Language of document : ECLI:EU:T:2000:252

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

31 octobre 2000 (1)

«Procédure de référé - Retrait des autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain qui contiennent la substance 'fenproporex‘ - Directive 75/319/CEE - Urgence - Mise en balance des intérêts»

Dans l'affaire T-85/00 R,

Laboratórios Roussel Ld.a, établie à Mem Martins (Portugal),

Roussel Iberica, SA, établie à Barcelone (Espagne),

représentées par Me B. Sträter, avocat à Bonn, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Bonn et Schmidt, 7, Val Sainte-Croix,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. H. Støvlbæk, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de Me B. Wägenbaur, avocat à Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l'exécution de la décision de la Commission du 9 mars 2000 concernant le retrait des autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain contenant, notamment, du «fenproporex» [C(2000) 608],

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

Cadre juridique

1.
    Le 26 janvier 1965, le Conseil a adopté la directive 65/65/CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369), qui a été modifiée à plusieurs reprises. L'article 3 de cette directive énonce le principe selon lequel aucune spécialité pharmaceutique ne peut être mise sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation ait été préalablement délivrée par l'autorité compétente de cet État membre en vertu de ladite directive ou qu'une autorisation ait été délivrée conformément au règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l'évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1).

2.
    L'article 4 de la directive 65/65 prévoit, notamment, que, en vue de l'octroi de l'autorisation de mise sur le marché prévue à l'article 3, le responsable de la mise sur le marché introduit une demande auprès de l'autorité compétente de l'Étatmembre. Selon l'article 5, cette autorisation est refusée lorsqu'il apparaît que la spécialité est nocive dans les conditions normales d'emploi, ou que l'effet thérapeutique de la spécialité fait défaut ou est insuffisamment justifié par le demandeur, ou que la spécialité n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée, ou que la documentation et les renseignements présentés à l'appui de la demande ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 4. L'article 10, tel que modifié, dispose que l'autorisation est valable pour cinq ans et renouvelable par périodes de cinq ans après examen par l'autorité compétente d'un dossier reprenant notamment l'état des données de la pharmacovigilance et les autres informations pertinentes pour la surveillance du médicament.

3.
    L'article 11, premier alinéa, prévoit que les autorités compétentes des États membres suspendent ou retirent l'autorisation de mise sur le marché lorsqu'il apparaît que la spécialité pharmaceutique est nocive dans les conditions normales d'emploi ou que l'effet thérapeutique fait défaut ou enfin que la spécialité n'a pas la composition qualitative et quantitative déclarée. Aux termes de cette disposition, l'effet thérapeutique fait défaut lorsqu'il est établi que la spécialité pharmaceutique ne permet pas d'obtenir de résultats thérapeutiques.

4.
    Selon l'article 21, l'autorisation de mise sur le marché ne peut être refusée, suspendue ou retirée que pour les raisons énumérées dans la directive 65/65.

5.
    La deuxième directive 75/319/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13), telle que modifiée par la directive 93/39/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, modifiant les directives 65/65, 75/318/CEE et 75/319 concernant les médicaments (JO L 214, p. 22), prévoit une série de procédures d'arbitrage devant le comité des spécialités pharmaceutiques (ci-après le «CSP») de l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments. Une telle procédure est mise en oeuvre lorsqu'un État membre considère qu'il y a des motifs de supposer que l'autorisation du médicament concerné peut présenter un risque pour la santé publique (article 10 de la directive 75/319 telle que modifiée par la directive 93/39), en cas de décisions divergentes concernant l'octroi, la suspension ou le retrait des autorisations nationales (article 11), dans des cas particuliers présentant un intérêt communautaire (article 12) ainsi qu'en cas de modifications d'autorisations harmonisées (articles 15, 15 bis et 15 ter). À cet égard, les procédures établies aux articles 12 et 15 bis de la directive 75/319 présentent, en l'espèce, un intérêt particulier.

6.
    L'article 12 dispose que les États membres, notamment, peuvent, dans des cas particuliers présentant un intérêt communautaire, saisir le CSP pour application de la procédure prévue à l'article 13 avant qu'une décision ne soit prise sur la demande, la suspension, le retrait de l'autorisation de mise sur le marché ou sur toute autre modification des termes de l'autorisation de mise sur le marché apparaissant nécessaire, notamment pour tenir compte des informations recueilliesdans le cadre de la pharmacovigilance prévue au chapitre V bis de la directive 75/319.

7.
    L'article 15 bis dispose:

«1. Quand un État membre considère que la modification des termes de l'autorisation de mise sur le marché, qui a été octroyée selon les dispositions du présent chapitre, ou que sa suspension ou son retrait sont nécessaires à la protection de la santé publique, il en informe immédiatement le [CSP] pour application des procédures prévues aux articles 13 et 14.

2. Sans préjudice de l'article 12, dans des cas exceptionnels, lorsqu'une action d'urgence est indispensable pour protéger la santé publique, et jusqu'à ce qu'une décision définitive soit prise, un État membre peut suspendre la mise sur le marché et l'utilisation du médicament concerné sur son territoire. Il informe la Commission et les autres États membres, au plus tard le jour ouvrable suivant, des raisons d'une telle mesure.»

Faits et procédure

8.
    Les requérantes sont titulaires d'autorisations de mise sur le marché de médicaments contenant du fenproporex.

9.
    Le 17 mai 1995, la République fédérale d'Allemagne a saisi le CSP, conformément à l'article 12 de la directive 75/319 telle que modifiée par la directive 93/39, en faisant état de ses craintes à l'égard des anorexigènes, au nombre desquels figurent des médicaments contenant du fenproporex, susceptibles de provoquer une grave hypertension artérielle pulmonaire.

10.
    La procédure entamée par cette saisine a conduit à l'adoption de la décision C(96) 3608 de la Commission, du 9 décembre 1996, fondée sur l'article 14, paragraphes 1 et 2, de la directive 75/319, enjoignant aux États membres de modifier certaines informations cliniques qui devaient figurer dans les autorisations nationales de mise sur le marché des médicaments en question.

11.
    Par lettre du 7 novembre 1997 adressée au président du CSP, le ministère des Affaires sociales, de la Santé publique et de l'Environnement belge a exprimé, notamment, sa crainte de l'existence d'une relation causale entre des dysfonctionnements de la valve cardiaque et la prise d'anorexigènes contenant de l'amfépramone ou de la phentermine. Il a, en conséquence, demandé au CSP, conformément aux articles 13 et 15 bis de la directive 75/319, d'émettre un avis motivé à propos des médicaments concernés.

12.
    Par lettre du 31 août 1998, également adressée au président du CSP, le ministère du Travail, de la Santé et des Affaires sociales autrichien a observé que, outre la phentermine et l'amfépramone, le clobenzorex, le fenbutrazat, le fenproporex, lemazindol, le méfénorex, la norpseudoéphédrine, la phenmétrazine, la phendimétrazine et la propylhexédrine appartiennent au même groupe d'anorexigènes apparentés à l'amphétamine. Le ministère autrichien a ajouté qu'il est probable que toutes ces substances aient les mêmes propriétés ainsi que les mêmes effets secondaires et a demandé au CSP, conformément à l'article 15 bis de la directive 75/319, d'émettre un avis motivé relativement aux médicaments concernés.

13.
    Le 31 août 1999, le CSP a rendu son avis sur les médicaments contenant du clobenzorex, du fenbutrazat, du fenproporex, du mazindol, du méfénorex, de la norpseudoéphédrine, de la phenmétrazine, de la phendimétrazine et de la propylhexédrine. Il est arrivé à la conclusion que lesdits médicaments présentent une balance bénéfices/risques défavorable et a recommandé que soient retirées les autorisations de mise sur le marché de ces médicaments.

14.
    Sur la base de cet avis, la Commission a préparé un projet de décision qui a été transmis, notamment, aux requérantes le 20 janvier 2000. Le 9 mars 2000, la Commission a adopté la décision concernant le retrait des autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain qui contiennent les substances «Clobenzorex», «Fenbutrazat», «Fenproporex», «Mazindol», «Méfénorex», «Norpseudoéphédrine», «Phenmétrazine», «Phendimétrazine» et «Propylhexédrine» [C(2000) 608] (ci-après la «décision attaquée»). L'article 2 de la décision attaquée fait référence aux appréciations énoncées par le CSP dans cet avis. L'article 3 prévoit que les États membres retirent les autorisations de mise sur le marché pour tous les médicaments visés dans l'annexe I de la décision attaquée dans les 30 jours suivant la date de notification de ladite décision.

15.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 avril 2000, les requérantes ont saisi le Tribunal d'un recours en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE tendant à l'annulation de la décision attaquée et, subsidiairement, à celle de la décision attaquée en ce qu'elle implique le retrait des autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain contenant du fenproporex en Espagne et au Portugal (affaire T-85/00).

16.
    Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont formé la présente demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée ainsi qu'une demande fondée sur l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, tendant à ce qu'il soit statué de manière urgente sur cette demande de sursis à exécution.

17.
    Les parties ont été entendues en leurs observations orales lors de l'audition du 13 avril 2000, au cours de laquelle il a été demandé aux requérantes de communiquer, pour le 27 avril 2000 au plus tard, des renseignements permettant d'avoir une vue complète de leurs activités commerciales et/ou industrielles ainsi que de celles des entreprises appartenant à leurs groupes respectifs.

18.
    Le 18 avril 2000, le président du Tribunal a accueilli la demande fondée sur l'article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure et ordonné que, jusqu'au prononcé de l'ordonnance mettant fin à la procédure de référé, il soit sursis à l'exécution de la décision attaquée.

19.
    Les requérantes ont déposé les renseignements demandés lors de l'audition au greffe du Tribunal le 27 avril 2000.

En droit

20.
    En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE et de l'article 4 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

21.
    L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que les demandes de sursis à exécution doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi du sursis auquel elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte qu'une demande de sursis à exécution doit être rejetée dès lors que l'une d'elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268/96 P(R), Rec. p. I-4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 29 juin 1999, Italie/Commission, C-107/99 R, Rec. p. I-4011, point 59; ordonnances du président du Tribunal du 21 juillet 1999, DSR-Senator Lines/Commission, T-191/98 R, Rec. p. II-2531, point 22, et du Tribunal du 25 novembre 1999, Martinez et de Gaulle/Parlement, T-222/99 R, Rec. p. II-3397, point 22).

Sur le fumus boni juris

Arguments des parties

22.
    Les requérantes soulèvent plusieurs moyens pour justifier, à première vue, l'octroi du sursis sollicité.

23.
    En premier lieu, elles soutiennent que la Commission n'avait pas compétence pour adopter la décision attaquée. L'article 15 bis de la directive 75/319 n'offrirait pas de base juridique à la procédure utilisée en l'espèce. Cet article ne permettrait à un État membre d'entamer la procédure prévue aux articles 13 et 14 de la même directive que pour autant qu'il s'agisse d'autorisations de mise sur le marché qui ont été octroyées conformément au chapitre III de ladite directive. Or, les requérantes relèvent que les autorisations en question sont des autorisationsnationales et non des autorisations octroyées conformément audit chapitre. Le fait que ces autorisations ont été modifiées par la décision du 9 décembre 1996, faisant suite à une procédure engagée au titre de l'article 12 de la directive 75/319, n'affecterait pas cette conclusion. L'article 15 bis de la directive 75/319 ne contiendrait, à cet égard, aucune mention relative aux autorisations modifiées sur la base d'une procédure engagée au titre de l'article 12. Les requérantes ajoutent que l'article 15 bis de la directive 75/319 exige qu'une suspension ou un retrait soient nécessaires à la protection de la santé publique. Toutefois, cette condition ne serait pas remplie ou, au moins, aurait disparu au cours de la procédure, après la constatation que les risques étaient inchangés depuis la décision de la Commission du 9 décembre 1996 et que les cas belges n'étaient pas significatifs.

24.
    En deuxième lieu, les requérantes font valoir que la procédure devant le CSP et la Commission est caractérisée par une infraction grave aux règles de forme inscrites aux articles 13 et 14 de la directive 75/319 telle que modifiée, le CSP et la Commission n'ayant nullement observé les délais prescrits par lesdites dispositions. Selon elles, ces délais n'ont pas pour seul but d'assurer un prompt déroulement de la procédure dans l'intérêt de la santé publique mais visent également à protéger les titulaires d'autorisations ou les demandeurs concernés par ladite procédure et dont les décisions économiques dépendent en grande partie de l'issue de la procédure de saisine. Les requérantes ajoutent qu'il convient d'interpréter l'article 14, paragraphe 1, quatrième phrase, de la directive 75/319 en ce sens que la Commission est obligée de transmettre le projet de décision aux États membres et aux titulaires d'autorisations au même moment. Toutefois, le projet de décision a été transmis aux États membres le 5 janvier 2000, alors qu'il ne l'a été que le 20 janvier 2000 pour les titulaires d'autorisations. Enfin, les requérantes observent que la longueur de la procédure démontre, indirectement, que la distribution des médicaments en question ne comportait pas de risques pour la santé publique.

25.
    En troisième lieu, les requérantes allèguent que la décision attaquée enfreint les articles 11, paragraphe 1, et 21 de la directive 65/65, l'article 11 offrant seul une base légale appropriée pour le retrait d'autorisations. Selon elles, lorsque la Commission ordonne aux États membres de retirer une autorisation de mise sur le marché en suivant la procédure définie aux articles 13 et 14 de la directive 75/319, cette institution doit respecter les conditions de retrait énoncées à l'article 11 de la directive 65/65. En l'espèce, il faudrait donc établir soit que les médicaments contenant du fenproporex sont nocifs, soit qu'ils n'ont aucun effet thérapeutique, soit qu'ils n'ont pas la composition qualitative et quantitative déclarée. L'avis du CSP, repris par la Commission pour motiver la décision attaquée, ne contiendrait toutefois aucune constatation relative à ces exigences. Le CSP mettrait plutôt en balance les bénéfices et les risques, ce que l'article 11 de la directive 65/65 n'envisagerait pas et ce qui serait, de ce fait, illégal. La «note for guidance on clinical investigations of drugs used in weight control» (lignes directrices sur les études de médicaments utilisés dans le cadre du contrôle dupoids) que le CSP a également consultée ne pourrait pas non plus justifier le retrait d'une autorisation de mise sur le marché parce qu'elle ne constitue que la concrétisation des normes et des protocoles en matière d'essais fixés par la directive 75/318 qui, selon le libellé exprès de cet acte, ne seraient applicables qu'aux nouvelles autorisations. En outre, les requérantes observent que les déclarations du CSP et de la Commission au sujet de l'efficacité des médicaments concernés attestent clairement que leur appréciation négative est le résultat de la mise en balance de la sécurité avec le bénéfice pouvant être apporté par ceux-ci. Lors de la précédente procédure de pharmacovigilance engagée en 1996, les risques auraient été jugés mineurs par rapport à l'efficacité. En l'espèce, le résultat négatif de la balance bénéfices/risques viendrait manifestement et principalement de ce que l'efficacité fait aujourd'hui l'objet d'une appréciation différente sur la base des lignes directrices les plus récentes. Les requérantes poursuivent en affirmant que cette mise en balance effectuée dans le cadre d'une procédure de pharmacovigilance est manifestement erronée et constitue un détournement de pouvoir. Elles ajoutent que les conclusions scientifiques du CSP violent le principe de la répartition de la charge de la preuve contenu à l'article 11 de la directive 65/65. En effet, il résulterait de ladite disposition que la charge de la preuve des motifs de retrait indiqués pèse sur les autorités compétentes. Or, le CSP aurait attendu que les requérantes apportent des preuves appropriées de l'efficacité du fenproporex, alors qu'il aurait dû prouver lui-même l'inefficacité de cette substance.

26.
    En dernier lieu, les requérantes soutiennent que le CSP a utilisé, aux fins de l'évaluation en cause, différentes lignes directrices qui ne corroboraient ou ne justifiaient pas les exigences que lui-même avait posées, ou auxquelles il ne pouvait être satisfait, commettant ainsi une erreur d'appréciation dans son application desdites lignes directrices. En particulier, les requérantes font valoir que le CSP n'a pas tenu compte du fait qu'il est objectivement impossible pour le titulaire d'une autorisation de fournir, au moment de l'adoption de nouvelles lignes directrices, des informations appropriées résultant de vérifications cliniques qui correspondent à ces lignes directrices puisque la conduite de telles études nécessite plusieurs années. Même si l'obligation du titulaire d'une autorisation d'adapter continuellement l'état de son dossier aux exigences les plus récentes est reconnue, il conviendrait de lui accorder au moins un délai approprié pour y satisfaire. Les requérantes ajoutent que le CSP a demandé des études effectuées sur une durée minimale de traitement d'une année pour les médicaments concernés par la décision attaquée, alors que cette exigence ne découle d'aucune des lignes directrices évoquées. Selon les requérantes, cela constitue une erreur d'appréciation particulièrement grave.

27.
    La Commission estime que la condition relative au fumus boni juris n'est pas remplie.

28.
    Selon elle, la décision du 9 décembre 1996 constitue une autorisation de mise sur le marché qui a été octroyée selon les dispositions du chapitre III de la directive 75/319. Elle ajoute que cette décision a été arrêtée sur la base de l'article 12 de la directive 75/319 et a conduit à une harmonisation des autorisations nationales demise sur le marché des médicaments qui y sont énumérés, au nombre desquels figurent les médicaments produits par les requérantes. Elle relève que la décision en question modifie, au titre du droit communautaire, les autorisations nationales de mise sur le marché, de sorte que, après l'expiration du délai fixé à l'article 3 de cette décision, les médicaments concernés ne sont autorisés à être commercialisés que si leur présentation fait figurer les informations cliniques définies dans cette décision. En outre, cette harmonisation des informations cliniques entraînerait une modification substantielle des autorisations nationales de mise sur le marché. Les autorisations devraient être considérées comme étant harmonisées dans tous les États membres lorsqu'un médicament a été soumis aux procédures prévues à l'article 12 de la directive 75/319, ce qui est le cas en l'espèce par le biais de la décision du 9 décembre 1996. Enfin, la Commission fait valoir que l'affirmation des requérantes selon laquelle l'article 15 bis de la directive 75/319 exigerait qu'une suspension ou un retrait soient nécessaires pour des raisons de protection de la santé publique et que cette condition ne serait pas remplie est dénuée de pertinence étant donné, premièrement, que, au vu du libellé de ladite disposition, il suffit qu'un État membre dépose, pour des raisons de protection de la santé publique, une demande et, deuxièmement, que, s'il devait s'avérer au cours ou à la fin d'une telle procédure déclenchée par une demande au sens de ladite disposition que le risque pour la santé publique n'existe pas sous la forme soupçonnée par l'État membre, la demande n'est pas pour autant rétroactivement irrecevable.

29.
    Dès lors, la décision attaquée ne serait entachée d'aucun vice de procédure. S'agissant de l'argument des requérantes selon lequel les délais fixés aux articles 13 et 14 de la directive 75/319 n'auraient pas été respectés, la Commission observe que les retards encourus sont dus au nombre important de médicaments qui ont été soumis à l'examen en cause dans la présente affaire et au fait que cet examen était particulièrement minutieux. Elle ajoute que ces retards n'ont pas causé de préjudice aux requérantes. En ce qui concerne l'argument des requérantes selon lequel la Commission aurait enfreint l'article 14, paragraphe 1, de la directive 75/319 parce qu'elle n'a pas transmis simultanément le projet de sa décision aux États membres et aux titulaires des autorisations, la Commission fait valoir que ladite disposition n'établit aucune obligation de notifier le projet de décision aux titulaires des autorisations. Enfin, en ce qui concerne l'argument des requérantes selon lequel la longueur de la procédure démontrerait que la Commission et le CSP n'ont décelé aucun risque notable pour la santé publique, la Commission relève que le CSP a constaté que les médicaments concernés par la décision attaquée étaient dépourvus de l'effet thérapeutique nécessaire au traitement de l'obésité et a tenu compte de cette circonstance dans le cadre de son analyse bénéfices/risques.

30.
    Ensuite, la Commission conteste que la décision attaquée soit illégale au motif que les conditions visées à l'article 11 de la directive 65/65 ne sont pas remplies. Elle fait valoir que le CSP a clairement établi que les médicaments contenant du fenproporex sont dépourvus de l'effet thérapeutique nécessaire. Dès lors, l'analysedu rapport bénéfices/risques aurait été défavorable. Elle ajoute que le CSP non seulement avait le droit de se fonder sur les lignes directrices, mais était également tenu de procéder à une analyse bénéfices/risques en ce qui concerne le fenproporex à la lumière de l'état d'avancement de la science.

31.
    En dernier lieu, s'agissant de l'argument des requérantes selon lequel le CSP aurait commis une erreur d'appréciation dans son application des différentes lignes directrices, la Commission observe que le CSP a constaté dans son avis qui a été à la base de la décision attaquée que, à la lumière de l'état de la science tel qu'il se reflète par exemple dans les lignes directrices, les médicaments contenant du fenproporex n'avaient pas l'effet thérapeutique nécessaire pour traiter l'obésité et se caractérisaient par conséquent par un rapport bénéfices/risques défavorable.

Appréciation du juge des référés

32.
    S'agissant du fumus boni juris, il y a lieu de constater que les moyens soulevés par les requérantes ne semblent pas, à première vue, dépourvus de tout fondement. D'une part, il apparaît, notamment, que la compétence de la Commission pour adopter la décision attaquée est conditionnée par la nature de la décision du 9 décembre 1996 qui est sujette à débat. D'autre part, la Commission n'a pas apporté d'éléments convaincants permettant de comprendre la raison pour laquelle cette dernière décision et la décision attaquée aboutissent à des résultats diamétralement opposés. Les moyens avancés par les requérantes méritent donc de faire l'objet d'un examen approfondi qui dépasse toutefois, en fait et en droit, le cadre de la présente procédure de référé.

33.
    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que la condition relative au fumus boni juris est satisfaite en l'espèce (ordonnance du président du Tribunal du 17 février 1995, Cascades/Commission, T-308/94 R, Rec. p. II-265, points 49 et 50).

Sur l'urgence

Arguments des parties

34.
    Les requérantes font valoir que, s'il n'est pas sursis à l'exécution de la décision attaquée, elles subiront un préjudice grave et irréparable.

35.
    Le retrait des autorisations de mise sur le marché des médicaments en question aurait pour conséquence que les médecins se verraient dans l'obligation de recourir aux produits concurrents. Les requérantes relèvent que, même lorsque le retrait des autorisations aura été annulé, une réintroduction des médicaments concernés, dans les mêmes conditions, sera impossible puisqu'il s'avérera très difficile, et souvent impossible, de réimplanter sur le marché des médicaments qui ont disparu pendant une longue période. Elles ajoutent que cette difficulté de réimplantation sur le marché tient au fait qu'il n'est pas aisé de convaincre les médecins de prescrire des préparations qui ont déjà été retirées une fois du marché, et ce surtout lorsque cespréparations ont été retirées du marché à l'issue d'une procédure de pharmacovigilance.

36.
    Elles poursuivent que, si la décision attaquée devait être appliquée, cela entraînerait une disparition durable des médicaments concernés du marché. Elles risqueraient donc de subir un dommage grave et durable qui ne pourrait être réparé par des dommages et intérêts et qui irait bien au-delà de la perte du chiffre d'affaires encourue durant la procédure devant le Tribunal.

37.
    La Commission soutient que la condition relative à l'urgence n'est pas remplie.

38.
    Tout d'abord, elle fait valoir que le retrait éventuel d'une autorisation de mise sur le marché fait partie des risques commerciaux normaux de toute entreprise pharmaceutique. Il appartiendrait à l'entreprise concernée de se prémunir contre les conséquences financières d'un tel retrait par une politique appropriée, telle qu'une diversification des produits et un chiffre d'affaires adéquat.

39.
    Ensuite, elle avance que, dès l'introduction de la procédure de l'article 15 bis de la directive 75/319 et, en tout cas, depuis l'établissement de l'avis final du CSP du 31 août 1999, les requérantes pouvaient s'attendre à ce que les États membres soient invités par la Commission, sous la forme d'une décision, à retirer les autorisations de mise sur le marché des médicaments contenant du fenproporex.

40.
    Enfin, la Commission soutient que la documentation produite par les requérantes ne permet pas de juger si leur survie serait menacée par un retrait des autorisations de mise sur le marché de leurs médicaments.

Appréciation du juge des référés

41.
    Il ressort d'une jurisprudence constante que le caractère urgent d'une demande de sursis à exécution doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite le sursis. À cet égard, il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d'un ensemble de facteurs, que ce préjudice soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir, notamment, ordonnances de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C-280/93 R, Rec. p. I-3667, points 32 et 34, et du président du Tribunal du 7 juillet 1998, Van den Bergh Foods/Commission, T-65/98 R, Rec. p. II-2641, point 62).

42.
    En l'espèce, l'exécution immédiate de la décision attaquée implique le retrait complet du marché des médicaments visés par l'article 1er de cette décision. De ce fait, elle implique que, s'il n'est pas sursis à l'exécution de la décision attaquée, les médicaments de substitution, dont l'existence est reconnue par les parties, vont fort probablement remplacer les médicaments retirés. Or, il doit être noté que la confiance des consommateurs, des médecins et des pharmaciens en un médicamentest particulièrement sensible aux déclarations selon lesquelles ce médicament présente un danger pour la santé du patient. Même si ces déclarations sont réfutées par la suite, il est souvent impossible de restaurer la confiance dans le produit retiré, sauf dans des cas particuliers, à savoir lorsque les qualités du médicament sont particulièrement bien appréciées des utilisateurs et qu'il n'existe pas de parfait produit de substitution ou si le producteur jouit d'une réputation exceptionnellement bonne, de telle sorte qu'il ne peut pas être affirmé qu'il ne pourra plus reconquérir les parts de marché qu'il détenait avant le retrait. Toutefois, de tels cas particuliers n'existent pas en l'occurrence.

43.
    En outre, dans l'hypothèse d'une annulation de la décision attaquée par le Tribunal autorisant de la sorte les requérantes à commercialiser à nouveau leurs médicaments, le préjudice financier encouru par elles en raison de la diminution des ventes consécutive à une perte de confiance à l'égard de leurs médicaments ne pourrait, en réalité, être quantifié de manière suffisamment complète aux fins de sa réparation.

44.
    Dans ces conditions, le dommage que pourrait occasionner l'exécution immédiate de la décision attaquée présente un caractère grave et irréparable.

Sur la balance des intérêts

45.
    Les requérantes ayant établi l'existence d'un préjudice grave et irréparable, il incombe encore au juge des référés de mettre en balance, d'une part, l'intérêt des requérantes à obtenir le sursis à l'exécution de la décision attaquée et, d'autre part, l'intérêt que représentent pour la Communauté le retrait immédiat des autorisations de mise sur le marché des médicaments en question et, d'une manière plus générale, la protection de la santé publique.

46.
    Dans le cadre de cet examen, le juge des référés doit déterminer si l'annulation éventuelle de l'acte litigieux par le juge au fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l'exécution de cet acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours au principal serait rejeté (voir, notamment, ordonnances du président de la Cour du 11 mai 1989, RTE e.a./Commission, 76/89 R, 77/89 R et 91/89 R, Rec. p. 1141, point 15, de la Cour du 12 juillet 1996, Royaume-Uni/Commission, C-180/96 R, Rec. p. I-3903, point 89, et du président du Tribunal du 21 mars 1997, Antillean Rice Mills/Conseil, T-41/97 R, Rec. p. II-447, point 42).

47.
    Il convient de constater qu'une telle balance des intérêts penche, en l'espèce, en faveur du sursis à l'exécution de la décision attaquée.

48.
    En effet, il semble fort probable que l'exécution de la décision attaquée aurait pour conséquence la perte définitive pour les requérantes de leur position sur le marché, même si le juge au fond annule la décision attaquée.

49.
    À l'encontre des intérêts commerciaux des requérantes, la Commission fait valoir que le sursis à l'exécution de la décision attaquée pourrait porter atteinte à la santé publique. À cet égard, il importe de souligner que, en principe, les exigences liées à la protection de la santé publique doivent incontestablement se voir reconnaître un caractère prépondérant par rapport aux considérations économiques (ordonnance Royaume-Uni/Commission, précitée, point 93; arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Affish, C-183/95, Rec. p. I-4315, point 43; ordonnance du Tribunal du 15 septembre 1998, Infrisa/Commission, T-136/95, Rec. p. II-3301, point 58, et ordonnance du président du Tribunal du 30 juin 1999, Alpharma/Conseil, T-70/99 R, Rec. p. II-2027, point 152).

50.
    Toutefois, il doit être noté que, dans ce cadre, la référence à la protection de la santé publique ne saurait, à elle seule, exclure un examen des circonstances de l'espèce et, notamment, des faits qui s'y rattachent.

51.
    En l'espèce, la Commission a bien établi qu'il existe des incertitudes en ce qui concerne les risques associés aux médicaments contenant du fenproporex, même si ces risques sont légers. Néanmoins, alors que la décision du 9 décembre 1996 et la décision attaquée sont fondées sur des données tout à fait identiques, les mesures prises par la Commission en 1996 et en 2000 pour la sauvegarde de la santé publique à l'égard de ces risques divergent fondamentalement. Dans ces circonstances, la Commission était tenue de démontrer que les mesures de sauvegarde contenues dans la décision du 9 décembre 1996 se sont avérées insuffisantes pour protéger la santé publique, de telle sorte que les mesures de protection qu'elle a prises par la décision attaquée ne sont manifestement pas démesurées. La Commission n'est toutefois pas parvenue à en faire la démonstration.

52.
    En outre, il convient d'observer que le fait que les risques pour la santé ayant déterminé l'adoption de la décision attaquée avaient déjà été pris en compte dans la décision de la Commission du 9 décembre 1996 et avaient donné lieu à une modification des informations obligatoires concernant les médicaments prescrits sur ordonnance indique que la mise en oeuvre de la décision attaquée n'est pas urgente.

53.
    Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conditions requises pour l'octroi du sursis demandé sont réunies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

    

1.
    En ce qui concerne les parties requérantes, il est sursis à l'exécution de la décision de la Commission du 9 mars 2000 concernant le retrait des autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain qui contiennent les substances «Clobenzorex», «Fenbutrazat», «Fenproporex», «Mazindol», «Méfénorex», «Norpseudoéphédrine», «Phenmétrazine», «Phendimétrazine» et «Propylhexédrine» [C(2000) 608].

    

2.
    Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 31 octobre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'allemand.