Language of document : ECLI:EU:T:2010:238

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

16 juin 2010 (*)

« Concurrence – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 – Existence du destinataire de la décision – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑24/09,

Biocaps, établie à Orsay (France), représentée par Mes Y.‑R. Guillou, H. Speyart van Woerden et T. Verstraeten, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouquet et É. Gippini Fournier, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2008) 6524 de la Commission, du 29 octobre 2008, dans l’affaire COMP/39510, ordonnant au Laboratoire Champagnat Desmoulins Philippakis, ainsi qu’à l’ensemble des entités contrôlées directement ou indirectement par lui, de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 1, p. 1),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. K. O’Higgins, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

 Droit communautaire

1        L’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 1, p. 1) dispose :

« Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues aux articles 23 et 24, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision […] »

 Droit français

2        Les sociétés civiles sont régies par le titre IX du livre III du code civil français. Son article 1844‑5 dispose :

« La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n’entraîne pas la dissolution de plein droit de la société […]

[…]

En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l’associé unique, sans qu’il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de trente jours à compter de la publication de celle-ci. Une décision de justice rejette l’opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes. La transmission du patrimoine n’est réalisée et il n’y a disparition de la personne morale qu’à l’issue du délai d’opposition ou, le cas échéant, lorsque l’opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées.

[…] »

3        La fusion des sociétés commerciales est régie par le chapitre VI du titre III du livre II de la partie législative du code de commerce français. L’article L 236‑4, point 2, dispose que la fusion prend effet « à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l’opération ».

4        Dans le même chapitre, l’article L 236‑14 est libellé comme suit :

« La société absorbante est débitrice des créanciers non obligataires de la société absorbée au lieu et place de celle-ci, sans que cette substitution emporte novation à leur égard.

Les créanciers non obligataires des sociétés participant à l’opération de fusion et dont la créance est antérieure à la publicité donnée au projet de fusion peuvent former opposition à celui-ci dans le délai fixé par décret en Conseil d’État […]

L’opposition formée par un créancier n’a pas pour effet d’interdire la poursuite des opérations de fusion.

[…] »

5        L’article 8 du décret n° 78‑704, du 3 juillet 1978, relatif à l’application de la loi n° 78-9, du 4 janvier 1978, modifiant le titre IX du livre III du code civil, prévoit :

« L’associé entre les mains duquel sont réunies toutes les parts sociales peut, à tout moment, dissoudre la société par déclaration au greffe du tribunal de commerce en vue de la mention de la dissolution au registre du commerce et des sociétés.

Le délai d’opposition prévu au troisième alinéa de l’article 1844‑5 du code civil [français] court à compter de la publication de la dissolution faite […] dans un journal habilité à recevoir les annonces légales. »

 Antécédents du litige

6        La requérante, Biocaps, une société d’exercice libéral à responsabilité limitée de droit français, est le successeur universel de la société civile professionnelle, le Laboratoire Champagnat Desmoulins Philippakis (ci-après la « SCP »). La SCP exploitait un laboratoire d’analyse de biologie médicale, situé à Palaiseau (France) (ci-après le « laboratoire »).

7        Le 29 août 2008, les associés de la SCP, MM. D. et P., ont cédé à la requérante la totalité des parts sociales qu’ils détenaient dans la SCP, en échange de parts sociales de la requérante, qui a augmenté son capital social en émettant de nouvelles parts sociales. MM. D. et P. sont devenus associés-gérants de la requérante.

8        Le 30 septembre 2008, au cours d’une assemblée extraordinaire, la requérante a décidé la dissolution anticipée, sans liquidation, de la SCP, laquelle a été mise en œuvre par une « déclaration de dissolution sans liquidation » du même jour (ci-après la « déclaration de dissolution »).

9        Le 21 octobre 2008, l’agrément accordé à la requérante pour l’exploitation de laboratoires médicaux a été modifié pour y inclure le laboratoire. Le jour suivant, l’agrément de la SCP pour l’exploitation du laboratoire a été retiré.

10      Le 29 octobre 2008, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision C (2008) 6524, dans l’affaire COMP/39510, ordonnant à la SCP, ainsi qu’à l’ensemble des entités contrôlées directement ou indirectement par elle, de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 (ci-après la « décision attaquée »), qui indique dans son article 1er ce qui suit :

« [La SCP] ainsi que l’ensemble des entités contrôlées directement ou indirectement par elle sont tenues de se soumettre à une inspection portant sur leur participation et/ou mise en œuvre éventuelle des accords et/ou pratiques concertées entre pharmaciens en France réunis au sein de l’Ordre national des pharmaciens ainsi qu’aux manifestations de ces accords et/ou pratiques concertées sous forme de décisions contraires aux dispositions de l’article 81 [CE] et/ou 82 [CE] notamment dans le marché des services d’analyses de biologie médicale […] »

11      L’article 3 de la décision attaquée prévoit en son premier alinéa :

« [La SCP], inscrit[e] au [r]egistre du [c]ommerce d’Évry sous le numéro 785230939, et l’ensemble des entités contrôlés directement ou indirectement par elle sont destinataires de la présente décision. »

12      L’inspection a eu lieu le 12 novembre 2008 dans le laboratoire. Les agents de la Commission, assistés par des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes française, ont signifié la décision attaquée aux personnes présentes sur les lieux, dont M. D., avant de procéder à l’inspection.

13      La déclaration de dissolution a été déposée au registre du commerce le 26 novembre 2008. La SCP en a été radiée le 29 décembre 2008.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 2009, la requérante a introduit le présent recours.

15      Dans sa requête, la requérante a demandé la jonction de la présente affaire à l’affaire T‑23/09. Le président de la quatrième chambre du Tribunal n’a pas fait droit à cette demande.

16      Par acte séparé du même jour, la requérante a demandé que l’affaire soit traitée selon la procédure accélérée, au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal. Cette demande a été rejetée par décision de la quatrième chambre du Tribunal du 19 février 2009.

17      Le 22 avril, le 17 décembre 2009 et le 1er février 2010, des questions et une demande de production de document ont été envoyées aux parties, en tant que mesures d’organisation de la procédure, au titre de l’article 64 du règlement de procédure. Les parties ont déféré à ces demandes, à l’exception de la question et de la demande de document du 17 décembre 2009, au sujet desquelles la requérante a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas leur donner suite.

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

19      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

20      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsque le recours est manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

21      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

 Arguments des parties

22      La requérante soulève un moyen unique tiré du fait que la société destinataire de la décision attaquée, la SCP, n’existait pas le 29 octobre 2008, date de l’adoption de ladite décision, ayant été dissoute le 30 septembre 2008. Elle ajoute également que la SCP n’avait pas de filiales ou d’autres entités sous son contrôle. L’expression « l’ensemble des entités contrôlées directement ou indirectement par [la SCP] » figurant dans la décision attaquée ne renverrait donc à aucune entité existante.

23      Elle s’oppose à la thèse de la Commission selon laquelle la disparition de la personnalité morale de la SCP n’aurait eu lieu qu’à l’issue du délai d’opposition dont bénéficient les créanciers conformément à l’article 1844‑5, troisième alinéa, du code civil français. Elle soutient que la disparition de la personnalité morale de la SCP intervient dans le cadre d’une opération de fusion et que, dans un tel cas, la personnalité morale de la société dissoute disparaît, conformément à l’article L.236‑4, point 2, du code de commerce français, à la date de sa dernière assemblée générale. Par ailleurs, en s’appuyant sur l’article L 236‑14 du code de commerce français, elle soutient que le délai d’opposition de 30 jours en cause sert seulement à permettre à un créancier de s’opposer à une telle opération. Son effet serait relatif, car l’exercice du droit d’opposition rendrait la fusion uniquement inopposable au créancier auteur de l’opposition et n’aurait pas pour objet de différer la fusion.

24      La Commission conteste les arguments de la requérante et soutient que le recours est manifestement dénué de tout fondement.

 Appréciation du Tribunal

25      À titre liminaire, il convient de relever que la requérante invoque dans le cadre de son moyen unique deux branches dont la première est tirée de l’inexistence de la SCP en tant que destinataire de la décision attaquée et la seconde de l’inexistence d’entités contrôlées directement ou indirectement par cette dernière.

26      Concernant la première branche, la requérante soutient à juste titre, sans être contredite par la Commission, que c’est à la lumière du droit français qu’il faut apprécier la question de l’existence de la personnalité juridique de la SCP (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 20 mars 1959, Nold/Haute Autorité, 18/57, Rec. p. 89, 110, et du 27 novembre 1984, Bensider e.a./Commission, 50/84, Rec. p. 3991, point 7).

27      Selon la déclaration de dissolution annexée à la requête, la requérante, en tant qu’associé unique de la SCP, a décidé le 30 septembre 2008 sa dissolution anticipée. Le sixième alinéa de la déclaration de dissolution indique ce qui suit :

« En application des dispositions de l’article 1844‑5, [troisième alinéa], du code civil [français], cette dissolution entraîne la transmission universelle du patrimoine de la [SCP] à la [requérante], sans qu’il y ait lieu à liquidation, sous réserve de l’absence d’oppositions dans le délai légal ou, en cas d’existence d’oppositions, lors du règlement de celles-ci. »

28      À cet égard, il doit être relevé que la déclaration de dissolution qualifie l’opération en cause de dissolution sans liquidation, aussi appelée « dissolution-confusion », soumise à l’article 1844‑5 du code civil français. Or, la doctrine française confirme, ainsi qu’en témoignent les exemples soumis par la Commission, qu’une dissolution sans liquidation, tout en présentant des ressemblances avec le régime des fusions, plus spécifiquement avec la technique de la fusion simplifiée (ou fusion-absorption), notamment de par le bénéfice d’un régime fiscal analogue, est néanmoins différente du point de vue du droit des sociétés. En effet, même s’il s’agit dans les deux cas d’une méthode pour dissoudre une filiale détenue à 100 %, les deux techniques ont un champ d’application distinct et répondent à une logique et à une procédure propre. Les articles L 236‑4 et L 236‑14 du code de commerce français, qui concernent spécifiquement les fusions, ne sont donc pas pertinents.

29      Il résulte de l’article 1844‑5, troisième alinéa, du code civil français que, en cas de dissolution sans liquidation, la transmission du patrimoine de la société dissoute n’est réalisée et il n’y a disparition de sa personne morale qu’à l’issue du délai d’opposition de 30 jours ou, le cas échéant, lorsque l’opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées. Il résulte d’une lecture combinée de cette disposition avec l’article 8, deuxième alinéa, du décret n° 78‑704 que ce délai d’opposition court à partir de la publication de la dissolution dans un journal habilité à recevoir les annonces légales. En l’espèce, la déclaration de dissolution mentionne explicitement la formalité de publication de l’article 8 du décret n° 78‑704 et le délai d’opposition de 30 jours qui en résulte pour les créanciers.

30      En ce qui concerne la SCP, la requérante n’a pas apporté la preuve de la publication de sa dissolution dans un journal habilité à recevoir les annonces légales, et ce même à la suite d’une demande en ce sens du Tribunal (voir point 17 ci-dessus). Or, en dépit du fait que ce dernier est dans l’impossibilité de déterminer la date exacte à laquelle le délai d’opposition de 30 jours pour les créanciers, au sens de l’article 1844‑5 du code civil français, a commencé à courir en l’espèce, il doit être constaté que, la déclaration de dissolution datant du 30 septembre 2008, la personne morale SCP existait nécessairement à la date de la décision attaquée, à savoir le 29 octobre 2008, ledit délai n’ayant pas pu être expiré à cette date, même si la publication avait eu lieu le même jour que la déclaration de dissolution.

31      La conclusion selon laquelle la SCP existait à la date à laquelle la décision attaquée a été prise ne peut que conduire au rejet de la première branche du moyen unique comme étant manifestement non fondée.

32      Quant à la seconde branche tirée du fait que la SCP n’a jamais contrôlé, directement ou indirectement, une autre entité juridique, et qu’elle ne pouvait en tous cas plus le faire au jour de l’adoption de la décision attaquée, puisqu’elle n’existait plus à cette date, force est de constater que la référence aux sociétés contrôlées dans ladite décision constitue de toute évidence une formule utilisée par la Commission pour lui permettre, le cas échéant, d’étendre l’inspection aux locaux qui appartiennent formellement à de telles entités contrôlées et non au destinataire principal d’une décision d’inspection. À cet égard, il convient de rappeler que les inspections peuvent avoir une portée très large et que le droit d’accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c’est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859, point 26). Or, la circonstance que de telles entités contrôlées existent ou non est sans incidence sur la validité de la décision attaquée. La deuxième branche du moyen unique est donc inopérante.

33      Il découle de tout qui précède que le moyen unique est manifestement dépourvu de tout fondement en droit. Partant, le recours doit être rejeté comme étant manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

 Sur les dépens

34      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

2)      Biocaps supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 16 juin 2010.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      O. Czúcz


* Langue de procédure : le français.