. Lorsqu'elle intervient pour ce motif, la résiliation d'un contrat par la BCE est assortie d'un préavis de trois mois et d'une indemnité de licenciement d'un mois de traitement par année de service révolue, sans pouvoir excéder 12 mois. Le directoire peut dispenser de service un agent au cours de sa période de préavis;

        (ii)    En cas de réduction d'effectifs. [...]

        (iii)    Pour des raisons disciplinaires.

[...]

41.    Les membres du personnel peuvent, en recourant à la procédure fixée dans le statut du personnel, soumettre à l'administration, en vue d'un examen précontentieux, des doléances et réclamations que cette dernière examinera sous l'angle de la cohérence des actes pris dans chaque cas individuel par rapport à la politique du personnel et aux conditions d'emploi de la BCE. Les membres du personnel n'ayant pas obtenu satisfaction à la suite de la procédure d'examen précontentieux, peuvent recourir à la procédure de réclamation fixée dans le statut du personnel.

    Les procédures susvisées ne peuvent être utilisées pour contester:

        (i)    toute décision du conseil des gouverneurs ou toute directive interne de la BCE, y compris toute directive fixée dans les conditions générales d'emploi ou dans le statut du personnel.

        (ii)    toute décision pour laquelle des procédures de recours spécifiques existent, ou

        (iii)    toute décision de ne pas confirmer la nomination d'un membre du personnel ayant la qualité de stagiaire.

42.    Après épuisement des procédures internes disponibles, la Cour de justice des Communautés européennes sera compétente pour tout litige opposant la BCE à un membre ou à un ancien membre de son personnel auquel s'appliquent les présentes conditions d'emploi.

    Une telle compétence est limitée à l'examen de la légalité de la mesure ou de la décision, sauf si le différend est de nature financière, auquel cas la Cour de justice dispose d'une compétence de pleine juridiction.

43.    En cas de manquement à leurs obligations vis-à-vis de la BCE, les agents de la BCE peuvent faire l'objet, selon le cas, de sanctions disciplinaires, comme suit:

        (i)    un blâme, décerné par un membre du directoire;

        (ii)    sur décision du directoire:

        -    une réduction temporaire du traitement;

        -    une mutation ou un changement d'affectation de l'agent au sein de la BCE;

        -    une réduction permanente du traitement;

        -    le licenciement.

    Les mesures disciplinaires doivent être proportionnées à la gravité des manquements à la discipline et les motifs qui sont à la base de la décision doivent être énoncés. Elles sont adoptées conformément à la procédure définie dans le statut du personnel. Ladite procédure doit veiller à ce qu'aucun agent ne soit frappé d'une sanction disciplinaire sans qu'il n'ait, au préalable, été mis en mesure de répondre aux griefs.

44.    En cas de faute grave alléguée à l'encontre d'un agent par la direction de la BCE, qu'il s'agisse d'un manquement aux obligations de service ou d'une infraction de droit commun, le directoire peut décider de suspendre l'agent de ses fonctions avec effet immédiat.

    La décision doit préciser si l'agent conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de sa rémunération, en tout ou en partie. En cas de retenue partielle, celle-ci ne peut être supérieure à la moitié du traitement de base de l'agent.

    Si, dans les quatre mois à compter de la suspension, la situation de l'agent suspendu n'a pas été définitivement réglée ou que ce dernier n'a été l'objet que d'un blâme, l'intéressé a droit au remboursement des montants retenus au titre de la suspension.

    Toutefois, lorsque l'agent fait l'objet de poursuites pénales pour les mêmes faits, sa situation n'est définitivement réglée qu'après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive.

45.    Un comité du personnel, dont les membres sont élus au scrutin secret, est chargé de représenter les intérêts généraux de tous les membres du personnel en matière de contrats d'emploi, de réglementations applicables au personnel et de rémunérations; conditions d'emploi, de travail, de santé et de sécurité à la BCE; couverture sociale et régimes de pension.

46.    Le comité du personnel est consulté avant tout changement dans les présentes conditions d'emploi, le statut du personnel et toutes questions y rattachées, telles que définies à l'article 45 ci-dessus.

47.    En cas de litige à caractère individuel, l'agent est en droit de demander l'assistance d'un représentant du personnel pour le besoin de procédures internes.»

3.
    Sur le fondement de l'article 12.3 des statuts du SEBC, le conseil des gouverneurs a adopté le règlement intérieur de la BCE (JO 1999, L 125, p. 34), qui dispose notamment:

«Article 11

Personnel de la BCE

[...]

11.2    Sans préjudice des articles 36 et 47 des statuts, le Directoire adopte des règlements organiques (ci-après dénommés les 'circulaires administratives‘). Ces règles sont obligatoires pour le personnel de la BCE.

[...]

Article 21

Conditions d'emploi

21.1    Les relations de travail entre la BCE et son personnel sont définies par les conditions d'emploi et le statut du personnel.

21.2    Le Conseil des gouverneurs, sur proposition du Directoire, approuve et modifie les conditions d'emploi. Le Conseil général est consulté conformément à la procédure prévue par le présent règlement intérieur.

21.3    Les conditions d'emploi trouvent leur application dans le statut du personnel, qui est adopté et modifié par le Directoire.

21.4    Les représentants du personnel sont consultés préalablement à l'adoption de nouvelles conditions d'emploi ou d'un nouveau statut du personnel. Leur avis est soumis au Conseil des gouverneurs ou au Directoire.»

4.
    Sur le fondement de l'article 21.3 du règlement intérieur de la BCE et de l'article 9, sous a), des conditions d'emploi, le directoire de la BCE a adopté les European Central Bank Staff Rules (ci-après le «statut du personnel»), qui prévoient notamment:

«8.3.2        Lorsque le directoire décide de licencier un agent, le licenciement prend effet au jour de la suspension. L'agent concerné conserve le bénéfice des montants qui lui ont été versés au cours de la période de suspension.»

5.
    En date du 12 novembre 1998, la BCE a adopté la circulaire administrative n° 11/98 intitulée «ECB Internet Usage Policy» (ci-après la «circulaire n° 11/98») définissant les règles régissant l'utilisation par le personnel des ordinateurs permettant de se connecter à Internet et de recevoir et d'envoyer du courrier électronique, qui prévoit notamment:

«3.1        Les services Internet procurés par la BCE le sont à des fins de service.»

Faits à l'origine du litige

6.
    Le requérant, qui avait été agent de l'Institut monétaire européen (IME), est entré au service de la BCE le 1er juillet 1998. Il fut affecté aux archives de la BCE, où il occupait le poste de documentaliste. Son poste de travail était équipé d'un ordinateur, qui, comme tous les autres ordinateurs de la BCE, était relié à un serveur central. En novembre 1998, l'ordinateur du requérant fut équipé de façon à lui permettre de se relier à Internet et d'envoyer et de recevoir du courrier électronique.

7.
    En août 1999, à la suite d'une protestation d'un des collègues de travail du requérant, la direction du personnel a ouvert une enquête interne.

8.
    Le 18 octobre 1999, l'administration de la BCE a informé le requérant de l'ouverture d'une procédure disciplinaire à son égard et du fait que le directoire de la BCE avait décidé, le même jour, de le suspendre de ses fonctions, sur le fondement de l'article 44 des conditions d'emploi, avec maintien de l'intégralité de son traitement de base. Elle informait également le requérant qu'il était soupçonné,premièrement, de s'être procuré de façon répétée, par le biais d'Internet, des documents à caractère pornographique et politique et de les avoir envoyés à des tiers par courrier électronique. Deuxièmement, il était soupçonné d'avoir importuné le collègue de travail, auteur de la protestation, notamment en lui envoyant de nombreux courriers électroniques à contenu pornographique et/ou d'idéologie extrémiste, bien que ce collège ait clairement manifesté sa désapprobation.

9.
    Par la suite, la direction du personnel, en collaboration avec la direction compétente et le service juridique de la BCE, a entendu une série de témoins. En outre, certaines vérifications ont été effectuées en ce qui concerne les sites consultés sur Internet par le requérant et les courriers électroniques envoyés par celui-ci. L'ordinateur du requérant a été déconnecté du réseau de la BCE et mis sous scellé.

10.
    Le 28 octobre 1999, la direction du personnel de la BCE a transmis à l'avocat du requérant trois classeurs contenant environ 900 pages de documents considérés comme des preuves par la défenderesse, ainsi qu'un CD-ROM sur lequel ont été sauvegardés les images pornographiques et les montages d'images provenant d'Internet, que le requérant avait diffusés par courrier électronique à l'intérieur et à l'extérieur de la BCE au cours de la période soumise au contrôle informatique.

11.
    Le 3 novembre 1999, le requérant, assisté de son avocat, d'un membre du comité du personnel et, à sa demande, d'un interprète, a été entendu par des membres de la direction du personnel, de la division dont il relève et du service juridique de la BCE. Un procès-verbal de cette audition a été établi. L'avocat du requérant a contesté la régularité de la suspension du 18 octobre 1999 et a soulevé l'illégalité, respectivement, de la circulaire n° 11/98 et des conditions dans lesquelles des éléments de preuve opposés à son client avaient été obtenus.

12.
    Le 8 novembre 1999, l'administration a émis un avis motivé sur la procédure disciplinaire engagée contre le requérant, afin de porter à la connaissance du directoire de la BCE les faits, les preuves et la qualification juridique proposée à la suite de cette procédure.

13.
    Il y était conclu que le requérant avait, premièrement, harcelé un collègue de travail en lui envoyant, nonobstant les protestations de ce dernier, par courrier électronique, des messages à contenu pornographique et/ou d'idéologie extrémiste, en refusant de respecter l'environnement de travail de celui-ci, en le provoquant par des gestes à caractère sexuel, en insinuant que ce collègue était homosexuel et en le menaçant de coups et blessures. Deuxièmement, le requérant aurait, par ces faits, empoisonné l'atmosphère de travail dans le bureau qu'il partageait avec d'autres employés de la BCE. Troisièmement, le requérant aurait abusé des instruments de travail, en l'occurrence, en faisant, dans des proportions déraisonnables et intolérables, un usage à caractère non professionnel d'Internet et du courrier électronique. Quatrièmement, le requérant aurait violé son obligation de se comporter, dans l'exécution de son contrat de travail, avec dignité enconsultant sur Internet des sites et en envoyant par courrier électronique des messages à caractère pornographique ou relatifs à des comportements de nature probablement criminelle. Ces messages seraient inacceptables d'après le sens commun et a fortiori pour un membre de la fonction publique communautaire. Cinquièmement, le requérant aurait porté atteinte à l'image et à la crédibilité de la BCE, d'une part, en envoyant vers l'extérieur, sous l'adresse de cette dernière, des courriers électroniques contenant des documents à caractère pornographique ou relatifs à des comportements de nature probablement criminelle et, d'autre part, en consultant sous le nom de la BCE des sites à usage non professionnel.

14.
    Dans son avis motivé, l'administration a qualifié ces faits de violation des principes fondamentaux protégeant la dignité des personnes à leur travail, de l'article 4, sous a), des conditions d'emploi et de l'article 3.1 de la circulaire n° 11/98. Ayant considéré que les faits établis contre le requérant étaient graves, elle a proposé au directoire de le licencier.

15.
    Le 9 novembre 1999, la BCE a communiqué à l'avocat du requérant une copie de l'avis motivé avec ses quatre annexes.

16.
    L'avocat du requérant a soumis ses observations sur l'avis motivé par courriers des 9 et 10 novembre 1999, rédigés en langue allemande. Il exposait, dans son courrier du 9 novembre 1999, que le régime disciplinaire prévu par les conditions d'emploi était dépourvu de base légale et qu'il violait des principes généraux communautaires et des principes communs aux États membres ainsi que le principe nulla poena sine lege. Dans son courrier du 10 novembre 1999, il relevait, en substance, premièrement, que les reproches opposés au requérant n'étaient pas suffisamment circonstanciés pour permettre à celui-ci de prendre position; deuxièmement, que le requérant contestait les faits, sauf l'existence d'un climat tendu entre lui et le collègue qui était à l'origine de la protestation; que, notamment, la preuve n'était pas rapportée de ce que le requérant était la seule personne ayant eu accès à l'ordinateur qui lui était attribué; troisièmement, que, à supposer que les faits soient fondés, la BCE avait violé le principe de proportionnalité, en ayant omis d'avertir le requérant préalablement à l'ouverture d'une procédure disciplinaire afin de lui donner la possibilité de corriger son comportement.

17.
    Le 9 novembre 1999, le directoire de la BCE a décidé, au vu de la procédure disciplinaire en cours, de maintenir la suspension du requérant et de retenir, à partir du 10 novembre 1999, la moitié du salaire de base de ce dernier, conformément à l'article 44 des conditions d'emploi (ci-après la «décision du 9 novembre 1999»).

18.
    Le 10 novembre 1999, l'avocat du requérant a demandé un contrôle administratif précontentieux («administrative review») de cette décision au motif que le régime disciplinaire prévu par les conditions d'emploi était illégal.

19.
    Le 12 novembre 1999, l'administration de la BCE a informé l'avocat du requérant que, en rédigeant ses courriers des 9 et 10 novembre 1999 en allemand, il avait méconnu que la langue devant être utilisée dans les rapports et communications entre le salarié et la BCE est l'anglais. Toutefois, dans le souci d'éviter un retard de la procédure, la BCE se déclarait d'accord pour accepter ces courriers, sans que cette décision puisse être considérée comme un précédent.

20.
    Le 15 novembre 1999, l'avocat du requérant a envoyé, en réponse à cette lettre, un courrier au président de la BCE, rédigé en langue anglaise, dans lequel il exposait que le fait d'imposer l'usage de cette langue dans la présente procédure constituerait une tentative d'obstruction à la défense du requérant et que, sauf avis contraire de la BCE à communiquer dans les trois jours, il rédigerait à l'avenir ses courriers en langue allemande.

21.
    Le 17 novembre 1999, l'administration de la BCE a informé l'avocat du requérant que la décision du 9 novembre 1999 ne pourrait pas faire l'objet d'un contrôle administratif précontentieux au sens de l'article 41 des conditions d'emploi, le directoire de la BCE, qui a adopté ladite décision, étant la plus haute autorité administrative de cet organisme. Elle ajoutait qu'un recours contre la décision du 9 novembre 1999 devait être introduit devant la Cour de justice des Communautés européennes.

22.
    Par courrier du 18 novembre 1999, l'administration de la BCE, en réponse à la lettre de l'avocat du requérant du 15 novembre, a contesté avoir voulu, en rappelant le principe de l'utilisation de l'anglais, faire obstruction à la défense du requérant. Elle a indiqué que, au contraire, la BCE, en tolérant l'usage de la langue allemande en l'espèce, s'était montrée plus favorable au requérant que ce qui était légalement requis.

23.
    Par décision du même jour, le directoire de la BCE a licencié le requérant, conformément aux articles 11, sous a) et b), des conditions d'emploi et 8.3.2 du statut du personnel. Dans la motivation de cette décision, il a récusé les critiques formulées par l'avocat du requérant dans ses courriers des 9 et 10 novembre 1999 contre l'avis motivé. Il relevait, notamment, que les contestations globales du requérant ne mettaient pas sérieusement en cause la pertinence des éléments de preuve rassemblés au cours de la procédure disciplinaire. En ce qui concerne la question de la preuve de l'utilisation exclusive de l'ordinateur du requérant par ce dernier, il constatait que l'usage des ordinateurs à la BCE était contrôlé par l'utilisation de mots de passe personnels et confidentiels. Il indiquait également que, au vu du nombre important de courriers électroniques envoyés, pendant une période de 18 mois, durant les heures de service, à partir de l'ordinateur du requérant, situé dans un bureau à espace décloisonné occupé par six personnes, il était peu plausible que cet ordinateur ait pu, sans attirer l'attention, être utilisé par un tiers. En ce qui concerne le prétendu retard avec lequel l'administration de la BCE serait intervenue, il exposait que cette circonstance ne pouvait justifier le comportement du requérant, dont ce dernier était seul responsable. Sur la base desfaits constatés, le directoire de la BCE reprenait la qualification proposée par l'administration dans l'avis motivé. Il récusait enfin les critiques de l'avocat du requérant sur la légalité de la procédure disciplinaire. Il ajoutait qu'aucune organisation ne pouvait survivre sans une procédure de sanction des violations des obligations contractuelles, que le régime disciplinaire avait une base légale suffisante dans l'article 36 des statuts du SEBC, qu'il avait été accepté par le requérant lorsqu'il avait signé son contrat de travail et que l'application de ce régime avait été conforme aux principes généraux du droit.

Procédure et conclusions des parties

24.
    C'est dans ces circonstances que le requérant a introduit le présent recours par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 novembre 1999.

25.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

26.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 20 février 2001.

27.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    constater que la procédure disciplinaire menée contre lui est illégale;

-    constater que la décision du 9 novembre 1999 est illégale;

-    condamner la BCE à verser les montants retenus sur son salaire sur la base de l'article 44 des conditions d'emploi;

-    constater que son licenciement est illégal et que le contrat de travail qu'il a passé avec la BCE n'est pas résilié, mais se poursuit toujours;

-    condamner la BCE à continuer à l'employer.

-    condamner la BCE aux dépens.

28.
    La BCE conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner le requérant à supporter l'intégralité des dépens.

Sur la compétence du Tribunal

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

29.
    La BCE constate que le requérant entend fonder son recours sur l'article 236 CE. Or, cet article ne couvrirait que les litiges entre la Communauté et ses agents, et non ceux entre la BCE et ses employés, qui seraient régis par l'article 36.2 des statuts du SEBC.

30.
    Elle relève que l'article 36.2 des statuts du SEBC attribue compétence à la Cour et que la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), plusieurs fois modifiée, ne contient pas de disposition rendant le Tribunal explicitement compétent pour les litiges visés par l'article précité. Elle s'interroge donc sur la compétence du Tribunal pour connaître du présent recours.

31.
    Elle concède que l'intention des auteurs du traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, ayant institué un Système européen de banques centrales et la BCE, était clairement de conférer la compétence pour connaître des litiges visés par l'article 36.2 des statuts du SEBC au Tribunal. Elle se réfère, à cet égard, à la déclaration n° 27, annexée à l'acte final du traité sur l'Union européenne, relative aux litiges entre la BCE et l'IME, d'une part, et leurs agents, de l'autre.

32.
    Toutefois, l'existence même de cette déclaration établirait que le Tribunal n'est, en l'absence de dispositions pertinentes adoptées par les institutions, pas compétent pour connaître des litiges en question.

33.
    La BCE considère qu'il n'est pas possible de combler cette lacune par la seule référence à l'arrêt de la Cour du 15 juin 1976, Mills/BEI (110/75, Rec. p. 955, points 11 à 13). Elle fait aussi référence à l'arrêt du Tribunal du 28 septembre 1999, Hautem/BEI (T-140/97, RecFP p. I-A-171 et II-897, point 77). En effet, le cas de la BCE différerait de celui de la Banque européenne d'investissement (BEI) en ce que le traité aurait prévu explicitement la compétence de la Cour pour les litiges entre la BCE et son personnel, et ce par une base juridique spécifique.

34.
    Le requérant estime que la compétence du Tribunal résulte de l'article 3, sous a), de la décision 88/591, en combinaison avec l'article 236 CE. Nonobstant plusieurs modifications du traité CE postérieurement à la décision 88/591, l'article 236 CE déclarerait toujours la «Cour de justice» compétente pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses agents. Partant, le terme «Cour de justice» au sens de l'article 236 CE ne désignerait pas la Cour au sens strict, par opposition au Tribunal. Depuis l'adoption de la décision 88/591, il désignerait en réalité le Tribunal, qui est compétent d'un point de vue fonctionnel pour connaître de ces litiges en tant que juge du fond.

35.
    L'article 36.2 des statuts du SEBC se référerait au terme «Cour de justice» dans le sens qui est propre à ce terme dans l'article 236 CE et ne conférerait pas à la Cour au sens strict une compétence exclusive.

Appréciation du Tribunal

36.
    Il résulte de l'article 3, sous a), de la décision 88/591, telle que modifiée, que le Tribunal exerce, en première instance, les compétences conférées à la Cour de justice par les traités instituant les Communautés et par les actes pris pour leur exécution pour les litiges visés à l'article 236 CE et à l'article 152 CEEA. Les litiges ainsi visés sont ceux qui existent entre les Communautés et leurs agents.

37.
    Si la décision 88/591 se réfère ainsi expressément aux articles précités, c'est aux fins de désigner le type de litige défini par ces articles, donc de préciser que le Tribunal exerce, en première instance, les compétences conférées à la Cour de justice pour tout litige entre les Communautés et leurs agents. De cette façon, la décision 88/591 a, en tant que disposition de droit dérivé mettant en oeuvre les règles juridiques pertinentes de droit primaire, notamment l'article 225 CE, réalisé un système à double degré d'instance qui régit de manière uniforme, cohérente et complète les voies de recours et les procédures en ce qui concerne les litiges entre les Communautés et leurs agents.

38.
    Il est vrai que l'article 36.2 des Statuts du SEBC fait partie d'un protocole adopté dans le cadre du traité de Maastricht et qu'il représente donc une disposition de droit primaire. Néanmoins, le sens des termes juridiques employés dans cette disposition doit, en cas de doute, être interprété à la lumière de l'ensemble des règles juridiques pertinentes en vigueur au moment de son adoption, dans la mesure où cela permet d'éviter une contradiction avec un principe fondamental de droit communautaire, tel que le principe d'égalité de traitement.

39.
    Par conséquent, l'article 36.2 des Statuts du SEBC doit, au regard des différentes possibilités d'interprétation avancées, être interprété de façon à ne pas le mettre en contradiction avec le système général et uniforme de protection juridictionnelle envers les agents de la Communauté qui résulte de la décision 88/591 et qui repose sur l'article 225 CE.

40.
    En effet, si l'on voulait interpréter l'article 36.2 des Statuts du SEBC de manière à exclure les recours introduits par certains agents contre certaines institutions ou certains organes - en l'occurrence, par des agents de la BCE contre la BCE - du système de protection juridictionnelle améliorée mis en place par la décision 88/591 pour le même type de contentieux, cette rupture du système général de protection juridictionnelle qui n'est pas objectivement justifiée violerait le principe d'égalité de traitement et dès lors un principe fondamental de droit communautaire.

41.
    Le terme «Cour de justice» dans l'article 36.2 des Statuts du SEBC doit donc être interprété comme désignant la juridiction communautaire dans son ensemble au sens de l'article 7 CE et par conséquent comme incluant le Tribunal de première instance. Il en découle que le Tribunal est compétent pour connaître des litiges au sens de l'article 36.2 des Statuts du SEBC.

42.
    Tel a d'ailleurs été expressément le souhait de la conférence intergouvernementale à la suite de l'adoption des statuts du SEBC. Il résulte, en effet, de la déclaration n° 27 annexée à l'acte final du traité sur l'Union européenne que «[l]a conférence estime que le Tribunal de première instance devrait connaître de cette catégorie de recours conformément à l'article 168 A du présent traité».

43.
    Au vu du contexte juridique exposé ci-dessus, le Conseil n'était pas tenu de faire suite à l'invitation qui lui avait été faite par la conférence d'«adapter en conséquence les dispositions pertinentes», donc de compléter l'énumération faite à l'article en question par une référence expresse à l'article 36.2 des statuts du SEBC.

44.
    Il s'ensuit que le Tribunal est compétent pour connaître du présent litige.

Sur la recevabilité de certains chefs de conclusions

A - Demande du requérant de condamner la BCE à continuer à l'employer

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

45.
    La BCE considère que la demande du requérant tendant à ce que le Tribunal la condamne à continuer à employer ce dernier est irrecevable. En effet, selon une jurisprudence constante, il ne serait pas de la compétence du Tribunal de faire des déclarations de principe ou d'adresser des injonctions aux organes communautaires dans le cadre de l'article 236 CE.

46.
    Le requérant concède que, dans le cadre de recours de fonctionnaires, le Tribunal ne peut, en principe, qu'annuler la décision attaquée, sans pouvoir émettre des injonctions à l'encontre de la partie défenderesse. Cela ne vaudrait toutefois que si le recours vise un acte pris par la défenderesse dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation. Toutefois, en l'absence de pouvoir d'appréciation de la partie défenderesse, ou dans les litiges à caractère pécuniaire, le Tribunal pourrait condamner celle-ci à adopter des mesures précises (arrêts de la Cour du 2 juillet 1981, Garganese/Commission, 185/80, Rec. p. 1785, et du 18 mars 1982, Chaumont-Barthel/Parlement, 103/81, Rec. p. 1003). Si le licenciement est en l'espèce irrégulier, les droits de la personnalité du requérant exigeraient de remettre ce dernier dans l'état antérieur au licenciement. Il s'agirait de l'effet juridique de l'actio negatoria du droit romain et cette conception juridique constituerait un principe général du droit communautaire.

Appréciation du Tribunal

47.
    La demande en question a un objet différent de l'annulation de la décision portant licenciement du requérant. Ensuite, elle ne présente pas exclusivement un caractère pécuniaire. Elle n'est donc pas de nature à relever du domaine de la compétence de pleine juridiction du Tribunal dans le cadre des litiges entre la BCE et ses agents fondée sur l'article 42, deuxième alinéa, des conditions d'emploi, qui dispose que la compétence de la juridiction communautaire «est limitée à l'examen de la légalité de la mesure ou de la décision sauf si le différend est de nature financière, auquel cas la Cour de justice dispose d'une compétence de pleine juridiction».

48.
    Son objet relève donc de l'interdiction faite au juge communautaire d'adresser des injonctions à l'administration (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 19 juillet 1999, Varas Carrión/Conseil, T-168/97, RecFP p. I-A-143 et p. II-761, point 26). Elle est, partant, irrecevable.

B - Demande du requérant de condamner la BCE à lui verser les montants retenus sur son salaire de base en vertu de l'article 44 des conditions d'emploi

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

49.
    La BCE estime que la demande du requérant tendant à ce que le Tribunal la condamne à lui verser les montants retenus sur son salaire en vertu de l'article 44 des conditions d'emploi est irrecevable pour les mêmes arguments que ceux exposés au point 45 ci-dessus.

50.
    Le requérant oppose à cette contestation l'argumentation exposée au point 46 ci-dessus.

Appréciation du Tribunal

51.
    La demande en question est manifestement de nature pécuniaire. Elle relève donc, par son objet, du domaine de la compétence de pleine juridiction du juge communautaire, conformément à l'article 42, deuxième alinéa, des conditions d'emploi. Elle est, partant, recevable (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 23 mars 2000, Rudolph/Commission, T-197/98, RecFP p. I-A-55 et II-241, points 32 et 33, et la jurisprudence citée).

Sur le fond

A - Sur les exceptions d'illégalité

1. Sur les exceptions d'illégalité soulevées contre les conditions d'emploi

Sur l'absence de compétence de la BCE pour adopter un régime disciplinaire

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

52.
    Le requérant soutient que la BCE n'était pas compétente pour adopter un régime disciplinaire. Il renvoie aussi, à cet effet, à son courrier du 9 novembre 1999, précité, reproduit à l'annexe 21 de la requête.

53.
    En effet, alors que l'article 24 du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes (ci-après le «traité de fusion») donne compétence au Conseil pour adopter le statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut des fonctionnaires»), l'article 36.1 des statuts du SEBC aurait seulement conféré au conseil des gouverneurs le pouvoir d'arrêter, sur proposition du directoire, le régime applicable au personnel de la BCE. Or, la relation entre un fonctionnaire et son institution ne serait pas de nature contractuelle, mais un rapport de droit public fondé sur la notion de service et de loyauté. Le Conseil, habilité par l'article 24 du traité de fusion, aurait donc été en droit de prévoir dans le statut des fonctionnaires un régime disciplinaire, résultant du lien de subordination spécifique entre le fonctionnaire et la Communauté. En revanche, le rapport entre la BCE et ses employés serait un simple rapport de nature contractuelle reposant sur l'autonomie de la volonté, qui résulterait des droits de la personnalité et de la liberté professionnelle et dont la protection constituerait un principe général de droit communautaire. Il ne serait donc pas fondé sur un lien de subordination. Partant, la BCE ne serait pas habilitée à prévoir dans les conditions d'emploi et à appliquer un régime disciplinaire, qui la mettrait en mesure de modifier unilatéralement les conditions d'exécution du contrat de travail en violation du principe de l'autonomie de la volonté. La BCE aurait pu se protéger contre des violations par ses employés de leurs obligations contractuelles sans instaurer un tel régime, en se réservant contractuellement un droit au licenciement exceptionnel.

54.
    Le fait de prévoir, dans le cadre de l'exécution de contrats de travail, un régime disciplinaire serait aussi contraire au droit allemand.

55.
    Il violerait, enfin, des principes juridiques européens, notamment le principe de bonne foi.

56.
    La BCE souligne, d'abord, que le renvoi fait par le requérant à l'annexe 21 de la requête n'est pas conforme aux règles de procédure et que le grief doit, partant, être déclaré irrecevable sur la base de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

57.
    Ensuite, quant au fond, elle estime que son conseil des gouverneurs était compétent pour prévoir dans le régime applicable au personnel un régime disciplinaire.

- Appréciation du Tribunal

58.
    En ce qui concerne, tout d'abord, l'irrecevabilité soulevée par la défenderesse, il convient de constater que, nonobstant l'existence d'un renvoi à une annexe, l'exposé du moyen tiré de l'incompétence de la BCE pour adopter un régime disciplinaire, tel qu'il ressort du corps même de la requête, est suffisamment clair et complet pour permettre à la défenderesse et au Tribunal d'en saisir la portée. Le moyen est donc recevable.

59.
    En ce qui concerne le fond, il y a lieu de relever que le lien d'emploi entre la BCE et ses agents est défini par les conditions d'emploi, adoptées par le conseil des gouverneurs, sur proposition du directoire de la BCE, sur la base de l'article 36.1 des statuts du SEBC. Les conditions d'emploi disposent, à l'article 9, sous a), que «les rapports d'emploi entre la BCE et ses agents sont régis par les contrats de travail conclus en conformité avec les présentes conditions d'emploi». L'article 10, sous a), des mêmes conditions prévoit que «les contrats de travail entre la BCE et ses agents prennent la forme de lettres d'engagement qui sont contresignées par les agents».

60.
    Ces dispositions sont analogues à des dispositions du règlement du personnel de la BEI, desquelles la Cour a pu déduire que «le régime adopté pour les relations entre la Banque et ses agents est [...] de nature contractuelle et ainsi basé sur le principe que les contrats individuels conclus entre la Banque et chacun de ses agents sont le résultat d'un accord de volontés» (arrêt Mills/BEI, précité, point 22).

61.
    Il y a donc lieu de conclure que le lien d'emploi entre la BCE et ses agents est de nature contractuelle, et non pas statutaire.

62.
    Ensuite, il convient de relever que le contrat en cause a été passé avec un organisme communautaire, chargé d'une mission d'intérêt communautaire et habilité à prévoir, par voie de règlement, les dispositions applicables à son personnel.

63.
    Au vu de ces éléments et contrairement à ce que soutient le requérant, le conseil des gouverneurs était en droit, sur le fondement des dispositions de l'article 36.1 des statuts du SEBC, de prévoir dans les conditions d'emploi un régime disciplinaire lui permettant, notamment, en cas de manquement d'un de ses agents aux obligations du contrat de travail, de prendre les mesures nécessaires au regard des responsabilités et des objectifs qui lui sont assignés.

64.
    Le requérant avance, en substance, deux arguments pour soutenir le contraire.

65.
    Premièrement, le libellé de l'article 36.1 des statuts du SEBC n'autoriserait, contrairement à l'article 24 du traité de fusion, que l'adoption de conditions d'emploi respectant intégralement l'autonomie de la volonté. L'article 36.1mentionnerait en effet le «régime applicable au personnel» («Beschäftigungsbedingungen», «Employment Conditions»), par opposition au «statut des fonctionnaires des Communautés européennes» visé par l'article 24 du traité de fusion.

66.
    Cet argument de texte n'est toutefois pas fondé. En effet, l'article 24 du traité de fusion évoque, après la mention précitée, le «régime applicable aux autres agents de ces Communautés», formule qui est équivalente au «régime applicable au personnel» prévu par l'article 36.1 des statuts du SEBC. Or, le régime applicable aux autres agents des Communautés européennes (ci-après le «RAA») prévoit, à juste titre, pour les catégories les plus importantes de ces agents, un régime disciplinaire.

67.
    Deuxièmement, l'application de sanctions disciplinaires mettrait la BCE en mesure de modifier unilatéralement les conditions d'exécution du contrat d'emploi, ce qui serait contraire aux principes régissant le droit du travail allemand et aux principes juridiques européens, notamment au principe de bonne foi.

68.
    À cet égard, il convient de rappeler, d'abord, que le lien d'emploi entre les institutions ou les organismes communautaires, y compris la BCE, et leurs agents non fonctionnaires, s'il est, certes, de nature contractuelle, s'inscrit dans le cadre de l'exécution par ces derniers de leurs fonctions d'intérêt public et comporte, partant, de fortes similitudes avec le lien statutaire entre le fonctionnaire et son institution de sorte qu'il peut, à ce titre, comporter un régime disciplinaire. Ainsi, l'agent temporaire soumis au RAA bénéficie des droits et doit respecter les obligations prévus par les articles 11 à 26 du statut des fonctionnaires (article 11 du RAA), et peut faire l'objet de sanctions disciplinaires dans les conditions prévues sous le titre VI de ce statut (article 50 bis du RAA). De même, le régime du personnel de la BEI, qui est très semblable aux conditions d'emploi de la BCE, prévoit un régime disciplinaire (voir, comme exemples d'application de ce régime, arrêts du Tribunal Hautem/BEI, précité, et du 28 septembre 1999, Yasse/BEI, T-141/97, RecFP p. I-A-177 et II-929).

69.
    Ensuite, le régime disciplinaire en cause fait partie intégrante des conditions qui étaient connues du requérant et qui ont été acceptées par lui au moment où il a librement signé son contrat de travail avec la BCE, ce dernier renvoyant aux conditions d'emploi.

70.
    Enfin, s'agissant du grief du requérant selon lequel le régime disciplinaire en cause permettrait à la BCE de modifier unilatéralement les conditions d'exécution du contrat de ses agents, dont la situation différerait ainsi de celle d'un salarié soumis au droit privé du travail, il convient d'observer que, en tout état de cause, il ne serait pertinent qu'en ce qui concerne certaines sanctions disciplinaires prévues par les conditions d'emploi, qui sont inconnues des contrats de travail de droit privé, à savoir, notamment, le changement forcé de poste de travail et la réduction temporaire ou permanente de salaire. De telles sanctions n'ont cependant pas étéappliquées en l'espèce, le requérant s'étant vu licencier pour faute grave. Cette faculté de l'employeur de résilier unilatéralement le contrat d'emploi en cas de faute grave du salarié est cependant prévue par le droit privé du travail de la plupart des États membres, y compris le droit allemand. De plus, dans la majorité de ces droits, cette faculté est entourée de moins de garanties protégeant le salarié que dans le cadre du lien d'emploi entre la BCE et ses agents.

71.
    Il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé.

Sur l'illégalité des obligations de comportement invoquées par la BCE

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

72.
    Le requérant reproche à la BCE de s'être appuyée, dans la décision de licenciement, sur le non-respect de règles de conduite incombant aux agents, définies par l'article 4, sous a), des conditions d'emploi.

73.
    Premièrement, ces règles n'auraient pas été signalées en tant que telles au requérant. Or, l'employeur serait tenu, en vertu de l'article 2 de la directive 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail (JO L 288, p. 32), de porter à la connaissance du salarié tous les points importants du contrat de travail. S'il peut être, le cas échéant, exigé d'un fonctionnaire qu'il s'informe sur les obligations de son statut, le salarié et, par extension, l'agent de la BCE ne seraient tenus qu'aux obligations résultant du contrat de travail négocié entre les parties.

74.
    Deuxièmement, ces règles n'auraient pas fait l'objet d'une consultation du comité du personnel.

75.
    La BCE conteste le bien-fondé de cette exception d'illégalité. Les règles de conduite en cause auraient été portées à la connaissance du requérant et auraient fait l'objet d'une consultation du comité du personnel de l'IME, précurseur de la BCE.

- Appréciation du Tribunal

76.
    L'article 4, sous a), des conditions d'emploi, dispose:

«Les agents de la BCE doivent exercer leurs fonctions en conscience et sans considération de leurs intérêts personnels. Ils doivent régler leur conduite en accord avec les fonctions auxquelles ils ont été affectés et avec le statut de la BCE en tant qu'institution de la Communauté.»

77.
    Le requérant soutient, premièrement, que cette obligation, en violation de l'article 2 de la directive 91/533, n'a pas été portée à sa connaissance.

78.
    À cet égard, il convient d'observer que la BCE affirme, sans que cette affirmation soit sérieusement et d'une façon circonstanciée contestée par le requérant, que celui-ci s'est vu remettre, au moment de son engagement, une copie des conditions d'emploi. Il résulte, en tout état de cause, du contrat d'emploi du requérant que «les conditions d'emploi du personnel de la BCE, dans leur version en vigueur au moment considéré, forment partie intégrante du présent contrat». Le requérant a signé ce contrat le 9 juillet 1998, sa signature ayant été précédée de la mention «J'accepte, par la présente, l'offre d'emploi susvisée dans les termes et aux conditions énoncées plus haut». De plus, ce contrat stipule: «N'hésitez pas à contacter la direction du personnel si vous avez besoin d'informations spécifiques quant aux termes et conditions du présent contrat.» Sur la base de ces éléments, il y a lieu d'admettre que le requérant savait, ou, en tout état de cause, ne pouvait légitimement ignorer, que les conditions d'emploi, y compris leur article 4, sous a), faisaient partie intégrante de ses obligations contractuelles. Dès lors, la BCE pouvait, à juste titre, invoquer celles-ci à l'encontre du requérant.

79.
    En ce qui concerne la directive 91/533, les conditions d'emploi stipulent, à l'article 9, sous c), deuxième phrase, que «la BCE applique [...] les règles contenues dans les règlements et directives (CE) concernant la politique sociale adressés aux États membres» et à l'article 10, sous a), deuxième phrase, que «les lettres d'engagement contiennent les éléments du contrat précisés par la directive 91/533/CEE du Conseil du 14 octobre 1991». La BCE s'est donc volontairement engagée à respecter cette directive, y compris son article 2, dont la violation est invoquée par le requérant.

80.
    L'article 2 de cette directive dispose:

«Obligation d'information

1. L'employeur est tenu de porter à la connaissance du travailleur salarié auquel la présente directive s'applique, ci-après dénommé 'travailleur‘, les éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail.

2. L'information visée au paragraphe 1 porte au moins sur les éléments suivants:

a)     l'identité des parties;

b)     le lieu de travail; à défaut de lieu de travail fixe ou prédominant, le principe que le travailleur est occupé à divers endroits ainsi que le siège ou, le cas échéant, le domicile de l'employeur;

c)     i) le titre, le grade, la qualité ou la catégorie d'emploi en lesquels le travailleur est occupé ou ii) la caractérisation ou la description sommaires du travail;

d)     la date de début du contrat ou de la relation de travail;

e)     s'il s'agit d'un contrat ou d'une relation de travail temporaire, la durée prévisible du contrat ou de la relation de travail;

f)     la durée du congé payé auquel le travailleur a droit ou, si cette indication est impossible au moment de la délivrance de l'information, les modalités d'attribution et de détermination de ce congé;

g)     la durée des délais de préavis à observer par l'employeur et le travailleur en cas de cessation du contrat ou de la relation de travail, ou, si cette indication est impossible au moment de la délivrance de l'information, les modalités de détermination de ces délais de préavis;

h)     le montant de base initial, les autres éléments constitutifs ainsi que la périodicité de versement de la rémunération à laquelle le travailleur a droit;

i)     la durée de travail journalière ou hebdomadaire normale du travailleur;

j)     le cas échéant: i) la mention des conventions collectives et/ou accords collectifs régissant les conditions de travail du travailleur ou ii) s'il s'agit de conventions collectives conclues en dehors de l'entreprise par des organes ou institutions paritaires particuliers, la mention de l'organe compétent ou de l'institution paritaire compétente au sein duquel/de laquelle elles ont été conclues.

3. L'information sur les éléments visés au paragraphe 2 points f), g), h) et i) peut, le cas échéant, résulter d'une référence aux dispositions législatives, réglementaires, administratives ou statutaires ou aux conventions collectives régissant les matières y visées.»

81.
    En l'espèce, le requérant a signé, le 9 juillet 1998, un contrat d'emploi qui indique, conformément aux exigences de l'article 2, paragraphe 2, de la directive 91/533, l'identité des parties, le lieu de travail, la catégorie d'emploi, la date de début du contrat, la durée prévisible de celui-ci et le montant de base initial de la rémunération. Les informations relatives à la durée du congé payé, la durée des délais de préavis à observer en cas de cessation du contrat, la périodicité de versement de la rémunération, la durée de travail journalière ou hebdomadaire normale, qui doivent, en principe, aussi être portées à la connaissance du travailleur, peuvent, conformément à l'article 2, paragraphe 3, de la directive 91/533, résulter d'une «référence aux dispositions législatives, réglementaires, administratives ou statutaires ou aux conventions collectives» régissant ces matières. Or, le contrat en question comporte un renvoi aux conditions d'emploi de la BCE, qui détaillent ces éléments. Le contrat d'emploi du requérant comporte doncl'ensemble des «éléments essentiels du contrat» au sens de l'article 2 de la directive 91/533.

82.
    De plus, ni l'article 2 de la directive 91/533 ni aucune autre disposition de celle-ci n'oblige l'employeur à porter spécifiquement à la connaissance du travailleur l'obligation de comportement en cause.

83.
    En tout état de cause, cette obligation de comportement constitue une application élémentaire du principe commun aux droits de la très grande majorité des États membres, selon lequel les contrats, et notamment les contrats de travail, doivent être exécutés de bonne foi. En raison de sa portée fondamentale, son existence est à ce point évidente qu'elle s'impose manifestement, même en l'absence de toute stipulation expresse.

84.
    Le requérant fait valoir, deuxièmement, que cette obligation de comportement n'aurait pas fait l'objet d'une consultation du comité du personnel. En complément à ce qui vient d'être relevé au sujet du caractère fondamental de l'obligation en cause, il convient d'observer que celle-ci trouve sa source dans les conditions d'emploi, établies sur la base de l'article 36.1 des statuts du SEBC, qui dispose que «le conseil des gouverneurs arrête, sur proposition du directoire, le régime applicable au personnel de la BCE». Il a donc été élaboré dans le cadre d'une procédure qui ne prévoit pas la consultation du comité du personnel. Celui-ci n'a été créé que par les conditions d'emploi, dont l'article 46 prévoit qu'il est appelé à être consulté sur toute modification de celles-ci. Or, la disposition en question ne procède pas d'une modification des conditions d'emploi, mais de leur version initiale. Il n'y avait donc pas, en l'occurrence, d'obligation de consultation du comité du personnel. L'argument doit, par conséquent, être rejeté.

Sur l'absence de définition des faits susceptibles de faire l'objet de sanctions disciplinaires

- Exposé sommaire de l'argumentation des parties

85.
    Le requérant expose que les conditions d'emploi omettent de définir les faits susceptibles de faire l'objet de sanctions disciplinaires. Ainsi, la partie sous le point 8 des conditions d'emploi, en particulier l'article 43, se limiterait à décrire les conséquences légales des infractions disciplinaires sans définir ces infractions.

86.
    La BCE estime que le requérant méconnaît la différence entre une infraction au droit et une sanction infligée pour cause d'infraction au droit.

- Appréciation du Tribunal

87.
    À cet égard, il y a lieu de relever que l'article 43 des conditions d'emploi dispose que des mesures disciplinaires peuvent être prises à l'encontre des agents qui manquent à leurs obligations vis-à-vis de la BCE. Or, ces obligations («duties»)sont définies dans différents articles des conditions d'emploi, et notamment aux articles 4 et 5. L'argument doit donc être rejeté.

88.
    Il résulte de ce qui précède que les exceptions d'illégalité soulevées contre les conditions d'emploi ne sont pas fondées.

2. Sur l'exception d'illégalité soulevée contre le statut du personnel

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

89.
    Le requérant expose que la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire prévue par l'article 43 des conditions d'emploi supposait nécessairement le recours à la partie sous le point 8 du statut du personnel, de sorte que l'illégalité de ce dernier entraîne l'irrégularité de ladite procédure. Or, le statut du personnel serait illégal à un double titre.

90.
    Premièrement, il serait dépourvu de base légale. En effet, il concernerait le régime applicable au personnel de la BCE. Il aurait donc dû être adopté, sur la base de l'article 36.1 des statuts du SEBC, par le conseil des gouverneurs sur proposition du directoire et non par le directoire qui n'en avait pas la compétence.

91.
    Deuxièmement, il ne serait pas encore entré en vigueur, la procédure de consultation du comité du personnel, prévue par l'article 46 des conditions d'emploi, n'étant pas terminée.

92.
    La BCE soutient, à titre principal, que l'exception d'illégalité dirigée contre le statut du personnel est manifestement irrecevable, parce que le requérant dénonce de façon abstraite et en bloc l'illégalité de celui-ci sans indiquer explicitement les dispositions spécifiquement contestées (arrêt du Tribunal du 26 octobre 1993, Reinarz/Commission, T-6/92 et T-52/92, Rec. p. II-1047, point 57).

93.
    À titre subsidiaire, elle conteste le bien-fondé des deux arguments présentés par le requérant.

94.
    D'une part, le statut du personnel aurait une base légale suffisante dans l'article 21.3 du règlement intérieur de la BCE.

95.
    D'autre part, le statut du personnel aurait fait l'objet d'une consultation du comité du personnel de l'IME, antérieurement à son entrée en vigueur le 1er juillet 1998.

Appréciation du Tribunal

96.
    À l'appui de sa contestation de la recevabilité de l'exception d'illégalité soulevée par le requérant, la BCE invoque l'arrêt Reinarz/Commission, précité. Il y est constaté que, pour qu'une exception d'illégalité soit recevable, il faut que l'acte général dont l'illégalité est soulevée soit applicable, directement ou indirectement, à l'espèce qui fait l'objet du recours et qu'il existe un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l'acte général dont l'illégalité est soulevée (arrêt Reinarz/Commission, précité, point 57 et la jurisprudence citée).

97.
    En l'espèce, le requérant précise à juste titre que la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire prévue par l'article 43 des conditions d'emploi supposait nécessairement le recours à la partie sous le point 8 du statut du personnel. Partant, l'illégalité du statut du personnel entraînerait l'irrégularité de la procédure disciplinaire. Il existe donc un lien juridique direct entre les décisions attaquées et l'acte général contesté. L'exception d'illégalité est donc recevable, à tout le moins en ce qu'elle vise les dispositions sous le point 8 du statut du personnel.

98.
    Sur le fond de l'exception d'illégalité, en ce qui concerne, premièrement, la base légale du statut du personnel, le requérant fait valoir que celui-ci a été adopté par le directoire de la BCE, alors que, conformément à l'article 36.1 des statuts du SEBC, il appartient au conseil des gouverneurs d'arrêter, sur proposition du directoire, le régime applicable au personnel de la BCE.

99.
    Il convient d'observer que le statut du personnel, qui a pour objet de définir les conditions d'exécution des conditions d'emploi, a été adopté par le directoire sur le fondement de l'article 21.3 du règlement intérieur de la BCE, qui dispose que «les conditions d'emploi trouvent leur application dans le statut du personnel, qui est adopté et modifié par le Directoire». Le règlement intérieur se fonde, quant à lui, sur l'article 12.3 des statuts du SEBC, qui prévoit que le «conseil des gouverneurs adopte un règlement intérieur déterminant l'organisation interne de la BCE et de ses organes de décision».

100.
    À l'article 21.3 du règlement intérieur de la BCE, le conseil des gouverneurs a donc délégué au directoire le pouvoir de définir les conditions d'exécution des conditions d'emploi.

101.
    L'argument du requérant soulève la question de savoir si cette délégation de compétence était licite eu égard à la circonstance que les statuts du SEBC, qui ont, dans la hiérarchie des normes, une valeur supérieure au règlement intérieur, disposent qu'il appartient au conseil des gouverneurs d'arrêter le «régime applicable au personnel de la BCE».

102.
    Il ressort de la jurisprudence qu'en droit communautaire les délégations de pouvoirs d'exécution sont licites à condition qu'un texte ne les prohibe pas formellement (arrêt de la Cour du 13 juin 1958, Meroni/Haute Autorité, 9/56, Rec. p. 9, 42).

103.
    Or, en l'espèce, d'une part, aucun texte ne prohibe formellement la délégation en question.

104.
    D'autre part, la délégation n'a pour objet que l'exécution d'une législation élaborée par l'autorité compétente et elle a été décidée sur la base d'un texte de droit primaire, en l'occurrence l'article 12.3 des statuts du SEBC. Ce dernier donne, en effet, compétence au conseil des gouverneurs pour adopter un règlement intérieur déterminant l'organisation interne de la BCE, ce qui implique le pouvoir de déléguer à cette fin la définition du régime applicable au personnel.

105.
    La présente délégation est à rapprocher de celle concernant l'article 24 du traité de fusion, qui constitue un texte de droit primaire, selon lequel le Conseil arrête le statut des fonctionnaires et le RAA. Cet article ne prévoit pas formellement que le Conseil puisse déléguer cette compétence. Pourtant, le statut des fonctionnaires, adopté par le Conseil sur ce fondement, dispose, dans son article 110, que les «dispositions générales d'exécution du présent statut sont arrêtées par chaque institution». La légalité de cette délégation, non formellement prévue par un texte de droit primaire, a été implicitement reconnue par la jurisprudence communautaire (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 14 décembre 1990, Brems/Conseil, T-75/89, Rec. p. II-899, point 29).

106.
    L'argument du requérant relatif à l'adoption du statut du personnel par le directoire de la BCE doit donc être rejeté.

107.
    En ce qui concerne, deuxièmement, l'argument selon lequel le statut du personnel ne serait pas encore entré en vigueur parce que la consultation du comité du personnel ne serait pas terminée, il convient de souligner qu'il résulte des articles 46 des conditions d'emploi et 21.4 du règlement intérieur de la BCE que cette consultation n'est exigée qu'en cas de modification dudit statut ou d'élaboration d'un nouveau statut du personnel.

108.
    L'argument doit donc être rejeté.

109.
    Il s'ensuit que l'exception d'illégalité soulevée contre le statut du personnel n'est pas fondée.

3. Sur l'exception d'illégalité soulevée contre la circulaire n° 11/98

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

110.
    Le requérant considère que la circulaire 11/98 est dépourvue d'effet.

111.
    Dans la réplique, il explique à cet égard, premièrement, que ses rapports avec la BCE sont de nature non pas statutaire, mais contractuelle, que la BCE ne peut donc pas modifier unilatéralement les conditions d'exécution du contrat de travailet qu'il n'est pas établi que la circulaire n° 11/98 ait fait l'objet d'un accord de volonté entre les parties. Il en déduit que la circulaire n° 11/98 ne peut lui être opposée, même si elle lui a, le cas échéant, été communiquée antérieurement aux faits reprochés.

112.
    Deuxièmement, la circulaire n° 11/98 ne serait pas légalement en vigueur parce que le comité du personnel n'aurait pas été consulté à son sujet.

113.
    La BCE soutient, principalement, que l'exception d'illégalité est irrecevable, le requérant s'étant borné, dans sa requête, à renvoyer à ses observations pendant la procédure disciplinaire, et, subsidiairement, qu'elle n'est pas fondée.

Appréciation du Tribunal

114.
    En vertu de l'article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure, la requête doit contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l'appui (par exemple, arrêt du Tribunal du 5 juillet 2000, Samper/Parlement, T-111/99, RecFP p. I-A-135 et II-611, point 27).

115.
    Il convient de rappeler que, si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d'autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l'absence des éléments essentiels de l'argumentation en droit, qui, en vertu de la disposition susvisée, doivent figurer dans la requête (ordonnance du Tribunal du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T-154/98, Rec. p. II-1703, point 49). Enfin, l'énonciation du moyen dans la réplique ne saurait remédier à la non-conformité de la requête à ladite disposition. En effet, s'il est, certes, admis qu'un requérant développe ses moyens dans la réplique, ce droit est néanmoins conditionné par le fait que les moyens en question soient au moins énoncés dans la requête (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, De Persio/Commission, T-23/96, RecFP p. I-A-483 et II-1413, point 49).

116.
    En l'espèce, le requérant s'est contenté d'indiquer dans sa requête:

«La circulaire 11/1998 est dépourvue d'effet. Pour éviter des répétitions, nous renvoyons dans ce contexte à nos observations du 21 octobre 1999 ainsi qu'à nos observations orales lors de l'audition du 3 novembre 1999.»

117.
    Force est de constater que les éléments de fait et de droit sur lesquels se fonde le moyen en cause n'ont pas été présentés, même sommairement, dans la requête. Dès lors, le simple renvoi par le requérant à ses observations du 21 octobre 1999 et les indications contenues dans sa réplique ne sauraient pallier cette carence. Le moyen en cause doit donc être déclaré irrecevable.

118.
    Le moyen en question est, en tout état de cause, dépourvu de pertinence. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, qu'une exception d'illégalité suppose, pour être recevable, que l'acte général dont l'illégalité est soulevée soit applicable, directement ou indirectement, à l'espèce qui fait l'objet du recours et qu'il existe un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l'acte général dont l'illégalité est soulevée (arrêt Reinarz/Commission, précité, point 57, et la jurisprudence citée).

119.
    En l'espèce, le requérant a fait l'objet d'une procédure disciplinaire parce qu'il lui était reproché, d'une part, d'avoir harcelé un de ses collègues et empoisonné l'atmosphère de travail et, d'autre part, d'avoir abusé de la possibilité de se connecter à Internet sur son lieu de travail. Cet abus revêtait deux formes différentes, premièrement, la consultation de sites et l'envoi de courriers électroniques à caractère pornographique ou politiquement extrémiste et, deuxièmement, une utilisation abusive d'Internet à des fins privées.

120.
    La circulaire n° 11/98 n'a été invoquée que dans le cadre de ce dernier type d'abus, à travers la disposition très générale de son article 3.1, selon lequel «les services Internet procurés par la BCE le sont à des fins de service». Dans la décision de licenciement, il est précisé, à ce sujet, que «ce faisant, la circulaire applique un principe général du droit du travail suivant lequel les outils de travail de l'employeur, fournis aux employés sur le lieu de leur travail, doivent être utilisés à des fins de travail». La BCE applique ce principe au requérant en constatant ensuite, dans la même décision: «la durée, le nombre et la fréquence des connexions enregistrées tant sur le compte internet de M. X que sur son courrier électronique - dont les deux tiers n'étaient pas liés à l'accomplissement des fonctions de l'intéressé - dénotent un détournement manifeste d'un outil de travail et constituent donc une violation du principe précité et des obligations de M. X d'exercer ses fonctions consciencieusement vis-à-vis de la BCE». Toutefois, cette dernière obligation résulte non de la circulaire n° 11/98, mais de l'article 4, sous a), des conditions d'emploi, qui dispose que «les agents de la BCE doivent exercer leurs fonctions en conscience et sans considération de leurs intérêts personnels».

121.
    En outre, la règle formulée à l'article 3.1 de la circulaire n° 11/98 ne constitue, comme le relève à juste titre la BCE, que l'expression du principe selon lequel le matériel de travail confié par l'employeur au salarié doit être utilisé, d'une manière générale et sous réserve d'exceptions spécifiques, pour l'exécution des tâches professionnelles du salarié. Or, ce principe n'est, quant à lui, qu'une application de celui, exprimé à l'article 4, sous a), des conditions d'emploi, selon lequel les agents sont tenus d'exécuter leurs tâches d'une façon consciencieuse et désintéressée, qui, lui-même, n'est qu'une expression du principe selon lequel le contrat d'emploi doit être exécuté de bonne foi.

122.
    L'article 3.1 de la circulaire n° 11/98 n'a donc pour objet que d'exprimer un principe élémentaire et fondamental, sous-jacent à tout contrat d'emploi, qui s'applique de toute évidence, même en l'absence de toute stipulation expresse. Deplus, il constitue une simple application de l'article 4, sous a), des conditions d'emploi. Indépendamment de la question de la légalité de la circulaire n° 11/98, la règle qu'elle exprime s'impose donc, en tout état de cause, sur le fondement tant du principe précité que de cette disposition des conditions d'emploi.

123.
    Il s'ensuit que l'obligation pour l'agent de la BCE de n'utiliser, en principe, les outils de travail mis à sa disposition par l'employeur qu'à des fins professionnelles existe indépendamment de la légalité de l'article 3.1 de la circulaire n° 11/98. L'exception d'illégalité n'est donc pas pertinente. Elle est, partant, irrecevable.

B - Sur la légalité des décisions attaquées

1. Sur le moyen tiré de l'absence de procédure précontentieuse

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

124.
    Le requérant expose, dans la réplique, que la décision du 9 novembre 1999 est illégale. À cet égard, il fait observer que son avocat a, par courrier du 10 novembre 1999, demandé un contrôle administratif précontentieux de cette décision sur la base de l'article 41 des conditions d'emploi et que la réponse de la BCE, par courrier du 17 novembre 1999, selon laquelle ladite décision ne pouvait pas faire l'objet de cette procédure, est erronée en droit et contraire à l'article 41 des conditions d'emploi. En effet, celui-ci n'exclurait un tel contrôle que pour une décision du conseil des gouverneurs. Toutefois, en l'espèce, la décision en question aurait été rendue par le directoire.

125.
    Il fait observer que la procédure de contrôle administratif précontentieux prévue par l'article 41 des conditions d'emploi a pour objet de permettre à l'agent auteur de la réclamation de contraindre la BCE à examiner une nouvelle fois ses arguments, antérieurement à l'adoption d'une décision définitive. Avant la mise en oeuvre de cette procédure, les effets de la décision initiale seraient suspendus. Toutefois, lorsque la procédure du contrôle administratif précontentieux a été refusée en violation de l'article 41 des conditions d'emploi, la décision, objet de la réclamation, serait définitivement dépourvue d'effets juridiques.

126.
    Dans le même mémoire, le requérant reprend cette argumentation en ce qui concerne la décision de licenciement. À cet égard, il relève, à titre de fait nouveau, que son avocat a, par courrier du 22 novembre 1999, demandé à la BCE de procéder à un contrôle administratif précontentieux de cette décision et que, par lettre du 9 décembre 1999, donc postérieurement au dépôt de la requête, l'administration de la BCE l'a informé que cette décision, pour les mêmes motifs que ceux invoqués en ce qui concerne la décision du 9 novembre 1999, ne pouvait pas faire l'objet d'une telle procédure.

127.
    La BCE fait valoir, à titre principal, que ce moyen est irrecevable car tardif et, à titre subsidiaire, qu'il est non fondé, les décisions attaquées, parce qu'elles ont étéadoptées par le directoire de la BCE, ne pouvant faire l'objet d'un contrôle administratif précontentieux.

Appréciation du Tribunal

128.
    L'article 41 des conditions d'emploi dispose:

«Les membres du personnel peuvent, en recourant à la procédure fixée dans le statut du personnel, soumettre à l'administration, en vue d'un contrôle administratif précontentieux ['administrative review‘], des doléances et réclamations que cette dernière examinera sous l'angle de la cohérence des actes pris dans chaque cas individuel par rapport à la politique du personnel et aux conditions d'emploi de la BCE. Les membres du personnel n'ayant pas obtenu satisfaction à la suite du contrôle administratif précontentieux, peuvent recourir à la procédure de réclamation ['grievance procedure‘] fixée dans le statut du personnel.

Les procédures susvisées ne peuvent être utilisées pour contester:

i)    toute décision du conseil des gouverneurs ou toute directive interne de la BCE, y compris toute directive fixée dans les conditions générales d'emploi ou dans le statut du personnel.

ii)    toute décision pour laquelle des procédures de recours spécifiques existent, ou

iii)    toute décision de ne pas confirmer la nomination d'un membre du personnel ayant la qualité de stagiaire.»

129.
    Le statut du personnel décrit, dans son article 8.1, d'une part la procédure de contrôle administratif précontentieux et, d'autre part, la procédure de réclamation. Ces deux procédures sont complémentaires.

130.
    Dans la première procédure, si la question a trait, essentiellement, au domaine de compétence de la division à laquelle l'agent est affecté, il doit la soumettre à son chef de division. Si elle relève de la responsabilité de la direction du personnel, il doit la soumettre au directeur du personnel. Si la question n'est pas résolue de façon satisfaisante dans un délai d'un mois, ou si l'agent ne souhaitait pas la soumettre aux autorités susvisées, il peut en saisir, dans la première hypothèse, le directeur ou le directeur général et, dans la seconde hypothèse, le directeur général de l'administration et du personnel. Ceux-ci adoptent, dans un délai d'un mois àcompter de la communication de la question, une décision motivée qui est notifiée à l'agent.

131.
    L'agent qui n'est pas satisfait de la décision ainsi rendue ou qui n'a pas reçu de réponse dans le délai d'un mois peut utiliser la procédure de réclamation (articles 8.1.4 et 8.1.5 du statut du personnel). À cet effet, l'agent adresse au président de la BCE un mémorandum dans lequel il précise les motifs qui l'amènent à contester la décision et le remède qu'il sollicite. Le président répond par écrit dans un délai d'un mois (article 8.1.5 du statut du personnel). La mise en oeuvre de la procédure de réclamation ne suspend pas la décision attaquée (article 8.1.6 du statut du personnel).

132.
    En l'espèce, le requérant a fait une demande de contrôle administratif précontentieux de la décision du 9 novembre 1999 puis de la décision du 18 novembre 1999 de le licencier.

133.
    La BCE lui a répondu, en ce qui concerne la première demande, le 17 novembre 1999 et, en ce qui concerne la seconde demande, le 9 décembre 1999 (donc postérieurement à l'introduction du recours, formé le 25 novembre 1999).

134.
    En ce qui concerne la recevabilité du moyen, il convient de rappeler que l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure dispose que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

135.
    En l'espèce, le refus de faire droit à la demande de contrôle administratif précontentieux de la décision du 9 novembre 1999 a été porté à la connaissance du requérant antérieurement au dépôt de la requête. En revanche, le même refus concernant la décision de licenciement ne l'a été que postérieurement.

136.
    Il s'ensuit que la contestation du premier refus, formulée pour la première fois au stade de la réplique, est irrecevable, puisqu'elle se rapporte à un élément connu avant le dépôt de la requête. En revanche, celle du second refus est recevable, puisqu'elle se rapporte à un élément qui ne s'est révélé que pendant la procédure.

137.
    En ce qui concerne le fond de cette contestation, il résulte des conditions d'emploi que le licenciement doit être décidé par le directoire de la BCE [articles 11, sous a), et 43, sous ii)]. Or, dans le statut du personnel, l'autorité compétente aux fins de procéder à un contrôle administratif précontentieux est soit le chef de division, le directeur ou le directeur général de la division de l'agent, si la question relève principalement de cette division, soit le directeur du personnel ou le directeur général de l'administration et du personnel, si la question relève principalement de la direction du personnel. Partant, la possibilité d'un contrôle administratif précontentieux d'une question relevant, comme en l'espèce, de la compétence du directoire de la BCE n'est pas prévue par le statut du personnel.

138.
    De plus, la procédure de réclamation, qui constitue la suite nécessaire de la procédure de contrôle administratif précontentieux, ne pouvait pas, en l'espèce, être mise en oeuvre sur la base des dispositions du statut du personnel. L'autorité désignée dans le statut du personnel dans le cadre de la procédure de réclamation est, en effet, le président de la BCE, ou, en cas d'absence, le vice-président ou, si les deux sont absents, un autre membre du directoire. Or, s'il est admis que le membre d'une institution ayant pris, en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN»), une décision faisant grief à un agent n'est pas tenu de s'abstenir de participer à la délibération du collège des membres de cette institution sur la réclamation introduite par l'agent contre la décision en cause (arrêt de la Cour du 21 octobre 1980, Vecchioli/Commission, 101/79, Rec. p. 3069, point 31), il ne saurait être admis qu'un membre d'une institution ou d'un organisme comme la BCE soit seul en droit de se prononcer sur une réclamation dirigée contre une décision qui a été adoptée par le collège des membres de cette institution ou de cet organisme, donc d'apprécier seul les griefs présentés contre une décision collégiale à laquelle il a participé.

139.
    Il s'ensuit que la procédure de contrôle administratif précontentieux et la procédure de réclamation ne pouvaient pas, en l'espèce, être appliquées sur la base des dispositions du statut du personnel.

140.
    À cet égard, le requérant soutient, en substance, que, dans le statut du personnel, il a été fait une mauvaise application de l'article 41 des conditions d'emploi, qui n'aurait pas exclu la possibilité de prévoir une procédure précontentieuse contre des décisions du type de la décision attaquée. Il tire, à cet effet, argument du libellé de l'article 41 des conditions d'emploi, qui dispose que la procédure précontentieuse ne peut pas être mise en oeuvre pour les trois catégories de décisions énumérées, à savoir les décisions du conseil des gouverneurs de la BCE ou toute directive interne de la BCE, y compris toute directive fixée dans les conditions générales d'emploi ou dans le statut du personnel, toute décision pour laquelle des procédures de recours spécifiques existent ou toute décision de ne pas confirmer la nomination d'un membre du personnel ayant la qualité de stagiaire. La catégorie à laquelle appartient la décision en cause, à savoir celle des décisions disciplinaires qui relèvent, conformément à l'article 43, sous ii), des conditions d'emploi, de la compétence du directoire de la BCE, ne figure donc pas parmi ces exceptions.

141.
    Il se pose, dès lors, la question de savoir si l'énumération, par l'article 41 des conditions d'emploi, des cas d'exclusion de la procédure précontentieuse est limitative.

142.
    Il convient de constater à cet égard, d'une part, que les conditions d'emploi confèrent compétence au directoire pour décider des mesures disciplinaires prévues à l'article 43, sous ii), y compris le licenciement. D'autre part, le seul organe de décision qui, au sein de la BCE, soit, d'un point de vue hiérarchique, supérieur audirectoire est le conseil des gouverneurs. Or, ce dernier n'est pas compétent pour connaître des décisions disciplinaires du directoire. Il résulte, en effet, de l'article 11.6 des statuts du SEBC que seul le directoire est responsable de la gestion courante de la BCE.

143.
    Dans la logique des statuts du SEBC et des conditions d'emploi, il n'existe donc aucune autorité compétente pour connaître de la procédure précontentieuse en deux étapes prévue par l'article 41 des conditions d'emploi contre les décisions du directoire.

144.
    Ces décisions ne relèvent donc pas de la procédure définie par cet article, bien que celui-ci ne contienne aucune indication à cet égard.

145.
    Cette absence de procédure précontentieuse est compensée par le fait que les décisions en question sont, en vertu de l'article 43 des conditions d'emploi, adoptées à la suite d'une procédure contradictoire, les agents concernés devant avoir eu l'occasion de prendre position sur les griefs qui leur sont reprochés.

146.
    Le moyen doit donc être rejeté.

2. Sur le moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

147.
    Le requérant estime que le fait pour le directoire de la BCE, d'une part, de décider le 9 novembre 1999, sur la base du résultat de la procédure disciplinaire, de maintenir sa suspension, décidée le 18 octobre 1999, et de retenir, à partir du 10 novembre 1999, la moitié de son salaire de base, conformément à l'article 44 des conditions d'emploi, et, d'autre part, de décider le 18 novembre 1999, pour les mêmes motifs, son licenciement aboutit à le sanctionner deux fois pour les mêmes faits et viole, partant, le principe ne bis in idem.

148.
    La BCE concède que le principe ne bis in idem interdit d'infliger plusieurs sanctions disciplinaires pour un seul et même manquement (arrêt de la Cour du 5 mai 1966, Gutmann/Commission, 18/65 et 35/65, Rec. p. 149). En l'espèce, ce principe ne serait toutefois pas enfreint. Il y aurait lieu de distinguer la suspension, qui ne constituerait qu'une mesure provisoire, du licenciement, qui, lui, serait la seule sanction infligée en l'espèce.

Appréciation du Tribunal

    

149.
    Il convient d'observer que, contrairement au statut des fonctionnaires, qui dispose dans son article 86, paragraphe 3, qu'une «même faute ne peut donner lieu qu'à une seule sanction disciplinaire», les conditions d'emploi et le statut du personnel ne contiennent aucune disposition imposant le respect de ce principe. Il constitue,toutefois, un principe général de droit communautaire s'imposant indépendamment de tout texte (voir, en ce sens, arrêt Gutmann/Commission, précité, p. 172).

150.
    En l'espèce, le requérant a successivement fait l'objet, de la part du directoire de la BCE, le 18 octobre 1999, d'une mesure de suspension sans réduction de salaire, sur le fondement de l'article 44 des conditions d'emploi, puis, le 9 novembre 1999, d'une confirmation de cette suspension assortie, avec effet au 10 novembre 1999, d'une réduction de salaire de moitié, sur ce même fondement et, le 18 novembre 1999, d'un licenciement, sur le fondement des articles 11, sous a) et b), et 43 des conditions d'emploi.

151.
    Dans la décision du 9 novembre 1999, le directoire de la BCE prononce une mesure de suspension, qui présente un caractère provisoire étant donné, notamment, que l'article 44, troisième alinéa, des conditions d'emploi, qui s'inspire de l'article 88, quatrième alinéa, du statut des fonctionnaires, dispose: «Si, dans les quatre mois à compter de la suspension, la situation de l'agent suspendu n'a pas été définitivement réglée ou que ce dernier n'a été l'objet que d'un blâme, l'intéressé a droit au remboursement des montants retenus au titre de la suspension.» Elle n'entre donc pas en ligne de compte en vue de l'application du principe en cause.

152.
    Ce n'est que dans la décision du 18 novembre 1999 que le directoire de la BCE a mis un terme à la procédure disciplinaire ouverte contre le requérant et a prononcé à l'encontre de celui-ci une sanction prévue par l'article 43 des conditions d'emploi.

153.
    Le moyen doit donc être rejeté.

3. Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

154.
    Le requérant soutient que ses droits de la défense ont été violés au cours de la procédure disciplinaire.

155.
    Cette violation affecterait, en premier lieu, l'audition du 3 novembre 1999, et ce à un double point de vue.

156.
    Premièrement, la BCE aurait omis de préciser, antérieurement à cette audition, l'étendue exacte des fautes qu'elle lui reprochait. Certes, le requérant se serait vu remettre, le 28 octobre 1999, un dossier comprenant 900 pages et un CD-ROM. La BCE n'aurait toutefois pas indiqué au requérant lesquels, parmi les nombreux faits qui y étaient relatés, elle entendait invoquer à la charge de ce dernier. La BCE n'aurait précisé les griefs retenus contre le requérant, pour la première fois, que dans l'avis motivé du 8 novembre 1999.

157.
    Deuxièmement, le requérant expose dans la réplique que, eu égard au caractère très volumineux du dossier, il n'a pas disposé d'un délai suffisant entre la date de remise de ce dernier à son avocat, le 28 octobre 1999, et celle de l'audition, le 3 novembre 1999, pour préparer sa défense.

158.
    Selon le requérant, ses droits de la défense ont été violés, en deuxième lieu, par le fait que la BCE, alors qu'elle lui avait, pour la première fois, précisé les faits qui lui étaient reprochés, dans l'avis motivé du 8 novembre 1999, a adopté dès le lendemain une décision disciplinaire, soit la décision du 9 novembre 1999, sans lui donner la possibilité de présenter ses observations. En effet, comme la BCE aurait instruit l'affaire à la manière d'un ministère public, elle aurait dû s'en tenir strictement aux principes de l'État de droit et accorder à l'intéressé le droit d'être entendu, avant toute prise de décision.

159.
    Le requérant soutient, en troisième lieu, que le fait, pour la BCE, de rappeler à son avocat, à la suite de l'envoi par celui-ci de ses courriers des 9 et 10 novembre 1999, rédigés en allemand, que la langue de travail devant être utilisée en principe est l'anglais, doit être considéré comme une tentative de rendre plus difficile la mise en oeuvre des voies de recours et oblige à penser qu'il n'a pas pu effectivement se défendre de manière efficace avec des courriers rédigés en allemand.

160.
    La BCE rappelle que le respect des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée au préalable de tous les faits retenus contre elle par l'autorité compétente et dispose d'un délai raisonnable pour la préparation de sa défense (arrêts de la Cour du 19 avril 1988, Misset/Conseil, 319/85, Rec. p. 1861, point 7, et du Tribunal du 19 mars 1998, Tzoanos/Commission, T-74/96, RecFP p. I-A-129 et II-343, point 329).

161.
    Elle aurait intégralement respecté ces conditions.

Appréciation du Tribunal

162.
    À titre d'observation préliminaire, il y a lieu de rappeler que, en matière disciplinaire, l'agent mis en cause bénéficie du principe général du respect des droits de la défense (arrêt de la Cour du 18 novembre 1999, Tzoanos/Commission, C-191/98 P, Rec. p. I-8223, point 34). Toutefois, la procédure disciplinaire n'est pas judiciaire, mais administrative, et l'administration ne saurait être qualifiée de «tribunal» au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (arrêt du 19 mars 1998, Tzoanos/Commission, précité, point 339, confirmé sur pourvoi par arrêt du 18 novembre 1999, Tzoanos/Commission, précité).

163.
    Le requérant considère que ses droits de la défense auraient été violés à trois reprises, à savoir, premièrement, à l'occasion de l'audition du 3 novembre 1999, deuxièmement, lors de l'adoption de la décision du 9 novembre 1999 et,troisièmement, à l'occasion du rappel, par la BCE, de ce que sa langue de travail interne est l'anglais.

164.
    En ce qui concerne, premièrement, les arguments en rapport avec l'audition du 3 novembre 1999, le requérant reproche à la BCE, en premier lieu, d'avoir omis de l'informer au préalable des faits qui lui étaient reprochés et, en deuxième lieu, de lui avoir donné un délai de préparation insuffisant.

165.
    Sur l'argument tiré du défaut de communication préalable des griefs, il convient de relever que l'article 43 des conditions d'emploi dispose: «Les mesures disciplinaires [...] sont adoptées conformément à la procédure définie dans le statut du personnel. Ladite procédure doit veiller à ce qu'aucun agent ne soit frappé d'une sanction disciplinaire sans qu'il n'ait, au préalable, été mis en mesure de répondre aux griefs.» Le statut du personnel ne contient toutefois aucune disposition relative au déroulement de la procédure disciplinaire.

166.
    Les conditions d'emploi et le statut du personnel ne contiennent donc pas de disposition du type de celle figurant à l'article 1er de l'annexe IX du statut des fonctionnaires, qui dispose que le fonctionnaire contre lequel une procédure disciplinaire est ouverte doit se voir transmettre «un rapport émanant de l'[AIPN], qui doit indiquer clairement les faits reprochés et, s'il y a lieu, les circonstances dans lesquelles ils ont été commis». De la même façon, le règlement du personnel de la BEI dispose que le membre du personnel contre lequel une procédure disciplinaire est ouverte «reçoit, par écrit, communication des faits qui lui sont reprochés [...] avant la date prévue pour la réunion de la commission» paritaire, laquelle assume des fonctions analogues à celles du conseil de discipline prévu par le statut des fonctionnaires (arrêt Yasse/BEI, précité, point 5).

167.
    La jurisprudence a, de même, interprété l'article 87, premier alinéa, du statut des fonctionnaires, selon lequel le fonctionnaire faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne donnant lieu qu'à la sanction de l'avertissement ou du blâme et ne nécessitant pas la consultation du conseil de discipline «doit être préalablement entendu», comme exigeant que l'intéressé soit préalablement informé des reproches retenus contre lui par l'AIPN (arrêt Misset/Conseil, précité, point 7).

168.
    Il s'ensuit que cette même exigence doit être étendue mutatis mutandis à la procédure disciplinaire applicable aux agents de la BCE, et ce à d'autant plus forte raison que les conditions d'emploi obligent celle-ci à réserver à l'agent concerné la possibilité de répondre aux reproches allégués (the «opportunity to reply to the relevant charges first being granted»).

169.
    En l'espèce, il convient de relever, tout d'abord, qu'antérieurement à l'audition du 3 novembre 1999 le requérant s'est vu notifier la décision de suspension du 18 octobre 1999 dans laquelle ont été énumérés les séries de faits qui lui étaient reprochés, à savoir, premièrement, d'avoir utilisé d'une façon répétée l'accès àInternet de la BCE pour consulter des sites à usage non professionnel, ce qui entraînerait une perte de productivité de celle-ci, et d'avoir envoyé un certain nombre de courriers électroniques à contenu sexuel ou politique et, deuxièmement, d'avoir harcelé un de ses collègues, d'une part, en lui envoyant, nonobstant son opposition, de façon répétée des courriers électroniques à caractère sexuel ou contenant des biographies ou des photographies de responsables du régime nazi, d'autre part, par différents incidents verbaux et non verbaux, tels que le jet d'objets, des gestes sexuels provocants et une attitude menaçante.

170.
    Ensuite, ces allégations ont été précisées et complétées par la remise, le 28 octobre 1999, d'un dossier comprenant 900 pages et un CD-ROM. Dans ce dossier, dont une copie a été communiquée au Tribunal, figurent:

-    une copie de 19 courriers électroniques internes envoyés par le requérant au collègue qu'il est soupçonné d'avoir harcelé (annexe 1 de ce dossier);

-    une copie de courriers électroniques envoyés par ce collègue et par les supérieurs du requérant en réaction aux envois susvisés et à d'autres faits imputés à ce dernier ainsi que des dépositions circonstanciées de ce collègue et de ses supérieurs sur les agissements du requérant (annexe 2 de ce dossier);

-    une liste des courriers électroniques envoyés par le requérant à l'intérieur et à l'extérieur de la BCE entre le 16 juillet et le 18 octobre 1999, classés en fonction de leur caractère non professionnel et professionnel, et une copie de chacun d'eux; un tableau portant sur la consultation de sites sur Internet à usage non professionnel au cours de certains jours, avec une description de la nature des sites consultés et du temps de consultation, ainsi qu'une liste de ces sites; une liste de séquences animées envoyées par courrier électronique à l'intérieur et à l'extérieur de la BCE, ayant en très grande partie un contenu pornographique, ainsi qu'un CD-ROM permettant de visualiser ces séquences (annexes 3 à 5);

-    une copie des conditions d'emploi, du statut du personnel et de la circulaire n° 11/98.

171.
    Ce dossier était structuré d'une façon très claire. Il était pourvu d'une liste répertoriant et décrivant le contenu de l'ensemble des annexes et chaque annexe comportait une liste résumant et qualifiant son contenu. Par ailleurs, il était, dans sa majeure partie, composé de documents émanant du requérant lui-même.

172.
    Il s'ensuit que le requérant a été, en l'espèce, mis suffisamment en mesure de connaître les faits qui lui étaient reprochés.

173.
    Sur l'argumentation tirée du temps de préparation insuffisant, il convient de constater que la BCE en soulève l'irrecevabilité au motif qu'elle n'a été présentéepour la première fois que dans la réplique, de sorte qu'elle constituerait un moyen nouveau, donc irrecevable.

174.
    Il est vrai que l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure dispose que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue une ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d'instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être considéré comme recevable (arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, Hubert/Commission, T-28/97, RecFP p. I-A-435 et II-1255, point 38, et la jurisprudence citée). En l'espèce, le requérant a formulé dans la requête un moyen tiré de ce que ses droits de la défense auraient été violés à l'occasion de l'audition du 3 novembre 1999. Il avançait, à cet effet, qu'il n'avait pas pu se défendre utilement lors de cette audition au motif que le dossier qui lui avait été remis le 28 octobre 1999 ne lui permettait pas de connaître exactement les faits qui lui étaient reprochés. Dès lors, l'argumentation en cause, tirée du peu de temps disponible entre la remise de ce dossier et l'audition, constitue une ampliation de ce moyen et présente un lien étroit avec celui-ci. Elle est donc recevable.

175.
    En ce qui concerne le fond de cette argumentation, il convient de rappeler que l'annexe IX du statut des fonctionnaires, relative à la procédure disciplinaire, dispose à l'article 4, premier alinéa: «Le fonctionnaire incriminé dispose, pour préparer sa défense, d'un délai de quinze jours au moins à compter de la communication du rapport ouvrant la procédure disciplinaire.» Le règlement du personnel de la BEI prévoit aussi, dans son article 40, que le membre du personnel contre lequel une procédure disciplinaire a été ouverte «reçoit, par écrit, communication des faits qui lui sont reprochés quinze jours au moins avant la date prévue pour la réunion de la commission» paritaire appelée à donner son avis.

176.
    En outre, la jurisprudence interprète l'exigence, précitée, de l'article 87 du statut des fonctionnaires en ce sens que le fonctionnaire concerné doit être préalablement informé des reproches retenus contre lui et doit avoir disposé d'un délai raisonnable pour préparer sa défense (arrêt Misset/Conseil, précité, point 7).

177.
    Cette dernière exigence s'applique aussi, mutatis mutandis, même en l'absence de règles en ce sens dans le statut du personnel, à l'agent de la BCE faisant l'objet d'une procédure disciplinaire, et ce à d'autant plus forte raison que l'article 43 des conditions d'emploi dispose, de façon analogue à l'article 87 du statut des fonctionnaires, que «ladite procédure doit veiller à ce qu'aucun agent ne soit frappé de sanction disciplinaire sans qu'il n'ait été mis, au préalable, en mesure de répondre aux griefs».    

178.
    En l'espèce, l'avocat du requérant s'est vu remettre le dossier prémentionné le jeudi 28 octobre 1999, l'audition ayant eu lieu le mercredi 3 novembre 1999. Ildisposait donc d'un temps de préparation de trois jours ouvrables. Ce délai est, en principe, trop court, surtout eu égard à la considération que le statut des fonctionnaires et le règlement du personnel de la BEI prévoient un délai de quinze jours. Compte tenu des circonstances spécifiques de l'espèce, relevées à juste titre par la BCE, il doit toutefois être considéré comme raisonnable.

179.
    En effet, premièrement, le requérant avait déjà été mis en mesure de connaître la nature des faits qui lui étaient reprochés et la qualification juridique de ceux-ci par la décision de suspension du 18 octobre 1999. Le dossier remis le 28 octobre 1999 n'avait que pour objet de compléter cette information par des illustrations et des preuves. Deuxièmement, ni le requérant ni son avocat n'ont sollicité une remise de l'audition. Troisièmement, l'audition n'a pas été la seule occasion fournie au requérant pour exprimer son point de vue. Il s'est vu proposer cette possibilité une deuxième fois à l'occasion de la communication, le 8 novembre 1999, de l'avis motivé. La lettre d'accompagnement de cet avis l'invitait en effet à présenter ses éventuels commentaires dans les cinq jours ouvrables suivants, soit jusqu'au 15 novembre 1999. L'avocat du requérant a d'ailleurs fait usage de cette faculté par deux courriers envoyés les 9 et 10 novembre 1999.

180.
    Il convient de rappeler, enfin, que le dossier remis le 28 octobre 1999, s'il comporte plus de 900 pages, est, en sa majeure partie, composé de courriers émanant du requérant lui-même. En outre, les documents consistent, comme le relève la BCE, en de courts textes facilement compréhensibles. Ce n'est que l'annexe 2 du dossier qui comporte, en partie, des documents que le requérant ne connaissait pas encore, à savoir les dépositions de son collègue harcelé et de ses supérieurs hiérarchiques. Toutefois, ces documents ne représentent qu'une dizaine de pages.

181.
    L'argumentation tirée du temps de préparation insuffisant doit donc être rejetée.

182.
    En ce qui concerne, en deuxième lieu, le reproche fait à la BCE de ne pas avoir donné au requérant la possibilité de présenter ses observations antérieurement à la décision du 9 novembre 1999, il convient de rappeler que cette décision constitue une mesure provisoire, fondée sur l'article 44 des conditions d'emploi. Cet article, qui régit les mesures de suspension à l'encontre des agents de la BCE, ne prévoit pas formellement un droit de l'agent d'être entendu.

183.
    Cependant, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte lui faisant grief constitue un principe fondamental de droit communautaire qui doit être observé même en l'absence d'une disposition expresse prévue à cette fin. Or, une décision de suspension d'un agent de la BCE prise en vertu de l'article 44 des conditions d'emploi constitue un acte faisant grief. Il s'ensuit que, tout en tenant compte de l'urgence qu'il y a normalement à adopter une décision de suspension en présence d'une allégation de faute grave, une telle décision doit être adoptée dans le respect des droits de la défense. En conséquence, sauf circonstances particulières dûment établies, une décision de suspension ne peut être adoptée qu'après que cet agenta été mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments retenus à sa charge et sur lesquels l'autorité compétente envisage de fonder cette décision. Ce n'est que dans des circonstances particulières qu'il pourrait s'avérer impossible en pratique, ou incompatible avec l'intérêt du service, de procéder à une audition avant l'adoption d'une mesure de suspension. Dans de telles circonstances, les exigences découlant du principe du respect des droits de la défense pourraient être satisfaites par une audition de l'agent concerné dans les plus brefs délais après la décision de suspension (arrêt du Tribunal du 15 juin 2000, F/Commission, T-211/98, RecFP p. I-A-107 et II-471, points 27, 28, 30 à 32 et 34).

    

184.
    À cet égard, il convient d'observer que, en l'espèce, le requérant a pu faire valoir son point de vue sur les éléments retenus à sa charge à l'occasion de l'audition du 3 novembre 1999. Dans ces circonstances, et comme les principes rappelés ci-dessus n'exigent pas en plus que l'agent soit appelé à faire connaître son point de vue sur l'opportunité et la nature d'une éventuelle mesure de suspension qui pourrait être la conséquence des éléments retenus à sa charge, l'argument n'est pas fondé.

185.
    En ce qui concerne, troisièmement, l'argument tiré d'une prétendue tentative de la BCE de rendre plus difficile la mise en oeuvre des droits de la défense en ce qu'elle aurait exigé l'usage de la langue anglaise, il résulte des éléments du dossier ce qui suit:

-    le 8 novembre 1999, la direction générale de l'administration et du personnel et la direction générale des services juridiques de la BCE ont émis et transmis en copie à l'avocat du requérant un avis motivé destiné au directoire de la BCE, dans lequel elles résumaient les faits retenus à la charge du requérant, leur appliquaient des qualifications et proposaient une sanction, à savoir le licenciement;

-    les 9 et 10 novembre 1999, l'avocat du requérant a pris position sur cet avis dans deux courriers rédigés en langue allemande;

-    le 12 novembre 1999, la BCE a accusé réception de ces deux courriers et a rappelé que la langue anglaise constituait sa langue de travail interne; elle a ajouté: «Toutefois, eu égard à vos lettres des 9 et 10 novembre 1999, pour ne pas retarder davantage la procédure, la BCE acceptera ces documents même s'ils ont été rédigés dans une langue différente de la langue ordinaire des contrats et de la langue véhiculaire de la BCE. La présente décision ne doit pas être considérée comme un précédent»;

-    le 15 novembre 1999, l'avocat du requérant a adressé une lettre au président de la BCE dans laquelle il se plaignait du ton arrogant de la lettre du 12 novembre 1999, annonçait qu'il utiliserait la langue allemande dans ses futurs courriers adressés à la BCE et demandait que celle-ci lui confirme formellement qu'elle les accepterait;

-    le 18 novembre 1999, le directeur général de l'administration et du personnel a répondu, en contestant que la lettre du 12 novembre 1999 ait dénoté un ton arrogant et en relevant que la BCE, en acceptant de traiter des courriers rédigés en langue allemande, s'était montrée plus conciliante qu'elle n'était légalement tenue de l'être.

186.
    Il résulte de cette chronologie des faits que la BCE s'est limitée à rappeler que l'anglais était sa langue de travail. Elle n'a pas refusé d'accepter les courriers de l'avocat du requérant rédigés en langue allemande. Elle a même précisé qu'elle les accepterait, nonobstant le fait qu'ils devraient en principe être rédigés en langue anglaise. L'argument doit donc être rejeté.

4. Sur le moyen tiré de l'obtention irrégulière de certaines preuves

187.
    Le requérant a présenté le moyen en question de la manière suivante, au point 3.4 de la requête:

«Le requérant a déjà eu l'occasion d'observer qu'il existe des cas d'interdiction concernant la collecte de certains moyens de preuve. La défenderesse n'a pas, jusqu'à aujourd'hui, indiqué dans le détail - justificatifs à l'appui - comment elle s'est procurée les informations ayant conduit aux griefs invoqués dans la procédure disciplinaire. Nous renvoyons à cet égard aux réserves faites par le mandataire ad litem lors de l'audition du 3 novembre 1999.»

188.
    La BCE conteste, à titre principal, la recevabilité du moyen et, à titre subsidiaire, son bien-fondé.

189.
    Le Tribunal rappelle que, pour qu'un recours, ou un moyen, soit recevable, les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, doivent ressortir, à tout le moins sommairement, mais d'une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir, par exemple, ordonnance du Tribunal du 28 juin 2000, Schuerer/Conseil, T-338/99, Rec. p. II-2571, point 19).

190.
    Or, en l'espèce, le requérant omet de présenter, fût-ce de manière sommaire, les arguments de fait et de droit sur lesquels le moyen en cause se fonde. Il se limite à renvoyer, sans autre explication, aux réserves exprimées par son avocat lors de l'audition du 3 novembre 1999. Faute de précisions complémentaires, il est difficile de savoir avec exactitude lesquelles, parmi les nombreuses observations faites par l'avocat du requérant au cours de cette audition et qui sont consignées dans le procès-verbal de celle-ci, sont spécifiquement visées. De plus, le requérant omet de fournir des précisions complémentaires dans la réplique. En tout état de cause, il n'appartient pas au Tribunal de rechercher et d'identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu'il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T-84/96, Rec. p. II-2081, point 34).

191.
    Dans ces circonstances, le moyen doit être déclaré irrecevable.

192.
    À titre surabondant, il convient d'ajouter que les conditions dans lesquelles la BCE est entrée en possession des éléments de preuve produits en l'espèce a été précisée par celle-ci et portée à la connaissance du requérant. Il résulte, en effet, de l'avis motivé (point I) et de la décision de licenciement (point 4) qu'il a été procédé dans le cadre de la procédure disciplinaire, par le biais d'une analyse de la mémoire du serveur de la BCE auquel sont reliés tous les ordinateurs individuels installés dans ses locaux, à un examen, d'une part, des courriers électroniques envoyés par le requérant, à partir de l'ordinateur qui lui avait été attribué sur son lieu de travail, à l'intérieur et à l'extérieur de la BCE et, d'autre part, des sites sur Internet consultés par le requérant à partir de cet ordinateur. Il est également indiqué qu'il a été procédé à une audition de témoins, à savoir du chef des archives, du supérieur hiérarchique direct du requérant et du collègue qu'il est suspecté d'avoir harcelé, et à l'audition du requérant, le 3 novembre 1999.

193.
    En outre, ces examens ont été effectués dans le cadre d'une procédure disciplinaire dirigée contre le requérant et postérieurement à l'ouverture de celle-ci, leurs résultats ont été portés à la connaissance du requérant et ce dernier s'est vu réserver la possibilité de prendre position à leur égard.

194.
    Le moyen doit donc être rejeté.

5. Sur le moyen tiré du défaut de preuve des faits reprochés

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

195.
    Dans la réplique, le requérant expose que la charge de la preuve de la légalité et du caractère approprié de la mesure disciplinaire incombe à la BCE, cette règle étant une règle de fond et non de procédure. Il appartiendrait à la BCE d'établir, conformément à l'article 43 des conditions d'emploi, l'existence des faits à la base de la mesure disciplinaire et le caractère proportionné de la mesure par rapport à la gravité de ces faits. Il lui appartiendrait donc de préciser les faits motivant la mesure disciplinaire et d'en rapporter, le cas échéant, la preuve. L'agent pourrait se limiter à contester la légalité de la mesure. Sa contestation obligerait la BCE à rapporter la preuve de la légalité de celle-ci. Au cours de la procédure disciplinaire, l'agent pourrait garder le silence, sans que cela constitue une renonciation à son droit de contester les allégations de la BCE en justice.

196.
    Sur la base de ces principes, le requérant conteste avoir reconnu les faits qui lui sont reprochés. Loin d'avoir gardé le silence au cours de la procédure disciplinaire, il aurait d'ailleurs contesté les reproches qui lui sont adressés dans le courrier de son avocat du 10 novembre 1999.

197.
    La BCE n'aurait même pas réussi à établir un commencement de preuve des motifs du licenciement.

198.
    Le requérant fait observer, à cet égard, premièrement, que si la BCE voulait se fonder sur le dossier de 900 pages et le CD-ROM pour établir la légalité des mesures disciplinaires, elle devrait préciser quels sont les reproches et les documents pertinents. Elle devrait également indiquer les ressorts subjectifs sur lesquels se fonde la décision de licenciement, qu'elle serait seule à connaître.

199.
    Deuxièmement, le requérant conteste, notamment, s'être qualifié régulièrement de «OaO/MoU» (One and Only/Master of the Universe). Il serait tout au plus vrai qu'il aurait employé ces termes quelques fois dans le cercle de ses collègues dans un sens ironique. Il conteste, de même, avoir fait régulièrement des remarques désobligeantes à l'égard de ses collègues ou s'être comporté à leur égard d'une façon indécente ou provocatrice, avoir eu dès le départ une attitude négative à l'égard d'un collègue déterminé, avoir harcelé un collègue de travail et avoir été informé par celui-ci de sa désapprobation. Il appartiendrait à la BCE de préciser ce reproche, afin de mettre le requérant en mesure de se défendre.

200.
    Troisièmement, il appartiendrait à la BCE de préciser à quelle date le requérant se serait procuré les messages à caractère pornographique ou à contenu politique qu'il aurait ensuite transmis à des tiers par courriers électroniques.

201.
    Quatrièmement, le requérant conteste que les documents à caractère pornographique et les biographies de dirigeants nazis, figurant au dossier, constituent per se une cause de révocation. Il n'en résulterait pas que le requérant se serait identifié au message politique des nazis. Tout au plus pourrait-il être soutenu que ces documents établissent que la circulaire n° 11/98, prohibant l'accès à de tels documents par Internet, aurait été violée. Or, cette circonstance ne serait pas pertinente, étant donné que la circulaire ne ferait pas partie des dispositions contractuellement acceptées par les parties et qu'elle ne serait pas légalement en vigueur.

202.
    Cinquièmement, la BCE aurait omis d'établir que les courriers électroniques faisant l'objet des reproches ont effectivement été envoyés par le requérant lui-même et que, partant, au cours de la période considérée, seul le requérant avait accès à son ordinateur.

203.
    La BCE considère que le moyen en question, présenté pour la première fois dans la réplique, est irrecevable en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

204.
    Elle relève que le requérant ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés, ni leur qualification selon les dispositions des conditions d'emploi.

205.
    Sur le fond, elle est d'avis que le dossier permet de savoir clairement quand le requérant a téléchargé tel document d'Internet, et quand et à qui il a envoyé l'un ou l'autre courrier électronique. Les documents au dossier seraient très explicites et ne nécessiteraient pas d'autres précisions.

Appréciation du Tribunal

206.
    Le requérant n'a présenté son moyen tiré du défaut de preuve des faits reprochés, pour la première fois, qu'au stade de la réplique. À cet égard, il convient de rappeler que l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure dispose que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

207.
    Ces conditions n'étant pas respectées en l'espèce, la contestation se rapportant à des éléments connus avant le dépôt de la requête, le moyen est irrecevable.

208.
    À titre surabondant, il convient d'ajouter que la décision de licenciement se fonde sur deux séries de faits. Premièrement, il est fait grief au requérant d'avoir harcelé sexuellement et psychologiquement un de ses collègues et d'avoir empoisonné l'atmosphère de travail. Deuxièmement, il lui est reproché une utilisation abusive de la possibilité de se connecter à Internet sur son lieu de travail, cet abus ayant consisté, d'une part, dans la consultation de sites et l'envoi de courriers électroniques à caractère pornographique ou politiquement extrémiste et, d'autre part, dans un usage exagéré d'Internet à des fins privées.

209.
    La preuve de la réalité des faits qui sont ainsi reprochés résulte d'une façon suffisamment circonstanciée du dossier, dont le contenu a été résumé ci-dessus au point 170. Le grief fait au requérant d'avoir harcelé un collègue et empoisonné l'atmosphère de travail est illustré par les annexes 1 et 2 de ce dossier. Le contexte de ces agissements est décrit d'une façon circonstanciée et détaillée dans les documents figurant à l'annexe 2 et les dépositions reproduites dans celle-ci. Le grief tiré d'une utilisation abusive de l'accès à Internet à des fins privées résulte des annexes 1 et 3 à 5 du dossier, qui contiennent des copies des documents envoyés ainsi que des listes des sites consultés à partir de l'ordinateur du requérant. Ces pièces sont suffisamment explicites pour écarter toute contestation sérieuse au sujet de la réalité des faits reprochés.

210.
    Le requérant fait toutefois valoir des arguments en ce qui concerne le bien-fondé de certains des griefs en cause.

211.
    Le requérant soutient, premièrement, que la BCE devrait préciser en détail dans quelle mesure elle entend se fonder sur chacun des documents rassemblés dans le dossier pour justifier les mesures disciplinaires litigieuses. À cet égard, il convient de relever, tout en renvoyant aux constats qui précèdent, que, eu égard à la clartéde la structure du dossier et au fait que la pertinence de ces documents résulte de leur nature et de leur contenu, l'argument n'est manifestement pas fondé.

212.
    Deuxièmement, en ce qui concerne le harcèlement par le requérant d'un de ses collègues ainsi que le caractère intimidant et violent de son comportement à l'égard de la victime, ils résultent à suffisance de droit des témoignages concordants de celle-ci, de son supérieur hiérarchique direct et du chef du service des archives, ainsi que du contenu des courriers électroniques que lui a envoyés le requérant, reproduits aux annexes 1 et 2 du dossier. Eu égard au caractère très circonstancié et concordant de ces éléments, la contestation du requérant, selon laquelle la BCE aurait dû davantage préciser à quel le moment ces faits auraient été commis, est manifestement non fondée. Cette même conclusion s'impose en ce qui concerne la contestation par le requérant du fait que la victime lui ait clairement fait comprendre sa désapprobation, la réalité de cette prise de position résultant clairement du courrier électronique adressé par la victime au requérant le 22 mars 1999, à 12 h 36.

213.
    Troisièmement, en ce qui concerne la date à laquelle le requérant se serait procuré les messages à caractère pornographique ou à contenu politique qu'il a transmis à des tiers par courriers électroniques, il suffit de constater que l'envoi par le requérant de tels messages à des tiers, la nature de ces messages, la date et l'heure de transmission ainsi que l'identité des destinataires résultent à suffisance de droit du dossier très complet établi par la BCE. Dans ces circonstances, la BCE n'était manifestement pas tenue d'établir en plus à quel moment et dans quelle circonstance le requérant s'était lui-même procuré les images, emblèmes et textes en question.

214.
    Quatrièmement, en ce qui concerne la contestation de ce que les documents à caractère pornographique ou contenant des biographies ou des photographies de dirigeants nazis pourraient constituer en soi une cause de révocation, il convient d'observer que de tels documents ont été envoyés par courrier électronique interne à la victime du harcèlement et constituent donc un élément de ce harcèlement. Par ailleurs, il résulte du dossier que des sites à caractère pornographique ont été consultés sur Internet à partir de l'ordinateur du requérant et que des séquences animées à caractère pornographique ont été envoyées par courrier électronique à l'extérieur de la BCE, et ce de façon répétée, à savoir à onze reprises entre le 18 août et le 18 octobre 1999. Ces faits constituent une violation des obligations visées à l'article 4, sous a), des conditions d'emploi, qui revêtent une importance tout à fait essentielle pour l'accomplissement des objectifs de l'institution bancaire et constituent un élément essentiel du comportement que le personnel de la banque doit observer pour préserver l'indépendance et la dignité de celle-ci (arrêt Yasse/BEI, précité, point 110).

215.
    La BCE relève, à cet égard, à juste titre que les faits visés au point ci-dessus, en ce qu'ils sont susceptibles de devenir publics et d'être relatés par les médias, la soumettent à un risque sérieux de devenir l'objet d'un scandale mettant en causeson image et, le cas échéant, sa crédibilité. Dans ces circonstances, et comme, de plus, ces faits n'étaient pas isolés, mais répétés, ils pouvaient à bon droit être qualifiés de fautifs.

216.
    Cinquièmement, le requérant soutient que la BCE devrait établir que c'est bien lui qui a envoyé les courriers électroniques faisant l'objet des reproches et que personne d'autre n'a eu accès à son ordinateur. Il suffit, à cet égard, de se reporter au point 6 de la décision de licenciement, dans laquelle le directoire de la BCE relève que, eu égard au nombre de courriers électroniques envoyés, aux moments au cours desquels ils l'ont été (au cours des heures de travail pendant une période de 18 mois), au fait que des annexes identiques ont été trouvées dans plusieurs courriers envoyés par le requérant à l'intérieur et à l'extérieur de la BCE, il est peu plausible qu'une autre personne soit l'auteur de ces envois. De plus, l'ordinateur du requérant étant situé dans un bureau à espace décloisonné regroupant six personnes, et sa mise en fonctionnement nécessitant l'utilisation d'un mot de passe personnel, il aurait été difficile pour un tiers d'utiliser cet ordinateur, et de surcroît à la fréquence et aux moments susvisés. Cette analyse s'impose d'autant plus que le requérant a admis, lors de l'audience, ne pas avoir communiqué son mot de passe à des tiers.

217.
    Le moyen est aussi manifestement non fondé.

6. Sur le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction infligée

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

218.
    Dans la réplique, le requérant conclut que si tous les reproches non circonstanciés étaient fondés, la BCE, en application du principe de proportionnalité, aurait dû, à cause de ceux-ci, lui infliger un avertissement, sanction prévue par l'article 43 des conditions d'emploi, qui aurait dû précéder la révocation.

219.
    La BCE considère, principalement, qu'il s'agit d'une allégation nouvelle, qui serait de ce fait irrecevable. Subsidiairement, dans la mesure où le requérant voudrait soutenir que les décisions contestées seraient disproportionnées, parce qu'un blâme écrit aurait suffi, il conviendrait de rappeler que, suivant la jurisprudence, il appartient à l'AIPN de choisir la mesure disciplinaire appropriée, dès lors que les faits reprochés à l'agent sont avérés. Le Tribunal ne pourrait pas substituer sa propre appréciation à celle de l'AIPN, à moins qu'il n'existe une erreur manifeste, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.

Appréciation du Tribunal

220.
    Le requérant n'a présenté son moyen, tiré du caractère disproportionné de la sanction infligée, pour la première fois qu'au stade de la réplique. Comme cettecontestation se rapporte à des éléments connus avant le dépôt de la requête, elle est irrecevable sur la base des principes rappelés ci-dessus.

221.
    À titre surabondant, il convient d'ajouter que l'application en matière disciplinaire du principe de proportionnalité comporte deux aspects. D'une part, le choix de la sanction adéquate appartient à l'AIPN lorsque la réalité des faits retenus à la charge de l'agent est établie, et le juge communautaire ne saurait censurer ce choix, à moins que la sanction infligée ne soit disproportionnée par rapport aux faits relevés à la charge du fonctionnaire. D'autre part, la détermination de la sanction est fondée sur une évaluation globale par l'AIPN de tous les faits concrets et des circonstances propres à chaque cas individuel, les articles 86 à 89 du statut des fonctionnaires, tout comme les conditions d'emploi de la BCE pour ce qui est des agents de celle-ci, ne prévoyant pas de rapport fixe entre les sanctions disciplinaires qu'ils indiquent et les différentes sortes de manquements commis par les fonctionnaires et ne précisant pas dans quelle mesure l'existence de circonstances aggravantes ou atténuantes doit intervenir dans le choix de la sanction. L'examen par le juge communautaire se trouve, dès lors, limité à la question de savoir si la pondération des circonstances aggravantes et atténuantes par l'AIPN a été effectuée de façon proportionnée et le juge ne saurait se substituer à ladite autorité quant aux jugements de valeur portés à cet égard par celle-ci (arrêt Yasse/BEI, précité, points 105 à 106 et la jurisprudence citée).

222.
    Sur la base de ces principes, le contrôle du Tribunal se limite donc à apprécier si la sanction infligée n'est pas disproportionnée par rapport aux faits relevés à la charge de l'agent et si la pondération des circonstances aggravantes et atténuantes par la BCE a été effectuée de façon proportionnée.

223.
    À cet égard, il convient de constater qu'il résulte du dossier, et notamment des témoignages de la victime, de son supérieur hiérarchique direct et du chef du service des archives, ainsi que de copies de courriers électroniques reçus par celle-ci, que le requérant l'a harcelée de façon quasi ininterrompue depuis son engagement, en janvier 1998, jusqu'à sa suspension, le 18 octobre 1999, sous réserve d'une courte interruption, due à une séparation momentanée de leurs lieux de travail respectifs, entre mars et mai 1998, et d'une période d'apaisement relatif d'août à décembre 1998. Ce harcèlement a, notamment, été caractérisé par des remarques désobligeantes sur la victime exprimées par le requérant à des tiers, y compris des supérieurs hiérarchiques, par des attitudes provocantes à l'égard de la victime, incluant une invitation, le 18 février 1998, par le requérant à la victime de pratiquer sur lui une fellation, et par l'envoi répété, à au moins 19 reprises, à la victime de courriers électroniques provocateurs, comportant, par exemple, les 6 août et 16 septembre 1999, des séquences animées à caractère pornographique, le 24 mars 1999, des biographies d'Adolf Hitler et de Joseph Goebbels et, le 18 août 1999, une photographie d'un officier nazi.

224.
    Le très grand nombre et la fréquence des incidents recensés démontrent l'existence d'un comportement dénigrant et violent du requérant à l'égard de la victime. Iln'est pas sérieusement contestable que ce comportement aurait justifié, dans le droit du travail de la plupart des États membres, un licenciement avec effet immédiat. La sanction infligée ne paraît donc manifestement pas disproportionnée compte tenu de ce seul grief, même considéré isolément.

225.
    Il s'y ajoute que le contrôle effectué par sondage, en ce qui concerne la consultation de sites sur Internet, et ne couvrant que la période la plus récente précédant la suspension du requérant a permis de constater que celui-ci a, à plusieurs reprises, en l'occurrence le 19 mai et le 21 juin 1999, consulté des sites à caractère pornographique. Le requérant, en outre, a envoyé à de multiples reprises, d'une part, des courriers électroniques à contenu pornographique à l'extérieur de la BCE (soit 11 séquences animées entre le 18 août et le 18 octobre 1999) et, au cours des trois mois précédant sa suspension, 149 courriers électroniques à l'intérieur de la BCE et 117 à l'extérieur de celle-ci, qui n'étaient pas de nature professionnelle, soit 266, dont une partie non négligeable étaient des courriers longs et élaborés.

226.
    Eu égard à la particulière gravité des manquements du requérant à ses obligations, résultant de cette accumulation de griefs, la sanction appliquée n'apparaît manifestement pas comme étant disproportionnée.

227.
    Le moyen est donc aussi non fondé.

7. Sur le moyen tiré du caractère disproportionné de la procédure disciplinaire

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

228.
    Le requérant considère que la défenderesse était, au plus tard en février 1998, au courant de l'existence d'un conflit aux archives, entre lui et la personne qui se plaint d'être la victime du harcèlement. La BCE n'aurait toutefois rien fait pour résoudre ce conflit. Elle aurait laissé déraper cette affaire. Dans ces conditions, la procédure disciplinaire qu'elle a engagée à l'encontre du requérant serait donc totalement disproportionnée.

229.
    La BCE considère que ce moyen n'est pas fondé, parce qu'elle aurait régulièrement donné des instructions afin de résoudre le conflit créé par le requérant.

Appréciation du Tribunal

230.
    Dans le cadre de ce moyen, distinct du précédent, le requérant prétend que le conflit l'opposant à la victime du harcèlement aurait dû être résolu d'une façon plus efficace et préventive par l'administration de la BCE, qui aurait dû donner des instructions de travail claires, assorties, le cas échéant, d'un avertissement. L'engagement d'une procédure disciplinaire aurait été, en l'occurrence, un remède disproportionné.

231.
    Toutefois, le moyen n'est pas fondé en fait et il ne saurait être reproché à la BCE d'être restée passive par rapport à la situation créée par le requérant. En effet, la victime s'est plainte pour la première fois auprès de son supérieur hiérarchique le 13 août 1998, à la suite de quoi celui-ci a immédiatement convoqué celle-ci et le requérant à un entretien et a établi des règles de conduite. À la suite de cette intervention, le comportement du requérant semble s'être amélioré pendant quelques mois. Le 25 août 1999, la victime s'est à nouveau adressée à son supérieur hiérarchique pour se plaindre du requérant. Cette fois, une enquête interne a été immédiatement mise en oeuvre, donnant lieu à l'ouverture d'une procédure disciplinaire.

232.
    Il apparaît donc que la BCE a réagi avec diligence à chacune des deux plaintes de la victime.

233.
    En tout état de cause, comme le relève à juste titre la BCE dans la décision de licenciement (point 8), une éventuelle carence des supérieurs du requérant ne saurait justifier les fautes de ce dernier, qui reste responsable de ses actes.

234.
    Le moyen doit donc être rejeté. Partant, le recours dans son ensemble doit être rejeté.

Sur les dépens

235.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe doit être condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l'article 88 de ce règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.

236.
    La BCE demande toutefois, sur le fondement de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, qui déroge à l'article 88 de ce règlement et qui dispose, notamment, que le Tribunal peut condamner une partie à rembourser à l'autre partie les frais qu'elle lui a fait exposer et qui sont jugés frustratoires ou vexatoires, la condamnation du requérant à supporter l'ensemble des dépens. Elle expose que le recours est frustratoire au motif, essentiellement, de son caractère manifestement non fondé.

237.
    Le Tribunal considère que cette demande n'est pas fondée. En effet, le recours a pour objet, notamment, la contestation de la mesure disciplinaire la plus grave qui soit, à savoir le licenciement. Or, il ne peut pas être reproché à l'agent concerné de former un recours contre la décision qui le licencie, quelle que soit, par ailleurs, la valeur juridique des moyens qu'il présente à l'appui de ce recours.

238.
    En l'espèce, chaque partie supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Azizi
Lenaerts
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 octobre 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Jaeger


1: Langue de procédure: l'allemand.