Language of document : ECLI:EU:T:2021:908

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

10 décembre 2021 (*)

« Recours en indemnité – Violation du droit de l’Union par un État membre – Inaction de la Commission – Absence d’engagement d’une procédure en manquement – Incompétence manifeste partielle – Recours en partie manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑626/21,

Intersagunto Terminales, SA, établie à Valence (Espagne), représentée par Me M. B. Gil Borrás, avocate,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne,

et

Commission européenne,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que la requérante aurait subi en raison, d’une part, de prétendues violations du droit de l’Union européenne par le Royaume d’Espagne et, d’autre part, de prétendus manquements de la Commission à ses obligations en matières douanière, portuaire et de réseau transeuropéen,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli (rapporteure), présidente, MM. S. Frimodt Nielsen et R. Norkus, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        La requérante, Intersagunto Terminales, SA, est titulaire, depuis le mois de juillet 2012, d’un contrat de concession d’occupation du domaine public portuaire pour l’exploitation d’un terminal polyvalent situé dans le port de Sagonte (Espagne) Ce contrat a été conclu avec l’autorité portuaire de Valence (Espagne), laquelle relève, selon la requérante, de l’administration nationale espagnole.

2        La requérante explique que le terminal en cause aurait dû être équipé d’un « centre d’inspection phytosanitaire ». L’absence d’un tel centre l’aurait privée d’une partie du trafic portuaire qui aurait été détourné vers d’autres ports. Pour ce motif, la requérante aurait obtenu de la part de l’autorité portuaire de Valence une réduction des redevances dues, en vertu du contrat de concession mentionné au point 1 ci-dessus, au titre de l’année 2017. En revanche, la requérante n’aurait pas été indemnisée du préjudice subi au titre des années 2015 et 2016, ayant été déboutée du recours indemnitaire qu’elle avait introduit devant les juridictions espagnoles par un arrêt du Tribunal Supremo (Cour Suprême, Espagne) du 20 juillet 2021.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 septembre 2021, la requérante a introduit le présent recours.

4        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission européenne et le Royaume d’Espagne à lui verser la somme de 3 130 092,56 euros ;

–        condamner la Commission et le Royaume d’Espagne aux dépens.

 En droit

5        Aux termes de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, il peut, sur proposition du juge rapporteur, décider de statuer à tout moment par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

 Sur les conclusions indemnitaires, en tant qu’elles sont dirigées contre le Royaume d’Espagne

6        La requérante demande au Tribunal de condamner le Royaume d’Espagne à réparer le préjudice qu’elle aurait subi en raison de la violation du droit de l’Union européenne tant par l’autorité portuaire de Valence que par le Tribunal Supremo (Cour Suprême).

7        Or, il ressort des dispositions des traités que le Tribunal est incompétent pour connaître des recours introduits par des personnes physiques ou morales à l’encontre d’États membres (voir ordonnance du 11 septembre 2019, Comprojecto-Projectos e Construções e.a./Portugal, C‑98/19 P, non publiée, EU:C:2019:712, point 25 et jurisprudence citée).

8        En particulier, la compétence du Tribunal en matière de responsabilité non contractuelle est prévue par l’article 268 TFUE et par l’article 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE ainsi que par l’article 188, deuxième alinéa, EA. Conformément à ces dispositions, le Tribunal est uniquement compétent pour connaître des recours en réparation de dommages causés par les institutions, les organes et les organismes de l’Union ou par leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, points 49 et 59).

9        Par ailleurs, et en tout état de cause, la compétence du Tribunal en matière de responsabilité contractuelle est prévue par l’article 272 TFUE dont il résulte que le Tribunal est uniquement compétent pour connaître, dans certains cas, des recours afférents à un contrat passé par l’Union ou pour son compte.

10      Par suite, les conclusions du recours dirigées contre le Royaume d’Espagne doivent être rejetées comme portées devant une juridiction manifestement incompétente pour en connaître.

 Sur les conclusions indemnitaires, en tant qu’elles sont dirigées contre la Commission

11      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union pour comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, EU:C:1982:318, point 16 ; voir également, en ce sens, arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 31 et jurisprudence citée).

12      Le caractère cumulatif de ces conditions implique que, dès lors que l’une d’entre elles n’est pas remplie, la responsabilité non contractuelle de l’Union ne saurait être engagée (voir arrêt du 8 mai 2003, T. Port/Commission, C‑122/01 P, EU:C:2003:259, point 30 et jurisprudence citée ; ordonnance du 12 mars 2020, EMB Consulting e.a./BCE, C‑571/19 P, non publiée, EU:C:2020:208, point 29).

13      S’agissant de la condition relative à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers [arrêts du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, EU:C:2007:226, point 47, et du 6 septembre 2018, Klein/Commission, C‑346/17 P, EU:C:2018:679, point 61]. Cette exigence s’applique également dans l’hypothèse d’une omission fautive des institutions (voir arrêt du 26 février 2016, Šumelj e.a./Commission, T‑546/13, T‑108/14 et T‑109/14, EU:T:2016:107, point 42 et jurisprudence citée).

14      Par ailleurs, il convient de rappeler que les omissions des institutions de l’Union ne sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Union que dans la mesure où les institutions ont violé une obligation légale d’agir résultant d’une disposition de droit de l’Union (arrêt du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, EU:C:1994:329, point 58, et ordonnance du 13 septembre 2018, Ccc Event Management/Cour de justice de l’Union européenne, C‑23/18 P, non publiée, EU:C:2018:761, point 26).

15      En l’espèce, la requérante reproche à la Commission son inaction face aux violations du droit de l’Union commises par le Royaume d’Espagne ainsi que des manquements à ses obligations en matières douanière, portuaire et de réseau transeuropéen, notamment à son devoir de surveillance.

16      D’une part, en tant que la requérante fait valoir la violation de dispositions du droit de l’Union par la Commission, il y a lieu de relever que les dispositions du traité FUE dont elle se prévaut, à savoir les articles 3, 4, 14, 32, 170 et 171 TFUE, ne constituent pas, en raison de leur nature institutionnelle ou de leur caractère général, des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Par ailleurs, aucune des dispositions du droit de l’Union invoquées par la requérante ne met à la charge de la Commission une obligation légale d’agir. La requérante n’indique d’ailleurs pas précisément quelle mesure la Commission aurait dû adopter afin d’éviter le préjudice allégué.

17      D’autre part, dans la mesure où elle invoque l’inaction fautive de la Commission eu égard à son obligation de surveillance, la requérante doit être regardée comme recherchant la responsabilité de l’Union en raison du défaut d’engagement d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE contre le Royaume d’Espagne. En effet, dans un tel contexte, lorsqu’il est demandé à la Commission de s’exprimer sur une prétendue violation du droit de l’Union par un État membre, la seule possibilité dont elle dispose pour remédier à cette violation, selon le système juridictionnel instauré par les traités, est d’engager la procédure en manquement (voir ordonnance du 16 janvier 2019, Szécsi et Somossy/Commission, T‑331/18, non publiée, EU:T:2019:11, point 22 et jurisprudence citée).

18      À cet égard, il importe de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, lors de l’examen de la question de savoir si l’État membre a manqué à ses obligations, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, qui exclut le droit pour les particuliers d’exiger qu’elle prenne position dans un sens déterminé (arrêt du 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247/87, EU:C:1989:58, point 11, et ordonnance du 10 janvier 2019, CBA Spielapparate- und Restaurantbetriebs/Commission, C‑415/18 P, non publiée, EU:C:2019:6, point 22).

19      Dans la mesure où la Commission n’est pas tenue d’engager une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, sa décision de ne pas engager une telle procédure ne peut, en tout état de cause, constituer une illégalité de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. Ainsi, dès lors qu’aucune obligation n’existe pour la Commission d’entamer une procédure en manquement, son abstention ne peut engager la responsabilité de l’Union (ordonnance du 16 janvier 2019, Szécsi et Somossy/Commission, T‑331/18, non publiée, EU:T:2019:11, point 24 ; voir également, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2009, Arizmendi e.a./Conseil et Commission, T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, EU:T:2009:530, point 62 et jurisprudence citée).

20      Dans ces conditions, les conclusions du recours dirigées contre la Commission doivent être rejetées comme manifestement dépourvues de tout fondement en droit.

21      Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent recours, en partie, pour cause d’incompétence manifeste et, en partie, comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit, sans qu’il soit nécessaire de le signifier au Royaume d’Espagne et à la Commission.

 Sur les dépens

22      La présente ordonnance étant adoptée avant la signification de la requête au Royaume d’Espagne et à la Commission et avant que ceux-ci n’aient pu exposer des dépens, il suffit de décider que la requérante supportera ses propres dépens, conformément à l’article 133 du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté en partie pour cause d’incompétence manifeste et en partie comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

2)      Intersagunto Terminales, SA supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 10 décembre 2021.

Le greffier

 

La présidente

E. Coulon

 

A. Marcoulli


*      Langue de procédure : l’espagnol.