Language of document : ECLI:EU:C:2024:377

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

29 avril 2024 (*)

« Pourvoi – Intervention – Organisation de protection des animaux – Intérêt à la solution du litige – Demande présentée après l’expiration du délai prévu à l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour »

Dans l’affaire C‑353/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 7 juin 2023,

Nouryon Performance Formulations BV, anciennement Nouryon Industrial Chemicals BV, établie à Amsterdam (Pays‑Bas), représentée initialement par Mes R. Cana et R. Spangenberg, avocats, Mme Z. Romata, solicitor, ainsi que par Me H. Widemann, avocat, puis par Me R. Cana, avocat, Mme Z. Romata, solicitor, et Me R. Spangenberg, avocat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Knoell NL BV, établie à Maarssen (Pays-Bas),

Grillo-Werke AG, établie à Duisbourg (Allemagne),

PCC Trade & Services GmbH, établie à Duisbourg,

parties demanderesses en première instance,

Commission européenne, représentée par MM. R. Lindenthal et K. Mifsud-Bonnici, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Royaume de Danemark,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. K. Bulterman et A. Hanje, en qualité d’agents,

Royaume de Suède,

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par M. W. Broere, Mme M. Heikkilä et M. N. Herbatschek, en qualité d’agents,

parties intervenantes en première instance,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR

vu la proposition de M. D. Gratsias, juge rapporteur,

l’avocat général, M. J. Richard de la Tour, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Nouryon Performance Formulations BV, anciennement Nouryon Industrial Chemicals BV, demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 mars 2023, Nouryon Industrial Chemicals e.a./Commission (T‑868/19, EU:T:2023:168), par lequel celui-ci a rejeté le recours introduit par Nouryon Industrial Chemicals, Knoell NL BV, Grillo-Werke AG et PCC Trade & Services GmbH tendant à obtenir l’annulation de la décision d’exécution C(2019) 7336 final de la Commission, du 16 octobre 2019, relative au contrôle de la conformité de l’enregistrement de l’oxyde de diméthyle, adoptée, sur renvoi de l’Agence européenne des produits chimiques, sur la base de l’article 51, paragraphe 7, du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) (ci-après la « décision litigieuse »).

2        Le 18 décembre 2023, un avis relatif à ce pourvoi a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2023, C 1429, p. 1), conformément à l’article 21, paragraphe 4, du règlement de procédure de la Cour.

3        Par acte déposé au greffe de la Cour le 7 février 2024, Cruelty Free Europe (ci-après « CFE ») a demandé, sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à être admise à intervenir au litige au soutien des conclusions de Nouryon Performance Formulations.

4        Le Royaume des Pays-Bas a présenté ses observations écrites sur cette demande le 16 février 2024. Nouryon Performance Formulations, la Commission européenne et l’Autorité européenne des produits chimiques (ECHA) ont présenté leurs observations à cet égard le 28 février 2024.

 Sur la demande d’intervention

 Argumentation des parties

5        À l’appui de sa demande d’intervention, CFE fait valoir, tout d’abord, qu’elle doit être regardée comme ayant un intérêt à la solution du litige dans la mesure où elle est une organisation de défense de l’environnement en ce sens qu’elle a pour objet principal de lutter contre l’expérimentation animale en Europe. Elle expose également que ses membres sont des associations dont elle coordonne l’action au niveau européen. Selon CFE, ces associations ont leur siège dans 17 États membres de l’Union européenne et agissent pour mettre un terme à l’expérimentation animale. CFE ajoute que, depuis le 11 septembre 2019, elle est accréditée en tant que partie intéressée auprès de l’ECHA, ce qui démontrerait qu’elle déploie ses activités à l’échelle de l’Union et qu’elle possède une expertise dans son domaine de compétence.

6        Ensuite, CFE souligne que, par la décision litigieuse, la Commission a imposé aux déclarants ayant déposé une demande d’enregistrement pour l’oxyde de diméthyle d’effectuer une étude de toxicité pour le développement prénatal sur le lapin et une étude étendue de toxicité pour la reproduction sur une génération à réaliser sur des rats. Ces études provoqueraient des souffrances aigües chez les animaux impliqués, de sorte que CFE aurait un intérêt à assurer qu’elles ne soient pas effectuées si elles ne sont pas requises par les dispositions pertinentes.

7        CFE met, enfin, en exergue deux questions que la Cour serait appelée à examiner dans le cadre du pourvoi, l’une concernant les conditions dans lesquelles une étude portant sur une deuxième espèce animale peut être demandée par l’ECHA ou la Commission et l’autre portant sur les principes régissant le contrôle de légalité des appréciations scientifiques impliquant une expertise en toxicologie.

8        La Commission, soutenue à cet égard par le Royaume des Pays-Bas et l’ECHA, expose que CFE n’a pas apporté la preuve qu’elle avait un intérêt à la solution du litige au sens de l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, un objectif statutaire large visant à réduire voire à éliminer les expérimentations sur les animaux ne saurait justifier un tel intérêt, qui devrait, en revanche, porter sur l’objet spécifique de l’affaire dont la Cour est saisie. Tel serait, selon la Commission, le cas si CFE était activement impliquée dans des programmes de protection ou d’études concernant la région et le secteur concernés dont la viabilité pourrait être menacée par l’adoption de la décision litigieuse. Or, cette condition ne serait pas remplie en l’espèce, CFE n’ayant, par ailleurs, pas participé à l’élaboration du projet de décision ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse.

 Appréciation du président de la Cour

9        Il résulte de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que toute personne physique ou morale est en droit d’intervenir à un litige soumis à l’une ou à l’autre des juridictions faisant partie de celle-ci, autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres et institutions de l’Union, si cette personne justifie d’un intérêt à la solution dudit litige.

10      La notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens de cette disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme visant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir (ordonnance du président de la Cour du 12 mars 2019, Allemagne/Esso Raffinage, C‑471/18 P, EU:C:2019:198, point 13 et jurisprudence citée).

11      Dans ce cadre, s’agissant, en particulier, des demandes d’intervention présentées par des organisations de défense de l’environnement, il résulte d’une jurisprudence constante l’exigence d’un « intérêt à la solution du litige » suppose, d’une part, que le champ d’action de ces organisations, tel qu’il découle de l’objet de celles-ci, consacré le cas échéant dans leurs statuts, présente un lien direct avec l’objet de ce litige et, d’autre part, que ledit litige soulève des questions de principe de nature à affecter les intérêts défendus par les organisations en cause (ordonnance du président de la Cour du 12 mars 2019, Allemagne/Esso Raffinage, C‑471/18 P, EU:C:2019:198, point 25 et jurisprudence citée).

12      En l’espèce, il convient de constater, tout d’abord, que, ainsi qu’il découle des articles 4 et 8 de ses statuts, joints à sa demande d’intervention, CFE est dans une situation analogue à celle d’une organisation de défense de l’environnement aux fins de l’application de cette jurisprudence, dès lors qu’elle a pour objet principal de lutter contre les expérimentations animales et d’agir, au niveau européen, en tant qu’organe de coordination de ses membres qui sont des associations poursuivant le même objet.

13      Ensuite, tel que délimité par les moyens du pourvoi, le litige soulève, notamment, des questions portant sur le standard selon lequel est effectué le contrôle juridictionnel d’un acte, tel que la décision litigieuse, déclarant qu’un dossier d’enregistrement d’une substance chimique n’est pas conforme aux exigences requises en matière d’études de toxicité à effectuer sur des espèces animales, alors qu’un tel acte comporte des appréciations hautement complexes qui concernent l’utilité des études demandées ainsi que l’existence d’une crainte raisonnable d’effets nocifs, suffisamment sérieux ou graves pour justifier la possibilité de neurotoxicité pour le développement.

14      Enfin, il résulte des arguments présentés par CFE à l’appui de sa demande que le champ d’action de cette organisation présente un lien direct avec l’objet du litige, dans la mesure où celle-ci a pour objectif de mener et de coordonner des campagnes contre l’expérimentation animale en Europe et de communiquer son opposition à ce type d’expérimentation en dévoilant les faits et les questions relatifs à une telle expérimentation. En outre, CFE produit une lettre de l’ECHA en vertu de laquelle cette organisation a été acceptée en tant que partie intéressée accréditée auprès de l’ECHA. Elle ajoute que, afin d’acquérir cette qualité, une organisation faîtière de plusieurs autres organisations doit déployer ses activités à l’échelle de l’Union et être représentative de son domaine de compétence. Dans ces conditions, le fait pour CFE d’avoir été acceptée en tant que partie intéressée accréditée auprès de l’ECHA confirme les allégations de cette organisation quant à la présence de ses membres sur le territoire de plusieurs États membres et au fait qu’elle possède une certaine compétence dans les questions relatives à l’expérimentation animale.

15      Il s’ensuit que les questions de principe faisant l’objet du pourvoi sont de nature à affecter les intérêts défendus par CFE.

16      Il y a, par conséquent, lieu de considérer que CFE justifie d’un intérêt à la solution du litige.

17      CFE a déposé sa demande d’intervention après l’expiration du délai visé à l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure mais avant la décision d’ouvrir la phase orale de la procédure dans la présente affaire.

18      Il convient de rappeler que, conformément à l’article 129, paragraphe 4, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de celui-ci, une demande d’intervention présentée après l’expiration du délai visé à l’article 190, paragraphe 2, de ce règlement mais avant la décision d’ouvrir la phase orale de la procédure « peut être prise en considération ».

19      Dès lors, si une telle demande est prise en considération, le dépassement dudit délai prive l’intervenant de la seule faculté de présenter un mémoire en intervention, prévue à l’article 132, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de celui-ci, mais lui laisse la possibilité de présenter ses observations lors de l’audience de plaidoiries, si celle-ci a lieu (ordonnance du président de la Cour du 26 janvier 2022, ITD et Danske Fragtmænd/Commission, C‑442/21 P, EU:C:2022:106, point 13).

20      En l’espèce, il y a lieu de prendre en considération la demande d’intervention présentée par CFE, au titre de l’article 129, paragraphe 4, du règlement de procédure, et d’admettre son intervention au soutien des conclusions de Nouryon Performance Formulations, conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 131, paragraphe 3, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190 de celui-ci.

21      Conformément à l’article 129, paragraphe 4, du règlement de procédure, CFE pourra donc présenter ses observations lors de l’audience de plaidoiries, si celle-ci a lieu.

22      En outre, en vertu de l’article 131, paragraphe 3, du règlement de procédure, CFE recevra communication de tous les actes de procédure signifiés aux parties.

 Sur les dépens

23      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance.

24      En l’espèce, la demande d’intervention de CFE étant accueillie, il y a lieu de réserver les dépens liés à l’intervention de cette dernière.

Par ces motifs, le président de la Cour ordonne :

1)      Cruelty Free Europe est admise à intervenir dans l’affaire C353/23 P au soutien des conclusions de Nouryon Performance Formulations BV.

2)      Cruelty Free Europe est autorisée à présenter ses observations lors de l’audience de plaidoiries, si celle-ci a lieu.

3)      Une copie de tous les actes de procédure sera signifiée à Cruelty Free Europe par les soins du greffier.

4)      Les dépens liés à l’intervention de Cruelty Free Europe sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.