Language of document : ECLI:EU:T:2013:489

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

9 septembre 2013 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Régime d’aides permettant l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché intérieur et n’ordonnant pas la récupération des aides – Acte comportant des mesures d’exécution – Défaut d’affectation individuelle – Absence de qualité de bénéficiaire effectif du régime d’aides – Absence d’obligation de restitution – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑430/11,

Telefónica, SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes J. Ruiz Calzado, M. Núñez Müller et J. Domínguez Pérez, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal, C. Urraca Caviedes et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO L 135, p. 1),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. L. Truchot (rapporteur), président, Mme M. E. Martins Ribeiro et M. A. Popescu, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Par plusieurs questions écrites posées en 2005 et en 2006 (E-4431/05, E-4772/05, E-5800/06 et P-5509/06), des membres du Parlement européen ont interrogé la Commission des Communautés européennes sur la qualification d’aide d’État du dispositif prévu par l’article 12, paragraphe 5, de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (loi relative à l’impôt sur les sociétés), introduit dans celle-ci par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 (BOE n° 313, du 31 décembre 2001, p. 50493), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE n° 61, du 11 mars 2004, p. 10951) (ci‑après le « régime litigieux »). La Commission a répondu en substance que, selon les informations dont elle disposait, le régime litigieux ne semblait pas entrer dans le champ d’application des règles relatives aux aides d’État.

2        Par lettres du 15 janvier et du 26 mars 2007, la Commission a invité les autorités espagnoles à lui fournir des informations afin d’évaluer la portée et les effets du régime litigieux. Par lettres du 16 février et du 4 juin 2007, le Royaume d’Espagne a communiqué à la Commission les informations demandées.

3        Par télécopie du 28 août 2007, la Commission a reçu une plainte d’un opérateur privé affirmant que le régime litigieux constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun.

4        Par décision du 10 octobre 2007 (résumé au JO C 311, p. 21), la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen concernant le régime litigieux.

5        Par lettre du 5 décembre 2007, la Commission a reçu les observations du Royaume d’Espagne sur cette décision d’ouverture de la procédure formelle. Entre le 18 janvier et le 16 juin 2008, la Commission a également reçu les observations de 32 tiers intéressés, dont celles de la requérante, Telefónica, SA. Par lettres du 30 juin 2008 et du 22 avril 2009, le Royaume d’Espagne a présenté ses commentaires sur les observations des tiers intéressés.

6        Le 18 février 2008, le 12 mai et le 8 juin 2009, des réunions techniques ont été organisées avec les autorités espagnoles. D’autres réunions techniques ont également été organisées avec certains des 32 tiers intéressés, dont la requérante, le 12 février 2009.

7        Par lettre du 14 juillet 2008 et par courrier électronique du 16 juin 2009, le Royaume d’Espagne a soumis des informations additionnelles à la Commission.

8        La Commission a clos la procédure, en ce qui concerne les prises de participations réalisées au sein de l’Union européenne, par sa décision 2011/5/CE, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48). Cette décision déclare incompatible avec le marché commun le régime litigieux, consistant en un avantage fiscal permettant aux sociétés espagnoles d’amortir la survaleur résultant d’une prise de participations dans des entreprises étrangères, lorsqu’il s’applique à des prises de participations dans des entreprises établies au sein de l’Union. La Commission a maintenu ouverte la procédure en ce qui concerne les prises de participations réalisées en dehors de l’Union, les autorités espagnoles s’étant engagées à fournir des éléments nouveaux relatifs aux obstacles aux fusions transfrontières en dehors de l’Union.

9        Le Royaume d’Espagne a communiqué à la Commission des informations relatives aux investissements directs réalisés par des sociétés espagnoles en dehors de l’Union les 12, 16, et 20 novembre 2009 et le 3 janvier 2010. La Commission a également reçu les observations de plusieurs tiers intéressés, dont celles de la requérante.

10      Le 27 novembre 2009 et les 16 et 29 juin 2010, ont eu lieu des réunions techniques entre la Commission et les autorités espagnoles.

11      Le 12 janvier 2011, la Commission a adopté la décision 2011/282/UE relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO L 135, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).

12      La décision attaquée déclare incompatible avec le marché intérieur le régime litigieux, lorsqu’il s’applique à des prises de participations dans des entreprises établies en dehors de l’Union (article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée). L’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée permet cependant au régime litigieux de continuer à s’appliquer, en vertu du principe de protection de la confiance légitime, aux prises de participations opérées avant la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, intervenue le 21 décembre 2007, ainsi qu’aux prises de participations dont la réalisation, subordonnée à une autorisation d’une autorité de régulation à laquelle l’opération a été notifiée avant cette date, était irrévocablement engagée avant le 21 décembre 2007. L’article 1er, paragraphes 4 et 5, de la décision attaquée permet en outre au régime litigieux de continuer à s’appliquer aux prises de participations dans des entreprises établies en Chine, en Inde ou dans d’autres pays où l’existence d’obstacles juridiques explicites aux regroupements transfrontières d’entreprises est démontrée, opérées jusqu’à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de ladite décision, intervenue le 21 mai 2011, ainsi qu’à de telles prises de participations dont la réalisation, subordonnée à une autorisation d’une autorité de régulation à laquelle l’opération a été notifiée avant cette date, était irrévocablement engagée avant le 21 mai 2011.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 août 2011, la requérante a introduit le présent recours.

14      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 novembre 2011, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

15      Le 20 janvier 2012, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

16      Le 5 octobre 2012, le Tribunal a, au titre des mesures d’organisation de la procédure, demandé à la requérante d’indiquer les conséquences qu’elle entendait tirer, aux fins du présent recours, de l’arrêt du Tribunal du 8 mars 2012, Iberdrola/Commission (T‑221/10, non encore publié au Recueil), et de l’ordonnance du Tribunal du 21 mars 2012, Modelo Continente Hipermercados/Commission (T‑174/11, non encore publiée au Recueil). Le 13 décembre 2012, le Tribunal a demandé à la Commission de présenter ses observations sur la réponse de la requérante à cette question et sur l’un des arguments exposés par la requérante dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité. La requérante et la Commission ont répondu à ces questions dans les délais impartis.

17      Le 8 février 2013, la requérante a demandé que la procédure dans la présente affaire soit suspendue jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C-274/12 P, Telefónica/Commission. La Commission a présenté ses observations sur cette demande le 25 février 2013.

18      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable et ordonner la poursuite de la procédure ;

–        annuler l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 1er, paragraphes 4 et 5, de la décision attaquée ;

–        à titre encore plus subsidiaire, annuler l’article 4 de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

19      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

20      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

21      La Commission fait valoir que le présent recours est irrecevable au motif que la requérante n’a démontré ni qu’elle avait un intérêt à agir ni qu’elle était individuellement concernée par la décision attaquée.

22      Il convient de commencer par examiner la seconde fin de non-recevoir opposée par la Commission.

23      Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, « [t]oute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ».

24      La décision attaquée ayant été adoptée à l’issue de la procédure formelle d’examen et n’ayant pas été adressée à la requérante, son affectation individuelle doit être appréciée selon les critères définis dans l’arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197, 223). Ainsi, la requérante doit démontrer que la décision attaquée l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de cette décision le serait (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 36, et la jurisprudence citée).

25      La requérante prétend, en premier lieu, être individuellement concernée par la décision attaquée en raison de sa qualité de partie à la procédure administrative, ayant présenté en temps utile ses observations relatives à la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

26      La jurisprudence a certes reconnu qu’une partie requérante pouvait être individuellement concernée du fait de sa participation active à la procédure ayant conduit à l’adoption de l’acte attaqué. Toutefois, étaient en cause des situations particulières dans lesquelles la partie requérante occupait une position de négociateur clairement circonscrite et intimement liée à l’objet même de la décision, la mettant dans une situation de fait qui la caractérisait par rapport à toute autre personne (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, Rec. p. I‑5963, points 85 à 95, et la jurisprudence citée).

27      Or, en l’espèce, la requérante s’est limitée à présenter des observations, comme les autres parties intéressées. Une telle circonstance n’est pas de nature à démontrer qu’elle occupait une position de négociateur permettant la reconnaissance de son affectation individuelle (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 21 mars 2012, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria/Commission, T‑225/10, non publiée au Recueil, point 30).

28      La requérante invoque, en second lieu, sa qualité de bénéficiaire du régime litigieux pour démontrer qu’elle est individuellement affectée par la décision attaquée déclarant ledit régime illégal et incompatible avec le marché intérieur.

29      Selon une jurisprudence constante, une entreprise ne saurait, en principe, être recevable à introduire un recours en annulation d’une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard de cette entreprise, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir arrêt Italie/Commission, précité, point 37, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 11 juin 2009, Acegas/Commission, T‑309/02, Rec. p. II‑1809, point 47, et la jurisprudence citée).

30      Toutefois, dès lors que l’entreprise requérante n’est pas seulement concernée par la décision en cause en tant qu’entreprise du secteur concerné, potentiellement bénéficiaire du régime d’aides, mais également en sa qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre de ce régime et dont la Commission a ordonné la récupération, elle est individuellement concernée par ladite décision et son recours dirigé contre celle-ci est recevable (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, points 34 et 35, et arrêt du Tribunal du 10 septembre 2009, Banco Comercial dos Açores/Commission, T‑75/03, non publié au Recueil, point 44).

31      Il y a, dès lors, lieu de vérifier si la requérante a la qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre du régime d’aides visé par la décision attaquée et dont la Commission a ordonné la récupération (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, Rec. p. I‑4727, point 53, et la jurisprudence citée, et arrêt Iberdrola/Commission, précité, point 27).

32      En l’espèce, la requérante fait valoir tout d’abord qu’elle a pris des participations dans une société établie au Brésil en 2010 ainsi que dans une société établie en Chine en 2011 et que la décision attaquée impose la récupération auprès des bénéficiaires des aides relatives aux opérations postérieures au 21 décembre 2007. Elle soutient ensuite qu’elle serait également individuellement concernée au titre des opérations qu’elle a réalisées avant le 21 décembre 2007 dans des sociétés établies en Équateur, au Venezuela, en Colombie, au Nicaragua, au Pérou, en Argentine et au Chili.

33      S’agissant des opérations postérieures au 21 décembre 2007, il y a lieu de relever que la requérante ne fournit aucun élément de nature à démontrer que le régime litigieux a été appliqué à la prise de participations susvisée effectuée par elle dans une société chinoise. Elle affirme au demeurant, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité datant du 20 janvier 2012 et dans sa réponse à la question du Tribunal datée du 8 novembre 2012, qu’elle n’a pas encore commencé à appliquer le régime litigieux à la survaleur résultant de cette opération. La requérante ne se prévaut que d’une simple intention d’appliquer le régime litigieux et ne se trouve donc pas, à ce titre, dans une situation différente de celle de toute entreprise ayant réalisé une opération susceptible de bénéficier du régime litigieux. Elle constitue par conséquent un bénéficiaire potentiel, et non effectif, dudit régime (voir, en ce sens, arrêt Iberdrola/Commission, précité, point 30).

34      Quant à la prise de participations susvisée dans une société brésilienne, la requérante a produit, en annexe à sa requête, l’annexe à sa déclaration fiscale pour l’exercice 2010 faisant application du régime litigieux à cette opération, datant du 26 juillet 2011 et communiquant aux autorités fiscales les détails de l’opération en cause. Elle a également fourni, en annexe à ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la copie d’une demande des autorités fiscales espagnoles datée du 7 novembre 2011 relative à l’application du régime litigieux à cette prise de participations.

35      Il suffit de constater, à cet égard, que la déclaration fiscale relative à la prise de participations dans la société brésilienne a été établie postérieurement à la décision attaquée et à sa publication au Journal officiel. Ainsi, à supposer que cette déclaration fiscale suffise à établir sa qualité de bénéficiaire effectif du régime litigieux au titre de la prise de participations en cause, la requérante ne pourrait être considérée comme le bénéficiaire effectif dudit régime à la date d’adoption de la décision attaquée. En effet, dès lors que le contribuable dispose de la faculté de ne pas demander le bénéfice du régime litigieux dès la déclaration relative à l’exercice fiscal au cours duquel la prise de participations en cause a été effectuée, la requérante ne se trouve pas, en l’absence de déclaration fiscale appliquant ledit régime à la date d’adoption de la décision attaquée, dans une situation différente de celle de toute entreprise ayant réalisé une opération susceptible de bénéficier du régime litigieux. Or, c’est à cette date que doit être déterminé si elle dispose d’une telle qualité pour être considérée comme individuellement concernée par la décision attaquée, dès lors que, en vertu d’une jurisprudence constante, une partie requérante doit établir son appartenance à un cercle fermé, c’est-à-dire à un groupe qui ne peut plus être élargi après l’adoption de l’acte attaqué (voir arrêt Iberdrola/Commission, précité, point 41, et la jurisprudence citée).

36      Par conséquent, comme pour sa prise de participations dans la société chinoise, la requérante doit être qualifiée de bénéficiaire potentiel, et non effectif, du régime litigieux au titre de la prise de participations opérée par elle dans la société brésilienne. Elle ne peut ainsi être considérée comme individuellement concernée par la décision attaquée au titre de ses opérations postérieures au 21 décembre 2007.

37      S’agissant des opérations antérieures au 21 décembre 2007, la Commission ne conteste pas la qualité de la requérante de bénéficiaire effectif du régime litigieux. Toutefois, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, et de l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, elle n’est pas visée par l’obligation de récupération prévue par cette décision.

38      À cet égard, la requérante soutient tout d’abord, en invoquant la jurisprudence, que sa qualité de bénéficiaire effectif du régime litigieux suffit à établir qu’elle est individuellement affectée, l’obligation de remboursement des aides perçues en application dudit régime ne constituant pas une condition indispensable à cette reconnaissance. La requérante déduit de l’arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, précité, que l’élément à prendre en considération est le risque prévisible d’atteinte ou de préjudice que la décision attaquée fait courir aux bénéficiaires effectifs du régime litigieux, et notamment, mais pas exclusivement, le risque de devoir restituer les aides perçues. Elle estime en particulier qu’une entreprise peut être considérée comme individuellement concernée lorsqu’elle bénéficie d’une aide octroyée dans le cadre d’un régime d’aides pour lequel la récupération est ordonnée de manière générale sans qu’elle soit elle-même visée par cette obligation de restitution.

39      Il y a lieu de rappeler à cet égard le libellé du point 56 de l’arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, précité, sur lequel la requérante fonde son argumentation :

« […] l’injonction de récupération concerne déjà individuellement tous les bénéficiaires du régime en question en ce qu’ils sont exposés, dès le moment de l’adoption de la décision litigieuse, au risque que les avantages qu’ils ont perçus soient récupérés, et se trouvent ainsi affectés dans leur situation juridique. Ces bénéficiaires font, dès lors, partie d’un cercle restreint […], sans qu’il soit nécessaire d’examiner des conditions supplémentaires, relatives à des situations dans lesquelles la décision de la Commission n’est pas assortie d’une injonction de récupération. En outre, l’éventualité que, ultérieurement, les avantages déclarés illégaux ne soient pas récupérés auprès de leurs bénéficiaires n’exclut pas que ceux-ci soient considérés comme individuellement concernés. »

40      Il ressort, d’une part, des première et deuxième phrases de ce point de l’arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, précité, lues en combinaison avec le point 55 qui le précède, que la Cour s’est limitée à examiner le cas, seul en cause dans cet arrêt, dans lequel l’acte attaqué prévoyait une obligation de récupération visant la partie requérante. La Cour constate en effet, dans la première phrase, que l’injonction de récupération concerne individuellement tous les bénéficiaires du régime d’aides en cause exposés au risque de devoir restituer les aides perçues et écarte, dans la deuxième phrase, l’examen de la situation dans laquelle la décision de la Commission n’est pas assortie d’une injonction de récupération. Il ressort, d’autre part, de la troisième phrase du point 56 de l’arrêt, lue également à la lumière du point 55 du même arrêt, qu’une telle obligation de récupération visant une partie requérante suffit à l’individualiser, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si au niveau national cette obligation sera suivie d’effets (ordonnance Modelo Continente Hipermercados/Commission, précitée, point 29).

41      La Cour, dans l’arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, précité, invoqué par la requérante, a ainsi déduit l’affectation individuelle de la partie requérante dans l’affaire en cause de l’institution par l’acte attaqué d’une obligation de récupération visant les aides qu’elle a perçues, indépendamment de la mise en œuvre d’une telle obligation. Il ne saurait dès lors en être déduit que l’élément à prendre en considération n’est pas exclusivement le risque pour le bénéficiaire effectif d’un régime d’aides déclaré incompatible de devoir restituer les aides perçues et que cette qualité de bénéficiaire effectif suffit à individualiser ledit bénéficiaire, lorsque ce dernier n’est pas visé par l’obligation de récupération des aides versées en vertu dudit régime prévue par l’acte attaqué.

42      La requérante soutient ensuite que l’exclusion des opérations antérieures au 21 décembre 2007 du champ d’application de l’obligation de récupération en vertu du principe de protection de la confiance légitime n’est pas définitive, en raison des recours formés potentiellement par ses concurrents devant les juridictions nationales dans le cadre desquels cette protection de la confiance légitime pourrait être remise en cause.

43      Par cette argumentation, la requérante confond la condition de recevabilité de l’affectation individuelle avec celle de l’intérêt à agir. En effet, si l’intérêt à agir peut être établi grâce notamment à des actions formées devant le juge national postérieurement à l’introduction du recours devant le juge de l’Union (arrêt du Tribunal du 22 octobre 2008, TV 2/Danmark e.a./Commission, T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, Rec. p. II‑2935, points 78 à 82), l’affectation individuelle d’une personne physique ou morale s’apprécie au jour de l’introduction du recours et ne dépend que de la décision attaquée. Ainsi, une personne concernée individuellement par une décision déclarant une aide incompatible avec le marché commun et enjoignant sa récupération le reste, même s’il apparaît par la suite que le remboursement ne lui sera pas demandé (voir, en ce sens, arrêt Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, précité, point 56, et conclusions de l’avocat général Mme Trstenjak sous cet arrêt, Rec. p. I‑4732, points 81 et 82 ; voir également point 40 ci-dessus).

44      En outre, il y a lieu de rappeler que, pour être individuellement concernée par l’acte attaqué, la requérante doit établir son appartenance à un cercle fermé, c’est-à-dire à un groupe qui ne peut plus être élargi après l’adoption de l’acte attaqué (voir point 35 ci-dessus).

45      Par conséquent, en l’espèce, les actions devant le juge national, outre qu’elles sont purement hypothétiques, ne permettent pas de considérer que la requérante est individuellement concernée par la décision attaquée.

46      Il résulte de ce qui précède que la requérante n’est pas individuellement concernée par la décision attaquée.

47      La requérante soutient toutefois qu’elle ne serait en l’espèce pas tenue de démontrer qu’elle est individuellement concernée par la décision attaquée, dès lors que cette décision pourrait être qualifiée d’acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

48      La Commission rétorque que la décision attaquée ne constitue pas un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, en invoquant plusieurs mesures d’exécution nationales de la décision attaquée et, en particulier, le refus d’octroi par les autorités fiscales des avantages fiscaux résultant du régime litigieux, l’annulation de ces avantages fiscaux ainsi que la récupération par les autorités fiscales des aides illégales octroyées en vertu du régime litigieux auprès de ses bénéficiaires.

49      La requérante estime en revanche que les mesures invoquées par la Commission ne constituent pas des mesures d’exécution au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. En effet, la décision attaquée ne comporterait pas de mesures d’exécution, dès lors qu’elle a un effet direct et interdit automatiquement la poursuite de l’application du régime litigieux, sans qu’aucune action supplémentaire de la part de la Commission ou du Royaume d’Espagne soit nécessaire. En outre, les mesures étatiques visant à récupérer les aides illégalement octroyées ne seraient que la mise en œuvre de l’obligation de récupération à la charge des États et non des mesures d’exécution.

50      Il y a lieu de rappeler à cet égard que, en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, une décision, telle que celle de l’espèce, est obligatoire dans tous ses éléments uniquement pour les destinataires qu’elle désigne. Dès lors, l’obligation de refuser l’octroi du bénéfice du régime litigieux, d’annuler les avantages fiscaux octroyés et de récupérer les aides versées en vertu de ce régime sont les conséquences juridiques obligatoires de la décision attaquée pour le Royaume d’Espagne, qui en est le destinataire.

51      En revanche, la décision attaquée ne produit pas de tels effets juridiques à l’égard des bénéficiaires du régime litigieux. L’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée ne définit pas les conséquences de l’incompatibilité du régime litigieux avec le marché intérieur à l’égard de chacun des bénéficiaires dudit régime, car cette déclaration d’incompatibilité n’emporte en elle-même pour lesdits bénéficiaires aucune interdiction ou injonction. De surcroît, l’incidence de l’incompatibilité n’est pas nécessairement la même pour chacun des bénéficiaires du régime litigieux. Les conséquences de l’incompatibilité doivent ainsi être individualisées par un acte juridique émanant des autorités nationales compétentes, tel qu’un avis d’imposition, qui constitue une mesure d’exécution de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

52      Il est à cet égard indifférent que le Royaume d’Espagne ne dispose d’aucune marge d’appréciation dans la mise en œuvre de la décision attaquée. L’absence de pouvoir d’appréciation est un critère qui doit certes être examiné afin de constater si la condition de l’affectation directe d’une partie requérante est remplie (voir arrêt du Tribunal du 26 septembre 2000, Starway/Conseil, T‑80/97, Rec. p. II‑3099, point 61, et la jurisprudence citée). Toutefois, l’exigence d’un acte ne comportant pas de mesures d’exécution visée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE constitue une condition différente de celle tenant à l’affectation directe (ordonnances du Tribunal du 4 juin 2012, Eurofer/Commission, T‑381/11, non encore publiée au Recueil, point 59, et du 5 février 2013, BSI/Conseil, T‑551/11, non publiée au Recueil, point 56).

53      En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, une telle identification des mesures d’exécution prévues par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE ne contrevient pas à l’objectif poursuivi par cette disposition, qui est de permettre à une personne physique ou morale d’introduire un recours contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution, en évitant ainsi les cas où une telle personne devrait enfreindre le droit pour avoir accès à un juge (voir, en ce sens, ordonnance Eurofer/Commission, précitée, point 60). En effet, la mesure d’exécution de la décision attaquée que constitue notamment l’avis d’imposition peut précisément être contestée devant le juge national, qui pourra contrôler incidemment la validité de l’article 1er, paragraphe 1, de ladite décision et saisir le cas échéant la Cour d’une question préjudicielle en appréciation de validité au titre de l’article 267 TFUE (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance Eurofer/Commission, précitée, point 60). Quant à l’usage incertain en l’espèce de la voie préjudicielle par le juge national allégué par la requérante, il suffit de rappeler que le juge de l’Union ne peut examiner dans chaque cas concret le droit procédural national et, en particulier, les conditions dans lesquelles le mécanisme du renvoi préjudiciel peut être engagé devant les juridictions nationales, dès lors que cela excéderait sa compétence dans le cadre du contrôle de la légalité des actes de l’Union (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 43).

54      Il en résulte que la décision attaquée comporte des mesures d’exécution et qu’elle ne saurait dès lors être qualifiée d’acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. L’argument de la requérante fondé sur le dernier membre de phrase de cette disposition doit, partant, être rejeté.

55      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le présent recours comme irrecevable, sans qu’il soit besoin d’examiner la première fin de non-recevoir opposée par la Commission et tirée de l’absence d’intérêt à agir de la requérante.

 Sur les dépens

56      En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Telefónica, SA est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 9 septembre 2013.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      L. Truchot


* Langue de procédure : l’espagnol.