Language of document : ECLI:EU:T:2019:115

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

28 février 2019 (*)

[Texte rectifié par ordonnance du 12 mars 2019]

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Droits de la défense – Droit à une protection juridictionnelle effective – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Droit à l’honneur et à la réputation – Droit de propriété – Présomption d’innocence – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑440/16,

Souruh SA, établie à Damas (Syrie), représentée par Me E. Ruchat, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par Mme S. Kyriakopoulou, MM. G. Étienne et A. Vitro, puis par Mme Kyriakopoulou et M. Vitro et enfin par Mme Kyriakopoulou, MM. Vitro et V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2016/850 du Conseil, du 27 mai 2016, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2016, L 141, p. 125), et de ses actes subséquents d’exécution, de la décision (PESC) 2017/917 du Conseil, du 29 mai 2017, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2017, L 139, p. 62), et de la décision (PESC) 2018/778 du Conseil, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2018, L 131, p. 16), en tant que ces actes concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Gratsias, président, Mme I. Labucka et M. I. Ulloa Rubio (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Souruh SA, est une société de droit syrien.

2        Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques en Syrie et lançant un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la force, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 9 mai 2011, la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie. Compte tenu de la gravité de la situation, le Conseil a institué un embargo sur les armes, une interdiction des exportations de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne, des restrictions à l’admission dans l’Union européenne ainsi qu’un gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

3        Les noms des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que ceux des personnes, physiques ou morales, et des entités qui leur sont liées sont mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273. En vertu de l’article 5 de cette décision, le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, peut modifier ladite annexe. Le nom de la requérante ne figure pas dans cette annexe.

4        Toutefois, figurent à la ligne 8 du tableau de l’annexe de la décision 2011/273 le nom de Rami Makhlouf ainsi que diverses mentions, dont la date de l’inscription dudit nom sur la liste en cause, en l’occurrence le « 09.05.2011 », la date et le lieu de naissance ainsi que le numéro de passeport de M. Makhlouf et les motifs suivants : « [h]omme d’affaires syrien ; personne associée à Maher Al-Assad ; finance le régime permettant la répression contre les manifestants ».

5        Par la décision 2011/628/PESC, du 23 septembre 2011, modifiant la décision 2011/273 (JO 2011, L 247, p. 17), le Conseil a appliqué les mesures restrictives en cause à d’autres personnes et entités et a mis à jour le texte figurant à l’annexe I de la décision 2011/273. Figurent à la ligne 5 du tableau de l’annexe I relatif aux entités le nom de la requérante, ainsi que diverses mentions, dont la date de l’inscription de son nom sur la liste en cause, son adresse, ses numéros de téléphone, son numéro de fax, son adresse de courriel, son site Internet et les motifs suivants : « [i]nvestissements dans des projets liés à l’industrie militaire nationale, fabrication de pièces détachées et d’articles connexes destinés à l’armement ; société détenue à 100 % par Rami Makhlouf ».

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mars 2012, la requérante a introduit un recours en annulation, enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro d’affaire T‑102/12, à l’encontre d’actes ultérieurs à la décision 2011/628.

7        Le 31 mai 2013, le Conseil a adopté la décision 2013/255/PESC, concernant les mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14). Le nom de la requérante figure à la ligne 17 du tableau de l’annexe I relatif aux entités avec des motifs modifiés de la sorte : « [i]nvestissements dans des projets liés à l’industrie militaire nationale, fabrication de pièces détachées et d’articles connexes destinés à l’armement ; la majorité des parts de la société est détenue par Rami Makhlouf ».

8        Par lettre du 14 avril 2014, à la suite de la demande de la requérante des 20 mai et 8 août 2013, le Conseil a fourni à celle-ci l’ensemble des documents sur la base desquels a été fondée la décision de la maintenir sur la liste des personnes concernées (portant les références 7987/14, CM 4460/2/11 REV 2, MD 204/11 RELEX, 14110/11 ADD 1 REV 1, MD 214/11 RELEX, CM 4545/11, CM 3055/13, MD 85/13 RELEX, CM 3064/13, 9781/13).

9        Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 6 mai 2014, soit quelques jours avant la date d’audience prévue, la requérante a informé le Tribunal qu’elle se désistait du recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑102/12.

10      Par sa décision 2014/309/PESC, du 28 mai 2014, modifiant la décision 2013/255 (JO 2014, L 160, p. 37), le Conseil a notamment prorogé les mesures restrictives en cause jusqu’au 1er juin 2015.

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 août 2014, la requérante a introduit un recours en annulation enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro d’affaire T‑612/14, à l’encontre de la décision 2014/309 et ses actes subséquents, dans la mesure où ces actes la concernaient.

12      Par lettre du 22 juillet 2014, le Conseil a communiqué à la requérante son intention de maintenir son nom inscrit sur la liste en cause et de modifier l’exposé des motifs fondant cette inscription, en lui fournissant le texte de ce nouvel exposé des motifs. Le Conseil a également invité la requérante à fournir ses éventuelles observations avant le 22 août 2014.

13      Par sa décision d’exécution 2014/730/PESC, du 20 octobre 2014, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2014, L 301, p. 36), le Conseil a modifié les motifs retenus à l’encontre de la requérante, pour ne plus retenir que le motif suivant : « [l]a majorité des parts de la société est détenue, directement ou indirectement, par Rami Makhlouf ».

14      Par la décision (PESC) 2015/837, du 28 mai 2015, modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 132, p. 82), le Conseil a notamment prorogé les mesures restrictives en cause jusqu’au 1er juin 2016.

15      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 14 juillet 2015, soit la veille de la date d’audience prévue, la requérante a informé le Tribunal qu’elle se désistait de son recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑612/14.

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 août 2015, la requérante a introduit un recours en annulation enregistré sous le numéro d’affaire T‑468/15, à l’encontre de la décision 2015/837 et de ses actes subséquents d’exécution, dans la mesure où ils la concernaient.

17      Par la décision (PESC) 2015/1836 du Conseil, du 12 octobre 2015, modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75), la rédaction de l’article 28 de la décision 2013/255 a été modifiée. Cet article prévoit désormais notamment le gel des fonds et des ressources économiques appartenant à des entités soutenant le régime en place ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les « hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » ainsi que des « membres des familles Assad ou Makhlouf », sauf si des « informations suffisantes indiqu[e]nt qu[e ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime ».

18      Par lettre du 28 février 2016, la requérante a notamment demandé que son nom soit retiré de la liste en cause.

19      Par sa décision (PESC) 2016/850, du 27 mai 2016, modifiant la décision 2013/255 (JO 2016, L 141, p. 125), le Conseil a prorogé les mesures restrictives en cause jusqu’au 1er juin 2017.

20      Par lettre du 1er juin 2016, le Conseil a notifié à la requérante une copie de la décision 2016/850.

21      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 juin 2016, la requérante a informé le Tribunal qu’elle se désistait de son recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑468/15.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

22      Par lettre du 28 février 2017, la requérante a notamment demandé que son nom soit retiré de la liste en cause et que le Conseil lui transmette, dans l’hypothèse d’un maintien de son nom sur cette liste, l’ensemble des éléments à charge retenus contre elle.

23      Par la décision (PESC) 2017/917 du Conseil, du 29 mai 2017, modifiant la décision 2013/255 (JO 2017, L 139, p. 62), le Conseil a prorogé les mesures restrictives en cause jusqu’au 1er juin 2018.

24      Par lettre du 30 mai 2017, le Conseil a notifié à la requérante une copie de la décision 2017/917.

25      Par la décision (PESC) 2018/778, du 28 mai 2018, modifiant la décision 2013/255 (JO 2018, L 131, p. 16), le Conseil a prorogé les mesures restrictives en cause jusqu’au 1er juin 2019.

26      Par lettre du 30 mai 2018, le Conseil a notifié à la requérante une copie de la décision 2018/778.

 Procédure et conclusions des parties

27      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 août 2016, la requérante a introduit le présent recours.

28      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 18 août 2016, le Conseil a demandé la suspension de la procédure dans la présente affaire jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire T‑410/16, Makhlouf/Conseil.

29      Par décision du 14 septembre 2016, le président de la septième chambre du Tribunal a ordonné la suspension de la présente affaire jusqu’au prononcé de la décision du Tribunal mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑410/16, Makhlouf/Conseil.

30      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

31      Le 23 mai 2017, le Tribunal (cinquième chambre) a invité les parties, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, à lui présenter leurs observations sur les conséquences à tirer, pour la présente affaire, de l’arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil (T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349). Les parties ont déféré à cette demande.

32      Par un premier mémoire en adaptation de la requête déposé au greffe du Tribunal le 8 août 2017, la requérante a sollicité également l’annulation de la décision 2017/917, dans la mesure où elle la concerne.

33      Par lettre du 18 juin 2018, le Tribunal a invité les parties, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, à lui présenter leurs observations sur les conséquences à tirer de l’arrêt du 14 juin 2018, Makhlouf/Conseil (C‑458/17 P, non publié, EU:C:2018:441), pour la solution du présent litige.

34      Par mémoires déposés au greffe du Tribunal respectivement le 3 et le 4 juillet 2018, le Conseil et la requérante ont déféré à cette demande.

35      Par un second mémoire en adaptation de la requête déposé au greffe du Tribunal le 8 août 2018, la requérante a sollicité également l’annulation de la décision 2018/778, dans la mesure où elle la concerne.

36      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties principales dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

37      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision 2016/850, et ses actes subséquents d’exécution, ainsi que la décision 2017/917 et la décision 2018/778 (ci-après, dénommées ensemble, les « décisions attaquées ») dans la mesure où ces actes la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

38      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité, y compris les conclusions figurant dans les mémoires en adaptation ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulées en ce qui concerne la requérante, ordonner le maintien de leurs effets en ce qui concerne la requérante jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui-ci.

 En droit

 Sur la recevabilité

39      En l’espèce, la requérante demande notamment l’annulation, dans la mesure où ils la concernent, tant de la décision 2016/850 que de ses actes subséquents d’exécution.

40      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le contrôle du Tribunal ne peut porter que sur les actes d’ores et déjà adoptés par le Conseil, identifiés avec suffisamment de précision par la partie requérante et attaqués dans la requête (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 29 et jurisprudence citée).

41      Ainsi, le recours ne saurait être déclaré recevable qu’en tant qu’il porte sur les actes mentionnés par le requérant dans la requête et les mémoires en adaptation de la requête, à savoir uniquement les décisions attaquées et non les actes subséquents d’exécution de la décision 2016/850.

 Sur le fond

42      À titre liminaire, il convient de relever que les décisions attaquées ont été adoptées sur le fondement de l’article 29 TUE qui attribue compétence au Conseil pour adopter des décisions qui définissent la position de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 31 et jurisprudence citée).

43      C’est également sur la base de l’article 29 TUE que le Conseil a adopté la décision 2015/1836 (arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 32).

44      Or, aux termes du considérant 6 de la décision 2015/1836 :

« Le Conseil a estimé que, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et d’hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’est en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein. Le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour imposer des restrictions à l’admission des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, identifiés par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, ainsi que pour geler tous les fonds et ressources économiques qui leur appartiennent, qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par eux, afin de les empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il modifie sa politique de répression. »

45      De même, aux termes du considérant 7 de la décision 2015/1836 :

« Le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour geler tous les fonds et ressources économiques appartenant à certains membres des familles Assad et Makhlouf, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes possèdent, détiennent ou contrôlent, ainsi que pour imposer des restrictions à l’admission de ces personnes, identifiées par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, tant pour influencer directement le régime par le biais de membres de ces familles afin que celui-ci modifie sa politique de répression, que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres de ces familles. »

46      Ainsi, dans sa nouvelle rédaction, l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255 prévoit que « sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes relevant des catégories suivantes, de même que tous les fonds et ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent, à savoir [...] les femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie [ainsi que] les membres des familles Assad ou Makhlouf ». En outre, le paragraphe 3 de cet article prévoit que ces personnes « ne sont pas inscrites ou maintenues sur la liste des personnes et entités qui figure à l’annexe I s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas, ou ne sont plus, liées au régime ou qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas associées à un risque réel de contournement ».

47      Au soutien du recours, la requérante invoque quatre moyens d’annulation. Le premier moyen est tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de la requérante, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation, et le quatrième, d’une violation des droits fondamentaux.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

48      La requérante soutient que le Conseil a violé ses droits de la défense et son droit à un procès équitable prévu par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), l’article 215 TFUE et les articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce que, notamment, les décisions attaquées ne prévoient aucune procédure permettant de lui garantir un exercice effectif de ses droits de la défense, notamment de son droit à être entendue.

49      En particulier, premièrement, la requérante fait observer que, si elle a pu faire valoir ses arguments auprès du Conseil à la suite de l’adoption de la décision 2013/255, cette possibilité ne lui a pas été donnée préalablement à l’adoption des décisions attaquées.

50      Deuxièmement, la requérante souligne que le Conseil n’a fourni aucune réponse exhaustive dans sa lettre du 30 mai 2017 aux observations qu’elle lui a envoyées par lettre du 28 février 2017.

51      Troisièmement, la requérante relève que ni la décision 2013/255, ni la décision 2014/309, ni la décision 2015/837, ni la décision 2016/850 ne prévoient de moyen de recours quelconque permettant d’assurer le respect des droits fondamentaux ainsi que le droit au respect de la protection des données à caractère personnel.

52      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

53      Il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 41 et jurisprudence citée).

54      Quant au droit à une protection juridictionnelle effective, qui est consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, il exige que l’intéressé puisse connaître des motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause. L’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 42 et jurisprudence citée).

55      En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature des actes en cause, du contexte, de leur adoption et des règles juridiques régissant les matières concernées (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 43 et jurisprudence citée).

56      Enfin, le Conseil est soumis à l’obligation de respecter le principe de bonne administration, consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux, auquel se rattache, selon une jurisprudence constante, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 44 et jurisprudence citée).

57      S’agissant du premier argument de la requérante, selon lequel la possibilité de faire valoir ses arguments ne lui a pas été donnée préalablement à l’adoption des décisions attaquées, il convient de rappeler que, dans le cadre de l’adoption d’une décision maintenant le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives, le Conseil doit respecter le droit de cette personne ou de cette entité d’être préalablement entendue lorsqu’il retient à son égard, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur la liste en cause, de nouveaux éléments, à savoir des éléments qui ne figuraient pas dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette liste (arrêt du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 33).

58      Or, il importe de relever que, en ce qui concerne la requérante, les décisions attaquées ne contiennent aucun nouvel élément à charge à l’encontre de celle-ci par rapport à ceux énoncés dans la décision 2013/255.

59      Il était donc loisible au Conseil de seulement notifier a posteriori les décisions attaquées, ce qu’il a fait par sa lettre du 1er juin 2016 (voir point 20 ci-dessus) en ce qui concerne la décision 2016/850, par sa lettre du 30 mai 2017 (voir point 24 ci-dessus) en ce qui concerne la décision 2017/917 et par sa lettre du 30 mai 2018 (voir point 26 ci‑dessus) en ce qui concerne la décision 2018/778.

60      S’agissant du deuxième argument de la requérante selon lequel le Conseil n’a pas fourni, dans sa lettre du 30 mai 2017, de réponse exhaustive aux observations qu’elle lui avait envoyées par lettre du 28 février 2017 (voir point 22 ci-dessus), il importe de relever que le Conseil, par lettre du 14 avril 2014 (voir point 8 ci-dessus), avait fourni à celle-ci des explications quant aux raisons justifiant le maintien de son nom sur la liste en cause en lui communiquant l’ensemble des pièces qui avaient fondé ledit maintien (portant les références 7987/14, CM 4460/2/11 REV 2, MD 204/11 RELEX, 14110/11 ADD 1 REV 1, MD 214/11 RELEX, CM 4545/11, CM 3055/13, MD 85/13 RELEX, CM 3064/13, 9781/13). En particulier, le Conseil a indiqué dans cette lettre que « eu égard à la participation majoritaire que détient Monsieur Rami Makhlouf dans le capital de [la requérante], directement ou du fait des sociétés qu’il détient, l’inscription [du nom de la requérante] dans la liste des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives est justifiée ».

61      Dans sa lettre du 1er juin 2016 (voir point 20 ci-dessus), le Conseil a invité la requérante à lui soumettre ses observations relatives au maintien de son nom sur la liste en cause avant le 1er mars 2017, ce que la requérante a fait par sa lettre du 28 février 2017.

62      De même, la lettre du Conseil du 30 mai 2017 visait à la fois à répondre à la lettre de la requérante du 28 février 2017, à informer celle-ci du maintien de son nom sur la liste en cause et à l’inviter à présenter ses observations avant le 1er mars 2018, c’est-à-dire « avant que le Conseil n’envisage le renouvellement des mesures restrictives » pour une nouvelle année.

63      Or, force est de constater que la lettre de la requérante du 28 février 2017 ne contient aucun élément supplémentaire par rapport à sa lettre du 28 février 2016. Il importe d’ailleurs de souligner que la lettre du 28 février 2017, qui mentionnent en objet tant M. Makhlouf que les personnes et entités qui lui sont liées telles que la requérante, ne comportent toutefois aucun développement relatif à celle-ci. De plus, comme il vient d’être rappelé, le Conseil n’a pas modifié les motifs du maintien de l’inscription du nom de cette dernière sur la liste en cause depuis la décision 2014/730.

64      Dès lors, la requérante ne peut affirmer que les motifs justifiant le maintien de l’inscription de son nom sur la liste en cause et les pièces appuyant ceux-ci ne lui ont pas été communiqués. Force est de constater que la requérante a pu faire connaître utilement son point de vue sur les motifs retenus.

65      Il était donc également loisible au Conseil de seulement répondre, dans sa lettre du 30 mai 2017, que les informations fournies par la requérante dans sa lettre du 28 février 2017 ne constituaient pas de nouveaux éléments susceptibles de modifier sa position.

66      S’agissant du troisième argument de la requérante selon lequel les décisions attaquées ne peuvent pas faire l’objet d’un recours effectif, il suffit de constater qu’un tel recours peut être introduit dans les conditions prévues à l’article 275, second alinéa, TFUE et à l’article 263, quatrième et sixième alinéas, TFUE, comme il ressort du présent recours en annulation. Au demeurant, il convient de souligner que le présent recours est le quatrième recours de la requérante qui concerne le maintien de l’inscription de son nom sur la liste en cause, et que celle-ci s’est désistée des trois premiers recours.

67      Ainsi, aucun des arguments avancés par la requérante ne démontre, en l’espèce, une violation des articles 6 et 13 de la CEDH, de l’article 215 TFUE ou des articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux.

68      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

69      La requérante soutient que la motivation fournie par le Conseil ne satisfait pas à l’obligation qui incombe aux institutions de l’Union européenne en vertu de l’article 6 de la CEDH, de l’article 296 TFUE et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux.

70      Le motif invoqué par le Conseil selon lequel elle est sous le contrôle de M. Makhlouf ne permettrait pas de répondre à cette obligation.

71      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

72      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 56 et jurisprudence citée).

73      Selon une jurisprudence également constante, la motivation exigée par l’article [Tel que rectifié par ordonnance du 12 mars 2019] 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 57 et jurisprudence citée).

74      La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure de gel de fonds doit identifier les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles celui-ci considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 58 et jurisprudence citée).

75      Cependant, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 59 et jurisprudence citée).

76      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 60 et jurisprudence citée).

77      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 61 et jurisprudence citée).

78      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le deuxième moyen.

79      Il doit être relevé d’emblée que le Conseil fonde l’inclusion du nom de la requérante dans la liste en cause sur le motif suivant : « [l]a majorité des parts de la société est détenue, directement ou indirectement, par Rami Makhlouf ».

80      Il y a lieu de considérer que cette motivation, même brève, satisfait aux règles rappelées aux points 72 et suivants ci-dessus. Il n’est en effet pas contestable qu’une telle motivation est susceptible de permettre à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été maintenu sur la liste en cause.

81      D’ailleurs, ainsi que cela ressort de l’argumentation de la requérante dans la requête, la motivation fournie par le Conseil a été, de toute évidence, suffisante aux fins de lui permettre d’introduire le présent recours et de permettre au juge de l’Union d’opérer son contrôle de légalité (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 72). Par ailleurs, au vu de la nature du motif sur lequel est fondée le maintien de l’inscription du nom de la requérante sur la liste en cause et qui porte sur un fait clair la concernant, à savoir que la majorité de ses parts est détenue, directement ou indirectement, par M. Makhlouf, elle ne saurait valablement prétendre que ledit motif lui est incompréhensible.

82      Il y a donc lieu de rejeter les arguments de la requérante selon lesquels la motivation fournie par le Conseil est imprécise.

83      Dès lors, le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

84      La requérante avance que le motif selon lequel elle est sous le contrôle de M. Makhlouf ne peut que découler des liens familiaux de celui-ci avec le président Bashar Al-Assad. Or, le seul lien familial ne permettrait pas de l’associer aux membres du régime, et ce a fortiori lorsqu’il s’agit d’un cousin. Il ne serait dès lors pas possible d’établir une présomption de soutien au régime de la part de la requérante du seul fait de la participation de M. Makhlouf dans son capital.

85      Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

86      Selon une jurisprudence constante, l’effectivité du contrôle juridictionnel garantie par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne ou d’une entité déterminée sur les listes de personnes ou d’entités visées par les sanctions, le juge de l’Union s’assure que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 74 et jurisprudence citée).

87      Il incombe à l’autorité compétente de l’Union, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits par l’autorité en question étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 75 et jurisprudence citée).

88      L’appréciation du bien‑fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 76 et jurisprudence citée).

89      En outre, compte tenu de la situation en Syrie, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe si elle fait état devant le juge de l’Union, d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime combattu (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 77 et jurisprudence citée).

90      En l’espèce, il convient de rappeler que l’inscription du nom de la requérante dans l’annexe litigieuse est fondée sur l’unique motif selon lequel la majorité de ses parts est détenue, directement ou indirectement, par M. Makhlouf.

91      À cet égard, il y a d’abord lieu de relever que, selon la requérante, il n’est « pas possible d’établir une présomption de soutien au régime [de la part de celle-ci] du seul fait de la participation de Rami Makhlouf » dans son capital.

92      Il y a donc lieu de constater que la requérante ne conteste pas de manière convaincante ses liens économiques avec M. Makhlouf. À cet égard, il convient de relever que la requérante n’a pas non plus contesté l’indication portée dans la lettre du Conseil du 14 avril 2014 (voir point 8 ci-dessus) selon laquelle M. Makhlouf détient une « participation majoritaire » dans son capital.

93      En outre, d’une part, il résulte des statuts de la requérante, fournis par le Conseil en annexe du mémoire en défense, que M. Makhlouf détient 30,81 % des parts de la requérante (voir, sur l’opposabilité d’une information fournie au cours de la procédure juridictionnelle, arrêts du 12 mai 2016, Bank of Industry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, non publié, EU:C:2016:338, points 81 et 82 ; du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine/Conseil, T‑10/13, EU:T:2015:235, points 182, 183 et 185, et du 29 avril 2015, National Iranian Gas Company/Conseil, T‑9/13, EU:T:2015:236, points 163 et 164).

94      D’autre part, il résulte du même document que la société Ramak Group for Investment Company Limited (ci-après « Ramak ») détient également 30,81 % des parts de la requérante. Or, selon le Conseil, et sans que la requérante conteste cette affirmation, M. Makhlouf serait l’unique propriétaire de Ramak. Ainsi, M. Makhlouf détiendrait, au total, 61,62 % des parts de la requérante.

95      En tout état de cause, il convient encore de relever que le certificat d’enregistrement de la requérante au registre du commerce syrien de janvier 2012, également fourni par le Conseil en annexe du mémoire en défense, indique que M. Makhlouf est le vice‑président de la requérante, et que l’un des membres du directoire est Ramak, représentée par M. Makhlouf en tant que vice-président.

96      Or, premièrement, M. Makhlouf a été inscrit sur la liste des personnes visées par les mesures en cause à la ligne 8 du tableau de l’annexe de la décision 2011/273 (voir point 4 ci‑dessus). Cette inscription a été renouvelée depuis lors, en dernier lieu par la décision 2018/778.

97      Deuxièmement, par arrêt du 14 juin 2018, Makhlouf/Conseil (C‑458/17 P, non publié, EU:C:2018:441), la Cour a rejeté le pourvoi contre l’arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil (T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349), qui avait rejeté le recours introduit par M. Makhlouf tendant à l’annulation de la décision 2016/850 par laquelle le Conseil avait maintenu le nom de celui-ci sur la liste en cause.

98      Troisièmement, ainsi que cela a été rappelé au point 46 ci‑dessus, aux termes de l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle qu’elle est applicable en l’espèce, « [s]ont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes relevant [des] membres [de la famille] Makhlouf ». Force est de constater que, au regard de ce critère, le lien capitalistique existant entre M. Makhlouf et la requérante est suffisant pour justifier l’inscription du nom de cette dernière sur la liste des entités visées par les mesures restrictives.

99      Au demeurant, l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255 dispose également que « sont gelés [...] tous les fonds et ressources économiques [que des membres de la famille Makhlouf] contrôlent ». Or, force est également de constater que, par le lien capitalistique susmentionné ainsi que par les positions de M. Makhlouf énumérées aux points 92 et suivants ci‑dessus, celui-ci est susceptible d’exercer un contrôle sur la requérante.

100    De la sorte, la non-inscription du nom de la requérante sur ladite liste entraînerait un risque réel de contournement des mesures prises à l’encontre de M. Makhlouf.

101    Il y a donc lieu de constater que le motif de maintien du nom de la requérante dans l’annexe litigieuse n’est entaché d’aucune erreur d’appréciation.

102    Dès lors, il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des droits fondamentaux

103    Premièrement, la requérante soutient que les mesures restrictives adoptées à son égard, conduisant de fait à une interdiction d’exercer son activité économique, ne sont pas proportionnées aux objectifs poursuivis par le Conseil.

104    Deuxièmement, la requérante fait valoir que, en maintenant l’inscription de son nom sur la liste en cause, le Conseil l’a clairement identifiée comme faisant partie des responsables de la répression violente exercée en Syrie, nuisant ainsi à son honneur et à sa réputation, droit pourtant protégé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

105    Troisièmement, la requérante affirme qu’il est manifeste que les sanctions en cause ont été prises à son égard sans que sa culpabilité ait été légalement établie, alors que la présomption d’innocence est inscrite à l’article 48 de la charte des droits fondamentaux et à l’article 6 de la CEDH.

106    Quatrièmement, la requérante soutient que le gel de tous ses avoirs constituerait une mesure d’ingérence dans son droit de propriété.

107    Le Conseil conteste les arguments de la requérante.

108    En ce qui concerne le premier argument de la requérante, relatif au principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que ce principe fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 106 et jurisprudence citée).

109    Ensuite, si le respect des droits fondamentaux constitue une condition de la légalité des actes de l’Union, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, en droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage de ces droits, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 107 et jurisprudence citée).

110    Enfin, il a été considéré que, lorsqu’un acte imposant des mesures restrictives avait été adopté sans fournir aucune garantie réelle permettant à l’intéressé d’exposer sa cause aux autorités compétentes, l’imposition de telles mesures constituait une restriction injustifiée de son droit (arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 108 et jurisprudence citée).

111    En l’occurrence, l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la requérante revêt un caractère adéquat, dans la mesure où elle s’inscrit dans un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection des populations civiles. En effet, le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union concernant des personnes identifiées comme soutenant le régime syrien ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 109 et jurisprudence citée).

112    En ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures en cause, il convient de constater que des mesures de remplacement moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir la lutte contre le financement du régime syrien, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 110 et jurisprudence citée).

113    En outre, les décisions attaquées ont été adoptées dans le respect de toutes les garanties permettant à la requérante d’exercer ses droits de la défense, comme cela a été relevé aux points 53 à 66 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 111).

114    Il y a donc lieu de rejeter le premier argument de la requérante.

115    En ce qui concerne le deuxième argument de la requérante, tiré d’une atteinte à son honneur et à sa réputation, il convient, tout d’abord, de rappeler que si la Cour européenne des droits de l’homme a admis que le droit d’une personne à la protection de sa réputation était couvert par l’article 8 de la CEDH, en tant qu’élément du droit au respect de la vie privée, elle a également précisé qu’il existait une différence entre l’atteinte à la réputation d’une personne et l’atteinte à la réputation commerciale, cette dernière étant dépourvue de dimension morale (arrêt du 12 février 2015, Akhras/Conseil, T‑579/11, non publié, EU:T:2015:97, point 152). En l’espèce, la requérante ne saurait, par définition, invoquer une atteinte à son honneur, cette dernière notion revêtant une dimension purement morale et n’étant pas applicable à une entreprise commerciale.

116    Quant à l’atteinte à la réputation, il y a lieu de rappeler que ce droit n’est pas une prérogative absolue et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Ainsi, toute mesure restrictive économique ou financière comporte, par définition, des effets qui affectent la réputation de la personne ou de l’entité qu’elle vise, causant ainsi des préjudices à cette dernière. L’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause est toutefois de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour les personnes ou les entités concernées (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 119 et jurisprudence citée).

117    En effet, une éventuelle atteinte à la réputation est inhérente au système de gel des fonds et est proportionnelle à l’objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection des populations civiles (voir point 111 ci‑dessus).

118    D’ailleurs, il convient de constater que la requérante n’a apporté aucun élément concret au soutien de cette allégation, ni quant au lien de causalité qui existerait entre cette atteinte et l’inclusion de son nom dans la liste.

119    Il y a donc lieu de rejeter le deuxième argument de la requérante.

120    En ce qui concerne le troisième argument de la requérante, concernant une atteinte à la présomption d’innocence, il doit être rappelé que ce principe, énoncé à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH et à l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, constitue un droit fondamental qui confère aux particuliers ou aux entités dirigées par des particuliers, des droits dont le juge de l’Union garantit le respect (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 122 et jurisprudence citée).

121    Le principe de la présomption d’innocence, qui exige que toute personne accusée d’une infraction soit présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, ne s’oppose pas à l’adoption de mesures conservatoires de gel de fonds, dès lors que celles-ci n’ont pas pour objet d’engager une procédure pénale à l’encontre de la personne ou de l’entité visée. De telles mesures doivent cependant, compte tenu de leur gravité, être prévues par la loi, être adoptées par une autorité compétente et présenter un caractère limité dans le temps. Il résulte du point 42 ci‑dessus que ces deux premiers critères sont remplis. En outre, s’agissant du caractère limité dans le temps, il convient de constater que, aux termes du considérant 1 de la décision 2013/255 telle que modifiée par les décisions attaquées, celle-ci s’applique pendant douze mois, fait l’objet d’un suivi constant et peut être prorogée ou modifiée le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. Les mesures imposées à la requérante ont donc bien un caractère limité dans le temps (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 123 et jurisprudence citée.)

122    De plus, il y a lieu de relever que les mesures restrictives en cause n’entraînent pas une confiscation des avoirs des intéressés en tant que produit du crime, mais un gel à titre conservatoire. Ces mesures ne constituent donc pas une sanction et n’impliquent par ailleurs aucune accusation de cette nature (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 124 et jurisprudence citée).

123    En effet, les décisions attaquées ne constituent pas une constatation du fait qu’une infraction a été effectivement commise, mais ont été adoptées dans le cadre et aux fins d’une procédure de nature administrative ayant une fonction conservatoire et ayant pour unique but de permettre au Conseil de garantir la protection des populations civiles (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 125 et jurisprudence citée).

124    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le maintien de l’inscription du nom de la requérante sur la liste litigieuse ne viole pas le principe de la présomption d’innocence (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 126 et jurisprudence citée).

125    Il convient donc de rejeter le troisième argument de la requérante.

126    En ce qui concerne le quatrième argument de la requérante, relatif à une violation du droit de propriété, il convient de relever que ce droit fait partie des principes généraux du droit de l’Union et se trouve consacré à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 114 et jurisprudence citée).

127    Cependant, selon une jurisprudence constante, ce droit fondamental ne jouit pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage de ce droit, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 115 et jurisprudence citée).

128    Il en résulte que, étant donné l’importance primordiale de la protection des populations civiles en Syrie et les dérogations envisagées par la décision 2013/255, les restrictions au droit de propriété évoquées par la requérante ne sont pas disproportionnées (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 116 et jurisprudence citée).

129    Il y a donc lieu de rejeter le quatrième argument de la requérante ainsi que le quatrième moyen dans son ensemble.

130    Dès lors, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

131    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

132    En l’espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.


2)      Souruh SA est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Conseil de l’Union européenne.



Gratsias

Labucka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 février 2019.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

      D. Gratsias


*      Langue de procédure : le français.