Language of document : ECLI:EU:C:2016:446

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

16 juin 2016 (*)

« Pourvoi – Concurrence – Article 81 CE – Ententes – Marchés de la poudre et des granulés de carbure de calcium ainsi que des granulés de magnésium dans une partie importante de l’Espace économique européen – Fixation de prix, partage des marchés et échange d’informations – Responsabilité d’une société mère pour les infractions aux règles de la concurrence commises par ses filiales – Influence déterminante exercée par la société mère – Présomption réfragable en cas de détention d’une participation de 100 % – Condition du renversement de cette présomption – Méconnaissance d’une instruction expresse »

Dans l’affaire C‑155/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 avril 2014,

Evonik Degussa GmbH, établie à Essen (Allemagne),

AlzChem AG, anciennement AlzChem Trostberg GmbH, établie à Trostberg (Allemagne),

représentées par Mes C. Steinle et I. Bodenstein, Rechtsanwälte,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. G. Meessen et R. Sauer, en qualité d’agents, assistés de Me A. Böhlke, Rechtsanwalt,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de la quatrième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, MM. D. Šváby (rapporteur), A. Rosas, E. Juhász et C. Vajda, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juin 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 septembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, Evonik Degussa GmbH (ci-après « Degussa ») et AlzChem AG, anciennement AlzChem Trostberg GmbH, demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 23 janvier 2014, Evonik Degussa et AlzChem/Commission (T‑391/09, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2014:22), par lequel celui-ci a partiellement rejeté leur recours ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C(2009) 5791 final de la Commission, du 22 juillet 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.396 ‐ Réactifs à base de carbure de calcium et de magnésium destinés aux secteurs sidérurgique et gazier) (ci-après la « décision litigieuse »), en ce que cette décision les vise, ainsi que, à titre subsidiaire, une demande de réformation de ladite décision, tendant, d’une part, à l’annulation de l’amende qui leur a été infligée ou à la réduction de son montant et, d’autre part, à la mise à la charge de SKW Stahl-Metallurgie GmbH (ci‑après « SKW ») de l’intégralité de ladite amende, solidairement avec elles-mêmes.

 Le cadre juridique

2        L’article 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit le régime des amendes pouvant être infligées par la Commission européenne au titre des articles 81 CE et 82 CE.

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

3        Les antécédents pertinents du litige ont été exposés aux points 1 à 4 de l’arrêt attaqué comme suit :

« 1      Par [la décision litigieuse], la [Commission] a constaté que les principaux fournisseurs de carbure de calcium et de magnésium destinés aux secteurs sidérurgique et gazier avaient enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en participant, du 7 avril 2004 au 16 janvier 2007, à une infraction unique et continue. Celle‑ci se traduisait par un partage de marchés, une fixation de quotas, une répartition des clients, une fixation des prix et un échange d’informations commerciales sensibles concernant les prix, les clients et les volumes de vente dans l’EEE, à l’exception de l’Irlande, de l’Espagne, du Portugal et du Royaume‑Uni.

2      La procédure a été ouverte à la suite d’une demande d’immunité, au sens de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la ‟communication sur la clémence”), déposée par Akzo Nobel NV.

3      Par l’article 1er, sous f), de la décision [litigieuse], la Commission a constaté que Degussa et AlzChem Hart GmbH (devenue AlzChem Trostberg GmbH, puis [AlzChem]), les requérantes, avaient participé à l’infraction du 22 avril au 30 août 2004. Il ressort des considérants 226 et 227 de la décision [litigieuse] que ces deux sociétés ont été tenues pour responsables de l’infraction litigieuse du fait de la participation directe à celle-ci de membres du personnel de SKW Stahl-Technik GmbH & Co. KG, dont la raison sociale a été modifiée, à partir de 2005, en [SKW]. Selon les considérants 227, 228 et 235 de la décision [litigieuse], lors de la première partie de la période de sa participation à l’entente litigieuse, SKW était une filiale détenue à 100 % par les requérantes.

4      Par l’article 2 de la décision [litigieuse], la Commission a infligé aux requérantes du fait de leur participation à l’infraction litigieuse, d’une part, une amende de 1,04 million d’euros, en les désignant comme solidairement responsables avec SKW pour le paiement de cette amende [article 2, sous g)], et, d’autre part, une amende de 3,64 millions d’euros, pour le paiement de laquelle elles ont été désignées comme solidairement responsables [article 2, sous h)]. »

4        Concernant la période du 1er septembre 2004 au 16 janvier 2007, au cours de laquelle SKW était détenue en totalité non plus par AlzChem et Degussa, mais par SKW Stahl-Metallurgie Holding (ci‑après « SKW Holding ») et Arques Industrie AG, devenue Gigaset AG, la Commission a constaté que SKW, SKW Holding et Gigaset avaient participé et/ou devait être tenues pour responsable de l’infraction en cause. Par l’article 2, sous f), de la décision litigieuse telle que modifiée par l’arrêt Gigaset/Commission (T‑395/09, EU:T:2014:23), elle a infligé une amende d’un montant de 13 300 000 euros à titre solidaire à SKW et à SKW Holding dont une partie, à savoir 12 300 000 euros, a également été mise à la charge de Gigaset, tenue solidairement au paiement de ce dernier montant.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 octobre 2009, les requérantes ont demandé, à titre principal, l’annulation de la décision litigieuse en ce qu’elle les concerne, à titre subsidiaire, d’une part, la réduction du montant des amendes qui leur avaient été infligées en vertu de l’article 2, sous g) et h), de cette décision, d’autre part, la mise à la charge de SKW de l’intégralité de ces amendes, solidairement avec elles-mêmes.

6        À l’appui de leur recours, les requérantes ont présenté une argumentation non structurée en moyens, que le Tribunal a appréhendée comme étant relative, premièrement, à l’imputation à elles-mêmes de la responsabilité de l’infraction commise par leur filiale, SKW, deuxièmement, au montant des amendes qui leur avaient été infligées, troisièmement, à la responsabilité solidaire de SKW pour le paiement de ces amendes et, quatrièmement, à la contrariété de la décision litigieuse avec l’arrêt du 3 mars 2011, Siemens et VA Tech Transmission & Distribution/Commission (T‑122/07 à T‑124/07, EU:T:2011:70), ce dernier grief ayant été évoqué à l’occasion d’une demande d’organisation de la procédure ainsi que lors de l’audience.

7        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a partiellement fait droit à ce recours. Le dispositif de cet arrêt était ainsi libellé :

« 1)      L’article 2, sous g) et h), de la décision [litigieuse] est annulé en ce qu’il vise [Degussa] et [AlzChem], étant toutefois précisé que cette annulation n’affecte pas l’effet libératoire de tout paiement, par l’une ou l’autre de ces deux sociétés, au titre de l’amende qui leur est infligée solidairement pour l’infraction constatée à l’article 1er, sous f), de ladite décision, à l’égard de [SKW], et de l’amende qui a été infligée à cette dernière à l’article 2, sous g), de la même décision.

2)      Pour l’infraction constatée à l’égard de [Degussa] et d’AlzChem à l’article 1er, sous f), de la décision [litigieuse], les amendes suivantes sont infligées :

–        à [Degussa] et AlzChem solidairement : 2,49 millions d’euros, étant précisé qu’il sera considéré que [Degussa] et AlzChem se sont acquittées de cette amende à concurrence des sommes versées par [SKW] au titre de l’amende qui lui a été infligée à l’article 2, sous f) et g), de la même décision ;

–        à [Degussa], seule responsable pour le paiement de cette amende, 1,24 millions d’euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      [Degussa] et AlzChem supporteront deux tiers de leurs propres dépens ainsi que deux tiers de ceux de la [Commission]. La Commission supportera un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par [Degussa] et AlzChem. »

8        Il découle de cet arrêt que les amendes infligées aux sociétés ayant fait partie de l’entité économique détenue par Degussa, société faîtière, du fait de la participation de SKW à l’infraction en cause pour la période du 22 avril 2004 au 30 août 2004 sont les suivantes :

–        à la charge de SKW : 1,04 million d’euros, en vertu de l’article 2, sous g), de la décision litigieuse ;

–        à la charge de Degussa et d’AlzChem solidairement : 2,49 millions d’euros, étant précisé que le Tribunal a indiqué qu’il sera considéré que ces deux sociétés se sont acquittées de cette amende à concurrence des sommes versées par SKW au titre des amendes qui lui ont été infligées à l’article 2, sous f) et g), de la décision litigieuse, pour les périodes respectivement du 1er septembre 2004 au 16 janvier 2007 et du 22 avril 2004 au 30 août 2004, et

–        à la charge de Degussa : 1,24 million d’euros.

 Les conclusions des parties au pourvoi

9        Degussa et AlzChem demandent à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité pour autant qu’il les concerne et d’annuler la décision litigieuse pour autant qu’elle les concerne ;

–        à titre subsidiaire, de réduire les amendes qui leur ont été infligées au titre de l’article 2, sous g) et h), de la décision litigieuse ;

–        à titre plus subsidiaire, de réformer l’article 2, sous g) et h), de la décision litigieuse en ce sens que SKW soit déclarée solidairement responsable de l’intégralité des amendes qui leur ont été infligées ;

–        à titre plus subsidiaire encore, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

10      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner les requérantes au pourvoi aux dépens.

 Sur le pourvoi

11      À l’appui de leur pourvoi, les requérantes invoquent cinq moyens.

12      Leur premier moyen est tiré de la violation de l’article 81 CE, du principe de responsabilité personnelle, de la présomption d’innocence et du principe de la responsabilité pour faute. Par leur deuxième moyen, elles font valoir que le Tribunal a violé leur droit d’être entendues et l’article 296 TFUE en ce qu’il a refusé de faire droit à leur argumentation tenant à la contrariété de la décision litigieuse avec l’arrêt du 3 mars 2011, Siemens et VA Tech Transmission & Distribution/Commission (T‑122/07 à T‑124/07, EU:T:2011:70). Leur troisième moyen porte sur la méconnaissance par le Tribunal de son obligation de motivation et du principe d’égalité de traitement. Par leur quatrième moyen, présenté à titre subsidiaire, elles soutiennent que le Tribunal a méconnu le principe de sécurité juridique, le principe nulla poena sine lege certa ainsi que son obligation de motivation. Enfin, leur cinquième moyen, également présenté à titre subsidiaire, est tiré de la violation de l’article 81 CE, de leur droit d’être entendues et de l’article 23 du règlement no 1/2003.

13      À l’occasion de l’audience de plaidoiries, les requérantes ont renoncé à leur deuxième moyen.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 81 CE, du principe de responsabilité personnelle, de la présomption d’innocence et du principe de la responsabilité pour faute

 Argumentation des parties

14      Par leur premier moyen, dirigé contre les points 70 à 119 de l’arrêt attaqué, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir violé l’article 81 CE ainsi que les principes de responsabilité personnelle, de présomption d’innocence et de la responsabilité pour faute, en ayant subordonné le renversement de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante par elles-mêmes sur SKW à des exigences trop élevées, ce qui l’a conduit à méconnaître le caractère réfragable de cette présomption.

15      D’une part, elles contestent le refus du Tribunal, énoncé aux points 102 à 107 de l’arrêt attaqué, d’admettre le renversement de ladite présomption alors qu’elles avaient fait valoir que SKW avait participé à l’entente litigieuse en méconnaissance flagrante d’instructions explicites de leur part, visées aux points 91 et 102 de l’arrêt attaqué, enjoignant au gérant unique de SKW de ne pas conclure d’accords avec des concurrents concernant des produits de désulfurisation de la fonte. Selon les requérantes, une telle situation démontrerait l’absence d’exercice effectif d’une influence déterminante sur SKW.

16      Elles critiquent également le Tribunal pour avoir considéré comme dépourvue de pertinence la déclaration du directeur commercial de SKW à l’époque des faits, visée au point 107 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le directeur d’AlzChem ne disposait pas de moyens pour assurer le respect de ces instructions. Pourtant, une telle déclaration serait la preuve de l’absence d’exercice effectif d’une influence déterminante par l’auteur de ladite instruction sur son destinataire.

17      Les requérantes font par ailleurs valoir que, aux fins d’imputation de la responsabilité d’une violation de l’article 81 CE, l’élément déterminant n’est pas uniquement la possibilité d’exercer une influence déterminante, mais l’exercice effectif de celle-ci, ce qui serait confirmé par le point 62 de l’arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission (T‑112/05, EU:T:2007:381). Or, à de multiples occasions et, en particulier, s’agissant du chiffre d’affaires de SKW, évoqué aux points 108 à 113 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se serait contenté d’une influence hypothétique fondée sur des éléments spéculatifs et n’aurait pas démontré l’exercice effectif d’une telle influence déterminante par les requérantes sur cette dernière société.

18      Les requérantes reprochent également au Tribunal d’avoir fait découler d’une appréciation portant sur une situation antérieure à la période infractionnelle une conclusion concernant cette même période, alors qu’elles alléguaient n’avoir jamais exercé d’influence déterminante. Elles font en outre grief au Tribunal de s’être limité à apprécier les rapports entre elles-mêmes et SKW au regard de la répartition des parts sociales et du personnel dirigeant sans avoir concrètement examiné si elles exerçaient effectivement une influence déterminante sur leur filiale.

19      D’autre part, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir refusé de constater l’absence d’exercice effectif d’influence déterminante par celles-ci sur SKW alors que cette dernière gérait son activité de manière autonome pendant que les requérantes étaient occupées à procéder à sa cession et que des éléments de preuve attestent de la défiance de celle-ci vis-à-vis de ses sociétés mères, ainsi que cela ressort de la déclaration de M. N., visée au point 105 de l’arrêt attaqué.

20      En particulier, le Tribunal aurait procédé à une appréciation erronée de la charge de la preuve dans le renversement de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante, en se fondant sur une influence théorique éventuelle des requérantes sur SKW et non sur sa situation concrète. Selon les requérantes, il leur appartenait de prouver non pas qu’elles ne pouvaient exercer, de manière générale, aucune influence déterminante sur SKW, mais uniquement que, dans le cas concret, elles n’avaient effectivement exercé aucune influence de cette nature. Or, le Tribunal, aux points 82, 83, 88, 89, 93, 94 à 98 et 108 à 113 de l’arrêt attaqué, se serait fondé uniquement sur leur influence théorique éventuelle sur SKW.

21      Enfin, les requérantes font valoir que, en inférant d’une simple obligation de rapport de SKW à Alzchem l’exercice effectif d’une influence déterminante, le Tribunal aurait opéré une dénaturation des éléments de preuve.

22      La Commission soutient que ce moyen est irrecevable en ce que, par celui-ci, les requérantes contestent l’appréciation par le Tribunal des éléments de fait et de preuve qui lui ont été soumis. En tout état de cause, selon la Commission, ce moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

23      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits et, en principe, pour examiner les preuves qu’il retient à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 40). Par ailleurs, une telle dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 28 janvier 2016, Éditions Odile Jacob/Commission, C‑514/14 P, EU:C:2016:55, point 73 et jurisprudence citée).

24      En l’occurrence, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, le Tribunal n’a pas dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis, lorsque, au point 87 de l’arrêt attaqué, il a considéré que l’obligation faite au gérant de SKW d’adresser des rapports réguliers au directeur d’AlzChem constituait un indice en faveur de la thèse selon laquelle cette dernière influençait de manière déterminante les décisions de la première.

25      Dès lors, en ce que les requérantes contestent les appréciations des éléments de fait effectuées par le Tribunal, y compris celles figurant aux points 87 et 107 de l’arrêt attaqué, leurs griefs sont irrecevables.

26      En revanche, en ce que les requérantes contestent la méthodologie employée par le Tribunal pour apprécier le caractère probant des éléments fournis par les requérantes afin de renverser la présomption d’exercice d’une influence déterminante par celles-ci sur SKW, en ce qu’elles critiquent le Tribunal pour avoir considéré que la démonstration d’un comportement d’une filiale en contradiction flagrante avec les instructions de sa société mère ne permet pas de renverser cette présomption, et en ce qu’elles lui reprochent également d’avoir retenu un critère trop restrictif ayant pour effet de rendre irréfragable une telle présomption, leurs griefs sont recevables. En effet, la question, posée par ces griefs, de savoir si le Tribunal a appliqué un critère juridique correct lors de l’appréciation des faits et des éléments de preuve constitue une question de droit soumise au contrôle de la Cour dans le cadre du présent pourvoi (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor Portielje, C‑440/11 P, EU:C:2013:514, point 59 et jurisprudence citée).

–       Sur le fond

27      À titre liminaire, il convient de rappeler que, de jurisprudence constante de la Cour, la responsabilité du comportement d’une filiale peut être imputée à sa société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale faisant partie d’une même unité économique et formant ainsi une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, la Commission peut adresser une décision imposant des amendes à la société mère sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

28      Il résulte d’une jurisprudence toute aussi constante de la Cour que, dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union européenne, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 56 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, point 41).

29      Dans une telle situation, il suffit que la Commission prouve que la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une filiale est détenue, directement ou indirectement, par sa société mère pour considérer que ladite présomption est remplie. De ce fait, la Commission sera en mesure de considérer la société mère responsable du comportement de sa filiale et tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à celle-ci, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

30      Partant, lorsqu’elle est acquise, comme cela n’est pas contesté par les requérantes en l’espèce, une telle présomption implique, sauf renversement de celle-ci, que l’exercice effectif d’une influence déterminante par la société mère sur sa filiale est considéré comme établi et fonde la Commission à tenir la première responsable du comportement de la seconde, sans avoir à produire une quelconque preuve supplémentaire.

31      En effet, la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante étant acquise, il appartient à la seule société mère détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale de la renverser.

32      Afin de renverser cette présomption, une société mère doit, dans le cadre des recours dirigés contre une décision de la Commission, soumettre à l’appréciation du juge de l’Union tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre elle-même et sa filiale de nature à démontrer qu’elles ne constituent pas une seule entité économique (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, EU:C:2011:21, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

33      Afin d’apprécier si cette filiale détermine de façon autonome son comportement sur le marché ou applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par sa société mère (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor Portielje, C‑440/11 P, EU:C:2013:514, point 38 et jurisprudence citée), le juge de l’Union est tenu de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l’objet d’une énumération exhaustive (arrêt du 26 septembre 2013, The Dow Chemical Company/Commission, C‑179/12 P, non publié, EU:C:2013:605, point 54).

34      Dans le cadre de cet exercice, il appartient au Tribunal d’effectuer une appréciation portant sur des faits contemporains de la période infractionnelle, sans préjudice toutefois de la possibilité de se fonder sur des éléments portant sur une période antérieure à celle-ci, pour autant qu’il est en mesure d’établir la pertinence de ces éléments pour la période infractionnelle et qu’il ne transpose pas automatiquement à cette période les conclusions découlant de l’appréciation d’éléments antérieurs à cette dernière.

35      En l’occurrence, il ressort d’une lecture d’ensemble des points 100 à 107 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est livré à une appréciation conforme à ces exigences.

36      Ainsi, après avoir conclu, au point 99 de l’arrêt attaqué, que les requérantes n’étaient pas parvenues à démontrer qu’elles n’exerçaient pas effectivement, antérieurement au 1er janvier 2004, une influence déterminante sur la politique commerciale de SKW, le Tribunal, au point 100 de cet arrêt, a indiqué qu’il convenait de vérifier si un constat similaire s’imposait s’agissant de la période infractionnelle et, plus généralement, de la période postérieure au 1er janvier 2004. Dans ce cadre, il a souligné, aux points 106 et 107 de cet arrêt, que les affirmations des requérantes, rappelées aux points 102 à 105 dudit arrêt, qui ne sont soit pas contestées soit pas valablement contestées dans le cadre du présent pourvoi, ne permettaient pas de démontrer que celles-ci n’exerçaient plus effectivement, au cours de l’année 2004, une telle influence, appréciation qui relève, ainsi qu’il a été rappelé au point 23 du présent arrêt, de sa compétence.

37      En conséquence, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu prendre en considération la situation antérieure au 1er janvier 2004 afin de rejeter l’argumentation des requérantes par laquelle celles-ci soutenaient avoir renversé la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante par elles-mêmes sur SKW.

38      Dans la mesure où les requérantes critiquent le Tribunal pour avoir erronément rejeté, notamment aux points 84 à 87, 88 et 89, 93 à 98 ainsi que 108 à 113, le renversement de la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante par celles-ci sur SKW en s’appuyant sur l’existence d’une influence potentielle ou théorique, il y a lieu de constater que ce grief procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué et doit, dès lors, être rejeté. En effet, contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ressort de cet arrêt que le Tribunal ne s’est pas appuyé sur l’existence d’une influence potentielle ou théorique de leur part sur SKW, mais a seulement constaté que leurs arguments ne démontraient pas l’absence d’exercice effectif d’une influence déterminante par celles-ci sur SKW et, partant, ne suffisaient pas pour renverser la présomption capitalistique.

39      S’agissant du grief tiré du refus du Tribunal de tenir compte du fait que SKW a participé à l’infraction concernée en contradiction flagrante avec les instructions explicites des requérantes, telles que visées aux points 106 et 107 de l’arrêt attaqué, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été dit aux points 32 et 33 du présent arrêt, que le juge de l’Union est tenu, lorsqu’il examine si la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante est renversée, de prendre en considération l’ensemble des éléments de preuve qui lui sont soumis.

40      Dans le cadre de cette appréciation d’ensemble, si l’existence d’une instruction expresse donnée par une société mère à sa filiale de ne pas participer à des pratiques anticoncurrentielles sur un marché donné peut constituer un indice probant de l’exercice effectif d’une influence déterminante par la première sur la seconde, le fait pour cette dernière de ne pas s’être conformée à cette instruction ne saurait être regardé, par le Tribunal, ainsi qu’il y a procédé aux points 90 à 92 de l’arrêt attaqué, comme un indice probant d’exercice effectif d’une telle influence.

41      Pour autant, le fait qu’une filiale ne se conforme pas à une instruction donnée par sa société mère ne saurait suffire, à lui seul, à établir l’absence d’exercice effectif d’une influence déterminante par celle-ci sur celle-là, dès lors que la Cour a eu l’occasion de préciser qu’il n’est pas nécessaire que la filiale applique toutes les instructions de sa société mère pour démontrer l’existence d’une influence déterminante, sous réserve de ce que le non‑respect de ces instructions ne soit pas la règle (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, points 96 et 97).

42      En conséquence, c’est sans commettre d’erreur de droit que, aux points 106 et 107 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a pu considérer, en dépit des instructions données par les requérantes à SKW de ne pas participer à des accords anticoncurrentiels sur les marchés en cause, que celles-ci n’avaient pas rapporté, à suffisance de droit, la preuve qu’elles n’avaient pas exercé, durant la période infractionnelle, une influence déterminante sur SKW.

43      Enfin, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir retenu un critère excessivement restrictif rendant irréfragable la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante.

44      À cet égard, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que le fait qu’il soit difficile d’apporter la preuve contraire nécessaire pour renverser une présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante n’implique pas, en soi, que celle-ci soit en fait irréfragable, surtout lorsque les entités à l’égard desquelles la présomption opère sont les mieux à même de rechercher cette preuve dans leur propre sphère d’activités (arrêt du 5 mars 2015, Commission e.a./Versalis e.a., C‑93/13 P et C‑123/13 P, EU:C:2015:150, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

45      De même, le fait que le Tribunal, dans le cadre de son appréciation des faits et des éléments de preuve, a constaté, dans la présente affaire, que les requérantes n’avaient pas renversé la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante ne saurait pas plus permettre de considérer que celui-ci a commis une erreur de droit en conférant à cette présomption un caractère irréfragable.

46      Dès lors, ce grief ne saurait être accueilli.

47      L’ensemble des griefs soulevés par les requérantes ayant été écartés et l’appréciation des faits et des éléments de preuve relevant de la compétence du Tribunal, le premier moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation par le Tribunal du principe d’égalité de traitement, du droit des requérantes d’être entendues ainsi que de son obligation de motivation

 Argumentation des parties

48      Par leur troisième moyen, dirigé contre les points 287 à 289 de l’arrêt attaqué, les requérantes soutiennent que, en ne réduisant pas l’amende qui leur a été infligée, le Tribunal a violé le principe d’égalité de traitement, leur droit d’être entendues ainsi que son obligation de motivation.

49      À cet égard, elles font valoir que la réduction de leur amende s’imposait pour deux motifs. Premièrement, le Tribunal aurait dû tirer les conséquences de son propre constat effectué aux points 272 à 275 de l’arrêt attaqué, selon lequel la Commission avait, dans le cadre du calcul de la responsabilité solidaire globale de SKW, omis à tort de tenir compte de la somme prévue au point 25 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2), dite « droit d’entrée », et, par conséquent, violé le principe d’égalité de traitement ainsi que les principes régissant la fixation d’amendes solidaires.

50      Deuxièmement, elles soutiennent que, ainsi qu’il découle de l’arrêt du 23 janvier 2014, SKW Stahl-Metallurgie Holding et SKW Stahl-Metallurgie/Commission (T‑384/09, non publié, EU:T:2014:27), qui portait sur la période d’infraction du 1er septembre 2004 au 16 janvier 2007, la Commission n’aurait pas dû procéder en faveur de SKW à une réduction de son amende au titre de la communication sur la clémence, car la demande de clémence introduite par les requérantes ne valait pas pour SKW et que cette dernière n’avait pas introduit une telle demande en son nom propre et pour son propre compte. Les requérantes en concluent que, si la Commission n’avait pas commis ces erreurs, l’amende infligée à SKW pour la première partie de l’infraction portant sur la période du 22 avril 2004 au 30 août 2004 aurait dû être considérablement plus élevée.

51      Or, en ne réduisant pas les amendes infligées aux requérantes afin de remédier à la disproportion illégale entre les amendes infligées aux requérantes et l’amende infligée à SKW au titre de l’article 2, sous g), de la décision litigieuse, le Tribunal aurait violé le principe d’égalité de traitement, et cela alors même que, dans l’arrêt du 23 janvier 2014, Gigaset/Commission (T‑395/09, non publié, EU:T:2014:23), relatif à un recours dirigé contre l’article 2, sous f), de cette décision, le Tribunal a, dans une situation similaire, réduit le montant de l’amende infligée à Gigaset, société mère de SKW après sa cession par les requérantes et que la Commission a tenue pour responsable du comportement de SKW pour la période du 1er septembre 2004 au 16 janvier 2007.

52      À cet égard, les requérantes rappellent que, au point 192 de l’arrêt du 23 janvier 2014, Gigaset/Commission (T‑395/09, non publié, EU:T:2014:23), le Tribunal, après avoir énoncé « que le traitement égal des situations inégales de [Gigaset] et de SKW a eu pour conséquence de leur imposer une amende de même montant, alors [qu’]il devait y avoir entre les montants de l’amende infligée à ces deux sociétés une différence d’un million d’euros », a décidé, « afin de remédier à l’inégalité de traitement constatée au détriment de [Gigaset] », dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de « réduire d’un million d’euros le montant de l’amende infligée à [Gigaset] dans la décision [litigieuse] ».

53      En outre, en ne répondant pas aux arguments, qu’il a considérés comme tardifs au motif que ceux-ci avaient été invoqués pour la première fois dans le mémoire en réplique, tirés, à ce titre, de la violation du principe d’égalité de traitement, le Tribunal aurait violé leur droit d’être entendues et son obligation de motivation. En effet, les requérantes expliquent qu’elles n’étaient pas en mesure d’invoquer ces arguments à un stade antérieur de la procédure.

54      La Commission considère que ce moyen est irrecevable en ce qu’il irait au-delà de l’objet de la procédure de première instance et, en tout état de cause, non fondé.

 Appréciation de la Cour

55      À titre liminaire, il convient de rappeler qu’un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir des moyens nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (voir, en ce sens, arrêts du 10 avril 2014, Commission e.a./Siemens Österreich e.a., C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256, point 102, ainsi que du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, points 118 et 170 ainsi que jurisprudence citée).

56      Or, il est constant que les requérantes font valoir que le Tribunal aurait commis des erreurs de droit dans la réappréciation du montant des amendes qu’il leur a infligées, réappréciation que le Tribunal a effectuée, ainsi qu’il ressort du point 269 de l’arrêt attaqué, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction au sens de l’article 261 TFUE.

57      En conséquence, contrairement à ce que soutient la Commission, le présent moyen est recevable.

58      Cela étant, il est de jurisprudence constante de la Cour que le principe d’égalité de traitement, invoqué par les requérantes, doit se concilier avec le respect de la légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt du 10 novembre 2011, The Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 62 et jurisprudence citée).

59      Dès lors, dans la mesure où elles invoquaient à leur profit, ainsi qu’il ressort des points 49 et 50 du présent arrêt, de prétendues illégalités commises dans la détermination du montant de l’amende infligée à SKW, les requérantes, en tout état de cause, ne sauraient se prévaloir du principe d’égalité de traitement et de l’arrêt du 23 janvier 2014, Gigaset/Commission (T‑395/09, non publié, EU:T:2014:23), afin de contester le montant des amendes que le Tribunal a mis à leur charge.

60      Enfin, et compte tenu de ce qui précède, ne sauraient utilement prospérer, même à les supposer fondés, les griefs des requérantes tirés de la violation, d’une part, de leur droit d’être entendues et, d’autre part, de l’obligation de motivation, découlant du défaut d’examen par le Tribunal de leur argumentation prise de la violation du principe d’égalité de traitement.

61      En conséquence, le troisième moyen doit être rejeté comme étant, pour partie, inopérant et, pour partie, non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique, du principe nulla poena sine lege certa ainsi que de l’obligation de motivation

 Argumentation des parties

62      Par leur quatrième moyen, présenté à titre subsidiaire et dirigé à la fois contre le point 288 de l’arrêt attaqué et le point 2, premier tiret, dernier membre de phrase, du dispositif de cet arrêt, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’indiquant pas expressément qu’un paiement de SKW aura un double effet libératoire non seulement à leur égard, mais également à l’égard de Gigaset, et elles ajoutent que cette omission sera susceptible de conduire la Commission, lors du recouvrement des amendes qui leur ont été infligées, à contester l’effet extinctif, au profit de Gigaset, d’un éventuel paiement de SKW. À cet égard, elles font valoir que, dans l’hypothèse où la Commission viendrait à considérer qu’un paiement de SKW n’aura d’effet libératoire qu’à leur profit, et non au profit de Gigaset, elles ne seraient pas en mesure de déterminer le montant qu’elles devront en définitive verser et le juge national éventuellement saisi d’un litige à cet égard ne pourrait se prononcer sur ce point.

63      Ce faisant, le Tribunal aurait violé non seulement le principe de sécurité juridique qui prévaut en matière de solidarité dans le paiement des amendes, mais également le principe nulla poena sine lege certa, l’obligation de motivation à laquelle il est tenu, ainsi que l’article 296 TFUE.

64      La Commission fait valoir que ce moyen est nouveau et, partant, irrecevable, et, en tout état de cause, non fondé.

 Appréciation de la Cour

65      À titre liminaire, il convient de relever que, par le présent moyen qui est dirigé à la fois contre le point 288 de l’arrêt attaqué et le point 2, premier tiret, dernier membre de phrase, du dispositif de cet arrêt, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en indiquant que les sommes éventuellement payées par SKW au titre des amendes qui lui ont été infligées à l’article 2, sous f) et g), de la décision litigieuse désintéresseraient uniquement les requérantes.

66      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l’intérêt à agir constitue une condition de recevabilité qui doit perdurer jusqu’à ce que le juge statue au fond. Un tel intérêt existe tant que le pourvoi est susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 24 mars 2011, Ferrero/OHMI, C‑552/09 P, EU:C:2011:177, point 39 et jurisprudence citée).

67      Une telle condition de recevabilité s’impose tant pour le pourvoi dans son ensemble que pour chacun des moyens invoqués au soutien de celui-ci.

68      En l’espèce, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 96 et 98 de ses conclusions, le Tribunal a expressément prévu, au point 288 de l’arrêt attaqué ainsi qu’au point 2, premier tiret, dernier membre de phrase, du dispositif de celui‑ci, que les versements par SKW des sommes au titre des amendes qui ont été infligées à celle-ci à l’article 2, sous f) et g), de la décision litigieuse auraient un effet extinctif sur les amendes auxquelles les requérantes ont été condamnées. Ainsi, le présent moyen revient, en substance, à demander à la Cour de reconnaître au profit d’un tiers, en l’occurrence Gigaset, l’effet extinctif de tels versements, ce dont les requérantes ne sauraient retirer aucun bénéfice.

69      Partant, le quatrième moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant irrecevable.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 81 CE, de l’article 23 du règlement no 1/2003 ainsi que du principe d’égalité de traitement, du droit des requérantes d’être entendues et de l’obligation de motivation

 Argumentation des parties

70      Par leur cinquième moyen, présenté à titre subsidiaire et dirigé à la fois contre le point 288 de l’arrêt attaqué et le point 2, premier tiret, du dispositif de l’arrêt attaqué, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir violé l’article 81 CE, l’article 23 du règlement no 1/2003 ainsi que le principe d’égalité de traitement, le droit d’être entendu et l’obligation de motivation, à l’occasion de la réappréciation du montant des amendes infligées aux requérantes, en ayant déduit de la partie d’amende réputée payée par les requérantes en cas de versement par SKW la réduction illégalement octroyée à celles-ci au titre de la communication sur la clémence, et ce sans avoir répondu à leurs arguments à cet égard.

71      En ce sens, les requérantes font valoir que, en l’absence de la réduction d’amende dont SKW a illégalement bénéficié au titre de la demande de clémence qu’elles avaient adressée à leur seul bénéfice et non à celui de SKW, la proportion de l’amende infligée aux requérantes, au point 2, premier tiret, du dispositif de l’arrêt attaqué – à savoir 2,49 millions d’euros –, pour laquelle les paiements effectués par SKW ont un effet extinctif, aurait été plus élevée et aurait atteint 3,47 millions d’euros. Il en découlerait que le Tribunal aurait ainsi indirectement tenu compte, au détriment des requérantes, d’une réduction d’amende illégale dont a bénéficié SKW.

72      Dès lors, les requérantes demandent à la Cour de fixer l’effet libératoire pour Degussa d’un paiement de SKW à un montant de 3,47 millions d’euros.

 Appréciation de la Cour

73      Par le présent moyen, les requérantes critiquent le Tribunal pour avoir, en substance, s’agissant de l’amende de 2,49 millions d’euros que le Tribunal leur a infligée solidairement au point 2, premier tiret, du dispositif de l’arrêt attaqué, fixé à un montant de 2,49 millions d’euros et non pas de 3,47 millions d’euros l’effet extinctif pour Degussa d’un paiement effectué par SKW au titre des amendes qui ont été infligées à cette dernière à l’article 2, sous f) et g), de la décision litigieuse.

74      À cet égard, il convient de relever que, en vertu du mécanisme afférent à l’amende qui a été infligée aux requérantes solidairement par le Tribunal au point 2, premier tiret, du dispositif de l’arrêt attaqué, SKW est d’ores et déjà susceptible, en raison des paiements effectués au titre des amendes mises à sa charge par l’article 2, sous f) et g), de la décision litigieuse, de désintéresser les requérantes pour la totalité de l’amende d’un montant de 2,49 millions d’euros qui leur a été solidairement imposée.

75      Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 106 de ses conclusions, SKW ne peut pas être tenue de payer, même en partie, le montant de 1,24 million d’euros prévu au point 2, second tiret, du dispositif de l’arrêt attaqué. En effet, ainsi qu’il ressort du point 289 de cet arrêt et du point 2, second tiret, du dispositif de celui-ci, qui ne sont pas contestés dans le cadre du présent pourvoi, ce montant a été imposé exclusivement à Degussa en raison de la récidive et, partant, ne sera pas affecté par les paiements éventuellement effectués par SKW pour s’acquitter de l’amende mise à la charge de cette dernière.

76      En conséquence, le cinquième moyen doit être rejeté.

77      Partant, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

 Sur les dépens

78      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

79      En vertu de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute personne qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

80      Degussa et AlzChem ayant succombé en leur moyens et la Commission ayant conclu à leur condamnation aux dépens, elles supportent leurs propres dépens et sont condamnées à supporter les dépens exposés par la Commission.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Evonik Degussa GmbH et AlzChem AG supportent leurs propres dépens et sont condamnées à supporter les dépens exposés par la Commission européenne.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.