Language of document : ECLI:EU:T:2023:109

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

8 mars 2023 (*)

« Comité consultatif international du coton – Décision (UE) 2017/876 – Personnel d’une organisation internationale à laquelle l’Union a adhéré – Accord sur les conditions de départ de la requérante – Recours en carence – Absence partielle d’invitation à agir – Absence de qualité pour agir – Irrecevabilité – Responsabilité – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑100/21,

María del Carmen Sánchez-Gavito León, demeurant à Reston, Virginie (États-Unis), représentée par Me M. Veissiere, avocate,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Antoniadis, M. Bauer et A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,

et

Commission européenne, représentée par M. T. Lilamand et Mme M. Monfort, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mmes M. J. Costeira, M. Kancheva (rapporteure) et M. P. Zilgalvis, juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 22 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur les articles 265 et 268 TFUE, la requérante, Mme María del Carmen Sánchez-Gavito León, demande, d’une part, la constatation de la carence illégale du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne, en ce que ces institutions se seraient illégalement abstenues d’agir à la suite de l’invitation qui leur a été formellement adressée par la requérante, ressortissante espagnole et ancienne fonctionnaire du Comité consultatif international du coton (CCIC), auquel l’Union a adhéré par l’adoption de la décision (UE) 2017/876 du Conseil, du 18 mai 2017, concernant l’adhésion de l’Union européenne au Comité consultatif international du coton (CCIC) (JO 2017, L 134, p. 23) et, d’autre part, la réparation des préjudices qu’elle aurait subis en raison du comportement du Conseil, de la Commission et de leurs agents, qui se seraient abstenus d’agir alors qu’ils avaient connaissance de la situation de harcèlement dont la requérante était victime de la part du directeur exécutif du CCIC (ci-après le « directeur exécutif ») et du non-respect par ce dernier de l’accord concernant les conditions de départ de la requérante du secrétariat du CCIC (ci-après l’« accord sur les conditions de départ »), ainsi que de l’absence de toute voie de droit de nature à permettre à la requérante de faire valoir ses griefs.

 Antécédents du litige

2        Le 18 mai 2017, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 207, paragraphes 3 et 4, TFUE, la décision 2017/876.

3        Le CCIC est une organisation internationale réunissant les pays producteurs, consommateurs et commerçants de coton dont le siège est situé à Washington DC (États-Unis).

4        Chaque membre du CCIC désigne un organisme de coordination qui sert de point de contact principal avec le secrétariat du CCIC. Pour l’Union, l’organisme de coordination est la direction générale (DG) des partenariats internationaux de la Commission et le secrétariat général du Conseil.

5        Le CCIC bénéficie, conformément à l’Executive Order no 9911 (décret présidentiel no 9911), du président des États-Unis, du 19 décembre 1947, de certains privilèges, exemptions et immunités prévus par l’International Organizations Immunities Act (loi sur les immunités des organisations internationales), du 29 décembre 1945, et notamment d’une immunité de toute forme de poursuites judiciaires. Il en va de même pour ses dirigeants et employés concernant les actes accomplis par eux en leur qualité officielle et relevant de leurs fonctions en tant que représentants, agents ou employés du CCIC.

6        Par ailleurs, le règlement statutaire du CCIC et le statut du personnel du CCIC ne prévoient pas de système de règlement des différends relatifs à l’inobservation, soit quant au fond, soit quant à la forme, des stipulations du contrat d’engagement des fonctionnaires ou des dispositions dudit statut. Ces textes ne prévoient pas davantage que les différends en question devraient être soumis à la compétence du tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail (OIT), comme le permettrait l’article II, paragraphe 5, du statut de ce tribunal.

7        La requérante est une ressortissante espagnole, ancienne fonctionnaire du CCIC, au sein duquel, elle a exercé successivement, à compter du 15 octobre 1995, les fonctions d’assistante bilingue auprès du directeur exécutif, puis de directrice administrative, jusqu’à sa démission le 7 mars 2019.

8        Le 14 mars 2019, la requérante et le directeur exécutif sont parvenus à un accord sur les conditions de départ. Cet accord prévoyait que la requérante devait quitter les locaux du CCIC le 15 mars 2019, mais qu’elle continuerait de percevoir son salaire jusqu’au 7 juin 2019, ainsi que le paiement de 480 heures correspondant aux jours de congés non pris et d’autres avantages reflétant la pratique usuelle de l’organisation dans des circonstances semblables.

9        Le 31 juillet 2019, le comptable du CCIC a informé la requérante qu’il avait émis un chèque d’un montant de 9 462,08 dollars des États-Unis (USD) à son bénéfice correspondant au paiement des jours de congés non pris par celle-ci. Dans un courriel du même jour, la requérante a rappelé au comptable du CCIC que, conformément au statut du personnel du CCIC, elle avait également droit aux autres avantages afférents à ces jours de congés non pris.

10      Par courriel du 27 septembre 2019, après avoir fourni les documents demandés par le comptable du CCIC à cet effet et demandé sans succès à ce dernier quand elle recevrait le paiement correspondant aux avantages afférents aux jours de congés non pris, la requérante a invité le directeur exécutif à agir rapidement afin d’assurer le respect de l’accord sur les conditions de départ.

11      Par courriel du 30 septembre 2019, le directeur exécutif a informé la requérante que, après vérification auprès du comptable du CCIC et des avocats du CCIC, celle-ci avait reçu tous les paiements auxquels elle avait droit en vertu du statut du personnel du CCIC et que, dès lors, il considérait que la « question était réglée ».

12      Le 1er octobre 2019, la requérante a adressé un courriel aux différents organismes de coordination des membres du CCIC, y compris celui de l’Union, dans lequel elle indiquait qu’elle s’adressait directement aux membres du CCIC pour faire valoir ses droits, car le secrétariat de la commission permanente du CICC ne possédait pas de service de ressources humaines.

13      Le 2 octobre 2019, l’organisme de coordination de l’Union auprès du CCIC, en la personne d’un représentant de la Commission, a répondu à la requérante que son courrier du 1er octobre 2019 avait reçu toute son attention et que, bien que les questions de personnel étaient de la responsabilité du directeur exécutif, en tant que membre du CCIC, l’Union veillerait à ce que l’État de droit soit strictement appliqué. Le représentant de l’Union indiquait également que, à ce stade, il avait besoin de recevoir toutes les explications de la part des personnes concernées, telles que le comptable du CCIC et les conseillers juridiques du CCIC.

14      Par courriel du 17 octobre 2019, la requérante a demandé au représentant de l’Union si une suite avait été donnée aux explications qu’elle avait fournies concernant les raisons pour lesquelles elle estimait que le CCIC ne respectait pas les termes de son contrat, tels que prévus par le statut du personnel du CCIC. En réponse, par un courriel du 24 octobre 2019, le représentant de l’Union a indiqué à la requérante qu’il pensait que celle-ci avait déjà reçu des explications concernant sa plainte et que, si un malentendu persistait, celle-ci devrait demander l’assistance du président du comité budgétaire du CCIC, qui devrait être en mesure de reformuler la position prise par le CCIC.

15      Le 3 février 2020, la requérante a adressé au directeur exécutif une lettre dans laquelle elle exposait en détail ses griefs quant au comportement de ce dernier à son égard, qui aurait créé un environnement de travail toxique et conduit finalement à sa démission, et quant au non-respect par le CCIC de l’accord sur les conditions de départ. La lettre se concluait par une mise en demeure du CCIC de verser à la requérante une somme forfaitaire de 300 000 USD afin d’indemniser la requérante pour sa retraite forcée, ainsi que pour la douleur et les souffrances qui lui auraient été infligées par ledit directeur et qui rendaient impossible pour la requérante de prendre sa retraite en 2024, comme elle le souhaitait. La requérante demandait également au CCIC le versement d’un montant de 19 368,13 USD correspondant aux avantages liés aux jours de congés non pris ainsi qu’un certificat d’expérience professionnelle.

16      Le 20 février 2020, la requérante a transmis son courrier du 3 février 2020 aux membres de la commission permanente du CCIC ainsi qu’au représentant de l’Union.

17      Par courrier du 6 mars 2020, l’avocat du CCIC a répondu à la lettre de la requérante du 3 février 2020 en contestant les allégations de celle-ci.

18      Le 26 août 2020, la requérante a soumis une plainte « ad hoc » à la commission permanente du CCIC, dans laquelle elle alléguait la violation de l’accord sur les conditions de départ par le directeur exécutif, la violation, par le CCIC et ses membres, de son droit à un environnement de travail sûr ainsi que la violation de son droit fondamental d’accès à la justice en demandant que le problème soit soulevé et tranché le 3 septembre 2020 et que la décision lui soit communiquée le 21 septembre 2020.

19      Le 17 septembre 2020, la requérante a adressé une lettre aux membres de la commission permanente du CCIC, y compris l’Union, dans laquelle elle demandait un examen en urgence de la plainte qu’elle avait déposée le 26 août 2020.

20      Par courrier du 14 octobre 2020, l’avocat du CCIC a informé l’avocat de la requérante que le CCIC avait examiné la réclamation et réalisé un audit de l’indemnité versée à celle-ci dans le cadre de sa démission et conclu que celle-ci avait été lésée d’un montant de 6 473,92 USD. Il a précisé que le paiement correspondant avait été acquitté par virement électronique et que tous les autres griefs ou demandes de la requérante avaient été rejetés. Il a également demandé que la requérante s’abstienne de toute communication directe avec le CCIC ou sa commission permanente.

21      La commission permanente du CCIC s’est réunie le 15 octobre 2020. Le procès-verbal de cette réunion contient le passage suivant :

« La lettre de démission de [la requérante] a été acceptée par le directeur exécutif en mars 2019, à la date à laquelle [celle-ci] devait être licenciée. Cette dernière s’est vu accorder trois mois de salaire et le paiement de deux mois de congés en souffrance. Les montants dus ont été confirmés par les comptables du CCIC à deux reprises et ont été approuvés par les avocats. [Ledit directeur] explique que les avocats de [la requérante] ont refusé de dialoguer avec les avocats du CCIC et que, après avoir envoyé une série de lettres aux délégués et aux organismes de coordination, il a demandé un examen indépendant, à l’issue duquel il a été conclu que [la requérante] avait été lésée de 6 432 USD. Ce montant a été versé à [cette dernière], et ses avocats en ont également été informés. Les avocats du CCIC ont soutenu que [la requérante] n’avait pas de voie légale de recours aux États-Unis, ni ailleurs. [Ce directeur] a fermement réfuté toutes les allégations formulées à son [égard] dans les lettres et considère désormais que l’affaire est close, étant donné qu’il ne peut rien faire de plus. Le président souligne que [le même directeur] est chargé des questions de ressources humaines, conformément au règlement statutaire, et que les conflits de travail ne relèvent pas du ressort de la [c]ommission permanente. Son pays a également pris acte de la volonté du directeur [en question] de garantir un examen indépendant et, s’exprimant au nom de son pays, il espère que ce sujet sera à présent clos. Aucun commentaire supplémentaire n’est formulé. »

22      Par lettre du 20 octobre 2020, la requérante a adressé au Conseil et à la Commission une invitation à adopter différentes mesures visant à assurer le respect de ses droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par l’Union (ci-après la « lettre du 20 octobre 2020 »).

23      Par lettre du 9 novembre 2020, également adressée à tous les membres du CCIC, l’avocat de la requérante a répondu à la lettre du CCIC datée du 14 octobre 2020. Il a notamment indiqué que le montant dû à la requérante était de 19 368,13 USD et que, en conséquence, le paiement de 6 473,92 USD ne saurait être considéré comme satisfaisant et serait reversé au CCIC. Il a également indiqué que la requérante maintenait toutes les demandes mentionnées dans la plainte du 26 août 2020, y compris celles relatives au directeur exécutif, et invitait le CCIC à résoudre le litige par la voie de l’arbitrage.

 Conclusions des parties

24      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        « déclarer illégale » la carence de la Commission et du Conseil ;

–        enjoindre à l’Union, représentée par la Commission et le Conseil, en tant que membre du CCIC, de prendre des mesures contre le directeur exécutif pour son comportement fautif ;

–        ordonner la suspension immédiate de la contribution financière de l’Union au CCIC jusqu’à ce que ce dernier respecte les droits humains fondamentaux, tels que protégés par les traités de l’Union ;

–        condamner l’Union, représentée par la Commission et le Conseil, à verser à la requérante la somme de 300 000 euros à titre d’indemnisation pour le préjudice moral (traumatisme psychologique, violation massive des droits de l’homme, atteinte à sa réputation) ;

–        condamner l’Union, représentée par la Commission et le Conseil, à verser à la requérante la somme de 103 542,92 USD (au taux de change actuel par rapport à l’euro), équivalant à une année et demie de salaire sur la base de son dernier bulletin de rémunération auprès du CCIC (69 055,28 USD), à titre d’indemnisation pour la perte d’emploi, la perte d’une chance et l’atteinte à sa carrière ;

–        condamner l’Union, représentée par la Commission et le Conseil, à verser à la requérante la somme de 19 368,13 USD (au taux de change actuel par rapport à l’euro) à titre d’indemnisation pour le préjudice matériel, assortie du versement d’intérêts annuels au taux légal actuel (à compter de juin 2019) ;

–        condamner l’Union aux dépens, y compris, mais sans s’y limiter, les frais de justice facturés par l’avocat.

25      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les demandes en carence et en indemnité comme étant irrecevables ;

–        à titre subsidiaire, rejeter les demandes en carence et en indemnité comme étant non fondées ;

–        condamner la requérante aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les demandes en carence et en indemnité comme étant irrecevables et non fondées ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions et du troisième chef de conclusions de la requête

27      Par le deuxième chef de conclusions et le troisième chef de conclusions de la requête, la requérante demande au Tribunal, respectivement, d’« enjoindre à l’Union, représentée par la Commission et le Conseil, en tant que membre du CCIC, de prendre des mesures contre le directeur exécutif pour son comportement fautif » et d’« ordonner la suspension immédiate de la contribution financière de l’Union au CCIC jusqu’à ce que ce dernier respecte les droits humains fondamentaux, tels que protégés par les traités de l’Union ».

28      Le Conseil et la Commission soutiennent que ces chefs de conclusions visent à ce que le Tribunal adresse des injonctions aux institutions de l’Union et doivent donc, conformément à la jurisprudence, être rejetés comme irrecevables.

29      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence, le Tribunal n’a pas compétence pour adresser des injonctions aux institutions de l’Union dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 265 TFUE. Le Tribunal a uniquement, à cet égard, la possibilité de constater l’existence d’une carence. Il incombe ensuite à l’institution concernée, en vertu de l’article 266 TFUE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2006, Air One/Commission, T‑395/04, EU:T:2006:123, point 24 et jurisprudence citée).

30      La requérante soutient que, à l’instar de ce que le Tribunal a jugé dans l’arrêt du 20 septembre 2011, Arch Chemicals et Arch Timber Protection/Commission (T‑400/04 et T‑402/04 à T‑404/04, non publié, EU:T:2011:490), ses deuxième et troisième chefs de conclusions doivent être regardés comme visant implicitement à obtenir la constatation de l’illégalité de l’abstention d’agir reprochée au Conseil.

31      Toutefois, il convient de relever que, en l’espèce, à la différence des circonstances de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2011, Arch Chemicals et Arch Timber Protection/Commission (T‑400/04 et T‑402/04 à T‑404/04, non publié, EU:T:2011:490), la requête contient déjà un chef de conclusions visant à obtenir du Tribunal qu’il constate la carence illégale du Conseil et de la Commission.

32      Il s’ensuit que les deuxième et troisième chefs de conclusions de la requête, en ce qu’ils visent à ce que le Tribunal adresse des injonctions au Conseil et à la Commission, doivent être rejetés pour cause d’incompétence, conformément à la jurisprudence rappelée au point 29 ci-dessus.

 Sur la demande en carence

33      La requérante fait valoir que, en s’abstenant d’adopter les actes mentionnés dans la lettre du 20 octobre 2020, le Conseil et la Commission ont violé, d’une part, l’article 3, paragraphes 5 et 6, les articles 16, 17 et 21 TUE ainsi que les articles 151, 205, 207, 314 et 317 TFUE et le principe de la bonne gestion financière et, d’autre part, l’article III, section 5, sous b), et section 4, sous d, et l’article IV, section 3, sous c), point 1, du règlement statutaire du CCIC ainsi que l’article II, sections 5 et 10, du statut des fonctionnaires du CCIC.

34      Le Conseil a soulevé, par acte séparé, une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, à l’encontre de la demande en carence. Par ailleurs, bien qu’elle n’ait pas formellement soulevé une exception d’irrecevabilité au sens de la disposition précitée, la Commission conteste la recevabilité de ladite demande.

35      Le Conseil soutient que la demande en carence est irrecevable au motif que la procédure précontentieuse prévue par l’article 265, deuxième alinéa, TFUE n’a pas été respectée, la lettre du 20 octobre 2020 étant insuffisamment précise en ce qui concerne la nature des actes que la requérante lui demandait d’adopter, ce qui serait confirmé par le fait que cette dernière a elle-même cherché à préciser la nature des actes en question dans la requête. Il fait également valoir qu’aucune des bases juridiques possibles au titre desquelles il peut agir ne ferait peser sur lui une obligation juridique d’agir en l’espèce. Il relève à cet égard que tant la gestion des relations extérieures de l’Union européenne, qui implique des évaluations politiques et économiques complexes, que les règles et les principes régissant l’exécution du budget de l’Union relèvent des domaines dans lesquels la Commission et lui-même disposent d’un large pouvoir d’appréciation. En outre, il soutient, à l’instar de la Commission, que, en tout état de cause, les conditions de la demande en carence établies par l’article 265, troisième alinéa, TFUE ne sont pas remplies, la requérante n’étant ni destinataire des actes en question, ni individuellement et directement concernée par ceux-ci, au sens de la jurisprudence. La Commission ajoute que la requérante est dépourvue d’intérêt à agir, dès lors qu’aucun des actes mentionnés dans la lettre du 20 octobre 2020 n’aurait pu prendre la forme d’un acte juridique contraignant susceptible de lui procurer un bénéfice et que le recours est également irrecevable en ce qu’il vise des actes qui n’étaient pas mentionnés dans cette lettre.

36      La requérante soutient que la lettre du 20 octobre 2020 était suffisamment précise pour permettre au Conseil de connaître le contenu des actes qu’il lui était demandé d’adopter. Elle soutient également que la question de savoir si le Conseil était tenu d’adopter les actes visés par ladite lettre relève de l’appréciation du bien-fondé du recours en carence et non de la recevabilité de celui-ci. Au demeurant, elle soutient que le Conseil ne disposait pas en l’espèce d’un pouvoir discrétionnaire qui ferait obstacle à la recevabilité d’un recours en carence. En outre, elle fait valoir qu’elle aurait été individuellement et directement affectée par les actes dont elle avait demandé l’adoption.

 Sur le respect de la procédure précontentieuse

37      Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 265, troisième alinéa, TFUE, « [t]oute personne physique ou morale peut saisir la Cour dans les conditions fixées aux alinéas précédents pour faire grief à l’une des institutions, ou à l’un des organes ou organismes de l’Union d’avoir manqué de lui adresser un acte autre qu’une recommandation ou un avis ».

38      L’introduction d’un tel recours est soumis au respect d’une procédure précontentieuse prévue par l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, aux termes duquel « [c]e recours n’est recevable que si l’institution, l’organe ou l’organisme en cause a été préalablement invité à agir. Si à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de cette invitation, l’institution, l’organe ou l’organisme n’a pas pris position, le recours peut être formé dans un nouveau délai de deux mois ».

39      Il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence, pour que l’invitation d’une institution à agir puisse déclencher la procédure du recours en carence, prévue à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, elle doit être suffisamment explicite et précise pour permettre à l’institution de connaître de manière concrète le contenu de la décision qu’il lui est demandé de prendre et doit également faire ressortir qu’elle entend contraindre cette institution à prendre position (voir, en ce sens, arrêts du 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C‑596/15 P et C‑597/15 P, EU:C:2017:886, point 54 et jurisprudence citée, et du 16 décembre 2020, Balti Gaas/Commission et INEA, T‑236/17 et T‑596/17, non publié, EU:T:2020:612, point 112 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, dans la lettre du 20 octobre 2020, la requérante a expressément demandé au Conseil et à la Commission d’adopter l’une des cinq actions suivantes :

–        garantir le respect de ses droits fondamentaux, tels que consacrés dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le traité UE, le traité FUE ainsi que dans toutes les autres dispositions juridiques, principes et normes européens ou internationaux ;

–        adopter d’urgence toutes les mesures nécessaires pour préserver ses droits et éviter qu’un préjudice plus important ne lui soit causé ;

–        inciter la commission permanente du CCIC à offrir ou accepter une voie de recours effective qui respecte toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité ;

–        suspendre la contribution financière de l’Union au CCIC jusqu’à ce qu’elle ait accès à un recours effectif qui respecte toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité et jusqu’à ce que le CCIC respecte les droits de l’homme fondamentaux, tels que protégés par l’Union, et

–        exiger que la commission permanente du CCIC ordonne d’empêcher le directeur exécutif de participer à l’affaire qui la concerne, en raison notamment de son implication personnelle dans l’affaire (y compris harcèlement et abus de pouvoir).

41      Dans la lettre du 20 octobre 2020, la requérante indiquait également expressément que, en l’absence d’une prise de position du Conseil ou de la Commission dans le délai prévu par l’article 265 TFUE, elle se réservait le droit d’introduire un recours en carence. À cette lettre était annexée la correspondance exposée aux points 18 à 20 ci-dessus, y compris la plainte adressée formellement par la requérante le 26 août 2020 à la commission permanente du CCIC.

42      Par ailleurs, dans la requête, la requérante a dressé la liste de onze actes que le Conseil aurait pu adopter pour satisfaire les demandes visées dans la lettre du 20 octobre 2020, à savoir :

–        proposer à la commission permanente du CICC, à savoir l’organe dirigeant du CCIC, constitué par les représentants des membres à Washington DC, de créer un mécanisme interne de résolution des conflits ;

–        proposer à ladite commission permanente d’adopter une politique anti-harcèlement et toutes les garanties pertinentes pour protéger les membres du personnel ;

–        demander à cette commission permanente de traiter la plainte officielle de la requérante du 26 août 2020 ;

–        faire une déclaration à la même commission permanente pour rappeler les droits fondamentaux de base et en demander de manière pressante le respect et la protection ;

–        prendre d’autres mesures à l’encontre du directeur exécutif, dès lors que ce dernier est placé sous les ordres des membres du CCIC ;

–        suspendre la programmation annuelle de l’Union auprès du CCIC (l’Union ayant proposé, au contraire, d’accueillir la prochaine séance plénière à Séville) jusqu’à ce que le CCIC offre à son personnel un accès équitable et impartial à la justice et respecte les droits de l’homme fondamentaux ;

–        enjoindre la suspension de la contribution financière de l’Union au CCIC jusqu’à ce que l’organisation offre à son personnel un accès équitable et impartial à la justice et respecte les droits de l’homme fondamentaux ou adopter une décision à cet effet ;

–        réexaminer la contribution financière de l’Union jusqu’à ce que le CCIC offre à son personnel un accès équitable et impartial à la justice et respecte les droits de l’homme fondamentaux ;

–        adopter une décision pour redéfinir le cadre de la coopération entre l’Union et le CCIC jusqu’à ce que l’organisation offre à son personnel un accès équitable et impartial à la justice et respecte les droits de l’homme fondamentaux.

43      À cet égard, force est de constater que, ainsi que l’a fait observer la Commission, les onze actes mentionnés dans la requête cités au point 42 ci-dessus ne recouvrent que partiellement les actes dont l’adoption a été demandée par la requérante dans la lettre du 20 octobre 2020 tels que rappelés au point 40 ci-dessus.

44      En outre, il importe de souligner que, par définition, les précisions apportées par un requérant au stade d’un recours introduit sur le fondement de l’article 265 TFUE, sur le contenu des décisions qu’il avait demandé à une institution d’adopter, ne saurait pallier le défaut de précision initial de l’invitation à agir adressée à cette institution au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, dont l’objet est précisément de permettre à ladite institution de connaître concrètement le contenu de la décision qu’il lui est demandé d’adopter.

45      Il s’ensuit que les précisions apportées par la requérante dans la requête sur les actes que le Conseil ou la Commission auraient pu adopter en réponse à sa lettre du 20 octobre 2020 sont dénuées de pertinence en ce qui concerne la question de savoir si la requérante a, en l’espèce, respecté la procédure précontentieuse prévue à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE.

46      S’agissant de la lettre du 20 octobre 2020, dont le contenu a été rappelé aux points 40 et 41 ci-dessus, il convient de relever que celle-ci était suffisamment explicite et précise en ce qui concerne la demande adressée au Conseil et à la Commission de « [suspendre] la contribution financière de l’Union au budget du CCIC jusqu’à ce que la requérante ait accès à un recours effectif qui respecte toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité et jusqu’à ce que le CCIC respecte les droits de l’homme fondamentaux, tels que protégés par l’[Union] ».

47      En effet, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 218, paragraphe 9, TFUE, « [l]e Conseil, sur proposition de la Commission ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, adopte une décision sur la suspension de l’application d’un accord et établissant les positions à prendre au nom de l’Union dans une instance créée par un accord, lorsque cette instance est appelée à adopter des actes ayant des effets juridiques, à l’exception des actes complétant ou modifiant le cadre institutionnel de l’accord ».

48      Conformément à l’article 218, paragraphe 9, TFUE, c’est uniquement sur proposition de la Commission ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité que le Conseil peut agir, de sorte qu’une abstention de la Commission ou du haut représentant rend l’adoption de la mesure appropriée impossible.

49      La demande de la requérante visée au point 46 ci-dessus doit donc être regardée, en ce qui concerne la Commission, comme visant à ce que celle-ci soumette au Conseil des propositions en vue de suspendre l’application de l’accord d’adhésion de l’Union au CCIC et d’adopter une position à prendre au nom de l’Union au sein de la commission permanente du CCIC dans la perspective de l’adoption par cette dernière d’actes ayant des effets juridiques à l’égard de la requérante. Cette même demande doit être regardée, en ce qui concerne le Conseil, comme visant à ce que celui-ci invite la Commission à lui soumettre des propositions en ce sens.

50      Il convient également de regarder les demandes visant à « inciter la commission permanente du CCIC à offrir ou accepter une voie de recours effective qui respecte toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité » ainsi que d’« exiger que [ladite commission permanente] ordonne d’empêcher le directeur exécutif de participer à l’affaire [qui concerne] la requérante, en raison notamment de son implication personnelle dans l’affaire (y compris harcèlement et abus de pouvoir) », comme visant à ce que la Commission soumette au Conseil des propositions en ce sens et que le Conseil invite la Commission à lui soumettre de telles propositions.

51      Il s’ensuit que la lettre du 20 octobre 2020 doit être regardée comme une invitation à agir au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, en ce qui concerne les demandes visées aux points 49 et 50 ci-dessus.

52      En revanche, force est de constater que la lettre du 20 octobre 2020 ne répondait pas à l’exigence de clarté et de précision exigée par la jurisprudence rappelée au point 39 ci-dessus en ce qui concerne les autres demandes formulées par la requérante.

53      Il en va ainsi de la demande adressée au Conseil et à la Commission de « garantir le respect de ses droits fondamentaux, tels que consacrés dans la [charte des droits fondamentaux], le traité UE, le traité FUE ainsi que dans toutes les autres dispositions juridiques, principes et normes européens ou internationaux » et de la demande d’« adopter d’urgence toutes les mesures nécessaires pour préserver les droits de la requérante et éviter qu’un préjudice plus important ne lui soit causé », qui étaient manifestement trop vagues pour permettre au Conseil et à la Commission de connaître concrètement le contenu de l’acte que la requérante leur demandait d’adopter.

54      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme irrecevable en ce qu’il vise à faire constater la carence illégale du Conseil et de la Commission concernant les demandes rappelées au point 53 ci-dessus.

 Sur l’absence d’une obligation d’agir pesant sur le Conseil

55      Le Conseil fait valoir que le recours en carence est irrecevable dans la mesure où, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont il bénéficie dans la gestion des relations extérieures de l’Union, qui implique des évaluations économiques et politiques complexes, il n’était pas tenu d’adopter les actes mentionnés dans la lettre du 20 octobre 2020.

56      À cet égard, il suffit de rappeler que cette question ne relève pas de l’une des conditions de recevabilité du recours en carence, mais constitue une question devant être examinée au fond. En effet, c’est précisément en vue de statuer sur le bien-fondé des conclusions en carence qu’il appartient au Tribunal de vérifier si, au moment de l’invitation à agir adressée à l’institution concernée au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, il pesait sur cette institution une obligation d’agir dans le sens préconisé par la requérante dans l’invitation à agir (voir, en ce sens, ordonnance du 17 juillet 2020, Wagenknecht/Conseil européen, T‑715/19, EU:T:2020:340, point 34 et jurisprudence citée).

57      Il convient donc de rejeter la fin de non-recevoir du Conseil tirée de son absence d’obligation d’agir en l’espèce.

 Sur la qualité pour agir de la requérante

58      Le Conseil et la Commission font valoir que le recours en carence est irrecevable au motif que les actes que la requérante leur a demandé d’adopter dans la lettre du 20 octobre 2020 n’ont, en tout état de cause, pas été adressés à cette dernière et n’auraient pas non plus été de nature à affecter directement sa situation juridique.

59      À cet égard, il découle des termes de l’article 265, troisième alinéa, TFUE que, pour être recevable dans son recours en carence, une personne physique ou morale doit établir qu’elle se trouve dans une situation juridique identique ou analogue à celle du destinataire potentiel d’un acte juridique que l’institution mise en cause serait obligée de prendre à son égard. En d’autres termes, ladite personne physique ou morale doit établir soit qu’elle serait le destinataire de l’acte que l’institution mise en cause aurait prétendument manqué d’adopter à son égard, soit que ledit acte l’aurait directement et individuellement concernée d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’un tel acte le serait (voir ordonnance du 17 juillet 2020, Wagenknecht/Conseil européen, T‑715/19, EU:T:2020:340, point 25 et jurisprudence citée).

60      En l’espèce, force est de constater que, à supposer que le Conseil et la Commission aient répondu favorablement à l’invitation à agir telle qu’elle est interprétée aux points 49 et 50 ci-dessus, ni les demandes du Conseil visant à ce que la Commission lui soumette des propositions au titre de l’article 218, paragraphe 9, TFUE, ni les propositions que la Commission aurait pu soumettre au Conseil en réponse à ces demandes n’auraient été adressées à la requérante.

61      Il convient en outre de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert la réunion de deux critères cumulatifs. En premier lieu, la mesure de l’Union contestée doit produire directement des effets sur la situation juridique du particulier. En second lieu, elle doit ne laisser aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 66 et jurisprudence citée ; ordonnance du 6 mars 2012, Northern Ireland Department of Agriculture and Rural Development/Commission, T‑453/10, non publiée, EU:T:2012:106, point 42).

62      Toutefois, en l’espèce, dans l’hypothèse visée au point 60 ci-dessus, l’invitation de la Commission à soumettre au Conseil une proposition appropriée sur le fondement de l’article 241 TFUE aurait uniquement pour effet de saisir la Commission de l’invitation en question et d’imposer à celle-ci soit de soumettre au Conseil ladite proposition, soit de lui communiquer les raisons pour lesquelles elle ne lui soumettrait pas la proposition en question. Il s’ensuit qu’une telle invitation ne serait pas de nature à produire directement des effets juridiques sur la situation de la requérante.

63      Il importe également de souligner que, même si les demandes de la requérante devaient être uniquement regardées comme visant à obtenir du Conseil que celui-ci adopte les décisions, premièrement, de « [suspendre] la contribution financière de l’Union au budget du CCIC jusqu’à ce que la requérante ait accès à un recours effectif qui respecte toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité et jusqu’à ce que le CCIC respecte les droits de l’homme fondamentaux, tels qu’ils sont protégés par l’[Union] », deuxièmement, d’« inciter la commission permanente du CCIC à offrir ou accepter une voie de recours effective qui respecte toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité » et, troisièmement, d’« exiger que [ladite commission permanente] ordonne d’empêcher le directeur exécutif de participer à l’affaire [qui concerne] la requérante, en raison notamment de son implication personnelle dans l’affaire (y compris harcèlement et abus de pouvoir) », de telles décisions n’auraient pas davantage été adressées à la requérante, mais au CCIC et ne seraient donc pas non plus, en elles-mêmes, de nature à affecter directement la situation juridique de la requérante, à la différence des décisions que le CCIC pourrait, le cas échéant, adopter à l’égard de la requérante.

64      Il s’ensuit que, en l’espèce, la requérante est dépourvue de la qualité pour agir sur le fondement de l’article 265 TFUE, au sens de la jurisprudence rappelée au point 59 ci-dessus.

65      La demande en carence doit, par conséquent, être rejetée comme irrecevable, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres fins de non-recevoir soulevées par la Commission.

 Sur la demande en indemnité

 Sur la recevabilité de la demande en indemnité

66      Le Conseil et la Commission font valoir que, conformément à la jurisprudence, sauf à permettre un détournement des voies de recours du traité FUE, un recours indemnitaire tel que celui introduit par la requérante, qui est formellement dirigé contre les institutions de l’Union mais fondé, en substance, sur la simple illégalité alléguée d’un acte ou d’un comportement qui n’a pas été adopté par lesdites institutions ou par leurs agents, mais par une organisation internationale, est irrecevable.

67      Le Conseil soutient également qu’une demande en indemnité qui est étroitement liée à un recours en carence irrecevable doit également être rejetée comme irrecevable. Selon lui, en l’espèce, par la demande en indemnité, la requérante cherche à obtenir un résultat comparable à celui que lui aurait procuré la demande en carence, à savoir l’intervention du Conseil auprès du CCIC en vue de préserver ses droits et d’éviter qu’un préjudice supplémentaire lui soit causé, et de lui offrir une voie de recours effective.

68      Le Conseil fait par ailleurs valoir que, s’agissant de la demande en indemnité, la requête ne répond pas aux exigences de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, au motif que celle-ci est insuffisamment précise quant au caractère réel et certain des préjudices allégués ainsi qu’au lien de causalité entre le comportement du Conseil et lesdits préjudices et au comportement illégal qui lui est reproché.

69      En outre, le Conseil soutient que, si la demande en carence devait prospérer et que les demandes de la requérante à l’égard du CCIC devaient être satisfaites, le préjudice allégué par cette dernière disparaîtrait et la demande en indemnité serait alors irrecevable.

70      Il convient d’examiner d’abord la fin de non-recevoir tirée de la violation de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, qui est une exigence de forme de la requête, avant d’examiner les autres fins de non-recevoir soulevées par le Conseil.

–       Sur la fin de non-recevoir tirée de la violation de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure

71      Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution doit indiquer avec une précision suffisante de quelle façon l’ensemble des conditions pour la réparation du préjudice prétendument subi sont réunies. Il s’ensuit qu’une telle requête doit contenir les éléments qui permettent d’identifier, premièrement, le comportement que la partie requérante reproche à l’institution, deuxièmement, les raisons pour lesquelles elle estime qu’un lien de causalité existe entre ce comportement et le préjudice qu’elle prétend avoir subi ainsi que, troisièmement, le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir ordonnance du 12 septembre 2018, RE/Commission, T‑257/17, non publiée, EU:T:2018:549, points 55 et 56 et jurisprudence citée).

72      En l’espèce, en ce qui concerne le comportement reproché au Conseil et à la Commission, il ressort de la requête que la requérante reproche à l’Union, représentée par le Conseil et la Commission au sein du CCIC, en substance, d’avoir contribué à l’impunité du directeur exécutif et au déni de justice à son égard en s’abstenant d’agir pour protéger ses droits fondamentaux, en particulier son droit d’accès à la justice et son droit à un environnement de travail sûr, pendant deux ans, alors que l’Union avait connaissance de la situation de harcèlement dont elle était victime de la part dudit directeur et du non-respect par ce dernier de l’accord sur les conditions de départ, ainsi que de l’absence de toute voie de droit de nature à lui permettre de faire valoir ses griefs (points 38 à 40 et 75 à 77).

73      Il ressort également de la requête que la requérante fait grief aux agents de l’Union, qu’elle a continuellement informé de sa situation depuis 2018, par des courriers adressés au représentant de l’Union à Washington ainsi qu’aux organismes de coordination au sein du CCIC et au représentant de la Commission au sein de la commission permanente du CCIC, d’une part, d’avoir eu une attitude négligente en faisant naître chez elle l’attente erronée que l’Union interviendrait pour « veill[er] à une application rigoureuse de l’État de droit » dans son cas (points 41 et 78) et, d’autre part, de ne pas avoir invité le CCIC à respecter ses droits fondamentaux en violation de leur obligation d’agir dans les intérêts de l’Union (points 42 et 79).

74      À cet égard, il convient de relever que l’Union a désigné en tant qu’organisme de coordination au sein du CCIC à la fois la DG des partenariats internationaux de la Commission et le secrétariat général du Conseil. Dans ces conditions, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, il ne saurait être reproché à la requérante de ne pas avoir suffisamment identifié les comportements reprochés à la Commission, d’une part, et au Conseil, d’autre part.

75      Il convient d’ailleurs de rejeter l’argument du Conseil selon lequel la requête ne permet pas d’identifier les agents de l’Union à l’égard desquels la requérante a soulevé certains griefs. En effet, dans la note en bas de page no 32 insérée au point 41 de la requête, la requérante renvoie aux courriers échangés avec le représentant de l’Union à Washington, aux courriers adressés aux organismes de coordination désignés par les membres du CCIC ainsi qu’aux courriers échangés avec le représentant de la Commission auprès du CCIC, annexés à la requête.

76      En ce qui concerne la nature et l’étendue des préjudices que la requérante prétend avoir subi, ainsi que le lien de causalité entre ces préjudices et le comportement reproché au Conseil, il ressort de la requête que la requérante fait valoir que le comportement du Conseil, de la Commission et des agents de l’Union a contribué à la détérioration rapide de son état de santé (point 44), qui s’est traduit par un trouble dépressif principal, un trouble anxieux et un syndrome de stress post‑traumatique médicalement attestés (point 77), et a constitué une atteinte à sa réputation, dans la mesure où elle a été contrainte de quitter son emploi après 24 années de service (point 44). Il ressort, par ailleurs, du quatrième chef de conclusions de la requête que la requérante considère que ces circonstances lui ont causé un préjudice moral d’un montant qu’elle estime à 300 000 euros.

77      En outre, il ressort de la requête que la requérante fait valoir que le comportement du Conseil, de la Commission et des agents de l’Union lui a causé des préjudices matériels, car elle n’a jamais reçu les sommes convenues dans l’accord sur les conditions de départ, ni aucune indemnité de départ, dès lors qu’elle ne pouvait pas faire valoir ses droits dans le cadre d’un quelconque mécanisme de règlement des différends et que ce comportement a eu pour conséquence de porter atteinte à sa carrière et a entraîné manifestement une perte de chance, car elle n’a, depuis lors, plus d’emploi à durée indéterminée (point 44).

78      Il ressort en outre du cinquième chef de conclusions de la requête que la requérante considère que la perte de son emploi, la perte d’une chance et l’atteinte à sa carrière lui ont causé un préjudice matériel équivalant à une année et demie de salaire sur la base de son dernier bulletin de rémunération auprès du CCIC, soit 103 542,92 USD.

79      De même, il ressort du sixième chef de conclusions de la requête que la requérante considère que l’impossibilité de faire valoir les droits qu’elle tire de l’accord sur les conditions de départ lui a causé un préjudice matériel d’un montant de 19 368,13 USD.

80      Par conséquent, force est de constater que, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, il ressort de la requête que celle-ci contient les éléments visés dans la jurisprudence rappelée au point 71 ci-dessus.

81      Par ailleurs, les arguments du Conseil relatifs, en substance, à l’absence dans la requête de démonstration du comportement qui lui est reproché ou de l’identification d’une règle de droit qui confère des droits aux particuliers qui aurait été violée doivent être rejetés comme inopérants en ce qu’ils sont soulevés à l’appui de la présente fin de non-recevoir. En effets, de tels arguments ont trait au bien-fondé de la demande en indemnité.

82      Il convient, dès lors, de rejeter la présente fin de non-recevoir.

–       Sur la fin de non-recevoir tirée de ce que le recours en indemnité est fondé sur la simple illégalité alléguée d’un acte ou d’un comportement qui n’a pas été adopté par une institution de l’Union européenne ou par ses agents, mais par une institution internationale

83      Il convient de relever que, contrairement à ce que soutiennent le Conseil et la Commission et ainsi qu’il a été constaté aux points 72 et 73 ci-dessus, ce n’est pas le comportement du CCIC et du directeur général de celui-ci qui est visé par la requérante dans le cadre du présent recours en indemnité, mais bien celui du Conseil et de la Commission, ainsi que de leurs agents, ce que la requérante a explicitement confirmé à l’audience.

84      À cet égard, il convient également de relever que la question de savoir si le comportement du Conseil et de la Commission, ainsi que de leurs agents, tel qu’il est visé par la requérante dans le cadre du présent recours, est à l’origine des préjudices que la requérante prétend avoir subis relève de l’appréciation au fond de la demande en indemnité et non de sa recevabilité.

85      Par ailleurs, il convient de relever que l’ordonnance du 10 novembre 2014, Ledra Advertising/Commission et BCE (T‑289/13, EU:T:2014:981), à laquelle se sont référés tant le Conseil, dans son exception d’irrecevabilité, que la Commission dans son mémoire en défense, a été annulée par l’arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE (C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701), de sorte que lesdites institutions ne sauraient en tirer argument à l’appui de la présente fin de non-recevoir.

86      Il convient dès lors de rejeter la présente fin de non-recevoir.

–       Sur la fin de non-recevoir tirée d’un lien étroit entre les conclusions en carence et les conclusions indemnitaires

87      Il convient de rappeler que le recours en indemnité constitue une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et étant subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en indemnité a pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution ou à un organe de l’Union (arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 61).

88      D’une part, cette autonomie du recours en indemnité ne saurait être remise en cause par le seul fait qu’une partie requérante décide d’introduire concomitamment un recours en carence et un recours en indemnité. D’autre part, l’irrecevabilité d’un recours en carence n’entraîne pas celle d’un recours en indemnité introduit concomitamment au seul motif que ces recours reposent sur des moyens d’illégalité similaires, voire identiques. En effet, une telle interprétation irait à l’encontre du principe même de l’autonomie des voies de recours et, partant, priverait l’article 268 TFUE, lu conjointement avec l’article 340, troisième alinéa, TFUE, de son effet utile (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 61).

89      En outre, pour autant que le Conseil entende invoquer un risque de contournement de procédure ou d’abus d’une voie de recours, d’une part, il convient de rappeler que la jurisprudence à laquelle il se réfère, qui concerne l’hypothèse dans laquelle une partie requérante vise par ses conclusions indemnitaires à obtenir un bénéfice pécuniaire identique à celui que lui aurait procuré l’annulation de l’acte qu’elle poursuit concomitamment à son recours en indemnité, constitue une exception au principe d’autonomie des voies de recours et doit, dès lors, être d’application stricte. D’autre part, il y a lieu de constater que, en l’espèce, par son recours en indemnité, la requérante ne cherche pas à obtenir que le Conseil invite la Commission à lui soumettre les propositions appropriées en vue de l’adoption des actes visés par la lettre du 20 octobre 2020 ou à ce que la Commission soumette au Conseil de telles propositions, mais à obtenir une indemnisation des préjudices matériels et moraux qu’elle a prétendument subis en raison de l’inaction du Conseil et de la Commission depuis 2019 (voir point 72 ci-dessus), ainsi que de l’attitude des agents de ces deux instituions à son égard (voir point 73 ci-dessus) (voir, en ce sens, arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE, T‑79/13, EU:T:2015:756, point 62).

90      Il importe en effet de souligner que tout comportement ou toute abstention d’agir à l’origine d’un dommage sont de nature à établir une responsabilité non contractuelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, EU:C:2004:174, points 50 à 52 et 60 ; du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, points 55 à 59, 67 et 68, et du 16 novembre 2017, Acquafarm/Commission, T‑458/16, non publié, EU:T:2017:810, point 44 et jurisprudence citée).

91      Dès lors, il convient de rejeter la présente fin de non-recevoir.

–       Sur la disparition des préjudices allégués dans l’hypothèse d’un constat du bien-fondé de la demande en carence

92      En ce qui concerne l’argument du Conseil selon lequel, en substance, dans l’hypothèse où la demande en carence serait fondée et où l’adoption des actes visés par la lettre du 20 octobre 2020 conduirait le CCIC a donner satisfaction aux demandes formulées par la requérante dans sa plainte du 26 août 2020, le préjudice causé à la requérante cesserait d’exister, il suffit de relever que, au point 65 ci-dessus, ladite demande a été rejetée comme irrecevable et que, en tout état de cause, pareille adoption ne serait pas de nature, en elle-même, à faire disparaître le préjudice moral et les préjudices matériels allégués par la requérante.

93      Eu égard aux considérations exposées aux points 71 à 92 ci-dessus, il y a lieu de constater que la demande en indemnité est recevable.

 Sur le bien-fondé de la demande en indemnité

94      Selon une jurisprudence bien établie, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions afférentes à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir, en ce sens, arrêts du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, EU:C:1982:18, point 9 ; du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106, et du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission, C‑419/08 P, EU:C:2010:147, point 40).

95      Tout d’abord, s’agissant de la condition relative au comportement illégal reproché à l’institution ou à l’organe concerné, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution ou l’organe de l’Union concerné, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ou cet organe ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt du 8 novembre 2017, De Nicola/Cour de justice de l’Union européenne, T‑99/16, non publié, EU:T:2017:790, point 22 et jurisprudence citée).

96      Ensuite, s’agissant de la condition relative à la réalité du dommage, la responsabilité de l’Union ne saurait être engagée que si le requérant a effectivement subi un préjudice « réel et certain ». Il incombe au requérant d’apporter des éléments de preuve au juge de l’Union afin d’établir l’existence et l’ampleur d’un tel préjudice (voir arrêt du 8 novembre 2017, De Nicola/Cour de justice de l’Union européenne, T‑99/16, non publié, EU:T:2017:790, point 23 et jurisprudence citée).

97      Enfin, s’agissant de la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué, ledit préjudice doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice, alors qu’il n’y a pas d’obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d’une situation illégale. Il appartient au requérant d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué (voir arrêt du 8 novembre 2017, De Nicola/Cour de justice de l’Union européenne, T‑99/16, non publié, EU:T:2017:790, point 25 et jurisprudence citée).

98      Dès lors que l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies. Par ailleurs, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir arrêt du 8 novembre 2017, De Nicola/Cour de justice de l’Union européenne, T‑99/16, non publié, EU:T:2017:790, point 26 et jurisprudence citée).

99      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments avancés par la requérante en l’espèce.

–       Sur le lien de causalité entre le prétendu comportement illégal du Conseil et de la Commission et les préjudices allégués par la requérante

100    La requérante soutient que le Conseil et la Commission, qui étaient tenus d’assurer le respect de ses droits fondamentaux au sein du CCIC en vertu des articles 3, 16, 17 et 21 TUE ainsi que des articles 205 et 207 TFUE avaient, depuis le 1er octobre 2019, connaissance des griefs qu’elle nourrissait à l’encontre du directeur exécutif, tant en ce qui concerne le non-respect des conditions financières prévues par l’accord sur les conditions de départ qu’en ce qui concerne le harcèlement moral que celui-ci exerçait sur elle. Cette allégation serait d’ailleurs confirmée par le courriel que lui a envoyé en réponse un agent de la Commission représentant de l’Union au sein du CCIC.

101    La requérante souligne que les statuts du CCIC ne prévoient aucune voie de recours interne ou externe pour son personnel et que c’est la raison pour laquelle elle a tenté de faire valoir ses droits par son courriel du 1er octobre 2019 adressé directement aux membres de la commission permanente du CCIC, puis par la plainte « ad hoc » du 26 août 2020 adressée à cette même commission permanente.

102    Selon la requérante, l’inaction du Conseil et de la Commission, qui ressort notamment du procès-verbal de la réunion de la commission permanente du CCIC du 15 octobre 2020, aurait contribué à la violation de son droit à une protection juridictionnelle effective garantie par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux et l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ainsi que par les articles 8 et 10 de la déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, et l’article 2, paragraphe 3, et l’article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, dont ces institutions étaient tenues d’assurer le respect au sein du CCIC.

103    La requérante affirme également que l’inaction du Conseil et de la Commission est contraire, dans les circonstances de l’espèce, à son droit à la dignité et à un environnement de travail sûr garantis par l’article 1er et l’article 31, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, lus conjointement avec l’article 151 TFUE. Selon elle, ces dispositions font partie d’un cadre international qui tend à protéger la dignité et les conditions de travail des employés pour éviter de leur causer un préjudice indu, y compris des textes internationaux, telles que les conventions de l’OIT, des tribunaux administratifs internationaux, tels que le Tribunal administratif de l’OIT, et des codes de conduite internationaux, tels que les normes de conduite de la fonction publique internationale, adoptées en 2013 par la Commission de la fonction publique internationale (CFPI) de l’Organisation des Nations unies (ONU).

104    La requérante souligne que l’Union a souscrit depuis longtemps des engagements fermes à l’encontre du harcèlement sur le lieu du travail et en faveur de la protection des femmes, ce qui montre que ce problème se trouve au cœur de la politique de l’Union. Elle relève, en outre, que la Commission a invité récemment tous les États membres de l’Union à ratifier la convention n° 190 de l’OIT du 21 juin 2019, concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, un large engagement de la Commission dans ce domaine et non seulement au niveau de l’Union. Selon elle, il semble pourtant que l’Union et en particulier la Commission ont décidé volontairement de ne pas protéger un de leurs citoyens contre le harcèlement, en violation de l’article 3, paragraphe 5, TUE. Elle fait observer en outre que l’Union offre cette protection à ses propres fonctionnaires et est donc bien consciente de l’existence de ce problème au niveau des organisations intergouvernementales et de ses spécificités, dès lors que les fonctionnaires de l’Union ont accès au Tribunal de la fonction publique en cas de litige.

105    Selon la requérante, les membres du CCIC et, en particulier, l’Union ne l’ont pas protégée en lui refusant un accès à la justice, alors qu’ils savaient manifestement que le CCIC n’offrait et n’offre toujours pas de protection efficace à son personnel contre le harcèlement et l’abus de pouvoir. Elle affirme que leur manquement a débouché sur sa démission et a eu des répercussions dramatiques sur sa santé, car elle se serait vu diagnostiquer un trouble dépressif principal, un trouble anxieux et un syndrome de stress post‑traumatique. Elle prétend que, depuis lors, elle est incapable de trouver un emploi à durée indéterminée en raison de son état pathologique et de sa situation économique générale. Elle estime que l’omission de la protéger a dès lors eu des effets manifestes sur sa santé et sa carrière et aurait entraîné la perte d’une chance.

106    Par ailleurs, la requérante fait valoir que les agents de l’Union ont également manqué individuellement à leurs obligations de s’occuper de sa situation et de la violation grave des droits de l’homme. Selon elle, en dépit des assurances fournies par le représentant de la Commission auprès du CCIC, aucune action n’a été entreprise. Elle estime que, au contraire, le représentant de la Commission s’est, en réalité, dégagé de sa responsabilité et lui a recommandé de contacter le président du sous‑comité du budget du CCIC. Elle fait observer que, lorsqu’elle s’est ultérieurement renseignée auprès du représentant de la Commission concernant l’introduction d’un recours disciplinaire contre le directeur exécutif afin de sauvegarder son droit à un environnement de travail sûr, elle n’a obtenu aucune réponse. Elle soutient que ces agissements et omissions l’ont donc induit en erreur et lui ont causé un préjudice supplémentaire, en créant le sentiment qu’elle était abandonnée.

107    Le Conseil et la Commission contestent ces arguments.

108    Il importe de souligner d’emblée que, à supposer que le comportement illégal de la Commission et du Conseil tel qu’il est allégué par la requérante soit établi, un tel comportement n’est pas de nature à constituer la cause déterminante des préjudices que la requérante prétend avoir subis, au sens de la jurisprudence rappelée au point 97 ci-dessus.

109    En effet, il convient de relever que la requérante fait grief au Conseil et à la Commission de lui avoir, par leur comportement, causé un préjudice moral résultant du fait qu’elle a été contrainte de quitter son emploi après 24 années de service (voir point 76 ci-dessus), un préjudice matériel relatif à la perte de son emploi, à la perte d’une chance et à l’atteinte à sa carrière ainsi qu’un préjudice matériel résultant du non-respect de l’accord sur les conditions de départ (voir point 77 ci-dessus).

110    Or, il ne saurait être considéré que le comportement du Conseil et de la Commission, en tant que représentants de l’Union au sein du CCIC, aurait pu être à l’origine de ces préjudices allégués par la requérante.

111    Ainsi, il importe de souligner que, même si les représentants de l’Union au sein du CCIC avaient proposé, par exemple, de soumettre le litige opposant la requérante au CCIC à une procédure d’arbitrage, une telle mesure aurait nécessité l’accord de la commission permanente du CCIC statuant à l’unanimité ou, en l’absence de consensus, de la commission consultative du CCIC statuant elle-même à l’unanimité ou, en l’absence de consensus, à la majorité des deux tiers, conformément à l’article XI du règlement statutaire du CCIC. De même, toute modification du règlement statutaire du CCIC en vue, par exemple, d’introduire un mécanisme de règlement des différends ou une clause attributive de compétence au tribunal administratif de l’OIT aurait exigé l’accord de la commission consultative du CCIC, conformément à l’article XIII dudit règlement statutaire.

112    En outre, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article XI du règlement statutaire du CCIC que le système de vote au sein de la commission permanente du CCIC, comme du comité consultatif du CCIC, est régi par le principe d’une voix par membre.

113    Certes, il ressort de la section 5 du statut du personnel du CCIC que la commission permanente du CICC peut procéder à une évaluation des performances du directeur exécutif. En outre, la section 10 du statut du personnel prévoit que ladite commission permanente peut mettre fin au mandat dudit directeur, notamment, si le comportement ou les services de celui-ci se révèlent insatisfaisants, pour des raisons disciplinaires, ou lorsque, à la discrétion du CCIC, cela est dans le meilleur intérêt de l’organisation. Il s’ensuit que cette commission permanente possède un pouvoir disciplinaire à l’égard de ce directeur.

114    Toutefois, même si le Conseil et la Commission avaient proposé de contrôler le comportement du directeur exécutif à la lumière des griefs soulevés à son égard par la requérante, conformément à l’article XI et à l’article XIII du règlement statutaire, le déclenchement d’une telle procédure aurait été soumis à l’accord des membres de la commission permanente du CICC, à l’unanimité ou en l’absence de consensus, à l’accord de la commission consultative du CICC, à la majorité des deux tiers, le vote étant régi par le principe d’une voix par membre.

115    Il s’ensuit que la requérante reste en défaut de démontrer que le Conseil et la Commission pouvaient obliger le CCIC à prendre une mesure quelconque et que, par conséquent, leurs abstentions étaient susceptibles de donner lieu de manière suffisamment directe aux préjudices allégués.

116    Eu égard à l’absence d’un lien de causalité suffisamment direct entre le comportement reproché au Conseil et à la Commission, d’une part, et les préjudices allégués par la requérante, d’autre part, il convient de rejeter la demande en indemnité en ce qu’elle vise ledit comportement sans que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 98 ci-dessus, il soit nécessaire de vérifier si les autres conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union sont réunies.

–       Sur la prétendue confiance légitime donnée à la requérante par les agents de l’union

117    La requérante soutient que les agents du Conseil et de la Commission l’ont induite en erreur en la laissant croire, à tort, que l’Union interviendrait pour protéger ses intérêts, ce qui lui aurait causé un préjudice supplémentaire, en créant le sentiment qu’elle était abandonnée.

118    Il ressort d’une jurisprudence bien établie que le droit de se prévaloir du principe de la protection de la confiance légitime suppose que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, ont été fournies à l’intéressé par les autorités compétentes de l’Union. En effet, ce droit appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution, un organe ou un organisme de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître à son égard des espérances fondées (voir arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 62 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 178 et jurisprudence citée).

119    Or, il suffit de relever que la requérante ne fait état d’aucune assurance précise susceptible d’avoir fait naître des espérances dans le fait que l’Union interviendrait pour protéger ses intérêts et sauvegarder ses droits.

120    À cet égard, s’il est vrai que, dans un courriel du 2 octobre 2019, un agent de la Commission, représentant de l’Union au sein du CCIC a assuré à la requérante que, en tant que membre du CCIC, l’Union veillerait à ce que l’État de droit soit strictement appliqué, ce même représentant indiquait toutefois dans ledit courriel que, à ce stade, il avait besoin de recevoir toutes les explications de la part des personnes concernées, telles que le comptable du CCIC et les conseillers juridiques du CCIC.

121    Il convient également de relever que, par un courriel du 17 octobre 2019, la requérante a demandé à l’agent en cause si une suite avait été donnée aux explications qu’elle avait fournies concernant les raisons pour lesquelles elle estimait que le CCIC ne respectait pas les termes de son contrat, tels que prévus par le statut du personnel du CCIC. Toutefois, dans sa réponse, par un courriel du 24 octobre 2019, le même agent a indiqué à la requérante qu’il pensait que celle-ci avait déjà reçu des explications concernant sa plainte et que si un malentendu persistait, la requérante devrait demander l’assistance du président du comité budgétaire du CCIC, qui devrait être en mesure de reformuler la position prise par le CCIC.

122    Il convient encore de relever que, si, par un courriel du 24 octobre 2019, la requérante a effectivement demandé en retour à l’agent en cause si une quelconque action disciplinaire serait adoptée à l’encontre du directeur exécutif, dans la mesure où elle avait clairement souffert de son constant abus de pouvoir au cours de son mandat, la requérante admet elle-même que cette demande est restée sans réponse.

123    Dans ces conditions, la requérante ne saurait se prévaloir d’une quelconque violation du principe de la protection de la confiance légitime de la part des agents du Conseil ou de la Commission.

124    La demande en indemnité doit donc être rejetée comme non fondée en ce qu’elle vise le comportement des agents du Conseil et de la Commission sans que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 98, il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union sont réunies.

125    Eu égard aux considérations exposées aux points 108 à 116 et 118 à 124 ci-dessus, il convient de rejeter la demande en indemnité comme non fondée sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des documents produits par la requérante à l’audience.

126    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble comme étant pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

 Sur les dépens

127    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil et de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme María del Carmen Sánchez-Gavito León est condamnée aux dépens.

Costeira

Kancheva

Zilgalvis

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.