Language of document : ECLI:EU:T:2021:443

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

14 juillet 2021 (*) (1)

« Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne tridimensionnelle – Forme d’un rouge à lèvres oblongue, conique et cylindrique – Motif absolu de refus – Caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑488/20,

Guerlain, établie à Paris (France), représentée par Me T. de Haan, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme S. Pétrequin, MM. A. Folliard-Monguiral et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 2 juin 2020 (affaire R 2292/2019-1), concernant une demande d’enregistrement d’un signe tridimensionnel constitué par la forme d’un rouge à lèvres oblongue, conique et cylindrique comme marque de l’Union européenne,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, U. Öberg et Mme O. Spineanu‑Matei (rapporteure), juges,

greffier : Mme J. Pichon, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 5 août 2020,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 19 octobre 2020,

vu la question écrite du Tribunal aux parties du 10 février 2021 pour réponse lors de l’audience,

à la suite de l’audience du 21 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 17 septembre 2018, la requérante, Guerlain, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), laquelle a été considérée comme ayant été déposée le 19 octobre 2018, après sa régularisation à cette date par la requérante.

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe tridimensionnel suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 3 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Rouges à lèvres ».

4        La requérante a, à titre subsidiaire, revendiqué le caractère distinctif acquis par l’usage au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001.

5        Par décision du 21 août 2019, l’examinateur a rejeté la demande d’enregistrement de ladite marque, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Il a précisé que la revendication subsidiaire fondée sur l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 serait examinée lorsque sa décision serait devenue définitive.

6        Le 14 octobre 2019, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de l’examinateur.

7        Par décision du 2 juin 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours en confirmant la décision de l’examinateur constatant l’absence de caractère distinctif de la marque demandée. En particulier, après avoir défini le public pertinent et décrit ladite marque, elle a considéré que les rouges à lèvres usuels existant sur le marché n’étaient pas considérablement différents. Selon elle, tous étaient d’une forme cylindrique et les consommateurs étaient habitués aux contenants présentant une forme ovale. À cet égard, elle a reproduit les images ci-dessous :

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8        Ensuite, la chambre de recours a estimé que, même en admettant que la marque demandée était différente de toutes les autres formes de rouge à lèvres existant sur le marché, il était habituel de trouver de multiples formes et que les caractéristiques spécifiques de ladite marque ne permettaient pas de la distinguer de façon significative des autres formes habituellement présentes sur ledit marché, de sorte que cette marque serait perçue comme une variante de ces formes. Partant, prise dans son ensemble, la marque en question ne divergerait pas suffisamment et encore moins « de manière significative » des normes et des habitudes du secteur.

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris ceux exposés devant la chambre de recours.

10      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

11      Au soutien du recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

12      La requérante estime que la chambre de recours a considéré à tort que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif.

13      L’EUIPO réfute l’argumentation de la requérante.

14      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif.

15      Le caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 33 et jurisprudence citée).

16      Le caractère distinctif d’une marque, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (voir arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, EU:C:2004:258, point 35 et jurisprudence citée).

17      Les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques. Toutefois, dans le cadre de l’application de ces critères, la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, constituée par l’apparence du produit lui-même, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou sur celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif s’agissant d’une marque tridimensionnelle que s’agissant d’une marque verbale ou figurative (arrêts du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C‑136/02 P, EU:C:2004:592, point 30, et du 20 octobre 2011, Freixenet/OHMI, C‑344/10 P et C‑345/10 P, EU:C:2011:680, points 45 et 46).

18      Conformément à la jurisprudence, plus la forme dont l’enregistrement est demandé en tant que marque se rapproche de la forme la plus probable que prendra le produit en cause, plus il est vraisemblable que ladite forme est dépourvue de caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Dans ces conditions, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif au sens de ladite disposition (arrêt du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C‑136/02 P, EU:C:2004:592, point 31).

19      Il s’ensuit que, lorsqu’une marque tridimensionnelle est constituée de la forme du produit pour lequel l’enregistrement est demandé, le simple fait que cette forme soit une « variante » de l’une des formes habituelles de ce type de produits ne suffit pas à établir que ladite marque n’est pas dépourvue de caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Il convient toujours de vérifier si une telle marque permet au consommateur moyen de ce produit, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de distinguer, sans procéder à une analyse et sans faire preuve d’une attention particulière, le produit concerné de ceux d’autres entreprises (arrêt du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C‑136/02 P, EU:C:2004:592, point 32).

20      Par ailleurs, l’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne n’est pas subordonné à la constatation d’un certain niveau de créativité ou d’imagination linguistique ou artistique de la part du titulaire de la marque. Il suffit que la marque permette au public pertinent d’identifier l’origine des produits ou des services protégés par celle-ci et de les distinguer de ceux d’autres entreprises (arrêt du 16 septembre 2004, SAT.1/OHMI, C‑329/02 P, EU:C:2004:532, point 41).

21      C’est à la lumière des considérations énoncées aux points 14 à 20 ci-dessus qu’il convient d’examiner si, comme le soutient la requérante, la chambre de recours a violé l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 en concluant à l’absence de caractère distinctif eu égard aux produits qu’elle vise.

22      À titre liminaire, la requérante estime que la chambre de recours a dénaturé les faits et son argumentation en mentionnant qu’elle « contest[ait] que la forme spécifique de la marque demandée [fût] révolutionnaire pour le produit en cause », alors qu’elle avait au contraire revendiqué le caractère révolutionnaire de la forme constituant ladite marque. Or, il suffit de constater qu’il ressort clairement de la décision attaquée que ladite chambre a compris et considéré que la requérante invoquait le caractère distinctif de la forme constituant cette marque, dans la mesure où elle a mentionné au point 20 de ladite décision que la marque en question avait une forme « remarquable » et où celle-ci a examiné et rejeté cette argumentation aux points 23 à 33 de cette décision. Dès lors, l’utilisation du verbe « contester » est manifestement due à une erreur de plume, certes malheureuse, mais qui ne peut être qualifiée de dénaturation des arguments de la requérante.

23      Ensuite, s’agissant du public pertinent dont la perception devait être prise en compte, la chambre de recours a estimé que les produits désignés par la marque demandée, relevant de la classe 3, étaient destinés aux « consommateurs finaux moyens », dont le niveau d’attention variait de moyen à élevé, en fonction des variations de prix des produits sur le marché et que, néanmoins, le fait que ce public fût spécialisé et que son degré d’attention fût plus élevé que celui du consommateur moyen, ne saurait avoir une influence déterminante sur les critères juridiques utilisés pour l’appréciation du caractère distinctif du signe. Enfin, elle a considéré que ledit public était celui de l’ensemble de l’Union européenne.

24      À cet égard, l’EUIPO a précisé, lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal que, d’une part, la référence aux consommateurs finaux moyens renvoyait au grand public et, d’autre part, que la mention du public spécialisé était faite à titre superfétatoire. La requérante ne conteste pas les appréciations selon lesquelles le public pertinent est constitué du grand public doté d’un niveau d’attention variant de moyen à élevé.

25      La requérante observe que la chambre de recours a constaté que le secteur concerné des rouges à lèvres se caractérisait par une importante variété de formes, dont les représentations aux points 4 et 19 de la décision attaquée représentaient la norme et les formes habituelles ou typiques de tels produits. Or, elle soutient que ladite chambre a conclu de manière erronée son examen du caractère distinctif de la marque demandée en considérant que cette marque ne s’écartait pas suffisamment de la norme ou des habitudes du secteur.

26      À cet égard, la requérante soutient en premier lieu, en substance, que le produit représenté ne présenterait aucune surface plane et ne pourrait pas se tenir en position verticale. Ce produit ne pourrait dès lors être ni exposé, ni posé, ni rangé comme tous les autres produits constituant la norme ou les modèles habituels. Cette particularité serait déterminante, car elle changerait complètement le rapport à la vue et à l’usage dudit produit. De plus, elle contribuerait à l’unicité de la forme du produit en question et conditionnerait la perception qu’en ont les consommateurs.

27      En deuxième lieu, la requérante soutient que la chambre de recours a présenté de manière « abusive et contestable » les cinq vues de la marque tridimensionnelle de manière verticale, alors que tant le dépôt original que la marque dont la priorité a été revendiquée et acceptée représenteraient la marque horizontalement.

28      En troisième lieu, la requérante estime que la marque demandée est constituée d’une forme générale inédite d’une coque de bateau, d’un couffin ou d’un lingot renversé à bords arrondis, avec une partie supérieure bombée, ce qui serait particulièrement distinctif, en l’absence d’un quelconque exemple relevant de la norme ou des habitudes du secteur concerné ayant pareil aspect.

29      En quatrième lieu, la requérante fait valoir que l’encoche rectangulaire figurant sur le côté de la marque demandée constitue une autre caractéristique inédite de la forme en cause et est perçue comme une charnière, indiquant l’existence d’un capot pivotant, qui, en s’ouvrant, ferait apparaître un double miroir, ce qui aurait été d’ailleurs illustré par la chambre de recours, qui aurait reproduit la forme, telle qu’utilisée par la requérante, au point 22 de la décision attaquée.

30      En cinquième lieu, la requérante soutient que la forme en cause présente une petite forme ovale en relief sur le dessus, qui ne serait jamais présente dans ce qui constitue la norme et les habitudes du secteur concerné et que la chambre de recours a ignoré cet élément dans l’appréciation globale.

31      En dernier lieu, la requérante prétend que, si chacune des caractéristiques de la forme constituant la marque demandée qu’elle invoque diverge de la norme et des habitudes du secteur concerné, tel est à plus forte raison le cas de leur combinaison. Ainsi, elle invoque l’aspect esthétiquement très réussi de la forme en cause, qui serait unanimement reconnu par le public pertinent et qui contribuerait à retenir encore davantage l’attention du consommateur qui y percevrait un signe manifestement distinctif. En outre, elle soutient que la nouveauté et l’originalité d’une forme sont des indices particulièrement pertinents pour conclure que celle-ci s’écarte de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur. Enfin, la facilité de mémorisation de la forme en cause démontrerait que cette dernière est perçue comme un signe distinctif, car elle permettrait précisément au public de répéter l’expérience si elle est positive, ce qui, en l’espèce, serait largement le cas au vu de l’accueil et du succès du produit. En témoignerait à cet égard la réaction de la presse et du public pertinent, lesquels auraient salué à l’unisson le caractère « révolutionnaire » de ladite forme.

32      L’EUIPO fait valoir, en premier lieu, que toute divergence avec les modes de présentation des produits concurrents ne suffit pas, à elle seule, à garantir l’existence d’un caractère distinctif, car cette divergence doit être significative et, dès lors, immédiatement apparente. Il résulterait de la jurisprudence que l’enregistrement de certains signes devrait être soumis à leur capacité à générer une impression de « jamais vu ».

33      En deuxième lieu, l’EUIPO considère que la forme en cause a une partie plane permettant au produit d’être posé horizontalement, tout comme pour des rouges à lèvres existant sur le marché et que même les rouges à lèvres pouvant être posés verticalement sont souvent présentés horizontalement en magasin. En outre, le produit concerné serait présenté verticalement dans des pièces produites durant la procédure administrative. Enfin, il ne pourrait pas être reproché à la chambre de recours l’absence de prise en compte de cette caractéristique, la requérante ne l’ayant pas invoquée devant elle.

34      En troisième lieu, la chambre de recours n’aurait pas été tenue de fournir des exemples de rouges à lèvres ayant une forme identique sur le marché et l’un des exemples cités aurait une forme présentant des similitudes avec la marque demandée. De plus, la forme en cause serait, certes, plutôt semi-cylindrique, mais ladite chambre aurait aussi noté l’existence de formes ovales et rectangulaires pour ces produits et leur emballage.

35      En quatrième lieu, la charnière, représentée de façon très simpliste, montrerait simplement l’emplacement de l’ouverture, sans qu’il puisse être déduit des vues déposées que le capot s’ouvre sur un miroir.

36      En cinquième lieu, la chambre de recours aurait indiqué à juste titre que la petite forme ovale était un élément technique fonctionnel et qu’elle était simplement décorative, sans être perçue comme un indicateur d’origine.

37      En dernier lieu, l’EUIPO fait valoir qu’aucune des caractéristiques de la marque demandée invoquées ni leur combinaison ne permettent de conclure que la forme demandée diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur. Selon lui, l’argument de la requérante selon lequel l’aspect esthétiquement très réussi de la forme demandée serait reconnu par le public est inopérant. En effet, la beauté et la nouveauté de l’emballage reconnues par le public prendraient en compte des caractéristiques qui ne seraient pas visibles dans la demande de marque. En outre, les articles désigneraient le produit par son nom et se réfèreraient surtout à la nouveauté du « design », alors que la seule nouveauté de la forme en cause ne serait pas suffisante pour conclure à l’existence de son caractère distinctif et la circonstance que des produits aient un design de qualité n’impliquerait pas nécessairement qu’une marque constituée de la forme tridimensionnelle de ces produits permette au consommateur de distinguer ceux-ci de ceux d’autres entreprises. Par ailleurs, l’argument de la requérante relatif à une erreur de raisonnement juridique au point 30 de la décision attaquée devrait être rejeté, car ce point devrait être lu avec celui le précédant. De plus, l’argument relatif au caractère très facilement mémorisable de la forme en cause par le public pertinent devrait être écarté, car cette affirmation ne reposerait que sur des arguments déjà avancés concernant la combinaison des caractéristiques de ladite forme et auxquels la chambre de recours aurait répondu. Enfin, la chambre de recours n’aurait commis aucune erreur de droit au point 32 de ladite décision et aurait appliqué la jurisprudence. Selon l’EUIPO, même à admettre que la marque demandée est différente des autres formes de rouges à lèvres existant sur le marché, ces différences ne dominent pas l’impression d’ensemble produite par celle-ci.

38      S’agissant tout d’abord de la critique de la requérante concernant la représentation de la marque dont l’enregistrement était demandé, force est de constater que, à la suite de la demande de régularisation de l’EUIPO, la requérante a retiré deux des sept vues initialement présentées et a communiqué, le 19 octobre 2018, la représentation figurant aux points 1 et 17 de la décision attaquée et au point 2 ci-dessus. Partant, il ne saurait être valablement reproché à la chambre de recours d’avoir pris en considération cette représentation.

39      Ensuite, il ne saurait également être valablement reproché à la chambre de recours de ne pas avoir pris en considération les articles de presse, les publicités ainsi que les commentaires des observateurs indépendants saluant le caractère véritablement « révolutionnaire » de la forme du produit concerné par la marque demandée. En effet, cette argumentation n’est pas pertinente dans le cadre de l’analyse de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, laquelle se fait sur la base de la représentation de ladite marque. Au demeurant, un éventuel caractère distinctif acquis par l’usage n’a pas été invoqué dans ce cadre par la requérante et ne fait pas l’objet du présent recours.

40      En premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante concernant la nouveauté et l’originalité de la forme constituant la marque demandée, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, l’appréciation du caractère distinctif d’une marque de l’Union européenne ne se fonde pas sur l’originalité ou l’absence d’utilisation de ladite marque dans le domaine dont relèvent les produits et les services concernés [voir arrêt du 5 février 2020, Hickies/EUIPO (Forme d’un lacet de chaussure), T‑573/18, EU:T:2020:32, point 63 et jurisprudence citée].

41      Ainsi, selon la jurisprudence, une marque tridimensionnelle constituée par la forme du produit pour lequel l’enregistrement est demandé doit nécessairement diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur concerné pour qu’elle puisse présenter un caractère distinctif. Dès lors, la seule nouveauté de ladite forme n’est pas suffisante pour conclure à l’existence d’un tel caractère, car le critère déterminant est la capacité de ladite forme à remplir la fonction d’indication de l’origine commerciale (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2020, Forme d’un lacet de chaussure, T‑573/18, EU:T:2020:32, point 64).

42      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante tiré de l’aspect esthétique très réussi de la forme en cause, il convient de relever que, selon la jurisprudence, la circonstance que des produits aient un design de qualité n’implique pas nécessairement qu’une marque constituée de la forme tridimensionnelle de ces produits permet ab initio de distinguer lesdits produits de ceux d’autres entreprises, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 (arrêt du 5 février 2020, Forme d’un lacet de chaussure, T‑573/18, EU:T:2020:32, point 65).

43      Toutefois, il ne saurait être exclu que l’aspect esthétique d’une marque prenant la forme de l’emballage d’un produit, en l’occurrence de son contenant, puisse être pris en compte, parmi d’autres éléments, pour établir une différence par rapport à la norme et aux usages d’un secteur, pour autant que cet aspect esthétique soit compris comme renvoyant à l’effet visuel objectif et inhabituel produit par le design spécifique de ladite marque (arrêt du 12 décembre 2019, EUIPO/Wajos, C‑783/18 P, non publié, EU:C:2019:1073, point 32).

44      Par conséquent, il y a lieu de relever que la prise en compte de l’aspect esthétique de la marque demandée ne doit pas équivaloir à une évaluation de la beauté ou de l’absence de celle-ci du produit en cause, qui serait par définition subjective, mais vise à vérifier, en conformité avec la jurisprudence citée au point 43 ci-dessus, si celui-ci est en mesure de générer un effet visuel objectif et inhabituel aux yeux du public pertinent.

45      En troisième lieu, il convient de constater que, sans se prononcer clairement en faveur de l’existence de la différence entre la forme faisant l’objet de la marque demandée et les autres formes présentes dans le secteur concerné, la chambre de recours et l’EUIPO considèrent que, même à admettre que ladite marque est différente des autres formes de rouges à lèvres existant sur le marché, les différences ne dominent pas l’impression d’ensemble de cette marque. Dès lors, ces différences ne seraient pas significatives et ne permettraient pas à la marque en question de remplir sa fonction d’identification de l’origine des produits concernés.

46      Tout d’abord, il y a lieu de souligner que la chambre de recours a relevé, d’une part, l’existence de formes exclusivement cylindriques et, d’autre part, que, « [d]ès lors que le secteur concerné se caractéris[ait] par une importante variété de formes, dont celle des formes ovales d’un tube rectangulaire de rouge à lèvres classique, la forme en cause sera[it] perçue comme une, parmi d’autres, des nombreuses formes d’étui de rouges à lèvres habituellement présentes sur le marché concerné ». Ainsi, ladite chambre a considéré comme constituant la norme et les habitudes du secteur, sans que cette constatation ne soit contestée par la requérante, les exemples de rouges à lèvres mentionnés aux points 4 et 19 de la décision attaquée.

47      À cet égard, il convient de relever que malgré l’argumentation contradictoire de la chambre de recours, il ressort de la décision attaquée que les formes identifiées ne sont pas toutes cylindriques, même si celles-ci sont les plus nombreuses, et que sont recensées quelques formes parallélépipédiques ou, dans un des cas, une forme pourvue d’une partie cylindrique et d’une partie allongée avec une face plane ovale.

48      Par ailleurs, selon la jurisprudence, la norme et les habitudes du secteur ne sauraient être réduites à la seule forme statistiquement la plus répandue, mais comprennent toutes les formes que le consommateur a l’habitude d’apercevoir sur le marché [arrêt du 25 novembre 2020, Brasserie St Avold/EUIPO (Forme d’une bouteille foncée), T‑862/19, EU:T:2020:561, point 56].

49      Dès lors, en tenant compte des images prises en considération par la chambre de recours comme constituant la norme et les habitudes du secteur concerné, il y a lieu de constater, à l’instar de la requérante, que la forme en cause est inhabituelle pour un rouge à lèvres et diffère de toute autre forme existant sur le marché.

50      La chambre de recours s’est limitée à constater l’absence de divergence significative par rapport aux normes et aux habitudes du secteur. Or, s’il est vrai, conformément à la jurisprudence citée au point 19 ci-dessus, que le simple fait qu’une forme soit une « variante » de l’une des formes habituelles d’un type de produits ne suffit pas à établir que ladite forme n’est pas dépourvue de caractère distinctif, le fait qu’un secteur se caractérise par une importante variété de formes de produits n’implique pas qu’une éventuelle nouvelle forme sera nécessairement perçue comme l’une d’elles.

51      À la lumière des considérations qui précèdent, il convient de vérifier si la marque demandée, prise dans son ensemble, diffère de manière significative de la norme et des habitudes du secteur, telles que décrites au point 47 ci-dessus.

52      En l’espèce, la marque demandée est une marque tridimensionnelle qui consiste en la forme d’un produit, rouge à lèvres. Elle est composée de deux parties imbriquées l’une dans l’autre dont la ligne de séparation au premier quart de la longueur est surmontée d’une petite forme ovale légèrement en relief. Elle ne présente aucune ligne droite et sa partie supérieure est légèrement bombée, alors que sa partie inférieure n’a qu’une surface plane d’étendue limitée. En outre, un de ses côtés comporte une encoche rectangulaire. Toutefois, comme le soutient l’EUIPO, cette encoche peut être perçue comme une charnière montrant l’emplacement de l’ouverture, mais il ne peut être déduit de la représentation graphique présentée dans la demande d’enregistrement que ladite charnière s’ouvre sur un capot pivotant et un double miroir. Appréhendée globalement, la forme faisant l’objet de ladite marque n’est pas « semi-cylindrique » comme l’affirme l’EUIPO, étant donné qu’elle ne présente aucune surface plane analogue à celles d’un cylindre. Au contraire, ladite forme rappelle celle d’une coque de bateau ou d’un couffin, comme la requérante le fait valoir.

53      Ensuite, en comparant la marque demandée avec la forme cylindrique des rouges à lèvres, il convient de relever qu’il ressort des images présentées au point 7 ci-dessus que cette forme est la plus répandue sur le marché et qu’elle constitue une forme géométrique de base alors que ladite marque diffère significativement de celle-ci par sa forme de coque de bateau ou de couffin. En outre, s’agissant de la petite forme ovale en relief, si elle permet de verrouiller et déverrouiller le rouge à lèvres, il y a lieu de relever, néanmoins, que la présence de cette protubérance est insolite pour un tel produit et qu’elle contribue à l’apparence inhabituelle de cette marque. N’apparaissant pas sur les formes de rouges à lèvres cylindriques, ladite petite forme ainsi que l’encoche rectangulaire, en dépit de leurs caractéristiques techniques, contribuent à différencier significativement la forme de la marque en question des formes cylindriques.

54      Par ailleurs, en ce qui concerne les formes parallélépipédiques qui ont été prises en considération par la chambre de recours comme faisant partie de la norme et les habitudes du secteur, il y a lieu de souligner que la marque demandée en diffère d’autant plus significativement que de telles formes sont pourvues d’angles droits, alors que la forme représentée par ladite marque n’en présente aucun. S’agissant de la présence d’une petite forme ovale en relief déjà relevée au point 53 ci-dessus, il convient de constater qu’il est certes possible de distinguer en bas à gauche des exemples présentés au point 7 ci-dessus un étui rectangulaire pourvu d’une protubérance. Toutefois, le fait que cette marque possède une protubérance similaire n’enlève rien au caractère significativement différent de la forme de la marque en question rappelant une coque de bateau ou un couffin par rapport aux formes parallélépipédiques analysées.

55      S’agissant de la comparaison entre la marque demandée et la forme qui apparait être, comme cela a d’ailleurs été confirmé par l’EUIPO lors de l’audience, au sein de la norme du secteur concerné, la plus proche de ladite marque, il convient de relever que cette forme est dotée d’une partie cylindrique et d’une partie allongée avec une face plane ovale. Or, comme il a été établi au point 52 ci-dessus et contrairement à ce que fait valoir l’EUIPO, la forme de cette marque n’est pas semi-cylindrique. En effet, cette forme rappelant une coque de bateau ou un couffin peut être considérée comme fantaisiste pour un rouge à lèvres et diverge à ce titre de manière significative de la norme et des habitudes du secteur concerné.

56      Enfin, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le rouge à lèvres représenté par la marque demandée « ne saurait tenir debout », à l’inverse de toutes les autres formes de rouge à lèvres existant sur le marché, il y a lieu de constater que, cette forme de coque de bateau, telle que représentée graphiquement dans la demande d’enregistrement de ladite marque, ne permettait en aucun cas de positionner le produit concerné de manière verticale. Or, cet aspect renforce l’effet visuel inhabituel pour le public pertinent de cette forme pour un rouge à lèvres.

57      Partant, le public pertinent doté d’un niveau d’attention allant de moyen à élevé sera surpris par cette forme facilement mémorisable et la percevra comme divergeant de manière significative de la norme et des habitudes du secteur des rouges à lèvres en mesure d’indiquer l’origine des produits concernés. Dès lors, c’est à tort que la chambre de recours a conclu que la marque demandée ne disposait pas d’un caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

58      À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir le moyen unique invoqué par la requérante et, par conséquent, d’annuler la décision attaquée.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

60      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à la procédure devant le Tribunal, conformément aux conclusions de la requérante.

61      En outre, la requérante a conclu à la condamnation de l’EUIPO aux dépens qu’elle a exposés devant la chambre de recours. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Partant, il y a également lieu de condamner l’EUIPO aux dépens indispensables exposés par la requérante aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 2 juin 2020 (affaire R 2292/2019-1) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens, y compris aux dépens indispensables exposés par Guerlain aux fins de la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO.

Spielmann

Öberg

Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.