Language of document : ECLI:EU:C:2008:206

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Dámaso Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 8 avril 2008 (1)

Affaire C‑297/07

Staatsanwaltschaft Regensburg

contre

Klaus Bourquain

[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Regensburg (Allemagne)]

«Demande préjudicielle au titre de l’article 35 UE – Acquis de Schengen – Convention d’application de l’accord de Schengen – Interprétation de l’article 54 – Principe ne bis in idem – Condamnation par contumace – Force de chose jugée – Condition de non-exécution de la peine»





I –    Introduction

1.        Au cours des cinq dernières années, la Cour a précisé les contours un peu flous du principe ne bis in idem dans une jurisprudence (2) à laquelle j’ai eu l’honneur de contribuer (3) et dont la vocation à avoir une portée générale n’est en rien obscurcie par les spécificités de chaque cas d’espèce.

2.        Tout comme pour la contemplation d’un tableau, une appréciation d’ensemble exige de prendre ses distances par rapport à l’objet pour ne pas courir le risque que la rétine ne capte que les traits, la texture et la masse de couleurs, sans réussir à appréhender la signification globale de l’œuvre.

3.        Cela peut quelquefois être particulièrement difficile, comme dans la présente affaire, qui a été ouverte en partie à la suite du comportement paradoxal d’une personne qui prétend assurer son bien-être personnel en invoquant sa propre condamnation à mort, (4) prononcée 47 ans auparavant, pour faire jouer le principe ne bis in idem. C’est là la grandeur et la servitude du droit.

II – Cadre juridique

A –    L’acquis de Schengen

4.        Ce corpus juridique comprend:

a)      l’accord signé le 14 juin 1985 dans la localité luxembourgeoise qui lui donne son nom, par les États formant l’Union économique Benelux, la République fédérale d’Allemagne et la République française, relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (5);

b)      la convention d’application de cet accord, conclue le 19 juin 1990 (6), (ci-après la Convention) qui établit des mesures de coopération pour compenser la disparition de ces contrôles;

c)      les protocoles et les instruments d’adhésion d’autres États membres, les déclarations et les actes adoptés par le comité exécutif institué par la Convention, ainsi que ceux pris par les instances auxquelles ce comité exécutif attribue des pouvoirs de décision (7).

5.        Le protocole (nº 2) annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne (ci-après, le «protocole») intègre ce corpus de normes dans le cadre de l’Union; en vertu de son article 2, paragraphe 1, premier alinéa, il s’applique aux treize États énumérés à l’article 1er (8) depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam (le 1er mai 1999).

6.        La décision 2007/801/CE du Conseil, du 6 décembre 2007 (9), a notablement élargi le champ d’application territoriale de l’acquis de Schengen, en déclarant que les dispositions de ce dernier s’appliquent désormais pleinement à la République tchèque, à la République d’Estonie, à la République de Lettonie, à la République de Lituanie, à la République de Hongrie, à la République de Malte, à la République de Pologne, à la République de Slovénie et à la République slovaque.

7.        Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne (10) et d’Irlande du Nord  ainsi que l’Irlande (11) ne se sont pas associés pleinement à ce projet commun et ont opté pour une participation ponctuelle.

8.        Depuis leur adhésion à l’Union européenne, la République de Chypre, (12)la République de Bulgarie et la Roumanie (13)sont certes liées par le corpus de normes précité, mais il faudra l’intervention du Conseil pour vérifier si les conditions nécessaires à l’application de celles-ci sont remplies.

9.        Concernant les pays non membres de l’Union européenne, l’article 6 du protocole impose à la République d’Islande et au Royaume de Norvège de mettre en œuvre et de développer l’acquis de Schengen, qui s’applique dans ces États depuis le 25 mars 2001 (14). En outre, un accord d’association avec la Confédération suisse prévoit la mise en œuvre, l’application et le développement de cet acquis (15) et il est probable que la Principauté de Liechtenstein adhère à cet accord en vertu d’un projet de décision élaboré par le Conseil (16).

10.      D’après le préambule du protocole, l’objectif est de renforcer l’intégration européenne pour permettre à l’Union de devenir plus rapidement un espace de liberté, de sécurité et de justice.

11.      Se fondant sur l’article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, du protocole, le Conseil a adopté, le 20 mai 1999, les décisions 1999/435/CE et 1999/436/CE, relatives à la définition de l’accord de Schengen en vue de déterminer, conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, la base juridique des normes qui constituent l’acquis (17).

B –    En particulier, le principe ne bis in idem

12.      Le titre III de la convention, intitulé «Police et sécurité», débute par un chapitre consacré à la «coopération policière» (articles 39 à 47), suivi d’un autre qui traite de l’«entraide judiciaire en matière pénale» (articles 48 à 53).

13.      Le chapitre 3, intitulé «Application du principe ne bis in idem», se compose des articles 54 à 58, qui sont fondés sur les articles 34 UE et 31 UE, selon l’article 2 et l’annexe A de la décision 1999/436.

14.      L’article 54 se lit comme suit:

«Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation.»

C –    Le droit français

15.      Je partage les réflexions de certains des intervenants dans le débat préjudiciel (18) sur la paucité des informations contenues dans l’ordonnance de renvoi au sujet de la teneur exacte des dispositions françaises applicables (19).

16.      Toutefois, l’article 120 du code français de justice militaire (20) permettait au contumax de faire opposition dans les cinq jours de la notification du jugement et, dans le cas, au demeurant habituel dans les procédures par contumace, où la notification n’était pas certaine, il permettait au condamné de faire opposition tant que l’exécution de la peine n’était pas prescrite.

17.      Pour sa part, le code de procédure pénale (21) prévoyait, en ce qui concerne les crimes, un délai de prescription de la peine de vingt ans à compter de son prononcé (22).

18.      Il résulte de l’exégèse conjointe de ces normes que le jugement par contumace dont la notification n’est pas établie (23) devient irrévocable (24) vingt ans après son prononcé, sans oublier qu’en l’espèce le délai de prescription coïncide avec celui accordé pour demander la révision (25).

III – Faits, litige au principal et question préjudicielle

19.      Le 26 janvier 1961, M. Klaus Bourquain, un ressortissant allemand engagé dans la légion étrangère française (26), a été jugé, déclaré coupable d’homicide et condamné à mort par contumace par le Tribunal permanent des forces armées de la zone est-constantinoise, à Bône (27).

20.      Appliquant le code pénal français alors en vigueur, ce tribunal militaire a considéré comme établi que le 4 mai 1960, alors qu’il avait entrepris de déserter à la frontière entre l’Algérie et la Tunisie, dans la province d’El Tarf (28), M. Bourquain avait abattu d’un coup de feu un autre soldat de la légion étrangère, également de nationalité allemande, qui voulait l’empêcher de fuir.

21.      S’étant réfugié en République démocratique allemande, le condamné n’a jamais comparu devant le tribunal et la peine n’a pas été exécutée, même si les biens de l’intéressé ont été mis sous séquestre pour garantir le recouvrement des dépens.

22.      Il n’y a pas eu d’autre procédure pénale contre M. Bourquain en France et en Algérie; en revanche, les autorités de la République fédérale d’Allemagne ont, en 1962, délivré un mandat d’arrêt à l’adresse de la République démocratique allemande, qui l’a rejeté.

23.      En 2002, la Staatsanwaltschaft Regensburg (le parquet de Ratisbonne) a entrepris des démarches en vue de faire juger M. Bourquain en Allemagne, pour les mêmes faits.

24.      Mais, à cette date, la peine imposée par le jugement du 26 janvier 1961 ne pouvait être exécutée en France: (1) en effet, ce pays avait, en 1968, amnistié  (29) les infractions commises par ses militaires pendant les événements en Algérie; (2) la prescription est intervenue en 1981 et (3) la peine de mort a été abolie (30) la même année.

25.      Dans ces circonstances, le Landgericht Regensburg a demandé un avis consultatif au Max-Planck-Institut für ausländisches und internationales Strafrecht (Institut Max-Planck de droit pénal international et étranger, ci-après, l’«institut Max-Planck»), qui a estimé que, même si son exécution immédiate était exclue en raison des particularités du droit français, le jugement par contumace était formellement et matériellement passé en force de chose jugée, ce qui interdisait l’ouverture d’un nouveau procès pénal.

26.      En outre, la même juridiction a demandé au ministère de la Justice français de lui dire, au titre de l’article 57 de la convention, si les autorités françaises étaient d’avis que le jugement du 26 janvier 1961 s’opposait à l’ouverture d’un nouveau procès en Allemagne, en raison de l’article 54 de la convention.

27.      Tout en estimant que le principe ne bis in idem n’était pas applicable, le procureur du Tribunal aux armées de Paris a confirmé que le jugement était passé en force de chose jugée, qu’il était irrévocable depuis 1981 et qu’il ne pouvait plus être exécuté en France, la peine étant prescrite (31).

28.      Ce tissu d’opinions divergentes renforce les doutes conçus par le Landgericht Regensburg, dont l’ordonnance de renvoi vise à déterminer si l’article 54 de la convention exige que la peine ait été exécutable à un moment quelconque. D’après le raisonnement de la juridiction de renvoi, le droit de demander l’ouverture d’un nouveau procès pendant le délai de prescription (32)a pour conséquence que la peine ne peut être mise à exécution qu’après l’expiration de ce délai, qui serait l’instant précis où la prescription de la peine est acquise (33).

29.      En conséquence, le Landgericht Regensburg a sursis à statuer et a saisi la Cour de justice de la question préjudicielle suivante:

«Une personne définitivement jugée par une partie contractante peut-elle être poursuivie par une autre partie contractante pour le même fait lorsqu’en vertu du droit de l’État de condamnation, la peine qui a été prononcée à l’encontre de cette personne n’a jamais pu être exécutée?»

IV – Procédure devant la Cour

30.      La décision de renvoi a été enregistrée au greffe de la Cour le 21 juin 2007.

31.      Des observations écrites ont été présentées dans le délai prévu à l’article 23 du statut CE de la Cour de justice par M. Bourquain, par la Commission des Communautés européennes ainsi que par les gouvernements tchèque, hongrois, néerlandais et portugais.

32.      Après que j’eus été informé le 27 février 2008, postérieurement à la réunion générale du 19 février, que le délai pour solliciter la tenue d’une audience avait expiré le 25 sans que nul ne se soit manifesté, la voie était libre pour présenter les conclusions.

V –    Analyse de la question préjudicielle

A –    Observations liminaires sur le ne bis in idem dans l’acquis de Schengen

1.      Les deux manifestations du principe

33.      La Cour ne reconnaît pas la même portée au principe ne bis in idem selon que celui-ci est appliqué en matière de concurrence (34) ou dans le cadre du «troisième pilier» de l’Union européenne: si elle affirme l’interdiction de la double sanction dans ces deux domaines, ce n’est que dans le second (35) qu’elle étend l’application du principe à la possibilité d’être traduit en justice deux fois pour les mêmes faits (nemo debet bis vexari pro una et eadem causa).

34.      La pleine reconnaissance des jugements étrangers en matière pénale constituait un véritable défi pour le droit communautaire et la Cour de justice l’a relevé sans éluder sa responsabilité en proclamant, pour la libre circulation des personnes, que l’article 54 de la Convention garantit l’exercice de cette liberté fondamentale à toute personne qui a été définitivement jugée, sans qu’elle doive craindre de nouvelles poursuites pénales pour des faits qui ont déjà fait l’objet d’un jugement (36).

2.      Ses fondements traditionnels

35.      L’article 54 de la convention s’oppose à ce que, en raison d’un même comportement illicite, une personne soit poursuivie pénalement et, éventuellement, condamnée plusieurs fois, dans la mesure où ce cumul de poursuites et de sanctions a pour conséquence inadmissible l’exercice répété du ius puniendi (37).

36.      La sécurité juridique garantit à l’accusé dans un procès pénal qu’il ne sera pas traduit en justice une deuxième fois pour le même comportement, s’il est acquitté, et qu’il ne fera pas l’objet d’une nouvelle sanction, s’il est condamné.

37.      On ne saurait au demeurant négliger le rôle de soutien de la proportionnalité joué par l’équité, qui interdit le cumul des sanctions (38); en effet, si – en plus de la réinsertion (39) – toute sanction poursuit une double finalité, répressive et dissuasive, en punissant le comportement des uns et en décourageant les autres de l’imiter, elle doit aussi assurer la pondération de ces finalités, en maintenant un juste équilibre afin de sanctionner le comportement en cause, tout en étant exemplaire.

38.      Enfin, en tant qu’exigence structurelle du système juridique, la légitimité du ne bis in idem repose également sur le respect de la chose jugée.

3.      Les derniers développements

a)      De la confiance entre États…

39.      Cette notion, assez jeune dans la construction d’une justice pénale européenne, est sous-jacente au principe de reconnaissance mutuelle (40) introduit au point 33 des conclusions du Conseil européen de Tampere du 16 octobre 1999 (41).

40.      Le point 10 des motifs de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (42), postule directement un degré de confiance élevé entre les États membres.

41.      Tout cela laissait présager que la Cour ne tarderait pas à se prononcer, ce qu’elle a fait à la première occasion (43) en soulignant l’importance de la confiance mutuelle, condition essentielle de l’application de l’article 54 de la convention en vertu de laquelle chaque État membre doit accepter la façon dont le droit pénal est appliqué dans les autres, même quand le sien conduit à une solution différente; en d’autres termes, du point de vue des effets, la ratio de la confiance mutuelle se teinte d’utilitarisme en appuyant le principe de reconnaissance mutuelle.

42.      Cependant, si cette clarification par la Cour facilite la résolution de certaines affaires, elle est insuffisante dans d’autres cas, surtout parce que ce système de coopération renforcée donne aux différents juges nationaux un rôle de premier plan, qui exige des dons très marqués en matière d’interprétation (44).

43.      Un moyen adéquat de surmonter les situations de confusion pourrait être l’harmonisation (45) du droit pénal et de la procédure pénale des États membres, tant il est vrai que les réticences pour adopter des décisions dans ce domaine de l’ordre juridique se dissipent normalement dès la constatation que les décisions pénales prononcées dans un autre État présentent des garanties identiques.

44.      Pour l’heure, le ne bis in idem continue d’arborer la bannière de la confiance partagée puisque, indépendamment du point de savoir si la convergence sera un jour réalité, l’article 54 de la convention n’est pas tributaire d’un rapprochement des législations pénales entre les États (46); au contraire, l’absence de rapprochement renforce encore sa portée.

45.      Si chaque État doit présumer que certaines conditions, en particulier en matière de droits fondamentaux, sont respectées par tous les autres, l’expérience indique que la confiance mutuelle est un principe normatif, qui concentre les normes d’interprétation des obligations relatives au «troisième pilier» en jouant un rôle équivalent à celui du principe de la coopération loyale (47).

46.      Bien qu’elle ait sa source dans le champ abstrait de la coopération entre États, la reconnaissance mutuelle se matérialise dans ce que les garanties individuelles ont de plus tangible (48) et conduit à la vérification de standards usuels dans le domaine des droits subjectifs, où son invocation habituelle par les opérateurs juridiques accroît la probabilité d’arriver à une compréhension commune.

b)      … à la reconnaissance d’un droit pour l’individu

47.      Malgré les progrès, détacher les libertés majeures (comme celle de circulation) de l’interdiction de traduire en justice ou de sanctionner «deux fois pour les mêmes faits» exige encore des efforts considérables, dont la justification se ressent du niveau d’intégration atteint dans une Union européenne qui conçoit le citoyen comme titulaire de droits et bénéficiaire ultime des normes (49).

48.      Mais je ne vois aucun inconvénient à compléter les normes (sans les remplacer) d’une coopération entre États fondée sur la confiance mutuelle par une vision tendant à appliquer les droits fondamentaux comme point de référence (50),car le ne bis in idem s’analyse, face au ius puniendi, comme une émanation de la protection juridictionnelle qui découle du droit à un procès équitable (51) et il a d’ailleurs rang constitutionnel dans certains des États parties au système de Schengen (52).

49.      Dans la mesure où elle acquiert sa véritable densité normative avec l’élaboration d’un droit subjectif au traitement unitaire de l’action répressive (53), la règle du ne bis in idem est ancrée dans un substrat solide qui contribue à couvrir les vulnérabilités (54) de certaines institutions, comme la prescription, la chose jugée ou les multiples théories de la proportionnalité que le seul recours à la confiance mutuelle entre États (55) ne permet pas de résoudre de manière satisfaisante.

50.      Cet horizon s’est éclairci avec la proclamation autonome du ne bis in idem dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (56), dont l’article 50 dispose que «nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi».

51.      Parmi les multiples facettes des droits fondamentaux, une importance spéciale doit être reconnue aux limites et aux exceptions qu’ils donnent à la reconnaissance mutuelle (57), à condition de correspondre à des principes communs à tous les États membres (58).

B –    La notion de «jugement définitif»

52.      Les termes dans lesquels le Landgericht Regensburg a formulé la question montrent que son problème est simplement celui de la portée de l’article 54 de la convention qui interdit de poursuivre une nouvelle fois les mêmes faits lorsque, en cas de condamnation, la sanction «ne [peut] plus être exécutée».

53.      Toutefois, il faut examiner d’abord si la condamnation par contumace constitue un «jugement définitif», au sens de la disposition précitée, compte tenu de l’impossibilité d’exécution immédiate de la sanction due à l’obligation de tenir un nouveau procès dans les cas où le contumax a été repris.

1.      Son interprétation

54.      L’arrêt Kretzinger, précité, a éludé ce débat (59) en estimant au point 67 qu’il n’était pas «nécessaire d’examiner la question de savoir si un jugement rendu par défaut, dont la force exécutoire peut être subordonnée à des conditions en vertu de l’article 5, point 1, de la décision-cadre, doit être considéré comme une décision par laquelle une personne ‘a été définitivement jugée’ au sens de l’article 54 de CAAS».

55.      Toutefois, la Cour a retenu un critère extensif, qui réaffirme la nécessité de respecter, au sein de l’Union européenne, les décisions mettant fin à la situation procédurale de la personne poursuivie selon la législation de l’État dans lequel les démarches correspondantes ont été entamées.

56.      Elle a ainsi inclus dans la notion de jugement définitif l’extinction de l’action publique lorsque le Parquet ordonne le classement sans l’intervention d’un organe juridictionnel (affaire Gözütok et Brügge) ainsi que les décisions qui acquittent le prévenu définitivement pour insuffisance de preuves (affaire Van Straaten) ou en raison de la prescription du délit (affaire Gasparini e.a.).

57.      En outre, même si les différentes versions linguistiques de l’article 54 de la Convention présentent des divergences (60), la raison téléologique pour laquelle il faut soutenir la circulation des personnes s’inscrit de façon univoque dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice, dont la réalisation serait compromise si les particularités des procédures nationales ne permettaient pas de retenir une conception généreuse de la notion de jugement définitif.

58.      Dans l’idéal, la res judicata (61) confère au jugement un état juridique non modifiable par quelque moyen que ce soit, faute de voie de recours ou parce que le recours n’a pas été introduit dans le délai légal (62).

2.      Le jugement prononcé par contumace

59.      Les différences de conception entre États sur la notion de décision judiciaire prise in absentia font obstacle à une coopération sans heurts en matière pénale; cela a d’ailleurs été relevé dans des initiatives récentes (63) qui s’efforcent d’introduire un embryon d’unité en organisant les critères autour de règles communes destinées à réduire ces différences.

60.      En l’espèce, un éventuel jugement ultérieur compromettrait apparemment, au regard de l’article 54 de la convention, le caractère «définitif» du jugement du tribunal de Bône.

61.      Mais le doute était temporaire, puisque, comme l’affirme le procureur du Tribunal aux armées de Paris, le jugement avait acquis force de chose jugée en 1981, c’est-à-dire avant le début du procès en Allemagne; or cette déclaration (64) ne peut être contestée à l’échelon du droit communautaire.

62.      La Cour doit cependant réaliser que l’article 54 de la convention n’exige pas que le jugement devienne définitif au moment de son prononcé, puisqu’il suffit que cette condition soit remplie au moment où commence le deuxième procès (65); or, pour M. Bourquain, le deuxième procès a commencé en 2002, alors que la décision du tribunal militaire avait déjà acquis force de chose jugée, au sens de la réglementation française.

63.      Au demeurant, d’après divers instruments juridiques (66), la présence du prévenu permet de mettre en œuvre sa défense et son droit à un procès équitable (67); d’ailleurs, la décision-cadre 2002/584 (68) permet d’exiger de l’État qui prétend exécuter une sanction prononcée par défaut des assurances suffisantes que le condamné peut demander un nouveau procès dans lequel ses droits fondamentaux seront garantis.

64.      Transformer cette garantie pour l’accusé en une condition annulant l’application d’autres droits conduirait à une situation absurde, qui se réaliserait si l’application du principe ne bis in idem était limitée aux décisions qui excluent toute révision à son avantage.

65.      Pour les raisons exposées ci-dessus, la condamnation prononcée en l’absence de l’intéressé doit être considérée comme «définitive» aux fins de l’application de l’article 54 de la convention.

C –    La condition relative à la «non-exécution de la sanction»

66.      Dans la présente affaire, tous s’accordent à dire que, quand le procès a été entamé en Allemagne, la sanction n’était pas exécutable en France parce que, d’une part, elle était prescrite et que, d’autre part, ce pays avait aboli la peine capitale et avait promulgué une loi d’amnistie pour les événements en Algérie.

67.      Mais la question du Landgericht Regensburg vise à déterminer si l’entrave à l’exécution de la sanction doit être postérieure à son imposition, ce qui est la thèse du gouvernement hongrois lorsqu’il soutient que l’article 54 de la convention admet que les obstacles se présentent a posteriori, mais n’envisage pas l’hypothèse d’une sanction qui serait d’emblée impossible à mettre en œuvre, comme en l’espèce, où la non comparution de M. Bourquain rendait irréalisable l’organisation d’un nouveau procès pour matérialiser la sanction.

68.      Le même gouvernement s’appuie sur les termes «ne puisse plus être exécutée» figurant à l’article 54 pour en déduire a contrario que la sanction devait avoir été exécutable à un moment antérieur.

69.      Cet argument n’est pas convaincant, car le sens des mots n’est pas toujours une référence adéquate, comme la Cour l’a souligné quelques fois (69); en outre, à mon avis, la brièveté de l’expression indique uniquement que la sanction devient exécutoire lorsqu’on veut ouvrir le nouveau procès et non avant, ce qui préserve l’effet utile de la norme.

70.      Cependant, l’article 54 concerne des normes pénales nationales qui, en raison de leur nature de ultima ratio, excluent toute interprétation extensive (70) contraire au principe de légalité (71) en vigueur dans les traditions communes aux États et explicitement (72) intégré dans le droit communautaire (73)

71.      Sans préjudice de ces observations, la réflexion du gouvernement néerlandais sur la difficulté d’imaginer qu’un jugement définitif inflige des sanctions non exécutables (74) n’est pas dénuée d’intérêt.

72.      L’appréciation de la portée de la norme qui affirme le caractère exécutoire de la sanction et non du jugement, requiert une attention particulière.

73.      Sous cette réserve, il faut distinguer entre jugement exécutable et jugement exécutoire (75); en effet, si la réglementation française ne permet pas d’exécuter la sanction sans un nouveau procès, elle n’affecte en rien la valeur du jugement pris en tant que titre juridique se projetant ipso jure sur la personne et le patrimoine du prévenu, comme le montrent la vérification de la responsabilité de M. Bourquain dans un nouveau procès s’il avait été retrouvé ainsi que la mise sous séquestre de ses biens.

74.      En parallèle, la sanction deviendrait exécutoire une fois surmonté l’obstacle procédural qui lui enlevait toute portée pratique, sans d’ailleurs porter atteinte à sa validité intrinsèque (76), qu’il faut distinguer de son efficacité.

75.      Pour toutes les raisons développées ci-dessus, je propose que la Cour interprète l’article 54 de la convention en ce sens qu’il s’applique également à la sanction prononcée dans un jugement définitif qui, en raison des particularités procédurales du droit national, n’aurait jamais pu être exécuté.

D –    De l’amnistie, du ne bis in idem et de leurs natures divergentes

76.      Si je n’examine pas la façon dont l’abolition de la peine de mort et la prescription de la sanction font obstacle à l’exécution du jugement du tribunal de Bône, ce n’est pas pour éluder le problème, mais parce que l’évidence de la réponse, d’une part, et le respect de la compétence exclusive du juge national, d’autre part, rendent superflu et inapproprié de développer ce sujet.

77.      Néanmoins, la prudence impose de réfléchir, fût-ce brièvement, sur les implications de l’amnistie, étant donné la variété des formes prises par ce mécanisme exceptionnel de clémence dans les divers systèmes juridiques.

78.      Le protocole additionnel II à la convention de Genève (77) rattache l’amnistie à la notion de pacification et de réconciliation après des périodes de convulsions ayant entraîné des affrontements violents au sein d’une communauté.

79.      Il s’agit d’apaiser des sentiments à l’étiologie très précise, générés par des événements collectifs qui ont ouvert une fracture politique et sociale au sein d’une population donnée.

80.      Cette terminologie vise, si elle est prise dans un sens large (78), toutes les mesures de pardon ou de remise de peine, y compris la grâce (79); dans d’autres conceptions, elle vise uniquement des décisions prises par le parlement suivant la procédure prévue pour l’adoption des lois.

81.      Malgré l’existence en Europe, en ce qui concerne ces mesures de clémence, de différences perceptibles au regard de critères aussi différents que la typologie, la finalité, voire la nature des délits susceptibles d’en faire l’objet (80), ces mesures gardent toutes pour effet de pouvoir éteindre le ius puniendi dans tous les États et d’aboutir à ce que des autorités non judiciaires abrogent les effets d’un jugement pénal (81).

82.      Cet ensemble de mesures de clémence, diverses par les idées qui les sous-tendent, mais uniformes par les objectifs qu’elles poursuivent, correspond en bloc à de véritables gestes de volonté politique, fondés sur des principes d’opportunité qui plongent leurs racines dans la souveraineté des États dans la gestion de leurs conflits intérieurs.

83.      En matière de ne bis in idem communautaire, la confiance mutuelle ne devrait pas englober les cas de non-exécution d’une sanction dus à la mise en œuvre de ces facultés exorbitantes par les pouvoirs nationaux, car, dans ces hypothèses, la logique de la reconnaissance mutuelle cesse d’opérer dans la sphère de l’application judiciaire de la loi, dont elle est alors détournée par des facteurs à forte composante sociologique et politique.

84.      Ce n’est pas par hasard que la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen fait de l’amnistie l’un des motifs obligatoires de non-exécution, lorsque l’État requis est compétent pour poursuivre l’infraction selon sa propre loi pénale (article 3, paragraphe 1).

85.      Du point de vue des droits fondamentaux, l’amnistie ne permet pas non plus de justifier la non-exécution de la peine par application du principe ne bis in idem; en effet, indépendamment du fait qu’elle peut devenir un instrument dangereux pour la mise en œuvre de ces droits (82), force est de constater encore une fois l’intervention de deux dimensions différentes, tant il est vrai que l’amnistie se fonde sur une base étrangère aux valeurs des droits fondamentaux et s’applique dans le cadre de paramètres si vagues et si aléatoires qu’ils échappent à tout critère de rationalité juridique et excluent toute possibilité de contrôle juridictionnel (83).

VI – Conclusion

86.      Par ces motifs, je propose à la Cour de justice de répondre à la question préjudicielle dans le sens suivant:

«L’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, signée le 19 juin 1990, doit être interprété en ce sens qu’une personne définitivement jugée dans un État ne peut être poursuivie dans un autre État pour les mêmes faits lorsque, en vertu du droit de l’État de condamnation, la peine qui a été prononcée à l’encontre de cette personne n’a jamais pu être exécutée».


1 – Langue originale: l’espagnol.


2 – La Cour a eu affaire à ce principe à sept reprises: arrêts du 11 février 2003, Gözütok et Brügge (C-187/01 et C-385/01, Rec. p. I-1345); du 10 mars 2005, Miraglia (C-469/03, Rec. p. I-2009); du 9 mars 2006, Van Esbroeck (C-436/04, Rec. p. I-2333); du 28 septembre 2006, Van Straaten (C-150/05, Rec. p. I-9327); du 28 septembre 2006, Gasparini e.a. (C-467/04, Rec. p. I-9199); du 18 juillet 2007, Kretzinger (C-288/05, Rec. p. I-6441), et du 18 juillet 2007, Kraaijenbrink (C‑367/05, Rec. p. I-6619).


3 – Dans les affaires Gözütok et Brügge, Van Esbroeck et Van Straaten, j’ai présenté des conclusions respectivement le 19 septembre 2002, le 20 octobre 2005 et le 8 juin 2006. À l’exception de l’affaire Miraglia, dans laquelle il n’y a pas eu de conclusions, c’est l’avocat général Sharpston qui a présenté des conclusions le 15 juin 2006 dans l’affaire Gasparini e.a. et le 5 décembre 2006 dans les affaires Kretzinger et Kraaijenbrink.


4 – Nietzsche F.,El crepúsculo de los ídolos, Alianza Editorial, Madrid, 2006, p. 34. Dans l’aphorisme 8 des Maximes et pointes, où il parle de l’École de guerre de la vie, F. Nietzsche montre – sur la toile de fond constituée par la volonté de survivre – la capacité du genre humain à exploiter l’adversité: «Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort». En Espagne, on dirait «lo que no mata engorda».


5 –      JO 2000, L 239, p. 13.


6 –      JO 2000, L 239, p. 19.


7 –      JO 2000, L 239, p. 63 et suiv.


8 – Le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la République d’Autriche, la République portugaise, la République italienne, la République de Finlande, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et le Royaume de Danemark, ce dernier jouissant toutefois d’un statut particulier, qui lui permet de se soustraire aux décisions adoptées dans ce domaine.


9 – JO L 323, p. 34.


10 – Décisions du Conseil 2000/365/CE, du 29 mai 2000 (JO L 131, p. 43), et 2004/926/CE, du 22 décembre 2004, (JO L 395, p. 70) relatives à la mise en œuvre de certaines parties de l’acquis de Schengen par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.


11 – Il a été répondu à la demande présentée par ce pays par la décision 2002/192/CE du Conseil, du 28 février 2002 (JO L 64, p. 20).


12 – Article 3, paragraphe 2, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion (JO 2003, L 236, p. 50).


13 – Article 4, paragraphe 2, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion (JO 2005, L 157, p. 203).


14 – Le 19 décembre 1996, les treize États membres de l’Union alors signataires des accords de Schengen et les États nordiques susmentionnés ont signé, à Luxembourg, un accord ad hoc, auquel a fait suite l’accord conclu le 18 mai 1999 par le Conseil de l’Union européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège sur l’association de ces deux États à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen (JO L 176, p. 36). En vertu de l’article 15, paragraphe 4, de ce dernier accord, le Conseil était chargé de fixer une date d’entrée en vigueur dudit accord pour les nouvelles parties contractantes, tâche qu’il a accomplie par sa décision 2000/777/CE, du 1er décembre 2000 (JO L 309, p. 24), en indiquant, de façon générale, le 25 mars 2001 (article 1er).


15 – Approuvé par décision 2004/860/CE du Conseil, du 25 octobre 2004 (JO L 370, p. 78).


16 – Proposition de décision du Conseil du 1er décembre 2006, [COM (2006), 752 final].


17 – JO L 176, p. 1 et 17, respectivement.


18 – Spécifiquement celles du gouvernement hongrois, au point 8 de ses observations.


19 – Il est regrettable que la République française ou la République fédérale d’Allemagne ne soient pas intervenues, car cela aurait permis de combler certaines lacunes.


20 – Bien que ce code soit aujourd’hui abrogé, la version qui était en vigueur en 1958, qui remontait elle-même à une loi du 9 mars 1928, est applicable ratione temporis à la situation dans le litige au principal.


21 – Article 133.2 du code actuellement en vigueur et articles 639, 640 et 763 du texte qui était applicable à la date de l’homicide.


22 – Au point 27 de ses observations, la République portugaise invoque l’article 639 du code français de procédure pénale, dont il découle que la prescription de la peine commence à courir avant l’arrestation du condamné par contumace: «si le contumax se constitue prisonnier ou s’il est arrêté avant que la peine soit éteinte par prescription [...]».


23 – Rien n’indique en l’espèce que le jugement ait été notifié au condamné.


24 – Le terme français qui caractérise cet état est celui d’«irrévocabilité», qui se réfère à un jugement formellement définitif.


25 – Cela résulte du rapport établi par le procureur du Tribunal aux armées de Paris, auquel je me référerai de façon plus détaillée dans la suite de mon analyse.


26 – Indépendamment de son intervention dans la guerre d’Algérie, ce corps d’élite des troupes françaises, créé en 1831 par le roi Louis-Philippe I, a écrit au Mexique le 30 avril 1863 une des pages les plus célèbres de son histoire, avec la bataille de Camarón, où quelque 65 soldats commandés par Jean Danjou ont résisté pendant dix longues heures à l’assaut de milliers de soldats de l’armée régulière mexicaine. Cet épisode a été transformé en roman, avec une grande rigueur, par J. Mañes, dans El mito de Camerone, 2° éd., Hergué Editorial, Huelva, 2005.


27 – Il s’agit de l’actuelle Annaba, une ville d’Algérie connue dans l’Antiquité sous le nom d’Hipona, dont Saint-Augustin a été l’évêque de 396 à 430.


28 – Nonobstant la barrière infranchissable entre la réalité et la fiction, les circonstances de ce triste événement ne peuvent manquer de faire penser à L’Étranger (Camus, A., El Extranjero, Alianza Editorial, Madrid, 2003) où, avec un existentialisme sans fard, le prix Nobel de littérature, né en Algérie, relate les tribulations de Meursault, un personnage totalement indifférent à la mort de sa mère ou à l’occasion de mariage qui s’offre à lui et qui pousse l’apathie jusqu’à tirer au revolver sur «l’Arabe», au seul motif qu’il a été ébloui par le reflet du soleil sur le couteau de ce dernier; son apathie se prolonge même pendant le procès à l’issue duquel il sera condamné à mort, puisqu’il provoque l’hilarité de l’assistance en déclarant que son action n’a pas eu d’autre mobile que l’astre du jour.


29 – Loi du 31 juillet 1968.


30 – Loi nº 81-908, du 9 octobre (Journal officiel du 10 octobre 1981, p. 2759). Récemment, à la suite de la réforme apportée par la loi constitutionnelle nº 2007-239, du 23 février 2007 (Journal officiel du 24 février 2007, p. 3355), la République française a intégré cette abolition dans le texte de l’article 66 de sa Constitution.


31 – Il y a là une contradiction patente puisque, indépendamment du point de savoir si la sanction n’a pas été subie ou si elle n’est pas actuellement en cours d’exécution, l’autre condition d’application du principe est qu’elle «ne puisse plus être exécutée» selon les lois de l’État de condamnation.


32 – J’insiste sur le fait qu’il s’agit de délais qui courent en parallèle.


33 – C’est de propos délibéré que j’évite toute considération sur la non-exécution de la sanction en raison de l’amnistie, car cet aspect ressortit à la compétence exclusive du juge national, sans préjudice de la compétence de la Cour pour analyser son impact éventuel dans le cadre de l’article 54 de la convention.


34 – L’arrêt du 14 décembre 1972, Boehringer Mannheim/Commission (7/72, Rec. p. 1281), en a fait un principe général du droit communautaire.


35 – Vervaele, J., «El principio non bis in idem en Europa», dans La orden de detención et entrega europea, Arroyo, L., et Nieto, A., éd. de la Universidad de Castilla-La Mancha, Cuenca, 2006, p. 229, souligne la portée limitée du principe en droit de la concurrence.


36 – Points 38, 32, 57 et 27, respectivement, des arrêts prononcés dans les affaires Gözütok et Brügge, Miraglia, Van Straaten et Gasparini e. a.


37 – Conclusions dans les affaires Gözütok et Brügge (points 48 et suiv.) et Van Esbroeck (points 18 et suiv.).


38 – Même si le prosaïsme du sujet n’incite guère à lui prodiguer un traitement littéraire, on ne peut manquer de songer à la façon dont Alexandre Dumas (Impressions de voyage, Michel Lévy Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1855, p. 57) aborde le principe précité, qu’il rattache, sur le mode plaisant et sans prétendre à la rigueur juridique, à la difficulté d’appliquer deux fois la même sanction, lorsqu’il décrit la méthode infaillible appliquée par le «cadi» pour simplifier l’action de la justice au Caire; en effet, quand un voleur est pris, on lui coupe une oreille, de sorte qu’en cas de récidive, «il n’y a pas de dénégation possible, à moins que l’oreille n’ait repoussé, ce qui est rare. Alors on coupe l’autre, en vertu de cet axiome de droit, non bis in idem».


39 – Henzelin, M., «Ne bis in idem, un principe à géométrie variable», Revue Pénale Suisse, tome 123, 2005, fasc. 4, Stämpfli éditions SA, p. 347.


40 – Ce principe devrait être accepté sans réticences puisque, comme le rappelle à juste titre Moreiro González, C. J., dans Las claúsulas de seguridad nacional, éd. Iustel, Portal Derecho S. A., Madrid, 2007, p. 132 et 133, le consentement de l’État est le principe créateur des normes internationales et fait surgir la question principale des obligations qui les lient.


41 – Peu de temps après, la notion de confiance est explicitée dans le programme de mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales (JO 2001, C 12, p. 10), pour «renforcer la coopération entre États membres, mais aussi la protection des droits des personnes [...] La mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales suppose une confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes de justice pénale respectifs. Cette confiance repose en particulier sur le socle commun que constitue leur attachement aux principes de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que de l’État de droit».


42 – JO L 190, p. 1.


43 – Au point 33 de l’arrêt Gözütok et Brügge, précité, où la Cour se rallie au point 124 de mes conclusions.


44 – L’expérience privilégiée acquise comme juge national puis comme avocat général à Luxembourg me permet de m’inscrire en contre des réflexions développées par Flore D., «La notion de confiance mutuelle: l’alpha ou l’oméga d’une justice pénale européenne», dans La confiance mutuelle dans l’espace pénal européen/Mutual Trust in the European Criminal Area, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2005, p. 17: «Si un juge de Bruxelles peut parfois avoir des inquiétudes sur l’attitude de son collègue d’Arlon ou de Bruges, comment n’en aurait-il pas sur les décisions d’un lointain collègue, qu’il n’a jamais vu et ne verra sans doute jamais, qui statue dans un pays qu’il ne connaît pas et où il ne mettra peut-être jamais les pieds, qui n’a peut-être pas le même statut que lui, ni la même indépendance, applique un autre droit et parle une autre langue [...]».


45 – On peut la concevoir comme un objectif, mais elle n’est en aucune façon la seule condition préalable à l’établissement d’un espace commun de justice, de liberté et de sécurité.


46 – Point 32 de l’arrêt Gözütok et Brügge, précité.


47 – De Schutter, O., «La contribution du contrôle juridictionnel à la confiance mutuelle», dans La confiance mutuelle dans l´espace pénal européen/Mutual Trust in the European Criminal Area, Éditions de l´Université de Bruxelles, 2005, p. 103.


48 – Je souligne que le ne bis in idem renferme une de ces garanties individuelles.


49 – J’ai attiré l’attention sur ce déficit de sensibilité dans mes conclusions dans l’affaire Gözütok et Brügge et j’ai souligné que les articles 54 et suivants de la convention doivent être appréhendés en se plaçant du point de vue du citoyen (points 114 et 115).


50 Peers, S., EU Justice and Home Affairs Law, 2ème éd., Oxford University Press, 2006, p. 460, découvre dans l’Union européenne, en tant que reflet du haut degré d’intégration, certaines mesures de coopération pénale qui, selon lui, contribuent au développement des normes internationales en matière de droits de l’homme.


51 – Je suggère cette interprétation dans mes conclusions dans l’affaire Gözütok et Brügge.


52 – Cette règle figure également dans des accords internationaux comme le pacte international relatif aux droits civils et politiques, du 19 décembre 1966 (article 14, paragraphe 7), ou le protocole nº 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 4). Mais ces textes s’attachent à la dimension interne du principe et en garantissent l’application sur le territoire ressortissant à la compétence d’un État.


53 – Selon l’avocat général Sharpston, «l’État ne dispose que d’une seule possibilité d’apprécier le comportement délictueux reproché à un individu et de prononcer un jugement à cet égard» (point 92 de ses conclusions du 15 juin 2006 dans l’affaire Gasparini e.a.).


54 – Ces vulnérabilités subsisteront tant qu’il n’y aura pas d’harmonisation du droit pénal et de la procédure pénale.


55 – Un bon exemple à cet égard est constitué par l’affaire Gasparini e.a., précitée, dans laquelle la Cour a adopté une position maximaliste en matière de confiance mutuelle et n’a pas suivi les conclusions de l’avocat général Sharpston, qui a considéré pour sa part que ce concept ne fournit pas de base raisonnable à l’application du principe ne bis in idem aux décisions mettant fin à une procédure en raison de la prescription de l’action pénale (points 108 et suiv.).


56 – Dans mes conclusions du 12 septembre 2006 dans l’affaire Advocaten voor de Wereld, close par l’arrêt du 3 mai 2007 (C-303/05, Rec. p. I-3633), je soutiens ce qui suit: «Il faut [...] que la charte s’impose comme un outil d’interprétation essentiel dans la défense des garanties citoyennes qui font partie du patrimoine des États membres. Il faut faire face à ce défi avec prudence, mais avec vigueur, avec la pleine conviction que, si la protection des droits fondamentaux revêt un caractère indispensable dans le pilier communautaire, il n’est pas davantage possible d’y renoncer dans le troisième pilier, car, par la nature même de son contenu, elle est susceptible d’avoir une incidence sur le cœur même de la liberté personnelle, qui présuppose toutes les autres». De même, le traité de Lisbonne, du 13 décembre 2007, modifie l’article 6 UE en lui ajoutant le paragraphe suivant: «L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités».


57 – Cela découle de l’article 6 UE et de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584.


58 – Points 34, 37 et 38 de l’arrêt du 14 octobre 2004, Omega (C- 36/02, Rec. p. I‑9609).


59 – La question a en revanche été abordée par l’avocat général Sharpston dans ses conclusions du 5 décembre 2006, où elle s’appuie sur le principe de confiance mutuelle pour soutenir que le jugement prononcé par défaut dispense la protection prévue par l’article 54 de la convention dès lors qu’il respecte les exigences de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme (point 101).


60 – J’ai également fait allusion à ces différences linguistiques dans un autre contexte, dans mes conclusions dans l’affaire Gözütok et Brügge.


61 – D’après l’article 1er de l’initiative – rejetée – de la République hellénique en vue de l’adoption d’une décision-cadre du Conseil relative à l’application du principe «non bis in idem» (JO 2003, C 100, p. 24 à 27), un jugement est définitif lorsqu’il a autorité de chose jugée, conformément au droit national. Pour une autre perspective, voir Almagro, J. et Tomé, J., Instituciones de Derecho Procesal. Proceso Penal, éd. Trivium, Madrid, 1994, p. 347, et Cortés, V., Derecho Procesal. Parte General. Proceso Civil, 6ème éd., éd. Tirant lo Blanch, Valencia, 1992, tome I (vol. I), p. 488.


62 – Cette idée se reflète dans les formulations française «définitivement jugé», anglaise «finally disposed», allemande «rechtskräftig abgeurteilt» ou italienne «giudicata con sentenza definitiva», même si l’ordre juridique espagnol par exemple qualifie ce type de décision de «sentencia firme», notamment dans la version espagnole de l’article 54 de la convention, la «sentencia definitiva» étant uniquement celle qui statue sur le procès en première instance.


63 – Comme celle des gouvernements slovène, français, tchèque, suédois, slovaque, allemand et du Royaume-Uni, reprise par le Conseil dans un document de travail (5213/08) du 14 janvier 2008, pour faciliter la coopération judiciaire et la reconnaissance mutuelle des jugements rendus par défaut.


64 – Force est de souligner la concordance avec les informations fournies dans la demande préjudicielle, puisque le prononcé de la décision a déclenché le délai pendant lequel le condamné pouvait l’attaquer ainsi que le délai de prescription de la sanction de sorte que, une fois ces deux délais expirés sans aucune possibilité de révision, la décision est devenue irréversible sur les plans matériel et formel.


65 Des éléments de clarification à cet égard peuvent être trouvés dans mes conclusions dans l’affaire Van Esbroeck, dans laquelle j’analyse l’application dans le temps de l’article 54 de la convention.


66 – Article 6 de la convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.


67 – Pour connaître les charges, être entendu par un juge impartial, disposer de l’assistance d’un avocat et participer à l’instruction.


68 – Article 5, point 1.


69 – L’arrêt du 13 juillet 1989, Henriksen (173/88, Rec. p. 2763), a rejeté ce mécanisme d’interprétation en observant que l’«on ne saurait apprécier la portée de la notion litigieuse sur la base d’une interprétation exclusivement textuelle» (point 11).


70 – Dans Lecciones de Derecho penal. Parte general, éd. Praxis, Barcelona, 1996, p. 37, Berdugo, I., Arroyo, L., García, N., Ferré, J., et Ramón, J., relèvent que le principe de légalité exige de respecter «le domaine réservé de la loi – monopole du Parlement pour définir les comportements délictueux et appliquer les sanctions, à l’exclusion de toute disposition de rang inférieur et de la coutume; la définition précise, spécifique ou restrictive des normes pénales; l’interdiction des interprétations extensives ou par analogie in malam partem; la non-rétroactivité des normes pénales défavorables au prévenu […]». Dans un sens analogue, Vogel, J., «Principio de legalidad, territorialidad et competencia judicial», dans Eurodelitos. El derecho penal económico de la Unión Europea, Tiedemann, K., et Nieto, A., éd. de la Universidad de Castilla-La Mancha, Cuenca, 2004, p. 32, souligne que l’interdiction des interprétations par analogie et l’obligation d’interprétation restrictive sont reconnues dans tous les États membres, sans exception, comme étant le corollaire du principe de légalité.


71 – Le principe de légalité fait partie des principes généraux du droit communautaire, notamment d’après l’arrêt Advocaten voor de Wereld, précité, points 46 et 49.


72 – Point 67 de l’arrêt du 3 mai 2005, Berlusconi e.a. (C-387/02, 391/02 et C-403/02, Rec. p. I-3565), avec renvoi aux arrêts du 12 juin 2003, Schmidberger (C-112/00, Rec. p. I-5659), et du 10 juillet 2003, Booker Aquaculture et Hydro Seafood (C‑20/00 et C-64/00, Rec. p. I-7411).


73 – Principe consacré à l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.


74 – «Le gouvernement néerlandais ne peut par ailleurs pas imaginer une situation dans laquelle une sanction est infligée par un jugement définitif, sanction à propos de laquelle on peut déclarer à un quelconque moment ultérieur qu’elle n’a jamais pu être exécutée» (point 40 de ses observations).


75 – Cette double perspective peut être illustrée par les notions de droit administratif espagnol dénommées «autotutela declarativa» et «autotutela ejecutiva», la première correspondant à la présomption de légalité des actes des pouvoirs publics tant qu’ils ne font pas l’objet d’un recours de la part du ou des destinataires, tandis que la deuxième nous mène sur le terrain des faits et permet l’exécution forcée lorsque les destinataires s’opposent à l’application de la décision (García de Enterría, E., et Fernández, T. R., Curso de Derecho administrativo I, 6ème éd., éd. Civitas, Madrid, 1996, p. 490 et 491).


76 – Indépendamment du fait qu’il s’agit de la peine de mort, par essence incompatible avec les libertés et les droits que l’Union européenne a constamment voulu sauvegarder.


77 – Plus spécifiquement son article 6, paragraphe 5, qui dispose: «À la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé […]».


78 – Bernardi, A., et Grande, C., «Amnistía. La prescripción del delito et de la sanción», dans La orden de detención y entrega europea, Arroyo, L., et Nieto, A., éd. de la Universidad de Castilla-La Mancha, Cuenca, 2006, p. 260, 261 et 275.


79 – Par rapport à d’autres mesures de clémence qui s’adressent à un groupe de personnes, la grâce a pour caractéristique d’être individuelle.


80 – Bernardi, A., et Grande, C., op cit., p. 262.


81 – Pradel, J., Droit pénal général, Paris, 2002, p. 669.


82 – La Corte Interamericana de Derechos Humanos s’est prononcée de façon critique sur certaines formes de pardon dans l’affaire Barrios Altos contre Pérou, arrêt du 14 mars 2001, série C, nº 45.


83 – En tant que forme autonome de faculté discrétionnaire, la «grâce» échappe de par sa définition même à toute forme de contrôle juridictionnel.