Language of document : ECLI:EU:C:2021:994

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 9 décembre 2021 (1)

Affaire C561/20

Q,

R,

S

contre

United Airlines Inc.

[demande de décision préjudicielle formée par le Nederlandstalige ondernemingsrechtbank Brussel (tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Droit à indemnisation en cas de retard important d’un vol – Vol divisé en deux segments – Retard important à la destination finale subi lors du second segment reliant deux aéroports d’un pays tiers – Validité du règlement (CE) no 261/2004 au regard du droit international »






I.      Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant Mmes Q et R, ainsi que M. S. (ci-après les « demandeurs au principal »), à United Airlines Inc. (États-Unis) au sujet d’une indemnisation pour cause de retard important d’un vol avec correspondances.

2.        Par sa première question préjudicielle, qui porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7 du règlement (CE) no 261/2004 en matière d’indemnisation des passagers aériens (2), la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser certains aspects de l’applicabilité de ce règlement dans le cadre de vols avec correspondances au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre comportant une correspondance dans un aéroport situé sur le territoire d’un État tiers et ayant pour destination finale un autre aéroport de cet État tiers.

3.        À cet égard, si la Cour n’a pas encore eu l’occasion d’examiner l’applicabilité du règlement no 261/2004 aux situations dans lesquelles le retard concerne un vol avec correspondances effectué entièrement par un transporteur aérien effectif non communautaire et survient pendant un segment de ce vol qui se déroule entièrement sur le territoire d’un pays tiers, j’estime que les principes qui ressortent de la jurisprudence existante fournissent des repères utiles d’analyse qui peuvent être transposés mutatis mutandis à la présente affaire (3).

4.        Par sa seconde question préjudicielle, qui est posée à titre subsidiaire, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la validité du règlement no 261/2004 au regard du droit international et, en particulier, du principe de la souveraineté complète et exclusive d’un État sur son espace aérien. Cette question permettra à la Cour d’examiner, pour la première fois, la validité dudit règlement au regard du droit international public et, notamment, du principe de droit international aérien coutumier (4).

5.        À l’issue de mon analyse, je proposerai à la Cour de répondre à ces deux questions en ce sens que, d’une part, l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 7 du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens qu’une situation telle que celle décrite au point 3 des présentes conclusions entre dans le champ d’application de ce règlement et, d’autre part, que ledit règlement reste valide au regard du droit international, et notamment du principe de la souveraineté complète et exclusive d’un État sur son espace aérien.

II.    Le cadre juridique

6.        Les considérants 1, 4 et 7 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1)      L’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

[...]

(4)      La Communauté devrait, par conséquent, relever les normes de protection fixées par ledit règlement, à la fois pour renforcer les droits des passagers et pour faire en sorte que les transporteurs aériens puissent exercer leurs activités dans des conditions équivalentes sur un marché libéralisé.

[...]

(7)      Afin de garantir l’application effective du présent règlement, les obligations qui en découlent devraient incomber au transporteur aérien effectif qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol, indépendamment du fait qu’il soit propriétaire de l’avion, que l’avion fasse l’objet d’un contrat de location coque nue (dry lease) ou avec équipage (wet lease), ou s’inscrive dans le cadre de tout autre régime. »

7.        Aux termes de l’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions » :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      “transporteur aérien”, une entreprise de transport aérien possédant une licence d’exploitation en cours de validité ;

b)      “transporteur aérien effectif”, un transporteur aérien qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager ;

c)      “transporteur communautaire”, un transporteur aérien possédant une licence d’exploitation en cours de validité, délivrée par un État membre conformément aux dispositions du règlement (CEE) no 2407/92 du Conseil du 23 juillet 1992 concernant les licences des transporteurs aériens [(5)] ;

[...]

h)      “destination finale”, la destination figurant sur le billet présenté au comptoir d’enregistrement, ou, dans le cas des vols avec correspondances, la destination du dernier vol ; les vols avec correspondances disponibles comme solution de remplacement ne sont pas pris en compte si l’heure d’arrivée initialement prévue est respectée ;

[...] »

8.        L’article 3 du règlement no 261/2004, intitulé « Champ d’application », prévoit, à ses paragraphes 1 et 5 :

« 1.      Le présent règlement s’applique :

a)      aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité ;

b)      aux passagers au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers et à destination d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité, à moins que ces passagers ne bénéficient de prestations ou d’une indemnisation et d’une assistance dans ce pays tiers, si le transporteur aérien effectif qui réalise le vol est un transporteur communautaire.

[...]

5.      Le présent règlement s’applique à tout transporteur aérien effectif assurant le transport des passagers visés aux paragraphes 1 et 2. Lorsqu’un transporteur aérien effectif qui n’a pas conclu de contrat avec le passager remplit des obligations découlant du présent règlement, il est réputé agir au nom de la personne qui a conclu le contrat avec le passager concerné. »

9.        L’article 5 de ce règlement, intitulé « Annulations », dispose, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.      En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés :

[...]

c)      ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol :

i)      au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou

ii)      de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou

iii)      moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée.

[...]

3.      Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. »

10.      Sous l’intitulé « Droit à indemnisation », l’article 7 dudit règlement prévoit, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :

a)      250 euros pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins ;

b)      400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres ;

c)      600 euros pour tous les vols qui ne relèvent pas des points a) ou b).

Pour déterminer la distance à prendre en considération, il est tenu compte de la dernière destination où le passager arrivera après l’heure prévue du fait du refus d’embarquement ou de l’annulation. »

11.      L’article 13 du même règlement, intitulé « Droit à la réparation des dommages », dispose :

« Lorsqu’un transporteur aérien effectif verse une indemnité ou s’acquitte d’autres obligations lui incombant en vertu du présent règlement, aucune disposition de ce dernier ne peut être interprétée comme limitant son droit à demander réparation à toute personne, y compris des tiers, conformément au droit national applicable. En particulier, le présent règlement ne limite aucunement le droit du transporteur aérien effectif de demander réparation à un organisateur de voyages ou une autre personne avec laquelle le transporteur aérien effectif a conclu un contrat. De même, aucune disposition du présent règlement ne peut être interprétée comme limitant le droit d’un organisateur de voyages ou d’un tiers, autre que le passager avec lequel un transporteur aérien effectif a conclu un contrat, de demander réparation au transporteur aérien effectif conformément aux lois pertinentes applicables. »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

12.      Les demandeurs au principal ont, par l’intermédiaire d’une agence de voyages, effectué une réservation unique auprès du transporteur communautaire Deutsche Lufthansa AG (ci-après la « Lufthansa ») (6), pour un vol avec correspondances au départ de l’aéroport de Bruxelles-National (Belgique) et à destination de San José International (États-Unis), avec une escale à Newark International (États-Unis).

13.      Ces deux segments du vol ont été effectués par United Airlines, qui est un transporteur aérien d’un pays tiers. Les demandeurs au principal sont parvenus à leur destination finale avec un retard de 223 minutes à l’arrivée en raison d’un retard ayant affecté le second segment de ce vol, à savoir un problème technique de l’avion.

14.      Par lettre du 6 septembre 2018, la société Happy Flights, à laquelle la créance des demandeurs au principal a été cédée, a adressé une sommation à United Airlines en demandant le paiement d’une indemnisation d’un montant de 600 euros par personne pour le retard du second segment du vol, soit 1 800 euros au total, au titre du règlement no 261/2004.

15.      Par lettre du 4 octobre 2018, United Airlines a répondu à Happy Flights en soutenant que, en l’espèce, le règlement no 261/2004 n’était pas applicable au motif que le problème technique à l’origine du retard était survenu sur la partie du second segment du vol, qui reliait deux aéroports situés aux États‑Unis.

16.      Par lettre du 5 octobre 2018, Happy Flights a répondu à cette lettre de United Airlines, en faisant référence à la jurisprudence de la Cour, pour contester la position de celle-ci et l’a sommée de procéder au paiement de l’indemnisation.

17.      Par lettre du 10 octobre 2018, United Airlines a, à son tour, répondu à ladite lettre de Happy Flights.

18.      Le 11 octobre 2018, Happy Flights a adressé une mise en demeure à United Airlines. Cette dernière l’a informée, le même jour, qu’elle maintenait sa position.

19.      Le 3 mai 2019, Happy Flights, tout en mettant à nouveau United Airlines en demeure de procéder au paiement, a informé cette dernière que la créance qui lui avait été cédée avait de nouveau été transférée aux demandeurs au principal.

20.      Le 22 juillet 2019, les demandeurs au principal ont cité United Airlines à comparaître devant le Nederlandstalige ondernemingsrechtbank Brussel (tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles, Belgique), la juridiction de renvoi, afin d’obtenir sa condamnation au versement d’une indemnisation d’un montant de 1 800 euros, majorée des intérêts moratoires à compter du 6 septembre 2018 et des intérêts judiciaires.

21.      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au traitement de certains arguments soulevés par United Airlines qui portent tant sur l’applicabilité du règlement no 261/2004 que sur sa validité, estimant que les éléments de réponse ne sauraient être trouvés dans la jurisprudence de la Cour.

22.      En premier lieu, s’agissant de la question de l’applicabilité du règlement no 261/2004, United Airlines conteste que ce règlement s’applique lorsque le retard important survient lors d’un vol au départ et à destination du territoire d’un pays tiers, même dans le cas où il s’agit du second et dernier segment d’un vol avec correspondances et où le premier vol est effectué au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre.

23.      À cet égard, d’une part, la juridiction de renvoi indique que, si l’arrêt Wegener, qui concernait un retard survenu lors du premier vol, au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre, qui avait été effectué par un transporteur aérien non communautaire, plaide en faveur de l’applicabilité du règlement no 261/2004, les enseignements de cet arrêt ne sauraient être simplement transposés dans la présente affaire dès lors que, en l’occurrence, c’est le second vol, au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un pays tiers, qui a subi le retard.

24.      D’autre part, la juridiction de renvoi observe que, dans l’arrêt České aerolinie, la Cour a jugé que le règlement no 261/2004 s’applique également au second segment d’un vol avec correspondances lorsque le premier vol a été effectué au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre. Cette affaire soulevait la question de savoir si le transporteur communautaire qui avait assuré le premier vol pouvait être tenu d’indemniser un passager qui avait subi un retard important trouvant son origine dans le second vol effectué matériellement par un transporteur aérien d’un pays tiers. Toutefois, selon cette juridiction, l’affaire en cause au principal diffère en ce qu’elle ne concerne aucun transporteur communautaire, le transporteur communautaire ayant émis les billets (Lufthansa) n’étant même pas partie à la procédure au principal. Partant, à nouveau, la solution retenue par la Cour dans cet arrêt ne saurait être simplement transposée dans le cadre factuel du présent litige.

25.      En second lieu, s’agissant de la question de la validité du règlement no 261/2004, United Airlines fait valoir que, si ce règlement devait s’appliquer en cas de retard important survenu lors du second vol d’un vol avec correspondances, il aurait une portée extraterritoriale contraire au droit international dans le cas où ce second vol est entièrement effectué sur le territoire d’un pays tiers. Plus précisément, le principe de souveraineté s’opposerait à ce que ledit règlement s’applique à une situation qui se produit sur le territoire d’un pays tiers, telle que celle en cause au principal, où le retard est survenu sur le territoire des États‑Unis et que les effets se sont produits exclusivement à l’intérieur de ce territoire. À cet égard, il est fait référence à l’arrêt ATAA, dans lequel la Cour a reconnu le principe de droit international coutumier selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien. Pour le cas où cette thèse de United Airlines serait correcte, la juridiction de renvoi se pose alors la question de la validité du même règlement au regard du droit international.

26.      Dans ces conditions, le Nederlandstalige ondernemingsrechtbank Brussel (tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 7 du [règlement no 261/2004], tels qu’interprétés par la Cour, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’un passager a droit à une indemnisation financière du transporteur aérien non communautaire lorsqu’il a atteint sa destination finale avec un retard de plus de trois heures survenu lors du dernier vol, dont les points de départ et d’arrivée étaient tous deux situés sur le territoire d’un pays tiers sans escale sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un vol avec correspondances au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre, l’ensemble des vols ayant été matériellement effectués par ce transporteur aérien non communautaire et ayant fait l’objet d’une réservation unique par le passager auprès d’un transporteur communautaire n’ayant effectué matériellement aucun de ces vols ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, le [règlement no 261/2004] tel qu’interprété en réponse à la première question, viole-t-il le droit international et, en particulier, le principe de la souveraineté complète et exclusive d’un État sur son territoire et sur son espace aérien, en ce que cette interprétation rend le droit de l’Union applicable à une situation qui se produit sur le territoire d’un pays tiers ? »

27.      Des observations écrites ont été déposées par les demandeurs au principal, United Airlines, les gouvernements belge et polonais, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne. Dans leurs observations, le Parlement et le Conseil n’ont examiné que la seconde question.

IV.    Analyse

28.      À titre liminaire, je rappelle que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les passagers de vols qui ont été retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés aux fins de l’application du droit à indemnisation et peuvent ainsi invoquer le droit à indemnisation prévu à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, lorsqu’ils subissent, à l’arrivée à leur « destination finale », une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c’est-à-dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien (7). À cet égard, en cas de vol avec correspondances, seul importe aux fins de l’indemnisation forfaitaire prévue à l’article 7 de ce règlement, le retard constaté par rapport à l’heure d’arrivée prévue à la destination finale, entendue comme la destination du dernier vol emprunté par le passager concerné (8).

29.      En l’occurrence, United Airlines ne conteste pas que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004, si ce dernier trouvait à s’appliquer, les demandeurs au principal auraient effectivement droit à une indemnisation d’un montant de 1 800 euros, le dernier segment du vol avec correspondances en cause au principal ayant accusé un retard de 223 minutes, soit plus de trois heures par rapport à l’heure d’arrivée initialement prévue.

30.      Toutefois, c’est précisément l’applicabilité de ce règlement et, à titre subsidiaire, sa validité, que United Airlines met en doute dans le cadre du litige au principal. Ce sont ces deux aspects qui font l’objet des deux questions préjudicielles et de l’analyse qui suit.

A.      Sur la première question préjudicielle

31.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 7 du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens qu’un passager a droit à une indemnisation du transporteur aérien d’un pays tiers lorsqu’il a atteint sa destination finale avec un retard de plus de trois heures survenu lors du dernier segment d’un vol avec correspondances, dont les points de départ et d’arrivée étaient tous deux situés sur le territoire d’un pays tiers, dans le cadre d’un vol avec correspondances au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre, l’ensemble des vols ayant été effectués par ce transporteur aérien d’un pays tiers et ayant fait l’objet d’une réservation unique par le passager auprès d’un transporteur communautaire.

32.      La question, telle que formulée, contient deux éléments se rapportant, d’une part, à l’applicabilité du règlement no 261/2004 dans le cadre d’un vol avec correspondances, tel que celui au principal, et, d’autre part, à la détermination du transporteur aérien redevable de l’indemnité.

1.      Sur l’applicabilité du règlement no 261/2004

33.      S’agissant de la question du champ d’application du règlement no 261/2004, il ressort de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement que celui-ci s’applique, notamment, aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre. Cette première hypothèse n’est pas soumise, à la différence de l’hypothèse dudit article 3, paragraphe 1, sous b), à la condition que le transporteur aérien effectif qui réalise le vol relève de la notion de « transporteur communautaire », au sens de l’article 2, sous c), dudit règlement.

34.      Tout d’abord, je rappelle que la Cour a indiqué que la notion de « vol avec correspondances » doit être comprise comme renvoyant à deux ou plusieurs vols constituant un ensemble aux fins du droit à indemnisation des passagers prévue par le règlement no 261/2004 (9). Tel est le cas lorsque deux ou plusieurs vols ont fait l’objet d’une réservation unique, comme dans l’affaire au principal (10). Dans ce cadre, le fait qu’un changement d’appareil puisse intervenir lors d’un vol avec correspondances est sans incidence sur cette qualification (11). Il s’ensuit que, pour apprécier l’applicabilité dudit règlement dans le cadre d’un vol avec correspondances ayant fait l’objet d’une réservation unique, il y a lieu de prendre en considération le lieu de départ initial et la destination finale (12).

35.      Ensuite, s’agissant des vols avec correspondances en provenance de l’Union européenne, tels que dans le cas d’espèce, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, même si les escales d’un vol se situent sur le territoire d’un pays tiers, cela n’empêche pas l’applicabilité du règlement no 261/2004, en dépit du fait que le transporteur ayant opéré un tel vol ou un segment d’un tel vol n’est pas un transporteur communautaire.

36.      En effet, dans l’arrêt Wegener, la Cour a jugé que le règlement no 261/2004 s’appliquait à un transport de passagers effectué en vertu d’une réservation unique et comportant, entre son départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre (Berlin, Allemagne) et son arrivée dans un aéroport situé sur le territoire d’un pays tiers (Agadir, Maroc), une escale planifiée en dehors de l’Union (Casablanca, Maroc), avec un changement d’appareil. La Cour a énoncé, en substance, qu’un vol avec correspondances dont le premier vol est au départ d’un aéroport situé dans un État membre et le second vol est à destination d’un aéroport situé dans un pays tiers devrait être traité comme une unité, même si le second segment du vol avec correspondances est effectué au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers. À cet égard, contrairement à ce que fait valoir United Airlines dans ses observations écrites, la Cour n’a pas établi que ce règlement s’appliquait sur la base de l’accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens, conclu au cours de l’année 2006. En effet, cette applicabilité était fondée uniquement sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004, sans que l’accord soit même mentionné dans cet arrêt.

37.      Dans le même sens, dans l’arrêt České aerolinie, la Cour s’est expressément prononcée sur l’applicabilité du règlement no 261/2004 dans le cadre d’un vol avec correspondances, composé de deux vols et ayant donné lieu à une réservation unique, au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre (Prague, République tchèque) et à destination d’un aéroport situé dans un pays tiers (Bangkok, Thaïlande) via l’aéroport d’un autre pays tiers (Abou Dhabi, Émirats arabes unis). Dans ce cas de figure, la Cour a jugé qu’un passager victime d’un retard à sa destination finale de trois heures ou plus trouvant son origine dans le second vol, assuré, dans le cadre d’un accord de partage de code, par un transporteur d’un pays tiers (Etihad Airways), peut diriger son recours indemnitaire au titre de ce règlement contre le transporteur communautaire ayant effectué le premier vol (České aerolinie).

38.      Or, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, certes, ces arrêts ont été rendus dans des circonstances factuelles différentes de celles du litige au principal. En effet, d’une part, dans l’arrêt Wegener, le vol avec correspondances a été retardé lors du premier vol, qui partait du territoire d’un État membre, alors que, en l’espèce, le retard s’est produit lors du dernier vol, qui a été entièrement effectué sur le territoire d’un pays tiers. D’autre part, l’arrêt České aerolinie avait pour objet la possibilité d’intenter une action contre le transporteur communautaire effectuant le premier segment d’un vol avec correspondances qui a été retardé lors du second segment de vol, lequel a été effectué entièrement dans un pays tiers par un transporteur aérien d’un pays tiers, dans le cadre d’un accord de partage de code. En revanche, en l’espèce, la totalité du vol avec correspondances a été effectuée par le même transporteur aérien d’un pays tiers.

39.      Toutefois, malgré ces différences factuelles, les principes énoncés au point 35 des présentes conclusions qui ressortent de ces deux arrêts restent, à mes yeux, toujours valables dans le cas d’espèce.

40.      D’une part, il ressort de la jurisprudence susmentionnée que le lieu où le retard survient n’a aucune incidence sur l’applicabilité du règlement no 261/2004 tant qu’il est question de vols avec correspondances en provenance de l’Union ayant fait l’objet d’une réservation unique et constituant ainsi un ensemble aux fins du droit à indemnisation des passagers prévu par ce règlement. En effet, il découle de l’arrêt České aerolinie, ainsi que de l’ordonnance KLM, que tout transporteur aérien effectif qui participe à la réalisation d’au moins un segment d’un vol avec correspondances est redevable de cette indemnité, indépendamment de la question de savoir si ce vol qu’il a opéré se trouve ou non à l’origine du retard important du passager à l’arrivée à sa destination finale (13). Partant, en l’occurrence, le fait que le retard s’est produit lors du dernier segment du vol et sur le territoire d’un pays tiers n’est pas pertinent quant à l’applicabilité de ce règlement.

41.      Cette solution me semble justifiée aussi du point de vue de l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, dans la mesure où opérer une distinction selon que le retard a été subi lors du premier vol ou lors du second vol dans le cadre d’une réservation unique reviendrait à opérer une distinction injustifiée, de sorte que United Airlines serait tenue de verser une indemnisation en cas de perturbation survenue lors du premier vol, mais n’y serait pas tenue en cas de perturbation survenue lors du second vol du même trajet, alors que les passagers subissent, dans les deux cas, le même retard à la destination finale, et partant, les mêmes désagréments.

42.      D’autre part, il ressort de cette même jurisprudence que la qualité de transporteur communautaire n’est pas pertinente pour l’applicabilité du règlement no 261/2004 aux vols avec correspondances en provenance de l’Union. En effet, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, à la différence de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, qui concerne les passagers au départ d’un aéroport situé dans un pays tiers à destination d’un aéroport situé dans un État membre, l’article 3, paragraphe 1, sous a), dudit règlement n’exige pas que le transporteur aérien soit un transporteur communautaire dans le cas de passagers au départ d’un aéroport situé dans un État membre, pour que le même règlement trouve à s’appliquer.

43.      Partant, la réalisation d’un vol par un transporteur communautaire ne constitue une condition pour l’application du règlement no 261/2004 que dans le cas de vols au départ du territoire d’un pays tiers et à destination du territoire d’un État membre. En outre, l’article 3, paragraphe 5, de ce règlement dispose que celui-ci s’applique à tout transporteur aérien effectif assurant ce transport. En effet, dans l’arrêt Wegener, le fait que le transporteur aérien effectif (Royal Air Maroc) n’était pas un transporteur communautaire n’a pas fait l’objet d’une quelconque analyse, dans la mesure où, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004, cette qualification n’a aucune incidence sur l’application de ce règlement.

44.      Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de considérer qu’un vol avec correspondances en provenance de l’Union, tel que celui au principal, relève du champ d’application du règlement no 261/2004, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.

2.      Sur la détermination du transporteur aérien redevable de l’indemnité

45.      S’agissant de la question de savoir quel transporteur est, en l’occurrence, redevable de l’indemnité prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004, je rappelle que la particularité de la présente affaire réside dans le fait que les billets en cause ont été émis par Lufthansa, le transporteur communautaire qui n’est pas partie à la procédure au principal, alors que c’est United Airlines, le transporteur aérien d’un pays tiers, qui a matériellement effectué les deux vols en cause.

46.      À cet égard, la Cour a constaté qu’il ressort de la lettre de l’article 5, paragraphe 1, sous c), et de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 que le transporteur redevable de l’indemnité due en cas de retard important à l’arrivée d’un vol avec correspondances ne peut qu’être le « transporteur aérien effectif », au sens de l’article 2, sous b), de ce règlement (14). En vertu de cette disposition, un « transporteur aérien effectif » est un transporteur aérien qui « réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager ».

47.      Cette définition pose donc deux conditions cumulatives pour qu’un transporteur aérien puisse être qualifié de « transporteur aérien effectif » tenant, d’une part, à la réalisation du vol en cause et, d’autre part, à l’existence d’un contrat conclu avec un passager (15). Or, cette définition n’exige aucunement que le transporteur aérien effectif ait le statut de transporteur communautaire, ce statut n’étant pertinent qu’aux fins d’évaluer la portée du règlement aux passagers arrivant sur des vols en provenance d’un pays tiers (voir points 33 et 42 des présentes conclusions). En outre, la responsabilité du « transporteur aérien effectif » est exclusive, le législateur de l’Union ayant fait le choix d’exclure, lors de l’adoption du règlement no 261/2004 un partage de responsabilité entre l’organisateur de voyages et le transporteur aérien contractuel (16).

48.      S’agissant de la première condition, le considérant 7 du règlement no 261/2004 confirme que, « [a]fin de garantir l’application effective du présent règlement, les obligations qui en découlent devraient incomber au transporteur aérien effectif qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol, indépendamment du fait qu’il soit propriétaire de l’avion, que l’avion fasse l’objet d’un contrat de location coque nue (dry lease) ou avec équipage (wet lease), ou s’inscrive dans le cadre de tout autre régime ». En effet, la Cour a clarifié la condition relative à la « réalisation du vol » en cas de vols opérés en vertu de contrats de location d’avion avec équipage (wet lease) en jugeant que le transporteur aérien effectif est celui qui, « dans le cadre de son activité de transport de passagers, prend la décision de réaliser un vol précis, y compris d’en fixer l’itinéraire et, ce faisant, de créer, à l’intention des intéressés, une offre de transport aérien. L’adoption d’une telle décision implique en effet que ce transporteur assume la responsabilité de la réalisation dudit vol, y compris, notamment, de ses éventuels annulation ou retard important à son arrivée » (17).

49.      Quant à l’existence d’un contrat conclu avec un passager, il convient de relever qu’est dénuée de pertinence à cet effet l’absence d’un lien contractuel entre les passagers concernés et le transporteur effectif concerné pour autant que le transporteur aérien effectif ait sa propre relation contractuelle avec le transporteur aérien contractuel (18).

50.      En l’occurrence, si le transporteur ayant conclu le contrat avec les demandeurs au principal (par l’intermédiaire de l’agence de voyages) est Lufthansa, le transporteur ayant opéré les deux vols est United Airlines, vraisemblablement dans le cadre d’un accord de partage de code (code sharing) (19).

51.      Ainsi, il me semble que les deux conditions susmentionnées pour la qualification de « transporteur aérien effectif » semblent remplies pour ce qui concerne United Airlines, qui, d’ailleurs, ne conteste pas cette qualification dans ses observations écrites. En effet, cette dernière est le transporteur qui a effectivement opéré tous les segments de vol avec correspondances et qui a procédé ainsi au nom de Lufthansa, qui avait conclu le contrat avec les demandeurs au principal. À cet égard, je rappelle que l’article 3, paragraphe 5, seconde phrase, du règlement no 261/2004 précise que, lorsqu’un transporteur aérien effectif qui n’a pas conclu de contrat avec le passager remplit des obligations découlant de ce règlement, il est réputé agir au nom de la personne qui a conclu le contrat avec le passager concerné (20).

52.      Cette conclusion selon laquelle United Airlines est le transporteur aérien effectif et est, dès lors, redevable de l’indemnité prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004, est cohérente avec l’objectif, énoncé au considérant 1 de ce règlement, d’assurer un niveau élevé de protection des passagers, dans la mesure où, ainsi que le reconnaît United Airlines dans ses observations, c’est le transporteur qui est facilement identifiable pour les passagers et qui, dans la plupart des cas, est responsable des problèmes qui surviennent pendant le vol.

53.      Enfin, je rappelle que, en vertu de l’article 13 du règlement no 261/2004, les obligations acquittées par le transporteur aérien effectif en vertu de ce règlement le sont sans préjudice pour celui-ci de son droit de demander réparation, conformément au droit national applicable, notamment, à toute personne étant à l’origine du manquement de ce transporteur à ses obligations, y compris des tiers, tels qu’à un organisateur de voyages ou une autre personne avec laquelle le transporteur aérien effectif a conclu un contrat (21).

54.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la première question préjudicielle que l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 7 du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’un vol avec correspondances, composé de deux vols et ayant donné lieu à une réservation unique, au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre et à destination d’un aéroport situé dans un pays tiers via un autre aéroport de ce pays tiers, un passager victime d’un retard à sa destination finale de trois heures ou plus trouvant son origine dans le second vol effectué, tout comme le premier vol, par un transporteur aérien d’un pays tiers, peut diriger son recours indemnitaire au titre de ce règlement contre ce transporteur aérien effectif, lorsque la réservation unique a été faite auprès d’un transporteur communautaire n’ayant effectué matériellement aucun de ces vols.

B.      Sur la seconde question préjudicielle

55.      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans l’hypothèse où la Cour considérerait que le règlement no 261/2004 est applicable à une situation telle que celle en cause au principal, ce règlement est valide au regard du principe de droit international selon lequel chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur son propre espace aérien.

56.      À titre liminaire, je rappelle que, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 5, TUE, l’Union contribue, notamment, « au strict respect et au développement du droit international ». Par conséquent, lorsqu’elle adopte un acte, elle est tenue de respecter le droit international dans son ensemble, y compris le droit international coutumier qui lie les institutions de l’Union (22).

57.      À cet égard, dans l’arrêt ATAA, la Cour a reconnu que le principe de souveraineté complète et exclusive de chaque État sur son espace aérien constitue un principe de droit international aérien coutumier qui lie les institutions de l’Union (23). Il ressort également de cet arrêt que ce principe peut être invoqué par un justiciable aux fins de l’examen, par la Cour, de la validité d’un acte de l’Union dans la mesure où, d’une part, ledit principe est susceptible de mettre en cause la compétence de l’Union pour adopter ledit acte et, d’autre part, l’acte en cause est susceptible d’affecter des droits que le justiciable tire du droit de l’Union ou de créer dans son chef des obligations au regard de ce droit (24). Cependant, ainsi qu’il résulte dudit arrêt, dès lors que le principe de droit international coutumier ne revêt pas le même degré de précision qu’une disposition d’un accord international, le contrôle juridictionnel d’un acte de l’Union au regard d’un principe de droit international coutumier doit nécessairement se limiter au point de savoir si les institutions de l’Union, en adoptant l’acte en cause, ont commis des erreurs manifestes d’appréciation quant aux conditions d’application de ce principe (25).

58.      En l’occurrence, la juridiction de renvoi s’interroge sur la validité du règlement no 261/2004 au regard du principe de droit international aérien coutumier susmentionnée en ce que ce règlement est susceptible de s’appliquer à une situation, qui, selon cette juridiction, se produit en dehors du territoire de l’Union et met en cause un transporteur d’un pays tiers.

59.      Étant donné que, à la lumière de l’arrêt ATAA, la validité du règlement no 261/2004 est susceptible d’être examinée au regard du principe de droit international aérien coutumier, dans les limites du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, se pose donc la question de savoir si le législateur de l’Union a commis une telle erreur de nature à affecter la validité de ce règlement.

60.      J’estime que tel n’est pas le cas.

61.      En premier lieu, je rappelle que, au titre de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004, le vol en cause au principal entre dans le champ d’application de ce règlement du fait que les demandeurs au principal ont commencé leur voyage au départ d’un aéroport situé dans un État membre, à savoir en Belgique. C’est ce critère qui crée un lien étroit de rattachement avec le territoire de l’Union. Ainsi, la circonstance que, en l’espèce, le droit à indemnisation soit né à la suite d’un retard entièrement survenu sur le territoire d’un pays tiers ne change en rien ce lien de rattachement avec le territoire de l’Union. En effet, ainsi qu’il a été indiqué aux points 36 et 37 des présentes conclusions, les vols avec correspondances au départ d’un aéroport situé dans un État membre et à destination d’un aéroport d’un pays tiers forment un ensemble, qui pourrait être assimilé à un vol direct effectuant la même route. En ce sens, la Cour a reconnu que « si un vol [...] entièrement effectué en dehors de l’Union, devait être considéré comme une opération de transport séparée, il ne relèverait pas du règlement no 261/2004. En revanche, dans l’hypothèse où un transport [...] serait considéré comme un ensemble, ayant son point de départ dans un État membre, ce règlement trouverait à s’appliquer » (26).

62.      Il s’ensuit que la Cour a, d’une part, implicitement (27) déjà reconnu ce principe de souveraineté, en relevant que, dans les cas de vols séparés, le règlement no 261/2004 ne s’applique pas au vol effectué en dehors de l’Union, mais, d’autre part, jugé que l’application de l’article 3, paragraphe 1, sous a), et de l’article 7 de ce règlement aux vols avec correspondances ne méconnaît pas ce principe. Selon cette logique, une telle application ne saurait affecter la souveraineté d’un pays tiers sur le territoire duquel est effectué le dernier segment d’un vol avec correspondances, les demandeurs au principal ayant, par définition, commencé leur voyage au départ d’un aéroport situé sur le territoire de l’Union.

63.      En deuxième lieu, du point de vue du droit international public, ainsi que l’a expliqué l’avocate générale Kokott dans ses conclusions dans l’affaire ATAA, il n’est nullement inhabituel qu’un État ou une organisation internationale prenne en compte pour l’exercice de droits de souveraineté des circonstances se produisant en dehors de son champ de compétence territorial. L’élément décisif à cet égard est que les faits présentent un lien suffisant avec l’État ou l’organisation internationale concernés. Ainsi, le droit international reconnaît notamment deux chefs de compétence autorisant un État (ou une organisation internationale) à agir, à savoir, d’une part, la compétence territoriale, en vertu de laquelle un État a le pouvoir d’agir à l’égard de personnes (quelle que soit leur nationalité), de faits et de biens situés sur son territoire, et, d’autre part, la compétence personnelle, selon laquelle un État (ou une organisation internationale) a le pouvoir d’agir à l’égard de ses nationaux (personnes physiques ou morales), où qu’ils se trouvent (28).

64.      Le règlement no 261/2004 s’applique, d’une part, conformément à son article 3, paragraphe 1, sous a), aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre, quel que soit le lieu de destination finale du vol en cause (compétence territoriale) (29) et, d’autre part, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un pays tiers et à destination d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre à condition, notamment, que le transporteur aérien effectif qui réalise le vol soit un transporteur communautaire (compétences personnelle et territoriale). En revanche, ce règlement n’a pas vocation à s’appliquer à des vols avec correspondances qui ne sont pas effectués au départ ou à l’arrivée d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre mais qui sont intégralement opérés entre deux pays tiers, sans aucun lien de rattachement avec le territoire de l’Union (30).

65.      Les critères d’applicabilité du règlement no 261/2004 ainsi définis, en particulier celui prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, qui est en cause dans l’affaire au principal, n’entraînent pas d’application extraterritoriale du droit de l’Union, y compris lorsque le vol en cause est à destination d’un pays tiers. En effet, ce règlement ne trouve à s’appliquer que dans les circonstances clairement définies dans lesquelles le vol en cause, considéré dans son ensemble, est effectué au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre, un tel vol, y compris le segment effectué en dehors de l’Union, étant intrinsèquement lié au territoire des États membres de l’Union.

66.      En troisième lieu, cette interprétation est corroborée par l’objectif poursuivi par le règlement no 261/2004 d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs (31). Aux fins de l’application des deux dispositions susmentionnées, il importe que le vol ait fait l’objet d’une réservation unique et que ce vol ait comme lieu de départ ou de destination un aéroport situé sur le territoire d’un État membre. Or, le fait que le transporteur aérien ait ou non opté pour une escale sur le territoire de l’Union ou dans un pays tiers ne devrait pas affecter le droit à indemnisation des passagers concernés.

67.      De même, eu égard à cet objectif, qui est également visé à l’article 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le législateur de l’Union ne saurait autoriser une activité de transport aérien sur le territoire de l’Union qu’à condition que les opérateurs respectent les critères définis par l’Union et tendant à remplir les objectifs qu’elle s’est assignés en la matière (32). Par le règlement no 261/2004, le législateur de l’Union a soumis l’activité de transport aérien au départ de l’Union à certains critères en vue d’atteindre l’objectif de protection des consommateurs. Le fait qu’un transporteur aérien d’un pays tiers, tel que United Airlines, puisse être tenu, en vertu de ce règlement, au paiement d’une indemnisation pour un retard en lien avec un problème technique résolu pendant une escale effectuée sur le territoire d’un pays tiers constitue donc, selon moi, non seulement une condition mais aussi un risque inhérent au choix de ce transporteur aérien d’offrir ses services sur le marché européen. Ainsi, ce n’est que si ce transporteur fait le choix de réaliser des vols à l’arrivée ou au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre qu’il sera soumis aux dispositions du règlement no 261/2004 (33). Or, en faisant un tel choix, ce même transporteur aérien vise non seulement les vols directs, mais également les vols avec correspondances qui, conformément à une jurisprudence constante, constituent un ensemble aux fins du droit à indemnisation des passagers prévue par ce règlement, qu’ils soient opérés à titre individuel ou, comme dans le cas d’espèce, dans le cadre d’un accord de partage de code.

68.      En quatrième et dernier lieu, j’estime qu’il y a lieu de rejeter l’argument avancé par United Airlines selon lequel l’applicabilité du règlement no 261/2004 violerait le principe d’égalité de traitement dans la mesure où seulement les passagers du vol avec correspondances (Bruxelles‑San José) peuvent demander une indemnisation, alors que l’ensemble des passagers du vol Newark‑San José ont subi un préjudice dû au retard. Cet argument, non seulement confirme, à mon sens, que l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement ne s’applique pas sans un lien étroit entre un vol et le territoire de l’Union, mais est également fondé sur une prémisse erronée en omettant que les deux groupes de passagers que cette compagnie mentionne ne se trouvent pas dans une situation identique.

69.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la seconde question préjudicielle que l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 7 du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que la réponse apportée à la première question n’est pas contraire au principe, tiré du droit international coutumier, de la souveraineté complète et exclusive d’un État sur son espace aérien, de sorte que ce principe ne saurait affecter la validité de ce règlement.

V.      Conclusion

70.      Au vu de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Nederlandstalige ondernemingsrechtbank Brussel (tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles, Belgique) :

1)      L’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 7 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’un vol avec correspondances, composé de deux vols et ayant donné lieu à une réservation unique, au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre et à destination d’un aéroport situé dans un pays tiers via un autre aéroport de ce pays tiers, un passager victime d’un retard à sa destination finale de trois heures ou plus trouvant son origine dans le second vol effectué, tout comme le premier vol, par un transporteur aérien d’un pays tiers, peut diriger son recours indemnitaire au titre de ce règlement contre ce transporteur aérien effectif, lorsque la réservation unique a été faite auprès d’un transporteur communautaire n’ayant effectué matériellement aucun de ces vols.

2)      L’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 7 du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que la réponse apportée à la première question n’est pas contraire au principe, tiré du droit international coutumier, de la souveraineté complète et exclusive d’un État sur son espace aérien, de sorte que ce principe ne saurait affecter la validité de ce règlement.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).


3      La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner l’applicabilité du règlement no 261/2004 dans le cas de vols avec correspondances, notamment, dans les arrêts du 26 février 2013, Folkerts (C‑11/11, ci-après l’« arrêt Folkerts », EU:C:2013:106), du 31 mai 2018, Wegener (C‑537/17, ci-après l’« arrêt Wegener », EU:C:2018:361), du 11 juillet 2019, České aerolinie (C‑502/18, ci-après l’« arrêt České aerolinie », EU:C:2019:604), et du 30 avril 2020, Air Nostrum (C‑191/19, EU:C:2020:339). Sur la question de l’applicabilité du règlement no 261/2004 à une liaison aérienne au départ initial et à destination finale d’un pays tiers mais comportant deux vols avec un point de départ ou d’arrivée dans un État membre, voir conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Airhelp (Retard de vol de réacheminement) (C‑451/20, EU:C:2021:829, points 24 à 60), l’arrêt n’étant pas encore prononcé au moment de la présentation des présentes conclusions.


4      La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner la validité d’un acte législatif de l’Union au regard de ce principe, à savoir la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32), dans l’arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, ci-après l’« arrêt ATAA », EU:C:2011:864, points 103 et 104).


5      JO 1992, L 240, p. 1.


6      L’agence de voyages et Lufthansa ne sont pas parties à la procédure au principal.


7      Voir, en ce sens, arrêts du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a. (C‑402/07 et C‑432/07, EU:C:2009:716, point 61), du 23 octobre 2012, Nelson e.a. (C‑581/10 et C‑629/10, EU:C:2012:657), Folkerts (points 32 et 33), ainsi que České aerolinie (point 19).


8      Arrêt Folkerts (points 34 et 35).


9      Arrêt Wegener (points 17 et 18, ainsi que jurisprudence citée).


10      Arrêt Wegener (points 19 et 20, ainsi que jurisprudence citée).


11      Arrêt Wegener (point 23).


12      Arrêts Wegener (point 25) et České aerolinie (point 16), ainsi que ordonnance du 12 novembre 2020, KLM Royal Dutch Airlines (C‑367/20, ci-après l’« ordonnance KLM », EU:C:2020:909, point 19).


13      Arrêt České aerolinie (points 20 à 26) et ordonnance KLM (point 28).


14      Arrêt České aerolinie (point 20).


15      Arrêt České aerolinie (point 23).


16      Voir, pour une analyse des travaux préparatoires du règlement nº 261/2004, conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire flightright (C‑186/17, EU:C:2018:399, point 46).


17      Arrêt du 4 juillet 2018, Wirth e.a. (C‑532/17, EU:C:2018:527, points 19 et 20).


18      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire flightright (C‑186/17, EU:C:2018:399, point 27). La demande de décision préjudicielle ayant été retirée, l’affaire C‑186/17 a été radiée du registre de la Cour [voir ordonnance du président de la Cour du 2 août 2018, flightright (C‑186/17, non publiée, EU:C:2018:657)].


19      Il ressort de la décision de renvoi et des observations de United Airlines que le premier segment du vol a été commercialisé par Lufthansa sous le numéro de vol LH 8854 et effectué par United Airlines sous le numéro de vol UA 998.


20      Arrêt České aerolinie (point 28).


21      Arrêt České aerolinie (point 31 et jurisprudence citée).


22      Arrêt ATAA (point 101 et jurisprudence citée).


23      Arrêt ATAA (points 103 et 104, ainsi que jurisprudence citée). Ce principe est codifié, notamment, à l’article 1er de la convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago (États-Unis) le 7 décembre 1944, selon lequel « [l]es États contractants reconnaissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire ». Toutefois, cette convention, pour les raisons exposées aux points 57 à 72 de ce même arrêt, ne lie pas, en tant que telle, l’Union.


24      Arrêt ATAA (point 107 et jurisprudence citée).


25      Arrêt ATAA (point 110), confirmant l’arrêt du 16 juin 1998, Racke (C‑162/96, EU:C:1998:293, point 52).


26      Arrêt Wegener (point 15).


27      Dans la mesure où le champ d’application d’un acte de l’Union est interprété, notamment, à la lumière des règles pertinentes du droit international aérien [voir, par analogie, arrêt ATAA (point 123)].


28      Conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:637, points 148 et 149, ainsi que jurisprudence citée).


29      Voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:447, points 15 à 18).


30      Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Airhelp (Retard de vol de réacheminement) (C‑451/20, EU:C:2021:829, points 24 à 60), qui, toutefois, soutient que le règlement no 261/2004 s’applique également aux vols avec correspondances reliant un pays tiers à un autre pays tiers, lorsque le lieu d’arrivée du premier vol et le lieu de départ du second vol sont situés sur le territoire d’un État membre.


31      Voir considérants 1 et 4 du règlement no 261/2004.


32      Voir, par analogie, arrêt ATAA (point 128).


33      Voir, par analogie, arrêt ATAA (point 127).