Language of document : ECLI:EU:T:2014:60

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

6 février 2014 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché espagnol des stations-service – Décision de rejet d’une plainte – Règlement (CE) no 1/2003 – Inexécution des engagements rendus obligatoires par une décision de la Commission – Réouverture de la procédure – Amendes – Astreintes »

Dans l’affaire T‑342/11,

Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio (CEEES), établie à Madrid (Espagne),

Asociación de Gestores de Estaciones de Servicio, établie à Madrid,

représentées par Mes A. Hernández Pardo et B. Marín Corral, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. M. Muñoz Pérez, puis par Mme S. Centeno Huerta et enfin par M. A. Rubio González, abogados del Estado,

et par

Repsol Comercial de Productos Petrolíferos SA, représentée par Mes J. Jiménez-Laiglesia Oñate et S. Rivero Mena, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2011) 2994 final de la Commission, du 28 avril 2011, rejetant la plainte introduite par les requérantes concernant les infractions aux règles de la concurrence commises par Repsol (affaire COMP/39461),

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 avril 2013,

rend le présent

Arrêt

1        Par le présent recours, les requérantes, la Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio (CEEES) et l’Asociación de Gestores de Estaciones de Servicio, demandent l’annulation de la décision C (2011) 2994 final de la Commission, du 28 avril 2011, rejetant la plainte introduite par elles concernant les infractions aux règles de la concurrence commises par Repsol (affaire COMP/39461) (ci-après la « décision attaquée »). Ladite plainte dénonçait le non-respect par l’intervenante, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos SA (ci-après « Repsol »), des engagements rendus obligatoires par la décision de la Commission du 12 avril 2006 relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (affaire COMP/B‑1/38.348 – Repsol CPP) (résumé au JO L 176, p. 104, ci-après la « décision sur les engagements »).

 Faits à l’origine du litige

2        La CEEES est une association d’entreprises ayant pour objet la défense et la représentation des intérêts dans tous les domaines de ses membres, qui sont, en substance, des sociétés titulaires de droits d’exploitation de stations-service.

3        L’Asociación de Gestores de Estaciones de Servicio est une association d’entreprises qui est intégrée dans la CEEES et qui représente les intérêts des entrepreneurs qui exploitent des stations-service sans en être propriétaire.

4        Repsol est une société pétrolière espagnole.

5        Le 16 juin 2004, la Commission des communautés européennes a ouvert une procédure d’application des articles 81 CE et 82 CE à l’encontre de Repsol concernant la distribution de carburant aux stations-service espagnoles. Dans son appréciation préliminaire, elle a exprimé des doutes quant à la compatibilité de certains éléments des accords de distribution exclusifs à long terme conclus entre Repsol et les stations-service avec l’article 81 CE.

6        Pour répondre aux préoccupations soulevées par la Commission, Repsol a proposé des engagements, qui ont été publiés dans le cadre de la consultation publique prévue par l’article 27, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et qui ont fait l’objet de plusieurs révisions.

7        Le 12 avril 2006, en adoptant la décision sur les engagements, sur la base de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, la Commission a rendu les engagements révisés obligatoires jusqu’au 31 décembre 2011.

8        La décision sur les engagements prévoit, notamment, ce qui suit :

« [Repsol] s’engage à respecter les dispositions des articles 4 et 5 du règlement no 2790/99 pour ce qui est des accords définissant les conditions dans lesquelles [Repsol] exerce l’activité de distribution de carburants et de combustibles pour véhicules automobiles dans des stations-service en Espagne. [Repsol] s’engage notamment :

[…]

b)      à ne pas limiter la capacité de l’acquéreur à déterminer le prix de vente, [Repsol] demeurant toutefois libre d’imposer des prix de vente maximums ou de recommander un prix de vente conseillé, à condition que ceux-ci n’équivalent pas à un prix de vente fixe ou minimum résultant de pressions imposées ou d’incitants proposés par l’une ou l’autre des parties ; ou, dans le cas d’accords d’agence dans lesquels [Repsol] fixe le prix de vente, puisque l’agent ne devient pas propriétaire des biens, [Repsol] s’engage à ne pas empêcher l’agent de partager sa commission avec le client et à ne pas lui imposer de restrictions à cet égard, en lui laissant toute liberté de baisser le prix effectivement payé par le client sans que les revenus de [Repsol] ne s’en trouvent réduits. »

9        Dans la décision sur les engagements, la Commission a considéré que les engagements proposés par Repsol étaient suffisants pour remédier aux problèmes constatés et a clos la procédure.

10      Le 30 mai 2007, à l’instar de plusieurs autres sociétés, les requérantes ont déposé une plainte devant la Commission, invoquant l’existence d’un accord allant à l’encontre de l’article 81 CE entre plusieurs sociétés pétrolières. Elles ont également avancé que Repsol imposait des prix minimaux de vente au public aux stations-service, en violation des articles 81 CE et 82 CE.

11      Dans leur mémoire ampliatif du 10 juillet 2007, les requérantes ont soutenu que Repsol n’avait pas respecté son engagement, rendu obligatoire par la décision sur les engagements, de ne pas restreindre la faculté des stations-service en Espagne de déterminer le prix de vente de carburants au public et ont demandé à la Commission de rouvrir la procédure à l’encontre de Repsol en vertu de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

12      Dans leurs observations du 13 novembre 2009, les requérantes ont avancé que la Commission était tenue d’infliger une amende à Repsol en raison du non-respect par cette dernière de ses engagements.

13      Le 30 juillet 2009, la Comisión Nacional de la Competencia (commission nationale de la concurrence espagnole, ci-après la « CNC ») a adopté une décision à l’encontre de Repsol, Cepsa Estaciones de Servicio SA et BP Oil España SA (ci-après la « décision de la CNC »). Dans cette décision, la CNC a constaté que lesdites sociétés avaient violé l’article 1er de la ley 16/1989, de 17 de julio, de Defensa de la Competencia (loi no 16/1989, du 17 juillet 1989, relative à la protection de la concurrence, BOE no 170, du 18 juillet 1989, p. 22747), ainsi que l’article 81, paragraphe 1, CE, dans la mesure où elles avaient fixé de manière indirecte les prix de vente de carburant au public devant être appliqués par les entreprises indépendantes qui opéraient sous leur enseigne, restreignant ainsi la libre concurrence entre les stations-service de leur réseau ainsi qu’entre le reste des stations-service. Par ailleurs, la CNC a infligé une amende de 5 millions d’euros à Repsol et lui a enjoint de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser cette pratique de fixation des prix et de s’abstenir de cette pratique dans le futur.

14      Par actes du 30 mars et du 28 décembre 2010, respectivement, les requérantes et Repsol ont formé un recours contre la décision de la CNC.

15      Par lettre du 21 septembre 2010, la Commission a présenté aux requérantes son appréciation provisoire de la plainte que celles-ci avaient déposée le 30 mai 2007.

16      En ce qui concerne la première partie de la plainte des requérantes, relative à un prétendu accord allant à l’encontre de l’article 101 TFUE, la Commission a informé ces dernières qu’elle avait transmis tous les éléments de cette plainte relatifs à un tel accord à la CNC et leur a demandé de confirmer si elles allaient retirer leur plainte en ce qui concerne cet accord.

17      Quant à la deuxième partie de leur plainte, visant une violation par Repsol et Cepsa Estaciones de Servicio de l’article 101 TFUE en raison de l’imposition de prix de vente minimaux aux stations-service, la Commission a soutenu que cette question avait déjà été tranchée dans la décision de la CNC et a annoncé son intention de rejeter cette partie de leur plainte, conformément à l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. Elle a invité les requérantes à s’en désister.

18      Enfin, s’agissant de la troisième partie de leur plainte, concernant le non-respect, par Repsol, de ses engagements rendus obligatoires par la décision sur les engagements, la Commission a souligné qu’il n’existait pas de motifs suffisants pour procéder à une enquête et que, toujours de façon préliminaire, elle rejetait cette partie de leur plainte.

19      Dans leur réponse du 18 octobre 2010, les requérantes ont exprimé leur accord pour le retrait des deux premières parties de leur plainte mentionnées aux points 16 et 17 ci-dessus. En revanche, elles ont maintenu la troisième partie de leur plainte, mentionnée au point 18 ci-dessus.

20      Le 28 avril 2011, la Commission a adopté la décision attaquée, par laquelle elle a rejeté la plainte des requérantes.

21      La Commission a rappelé, aux considérants 22 à 25 de la décision attaquée, que, à la suite de la non-exécution d’une décision sur les engagements, d’une part, elle pouvait rouvrir la procédure en vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et infliger des amendes ou des astreintes en vertu des articles 23 et 24 dudit règlement et, d’autre part, elle disposait d’un pouvoir d’appréciation à cet égard. Or, en l’espèce, il n’y aurait pas de motifs suffisants pour adopter des mesures contre Repsol.

22      Aux considérants 26 à 32 de la décision attaquée, la Commission a retenu qu’il n’était pas nécessaire de rouvrir la procédure à l’encontre de Repsol, parce que la CNC avait déjà conduit une enquête contre cette société et adopté des mesures à l’encontre de cette dernière. L’analyse de la plainte aurait donné lieu à un dédoublement de travail et aurait constitué une utilisation inefficace des ressources publiques.

23      Aux considérants 33 à 43 de la décision attaquée, la Commission a examiné et rejeté deux arguments des requérantes. En premier lieu, aux considérants 34 à 40 de ladite décision, la Commission a rejeté l’argument des requérantes selon lequel l’examen de la plainte n’aurait mené qu’à un dédoublement de travail limité. En second lieu, aux considérants 41 à 43 de cette décision, la Commission a rejeté l’argument tiré de ce qu’il s’agissait d’infractions distinctes. Dans ce contexte, la Commission a considéré, notamment, que, même à supposer que le comportement de Repsol constituait une infraction à deux dispositions juridiques distinctes, à savoir l’article 101 TFUE, d’une part, et l’article 9 du règlement no 1/2003, d’autre part, il n’y avait pas suffisamment de raisons pour prendre des mesures concernant cet aspect de la plainte. L’action publique entreprise par la CNC pour sanctionner le comportement de Repsol serait suffisante pour dissuader cette dernière de participer à de telles pratiques anticoncurrentielles dans le futur.

24      Enfin, aux considérants 44 à 48 de la décision attaquée, la Commission a répondu à l’argument des requérantes, selon lequel elle était obligée d’infliger des amendes en vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003 ou une astreinte en vertu de l’article 24, paragraphe 1, sous c), dudit règlement. Dans ce contexte, la Commission a retenu que ces dispositions ne prévoyaient pas le droit d’exiger d’elle qu’elle imposât une amende ou une astreinte et que, en tout état de cause, dans les circonstances de l’espèce, il n’était pas nécessaire d’ouvrir une procédure afin d’infliger une amende à Repsol.

 Procédure et conclusions des parties

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 juin 2011, les requérantes ont introduit le présent recours.

26      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 23 septembre et le 3 octobre 2011, respectivement, le Royaume d’Espagne et Repsol ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnances respectivement des 8 et 30 novembre 2011, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis ces interventions.

27      Après la clôture de la procédure écrite, par écrits du 12 juillet 2012 et du 9 avril 2013, les requérantes ont fait deux offres de preuve auxquelles étaient annexés des documents. Ces offres ont été versées au dossier sous réserve d’une décision concernant leur recevabilité.

28      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

29      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 avril 2013.

30      Dans la requête, les requérantes ont conclu à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        par voie de conséquence, constater que la Commission est tenue d’infliger une amende ou une astreinte, pour infraction à l’article 9 du règlement no 1/2003, à Repsol.

31      En réponse à une question du Tribunal au cours de l’audience, les requérantes se sont désistées du chef de conclusions visant à faire constater que la Commission est tenue d’infliger une amende ou une astreinte à Repsol, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

32      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours en partie irrecevable et le rejeter en partie comme non fondé ou, en tout état de cause, le rejeter dans son ensemble comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

33      Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

34      Repsol conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et partiellement non fondé ou, en tout état de cause, rejeter le recours comme intégralement non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux afférents à son intervention.

 En droit

35      Au soutien du recours, les requérantes avancent que la Commission a violé, d’une part, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 ainsi que, d’autre part, l’article 23, paragraphe 2, sous c), et l’article 24, paragraphe 1, sous c), dudit règlement.

36      En substance, les requérantes avancent deux moyens.

37      En premier lieu, les requérantes soutiennent que, à la suite du non-respect, par Repsol, de la décision sur les engagements, la Commission aurait dû rouvrir la procédure à l’encontre de cette société et lui imposer une amende ou une astreinte. En omettant de prendre ces mesures, la Commission aurait violé l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, ainsi que l’article 23, paragraphe 2, sous c), et l’article 24, paragraphe 1, sous c), de ce règlement.

38      En second lieu, les requérantes considèrent que, en omettant de rouvrir la procédure contre Repsol et de retirer ou d’abroger la décision sur les engagements, la Commission a violé l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

39      Certaines observations des requérantes pouvant être entendues comme visant non seulement le bien-fondé des motifs de la décision attaquée, mais également l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, le Tribunal examinera cet aspect à l’issue de l’examen des deux moyens.

40      Enfin, le Tribunal se prononcera sur les offres de preuve du 12 juillet 2012 et du 9 avril 2013.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 ainsi que de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), dudit règlement en raison de l’omission de la Commission de rouvrir la procédure à l’encontre de Repsol et de lui imposer une amende ou une astreinte

 Sur la recevabilité du moyen

41      La Commission avance que le moyen tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1/2003 a été invoqué uniquement au soutien du second chef de conclusions des requérantes, auxquelles celles-ci ont renoncé (voir point 31 ci-dessus), visant à lui faire adresser une injonction.

42      Or, contrairement à ce qu’avance la Commission, il ne ressort pas de la requête que les requérantes se limitent à invoquer une violation des dispositions de l’article 23, paragraphe 2, sous c), ou de l’article 24, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1/2003 uniquement au soutien du chef de conclusions visant à faire constater que la Commission est tenue d’infliger une amende ou une astreinte à Repsol, et non à l’appui de leur premier chef de conclusions.

43      Dans ce contexte, il convient de rappeler que, certes, il ressort de la jurisprudence que, dans le cadre de la compétence d’annulation qui lui est conférée à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union européenne n’est pas habilité à adresser des injonctions aux institutions et qu’un chef de conclusions visant à faire adresser une injonction à une institution de l’Union doit donc être rejeté comme irrecevable (arrêt du Tribunal du 9 septembre 2010, Now Pharm/Commission, T‑74/08, Rec. p. II‑4661, point 19).

44      Cependant, cette jurisprudence ne s’oppose pas à ce que les requérantes fondent une demande d’annulation de la décision attaquée sur un moyen tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 2, sous c), ou de l’article 24, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1/2003. En effet, dans l’hypothèse où, la Commission aurait violé ces dispositions dans la décision attaquée, les requérantes devraient pouvoir demander l’annulation de cette décision au Tribunal et il incomberait alors à la Commission de prendre les mesures que comporterait l’exécution de l’arrêt du Tribunal, en vertu de l’article 266 TFUE.

45      Partant, l’exception d’irrecevabilité avancée par la Commission doit être rejetée.

 Sur le bien-fondé du moyen

46      En substance, les requérantes avancent que, en refusant de rouvrir la procédure à l’encontre de Repsol et de lui imposer une amende ou une astreinte à la suite du non-respect de la décision sur les engagements, la Commission a violé l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, ainsi que l’article 23, paragraphe 2, sous c), et l’article 24, paragraphe 1, sous c), dudit règlement.

–       Sur la marge d’appréciation de la Commission

47      Il convient de relever que, dans l’hypothèse où les requérantes soutiendraient que les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, ainsi que de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), dudit règlement obligent la Commission à rouvrir la procédure et à infliger des astreintes et des amendes à l’encontre de toute entreprise qui ne respecte pas ses engagements rendus obligatoires par une décision fondée sur l’article 9, paragraphe 1, du même règlement, ce grief devrait être rejeté comme non fondé.

48      En effet, il ressort sans équivoque du libellé de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 que, lorsqu’une entreprise concernée ne respecte pas une décision sur les engagements, au sens de l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement, la Commission n’est pas obligée de rouvrir la procédure contre ladite entreprise, mais dispose d’un pouvoir d’appréciation à cet égard. En effet, en vertu de cette disposition, lorsqu’une entreprise ne respecte pas ses engagements rendus contraignant au sens de l’article 9 du règlement no 1/2003, la Commission peut rouvrir la procédure contre cette entreprise sur demande ou de sa propre initiative.

49      La Commission dispose également d’un pouvoir d’appréciation concernant l’application de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1/2003, en vertu desquels elle peut infliger des amendes ou des astreintes aux entreprises lorsqu’elles ne respectent pas un engagement rendu obligatoire par une décision prise en application de l’article 9 dudit règlement.

50      Cependant, au cours de la procédure, les requérantes ont précisé qu’elles ne remettaient pas en cause le fait que les dispositions en question conféraient un pouvoir d’appréciation à la Commission.

51      Néanmoins, les requérantes estiment que, même si, en principe, la Commission dispose d’une marge d’appréciation, elle aurait dû, dans les circonstances de l’espèce, rouvrir la procédure à l’encontre de Repsol et lui infliger une astreinte et une amende.

52      Dans ce contexte, les requérantes soutiennent que la jurisprudence selon laquelle la Commission dispose d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne la question de savoir s’il est dans l’intérêt de l’Union de poursuivre une plainte visant une violation des articles 101 TFUE ou 102 TFUE n’est pas applicable en l’espèce, dès lors que leur plainte viserait le non-respect d’une décision sur les engagements et que ce non-respect aurait été démontré par la décision de la CNC.

53      À cet égard, il convient de retenir, à titre liminaire, que le pouvoir de rouvrir la procédure dont dispose la Commission en vertu de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 et le pouvoir d’infliger des amendes ou des astreintes dont elle dispose en vertu des articles 23 et 24 dudit règlement lui ont été conférés en vue de la mission de surveillance du respect des articles 101 TFUE et 102 TFUE dont elle est investie en vertu de l’article 105 TFUE.

54      En effet, lorsqu’elle identifie des problèmes de concurrence, la Commission peut rendre obligatoires les engagements qui ont été proposés par les entreprises concernées et qu’elle juge appropriés, au lieu de procéder à la constatation formelle d’une infraction aux articles 101 TFUE ou 102 TFUE (arrêt de la Cour du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, Rec. p. I‑5949, point 35).

55      D’une part, le mécanisme introduit par l’article 9 du règlement no 1/2003 permet à l’entreprise concernée de participer pleinement à la procédure, en proposant les solutions qui lui semblent les plus appropriées pour répondre aux préoccupations de la Commission et d’éviter que la Commission constate formellement une infraction aux articles 101 TFUE ou 102 TFUE. D’autre part, cet article est inspiré de considérations d’économie de procédure, puisque la Commission n’est pas obligée de démontrer à suffisance de droit que les conditions des articles 101 TFUE ou 102 TFUE sont réunies et peut donc apporter une solution plus rapide aux problèmes qu’elle a identifiés (voir, en ce sens, arrêt Commission/Alrosa, point 54 supra, point 35).

56      Les compétences conférées à la Commission en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1/2003 visent à garantir le respect de tels engagements. En effet, lorsqu’une entreprise ne respecte pas les engagements qu’elle a formulés et qui ont été rendus obligatoires par la Commission, cette dernière peut rouvrir la procédure et lui infliger une astreinte ou une amende en se limitant à démontrer le non-respect de la décision sur les engagements, sans devoir constater auparavant une violation des articles 101 TFUE ou 102 TFUE.

57      En revanche, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, l’objectif de ces dispositions n’est pas de permettre l’imposition d’une double sanction à une entreprise pour des infractions particulièrement graves aux articles 101 TFUE ou 102 TFUE. En effet, une telle interprétation ne serait guère conforme à la dernière phrase du considérant 13 du règlement no 1/2003, selon laquelle les décisions visant à rendre des engagements obligatoires ne sont pas opportunes dans des cas où la Commission entend imposer une amende.

58      S’agissant des éléments déterminant l’exercice du pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission en vertu de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, il convient de retenir que cette dernière ne dispose que de ressources limitées, qu’elle doit utiliser pour agir à l’encontre d’un nombre potentiellement élevé de conduites contraires au droit de la concurrence.

59      Dès lors, il incombe à la Commission d’accorder des degrés de priorité différents aux problèmes de concurrence qui sont portés à sa connaissance et de décider si la poursuite de l’examen d’une affaire est dans l’intérêt de l’Union (voir arrêt du Tribunal du 15 décembre 2010, CEAHR/Commission, T‑427/08, Rec. p. II‑5865, point 27, et la jurisprudence citée).

60      Dans ce contexte, il convient de rappeler que, s’agissant des décisions de rejet de plainte pour violation des articles 101 TFUE et 102 TFUE, il ressort d’une jurisprudence établie que la Commission doit prendre en compte tous les éléments de droit et de fait pertinents, notamment ceux qui sont portés à sa connaissance par le plaignant. Ainsi, dans ce contexte, elle doit, notamment, prendre en compte l’importance de l’infraction alléguée pour le fonctionnement du marché intérieur, la probabilité de pouvoir établir son existence et l’étendue des mesures d’investigation nécessaires, en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de surveillance du respect des articles 101 TFUE et 102 TFUE (voir arrêt de la Cour du 17 mai 2001, IECC/Commission, C‑450/98 P, Rec. p. I‑3947, point 57, et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, Rec. p. II‑2223, point 86, et du 12 septembre 2007, Ufex e.a./Commission, T‑60/05, Rec. p. II‑3397, point 178). Par ailleurs, la Commission doit pouvoir prendre en compte les mesures des autorités de concurrence nationales (voir arrêt du Tribunal du 3 juillet 2007, Au lys de France/Commission, T‑458/04, non publié au Recueil, point 72, et la jurisprudence citée). Enfin, le Tribunal a déjà constaté que rien ne s’opposait à ce que la Commission, dans un cas d’espèce, donne la priorité à un seul critère pour évaluer l’intérêt de l’Union à examiner un problème de concurrence (voir, en ce sens, arrêt IECC/Commission, précité, points 58 et 59).

61      Il ressort également d’une jurisprudence établie que l’auteur d’une plainte visant une violation des articles 101 TFUE ou 102 TFUE n’a pas le droit d’exiger de la Commission une décision définitive quant à l’existence ou à l’inexistence de l’infraction alléguée (arrêt de la Cour du 4 mars 1999, Ufex e.a./Commission, C‑119/97 P, Rec. p. I‑1341, point 87 ; arrêts du Tribunal Automec/Commission, point 60 supra, point 75, et du 13 septembre 2012, Protégé International/Commission, T‑119/09, point 32).

62      Eu égard au fait que la compétence de la Commission de rendre des engagements contraignants en vertu de l’article 9 du règlement no 1/2003 a également pour objectif de garantir le respect des articles 101 TFUE et 102 TFUE et au fait que les compétences prévues à l’article 9, paragraphe 2, à l’article 24, paragraphe 1, sous c), et à l’article 23, paragraphe 2, sous c), dudit règlement visent à garantir le respect desdits engagements, le Tribunal estime que les principes retenus par la jurisprudence mentionnée aux points 60 à 61 ci-dessus s’appliquent également dans un cas où l’éventuel non-respect d’un engagement est porté à la connaissance de la Commission et où elle doit décider si elle rouvre la procédure.

63      Or, dès lors que la Commission doit apprécier la question de savoir s’il est dans l’intérêt de l’Union de poursuivre l’examen d’une plainte eu égard aux éléments de droit et de fait pertinents de l’espèce, elle doit prendre en compte la circonstance que la situation peut se présenter de manière différente selon que cette plainte concerne le non-respect éventuel d’une décision sur les engagements ou une éventuelle infraction aux articles 101 TFUE ou 102 TFUE.

64      En effet, un non-respect des engagements étant, généralement, plus facile à démontrer qu’une violation des articles 101 TFUE ou 102 TFUE, l’étendue des mesures d’investigation nécessaires pour établir un tel non-respect des engagements sera, en principe, plus limitée. Toutefois, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, il ne peut pas en être déduit que, dans un tel cas, la Commission devrait systématiquement rouvrir la procédure et infliger une amende ou une astreinte. En effet, une telle approche aurait pour conséquence de transformer les compétences qu’elle détient en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1/2003 en compétences liées, ce qui ne serait pas conforme au libellé de ces dispositions.

65      Ensuite, s’agissant de l’argument avancé par les requérantes, selon lequel il incombe à la Commission de surveiller le respect d’une décision sur les engagements, il convient de constater que rien ne s’oppose à ce que, dans le cadre des dispositions en question, la Commission prenne en compte les mesures des autorités de concurrence nationales.

66      Dans ce contexte, il convient de retenir que la compétence parallèle des autorités de concurrence nationales pour l’application des articles 101 TFUE et 102 TFUE, en vertu de l’article 5 du règlement no 1/2003, n’est pas remise en cause par l’adoption, par la Commission, d’une décision sur des engagements prise au titre de l’article 9 dudit règlement. En effet, comme il ressort du considérant 13 du règlement no 1/2003, les décisions sur les engagements prises par la Commission au titre de l’article 9 dudit règlement le sont sans préjudice de la faculté qu’ont les autorités de concurrence nationales de constater une infraction aux articles 101 TFUE ou 102 TFUE et de statuer sur l’affaire en cause. Par ailleurs, il ressort du considérant 22 de ce règlement que les décisions relatives aux engagements adoptées par la Commission n’affectent pas le pouvoir qu’ont les autorités de concurrence nationales d’appliquer les articles 101 TFUE et 102 TFUE.

67      Enfin, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, l’adoption par la Commission d’une décision au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003 ne lui confère pas une compétence exclusive. Certes, l’article 11, paragraphe 6, dudit règlement, que les requérantes invoquent dans ce contexte, prévoit, notamment, que l’ouverture, par la Commission, d’une procédure en vue de l’adoption d’une décision constatant une infraction et ordonnant sa cessation en vertu de l’article 7 dudit règlement ou d’une procédure en vue de l’adoption d’une décision rendant obligatoires des engagements en vertu de l’article 9 dudit règlement a pour conséquence le dessaisissement des autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles 101 TFUE et 102 TFUE. Toutefois, il ne peut pas être déduit de ces dispositions qu’une autorité de concurrence nationale ne peut plus adopter de décision à l’encontre d’une entreprise après que la Commission a adopté une décision sur les engagements, au sens de l’article 9 du règlement no 1/2003. En effet, il ressort de la jurisprudence que l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 ne dessaisit pas les autorités de concurrence nationales de façon permanente, mais uniquement pendant la durée de la procédure devant la Commission (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, points 68 à 92).

68      Dès lors, rien ne s’oppose à ce que la Commission prenne en compte les mesures qu’une autorité de concurrence nationale a adoptées à l’encontre d’une entreprise, lorsqu’elle apprécie s’il est dans l’intérêt de l’Union de rouvrir la procédure à l’encontre de cette entreprise pour non-respect de ses engagements, afin de lui infliger une amende ou une astreinte. Au contraire, dans la mesure où les compétences de la Commission en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1/2003 lui ont été conférées en vue de sa mission de surveillance du respect des articles 101 TFUE et 102 TFUE, une telle prise en compte s’impose.

–       Sur l’exercice du pouvoir d’appréciation en l’espèce

69      C’est à la lumière des considérations qui précédent qu’il convient d’examiner le grief selon lequel la décision de la Commission de ne pas rouvrir la procédure et de ne pas imposer d’astreinte ou d’amende à Repsol est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Les requérantes avancent que les motifs que la Commission a exposés dans la décision attaquée ne justifient pas cette décision.

70      À cet égard, il convient de rappeler que le contrôle du juge de l’Union sur l’exercice, par la Commission, du pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu dans le traitement des plaintes ne doit pas le conduire à substituer son appréciation de l’intérêt de l’Union à celle de la Commission, mais vise à vérifier que la décision attaquée ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et qu’elle n’est entachée d’aucune erreur de droit, ni d’aucune erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir (voir arrêt CEAHR/Commission, point 59 supra, point 65, et la jurisprudence citée).

71      Le Tribunal estime que, en l’espèce, les motifs de la décision attaquée, résumés aux points 21 à 24 ci-dessus, ne sont pas entachés d’une erreur manifeste d’appréciation.

72      En effet, il convient de rappeler que la Commission s’est fondée, notamment, sur l’existence de la décision de la CNC, dans laquelle cette dernière a constaté que Repsol avait enfreint l’article 101 TFUE en fixant indirectement les prix de vente de carburant au public, lui a infligé une amende de 5 millions d’euros et l’a enjoint de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser cette pratique de fixation des prix et de s’abstenir de cette pratique dans le futur. Cette approche est conforme à l’objectif d’une coopération étroite entre la Commission et les autorités de concurrence nationales au sein du réseau européen de la concurrence, qui est mentionné, notamment, aux considérants 6, 8 et 15 du règlement no 1/2003.

73      Par ailleurs, eu égard à la décision de la CNC, la Commission a pu considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que l’adoption de mesures supplémentaires contre Repsol n’était pas nécessaire.

74      En effet, d’une part, s’agissant de l’argument des requérantes, selon lequel la Commission aurait dû sanctionner le non-respect, par Repsol, de la décision sur les engagements en lui imposant une astreinte en vertu de l’article 24, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1/2003, il convient de retenir que ce pouvoir de la Commission vise à contraindre une entreprise à respecter un engagement dans le futur. Or, à cet égard, les objectifs que la Commission aurait pu poursuivre en infligeant une astreinte à Repsol et ceux poursuivis par la CNC dans sa décision convergeaient, parce qu’il s’agissait de faire cesser la pratique de fixation des prix de vente de carburant. Dans la décision attaquée, la Commission a constaté que les mesures adoptées par la CNC étaient suffisantes pour contraindre Repsol à s’abstenir de cette pratique dans le futur. Dès lors, elle a pu considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, qu’une intervention de sa part n’était pas nécessaire et qu’il n’était donc pas dans l’intérêt de l’Union de rouvrir la procédure afin d’infliger une astreinte.

75      D’autre part, s’agissant de l’argument des requérantes, selon lequel la Commission aurait dû infliger une amende en raison du non-respect de la décision sur les engagements, il convient de rappeler que l’objectif principal d’une amende imposée sur la base de l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003 est de sanctionner un comportement dont la Commission estime qu’il soulève des problèmes de concurrence, sans devoir démontrer à suffisance de droit que les conditions des articles 101 TFUE ou 102 TFUE sont réunies. Dans sa décision, la CNC avait déjà constaté que Repsol avait fixé les prix de vente de carburant et lui avait infligé une sanction. La décision sur les engagements visant le même comportement, la Commission a dû prendre en compte la décision de la CNC. Or, l’objectif principal d’une sanction d’un comportement de Repsol que la Commission avait identifié comme problématique ayant déjà été atteint, elle a pu considérer que la réouverture de la procédure et l’imposition d’une amende supplémentaire n’était pas dans l’intérêt de l’Union, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation.

76      Aucun argument avancé par les requérantes n’est susceptible de remettre cette appréciation en cause.

77      En premier lieu, les requérantes avancent que, en dépit du fait que la CNC avait déjà infligé une amende à Repsol pour avoir fixé les prix de vente de carburant, la Commission était obligée de lui imposer une amende supplémentaire en vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003, afin de ne pas compromettre l’essence même du mécanisme introduit par l’article 9 dudit règlement, pour des raisons de sécurité juridique et pour ne pas laisser apparaître l’inexécution d’un engagement comme un fait « gratuit, insignifiant ou sans importance », notamment par rapport aux entreprises qui n’ont pas accepté d’engagements.

78      Cet argument doit être rejeté.

79      En effet, même dans la double hypothèse où, d’une part, l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003 devrait être interprété de manière à permettre à la Commission d’imposer une amende supplémentaire à une entreprise pour la seule raison qu’elle n’a pas respecté ses engagements, alors que ce même comportement a déjà été sanctionné par une autorité de concurrence nationale pour violation de l’article 101 TFUE, et où, d’autre part, un tel procédé ne serait pas contraire au principe ne bis in idem, en l’espèce, la Commission aurait pu considérer que la réouverture de la procédure avec l’objectif d’imposer une amende supplémentaire à Repsol n’était pas dans l’intérêt de l’Union, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation.

80      Tout d’abord, il convient de retenir que, contrairement à ce qu’avancent les requérantes, en l’espèce, la Commission n’aurait pas pu imposer une amende à Repsol pour non-respect de la décision sur les engagements sans affecter des ressources publiques à cette tâche. Comme la Commission l’invoque à juste titre, elle aurait dû accomplir toute une série de démarches administratives, telles que la rédaction de la décision d’ouverture de la procédure et de la communication des griefs, l’audition des parties intéressées et l’adoption de la décision infligeant l’amende.

81      Ensuite, la Commission a pu considérer que la valeur ajoutée d’une intervention de sa part aurait été limitée, l’objectif principal visé à l’article 23, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1/2003, à savoir la sanction d’un comportement de Repsol qu’elle avait considéré comme problématique au vu des règles de concurrence, ayant déjà été atteint.

82      Enfin, s’agissant de l’objectif invoqué par les requérantes, à savoir la préservation de l’effet utile du mécanisme introduit par l’article 9 du règlement no 1/2003, il convient de considérer qu’il s’agit d’un objectif concernant directement la détermination de la politique de la Commission dans le domaine du droit de la concurrence.

83      Dès lors, même dans la double hypothèse mentionnée au point 79 ci-dessus, en l’espèce, la Commission n’aurait pas outrepassé les limites de sa marge d’appréciation en décidant que, en l’espèce, il n’était pas justifié de rouvrir la procédure et d’imposer une amende additionnelle à Repsol.

84      En deuxième lieu, les requérantes avancent que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas suffisamment pris en compte la gravité de l’infraction de Repsol et les effets de son comportement sur le marché.

85      Cet argument doit également être rejeté.

86      En effet, comme il a été exposé aux points 60 et 62 ci-dessus, lorsque la Commission accorde des degrés de priorité aux problèmes de concurrence qui sont portés à sa connaissance, rien ne s’oppose à ce qu’elle donne la priorité à un des critères pertinents.

87      Or, en raison des motifs mentionnées aux points 72 à 83 ci-dessus, en l’espèce, la Commission pouvait considérer, à juste titre, que, eu égard à la décision de la CNC à l’encontre de Repsol, une intervention supplémentaire de sa part n’était pas dans l’intérêt de l’Union, sans qu’elle doive mettre d’autres critères en balance ou qu’elle doive se prononcer davantage sur le fond de l’affaire, sur la gravité du comportement de Repsol, sur la structure du marché espagnol ou sur les incidences du comportement de Repsol sur ce marché.

88      En troisième lieu, les requérantes soutiennent que, en raison de l’effet direct de la décision sur les engagements, de sa nature contraignante pour Repsol, du rapport bilatéral et du rapport de confiance qu’elle instaure entre cette entreprise et la Commission ainsi que de la nécessité d’appliquer le droit de l’Union de manière uniforme et en respectant le principe d’égalité de traitement, la Commission aurait dû rouvrir la procédure et infliger une amende et une astreinte à Repsol.

89      Cet argument doit également être rejeté.

90      En effet, force est de constater que, en invoquant ces éléments, les requérantes ne font que rappeler que Repsol a accepté de se soumettre à une décision sur les engagements, au titre de l’article 9 du règlement no 1/2003, et qu’elle n’a pas respecté cette décision.

91      Or, comme il a été exposé au point 64 ci-dessus, le législateur de l’Union a décidé de conférer une large marge d’appréciation à la Commission lorsqu’elle est confrontée au non-respect d’un engagement rendu obligatoire en vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003. Dès lors, les circonstances invoquées par les requérantes, qui se limitent à décrire que la Commission est en présence d’un tel cas, ne sont pas susceptibles de démontrer qu’elle a outrepassé les limites de la marge d’appréciation dont elle dispose dans le cadre des compétences qu’elle détient en vertu de l’article 9, paragraphe 2, dudit règlement, ainsi que de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), de ce règlement. En revanche, l’approche défendue par les requérantes, selon laquelle ces seules circonstances obligent la Commission à rouvrir la procédure et à imposer une amende ou une astreinte, aurait pour conséquence d’appliquer lesdites compétences comme des compétences liées, ce qui serait contraire à ce qui est prévu par le libellé desdites dispositions.

92      En quatrième lieu, il convient de rejeter l’argument des requérantes tiré de la jurisprudence de la Cour selon laquelle la pleine efficacité des articles 101 TFUE et 102 TFUE requiert que chaque personne puisse demander le dédommagement du préjudice causé par une infraction à ces règles (arrêts de la Cour du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, Rec. p. I‑6297, point 26, et du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, Rec. p. I‑6619, point 60). Cette jurisprudence visant la mise en œuvre de ces dispositions à l’initiative d’une personne ayant subi un dommage, il ne saurait en être déduit que, dans le cadre de la mise en œuvre de ces dispositions à l’initiative d’une autorité de concurrence, qui ne dispose que de ressources limitées, tous les cas dans lesquels une entreprise ne respecte pas un engagement rendu obligatoire en vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 devraient être sanctionnés.

93      En cinquième lieu, dans la mesure où les requérantes invoquent le considérant 29 du règlement no 1/2003, selon lequel le respect des articles 101 TFUE et 102 TFUE et l’exécution des obligations imposées aux entreprises en application dudit règlement doivent pouvoir être assurés au moyen d’amendes et d’astreintes, il suffit de retenir que ce considérant ne remet en cause ni l’objectif d’une application décentralisée de l’article 101 TFUE par les autorités de concurrence nationales ni la possibilité pour la Commission de prendre en compte les mesures desdites autorités quand elle détermine s’il existe un intérêt de l’Union à ce qu’elle poursuive l’examen d’une affaire.

94      En sixième lieu, s’agissant du communiqué de presse de la Commission, du 12 avril 2006, au sujet de sa décision dans l’affaire COMP/B-1/38.348 relative aux engagements de la part de Repsol ainsi que de son mémorandum du même jour, auxquels les requérantes font référence, il suffit de constater que la Commission s’y est limitée à retenir qu’elle pourrait imputer des amendes à Repsol dans un cas où elle ne respecterait pas la décision sur les engagements, sans s’engager à prononcer de telles amendes de manière automatique.

95      En septième lieu, dans la mesure où les requérantes invoquent le principe de proportionnalité, il convient de rejeter ce grief comme non fondé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner sa recevabilité. En effet, comme il ressort des considérations précédentes, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans le cadre de la mise en balance des intérêts à laquelle elle doit procéder en vertu de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, de l’article 23, paragraphe 2, sous c), et de l’article 24, paragraphe 1, sous c), dudit règlement. Dès lors, la décision attaquée ne peut pas avoir porté atteinte aux intérêts des requérantes de manière disproportionnée.

96      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précédent, il convient de juger que la Commission a pu considérer à juste titre qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’Union de rouvrir une procédure à l’encontre de Repsol afin de lui infliger une amende ou une astreinte. Dès lors, il convient de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, ainsi que l’article 23, paragraphe 2, sous c), et l’article 24, paragraphe 1, sous c), dudit règlement.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 en raison de l’omission de la Commission de rouvrir la procédure et de retirer ou d’abroger la décision sur les engagements

97      Les requérantes soutiennent également que la Commission a violé l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 en ne rouvrant pas la procédure contre Repsol et en ne retirant ou n’abrogeant pas la décision sur les engagements. À la suite du non-respect de la décision sur les engagements, la Commission aurait dû retirer ou abroger ladite décision.

98      À cet égard, la Commission avance à juste titre que, en l’espèce, il existait un intérêt à maintenir la décision sur les engagements. Tout d’abord, la décision sur les engagements ne portait pas uniquement sur les obligations de Repsol concernant les prix de vente de carburant, mais également et principalement sur les contrats de distribution exclusive à long terme. De plus, s’agissant de l’engagement concernant les prix de vente de carburant, rien ne s’opposait à ce que la Commission maintienne sa décision à l’égard de cet engagement. En effet, comme il a été exposé au point 56 ci-dessus, un tel maintien permettait à la Commission d’infliger des astreintes et des amendes en raison du non-respect de ladite décision, sans devoir constater auparavant une violation des articles 101 TFUE ou 102 TFUE.

99      Partant, les requérantes n’ont avancé aucun élément susceptible de démontrer que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation. Dès lors, il convient de rejeter le présent moyen.

 Sur la motivation de la décision attaquée

100    Dans l’hypothèse où, en avançant que la décision attaquée n’était pas suffisamment motivée, les requérantes souhaitent non seulement invoquer un moyen visant le bien-fondé de la décision, mais également un moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, il convient de retenir tout d’abord qu’il s’agit d’un moyen qui doit être examiné d’office et qu’il ne peut donc pas être rejeté comme tardif.

101    Quant au bien-fondé de ce moyen, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la motivation d’un acte doit être adaptée à sa nature et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt de la Cour du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec. p. I‑8947, point 147).

102    En l’espèce, la motivation de la décision attaquée était suffisante. En effet, il ressort clairement de la motivation de la décision attaquée que la Commission a estimé que, à la suite de la décision de la CNC, une intervention supplémentaire de sa part n’était pas dans l’intérêt de l’Union.

103    S’agissant de l’argument avancé par les requérantes selon lequel, plus le pouvoir d’appréciation dont un organe dispose est grand, plus la décision doit être motivée, il convient de rappeler que l’étendue de la motivation requise dépend également des règles applicables. Or, comme il a été exposé aux points 60, 62, 86 et 87 ci-dessus, même si la Commission devait prendre en compte tous les éléments pertinents, rien ne s’opposait à ce que, en l’espèce, elle fondât sa décision sur la considération que les mesures prises par la CNC étaient suffisantes. Dès lors, la motivation de la décision attaquée doit être considérée comme suffisante.

 Sur les offres de preuve des requérantes

104    Les requérantes ont déposé, le 12 juillet 2012 et le 9 avril 2013, donc après la clôture de la procédure écrite, de nouvelles offres de preuve, consistant en des documents accompagnés de mémoires exposant leur importance pour l’évaluation de la présente affaire.

105    À cet égard, il suffit de constater que ces offres de preuve ne sont pas pertinentes dans le cadre du présent litige, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur leur recevabilité, dès lors que l’ensemble des documents déposés les 12 juillet 2012 et 9 avril 2013 portent une date postérieure à celle de la décision attaquée. En effet, selon une jurisprudence constante, la légalité d’un acte de l’Union s’apprécie en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été pris. Il s’ensuit qu’est exclue la prise en compte, lors de l’appréciation de la légalité de cet acte, d’éléments postérieurs à la date à laquelle l’acte de l’Union a été adopté (voir arrêt du Tribunal du 9 septembre 2011, France/Commission, T‑257/07, Rec. p. II‑5827, point 172, et la jurisprudence citée).

106    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

107    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Dans le cas d’espèce, il y a lieu de condamner les requérantes aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

108    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens et le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supporte ses propres dépens. En l’espèce, le Royaume d’Espagne et Repsol supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio (CEEES) et l’Asociación de Gestores de Estaciones de Servicio supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

4)      Repsol Comercial de Productos Petrolíferos SA supportera ses propres dépens.

Czúcz

Labucka

Gratsias

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 février 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.