Language of document : ECLI:EU:T:2021:187

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

14 avril 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Droits de la défense – Droit de propriété – Droit à exercer une activité économique – Droit au respect de la vie privée et familiale – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑260/19,

Mazen Al-Tarazi, demeurant à Shuwaikh (Koweït), représenté par MM. G. Beck, A. Khan, R. Wilcox, barristers, et S. Patel, solicitor,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13), et du règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4), en tant qu’ils concernent le requérant,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,

greffier : Mme E. Artemiou, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 23 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

1        Le requérant, M. Mazen Al-Tarazi, est un homme d’affaires de nationalité syrienne possédant des intérêts commerciaux dans le monde arabe.

2        Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques en Syrie et lançant un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la force, le Conseil de l’Union européenne a adopté, conformément à l’article 29 TUE, la décision 2011/273/PESC, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 121, p. 11). Compte tenu de la gravité de la situation, le Conseil a institué un embargo sur les armes, une interdiction des exportations de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne, des restrictions à l’admission dans l’Union européenne ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

3        Les noms des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que ceux des personnes, physiques ou morales, et des entités qui leur sont liées sont mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette décision, le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, peut modifier ladite annexe. Le nom du requérant n’y figurait pas lors de l’adoption de ladite décision.

4        Étant donné que certaines des mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne entrent dans le champ d’application du traité FUE, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 442/2011, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 121, p. 1). Ce règlement est, pour l’essentiel, identique à la décision 2011/273, mais il prévoit des possibilités de déblocage des fonds gelés. La liste des personnes, des entités et des organismes reconnus comme étant soit responsables de la répression en cause, soit associés auxdits responsables, figurant à l’annexe II dudit règlement, est identique à celle figurant à l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 4, du règlement no 442/2011, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne, physique ou morale, à une entité ou à un organisme les mesures restrictives visées, il modifie l’annexe II en conséquence et, par ailleurs, examine la liste qui y figure à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

5        Par la décision 2011/782/PESC, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273 (JO 2011, L 319, p. 56), le Conseil a estimé, compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, qu’il était nécessaire d’instituer des mesures restrictives supplémentaires. Par souci de clarté, les mesures imposées par la décision 2011/273 et les mesures supplémentaires ont été regroupées dans un instrument juridique unique. La décision 2011/782 prévoit, à son article 18, des restrictions en matière d’admission sur le territoire de l’Union et, à son article 19, le gel des fonds et des ressources économiques des personnes et des entités dont le nom figure à l’annexe I.

6        Le règlement no 442/2011 a été remplacé par le règlement (UE) no 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement no 442/2011 (JO 2012, L 16, p. 1).

7        La décision 2011/782 a été remplacée par la décision 2012/739/PESC du Conseil, du 29 novembre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/782 (JO 2012, L 330, p. 21), elle-même remplacée par la décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14).

8        Le 12 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1836, modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75). Le même jour, il a adopté le règlement (UE) 2015/1828, modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1).

9        Aux termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, « [l]e Conseil a estimé que, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’[était] en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein » et « le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour imposer des restrictions à l’admission des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, identifiés par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, ainsi que pour geler tous les fonds et ressources économiques qui leur appartiennent, qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par eux, afin de les empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il modifie sa politique de répression ».

10      La rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » sauf « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».

11      Le règlement 2015/1828 a modifié, notamment, la rédaction de l’article 15 du règlement no 36/2012 afin d’y intégrer les nouveaux critères d’inscription définis par la décision 2015/1836 et introduits dans la décision 2013/255.

12      Par la décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2019, L 18 I, p. 13), et par le règlement d’exécution (UE) 2019/85, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2019, L 18 I, p. 4, ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), le nom du requérant a été inséré à la ligne 266 du tableau A des listes des noms des personnes, entités et organismes visés par les mesures restrictives qui figurent à l’annexe I de la décision 2013/255 et à l’annexe II du règlement no 36/2012 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »), en mentionnant les motifs suivants :

« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, ayant réalisé d’importants investissements dans les secteurs de la construction et de l’aéronautique. Du fait de ses investissements et de ses activités, Mazin Al-Tarazi profite du régime syrien et/ou soutient ce dernier. Ainsi, Mazin Al-Tarazi a notamment conclu un accord avec Damascus Cham [Holding] pour un investissement de 320 millions de dollars des États-Unis dans la construction de Marota City, un projet immobilier et commercial haut de gamme appuyé par le régime ; il a par ailleurs obtenu une licence pour une compagnie aérienne privée en Syrie. »

13      Le 22 janvier 2019, le Conseil a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes qui faisaient l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2013/255 et par le règlement no 36/2012 (JO 2019, C 27, p. 3).

14      À la suite de la demande des représentants du requérant du 19 mars 2019, le Conseil leur a communiqué, par lettre du 25 mars 2019, le document portant la référence WK 45/2019 INIT, du 10 janvier 2019, comprenant les éléments de preuve venant au soutien des motifs de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause.

15      Par lettre du 29 mars 2019, les représentants du requérant ont demandé le retrait du nom du requérant des listes en cause.

16      Par lettre du 13 mai 2019, le Conseil a répondu à la lettre du 29 mars 2019. D’une part, il a indiqué aux représentants du requérant que leurs observations n’étaient pas susceptibles de conduire au retrait du nom de celui-ci des listes en cause. D’autre part, il leur a transmis de nouveaux éléments de preuve venant au soutien des motifs de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause.

17      Le 17 mai 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/806 modifiant la décision 2013/255 (JO 2019, L 132, p. 36) qui a prorogé l’application de ladite décision jusqu’au 1er juin 2020 et a modifié le numéro de la ligne à laquelle le nom du requérant était inscrit (ligne 284 des listes en cause).

II.    Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 avril 2019, le requérant a introduit le présent recours.

19      Le 1er août 2019, le Conseil a déposé au greffe du Tribunal son mémoire en défense.

20      Par lettre du 6 décembre 2019, le requérant a présenté une demande d’audience dans le délai prévu par l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal et a également exprimé son souhait de prendre la parole lors de l’audience de plaidoiries.

21      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous a) et d), du règlement de procédure, le Tribunal a, le 3 juin 2020, demandé aux parties de répondre à une série de questions et de produire certains documents. Les parties ont répondu aux questions et ont déféré à la demande de production de documents dans le délai imparti.

22      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 23 septembre 2020.

23      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer l’article 1er du règlement d’exécution 2019/85 et l’article 1er de la décision d’exécution 2019/87 inapplicables à son égard ;

–        annuler, pour autant qu’ils le concernent, les actes attaqués ;

–        déclarer que son nom est retiré des listes en cause ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

24      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués en ce qu’ils visent le requérant, ordonner que les effets de la décision d’exécution 2019/87 soient maintenus en ce qui concerne le requérant, jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2019/85 prenne effet.

III. En droit

A.      Sur la compétence du Tribunal pour se prononcer sur les premier et troisième chefs de conclusions de la requête

25      Par son premier chef de conclusions, le requérant demande à ce qu’il plaise au Tribunal de déclarer l’article 1er du règlement d’exécution 2019/85 et l’article 1er de la décision d’exécution 2019/87 inapplicables à son égard. Par son troisième chef de conclusions, le requérant demande à ce qu’il plaise au Tribunal de déclarer que son nom est retiré des listes en cause.

26      Le Conseil fait valoir que le premier chef de conclusions est irrecevable dans la mesure où la demande d’inapplicabilité formulée par le requérant n’est accompagnée par aucun moyen portant sur la légalité de ces dispositions.

27      Il convient de relever que, en réponse aux questions posées par le Tribunal par voie de mesure d’organisation de la procédure et lors de l’audience, les parties ont admis que les demandes du requérant, telles qu’elles sont formulées au point 25 ci-dessus, impliquaient une déclaration de la part du Tribunal.

28      Les parties ont également reconnu qu’une demande visant à obtenir une décision déclaratoire devait être rejetée pour cause d’incompétence manifeste. À cet égard, il ressort en effet d’une jurisprudence constante que le Tribunal n’est pas compétent, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, pour prononcer des arrêts déclaratoires (voir arrêt du 12 février 2015, Akhras/Conseil, T‑579/11, non publié, EU:T:2015:97, point 51 et jurisprudence citée).

29      Par conséquent, les premier et troisième chefs de conclusions du requérant doivent être rejetés en raison de l’incompétence manifeste du Tribunal.

B.      Sur le fond

30      À titre liminaire, il convient de relever que la décision d’exécution 2019/87 a été adoptée, sur le fondement de l’article 31, paragraphe 2, TUE, pour mettre en œuvre la décision 2013/255, elle-même adoptée sur le fondement de l’article 29 TUE, qui attribue compétence au Conseil pour adopter des décisions qui définissent la position de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique.

31      C’est également sur la base de l’article 29 TUE que le Conseil a adopté la décision 2015/1836 selon laquelle être un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie constitue un critère juridique pour l’application des mesures restrictives en cause.

32      En effet, ainsi que le prévoient l’article 27, paragraphe 2, sous a), et l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, les personnes appartenant à la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » sont désormais soumises aux mesures restrictives édictées par cette décision. En outre, en vertu de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de cette même décision, ces personnes ne font pas l’objet de ces mesures ou cessent d’en faire l’objet seulement s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement. À cet égard, comme l’expose le Conseil au considérant 6 de la décision 2015/1836 et au considérant 5 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, un cercle restreint de femmes et d’hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’est en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein. Les critères susmentionnés ont été repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), et paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012.

33      C’est à la lumière de ce contexte juridique qu’il convient d’examiner les moyens soulevés par le requérant à l’appui de son recours, à savoir le premier, tiré d’une motivation insuffisante ou non étayée de la désignation du requérant, le deuxième, tiré d’une erreur d’appréciation, le troisième, tiré d’une violation des droits de la défense, et le quatrième, tiré d’une violation des droits de propriété du requérant, de sa liberté d’exercer une activité économique et du principe de proportionnalité.

1.      Sur le premier moyen, tiré d’une motivation insuffisante ou non étayée de la désignation du requérant

34      Le requérant soutient que le Conseil n’a fourni aucun élément de preuve, notamment financier, qui prouve qu’il a de manière réelle, directe ou indirecte, personnellement ou par ses entreprises, soutenu financièrement le régime syrien actuel, ou qu’il a profité dudit régime, personnellement ou par le biais de ses activités commerciales.

35      En outre, selon le requérant, même si les allégations relatives au fait qu’il aurait conclu un accord avec Damascus Cham Holding pour un investissement de 320 millions de dollars des États-Unis (USD) dans la construction du projet Marota City et au fait qu’il aurait obtenu une licence pour une compagnie aérienne privée en Syrie, étaient prouvées, celles-ci ne seraient pas suffisantes pour étayer les allégations selon lesquelles il serait un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et qu’il soutiendrait et tirerait avantage du régime syrien. De surcroît, ce ne serait que si le Conseil avait prouvé que le requérant était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie qu’il aurait fourni un motif suffisant pour étayer le fait qu’il aurait soutenu ou aurait tiré profit du régime syrien. Néanmoins, le requérant soutient que, dans la mesure où le Conseil s’appuie sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, en tant que motif autonome de sa désignation, ce motif est en lui-même insuffisant, puisque le Conseil aurait dû démontrer, en plus, l’existence d’un lien avec le régime syrien. Le requérant en conclut que le Conseil n’a pas fourni des motifs suffisants pour l’inscription de son nom sur les listes en cause. À titre subsidiaire, ces motifs ne seraient pas étayés.

36      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

37      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue le corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 60 et jurisprudence citée).

38      Il convient également de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 61 et jurisprudence citée).

39      La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure de gel de fonds doit identifier les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles celui-ci considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 63 et jurisprudence citée).

40      Cependant, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 64 et jurisprudence citée).

41      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 65 et jurisprudence citée).

42      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 66 et jurisprudence citée).

43      Enfin, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96 et jurisprudence citée).

44      En l’espèce, il y a lieu de constater que les arguments soulevés par le requérant à l’appui de son premier moyen relèvent essentiellement de l’examen de la légalité au fond des actes attaqués et ne visent pas à remettre en cause le caractère suffisant de la motivation desdits actes au sens de la jurisprudence citée, en particulier, au point 39 ci-dessus. En effet, il fait valoir que le Conseil n’a pas suffisamment prouvé les motifs à l’origine de l’inscription de son nom sur les listes en cause, ce qui revient à contester le caractère suffisamment étayé et le bien-fondé des motifs d’inscription, mais il ne soutient pas avoir eu des difficultés à comprendre les raisons spécifiques et concrètes ayant conduit le Conseil à inscrire son nom sur lesdites listes.

45      En tout état de cause, à supposer qu’il puisse être déduit de certains des arguments du requérant qu’il critique l’insuffisance de la motivation formelle des actes attaqués, au sens de la jurisprudence rappelée au point 39 ci-dessus, il convient de relever que les moyens, en particulier le premier, et les arguments qu’il soulève dans le cadre de la requête indiquent qu’il a été mis en mesure de connaître les justifications des mesures prises à son égard afin de pouvoir les contester utilement devant le juge. Ainsi, il convient de constater que le contenu de la requête démontre que le requérant a compris les conclusions du Conseil selon lesquelles il était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, soutenait le régime syrien et en tirait profit, en raison des importants investissements qu’il a réalisés dans les secteurs de la construction et de l’aéronautique, comme en témoignent l’accord conclu avec Damascus Cham Holding dans le cadre du projet Marota City et la licence obtenue pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée en Syrie.

46      Cette motivation est compréhensible et suffisamment précise pour permettre au requérant de connaître les raisons ayant conduit le Conseil à considérer que l’inscription de son nom sur les listes en cause était justifiée au regard des critères juridiques applicables, d’en contester la légalité devant le juge et pour permettre au Tribunal d’exercer son contrôle.

47      Il convient, dès lors, de rejeter le premier moyen en tant qu’il critique l’insuffisance de motivation formelle des actes attaqués. Quant aux arguments du requérant qui ne visent pas à remettre en cause spécifiquement le caractère suffisant de la motivation des actes attaqués, mais le bien-fondé des motifs d’inscription, ils seront examinés dans le cadre du deuxième moyen, tiré de l’erreur d’appréciation.

2.      Sur le deuxième moyen, tiré de l’erreur d’appréciation

48      En premier lieu, s’agissant du motif d’inscription selon lequel le requérant bénéficierait de l’appui du régime syrien et le soutiendrait, d’une part, le requérant considère que le Conseil n’a fourni aucun élément de preuve direct pour le prouver. D’autre part, les éléments de preuve visant à soutenir les allégations relatives au contrat conclu avec Damascus Cham Holding et à la licence qu’il a obtenue pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée seraient insuffisants pour prouver indirectement cette affirmation.

49      En deuxième lieu, en ce qui concerne le motif d’inscription selon lequel le requérant serait un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, celui-ci relève l’absence de référence claire ou univoque, dans les éléments de preuve soumis par le Conseil, au fait qu’il est un tel homme d’affaires. De même, il estime que le Conseil n’a pas produit un élément de preuve qui viendrait à l’appui des informations générales, non étayées, relayées par les médias et relatives aux liens solides qu’il entretiendrait avec le régime syrien, liens qu’il réfute, en tout état de cause. En outre, il conteste avoir réalisé des investissements ou d’importants investissements dans les secteurs de la construction et de l’aéronautique en Syrie. À cet égard, s’il admet être le propriétaire de l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort, obtenu auprès de A en guise de paiement pour de très importantes dettes impayées, il souligne toutefois que cet hôtel connaissait des pertes avant qu’il ne l’acquière et en connaît toujours et que les autorités syriennes feraient pression sur lui afin qu’il le vende en raison de sa décision de ne finalement pas investir dans le projet Marota City.

50      Le requérant considère que le Conseil a ainsi commis une erreur d’appréciation en ce qu’il se serait fondé sur des rapports incomplets, en partie incohérents et dont il n’aurait pas vérifié la fiabilité pour en déduire que le requérant était un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.

51      À cet égard, le requérant fait encore valoir que, pour valablement justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause en raison de son prétendu statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, le Conseil aurait dû prouver, d’une part, à l’aune de critères clairs, précis et convaincants, qu’il réalisait des investissements importants en Syrie et, d’autre part, qu’il existait un lien suffisant entre lui et le régime syrien. Selon le requérant, ce n’est que si ces deux conditions sont démontrées qu’il existe une présomption en faveur de l’inscription sur les listes en cause. Il appartiendrait ensuite au requérant de renverser ladite présomption en produisant des éléments prouvant qu’il n’est pas associé au régime syrien ou n’exerce pas d’influence sur celui-ci, au sens de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.

52      En troisième lieu, s’agissant de la mention selon laquelle le requérant aurait conclu un accord avec Damascus Cham Holding pour un investissement de 320 millions d’USD dans la construction du projet Marota City, le requérant reconnaît avoir conclu un contrat pour la construction et le développement d’un centre commercial. Cependant, il réfute avoir conclu un autre contrat pour l’acquisition de terrains. En outre, il indique que, à la suite de la conclusion du premier contrat, il a évalué la viabilité du projet dans son ensemble, y compris le contexte politique, et a décidé de se retirer du projet et n’a donc pas réalisé d’investissements ou levé des fonds en vue de la réalisation de celui-ci. Or, il fait valoir que le Conseil n’a pas apporté d’élément de preuve démontrant qu’il procéderait à la réalisation de ce projet et aurait investi des fonds de sorte que c’est à tort que le Conseil a conclu qu’il avait procédé à des investissements importants dans le secteur de la construction et qu’il a soutenu ou a profité du régime syrien.

53      En quatrième lieu, s’agissant de la mention selon laquelle le requérant aurait obtenu une licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée en Syrie, si le requérant admet avoir effectivement obtenu ladite licence, pour laquelle il a versé un montant limité, il fait cependant valoir qu’il n’a pris aucune mesure afin de créer une compagnie aérienne. À ce titre, il soutient que le Conseil n’a pas apporté d’élément de preuve indiquant qu’il aurait engagé des fonds dans une entreprise privée de transport aérien en Syrie, avant ou après l’acquisition de cette licence, ni qu’il aurait pris des mesures afin de collecter des fonds à cette fin. En l’absence de tels éléments de preuve, il ne pourrait être soutenu que le requérant a acquis des investissements importants dans le secteur aéronautique et que, dès lors, il aurait soutenu ou profité du régime syrien.

54      En cinquième lieu, le requérant considère qu’il est difficile d’évaluer la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil dans la mesure où, premièrement, le Conseil n’aurait fourni, à leur égard, aucune information relative à la propriété des moyens de publication ou des entreprises en ligne et à leur affiliation politique. Deuxièmement, le requérant fait état d’un certain nombre d’inexactitudes ou d’incohérences dont seraient affectés lesdits éléments de preuve. Troisièmement, le requérant souligne le fait que le Conseil n’a pas produit de documents ultérieurs à ceux attestant la conclusion de l’accord avec Damascus Cham Holding ou l’obtention de la licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée, qui auraient démontré qu’il avait investi dans ces projets. Ainsi, le Conseil n’aurait manifestement engagé aucune autre investigation de fin septembre ou octobre 2018 jusqu’à l’adoption des actes attaqués et aurait néanmoins décidé d’inscrire son nom sur les listes en cause.

55      Dans le cadre de la réplique, le requérant relève que le Conseil, dans le mémoire en défense, ne traite pas, ni ne conteste son argumentation selon laquelle, bien qu’il ait signé un contrat avec Damascus Cham Holding et ait obtenu une licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée, il n’a procédé à aucun investissement dans un de ces projets. En outre, le Conseil n’aurait pas produit d’éléments permettant de réfuter les éléments de preuve soumis par le requérant afin de démontrer qu’il ne soutenait pas économiquement le régime syrien ni en aurait tiré profit.

56      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

a)      Considérations liminaires

57      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

58      Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée).

59      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernées, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

60      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernées (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122).

61      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou de ces éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernées à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

62      Conformément à la jurisprudence de la Cour, l’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 51, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 50).

63      En l’espèce, ainsi qu’il a été mentionné au point 12 ci-dessus, les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sont rédigés dans les termes suivants :

« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, ayant réalisé d’importants investissements dans les secteurs de la construction et de l’aéronautique. Du fait de ses investissements et de ses activités, Mazin Al-Tarazi profite du régime syrien et/ou soutient ce dernier. Ainsi, Mazin Al-Tarazi a notamment conclu un accord avec Damascus Cham [Holding] pour un investissement de 320 millions de dollars des États-Unis dans la construction de Marota City, un projet immobilier et commercial haut de gamme appuyé par le régime ; il a par ailleurs obtenu une licence pour une compagnie aérienne privée en Syrie. »

64      Il y a lieu d’en déduire que le requérant a été inscrit sur les listes en cause en raison, premièrement, de son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et en raison, deuxièmement, de son association avec le régime syrien.

65      Autrement dit, l’inscription du requérant est fondée, d’une part, sur le critère défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (critère de l’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie), et, d’autre part, sur le critère défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement (critère de l’association avec le régime).

66      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner le deuxième moyen soulevé par le requérant.

67      Pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil s’est fondé sur le document portant la référence WK 45/2019 INIT, comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, des articles de presse et des captures d’écran provenant :

–        du site Internet « Arab Times » qui présente, dans un article consulté le 12 septembre 2018, les neuf entreprises que détient le requérant à travers le monde, dont Al-Tarazi Holding Co. située à Damas (Syrie) ;

–        du site Internet de Damascus Cham Holding, consulté le 14 septembre 2018, qui montre une photographie du requérant participant à une réunion avec Damascus Cham Holding et indiquant qu’il a signé deux contrats avec cette société, dans le cadre du projet Marota City ; le premier concernait le développement d’un centre commercial et s’élevait à 250 millions d’USD et le second portait sur l’acquisition de cinq biens immobiliers pour une valeur de 70 millions d’USD ; il était encore précisé que ce partenariat s’inscrivait dans la stratégie de Damascus Cham Holding d’établir des partenariats afin de fournir aux investisseurs un environnement d’investissement sûr assorti d’avantages économiques et sociaux qui contribueraient au développement de la capitale Damas et au soutien de l’économie nationale ;

–        du site Internet « The Syria Report » qui indique, dans un article du 17 avril 2018, que le requérant a signé deux contrats avec Damascus Cham Holding en décembre 2017, le premier concernant le développement d’un centre commercial et s’élevant à 250 millions d’USD et le second portant sur l’acquisition de cinq biens immobiliers pour une valeur de 70 millions d’USD ; ce site Internet précise, dans un article du 1er juin 2018, que le projet Marota City est un projet d’investissement soutenu par le régime syrien dans le cadre du décret no 66 en vertu duquel des terres situées dans des quartiers de Damas au statut socioéconomique inférieur ont été expropriées ; il indique également que Damascus Cham Holding a commencé à conclure des partenariats en 2017 avec des hommes d’affaires, dont le requérant, relativement inconnus et qui n’avaient pas fait l’objet de sanctions de la part de l’Union ou des États-Unis ; il expose, dans un article du 9 janvier 2018, que, d’une part, le requérant, largement inconnu auparavant, a pris une participation de 51 % dans le contrat de 250 millions d’USD conclu avec Damascus Cham Holding et qu’il avait obtenu, en l’espace d’une dizaine de jours, une licence pour créer une compagnie aérienne privée et, d’autre part, qu’aucun des investisseurs privés dans le projet Marota City ne faisait l’objet de mesures restrictives de la part de l’Union ou des États-Unis, garantissant ainsi au régime syrien la capacité de générer des revenus ; cet article mentionne également que le requérant a fait l’acquisition, pour environ 11 millions d’euros, de l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort en 2015 et qu’il est connu pour son soutien au régime syrien ; il est relaté que, en 2014, le requérant a payé lui-même des voyages à des syriens entre le Koweït et la Syrie afin qu’ils participent aux élections présidentielles et que, en 2015, il a été reconnu par les médias officiels syriens comme ayant fourni une aide financière aux familles des martyrs et des blessés de l’armée syrienne et a rénové des écoles dans les banlieues de Homs (Syrie) et de Damas ; il est précisé, dans un autre article du 9 janvier 2018, que, tout d’abord, le requérant s’est vu octroyer une licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée en Syrie, dont il possédera 85 % du capital, qui s’élève à 70 millions de livres syriennes (SYP), ensuite, qu’il est difficile et rare d’obtenir de telles licences, ce qui signifie que ceux qui en acquièrent ont en général de très bonnes relations avec les personnes puissantes du régime et, enfin, que le requérant agit probablement en tant que prête-nom pour l’une de ces personnes ;

–        du site Internet « Enab Baladi News » qui relate, dans un article du 14 janvier 2018, que le requérant a pris une participation de 51 % dans le contrat de 250 millions d’USD conclu avec Damascus Cham Holding, dans le cadre du projet Marota City, projet urbain annoncé par M. Bashar Al-Assad en 2012 et débuté par le gouvernorat de Damas et Damascus Cham Holding en 2017 ; ce site indique, dans un article du 30 décembre 2017, que le requérant est un expatrié syrien et un homme d’affaires ayant annoncé avoir établi la troisième compagnie aérienne privée de Syrie dont il détient 85 % du capital, qui s’élève à 70 millions de SYP, qu’il est proche du régime et que, en 2014, il a affrété un avion privé pour assurer le transport aller et retour de syriens du Koweït vers la Syrie afin qu’ils participent au scrutin présidentiel, qu’il a lancé une campagne de retour en Syrie en 2015, nommée « Back to Syria » (Retour en Syrie), dans le cadre de laquelle il a payé les frais de retour de jeunes syriens vivant à l’étranger et enfin que ses fonds ont été gelés par l’United States Department of the Treasury (département du Trésor des États-Unis) en 2015 ;

–        du site Internet « Syrian Law Journal » qui explique, dans un article du 14 mai 2018, que le décret no 66 établit des exigences en matière de zonage pour le projet Marota City et que le décret no 19 autorisait l’établissement de sociétés anonymes de droit privé par des « conseils » ; en outre, il indique que le gouvernorat de Damas a établi Damascus Cham Holding en 2016, qu’il détient en totalité, et que le gouverneur de Damas en est le président ;

–        du site Internet du gouvernement syrien présentant, le 18 septembre 2012, le décret no 66 qui créait à Damas deux nouvelles zones de développement résidentiel et commercial ;

–        du site Internet « The Foundation for Strategic Research » qui explique, dans un article d’avril 2018, les motivations ayant conduit à l’adoption du décret no 66, à savoir qu’il pouvait être utilisé comme un instrument pour le développement rapide et important de projets, ce qui bénéficierait aux hommes d’affaires proches du régime, tout en constituant une force punitive puissante à l’encontre des populations opposées au régime syrien ;

–        du site Internet « The Syrian Observer » qui indique, dans un article du 6 avril 2018, que les hommes d’affaires proches du régime en Syrie et représentant les pays de la région ont commencé à chercher à investir le secteur de la reconstruction en participant aux organisations de développement mises en place dans la capitale Damas et ses banlieues et en créant de nouvelles sociétés dans l’objectif principal d’investir dans ces organisations ; Marota City est citée comme étant l’une des deux villes que le régime syrien cherche à établir à Damas ; il mentionne le requérant comme ayant conclu deux contrats avec Damascus Cham Holding, impliquée dans le développement du projet Marota City ; il indique que tout investissement doit passer par les cercles économiques du régime syrien et obtenir un feu vert afin de participer au développement de Marota City ; il précise enfin que l’obéissance, la loyauté et les liens commerciaux étrangers des investisseurs privés sont les normes admises pour la sélection des hommes et des femmes d’affaires ;

–        du site Internet « Brookings Institution », qui a publié un rapport en date de juin 2018, intitulé « Beyond Fragility : Syria and the challenges of reconstruction in fierce states » (Au-delà de la fragilité : la Syrie et les défis de la reconstruction dans les États violents), selon lequel le décret no 66 est un moyen pour le régime de saisir des terrains et des propriétés, de punir ses opposants, de récompenser ceux qui lui sont proches et de resserrer son contrôle sur l’économie syrienne ; il décrit le requérant comme faisant partie des hommes d’affaires impliqués dans le projet Marota City et comme étant un homme d’affaires relativement inconnu basé au Koweït et ayant des liens forts avec le régime syrien ;

–        du site Internet « Eqstad News » qui indique, dans un article du 14 janvier 2018, que le régime syrien a soutenu les hommes d’affaires loyaux en leur offrant des opportunités d’investissement dans le projet Marota City, développé sur les terrains saisis grâce au décret no 66, ce dont le requérant a bénéficié en acquérant 55 % de la coentreprise détenue avec Damascus Cham Holding ; il souligne que le requérant pourrait être l’« homme de paille » de B ;

–        du site Internet « CH Aviation » qui indique, sur une page en date du 6 janvier 2018, que le requérant est un homme d’affaires syrien installé au Koweït, qui possédera 85 % de la compagnie aérienne Alwataniya Air, les 15 % restants revenant à ses fils, et qui a été visé par les mesures restrictives adoptées par les États-Unis en raison de ses liens avec le régime syrien ; il est précisé que le capital de la compagnie aérienne est de 70 millions de SYP ;

–        du site Internet « CompanyCheck », consulté le 12 novembre 2018, qui mentionne la date de naissance du requérant.

68      Par ailleurs, le Conseil a mentionné, dans le cadre de la défense, quatre autres éléments de preuve qui n’apparaissent pas dans le document portant la référence WK 45/2019 INIT. En réponse à une mesure d’organisation de la procédure, le Conseil a indiqué que ces quatre éléments de preuve faisaient partie du document portant la référence WK 5131/2019 INIT, du 15 avril 2019, ayant été transmis au requérant par la lettre du 13 mai 2019, mentionnée au point 16 ci-dessus, soit postérieurement à l’adoption des actes attaqués.

69      À cet égard, il convient de rappeler que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté (voir arrêts du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 22 et jurisprudence citée, et du 4 septembre 2015, NIOC e.a./Conseil, T‑577/12, non publié, EU:T:2015:596, point 112 et jurisprudence citée). Par conséquent, il incombe au Tribunal de ne tenir compte que des éléments de fait qui existaient au moment de l’adoption des actes attaqués et sur lesquels le Conseil s’est fondé à cette date (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 127, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 102 à 104). Partant, il y a lieu de relever que le Conseil ne saurait se prévaloir, pour démontrer le bien-fondé des motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, du document portant la référence WK 5131/2019 INIT, qui n’a pas été pris en considération par le Conseil lors de l’adoption des actes attaqués.

b)      Sur la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil

70      Premièrement, le requérant soutient, en substance, que la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil est contestable dans la mesure où il s’agit principalement d’articles de presse dont les sources, les motifs et l’indépendance, notamment à l’égard du régime syrien, restent obscurs et dont les informations n’ont pas été confirmées par d’autres types de documents. En outre, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir enquêté sur les sources éventuelles des comptes rendus sur lesquels il s’appuie. Enfin, en réponse à des questions posées par voie de mesure d’organisation de la procédure et lors de l’audience, le requérant a indiqué que B, homme d’affaires syrien opérant notamment dans le secteur des médias, aurait pu manipuler les informations le concernant afin de lui causer du tort.

71      D’une part, il convient de rappeler que, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des mesures restrictives en cause, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, du fait qu’il était urgent d’adopter de telles mesures ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire (arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 46).

72      D’autre part, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2012, Shell Petroleum e.a./Commission, T‑343/06, EU:T:2012:478, point 161 et jurisprudence citée).

73      Force est de constater que les arguments présentés par le requérant pour contester la fiabilité des preuves soumises par le Conseil, tels que résumés au point 70 ci-dessus, sont des allégations générales et déclaratives qu’il n’étaye par aucun élément concret. À cet égard, dès lors que les éléments de preuve soumis par le Conseil, communiqués au requérant, proviennent de sources publiquement accessibles, il lui était possible d’indiquer lesquelles, selon lui, étaient, par exemple, favorables au régime syrien ou, au contraire, opposées à celui-ci, problématique qu’il a soulevée dans la requête. En particulier, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 61 ci-dessus, s’il appartient au Conseil d’apporter les éléments de preuve à l’appui des motifs d’inscription, il revient au requérant d’indiquer ceux d’entre eux qui pourraient soulever des doutes quant à leur fiabilité.

74      Quant au reproche exprimé par le requérant relatif à la prétendue absence de vérification et d’enquête de la part du Conseil, il convient de rappeler que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir arrêt du 12 février 2020, Kibelisa Ngambasai/Conseil, T‑169/18, non publié, EU:T:2020:58, point 96 et jurisprudence citée). En outre, contrairement à ce que suggère le requérant, le Conseil ne s’est pas uniquement appuyé sur des articles de presse provenant de médias installés au Moyen-Orient, mais a également produit des captures d’écran des sites Internet de Damascus Cham Holding, du gouvernement syrien, des études d’organismes internationaux tels que « Brookings Institution » ou « The Foundation for Strategic Research » et des pages de plates-formes internationales comme « CH Aviation ». Enfin, il y a lieu de relever qu’il a déjà été jugé que, même si les éléments de preuve soumis par le Conseil n’indiquent pas tous de manière expresse la source primaire de leurs informations, la situation de guerre en Syrie rend, en pratique, difficile, voire impossible, le recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent et le danger auquel s’exposent ceux qui livrent des renseignements font obstacle à ce que des sources précises de comportements personnels de soutien au régime soient apportées (arrêt du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, point 87).

75      Enfin, en ce qui concerne le rôle prétendument joué par B dans les médias, afin de causer du tort au requérant, force est de constater que le requérant se contente d’émettre des hypothèses sans fournir au Tribunal un quelconque élément permettant de les vérifier. Ainsi, si le requérant soutient qu’ils sont rivaux et que B aurait pu manipuler les médias, ce dont il n’est pas lui-même certain, il ne précise pas quelles sont les sources utilisées par le Conseil qui auraient pu être concernées par cette manœuvre.

76      Deuxièmement, le requérant fait valoir un certain nombre d’incohérences et d’inexactitudes dont seraient entachés différents éléments de preuve, ce qui affecterait leur fiabilité.

77      À cet égard, il convient de distinguer, parmi les arguments dont se prévaut le requérant, ceux qui portent sur la question de la fiabilité des preuves, c’est-à-dire le fait de savoir si lesdites preuves peuvent être considérées comme crédibles, et ceux qui concernent la question de savoir si les informations relayées par lesdites preuves démontrent, à suffisance, le bien-fondé des motifs d’inscription. En ce sens, la question de savoir si les éléments de preuve produits par le Conseil fournissent des informations cohérentes relève de l’analyse de leur fiabilité. En effet, eu égard à la nature desdits éléments, à savoir, pour la grande majorité d’entre eux, des articles de presse, il est important, afin de leur reconnaître un caractère sensé et fiable, que les informations qu’ils donnent ne se contredisent pas de manière manifeste. Il en va de même de l’exactitude des informations qui touchent à l’identité de la personne concernée, telle que sa nationalité, ou qui concernent sa situation juridique, comme les sanctions adoptées à son égard, par exemple.

78      D’une part, en ce qui concerne, les inexactitudes tenant à l’identité du requérant, celui-ci relève que l’article du site Internet « Eqstad News », du 14 janvier 2018, le décrit comme étant un Syro-palestinien alors qu’il ne le serait pas. Il serait, en effet, Syrien de naissance et posséderait, en outre, la nationalité canadienne. Interrogé par voie de mesure d’organisation de la procédure et lors de l’audience, le Conseil a indiqué qu’il ne disposait pas d’informations supplémentaires à cet égard, mais que, en tout état de cause, il s’agissait d’une information secondaire.

79      Il ressort des réponses du Conseil que ce dernier ne remet pas en cause le fait que l’information relative à la nationalité du requérant est partiellement incorrecte. Néanmoins, il convient de relever qu’il ne s’agit pas de l’information principale transmise par cet article. En effet, ce dernier met l’accent sur le statut d’homme d’affaires du requérant en raison de la conclusion d’un contrat dans le cadre du projet Marota City. À cet égard, ces informations, qui ont trait aux motifs d’inscription, recoupent celles relayées par d’autres éléments de preuve. Par ailleurs, le requérant ne conteste pas être la personne dont il est question dans cet article. Ainsi, l’inexactitude relevée n’est pas de nature à priver de tout caractère sensé et fiable cet élément de preuve.

80      Le requérant indique également que la page extraite du site Internet « CH Aviation », du 6 janvier 2018, mentionne erronément qu’il ferait l’objet de sanctions de la part des États-Unis depuis 2015. À cet égard, il allègue avoir fait des recherches sur Internet et ne pas avoir trouvé trace de ces sanctions. En réponse à une question posée par le Tribunal tant par voie de mesure d’organisation de la procédure que lors de l’audience, le Conseil a indiqué qu’il n’avait pas vérifié cette information, mais qu’elle ne lui paraissait pas fondamentale, bien qu’importante, dès lors que l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause n’était pas fondée sur cet élément.

81      Il ressort du document portant la référence WK 45/2019 INIT qu’un second élément de preuve fait mention des sanctions appliquées par les États-Unis au requérant, à savoir l’article du « Enab Baladi News », du 19 octobre 2018. Néanmoins, cela n’est pas suffisant, compte tenu des doutes exprimés par le requérant et des réponses du Conseil, pour considérer que l’inscription du nom du requérant sur les listes américaines de gels des fonds est corroborée par différentes sources d’informations. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’une information que le Conseil aurait pu, voire dû, vérifier, il convient de relever que le fait que le requérant fasse l’objet d’éventuelles sanctions de la part des États-Unis ne constitue pas, dans les circonstances de l’espèce, une information fondamentale dès lors que, d’une part, les motifs d’inscription du nom du requérant n’y font aucune allusion et que, d’autre part, le Conseil n’y a pas fait référence, dans le cadre de ses écritures ou lors de sa plaidoirie, pour démontrer le bien-fondé desdits motifs. Dès lors que, en outre, les autres informations relayées par la page du « CH Aviation » sont cohérentes avec celles contenues dans d’autres éléments de preuve, cette page ne saurait être privée de tout caractère sensé et fiable.

82      D’autre part, s’agissant, des incohérences qui affecteraient les éléments de preuve soumis par le Conseil, le requérant remarque que, selon certains articles, il serait un homme d’affaires influent ayant réalisé d’importants investissements en Syrie, proche du régime, mais que, selon d’autres, il serait relativement inconnu et ne serait qu’un prête-nom.

83      Le requérant soutient que l’incohérence viendrait de ce qu’il ne saurait être relativement inconnu, d’une part, et être connu pour ses liens étroits avec le régime syrien, sauf de quelques rares personnes, d’autre part, et de ce qu’il ne saurait être, en même temps, un homme d’affaires influent ayant procédé à d’importants investissements en Syrie et un simple prête-nom.

84      Cette argumentation ne saurait convaincre. En effet, bien que certaines preuves, telles que le rapport du site Internet « Brookings Institution », indiquent que le requérant était un homme d’affaires relativement inconnu, cette affirmation doit être lue avec celle relayée par d’autres articles, comme ceux du site Internet « The Syria Report », du 9 janvier et du 1er juin 2018, qui mentionnent, d’une part, que le requérant était inconnu jusqu’à quelques jours avant la signature d’un contrat avec Damascus Cham Holding et l’obtention d’une licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne et, d’autre part, que le régime syrien avait fait le choix de se tourner vers des hommes d’affaires importants, mais encore inconnus, car, de ce fait, ils ne faisaient pas l’objet de mesures restrictives. Partant, il ne saurait être exclu que, s’il était certes inconnu, la signature prochaine de contrats avec le régime syrien a eu pour conséquence de le faire connaître. En tout état de cause, le requérant était présenté comme un homme d’affaires d’une importance suffisante pour signer des contrats avec le régime syrien. Enfin, le fait d’être un prête-nom pour une personne puissante du régime syrien n’exclut pas, en soi, le fait d’être un homme d’affaires influent investissant en Syrie.

85      Par conséquent, dès lors que les différentes sources utilisées par le Conseil relayent des éléments d’information qui se corroborent et ne se contredisent manifestement pas, et en l’absence d’élément dans le dossier susceptible de remettre utilement en cause la fiabilité desdites sources, il convient de leur reconnaître un caractère sensé et fiable suffisant, au sens de la jurisprudence rappelée au point 72 ci-dessus.

c)      Sur le premier motif d’inscription

86      Dès lors que la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil a été établie, il convient de vérifier si l’ensemble de ces éléments de preuve constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer le premier motif d’inscription.

87      Il y a lieu de rappeler que, selon le premier motif d’inscription, le requérant est considéré comme un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie en raison d’importants investissements qu’il a réalisés dans les secteurs de la construction et de l’aéronautique. En particulier, il a conclu un accord avec Damascus Cham Holding pour un investissement de 320 millions d’USD dans la construction de Marota City et a obtenu une licence pour une compagnie aérienne privée en Syrie.

88      Lors de l’audience, le Conseil a relevé que le terme « réalisé » est présent dans la version française des motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, mais ne l’est pas dans la version anglaise desdits motifs. Il indique que l’emploi de la préposition « with » (avec) en anglais doit être compris comme signifiant que les investissements qui sont sur le point d’être réalisés ont été réalisés.

89      À cet égard, il y a lieu de remarquer que les motifs d’inscription sont rédigés, dans leur version anglaise, comme suit :

« Leading businessperson operating in Syria, with significant investments in the construction and aviation sectors »

90      Ainsi, l’emploi de la préposition « with » (avec), dans la version anglaise des motifs d’inscription, suppose que les investissements ont été réalisés. De ce fait, la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si le requérant peut être considéré comme un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie en raison des investissements qu’il a réalisés dans le secteur de la construction et dans celui de l’aviation.

91      En ce sens, il convient donc de rejeter l’argument du Conseil, développé lors de l’audience, selon lequel le Tribunal pourrait admettre qu’une personne est un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie en raison de son contact avec le régime syrien et des privilèges qu’il aurait reçus de la part dudit régime.

92      En effet, d’une part, le Conseil invite, ce faisant, le Tribunal à procéder à une substitution de motifs. Or, selon la jurisprudence, la légalité des actes attaqués ne peut être appréciée que sur le fondement des éléments de fait et de droit sur la base desquels ils ont été adoptés. Par conséquent, le Tribunal ne saurait souscrire à l’invitation faite par le Conseil de procéder, en définitive, à une substitution des motifs sur lesquels ces actes se fondent (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2012, Oil Turbo Compressor/Conseil, T‑63/12, EU:T:2012:579, point 29).

93      D’autre part, il convient de préciser qu’il ne saurait être exclu que, pour une personne déterminée, les motifs d’inscription se recoupent dans une certaine mesure, en ce sens qu’une personne peut être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et être considérée comme bénéficiant, dans le cadre de ses activités, du régime syrien ou comme soutenant celui-ci au travers de ces mêmes activités. Cela ressort précisément de ce que, ainsi qu’il est établi au considérant 6 de la décision 2015/1836, les liens étroits avec le régime syrien et le soutien de celui-ci apporté par cette catégorie de personnes sont l’une des raisons pour lesquelles le Conseil a décidé de créer cette catégorie. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit, même dans cette hypothèse, de critères différents (arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 77).

94      Ainsi, les contacts qu’une personne entretient avec le régime syrien et les éventuels bénéfices qu’elle en retire sont des éléments pertinents pour l’appréciation du critère d’inscription prévu à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et donc différent de celui de l’homme d’affaires influent. Il prévoit, précisément, l’adoption de mesures restrictives à l’égard des personnes qui bénéficient des politiques menées par ledit régime et des personnes qui leur sont liées.

95      En ce qui concerne le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, il y a lieu de relever que le requérant admet être un homme d’affaires possédant des intérêts commerciaux dans le monde arabe, mais conteste être un homme d’affaires « influent exerçant ses activités en Syrie ». De même, il reconnaît avoir signé un contrat avec Damascus Cham Holding, avoir obtenu une licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée en Syrie et détenir l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort, mais il avance, premièrement, que le contrat avec Damascus Cham Holding est venu à son terme, faute de réalisation, dans les trois à quatre mois ayant suivi la signature du contrat, deuxièmement, qu’il n’a pas engagé de fonds afin de créer une compagnie aérienne privée et, troisièmement, que l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort est déficitaire et qu’il fait l’objet de pression de la part du régime syrien pour le revendre, en raison de son retrait du projet Marota City.

1)      Sur les contrats signés avec Damascus Cham Holding

96      Il ressort des éléments d’information provenant des sites Internet de Damascus Cham Holding, « The Syria Report », « Enab Baladi News » et « Eqstad News », que le requérant a conclu, concomitamment, un premier contrat avec Damascus Cham Holding s’élevant à 250 millions d’USD pour la construction d’un centre commercial et un second contrat avec cette même entreprise s’élevant à 70 millions d’USD pour l’acquisition de cinq terrains, ce qui représente un investissement total de 320 millions d’USD, dans le cadre du projet Marota City. Le requérant confirme avoir signé le premier contrat. En revanche, il soutient que ce contrat est venu à son terme faute pour lui d’avoir procédé à des investissements ou à des levées de fonds afin de le réaliser. Quant au second contrat, il nie l’avoir signé.

97      En réponse aux mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal, le requérant a apporté deux éléments de preuve visant à démontrer qu’il n’est plus engagé vis-à-vis de Damascus Cham Holding. Premièrement, il s’agit d’une lettre, du 15 mai 2018, adressée par le requérant à Damascus Cham Holding et visant à communiquer sa volonté de se retirer des contrats signés avec cette entreprise. Deuxièmement, il s’agit d’une lettre, du 23 mai 2018, adressée par Damascus Cham Holding au requérant mettant un terme aux contrats signés avec ce dernier. De plus, le requérant a produit, sur demande du Tribunal, un contrat signé avec Damascus Cham Holding.

98      Lors de l’audience, le Conseil a remis en cause la fiabilité de ces éléments de preuve en raison de leur caractère incohérent et incomplet.

99      Il convient, dès lors, d’apprécier la fiabilité de ces preuves, conformément à la jurisprudence rappelée au point 72 ci-dessus.

100    Premièrement, s’agissant du contrat fourni par le requérant, le Conseil considère qu’il n’est pas fiable dans la mesure où ce contrat, qui porte sur la vente de terrains, n’a pas la forme d’un acte officiel et ne mentionne pas qu’un tel acte officiel sera rédigé.

101    Cet argument doit être rejeté en raison de son caractère purement déclaratoire. En effet, le Conseil ne parvient pas à démontrer, par la production d’éléments concrets, qu’un contrat de vente de terrains en Syrie doit expressément indiquer qu’un acte officiel sera rédigé. De même, le Conseil n’indique pas les caractéristiques que le contrat aurait dû revêtir pour pouvoir être considéré, au regard de la législation syrienne, comme étant un acte officiel. En outre, rien dans le dossier soumis à l’examen du Tribunal ne permet d’affirmer ou d’infirmer qu’un acte officiel de cession de terrains n’a pas été obtenu à la suite de la signature de ce contrat.

102    Deuxièmement, en ce qui concerne la lettre du 15 mai 2018, le Conseil fait valoir que ce document soulève des interrogations, puisque, notamment, il mentionne un accord de partenariat que le requérant n’a pas produit et demande l’annulation d’un contrat qui aurait été de toute façon caduc 45 jours après sa signature, conformément à son article 7.

103    Cette argumentation ne saurait prospérer. En effet, d’une part, le Conseil n’explique pas en quoi il aurait été nécessaire, pour démontrer le caractère sensé et fiable de cette lettre, que le requérant produise l’accord de partenariat. D’autre part, le fait que le contrat devenait caduc 45 jours après sa signature ne s’oppose pas à ce que le requérant puisse, de manière formelle, envoyer une lettre pour manifester sa volonté d’y mettre un terme.

104    Troisièmement, quant à la lettre du 23 mai 2018, le Conseil estime qu’elle n’est pas sensée et fiable, car elle est incomplète.

105    Cet argument doit également être rejeté. En effet, le caractère incomplet d’un document ne le prive pas automatiquement de tout caractère sensé et fiable, mais peut seulement avoir un impact sur sa capacité à démontrer le bien-fondé de l’allégation au soutien de laquelle il est invoqué. Or, le Conseil n’a pas soulevé d’autres arguments pour contester la fiabilité de la lettre du 23 mai 2018.

106    Il en résulte que les éléments de preuve énumérés au point 97 ci-dessus possèdent un caractère suffisamment sensé et fiable au sens de la jurisprudence citée au point 72 ci-dessus pour que le Tribunal puisse en tenir compte.

107    À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que les éléments de preuve viennent contredire l’argument que le requérant a fait valoir dans ses écritures et selon lequel il n’aurait pas signé le contrat relatif à la vente de terrains.

108    En effet, d’une part, l’objet de la lettre du 15 mai 2018 fait expressément référence à l’accord de partenariat et au contrat de vente conclus dans le cadre du projet Marota City. D’autre part, la lettre du 23 mai 2018 fait référence aux contrats signés par le requérant avec Damascus Cham Holding, à savoir un accord de partenariat et un contrat de vente. Enfin, le contrat du 29 décembre 2017, produit en réponse à une question du Tribunal (voir point 97 ci-dessus) est un contrat de vente de terrains, ainsi qu’il résulte non seulement de son intitulé, mais également de son contenu. À cet égard, force est de constater que le contrat porte sur la vente de cinq parcelles de terrain et ne contient aucune disposition faisant référence à la construction et à la gestion d’un centre commercial. Partant, il y a lieu de conclure que le contrat produit par le requérant est le contrat de vente de terrains conclu avec Damascus Cham Holding.

109    En deuxième lieu, il n’est pas contesté par les parties, et il ressort des éléments de preuve mentionnés au point 96 ci-dessus, que les contrats avec Damascus Cham Holding ont été signés en même temps, soit le 29 décembre 2017, ainsi qu’il appert du contrat de vente de terrains produit par le requérant.

110    En troisième lieu, dès lors qu’il est démontré que le requérant a signé les contrats avec Damascus Cham Holding, il convient de vérifier si le requérant a apporté des preuves suffisantes pour prouver soit qu’il n’était plus lié par de tels contrats avant l’adoption des actes attaqués, soit qu’il existe un doute raisonnable qu’il l’était encore avant l’adoption desdits actes.

111    À cet égard, il convient de constater que le requérant a produit deux catégories de preuves.

112    D’une part, le requérant a produit un article provenant du site Internet « CS Monitor », du 5 novembre 2018, et un article issu du site Internet « Arab News », du 5 novembre 2018, afin de démontrer qu’il n’était plus impliqué dans le projet Marota City. Néanmoins, contrairement à ce qu’il allègue dans la requête, ceux-ci ne démontrent pas son absence de participation au projet Marota City. En effet, ces articles, au contenu quasi-identique, mettent en lumière les circonstances du développement du projet Marota City ainsi que les conséquences qu’il a sur les populations concernées en raison de l’expropriation de terrains ordonnée par le décret no 66, mais ils ne s’intéressent que de manière incidente aux investisseurs privés. En ce sens sont mentionnés deux investisseurs, mais ils ne sont cités qu’à titre d’exemple, ce qui n’exclut donc pas la possibilité que le requérant puisse faire partie des hommes d’affaires ayant bénéficié d’un contrat dans le cadre de ce projet.

113    D’autre part, le requérant affirme avoir résilié les contrats signés avec Damascus Cham Holding et, à ce titre, produit la lettre qu’il a envoyée à ladite société, le 13 mai 2018. Par cette lettre, le requérant a indiqué avoir décidé de se retirer du projet Marota City, dans le cadre duquel il était impliqué par le biais de deux contrats, en raison de la situation en Syrie qui, selon lui, ne permettait pas à un homme d’affaires d’exploiter correctement ses activités. Quant à la lettre de réponse de Damascus Cham Holding, du 23 mai 2018, elle fait référence aux deux contrats signés par le requérant. Il est ensuite indiqué, en substance, que de nombreuses correspondances ont eu lieu pour mettre en œuvre l’article 4 du contrat en relation avec la cession de trois des cinq terrains, objets du contrat de vente. L’article 4 du contrat produit devant le Tribunal énumère les obligations contractuelles de Damascus Cham Holding, dont celle consistant à céder cinq terrains. Il stipule également, en substance, que la valeur des terrains, objets du contrat « Marota City », devait être payée dans les 45 jours suivant la signature du contrat, ce qui n’a pas été fait. Enfin, selon l’article 7 du contrat de vente, celui-ci devient nul si, dans les 45 jours suivant sa signature, le requérant ne paye pas la valeur des terrains.

114    Il ressort de ce qui précède que, premièrement, les deux contrats signés avec Damascus Cham Holding sont étroitement liés, puisqu’ils participent tous deux à la réalisation du projet Marota City. Deuxièmement, le requérant a entendu mettre un terme aux deux contrats. Troisièmement, le requérant n’a pas versé l’argent nécessaire à l’acquisition des cinq terrains, objets du contrat de vente, mais seulement de deux d’entre eux, puisque la lettre de réponse de Damascus Cham Holding, du 23 mai 2018, ne prend acte de l’absence de versement d’argent par le requérant que pour trois des cinq terrains.

115    Or, il convient de relever qu’aucun des éléments de preuve produits par le Conseil et rappelés au point 67 ci-dessus n’est à même de démontrer que, après le 23 mai 2018, le requérant était toujours lié à Damascus Cham Holding par le contrat relatif à la construction d’un centre commercial et par le contrat relatif à l’acquisition de terrains. À cet égard, il convient d’emblée d’écarter les éléments de preuve portant une date antérieure au 23 mai 2018, puisque l’annulation des contrats n’avait pas encore été actée entre les deux parties contractantes. Quant à la page extraite du site Internet de Damascus Cham Holding, bien que consultée en septembre 2018, elle mentionne que la société « a hâte » d’être en 2018, ce qui démontre que le contenu de la page date d’une période antérieure. Il ressort dudit contenu que la page a été écrite à la suite directe de la signature des contrats avec le requérant. S’agissant de l’article du site Internet « The Syria Report », du 1er juin 2018, il mentionne, certes, que le requérant a conclu des accords avec Damascus Cham Holding. Cependant, compte tenu des dates rapprochées de l’annulation desdits contrats et de la publication de l’article, il ne peut être exclu que l’information de ladite annulation n’avait pas encore été rendue publique. En tout état de cause, un seul article ne saurait être considéré comme suffisant pour établir que les contrats signés avec Damascus Cham Holding étaient encore d’actualité au jour de l’adoption des actes attaqués.

116    Par conséquent, il convient de conclure que, à l’exception de l’acquisition de deux terrains, le requérant a apporté des éléments de preuve suffisants pour soulever un doute raisonnable quant à sa participation au projet Marota City à la date d’adoption des actes attaqués et, par conséquent, pour remettre en cause le bien-fondé des constatations portées par le Conseil à cet égard.

2)      Sur la licence d’exploitation d’une compagnie aérienne

117    Les éléments de preuve provenant des sites Internet « The Syria Report », « Enab Baladi News » et « CH Aviation » démontrent que le requérant a obtenu une licence pour exploiter une compagnie aérienne privée. Le site Internet « CH Aviation » indique le nom de cette compagnie aérienne : Alwataniya Air. Il ressort également de ces différentes sources que c’est le requérant lui-même qui a annoncé avoir établi la troisième compagnie aérienne syrienne, dont il détient 85 % du capital, celui-ci s’élevant à 70 millions de SYP.

118    Il y a lieu de relever que le requérant confirme avoir acquis, en septembre 2017, une telle licence, précisant qu’il a payé la somme de moins de 1 000 USD pour ce faire. Cependant, il fait valoir qu’il n’a pris aucune autre mesure pour créer une activité de compagnie aérienne en Syrie et qu’il n’a pas engagé d’autres fonds importants ou d’autres actions afin de lancer cette activité. Enfin, en réponse aux questions posées par le Tribunal par voie de mesure d’organisation de la procédure, le requérant affirme qu’Alwataniya Air n’est qu’une société-écran et que la licence a expiré.

119    Néanmoins, il y a lieu de constater que le requérant ne parvient pas à démontrer que la licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne devait expirer au bout d’un an et qu’elle a effectivement expiré en septembre 2018. En effet, le seul élément de preuve produit par le requérant, dont la fiabilité n’est pas remise en cause par le Conseil, est une lettre du ministère du Transport syrien, du 9 février 2018, informant le requérant de la suspension de la procédure d’octroi d’une licence au profit d’Alwataniya Air, ladite compagnie étant décrite comme étant en phase de constitution. Il convient de relever que, interrogé par le Tribunal sur ce point, ni le Conseil ni le requérant n’ont été à même d’expliquer les étapes de la procédure devant mener à l’obtention d’une licence d’exploitation d’une compagnie aérienne. En outre, aucun élément dans le dossier ne permet de comprendre la différence qui pourrait éventuellement exister entre la licence obtenue en septembre 2017 et celle dont il est question dans la lettre du 9 février 2018. En tout état de cause, cet élément de preuve, qui porte seulement sur la procédure de suspension d’octroi de ladite licence, n’est pas pertinent pour démontrer que la licence obtenue par le requérant avait vocation à expirer une année après son obtention. En revanche, cet élément de preuve confirme que le requérant avait entamé les démarches pour la création de la compagnie aérienne Alwataniya Air.

120    Toutefois, contrairement à ce qu’a affirmé le Conseil durant l’audience, il ne ressort pas de la page extraite du site Internet « CH Aviation », du 6 janvier 2018, qu’Alwataniya Air possède déjà une flotte. En effet, les informations relatives au nombre d’avions, de destinations et de vols journaliers concernent la compagnie aérienne Syrianair, ainsi qu’il découle du titre surplombant l’encadré contenant ces informations. Or, aucun autre élément de preuve contenu dans le document portant la référence WK 45/2019 INIT ne permet de conclure qu’Alwataniya Air est opérationnelle, contrairement à ce qu’a fait valoir le Conseil durant l’audience.

121    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, même si les opérations en question ne sont pas d’un montant financier important et quand bien même Alwataniya Air n’aurait pas été opérationnelle à la date d’adoption des actes attaqués, le Conseil a démontré que le requérant a réalisé des investissements significatifs dans le secteur aéronautique en obtenant une licence d’exploitation d’une compagnie aérienne auprès des autorités syriennes et en constituant ladite compagnie dont il détient 85 % du capital.

3)      Sur l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort

122    En ce qui concerne l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort, il suffit de constater que le requérant ne conteste pas qu’il est en sa possession, ainsi qu’il ressort de l’article du site Internet « The Syria Report », du 9 janvier 2018. Selon cet article, le requérant a acquis cet hôtel en 2015 pour la somme de 11 millions d’euros.

123    Le requérant précise toutefois l’avoir acquis en remboursement des dettes de A. Cette circonstance, à la supposer avérée, est sans incidence sur le fait que le requérant est propriétaire de cet établissement.

4)      Sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie du requérant

124    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, à l’exception de deux terrains acquis dans le cadre du projet Marota City, le Conseil n’a pas établi à suffisance que le requérant a réalisé des investissements dans le secteur de la construction et, plus particulièrement, qu’il est impliqué dans la mise en œuvre du projet Marota City. En revanche, le Conseil est parvenu à démontrer que le requérant a réalisé des investissements dans le secteur aéronautique et qu’il possède l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort.

125    Or, les investissements dans le secteur aéronautique syrien, qui ne compte que très peu de compagnies aériennes, réalisés aux fins de la création d’une compagnie aérienne sont significatifs. De plus, l’obtention d’un hôtel de luxe en Syrie en paiement d’une dette démontre non seulement les liens d’affaires du requérant avec la Syrie, mais également le statut d’homme d’affaires influent du requérant.

126    Ainsi, il convient de constater que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir que le requérant est un homme d’affaires influent exerçant son activité en Syrie.

127    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments du requérant.

128    Premièrement, le requérant fait valoir, en substance, que, même s’il était démontré qu’il a obtenu une licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée, cet élément ne serait pas suffisant pour démontrer qu’il est un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.

129    À cet égard, il convient de relever, d’une part, que le requérant n’explicite pas son argumentation et que, d’autre part, elle est contredite par l’affirmation figurant dans la réplique selon laquelle la question de savoir si un homme d’affaires doit être inclus dans la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » dépend de celle de savoir s’il réalise d’importants investissements en Syrie.

130    Or, si la preuve d’investissements importants réalisés en Syrie est effectivement l’un des facteurs permettant de considérer une personne comme entrant dans cette catégorie, force est de constater que, en l’espèce, le requérant relève bien de celle-ci dès lors que, ainsi que cela a été constaté au point 124 ci-dessus, le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants que le requérant a réalisé des investissements significatifs au moins dans le secteur de l’aéronautique et qu’il possède un hôtel de luxe, l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort, dont la valeur d’acquisition est estimée à 11 millions d’euros.

131    Partant, son argument ne saurait prospérer.

132    Deuxièmement, le requérant fait valoir que l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort est déficitaire de sorte qu’il ne saurait être considéré comme un homme d’affaires possédant des intérêts commerciaux en Syrie.

133    À cet égard, il est vrai que le requérant fait état de ce que l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort enregistre une perte avant impôts d’environ 315 millions de SYP pour 2018, alors qu’elle s’élevait à environ 192 millions de SYP pour 2017. Toutefois, cela ne saurait modifier le constat que le requérant est le propriétaire de cet hôtel, hôtel dont les revenus et les dépenses se comptent en millions de livres syriennes, ce qui démontre qu’il s’agit d’un grand hôtel.

134    Troisièmement, le requérant soutient avoir seulement entamé des démarches pour explorer les opportunités commerciales en Syrie dans la mesure où il lui a semblé, à la lecture d’articles de presse de l’époque, que la fin de la guerre pouvait être imminente et suivie d’une normalisation de la situation politique et économique, mais aussi des relations dans la région et avec l’Occident. Toutefois, après avoir examiné et évalué le cadre général économique, politique, juridique et international, le requérant aurait décidé de ne pas poursuivre les projets en Syrie et de ne pas engager de fonds supplémentaires.

135    En outre, le requérant a produit, en même temps que ses réponses aux mesures d’organisation de la procédure, le rapport d’un journaliste visant à démontrer qu’il n’était pas le seul à croire à une normalisation de la situation. S’agissant de ce rapport, le Conseil a, lors de l’audience, demandé qu’il soit rejeté comme étant irrecevable, car tardif.

136    D’une part, il convient de relever que les deux articles de presse produits par le requérant en annexe à la réplique, à savoir l’article provenant du site Internet « TAP News », du 11 septembre 2017, intitulé « As Syrian War Comes to an End, Mainstream Media Silent to Hide Extreme US Embarrassment » (Alors que la guerre en Syrie touche à sa fin, les principaux médias sont muets pour cacher l’embarras extrême des États-Unis), et l’article provenant du Conseil européen des relations extérieures, du 12 septembre 2017, intitulé « To end a war : Europe’s role in bringing peace to Syria » (Pour finir une guerre : le rôle de l’Europe pour apporter la paix en Syrie), mentionnent, certes, la possibilité d’une fin de la guerre en Syrie. Toutefois, ils la décrivent comme étant lointaine et nécessitant de nombreuses démarches et concessions, autant de la part du régime syrien que des forces s’y opposant ou encore de la part d’autres États et de l’Union. En tout état de cause, ils n’envisageaient pas la fin du régime syrien, dirigé par M. Al-Assad, bien au contraire, et notaient que la population syrienne continuait de souffrir de la situation. Ainsi, ces articles ne sauraient démontrer que le requérant pouvait croire en la reprise prochaine d’une activité normale en Syrie, ainsi qu’il le soutient.

137    Il y a lieu de constater, sans qu’il soit besoin de statuer sur la question de sa recevabilité, qu’il en va de même en ce qui concerne le rapport du journaliste. En effet, il en ressort qu’un changement pouvait être espéré, mais qu’il était loin d’être sûr.

138    D’autre part, l’obtention d’une licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne privée et la constitution d’Alwataniya Air ne sauraient être considérées comme de simples démarches préliminaires. Au contraire, ces éléments démontrent la ferme intention du requérant d’investir le secteur de l’aéronautique en Syrie et constituent ainsi plutôt des indices de ce que le requérant avait dépassé le stade de la simple étude de marché et avait décidé d’entrer dans ce secteur.

139    Par conséquent, l’argument du requérant ne saurait prospérer.

140    Quatrièmement, le requérant soutient qu’il appartenait au Conseil de démontrer l’existence de son lien avec le régime syrien. Selon le requérant, dans la mesure où le Conseil s’appuie sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie en tant que motif autonome d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, celui-ci n’est pas en lui-même suffisant. En effet, le fait qu’un homme d’affaires puisse réaliser des investissements en Syrie ne prouve pas automatiquement son association avec le régime, ni qu’il soutienne financièrement ce régime ou en profite.

141    Néanmoins, interrogé lors de l’audience sur l’impact que l’arrêt du 9 juillet 2020, Haswani/Conseil (C‑241/19 P, EU:C:2020:545), était susceptible d’avoir sur la présente affaire, le requérant a admis que le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie était un motif suffisant d’inscription sur les listes en cause et qu’il n’était pas nécessaire que le Conseil démontre, en plus, le lien avec le régime syrien.

142    À cet égard, il convient effectivement de rappeler que la décision 2015/1836 a notamment introduit comme critère d’inscription objectif, autonome et suffisant celui des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », de sorte que le Conseil n’est plus tenu de démontrer l’existence d’un lien entre cette catégorie de personnes et le régime syrien, ni entre cette catégorie de personnes et le soutien apporté à ce régime ou le bénéfice tiré de ce dernier, étant donné qu’être une femme ou un homme d’affaires influents exerçant ses activités en Syrie suffit pour l’application des mesures restrictives en cause à une personne [voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, point 38 ; du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, points 55 et 56 (non publiés), et ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani/Conseil, T‑231/15 RENV, non publiée, EU:T:2019:589, point 56].

143    En ce sens, le Tribunal a considéré qu’il pouvait être déduit du critère relatif à la qualité de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » une présomption réfragable de lien avec le régime syrien (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, point 106, et ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani/Conseil, T‑231/15 RENV, non publiée, EU:T:2019:589, point 60). Cette présomption trouve à s’appliquer dès lors que le Conseil a été en mesure de démontrer que la personne est non seulement une femme ou un homme d’affaires exerçant ses activités en Syrie, mais aussi qu’elle peut être qualifiée d’influente. En effet, ainsi qu’il ressort des termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, tels qu’ils sont rappelés au point 9 ci-dessus, c’est l’influence que cette catégorie de personnes est susceptible d’exercer sur le régime syrien que le Conseil vise à exploiter en les poussant, par le biais des mesures restrictives qu’il adopte à leur égard, à faire pression sur le régime syrien pour qu’il modifie sa politique de répression. Ainsi, dès lors que le Conseil est parvenu à démontrer l’influence qu’une femme ou un homme d’affaires est susceptible d’exercer sur ledit régime, le lien entre ladite personne et le régime syrien est présumé.

144    À cet égard, le requérant fait valoir qu’une présomption générale que toute personne, notamment tout homme d’affaires éminent ayant une association supposée avec un régime sanctionné, peut être légalement soumis à des sanctions irait à l’encontre du principe rappelé dans le document intitulé « Lignes directrices concernant la mise en œuvre et l’évaluation de mesures restrictives (sanctions) dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne », adopté par le Conseil le 4 mai 2018. Selon ce principe, ces sanctions devraient générer un dommage collatéral minimal pour toute personne non responsable de répression ou d’un soutien au régime perpétrant des actions répressives.

145    Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de cet argument, présenté dans le cadre de la réplique, il y a lieu de remarquer qu’il ne saurait, en tout état de cause, prospérer. D’une part, en effet, l’argument du requérant provient d’une lecture tronquée du document cité au point 144 ci-dessus, puisque celui-ci indique, en son point 13, s’agissant des mesures ciblées, que « les mesures prises devraient cibler les personnes identifiées comme étant responsables des politiques ou des actions qui ont déclenché la décision de l’[Union] d’imposer des mesures restrictives, ainsi que les personnes bénéficiant de ces politiques et actions et les soutenant ». Ainsi, les mesures sont ciblées dès lors qu’elles visent les personnes bénéficiant des politiques et des actions qui ont déclenché la décision de l’Union d’imposer des mesures restrictives, et les soutenant, ce qui concerne bien les femmes et les hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie. D’autre part et en tout état de cause, le requérant n’a pas soulevé d’exception d’illégalité à l’encontre de l’article 27, paragraphe 2, sous a), et de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836.

146    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le respect des règles relatives à la charge et à l’administration de la preuve en matière de mesures restrictives par le Tribunal implique que ce dernier respecte le principe énoncé par la jurisprudence constante mentionnée au point 61 ci-dessus et rappelé par la Cour dans l’arrêt du 11 septembre 2019, HX/Conseil (C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, points 48 à 50), selon lequel, en substance, la charge de la preuve incombe à l’institution en cas de contestation du bien-fondé des motifs d’inscription. La Cour a ainsi jugé que la charge de la preuve de l’existence d’informations suffisantes, au sens de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, indiquant que la partie requérante n’était pas, ou n’était plus, liée au régime syrien, qu’elle n’exerçait aucune influence sur celui-ci et qu’elle n’était pas associée à un risque réel de contournement des mesures restrictives adoptées à l’égard de ce régime n’incombait pas à la partie requérante (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2018, Makhlouf/Conseil, C‑458/17 P, non publié, EU:C:2018:441, point 86, et du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, points 50 et 51).

147    Par conséquent, il ne saurait être imposé à la partie requérante un niveau de preuve excessif aux fins de renverser ladite présomption. Ainsi, la partie requérante doit être considérée comme ayant réussi à renverser la présomption de lien au régime syrien si elle fait valoir des arguments ou des éléments susceptibles de remettre sérieusement en cause la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou leur appréciation, notamment au regard des conditions posées par l’article 27, paragraphe 3, et par l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ou si elle produit devant le juge de l’Union un faisceau d’indices de l’inexistence ou de la disparition du lien avec le régime syrien, de l’absence d’influence sur ledit régime, ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives, conformément à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de cette décision.

148    En l’espèce, d’une part, il convient de relever que le requérant n’a présenté aucun argument ou élément permettant de douter de la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil. Quant à l’appréciation qu’il convient de faire de ces éléments, il a été constaté, au point 124 ci-dessus, qu’ils permettaient d’établir à suffisance que le requérant a réalisé des investissements dans le secteur aéronautique et qu’il possède l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort.

149    D’autre part, le requérant fait valoir qu’il vit au Koweït depuis 1973 et qu’il ne se rend en Syrie que pour voir sa mère et l’orphelinat dont il s’occupe et non pour entretenir des liens avec le régime syrien. Il convient de relever que le fait de vivre en dehors de la Syrie ne constitue pas, en soi, une circonstance suffisante permettant d’affirmer ne pas être lié au régime syrien (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 104). En outre, bien qu’il affirme se rendre en Syrie essentiellement pour voir sa mère et l’orphelinat dont il s’occupe, il ressort tant des éléments de preuve fournis par le Conseil que des affirmations du requérant qu’il s’y rend aussi dans le cadre de ses activités professionnelles. Ainsi, il a confirmé avoir participé à une réunion au siège de Damascus Cham Holding avec laquelle il avait signé deux contrats. Ensuite, il ne nie pas avoir une entreprise en Syrie, l’entreprise Al-Tarazi Holding Co., ainsi que cela ressort de l’article « Arab Times » consulté le 12 septembre 2018. Enfin, il possède une compagnie aérienne dont le siège social est en Syrie ainsi qu’un hôtel dans le pays. Ces différents éléments démontrent donc qu’il a des intérêts financiers en Syrie.

150    Enfin, quant à l’allégation selon laquelle le requérant subirait des pressions de la part des autorités syriennes pour vendre l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort, en raison de sa décision de ne pas investir dans le projet Marota City, il convient de relever qu’il s’agit d’une simple affirmation dont il n’est pas possible de vérifier la véracité, en dehors de tout élément concret venant l’étayer.

151    Au vu de tout ce qui précède, il convient de considérer que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause en raison de son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie est suffisamment étayé, de sorte que, au regard de ce critère, l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause est bien fondée.

152    Selon la jurisprudence, eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée). Par conséquent, il serait possible, sans qu’il soit besoin d’examiner les arguments du requérant visant à remettre en cause le second motif d’inscription, de rejeter le deuxième moyen. Néanmoins, le Tribunal estime utile, dans les circonstances de l’espèce, de vérifier le bien-fondé du second motif d’inscription.

d)      Sur le second motif d’inscription

153    Il y a lieu de rappeler que selon le second motif d’inscription, le requérant bénéficie des politiques menées par le régime syrien et soutient ce dernier du fait de ses investissements et de ses activités.

154    Le requérant considère, d’une part, que le Conseil n’a apporté aucune preuve directe de ce qu’il bénéficierait des politiques menées par le régime syrien ou soutiendrait ce dernier et, d’autre part, que les preuves indirectes sont insuffisantes.

155    Cependant, en premier lieu, il convient de relever qu’il ressort d’une lecture d’ensemble des éléments d’information produits par le Conseil et provenant des sites Internet de Damascus Cham Holding, « The Syria Report », « Syrian Law Journal », du gouvernement syrien, « The Foundation for Strategic Research », « Brookings Institution » et « Eqstad News », premièrement, que le régime syrien a adopté le décret no°66 dans la perspective de développer des projets immobiliers de grande envergure, dont le projet Marota City, sur des terrains expropriés. Deuxièmement, l’adoption de ce décret et le développement desdits projets sont des décisions politiques visant, d’une part, à récompenser les hommes d’affaires proches dudit régime et, d’autre part, à sanctionner la population qui s’y oppose. Troisièmement, le régime syrien a entendu faire profiter des hommes d’affaires jusque-là inconnus des perspectives d’investissements que de tels projets représentent. Ce choix n’était pas anodin, puisqu’il permettait au régime syrien de favoriser des personnes qui ne faisaient pas l’objet de mesures restrictives de la part, notamment, de l’Union, ce qui lui assurait un financement.

156    Or, il ressort de l’ensemble des éléments de preuve produits par le Conseil et des affirmations faites par le requérant lui-même qu’il a été approché par le régime syrien pour participer à une réunion au siège de Damascus Cham Holding, créée par le gouvernorat de Damas, afin de conclure des contrats visant à ce qu’il investisse dans le projet Marota City.

157    Certes, ainsi qu’il a été établi au point 116 ci-dessus, le requérant a apporté des éléments de preuve suffisants pour soulever un doute raisonnable quant à sa participation au projet Marota City à la date d’adoption des actes attaqués. Il n’en demeure pas moins que le requérant a pu faire l’acquisition de deux terrains, dans le cadre dudit projet, bénéficiant ainsi de la politique menée par le régime syrien.

158    En deuxième lieu, l’article du 9 janvier 2018 du site Internet « The Syria Report » précise qu’il est rare d’obtenir une licence d’exploitation d’une compagnie aérienne en Syrie et que, en substance, il faut avoir un lien avec le régime syrien pour se la voir accorder.

159    Or, le requérant a confirmé avoir obtenu une telle licence contre rétribution et a expliqué avoir été directement contacté par téléphone par une personne de l’administration syrienne afin de se voir soumettre l’opportunité d’en obtenir une, alors même que, selon ses propres termes, il n’a soumis aucune demande en ce sens.

160    À titre surabondant, le Tribunal relève qu’il ressort des éléments d’information provenant des sites Internet « The Syria Report » et « Enab Baladi News » que le requérant est proche du régime syrien, a organisé le retour de syriens en Syrie pour les élections présidentielles et a été reconnu par les médias officiels syriens comme ayant fourni une aide financière aux familles des martyrs et des blessés de l’armée syrienne. Or, le requérant n’a pas contesté ces affirmations de manière circonstanciée.

161    Par conséquent, il résulte de ce qui précède que le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour démontrer que le requérant a bénéficié des politiques menées par le régime syrien, en ayant obtenu une licence pour l’exploitation d’une compagnie aérienne, mais également en s’étant vu offrir la conclusion de deux contrats avec Damascus Cham Holding, bien qu’il ait finalement décidé de se retirer du projet Marota City.

162    Dès lors, le second motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause est bien-fondé, de sorte que, le premier motif étant également bien-fondé, il convient de rejeter le deuxième moyen.

3.      Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

163    Le requérant soutient que le Conseil a violé ses droits de la défense en ayant présenté des motifs insuffisants ou non étayés et une motivation vague, ainsi qu’en n’ayant pas recherché ou évalué la pertinence, la fiabilité et la validité des faits allégués dans les éléments de preuve émanant de médias sur lesquels il s’est appuyé au soutien de l’inscription de son nom sur les listes en cause.

164    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

165    Il convient de constater, à l’instar du Conseil, que le requérant n’a développé aucune argumentation propre à démontrer une violation de ses droits de la défense, au sens de la jurisprudence qu’il mentionne, à savoir les arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461), et du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran (C‑27/09 P, EU:C:2011:853).

166    Or, en vertu de l’article 76, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, la requête doit notamment contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. En outre, indépendamment de toute question de terminologie, cet exposé doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Il faut, en effet, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même, et ce afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice. À cet égard, il n’appartient pas au Tribunal d’aller rechercher dans l’ensemble des éléments invoqués au soutien d’un premier moyen si ces éléments peuvent également être utilisés au soutien d’un second moyen (voir arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑162/10, EU:T:2015:283, point 356 et jurisprudence citée).

167    Dès lors que le requérant se borne à renvoyer à ce qu’il a exposé dans le cadre des premier et deuxième moyens, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme étant irrecevable.

4.      Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits de propriété du requérant, de sa liberté d’exercer une activité économique et du principe de proportionnalité

168    Tout d’abord, le requérant fait valoir que sa liberté d’exercer une activité économique est intimement liée à son droit de propriété et est donc engagée et altérée par toute infraction à son droit de propriété. Dès lors, elle devrait faire l’objet du même niveau de contrôle juridictionnel complet et rigoureux.

169    Ensuite, le requérant indique que l’inscription de son nom sur les listes en cause a porté un préjudice considérable à son activité et à sa réputation tant professionnelle que personnelle, mais aussi à ses activités charitables, notamment l’entretien et la gestion d’un orphelinat pour les enfants syriens.

170    Enfin, dès lors qu’il n’aurait pas et n’exercerait pas d’activités commerciales spécifiquement ou généralement interdites par le régime de mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie et qu’il n’aurait pas soutenu ou tiré profit du régime syrien, l’inscription de son nom sur les listes en cause ne serait pas une mesure nécessaire pour servir les objectifs généraux de ce régime de mesures restrictives et ne saurait, ainsi, être proportionnée.

171    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

172    Il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que les droits fondamentaux invoqués par le requérant, à savoir le droit de propriété, consacré par l’article 17 de la Charte, la liberté d’exercer une activité économique, consacrée par les articles 15 et 16 de la Charte, et, en substance, le droit au respect de la vie privée et familiale, tel que prévu par l’article 7 de la Charte, ne sont pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Ainsi, toute mesure restrictive économique ou financière comporte, par définition, des effets qui affectent le droit de propriété, la réputation ainsi que l’activité économique de la personne ou de l’entité qu’elle vise, causant ainsi des préjudices à cette dernière. L’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause est toutefois de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour les personnes ou les entités concernées (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 115).

173    En outre, il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2017, Bank Tejarat/Conseil, T‑346/15, non publié, EU:T:2017:164, point 149 et jurisprudence citée).

174    De plus, si le respect des droits fondamentaux constitue une condition de la légalité des actes de l’Union, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, en droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage de ces droits, à condition qu’elles répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 97 et jurisprudence citée).

175    En ce qui concerne le droit de propriété et la liberté d’exercer une activité économique du requérant, il convient, certes, de relever que les droits du requérant sont restreints dans une certaine mesure du fait des mesures restrictives prises à son égard, dès lors qu’il ne peut pas, notamment, disposer de ses fonds éventuellement situés sur le territoire de l’Union, ni les transférer vers l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières. De même, les mesures visant le requérant peuvent avoir un impact sur ses activités professionnelles ou sa réputation en raison des mêmes motifs et des limitations prévues quant à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire européen.

176    Cependant, en l’occurrence, l’adoption de mesures restrictives à l’encontre du requérant revêt un caractère adéquat, dans la mesure où elle s’inscrit dans un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection des populations civiles. En effet, le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrer sur le territoire de l’Union concernant des personnes identifiées comme étant impliquées dans le soutien du régime syrien ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 100 et jurisprudence citée).

177    Quant au caractère prétendument disproportionné de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, force est de rappeler que l’article 28, paragraphe 6, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi que l’article 16 du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques (voir, par analogie, arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 127 et jurisprudence citée). Ainsi, au regard, en particulier, de l’aide que le requérant souhaite apporter à un orphelinat pour enfants syriens et qui serait compromise en raison des mesures restrictives adoptées à son égard, il y a lieu de relever que le requérant n’a pas fait valoir avoir présenté une demande afin de pouvoir utiliser ses biens et ses fonds dans cet objectif et que cette demande aurait été rejetée.

178    Enfin, il convient de rappeler que l’importance des objectifs poursuivis par les actes attaqués est de nature à justifier que ceux-ci aient pu avoir des conséquences négatives, même considérables, y compris en ce qui concerne le droit à la réputation, pour le requérant sans que cela affecte leur légalité (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 191).

179    Il en résulte que, étant donné l’importance primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, les restrictions aux droits du requérant et l’atteinte à sa réputation causées par les actes attaqués sont justifiées par un objectif d’intérêt général et ne sont pas disproportionnées au regard des buts visés.

180    Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient de rejeter le quatrième moyen.

C.      Sur la demande de mesure d’instruction

181    Le requérant a exprimé le souhait d’être entendu lors de l’audience de plaidoiries.

182    Il convient de rappeler que les mesures d’instruction ordonnées par le Tribunal, au nombre desquelles figure, conformément à l’article 91, sous a), du règlement de procédure, la comparution personnelle des parties, relèvent du pouvoir discrétionnaire du Tribunal. Par conséquent, celui-ci est libre de décider s’il y a lieu ou non d’ordonner de telles mesures (voir ordonnance du 8 février 2018, HB e.a./Commission, C‑336/17 P, non publiée, EU:C:2018:74, point 26 et jurisprudence citée).

183    Or, en l’espèce, le requérant n’a pas expliqué les raisons justifiant qu’il comparaisse personnellement devant le Tribunal. En outre, les éléments contenus dans le dossier, à savoir les écritures et leurs annexes produits par les parties, de même que les observations et les éléments de preuve fournis par celles-ci, en réponse tant aux mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal qu’aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience, sont suffisants pour permettre au Tribunal de se prononcer, celui-ci ayant pu utilement statuer sur la base des conclusions, des moyens et des arguments développés en cours d’instance et eu égard aux documents déposés par les parties.

184    Il s’ensuit que la demande de mesure d’instruction doit être rejetée ainsi que le recours dans son intégralité.

IV.    Sur les dépens

185    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Mazen Al-Tarazi est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Gervasoni

Madise

Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 avril 2021.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur la compétence du Tribunal pour se prononcer sur les premier et troisième chefs de conclusions de la requête

B. Sur le fond

1. Sur le premier moyen, tiré d’une motivation insuffisante ou non étayée de la désignation du requérant

2. Sur le deuxième moyen, tiré de l’erreur d’appréciation

a) Considérations liminaires

b) Sur la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil

c) Sur le premier motif d’inscription

1) Sur les contrats signés avec Damascus Cham Holding

2) Sur la licence d’exploitation d’une compagnie aérienne

3) Sur l’hôtel Sheraton Sidnaya Hotel and Resort

4) Sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie du requérant

d) Sur le second motif d’inscription

3. Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

4. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits de propriété du requérant, de sa liberté d’exercer une activité économique et du principe de proportionnalité

C. Sur la demande de mesure d’instruction

IV. Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.