Language of document : ECLI:EU:T:2023:644

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

18 octobre 2023 (*)

« Aides d’État – Marché italien du transport aérien – Aide accordée par l’Italie en faveur d’une compagnie aérienne dans le cadre de la pandémie de COVID-19 – Subvention directe – Décision de ne pas soulever d’objections – Aide destinée à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire – Article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE – Prise en compte de mesures d’aide antérieures en faveur du même bénéficiaire faisant l’objet de procédures formelles d’examen en cours – Évaluation du dommage – Lien de causalité – Principe de non-discrimination – Libre prestation des services – Liberté d’établissement – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑225/21,

Ryanair DAC, établie à Swords (Irlande), représentée par Mes F.-C. Laprévote, E. Vahida, V. Blanc, S. Rating I.-G. Metaxas-Maranghidis et D. Pérez de Lamo, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, J. Carpi Badía et Mme F. Tomat, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, MM. P. Gentili  et G. Santini, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé, lors des délibérations, de M. A. Kornezov, président, Mme K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteure) et M. D. Petrlík, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 10 novembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Ryanair DAC, demande l’annulation de la décision C(2020) 6194 final de la Commission, du 4 septembre 2020, relative à l’aide d’État SA.58114 (2020/NN) – Italie – Aide COVID-19 en faveur d’Alitalia (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Alitalia – Società Aerea Italiana SpA, placée sous administration extraordinaire (ci-après « Alitalia »), était une compagnie aérienne italienne qui desservait des destinations nationales et internationales en provenance et à destination, notamment, de différents aéroports en Italie.

3        En mai 2017, Alitalia et sa filiale détenue à 100 %, Alitalia Cityliner SpA, ont été, d’abord, placées sous administration extraordinaire en vertu de la législation italienne en matière d’insolvabilité et, ensuite, déclarées insolvables par une juridiction nationale.

4        Le 17 mars 2020, les autorités italiennes ont adopté le decreto-legge n. 18 – Misure di potenziamento del Servizio sanitario nazionale e di sostegno economico per famiglie, lavoratori e imprese connesse all’emergenza epidemiologica da COVID-19 (décret-loi no 18, portant mesures de renforcement du service national de santé et de soutien économique aux familles, aux travailleurs et aux entreprises pour faire face à l’urgence épidémiologique de la COVID-19) (GURI no 70, du 17 mars 2020, p. 1, ci-après le « décret-loi no 18/2020 »). Ce décret-loi prévoyait la création d’un fonds (ci-après le « Fonds ») d’un montant de 350 millions d’euros pour remédier aux dommages subis par les compagnies aériennes en raison de l’imposition de restrictions de voyage et d’autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19. Les compagnies aériennes pouvant bénéficier d’une indemnisation au titre du Fonds étaient celles qui, d’une part, étaient titulaires d’une licence de transport aérien de passagers délivrée par l’Autorité italienne de l’aviation civile (ENAC) et, d’autre part, s’étaient vu confier, à la date d’adoption dudit décret-loi, des obligations de service public conformément au règlement (CE) no 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (JO 2008, L 293, p. 3).

5        Le 20 juillet 2020, la République italienne a notifié à la Commission européenne, au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, une mesure d’aide individuelle en faveur d’Alitalia accordée sous la forme d’une subvention au titre du Fonds d’un montant de 199,45 millions d’euros (ci-après la « mesure en cause »). Cette mesure visait à indemniser Alitalia pour les dommages subis pendant la période du 1er mars au 15 juin 2020 (ci-après la « période en cause ») à cause de l’annulation de vols à la suite des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19.

6        Le 4 septembre 2020, la Commission, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, a adopté la décision attaquée, par laquelle elle a considéré que la mesure en cause constituait une aide d’État illégale, mais compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

 Conclusions des parties

7        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

9        La République italienne conclut, en substance, à l’irrecevabilité partielle du recours et à son rejet.

 En droit

10      Il convient de rappeler que le juge de l’Union européenne est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52, et du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑57/15, non publié, EU:T:2016:470, point 84). En l’espèce, le recours étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement, et l’examen de la recevabilité du recours impliquant une analyse complexe, il y a lieu, dans un souci d’économie de la procédure, d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité.

11      À l’appui du recours, la requérante soulève cinq moyens, tirés, le premier, de ce que la Commission a commis un détournement de pouvoir et enfreint l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE en accordant la priorité à l’examen de la mesure en cause et en « gelant » son examen de deux prêts accordés par la République italienne à Alitalia en 2017 d’un montant de 600 et 300 millions d’euros respectivement (ci-après la « mesure de 2017 ») et d’un prêt accordé par la République italienne à Alitalia en 2019 d’un montant de 400 millions d’euros (ci-après la « mesure de 2019 »), le deuxième, de ce que la Commission a enfreint l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et commis une erreur manifeste d’appréciation dans son examen de la proportionnalité de l’aide, le troisième, d’une violation des principes de non-discrimination, de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, le quatrième, de ce que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen et, le cinquième, d’une violation de l’obligation de motivation.

12      Le premier moyen et le premier grief de la première branche du deuxième moyen portent, en substance, sur l’incidence des mesures de 2017 et de 2019 sur l’examen de la mesure en cause. Dans la mesure où ce moyen et ce grief se recoupent en partie, le Tribunal estime opportun de les examiner ensemble.

 Sur le premier moyen et le premier grief de la première branche du deuxième moyen, relatifs à l’incidence des mesures de 2017 et de 2019 sur l’examen de la mesure en cause.

13      La requérante relève que, le 23 avril 2018, la Commission a adopté la décision C(2018) 2357 final, dans l’affaire SA.48171 (2018/C) (ex 2018/NN, ex 2017/FC) – Italie – Aide d’État alléguée en faveur d’Alitalia, par laquelle elle a ouvert une procédure formelle d’examen, conformément à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, afin d’examiner la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure de 2017, à la lumière de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (JO 2014, C 249, p. 1, ci-après les « lignes directrices S&R »). Le 28 février 2020, la Commission a adopté la décision C(2020) 1151 final, dans l’affaire SA.55678 (2019/NN) – Italie – Nouveau prêt en faveur d’Alitalia, par laquelle elle a ouvert une nouvelle procédure formelle d’examen, conformément à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, afin d’examiner la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure de 2019, à la lumière de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et des lignes directrices S&R.

14      À cet égard, la requérante soutient, en substance, que, en déclarant, dans la décision attaquée, que la mesure en cause était compatible avec le marché intérieur, sans avoir préalablement clôturé ou pris en considération les procédures formelles d’examen des mesures de 2017 et de 2019, en cours d’examen lors de l’adoption de la décision attaquée, la Commission a commis un détournement de pouvoir et a enfreint l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Par ailleurs, selon la requérante, la Commission aurait dû prendre en considération lesdites mesures dans son calcul des dommages subis par Alitalia en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19 et dans son appréciation de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure en cause.

15      La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

16      En premier lieu, selon la jurisprudence, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles dont il est excipé ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 4 décembre 2013, Commission/Conseil, C‑121/10, EU:C:2013:784, point 81 et jurisprudence citée).

17      En l’espèce, il convient de constater que, lors de l’adoption de la décision attaquée, les procédures formelles d’examen des mesures de 2017 et de 2019 étaient encore en cours. La Commission n’avait donc pas arrêté sa position définitive en ce qui concernait ces deux mesures.

18      En outre, il importe de souligner que, à la différence des mesures de 2017 et de 2019, la mesure en cause s’inscrit dans le contexte de la pandémie de COVID-19, un événement extraordinaire, qui imposait à la Commission d’agir dans les plus brefs délais, compte tenu de l’urgence et de la gravité de la situation économique causées par cette pandémie.

19      Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir procédé à l’adoption de la décision attaquée, laquelle visait précisément à remédier aux dommages subis par Alitalia en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19, aussi rapidement que possible et avant que les procédures formelles d’examen des mesures de 2017 et de 2019, sans lien avec la pandémie de COVID-19, ne soient clôturées.

20      Il s’ensuit que la requérante n’a pas démontré que, en adoptant la décision attaquée avant qu’elle ne clôture les procédures formelles d’examen des mesures de 2017 et de 2019, la Commission avait adopté ladite décision exclusivement ou de manière déterminante à des fins autres que celle d’indemniser Alitalia pour les dommages subis en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 ou dans le but d’éluder une procédure prévue par le traité, au sens de la jurisprudence citée au point 16 ci-dessus.

21      Partant, la requérante n’a pas démontré que la Commission avait commis un détournement de pouvoir.

22      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’allégation de la requérante selon laquelle l’examen des mesures de 2017 et de 2019 aurait pris du retard ou aurait impliqué la violation de certaines règles de procédure. De tels vices, à les supposer même établis, seraient susceptibles d’affecter la légalité des décisions portant sur les mesures de 2017 et 2019, mais resteraient sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

23      En second lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la Commission a enfreint l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE en ce qu’elle aurait omis de tenir compte des mesures de 2017 et de 2019 dans son calcul des dommages subis par Alitalia et dans son appréciation de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure en cause, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a fait valoir que l’existence des procédures formelles d’examen des mesures de 2017 et de 2019 ne faisait pas obstacle à ce que les autorités italiennes octroient des aides à Alitalia au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

24      Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, de ce même règlement, la Commission n’adopte une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen que lorsque, après un examen préliminaire de la mesure en cause, elle considère que celle-ci suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur.

25      Si les évaluations opérées dans le cadre d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen revêtent, certes, un caractère préliminaire, cette circonstance n’implique toutefois pas qu’une telle décision soit dépourvue d’effets juridiques. En effet, la Cour a déjà eu l’occasion de juger que les juridictions nationales devaient prendre en compte une telle décision de la Commission, lorsqu’elles décidaient si la mesure en question devait être qualifiée d’aide d’État et si, de ce fait, il y avait lieu de suspendre sa mise à exécution (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, points 37 à 43, et ordonnance du 4 avril 2014, Flughafen Lübeck, C‑27/13, non publiée, EU:C:2014:240, points 20 à 26).

26      Les enseignements dégagés dans cette jurisprudence, bien qu’ils concernent les obligations des juridictions nationales découlant de la constatation de l’existence d’une aide d’État, revêtent également une pertinence en l’espèce, dans la mesure où il en ressort qu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen n’est pas dépourvue d’effets juridiques et ne saurait donc être ignorée au seul motif que les évaluations qu’elle comporte sont de nature préliminaire.

27      Partant, le seul fait que les décisions d’ouverture des procédures formelles d’examen des mesures de 2017 et de 2019 revêtent un caractère préliminaire ne dispense pas en tant que tel la Commission de l’obligation de prendre en considération les doutes qu’elle a elle-même soulevés quant à la compatibilité desdites mesures avec le marché intérieur, à condition toutefois que lesdites mesures constituent des éléments pertinents pour l’examen de la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure en cause.

28      En effet, selon une jurisprudence constante, lorsque la Commission examine la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, elle doit prendre en considération tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 18 janvier 2012, Djebel – SGPS/Commission, T‑422/07, non publié, EU:T:2012:11, point 171 et jurisprudence citée, et du 27 février 2013, Nitrogénművek Vegyipari/Commission, T‑387/11, non publié, EU:T:2013:98, point 126).

29      Il convient donc d’examiner si les mesures de 2017 et de 2019 constituent des éléments pertinents pour l’appréciation de la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur au regard de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

30      À cet égard, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, pour calculer le montant des dommages subis par Alitalia pendant la période en cause en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19, la Commission a retenu une méthodologie fondée sur les données EBITDA (à savoir les bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements) d’Alitalia. En suivant cette méthodologie, décrite aux paragraphes 46 à 48, 91 et 92 de la décision attaquée, le montant total des dommages subis par Alitalia correspondait à la différence entre les données mensuelles EBITDA d’Alitalia pendant la période en cause et celles de la période correspondante en 2019.

31      En revanche, les mesures de 2017 et de 2019 avaient pour objet le sauvetage et la restructuration d’Alitalia et n’étaient aucunement liées à la pandémie de COVID-19. Ainsi, les mesures de 2017 et de 2019 avaient des objets et des objectifs tout à fait différents de ceux de la mesure en cause.

32      Il s’ensuit que les mesures de 2017 et de 2019 ne constituent pas des éléments pertinents pour l’appréciation de la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur et que, par conséquent, la Commission n’était pas obligée de les prendre en considération dans la décision attaquée.

33      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de la requérante.

34      Premièrement, la requérante fait valoir, en s’appuyant sur des propos de décembre 2019 tenus par le ministre italien de l’Industrie de l’époque relayés dans un article de presse, que, en l’absence des mesures de 2017 et de 2019, Alitalia serait sortie du marché avant la période en cause et que, par conséquent, elle n’aurait pas eu d’activité et encore moins de recettes pendant cette période, de sorte que la mesure en cause serait « excessive ». Elle ajoute, en substance, que la Commission n’aurait pas dû se fonder sur les données EBITDA d’Alitalia pendant la période du 1er mars au 15 juin 2019 dans le cadre d’un scénario contrefactuel, étant donné que ces résultats, affichant une marge positive, étaient « contaminés » par la mesure de 2017, puisqu’ils reflétaient des activités commerciales d’Alitalia qui n’auraient pas eu lieu ou qui auraient été réduites en l’absence de cette mesure.

35      Ces arguments restent pourtant trop généraux et peu étayés, de sorte qu’ils ne sauraient prospérer. En effet, d’une part, ces arguments reposent sur la prémisse que les mesures de 2017 et de 2019 étaient incompatibles avec le marché intérieur. Or, cette prémisse n’était pas avérée lors de l’adoption de la décision attaquée. De plus, comme cela a été relevé au point 31 ci-dessus, la mesure en cause avait un objet et un objectif tout à fait différents de ceux des mesures de 2017 et de 2019, de sorte que les doutes soulevés par la Commission quant à la compatibilité de ces dernières avec le marché intérieur concernaient des aspects étrangers à la mesure en cause.

36      D’autre part, la requérante ne démontre pas, preuves à l’appui, que les mesures de 2017 et de 2019 ont eu un impact concret sur le calcul des dommages que la mesure en cause visait à indemniser. La requérante reste en défaut de démontrer concrètement quel coût ou quelle recette générés pendant la période en cause aurait été affecté par lesdites mesures, de sorte qu’un tel élément aurait dû être exclu du montant des dommages octroyé par la mesure en cause.

37      Deuxièmement, s’agissant des arguments que la requérante tire de l’arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission (C‑355/95 P, EU:C:1997:241), il convient de relever que, dans cet arrêt, la Cour a considéré, en substance, que la Commission pouvait valablement décider que des nouvelles aides d’État ne pouvaient pas être déclarées compatibles avec le marché intérieur aussi longtemps que des aides antérieures illégales et incompatibles octroyées au même bénéficiaire n’avaient pas été remboursées, puisque l’effet cumulé de ces aides produisait une distorsion considérable de la concurrence sur le marché intérieur. La Cour a précisé que, dans ces conditions, le non-remboursement des aides antérieures illégales et incompatibles avec le marché intérieur constituait un élément de fond, légalement pris en considération par la Commission dans l’examen de la compatibilité des nouvelles aides (voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, EU:C:1997:241, point 25).

38      Or, la présente affaire se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission (C‑355/95 P, EU:C:1997:241), en ce que, en l’espèce, au moment de l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’avait pas déclaré incompatibles avec le marché intérieur les mesures antérieurement octroyées et n’avait pas ordonné, dans une décision antérieure, leur recouvrement.

39      Troisièmement, l’argument que tire la requérante de l’arrêt du 14 avril 2021, Ryanair/Commission (SAS, Danemark ; Covid-19) (T‑378/20, EU:T:2021:194, point 68), ne saurait prospérer non plus. En effet, le point 68 de cet arrêt concerne la question de savoir si une différence de traitement entre des transporteurs aériens peut être permise au regard de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, de sorte que les enseignements découlant dudit arrêt sont dépourvus de pertinence pour l’examen du bien-fondé du présent moyen.

40      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen et le premier grief de la première branche du deuxième moyen doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la Commission a enfreint l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE et commis une erreur manifeste d’appréciation dans son examen de la proportionnalité de l’aide

41      Le deuxième moyen de la requérante se divise en deux branches concernant, la première, l’évaluation des dommages et, la seconde, l’avantage concurrentiel obtenu par Alitalia.

 Sur la première branche, relative à l’évaluation des dommages

42      Dans le cadre de la première branche de son deuxième moyen, la requérante soulève six griefs, dont le premier a été examiné conjointement avec le premier moyen aux points 13 à 40 ci-dessus.

–       Sur le deuxième grief, tiré de ce que la Commission n’a pas fait de distinction entre les dommages causés par les restrictions liées à la pandémie de COVID-19 et les pertes causées par les difficultés préexistantes d’Alitalia

43      La requérante soutient, en substance, que la Commission a violé son obligation de motivation et a commis une erreur manifeste d’appréciation, car, dans son évaluation des dommages, elle n’a pas fait de distinction entre, d’une part, les dommages causés par les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 et, d’autre part, les pertes causées par les difficultés préexistantes d’Alitalia.

44      La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

45      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, seuls peuvent être compensés, au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, les désavantages économiques causés directement par des calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires (arrêt du 23 février 2006, Atzeni e.a., C‑346/03 et C‑529/03, EU:C:2006:130, point 79).

46      En particulier, selon la jurisprudence, le fait générateur du dommage, tel que défini dans la décision attaquée, doit être la cause déterminante du dommage auquel l’aide en cause vise à remédier et être directement à l’origine de ce dernier. Un lien direct n’existera que lorsque le dommage est la conséquence directe de l’événement en question sans dépendre de l’interposition d’autres causes. Ainsi, il incombe à la Commission de s’interroger avec une attention particulière sur la question de savoir si ledit fait générateur était véritablement la cause déterminante du dommage causé au bénéficiaire de l’aide concernée ou si, au contraire, une partie de ce dommage était due aux difficultés préexistantes de ce bénéficiaire [voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Ryanair/Commission (Condor ; Covid-19), T‑665/20, EU:T:2021:344, points 45 et 58].

47      Cela étant, rien ne s’oppose à ce que le bénéficiaire d’une aide au titre de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE soit une entreprise en difficulté.

48      En l’espèce, il est constant, d’une part, qu’Alitalia était une entreprise en difficulté lors de l’octroi de la mesure en cause et, d’autre part, que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas fait référence explicitement à la distinction entre les dommages causés par les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 et les pertes causées par les difficultés préexistantes d’Alitalia.

49      Toutefois, il ressort de la décision attaquée que la méthodologie utilisée par la Commission pour calculer les dommages subis par Alitalia, décrite au point 30 ci-dessus, a été fondée sur la comparaison des données EBITDA d’Alitalia entre la période en cause et la période correspondante en 2019. Ainsi que l’a relevé la Commission dans son mémoire en défense et répété lors de l’audience, cette méthodologie ne prenait en considération que les recettes et les coûts d’Alitalia directement liés à ses activités opérationnelles. Ces recettes et ces coûts avaient ainsi été directement affectés par les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19.

50      Or, la requérante n’a identifié aucun poste de coûts spécifique qui, selon elle, aurait dû être exclu du calcul des dommages tel qu’effectué par la Commission, ou traité différemment par celle-ci, en raison du fait que ce coût aurait été causé par les difficultés préexistantes d’Alitalia.

51      Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré que la méthodologie utilisée par la Commission pour calculer les dommages subis par Alitalia compensait également les pertes causées par les difficultés préexistantes de celle-ci.

52      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante par lequel elle reproche à la Commission d’avoir pris en considération les données EBITBA pendant la période comprise entre le 1er mars et le 15 juin 2019 en tant que point de référence pour le calcul des dommages subis par Alitalia. À cet égard, elle fait valoir, en substance, qu’Alitalia se trouvait dans une mauvaise situation financière pendant la période allant de 2008 à 2019 et que, dès lors, en l’absence des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19, ses résultats financiers auraient continué à se détériorer pendant l’année 2020. En supposant que, en l’absence de telles restrictions, les résultats d’Alitalia auraient été, pendant la période en cause, les mêmes que ceux enregistrés pendant la période du 1er mars au 15 juin 2019, la Commission aurait surestimé les dommages.

53      La requérante renvoie à plusieurs éléments de preuve à cet égard, notamment à un tableau qui montrerait les résultats opérationnels d’Alitalia pendant la période allant de 2009 à 2020, à trois articles de presse portant sur les pertes d’Alitalia et au fait que celle-ci était insolvable depuis 2017 et que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, elle était une entreprise en difficulté au sens des lignes directrices S&R. La requérante a également affirmé à l’audience que l’adoption de la mesure de 2019 illustrait encore davantage la détérioration de la situation financière d’Alitalia juste avant la période en cause.

54      Tout d’abord, comme le fait valoir à juste titre la Commission dans son mémoire en défense, les données réelles d’Alitalia pendant la période allant du 1er mars au 15 juin 2019, prises en compte par elle dans le cadre de son examen du scénario contrefactuel, constituaient les données historiques les plus récentes enregistrées avant la survenance de la pandémie de COVID-19. En règle générale, la prise en compte des données historiques les plus récentes est appropriée, à moins que la partie requérante ne démontre, sur la base d’éléments objectifs et concordants, que ces données ne sont pas fiables.

55      À cet égard, les références opérées par la requérante aux résultats financiers globaux d’Alitalia au cours des années 2008 à 2019 ne démontrent pas que les données historiques en cause n’étaient pas fiables. En effet, les données historiques utilisées par la Commission dans la décision attaquée concernaient spécifiquement les données EBITDA enregistrées par Alitalia pendant la période allant du 1er mars au 15 juin 2019, ce qui se justifie par le fait que la mesure en cause visait à indemniser Alitalia spécifiquement pour les dommages subis pendant la période en cause, à savoir la période correspondante de l’année suivante, en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19. Or, la requérante n’apporte aucun argument étayé expliquant comment les difficultés financières d’Alitalia auraient concrètement eu une influence sur les données EBITDA de cette dernière entre la période pertinente de 2019 et la période en cause, de sorte que la diminution de l’EBITDA d’Alitalia pendant la période en cause pouvait s’expliquer, du moins partiellement, par les difficultés préexistantes d’Alitalia. En effet, son argument selon lequel les revenus d’Alitalia pendant la période en cause auraient été inférieurs à ceux de la période correspondante en 2019, puisque cette entreprise était en train de rationaliser ses activités et de vendre des actifs, n’est étayé par aucun élément de preuve.

56      En outre, et en tout état de cause, les données présentées par la requérante ne permettent pas de dégager une tendance claire dans l’évolution de la situation financière d’Alitalia au cours des années, étant donné que ses résultats financiers ont souvent fluctué soit à la baisse soit à la hausse, selon les années.

57      Par ailleurs, s’il est vrai qu’Alitalia était insolvable depuis 2017 et que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, elle était une entreprise en difficulté au sens des lignes directrices S&R, il n’en demeure pas moins que la requérante n’a identifié aucun poste de coûts spécifique causé par cette insolvabilité ou autrement lié à celle-ci qui aurait été indemnisé par la mesure en cause.

58      Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré que c’était à tort que la Commission avait pris en considération les données EBITDA d’Alitalia pendant la période comprise entre le 1er mars et le 15 juin 2019 dans le cadre de son examen du scénario contrefactuel, ou que la méthodologie avait entraîné une surestimation des dommages subis par Alitalia.

59      Enfin, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel, au lieu de se fonder sur les données EBITDA d’Alitalia pendant la période allant du 1er mars au 15 juin 2019, la Commission aurait dû prendre en considération les plans d’affaires, de restructuration ou de liquidité établis par Alitalia avant le commencement de la pandémie de COVID‑19 pour la période en cause. En l’absence d’éléments de preuve démontrant que l’utilisation des données historiques les plus récentes concernant la période allant du 1er mars au 15 juin 2019 n’était pas fiable pour le calcul des dommages subis par Alitalia pendant la période en cause, il convient de considérer que ces données constituaient une base de référence plus appropriée pour l’examen du scénario contrefactuel qu’un scénario contrefactuel fondé sur des estimations prévisionnelles des résultats futurs d’Alitalia.

60      Partant, la requérante n’a présenté aucun indice ou élément de preuve susceptible de suggérer, et encore moins de démontrer, que, en l’espèce, la mesure en cause avait compensé, ne serait-ce qu’en partie, des pertes d’Alitalia causées par ses difficultés préexistantes.

61      En outre, la Commission ayant expliqué de manière claire la méthodologie qu’elle a suivie pour calculer les dommages subis par Alitalia dans la section 2.6.2 (paragraphes 46 à 48) de la décision attaquée, elle n’a pas, non plus, violé son obligation de motivation.

62      Il résulte de ce qui précède que le deuxième grief de la première branche du deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

–       Sur le troisième grief, tiré de ce que la Commission a surestimé les dommages directement causés par les restrictions liées à la pandémie de COVID-19

63      La requérante relève, en substance, que la Commission a inclus dans le calcul des dommages pendant la période en cause des pertes de revenus qui n’étaient pas directement liées aux restrictions de voyage imposées par l’Italie et par d’autres États membres et qu’elle a surestimé, dès lors, le montant des dommages subis par Alitalia. À cet égard, elle rappelle que, pendant les périodes du 1er mars au 9 mars 2020 et du 3 juin au 15 juin 2020, il n’y avait pas de confinement complet en Italie et les opérations d’Alitalia n’étaient que partiellement affectées par des restrictions de voyage. Partant, la Commission aurait présumé, à tort, que l’intégralité des dommages pendant la période en cause était imputable aux restrictions de voyage.

64      La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

65      En l’espèce, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du paragraphe 74 de la décision attaquée, la mesure en cause visait à compenser les dommages subis par Alitalia à cause de l’annulation de vols à la suite des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 pendant non seulement le confinement national en Italie du 10 mars au 2 juin 2020, lequel a imposé une restriction quasi complète à la liberté de circulation sur l’ensemble du territoire italien, mais également les jours précédant et suivant immédiatement cette période, à savoir du 1er au 9 mars 2020 et du 3 au 15 juin 2020.

66      À cet égard, dans la décision attaquée, la Commission a précisé les raisons pour lesquelles elle avait considéré approprié d’autoriser une aide couvrant les dommages subis par Alitalia tant pendant le confinement national en Italie que pendant les jours l’ayant immédiatement précédé et succédé.

67      En effet, premièrement, comme cela est expliqué aux paragraphes 10 à 12, 76 et 77 de la décision attaquée, le gouvernement italien avait déjà mis en place des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 pendant la période allant du 1er au 9 mars 2020. Ayant déjà adopté des restrictions de voyage affectant certains pays tiers en février 2020, la République d’Italie a imposé, le 1er mars 2020, des mesures de confinement dans plusieurs villes du nord de l’Italie et a restreint de manière sensible toutes les activités économiques, culturelles et de transport dans plusieurs régions du nord de l’Italie. Le 4 mars, elle a appliqué ces mêmes restrictions à l’ensemble du territoire italien. Pendant cette période du début du mois de mars, il ressort également des paragraphes cités de la décision attaquée que plusieurs États membres ont interdit ou limité l’entrée de personnes provenant d’Italie. Des pays tiers ont également imposé des limitations ou, comme les États-Unis, ont déconseillé à leurs ressortissants de voyager en Italie.

68      Deuxièmement, s’agissant de la période du 3 au 15 juin 2020, immédiatement postérieure au confinement national en Italie, il est expliqué aux paragraphes 15 à 17 et 82 à 84 de la décision attaquée, qu’un nombre important d’aéroports en Italie et certaines liaisons domestiques étaient encore fermés et que la majorité des États membres n’avaient pas rouvert leurs frontières, ce qui signifie que les liaisons avec l’Italie n’étaient pas possibles. Il ressort de la décision attaquée que la majorité des États membres ont progressivement levé les restrictions aux frontières seulement à partir du 15 juin 2020.

69      Troisièmement, il ressort des paragraphes 24 à 31 de la décision attaquée que les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 ont entraîné l’immobilisation de la majeure partie de la flotte d’Alitalia pendant l’ensemble de la période en cause.

70      Partant, c’est à juste titre que la Commission a autorisé une aide couvrant les dommages subis par Alitalia pendant l’ensemble de la période du 1er mars au 15 juin 2020.

71      En particulier, d’une part, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, tenir compte du dommage subi par Alitalia pendant la période allant du 1er au 9 mars 2020, ayant immédiatement précédé le confinement national en Italie, compte tenu de la détérioration rapide des conditions de voyage pendant cette période, en raison de l’adoption progressive de multiples restrictions de voyage à géométrie variable, par les autorités italiennes ainsi que par les autorités d’autres États membres et d’États tiers, pour faire face à la pandémie de COVID-19.

72      D’autre part, la Commission pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, tenir compte du dommage subi par Alitalia pendant la période allant du 3 au 15 juin 2020, ayant immédiatement succédé le confinement national en Italie, compte tenu de l’application encore généralisée de restrictions de voyage pendant cette période, lesquelles avaient été adoptées tant par les autorités italiennes que par les autorités d’autres États membres et n’avaient été levées que de manière progressive pendant le mois de juin 2020.

73      Il résulte de ce qui précède que le troisième grief de la première branche du deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

–       Sur le quatrième grief, tiré de ce que la Commission a commis des erreurs d’appréciation en ce qui concerne l’évaluation des coûts évités

74      La requérante soutient que l’évaluation des coûts évités effectuée dans la décision attaquée est « opaque ». En outre, elle reproche à la Commission de ne pas avoir vérifié si, pendant la période en cause, Alitalia avait adopté des mesures visant à éliminer l’ensemble de ses coûts « évitables », pour ainsi réduire au minimum ses dommages, ou si, au contraire, elle avait encouru des coûts qu’elle aurait pu éviter, ce qui aurait eu pour effet de surestimer lesdits dommages.

75      La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

76      Premièrement, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel l’évaluation des coûts évités effectuée dans la décision attaquée était « opaque ».

77      En effet, au paragraphe 43, sous b), de la décision attaquée, la Commission a expliqué, de manière suffisamment claire et précise, que, dans son évaluation des dommages, elle avait pris en considération les coûts supplémentaires et évités d’Alitalia, c’est-à-dire l’incidence positive et négative des mesures de confinement sur les coûts variables et fixes d’Alitalia. À cet égard, la Commission a précisé qu’elle avait pris en compte tous les coûts variables d’Alitalia, en particulier les coûts du carburant, les frais et les charges, les coûts d’entretien, les commissions de l’Association du transport aérien international (IATA) et les coûts de restauration, ainsi que les coûts fixes d’Alitalia ayant varié en raison desdites mesures, en particulier les coûts de personnel et de marketing moins élevés. La Commission a précisé dans son mémoire en défense et lors de l’audience que ces explications dans la décision attaquée relatives aux coûts évités s’appliquaient tant à la méthodologie des « pertes nettes », décrite aux paragraphes 42 à 45 de la décision attaquée, qu’à la méthodologie fondée sur les données EBITDA finalement retenue dans la décision pour le calcul des dommages (voir point 30 ci-dessus). En outre, la Commission a expliqué au paragraphe 89 de la décision attaquée, d’une part, que les coûts évités correspondaient aux coûts qu’Alitalia aurait encourus pendant la période en cause si ses activités n’avaient pas été affectées par les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19, et qu’Alitalia n’avait pas eu à supporter en raison de l’annulation de ces opérations (carburant, charges aéroportuaires, etc.) et, d’autre part, que les coûts évités étaient quantifiés en comparant les coûts supportés par Alitalia pendant la période en cause avec ceux supportés par elle pendant la période correspondante en 2019.

78      Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû s’assurer que la mesure en cause ne compensait pas des coûts subis par Alitalia qui étaient « évitables », mais qu’elle n’avait pas évités, il suffit de constater que celui-ci est trop général et n’est pas étayé.

79      En effet, la requérante reste en défaut de préciser quels seraient concrètement les postes de coûts qu’Alitalia aurait encourus pendant la période en cause, alors qu’elle aurait pu les éviter, et qui, dès lors, auraient dû être exclus du calcul des dommages subis par celle-ci.

80      Il résulte de ce qui précède que le quatrième grief de la première branche du deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

–       Sur le cinquième grief, tiré de ce que la Commission n’a pas évalué les dommages causés par la pandémie de COVID-19 à des compagnies aériennes autres qu’Alitalia

81      La requérante soutient que, dans la décision attaquée, la Commission a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation, car elle aurait dû examiner non seulement le dommage subi par Alitalia en raison de la pandémie de COVID-19, mais aussi celui subi par ses concurrents. Selon la requérante, un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE affecte par définition plusieurs, voire toutes, les entreprises du secteur concerné, de sorte que de nombreuses autres compagnies aériennes auraient subi des dommages en Italie dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Cette disposition serait dès lors destinée à réparer les dommages subis également par les concurrents d’Alitalia, et non seulement par cette dernière.

82      La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

83      Il est, certes, vrai, comme le fait valoir à juste titre la requérante, que l’ensemble des compagnies aériennes qui opèrent en Italie ont été affectées par les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19 et qu’elles ont, par voie de conséquence, toutes subi, à l’instar d’Alitalia, un dommage résultant de celles-ci.

84      Toutefois, il n’en demeure pas moins, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission dans son mémoire en défense, qu’il n’existe aucune obligation, pour les États membres, d’accorder des aides destinées à remédier aux dommages causés par un « événement extraordinaire » au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

85      Plus particulièrement, d’une part, si l’article 108, paragraphe 3, TFUE oblige les États membres à notifier à la Commission leurs projets en matière d’aides d’État avant leur mise à exécution, il ne les oblige pas, en revanche, à octroyer une aide (ordonnance du 30 mai 2018, Yanchev, C‑481/17, non publiée, EU:C:2018:352, point 22).

86      D’autre part, une aide peut être destinée à remédier aux dommages causés par un événement extraordinaire, conformément à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, indépendamment du fait qu’elle ne remédie pas à l’intégralité de ces dommages [arrêt du 9 novembre 2022, Ryanair/Commission (Croatia Airlines ; COVID-19), T‑111/21, non publié, EU:T:2022:699, point 114].

87      Par conséquent, il ne découle ni de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ni de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE que les États membres seraient obligés de remédier à l’intégralité des dommages causés par un événement extraordinaire, de sorte qu’ils ne sauraient non plus être tenus d’accorder des aides à l’ensemble des victimes de ces dommages [arrêt du 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission (Austrian Airlines ; Covid-19), T‑677/20, sous pourvoi, EU:T:2021:465, point 57].

88      Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n’était pas tenue d’évaluer, dans la décision attaquée, les dommages causés aux compagnies aériennes autres qu’Alitalia [voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission (Austrian Airlines ; Covid-19), T‑677/20, sous pourvoi, EU:T:2021:465, point 95].

89      Il résulte de ce qui précède que le cinquième grief de la première branche du deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

–       Sur le sixième grief, tiré de ce que la Commission a commis des erreurs en ce qui concerne l’appréciation de l’engagement de la République italienne de définir la méthode de calcul des dommages subis par Alitalia dans un décret ministériel

90      La requérante soutient, en substance, que l’engagement de la République italienne, mentionné au paragraphe 50 de la décision attaquée, de définir, dans un décret ministériel, la méthode de calcul des dommages subis par Alitalia est incomplet ou erroné. Cet engagement laisserait, de manière injustifiée, une marge de manœuvre à cet État membre quant à la mise en vigueur du mécanisme de calcul.

91      La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

92      Premièrement, il y a lieu de constater que l’engagement visé au paragraphe 50 de la décision attaquée prévoit l’adoption d’un décret ministériel définissant une méthodologie pour le calcul des dommages qui « permettra de calculer les pertes nettes (définies comme les pertes de revenus moins les coûts évités) appréciées en comparaison avec l’année précédant l’événement exceptionnel » tout en appliquant les « normes comptables internationales, normalement utilisées pour calculer l’EBITDA ». Or, ainsi que le relève la Commission dans son mémoire en défense, il convient d’interpréter cette méthodologie comme se référant nécessairement à la méthodologie fondée sur les données EBITDA, décrite aux paragraphes 46 à 48, 91 et 92 de la décision attaquée, et expressément autorisée par la Commission dans cette décision.

93      Il s’ensuit que la méthode de calcul des dommages prévue dans ledit décret ministériel doit correspondre à la méthodologie fondée sur les données EBITDA décrite dans la décision attaquée.

94      En effet, l’engagement visé au point 90 ci-dessus ne vise ni à déterminer une nouvelle méthode de calcul des dommages, différente de celle autorisée dans la décision attaquée, ni à modifier cette dernière, mais uniquement à respecter les exigences de l’article 79, paragraphe 2, du décret-loi no 18/2020, lequel exigeait l’adoption d’un décret ministériel établissant les modalités d’application de l’aide faisant l’objet de la mesure en cause.

95      Deuxièmement, la requérante fait valoir que cet engagement n’est assorti d’aucune date limite, qu’il n’est pas certain que la République italienne appliquera les normes comptables internationales normalement utilisées pour calculer l’EBITDA dans le cadre de celui-ci et que, en tout état de cause, Alitalia n’a pas la capacité de rembourser toute surcompensation des dommages qu’elle recevrait au vu de sa situation financière. Cependant, la requérante n’explique pas quelle serait la pertinence ou l’incidence de ces arguments sur la légalité de la décision attaquée.

96      Il résulte de ce qui précède que le sixième grief de la première branche du deuxième moyen et, dès lors, la première branche du deuxième moyen dans son ensemble doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur la seconde branche, relative à l’avantage concurrentiel obtenu par Alitalia

97      La requérante soutient, en substance, que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit, car, dans son appréciation de la proportionnalité de la mesure en cause, elle aurait sous-estimé la valeur de l’avantage octroyé à Alitalia, en ne prenant en compte que le montant nominal de la trésorerie accordée à celle-ci par le biais de la mesure en cause, mais non l’avantage concurrentiel obtenu par elle grâce à cette mesure, lequel se traduirait par un renforcement de la position d’Alitalia sur le marché.

98      La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

99      À cet égard, il convient de relever que, aux fins de l’appréciation de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, l’avantage procuré par cette aide à son bénéficiaire n’inclut pas l’éventuel bénéfice économique réalisé par celui-ci par l’exploitation de cet avantage. Un tel bénéfice peut ne pas être identique à l’avantage constituant ladite aide, voire s’avérer inexistant, sans que cette circonstance puisse justifier une appréciation différente de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 92).

100    Par conséquent, il y a lieu de constater que la Commission a, à juste titre, tenu compte de l’avantage procuré à Alitalia, tel qu’il résultait de la mesure en cause. En revanche, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir déterminé l’existence d’un éventuel bénéfice économique résultant de cet avantage [voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission (Austrian Airlines ; Covid-19), T‑677/20, sous pourvoi, EU:T:2021:465, point 120].

101    Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte d’un éventuel avantage concurrentiel obtenu par Alitalia grâce à la mesure en cause [voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2021, Ryanair et Laudamotion/Commission (Austrian Airlines ; Covid-19), T‑677/20, sous pourvoi, EU:T:2021:465, point 121].

102    Il résulte de ce qui précède que la seconde branche du deuxième moyen et, dès lors, le deuxième moyen dans son ensemble doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation des principes de non-discrimination, de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement

103    La requérante soutient, en substance, que la Commission a violé le principe de non-discrimination ainsi que les principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement, au motif que la mesure en cause ne bénéficie qu’à Alitalia.

104    La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

105    Il convient de rappeler qu’une aide d’État qui viole des dispositions du traité ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission, C‑594/18 P, EU:C:2020:742, point 44 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, points 50 et 51).

 Sur la violation du principe de non-discrimination

106    Le principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 66 ; voir également, en ce sens, arrêt du 5 juin 2018, Montero Mateos, C‑677/16, EU:C:2018:393, point 49).

107    Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent en outre être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 26).

108    Par ailleurs, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause (arrêt du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, EU:C:1984:183, point 25), étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 55].

109    La requérante soutient, en substance, que la décision attaquée autorise un traitement discriminatoire qui ne serait ni approprié ni nécessaire pour atteindre l’objectif de la mesure en cause, à savoir réparer les dommages causés par la pandémie de COVID-19. La requérante constate qu’elle détient au moins 28 % du marché italien des services de transport aérien de passagers et a donc subi environ 28 % des dommages causés par la pandémie de COVID-19 dans cet État membre. Si la mesure en cause était accordée à toutes les compagnies aériennes opérant en Italie, l’objectif de la mesure serait atteint sans discrimination. À cet égard, la décision attaquée n’expliquerait pas la raison pour laquelle la mesure en cause a été octroyée seulement à Alitalia, alors même que les autres compagnies aériennes opérant en Italie auraient également subi des dommages résultant de la pandémie de COVID-19. Selon la requérante, la mesure en cause est une mesure de « nationalisme économique évident ».

110    À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que la mesure en cause vise à indemniser uniquement Alitalia pour les dommages qu’elle a subis pendant la période en cause en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19.

111    Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 92 à 96 ci-dessus, s’il est certes vrai que l’ensemble des compagnies aériennes qui opèrent en Italie ont été affectées par les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19 pendant la période en cause et qu’elles ont, par voie de conséquence, toutes subi, à l’instar d’Alitalia, un dommage résultant de celles-ci, il n’en demeure pas moins qu’il ne découle ni de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ni de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE que les États membres seraient obligés de remédier à l’intégralité des dommages causés par un événement extraordinaire, de sorte qu’ils ne sauraient non plus être tenus d’accorder des aides à l’ensemble des victimes de ces dommages.

112    En deuxième lieu, il convient de relever qu’une aide individuelle, telle que celle en cause, ne bénéficie, par définition, qu’à une seule entreprise, à l’exclusion de toutes les autres entreprises, y compris celles se trouvant dans une situation comparable à celle du bénéficiaire de cette aide. Ainsi, de par sa nature, une telle aide individuelle instaure une différence de traitement, voire une discrimination, laquelle est pourtant inhérente au caractère individuel de ladite mesure. Or, soutenir, comme le fait la requérante, que l’aide individuelle en cause est contraire au principe de non-discrimination revient, en substance, à mettre en cause systématiquement la compatibilité avec le marché intérieur de toute aide individuelle du seul fait de son caractère intrinsèquement exclusif et par là discriminatoire, alors même que le droit de l’Union permet aux États membres d’octroyer des aides individuelles, pourvu que toutes les conditions prévues à l’article 107 TFUE soient remplies.

113    En troisième lieu, et en tout état de cause, à supposer que, comme l’affirme la requérante, la différence de traitement instituée par la mesure en cause, en ce qu’elle ne bénéficie qu’à Alitalia, puisse être assimilée à une discrimination, il convient de vérifier si elle est justifiée par un objectif légitime et si elle est nécessaire, appropriée et proportionnée pour l’atteindre. De même, il convient de relever que, selon l’article 18, premier alinéa, TFUE, toute discrimination exercée en raison de la nationalité dans le domaine d’application des traités « sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient » est interdite. Partant, il importe de vérifier si cette différence de traitement est permise au regard de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE, qui constitue la base juridique de la décision attaquée. Cet examen implique, d’une part, que l’objectif de la mesure en cause satisfasse aux exigences prévues par cette dernière disposition et, d’autre part, que les modalités d’octroi de la mesure en cause, à savoir, en l’espèce, le fait que celle-ci ne bénéficie qu’à Alitalia, soient de nature à permettre que soit atteint cet objectif et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

114    S’agissant, premièrement, de l’objectif de la mesure en cause, la requérante ne conteste pas que l’indemnisation des dommages subis par une compagnie aérienne pendant la période en cause, en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19, permet de remédier, ne serait-ce qu’en partie, aux dommages causés par cette pandémie. La requérante ne conteste pas non plus que la pandémie de COVID-19 constitue un événement extraordinaire au sens de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

115    S’agissant, deuxièmement, des modalités d’octroi de la mesure en cause, d’une part, il importe d’observer que cette mesure visait à indemniser les dommages subis par Alitalia en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19 seulement pendant une période déterminée, à savoir du 1er mars au 15 juin 2020.

116    Ainsi qu’il ressort des paragraphes 10 à 17 de la décision attaquée, cela s’explique par le fait que la période en cause a vu l’instauration généralisée de mesures de confinement et de fermetures de frontières adoptées par la République italienne et les États membres ainsi que par des pays tiers. Ainsi qu’il est détaillé aux paragraphes 19 à 31 et 76 à 84 de la décision attaquée, les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement en vigueur pendant la période en cause ont conduit à l’annulation des vols d’Alitalia pendant l’ensemble de cette période.

117    Or, il résulte de la décision attaquée qu’Alitalia a été fortement affectée par les restrictions de voyage et les autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 pendant la période en cause.

118    D’autre part, comme le fait valoir en substance la Commission dans son mémoire en défense, plusieurs éléments démontrent qu’Alitalia jouait un rôle important pour la desserte aérienne de l’Italie ainsi que pour l’économie italienne et présentait un lien particulièrement étroit, stable et durable avec cet État membre.

119    En effet, tout d’abord, il ressort de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par la requérante, que, avant la pandémie de COVID-19, Alitalia desservait plus de 100 destinations dans le monde, transportant plus de 21 millions de passagers par an à partir notamment de son principal centre d’opérations à l’aéroport de Rome Fiumicino et d’autres aéroports en Italie. Ensuite, il n’est pas contesté non plus que, au moment de l’adoption de la décision attaquée, Alitalia était l’un des plus grands employeurs en Italie, avec plus de 11 000 employés. Il a également été observé dans la décision attaquée que, entre le mois de mars et le mois de juin 2020, Alitalia avait organisé des vols spéciaux de rapatriement à la demande des autorités italiennes et qu’elle avait effectué des vols domestiques afin de maintenir des services essentiels en Italie. Enfin, il ressort de la décision attaquée que, à la date d’adoption du décret-loi no 18/2020, lequel constitue la base légale de la mesure en cause, c’est-à-dire le 17 mars 2020, Alitalia était chargée d’obligations de service public en Italie.

120    S’agissant de la question de savoir si la mesure en cause va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, il convient de constater que le montant de celle-ci ne dépasse pas celui du dommage subi par Alitalia pendant la période en cause en raison des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID‑19, ainsi qu’il ressort notamment du paragraphe 93 de la décision attaquée. Partant, la mesure en cause ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime qu’elle poursuit.

121    Par conséquent, il y a lieu de constater que la différence de traitement en faveur d’Alitalia est appropriée aux fins de remédier aux dommages résultant de ces restrictions de voyage et de ces autres mesures de confinement et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

122    De plus, la requérante n’établit pas que le fait de répartir le montant de la mesure en cause entre l’ensemble des compagnies aériennes présentes en Italie n’aurait pas privé d’effet utile ladite mesure.

123    Il s’ensuit, en tout état de cause et pour autant que la différence de traitement instituée par la mesure en cause puisse être assimilée à une discrimination, qu’il était justifié de n’accorder le bénéfice de ladite mesure qu’à Alitalia et que cette mesure ne viole pas le principe de non-discrimination.

 Sur la violation de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services

124    D’une part, il convient de rappeler que les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil (voir arrêt du 6 octobre 2015, Finanzamt Linz, C‑66/14, EU:C:2015:661, point 26 et jurisprudence citée).

125    D’autre part, la libre prestation des services s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre, indépendamment de l’existence d’une discrimination selon la nationalité ou la résidence (arrêt du 6 février 2003, Stylianakis, C‑92/01, EU:C:2003:72, point 25). Toutefois, il y a lieu de constater que, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, la libre prestation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports, à savoir le titre VI du traité FUE. La libre prestation des services en matière de transports est ainsi soumise, au sein du droit primaire, à un régime juridique particulier (arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C‑628/11, EU:C:2014:171, point 36). Par conséquent, l’article 56 TFUE, qui consacre la libre prestation des services, ne s’applique pas tel quel au domaine de la navigation aérienne (arrêt du 25 janvier 2011, Neukirchinger, C‑382/08, EU:C:2011:27, point 22).

126    C’est dès lors uniquement sur la base de l’article 100, paragraphe 2, TFUE que des mesures de libéralisation des services de transport aérien peuvent être adoptées (arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C‑628/11, EU:C:2014:171, point 38). Or, ainsi que le relève, à juste titre, la requérante, le législateur de l’Union a adopté le règlement no 1008/2008, sur le fondement de cette disposition, qui a précisément pour objet de définir les conditions d’application, dans le secteur du transport aérien, du principe de la libre prestation des services (voir, par analogie, arrêt du 6 février 2003, Stylianakis, C‑92/01, EU:C:2003:72, points 23 et 24).

127    En l’espèce, il convient de relever que la requérante soutient, en substance, que la mesure en cause constitue une entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services du fait de son caractère discriminatoire.

128    Or, s’il est vrai que la mesure en cause porte sur une aide individuelle qui ne bénéficie qu’à Alitalia, la requérante n’établit pas en quoi ce caractère exclusif est de nature à la dissuader de s’établir en Italie ou d’effectuer des prestations de services depuis cet État et à destination de celui-ci. La requérante reste notamment en défaut d’identifier les éléments de fait ou de droit qui feraient que cette mesure produit des effets restrictifs qui iraient au-delà de ceux qui déclenchent l’interdiction de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais qui, ainsi qu’il a été jugé aux points 113 à 120 ci-dessus, sont néanmoins nécessaires et proportionnés pour remédier aux dommages causés à Alitalia par l’événement extraordinaire qu’est la pandémie de COVID-19, conformément aux exigences prévues à l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE.

129    Par conséquent, la mesure en cause ne saurait constituer une entrave à la liberté d’établissement ou à la libre prestation des services. Il s’ensuit que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la Commission de ne pas avoir examiné la compatibilité de cette mesure avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services.

130    Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré de ce que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen

131    La requérante soutient, en substance, que l’examen mené par la Commission était incomplet et insuffisant, comme le démontreraient notamment ses arguments avancés au soutien des premier, deuxième et troisième moyens. Or, cela témoignerait de l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen et à permettre à la requérante de présenter ses observations.

132    La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

133    Il convient de relever que le quatrième moyen de la requérante présente, en réalité, un caractère subsidiaire, pour le cas où le Tribunal n’aurait pas examiné le bien-fondé de l’appréciation de la mesure en cause en tant que tel. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante qu’un tel moyen vise à permettre à une partie intéressée d’être jugée recevable, en cette qualité, à introduire un recours au titre de l’article 263 TFUE, ce qui lui serait autrement refusé (voir, en ce sens, arrêts du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 48, et du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a. C‑47/10 P, EU:C:2011:698, point 44). Or, le Tribunal a examiné et rejeté les trois premiers moyens du recours se rapportant au bien-fondé de l’appréciation de ladite mesure en tant que tel, de sorte qu’un tel moyen se trouve privé de sa finalité affichée.

134    Au surplus, force est de constater que ce moyen est dépourvu de contenu autonome. En effet, la partie requérante peut invoquer, aux fins de la préservation des droits procéduraux dont elle bénéficie dans le cadre de la procédure formelle d’examen, uniquement des moyens de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait ou pouvait disposer, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 81 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 35, et du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 59), comme le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire ou l’existence de plaintes provenant de parties tierces. Or, il convient de relever que le quatrième moyen reprend de façon condensée les arguments soulevés dans le cadre des premier à troisième moyens sans mettre en évidence d’éléments spécifiques relatifs à l’existence d’éventuelles difficultés sérieuses.

135    À cet égard, il ressort de l’examen des premier à troisième moyens que les arguments présentés par la requérante n’ont révélé l’existence d’aucune erreur d’appréciation commise par la Commission. Il ressort également de l’examen desdits moyens que les arguments soulevés par la requérante ne sont pas davantage susceptibles d’être des indices probants d’un examen incomplet, contrairement à ce que soutient la requérante.

136    Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

137    La requérante soutient que la Commission a violé l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, dans la mesure où, premièrement, elle n’a pas examiné la valeur de l’avantage concurrentiel accordé à Alitalia, deuxièmement, elle a omis de motiver son calcul des dommages subis par Alitalia en ce que, d’une part, elle n’a pris en considération ni les mesures de 2017 et de 2019, ni les pertes d’Alitalia causées par ses difficultés préexistantes et, d’autre part, elle n’a pas défini de manière claire si les dommages à indemniser étaient uniquement ceux causés par les restrictions de voyage imposées par la République italienne ou également celles adoptées par d’autres États membres et, troisièmement, elle n’a pas examiné si la mesure en cause n’était pas discriminatoire et si elle était compatible avec le règlement no 1008/2008 et les principes de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement.

138    La Commission et la République italienne contestent les arguments de la requérante.

139    À cet égard, il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle (arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 37) et doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Ainsi, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées par celui-ci au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences prévues à l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63 ; du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C‑42/01, EU:C:2004:379, point 66, et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 79).

140    En l’espèce, s’agissant de la nature de l’acte en cause, il convient de relever que la décision attaquée a été adoptée au terme de la phase préliminaire d’examen des aides instituée par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide concernée, sans que soit ouverte la procédure formelle d’examen prévue au paragraphe 2 dudit article, qui, quant à elle, est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données relatives à cette aide.

141    Or, une telle décision, qui est prise dans des délais brefs, doit uniquement contenir les raisons pour lesquelles la Commission estime ne pas être en présence de difficultés sérieuses d’appréciation de la compatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur (arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 65).

142    À cet égard, premièrement, s’agissant de la motivation de la décision attaquée quant à la valeur de l’avantage concurrentiel accordé à Alitalia, il suffit de constater que, ainsi qu’il résulte des points 99 à 101 ci-dessus, la Commission n’avait pas à prendre en considération un tel avantage aux fins d’apprécier la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, de sorte qu’elle n’avait pas non plus à le mentionner dans la décision attaquée.

143    Deuxièmement, s’agissant de la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne les mesures de 2017 et de 2019, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort du point 32 ci-dessus, la Commission n’était pas obligée de prendre en considération ces mesures dans le cadre de son examen de la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur au regard de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE. Partant, la Commission n’était pas non plus obligée de fournir une motivation à cet égard dans la décision attaquée.

144    De même, la Commission n’a pas violé son obligation de motivation en ce qui concerne le calcul des dommages subis par Alitalia pendant la période en cause, ainsi qu’il a été relevé au point 61 ci-dessus.

145    Troisièmement, s’agissant de la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l’origine des restrictions de voyage et des autres mesures de confinement liées à la pandémie de COVID-19 ayant causé les dommages d’Alitalia à indemniser au titre de la mesure en cause, il ressort clairement de la décision attaquée, notamment des paragraphes 42 et 73, qu’il s’agissait des mesures de ce type instaurées tant par la République italienne que par les autres États membres et les pays tiers. L’argument de la requérante manque, dès lors, en fait.

146    Quatrièmement, s’agissant du principe de non-discrimination et de ceux relatifs à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement, il convient, certes, de rappeler que, selon la jurisprudence, lorsque les bénéficiaires de l’acte, d’une part, et d’autres opérateurs exclus, d’autre part, se trouvent placés dans une situation comparable, l’institution de l’Union, auteur de l’acte, est tenue d’exposer, dans le cadre d’une motivation spécifique, en quoi la différence de traitement ainsi instaurée est objectivement justifiée (arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, EU:C:2008:224, point 82). Toutefois, à la différence de la mesure concernée dans l’arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast (C‑390/06, EU:C:2008:224), laquelle constituait un régime d’aides, la mesure en cause en l’espèce est une mesure d’aide individuelle et, par conséquent, la Commission n’était pas obligée d’apporter, dans la décision attaquée, une motivation spécifique en ce qui concernait la compatibilité de ladite mesure avec ces principes.

147    En tout état de cause, s’agissant du principe de non-discrimination, la décision attaquée contient des éléments permettant de comprendre le rôle important qu’Alitalia jouait pour la desserte aérienne de l’Italie et pour l’économie italienne et, par conséquent, les raisons pour lesquelles la République italienne a choisi cette compagnie comme seul bénéficiaire de la mesure en cause, ainsi qu’il ressort des points 118 et 119 ci-dessus.

148    Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée est suffisamment motivée et que, par conséquent, le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

149    Partant, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité.

 Sur les dépens

150    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens, ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

151    La République italienne supportera ses propres dépens, en application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Ryanair DAC est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République italienne supportera ses propres dépens.

Kornezov

Kowalik-Bańczyk

Petrlík

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 octobre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.