Language of document : ECLI:EU:C:2017:709

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

21 septembre 2017 (*)

« Pourvoi – Ententes – Producteurs italiens de ronds à béton – Fixation des prix ainsi que limitation et contrôle de la production et des ventes – Infraction à l’article 65 CA – Annulation de la décision initiale par le Tribunal de l’Union européenne – Décision réadoptée sur le fondement du règlement (CE) n° 1/2003 – Absence d’émission d’une nouvelle communication des griefs – Absence d’audition à la suite de l’annulation de la décision initiale – Délais encourus dans la procédure devant le Tribunal »

Dans l’affaire C‑85/15 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 19 février 2015,

Feralpi Holding SpA, établie à Brescia (Italie), représentée par Mes G. M. Roberti et I. Perego, avvocati,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. L. Malferrari et P. Rossi, en qualité d’agents, assistés de Me M. Moretto, avvocato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de M. E. Juhász, président de chambre, MM. C. Vajda (rapporteur) et C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 octobre 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 décembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Feralpi Holding SpA (ci-après « Feralpi ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 décembre 2014, Feralpi/Commission (T‑70/10, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2014:1031), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C (2009) 7492 final de la Commission, du 30 septembre 2009, relative à une violation de l’article 65 CA (COMP/37.956 – Ronds à béton armé – réadoption, ci-après la « décision du 30 septembre 2009 »), dans sa version modifiée par la décision C(2009) 9912 final de la Commission, du 8 décembre 2009 (ci-après la « décision modificative ») (décision du 30 septembre 2009, telle que modifiée par la décision modificative, ci-après la « décision litigieuse »).

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2        Les antécédents du litige sont exposés aux points 16 à 21 de l’arrêt attaqué :

« 16      D’octobre à décembre 2000, la Commission a effectué, conformément à l’article 47 CA, des vérifications auprès d’entreprises italiennes productrices de ronds à béton et auprès d’une association d’entreprises sidérurgiques italiennes [Federacciai]. Elle leur a également adressé des demandes de renseignements, en vertu de l’article 47 CA [...]

17      Le 26 mars 2002, la Commission a ouvert la procédure administrative et a formulé des griefs au titre de l’article 36 CA (ci-après la “communication des griefs”) [...] [Feralpi] a présenté des observations écrites sur la communication des griefs. Une audition a été tenue le 13 juin 2002 [...]

18      Le 12 août 2002, la Commission a formulé des griefs supplémentaires (ci–après la “communication des griefs supplémentaires”), adressés aux destinataires de la communication des griefs [...] Dans la communication des griefs supplémentaires, fondée sur l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 et 82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), la Commission expliquait sa position concernant la poursuite de la procédure après l’expiration du traité CECA. Un délai a été accordé aux entreprises concernées pour la présentation de leurs observations et une seconde audition en présence des représentants des États membres a eu lieu le 30 septembre 2002 [...] [Feralpi] a répondu à la communication des griefs supplémentaires le 13 septembre 2002.

19      À l’issue de la procédure, la Commission a adopté la décision C(2002) 5087 final, du 17 décembre 2002, relative à une procédure d’application de l’article 65 CA (affaire COMP/37.956 – Ronds à béton) (ci-après la “décision de 2002”), par laquelle elle a constaté que les entreprises destinataires de celle-ci avaient mis en œuvre une entente unique, complexe et continue sur le marché italien des ronds à béton en barres ou en rouleaux, qui avait pour objet ou pour effet la fixation des prix et qui avait également donné lieu à une limitation ou à un contrôle concertés de la production ou des ventes, contraire à l’article 65, paragraphe 1, CA [...] La Commission a, dans cette décision, infligé à [Feralpi] une amende d’un montant de 10,25 millions d’euros.

20      Le 4 mars 2003, [Feralpi] a formé un recours devant le Tribunal contre la décision de 2002. Par arrêt du Tribunal du 25 octobre 2007, Feralpi Siderurgica/Commission (T‑77/03, [non publié, EU:T:2007:319]), le Tribunal a annulé la décision de 2002. Le Tribunal a relevé que, eu égard notamment au fait que la décision de 2002 ne comportait aucune référence à l’article 3 et à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, cette décision était fondée uniquement sur l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA [...] Dès lors que ces dispositions avaient expiré le 23 juillet 2002, la Commission ne pouvait plus tirer de compétence de celles-ci, éteintes au moment de l’adoption de la décision de 2002, pour constater une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA et pour imposer des amendes aux entreprises qui auraient participé à ladite infraction [...]

21      Par lettre du 30 juin 2008, la Commission a informé [Feralpi] et les autres entreprises concernées de son intention de réadopter une décision, en modifiant la base juridique par rapport à celle qui avait été choisie pour la décision de 2002. Elle a en outre précisé que, compte tenu de la portée limitée de l’arrêt [du 25 octobre 2007,] Feralpi Siderurgica/Commission [(T‑77/03, non publié, EU:T:2007:319)], la décision réadoptée serait fondée sur les preuves présentées dans la communication des griefs et dans la communication des griefs supplémentaires. Un délai a été accordé aux entreprises concernées pour présenter leurs observations [...] Feralpi a répondu à cette lettre le 31 juillet 2008. La lettre du 30 juin 2008 a été suivie de plusieurs demandes d’informations, auxquelles [Feralpi] a répondu. »

3        Dans la décision du 30 septembre 2009, la Commission a considéré, notamment, que le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), devait être interprété comme lui permettant de constater et de sanctionner, après le 23 juillet 2002, les ententes dans les secteurs relevant du champ d’application du traité CECA ratione materiae et ratione temporis. Elle a indiqué que cette décision avait été adoptée conformément aux règles procédurales du traité CE ainsi que dudit règlement et que les dispositions matérielles qui n’étaient plus en vigueur à la date de l’adoption d’un acte pouvaient être appliquées en vertu des principes régissant la succession des règles dans le temps, sous réserve de l’application du principe général de la lex mitior.

4        L’article 1er de ladite décision dispose, notamment, que Feralpi avait enfreint l’article 65, paragraphe 1, CA en participant, du 6 décembre 1989 au 27 juin 2000, à un accord continu et/ou à des pratiques concertées concernant les ronds à béton en barres ou en rouleaux, qui avaient pour objet et/ou pour effet la fixation des prix et la limitation et/ou le contrôle de la production ou des ventes sur le marché commun. Par l’article 2 de la même décision, la Commission a infligé à Feralpi une amende d’un montant de 10,25 millions d’euros.

5        Par lettres envoyées entre les 20 et 23 novembre 2009, huit des onze sociétés destinataires de la décision du 30 septembre 2009, y compris Feralpi, ont indiqué à la Commission que l’annexe de cette décision, telle que notifiée à ses destinataires, ne contenait pas les tableaux illustrant les variations de prix.

6        Le 8 décembre 2009, la Commission a adopté la décision modificative, qui intégrait dans son annexe les tableaux manquants et corrigeait les renvois numérotés auxdits tableaux dans huit notes en bas de page.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 février 2010, Feralpi a introduit un recours tendant, d’une part, à ce que le Tribunal ordonne les mesures opportunes afin de vérifier le respect du principe de collégialité dans la procédure d’adoption de la décision litigieuse et, d’autre part, à l’annulation de cette décision.

8        À l’appui de son recours, Feralpi a invoqué sept moyens tirés, en premier lieu, d’une violation de l’obligation de motivation et du principe de collégialité ainsi que d’un vice dans la procédure de réadoption de la décision de 2002, en deuxième lieu, du caractère inadéquat de la base juridique de la décision litigieuse, en troisième lieu, d’une violation des droits de la défense et des principes de bonne administration, de proportionnalité et d’égalité des armes, en quatrième lieu, d’une violation des critères d’imputation, d’une appréciation erronée des faits et de l’absence d’instruction et de motivation, en cinquième lieu, d’une définition erronée du marché en cause, en sixième lieu, d’une appréciation erronée des faits, d’une violation de l’article 65 CA, d’une violation du principe de non–discrimination et de l’article 296 TFUE et, en septième lieu, d’une détermination erronée du montant de l’amende.

9        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de Feralpi.

 Les conclusions des parties devant la Cour

10      Par son pourvoi, Feralpi demande à la Cour :

–        d’annuler, en tout ou en partie, l’arrêt attaqué, en ce qu’il a rejeté le recours présenté par Feralpi dans l’affaire T‑70/10 et, par conséquent :

–        d’annuler, en tout ou en partie, la décision litigieuse ;

–        et/ou d’annuler, ou tout au moins de réduire, l’amende infligée à Feralpi par la décision litigieuse ;

–        à titre subsidiaire, d’annuler, en tout ou en partie, l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté le recours présenté par Feralpi dans l’affaire T‑70/10 et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le fond de l’affaire à la lumière des indications fournies par la Cour ;

–        en tout état de cause, de réduire l’amende infligée à Feralpi par la décision litigieuse, en raison de la durée excessive de la procédure devant le Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

11      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner Feralpi aux dépens.

 Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

12      La phase orale de la procédure a été clôturée le 8 décembre 2016 à la suite de la présentation des conclusions de M. l’avocat général. Par lettre du 27 janvier 2017, déposée le même jour au greffe de la Cour, la Commission a demandé à la Cour d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure et de verser au dossier les éléments de fait exposés dans sa demande ainsi que les documents annexés à celle-ci.

13      À l’appui de cette demande, la Commission fait valoir, en substance, que la Cour n’est pas suffisamment éclairée sur des circonstances factuelles relatives aux auditions des 13 juin et 30 septembre 2002, sur lesquelles M. l’avocat général fonde ses conclusions, ces circonstances n’ayant pas été spécifiquement débattues entre les parties.

14      L’article 83 du règlement de procédure de la Cour permet à celle-ci, l’avocat général entendu, d’ordonner à tout moment la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument de droit non débattu entre les parties.

15      Il convient, toutefois, de rappeler que l’objet du pourvoi est, en principe, défini par les moyens et les arguments soulevés par les parties. En l’espèce, ces dernières ont eu la possibilité de suffisamment débattre ces moyens et ces arguments dans leurs mémoires et lors de l’audience commune du 20 octobre 2016 dans les affaires C‑85/15 P à C‑89/15 P.

16      Par conséquent, la Cour, l’avocat général entendu, estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur le pourvoi

17      Au soutien de son pourvoi, Feralpi soulève six moyens tirés, en premier lieu, d’une violation du principe de collégialité, en deuxième lieu, d’une violation des droits de la défense, de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, de l’article 10 du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), ainsi que d’un défaut de motivation, en troisième lieu, d’une violation de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») en raison de la durée excessive de la procédure administrative, ainsi que d’un défaut de motivation, en quatrième lieu, d’une violation de l’article 65, paragraphe 1, CA, des principes régissant la charge de la preuve, du principe de présomption d’innocence ainsi que d’une dénaturation des faits et d’un défaut de motivation, en cinquième lieu, d’une violation des articles 23 et 31 du règlement n° 1/2003, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3), des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que d’un défaut de motivation et, en sixième lieu, d’une durée excessive de la procédure devant le Tribunal.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

18      Par son deuxième moyen, qu’il convient d’examiner en premier lieu, Feralpi soutient que, en estimant qu’il n’était pas nécessaire d’émettre une nouvelle communication des griefs avant l’adoption de la décision litigieuse, le Tribunal a méconnu ses droits de la défense garantis par l’article 10 du règlement n° 773/2004. Dans la mesure où, ainsi que la lettre de la Commission du 30 juin 2008 invitant les entreprises intéressées à présenter leurs observations l’aurait confirmé, celles-ci avaient le droit d’être entendues, la Commission aurait dû mettre en œuvre toutes les étapes procédurales prévues par le règlement n° 773/2004, à savoir la notification d’une nouvelle communication des griefs et la possibilité pour ces entreprises d’exercer leur droit d’accès au dossier ainsi que, sur demande, leur droit à une audition.

19      La Commission estime que le Tribunal a, à juste titre, jugé que le vice entachant la légalité de la décision de 2002 étant intervenu à la date de l’adoption de celle-ci, la validité des actes préparatoires n’était pas affectée, de telle sorte que l’annulation de cette décision ne nécessitait pas l’émission d’une nouvelle communication des griefs avant l’adoption de la décision litigieuse. Cette institution relève que le changement de base juridique en ce qui concerne sa compétence pour infliger des amendes n’a eu aucune conséquence sur la position de Feralpi et que cette dernière a eu la possibilité, en réponse à la communication des griefs supplémentaires, de faire valoir ses observations tant sur le plafond du montant de l’amende que la Commission pouvait infliger que sur la base juridique autorisant la Commission à le faire.

20      En ce qui concerne la lettre du 30 juin 2008, le Tribunal aurait reconnu, au point 140 de l’arrêt attaqué, que cette lettre précisait que la Commission estimait qu’il n’était pas nécessaire d’adopter une nouvelle communication des griefs. Il n’aurait pas considéré, en revanche, que cette lettre tenait lieu de communication des griefs proprement dite. Ce serait à juste titre que le Tribunal a considéré que, dès lors que l’annulation de la décision de 2002 n’avait pas affecté la validité de la communication des griefs et de la communication des griefs supplémentaires, sur lesquelles les entreprises concernées avaient déjà eu la possibilité de s’exprimer, la Commission pouvait se limiter, dans ladite lettre, à informer celles-ci de son intention de réadopter cette décision sur une nouvelle base juridique.

21      En outre, l’arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582), cité par le Tribunal, serait pertinent en l’espèce dès lors que l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait la découverte d’un vice de procédure intervenu lors de la phase d’adoption de la décision concernée, et qui n’a pas entraîné l’invalidation des actes de procédure.

22      La Commission défend également la validité de la communication des griefs supplémentaires. Ainsi que le Tribunal l’aurait jugé au point 135 de l’arrêt attaqué, cette dernière aurait été fondée sur les règles procédurales pertinentes du traité CE en vigueur à l’époque, de sorte que sa validité n’aurait pas été affectée par l’annulation de la décision de 2002.

 Appréciation de la Cour

23      Feralpi reproche au Tribunal, en substance, de ne pas avoir jugé que la Commission avait violé son obligation de respecter toutes les étapes procédurales prévues par le règlement n° 773/2004, y compris la notification aux entreprises concernées d’une nouvelle communication des griefs, conformément à l’article 10 de ce règlement, ainsi que la possibilité pour Feralpi d’exercer son droit à une audition avec la participation des autorités de concurrence des États membres, avant l’adoption de la décision litigieuse.

24      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure aboutissant à l’adoption de la décision de 2002, la Commission a, le 26 mars 2002, adressé aux entreprises concernées, y compris à Feralpi, la communication des griefs, au titre de l’article 36 CA. L’audition relative à celle-ci a eu lieu le 13 juin 2002. Après l’expiration du traité CECA, la Commission a, le 12 août 2002, envoyé auxdites entreprises la communication des griefs supplémentaires, fondée sur l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17, dans laquelle elle expliquait sa position eu égard à cette modification du cadre juridique et invitait ces dernières à faire connaître leur propre point de vue au sujet desdits griefs supplémentaires. Une audition a eu lieu le 30 septembre 2002 en présence des représentants des États membres.

25      À la suite de l’annulation de la décision de 2002, la Commission a, par lettre datée du 30 juin 2008, informé Feralpi et les autres entreprises concernées de son intention de réadopter cette décision en se fondant sur le règlement n° 1/2003 en tant que base juridique, conformément aux règles de procédure prévues par ce règlement.

26      Eu égard à ce déroulement procédural, il y a lieu d’examiner si, contrairement à ce que le Tribunal a conclu au point 142 de l’arrêt attaqué, la Commission avait l’obligation, à la suite de l’annulation de la décision de 2002, de rouvrir la procédure et d’adopter une nouvelle communication des griefs ainsi que d’organiser une nouvelle audition.

27      Il est de jurisprudence constante que les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (arrêts du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190, point 75 et jurisprudence citée ; du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, EU:C:2011:191, point 88, ainsi que du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45), même dans une procédure qui a été engagée avant cette date, mais qui demeure pendante après celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 47).

28      En l’occurrence, la décision litigieuse ayant été adoptée sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la procédure aboutissant à cette décision devait être conduite conformément à ce règlement ainsi qu’au règlement n° 773/2004 dont le règlement n° 1/2003 constitue la base juridique (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, EU:C:2011:191, point 90), nonobstant le fait que cette procédure avait été engagée avant l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003.

29      L’article 10, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 773/2004, lu à la lumière de l’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 qu’il met en œuvre, prévoit que, avant d’adopter une décision au titre, notamment, de l’article 7 de ce dernier règlement, la Commission notifie aux parties concernées une communication des griefs en leur donnant la possibilité de l’informer de leur point de vue dans un délai qu’elle fixe.

30      Or, ainsi que le Tribunal l’a en substance relevé aux points 136 et 137 de l’arrêt attaqué, en l’occurrence, la Commission avait déjà adressé aux entreprises concernées la communication des griefs et la communication des griefs supplémentaires et, par rapport à ces communications, la décision litigieuse ne mettait pas d’actes nouveaux à la charge de Feralpi ni ne modifiait sensiblement les éléments de preuve des infractions reprochées. Par ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 53 de ses conclusions, il n’existe pas de différence majeure, en ce qui concerne le contenu, entre une communication des griefs adoptée sous le régime du traité CECA et une communication des griefs adoptée conformément aux règlements nos 17 et 1/2003. L’envoi d’une nouvelle communication des griefs ne s’imposait donc pas.

31      À cet égard, le Tribunal s’est référé, à bon droit, au point 73 de l’arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582), dans lequel il est rappelé que l’annulation d’un acte de l’Union n’affecte pas nécessairement les actes préparatoires, la procédure visant à remplacer l’acte annulé pouvant en principe être reprise au point précis auquel l’illégalité est intervenue.

32      En effet, ainsi que le Tribunal l’a constaté au point 134 de l’arrêt attaqué, la décision de 2002 a été annulée faute de compétence de la Commission pour l’adopter sur le fondement de dispositions du traité CECA, qui n’était plus en vigueur à la date de l’adoption de cette décision, de telle sorte que c’était à cette date précise que l’illégalité était intervenue. Par conséquent, cette annulation n’affectait pas la communication des griefs ni la communication des griefs supplémentaires.

33      Contrairement à ce que fait valoir Feralpi, la jurisprudence citée au point 31 du présent arrêt n’est pas rendue inapplicable en l’espèce en raison de la modification de la base juridique sur laquelle les amendes ont été adoptées, dans la mesure où les conséquences de cette modification de base juridique avaient déjà été escomptées dans les actes préparatoires. En effet, ainsi qu’il découle des points 18 et 138 de l’arrêt attaqué, la Commission avait informé Feralpi, dans la communication des griefs supplémentaires, fondée sur l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17, des conséquences qu’elle entendait tirer de l’expiration du traité CECA et Feralpi avait eu la possibilité de faire valoir ses observations à ce sujet.

34      En outre, il n’est pas contesté que ces conséquences n’ont subi aucune modification en raison de l’abrogation du règlement n° 17 et de l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003, dont certaines dispositions constituent la base juridique de la décision litigieuse. En tout état de cause, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 50 de ses conclusions, l’article 34, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et l’article 19 du règlement n° 773/2004 prévoient, en tant que dispositions transitoires, que les actes et les mesures de procédure accomplis en application, respectivement, du règlement n° 17 et du règlement (CE) n° 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81] et [82 ] du traité CE (JO 1998, L 354, p. 18), conservent leurs effets aux fins de l’application des premiers règlements.

35      Il y a lieu, également, d’écarter l’argument de Feralpi selon lequel l’annulation de la décision de 2002 en raison de la base juridique sur laquelle elle était fondée a nécessairement affecté l’exposé, dans la communication des griefs supplémentaires, de la base juridique sur laquelle la Commission entendait adopter cette décision. Il suffit de rappeler, en effet, que la décision de 2002 était fondée uniquement sur l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA, alors que ladite communication l’était sur le règlement n° 17.

36      Par conséquent, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en concluant, au point 142 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas l’obligation d’adopter une nouvelle communication des griefs.

37      Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 55 de ses conclusions, aux termes de l’article 12 du règlement n° 773/2004, la Commission doit donner aux parties auxquelles elle a adressé une communication des griefs l’occasion de développer leurs arguments lors d’une audition, si elles en font la demande dans leurs observations écrites. Dès lors, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 32 du présent arrêt, la communication des griefs et la communication des griefs supplémentaires n’étaient pas affectées par l’annulation de la décision de 2002, il convient d’examiner si la Commission a donné auxdites parties l’occasion de développer leurs arguments lors d’une audition menée conformément aux exigences procédurales des règlements nos 1/2003 et 773/2004, comme elle était tenue de le faire.

38      À cet égard, il importe de relever que, sous le régime procédural instauré par le règlement n° 1/2003, tel qu’explicité dans le règlement n° 773/2004, il est prévu, à l’article 14, paragraphe 3, de celui-ci, que les autorités de concurrence des États membres sont invitées à prendre part à l’audition qui, sur demande des destinataires d’une communication des griefs, suit l’émission de cette dernière.

39      Or, s’agissant des auditions ayant eu lieu au cours de l’année 2002, les représentants des États membres n’ont pas participé à celle du 13 juin 2002, une telle participation n’étant pas prévue par le traité CECA alors en vigueur. Il est constant que cette audition a porté sur le fond de l’affaire, à savoir sur les comportements que la Commission reprochait aux entreprises destinataires de la communication des griefs. Cela ressort, notamment, des points 379 à 382 de la décision litigieuse et est confirmé au point 148 des arrêts du Tribunal du 9 décembre 2014, Alfa Acciai/Commission (T‑85/10, non publié, EU:T:2014:1037), ainsi que du 9 décembre 2014, Ferriera Valsabbia et Valsabbia Investimenti/Commission (T‑92/10, non publié, EU:T:2014:1032).

40      En revanche, l’audition du 30 septembre 2002, à laquelle les représentants des États membres avaient été invités conformément aux règles du traité CE désormais applicables, en particulier conformément à l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 2842/98, concernait l’objet de la communication des griefs supplémentaires, à savoir les conséquences juridiques de l’expiration du traité CECA pour la poursuite de la procédure. Cela ressort, d’une part, de cette communication qui invitait expressément ses destinataires à faire connaître leur propre point de vue au sujet desdits griefs supplémentaires. D’autre part, la Commission a indiqué, au point 382 de la décision litigieuse, qu’elle n’avait pas jugé nécessaire de répéter l’audition du 13 juin 2002, en application des dispositions des règlements nos 17 et 1/2003, dès lors que cette audition, à laquelle des représentants des États membres n’avaient pas participé, avait été conduite conformément aux règles du traité CECA applicables à cette date. En outre, lors de l’audience commune dans les affaires C‑85/15 P à C‑89/15 P, la Commission a confirmé, en réponse à une question de la Cour, que la communication des griefs supplémentaires ne revenait ni sur les faits ni sur les preuves faisant l’objet de la procédure.

41      Il en résulte que, dans la présente affaire, les représentants des États membres n’ont pas participé à une audition concernant le fond de l’affaire, mais ont participé uniquement à celle qui était relative aux conséquences juridiques découlant de l’expiration du traité CECA.

42      Or, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 27 et 28 du présent arrêt, lorsqu’une décision est adoptée sur le fondement du règlement n° 1/2003, la procédure aboutissant à cette décision doit être conforme aux règles de procédure prévues par ce règlement, même si cette procédure a commencé avant l’entrée en vigueur de celui-ci.

43      Il s’ensuit que, avant d’adopter la décision litigieuse, la Commission était tenue, en application des articles 12 et 14 du règlement n° 773/2004, de donner aux parties l’occasion de développer leurs arguments lors d’une audition à laquelle elle a invité les autorités de concurrence des États membres. Dès lors, il ne saurait être considéré que l’audition du 13 juin 2002, relative au fond de l’affaire, a satisfait aux exigences procédurales relatives à l’adoption d’une décision sur le fondement du règlement n° 1/2003.

44      Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 142 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas l’obligation, avant l’adoption de la décision litigieuse, d’organiser une nouvelle audition, au motif que les entreprises concernées avaient déjà eu la possibilité d’être entendues oralement lors des auditions des 13 juin et 30 septembre 2002.

45      Compte tenu, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné aux points 56 et 57 de ses conclusions, de l’importance, dans le cadre de la procédure prévue par les règlements nos 1/2003 et 773/2004, de la tenue, sur demande des parties concernées, d’une audition à laquelle, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du second règlement, les autorités de concurrence des États membres sont invitées, l’omission d’une telle audition constitue une violation des formes substantielles.

46      Dans la mesure où le droit à une telle audition, prévu par le règlement n° 773/2004, n’est pas respecté, il n’est pas nécessaire pour l’entreprise dont les droits ont été ainsi violés de démontrer que cette violation a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision litigieuse.

47      Partant, ladite procédure est nécessairement viciée, indépendamment des conséquences éventuellement préjudiciables pour Feralpi qui pourraient résulter d’une telle violation (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑553/10 P et C‑554/10 P, EU:C:2012:682, points 46 à 52, ainsi que du 9 juin 2016, CEPSA/Commission, C‑608/13 P, EU:C:2016:414, point 36).

48      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen soulevé par Feralpi et, partant, d’annuler l’arrêt attaqué, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les premier et troisième à cinquième moyens du pourvoi.

 Sur le sixième moyen

 Argumentation des parties

49      Par son sixième moyen, Feralpi fait valoir que le Tribunal a violé son droit à être entendue dans un délai raisonnable, tel que consacré à l’article 47 de la Charte, dans la mesure où la durée de la procédure devant le Tribunal était de quatre années et dix mois, dont trois années et quatre mois entre la fin de la phase écrite et la tenue de l’audience.

50      S’agissant de la complexité de l’affaire, Feralpi estime que le Tribunal avait déjà connaissance des questions posées par l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt attaqué, compte tenu en particulier du fait que le juge rapporteur était le même que celui dans l’affaire ayant abouti à l’arrêt du 25 octobre 2007, Feralpi Siderurgica/Commission (T‑77/03, non publié, EU:T:2007:319), que les moyens invoqués par Feralpi ne présentaient pas un degré de difficulté particulier, que les neuf recours contre la décision litigieuse s’appuyaient sur des moyens qui se recoupaient, et que le Tribunal avait adopté une seule mesure d’organisation de la procédure en posant une question à la Commission portant sur un aspect du litige.

51      Le comportement des parties n’aurait eu aucune conséquence sur la durée de la procédure, Feralpi et la Commission n’obtenant que des prorogations respectives d’un mois et de quinze jours pour le dépôt de leurs mémoires.

52      Eu égard au fait que plus de quatorze années se sont écoulées entre les vérifications réalisées par la Commission au cours de l’année 2000 et le prononcé de l’arrêt attaqué, Feralpi demande que, pour des raisons d’économie de procédure et nonobstant l’approche suivie par la Cour dans l’arrêt du 26 novembre 2013, Gascogne Sack Deutschland/Commission (C‑40/12 P, EU:C:2013:768), une réparation indemnitaire du préjudice causé par la violation du délai raisonnable de la procédure lui soit accordée dès le stade de l’arrêt de la Cour. À titre subsidiaire, Feralpi invite la Cour à déclarer que le Tribunal a méconnu l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, ce qui constituerait une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

53      La Commission conclut au rejet de ce moyen.

 Appréciation de la Cour

54      S’agissant de la demande de Feralpi tendant à ce que la Cour soit lui accorde une réparation indemnitaire du préjudice prétendument causé par une violation, par le Tribunal, de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, soit déclare une telle violation, il convient de rappeler qu’une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation, résultant de ladite disposition, de juger les affaires qui lui sont soumises dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction dans un recours en indemnité porté devant le Tribunal, un tel recours constituant un remède effectif. Ainsi, une demande visant à obtenir réparation du préjudice causé par le non-respect, par le Tribunal, d’un délai de jugement raisonnable ne peut être soumise directement à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, mais doit être introduite devant le Tribunal lui-même. Celui-ci, compétent en vertu de l’article 256, paragraphe 1, TFUE et saisi d’une demande d’indemnité, est tenu de statuer sur une telle demande dans une formation différente de celle ayant eu à connaître du litige qui a donné lieu à la procédure dont la durée est critiquée (arrêt du 9 juin 2016, Repsol Lubricantes y Especialidades e.a./Commission, C‑617/13 P, EU:C:2016:416, points 98 et 99 ainsi que jurisprudence citée).

55      Par conséquent, le sixième moyen soulevé par Feralpi doit être rejeté.

 Sur le recours devant le Tribunal

56      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

57      En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur le recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse introduit par Feralpi devant le Tribunal.

58      À cet égard, il suffit de relever que, pour les motifs énoncés aux points 23 à 47 du présent arrêt, la décision litigieuse doit être annulée en tant qu’elle concerne Feralpi pour violation des formes substantielles.

 Sur les dépens

59      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

60      L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Feralpi ayant obtenu gain de cause dans le cadre du pourvoi et le recours devant le Tribunal étant accueilli, il y a lieu, conformément aux conclusions de Feralpi, de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Feralpi, tant en première instance que dans le cadre du pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 décembre 2014, Feralpi/Commission (T70/10, non publié, EU:T:2014:1031), est annulé.

2)      La décision C(2009) 7492 final de la Commission, du 30 septembre 2009, relative à une violation de l’article 65 CA (COMP/37.956 – Ronds à béton armé – réadoption), dans sa version modifiée par la décision C(2009) 9912 final de la Commission, du 8 décembre 2009, est annulée en tant qu’elle concerne Feralpi Holding SpA.

3)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens de Feralpi Holding SpA, exposés au titre tant de la procédure de première instance que du présent pourvoi.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.