Language of document : ECLI:EU:T:2021:782

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

10 novembre 2021 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un panneau de construction – Dessin ou modèle antérieur représentant un panneau pour mur antibruit – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Secteur concerné – Utilisateur averti – Degré de liberté du créateur – Absence d’impression globale différente – Pertinence des produits réellement commercialisés – Article 6 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑193/20,

Eternit, établie à Capelle-au-Bois (Belgique), représentée par Mes J. Muyldermans et P. Maeyaert, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. J. Ivanauskas et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Eternit Österreich GmbH, établie à Vöcklabruck (Autriche), représentée par Me M. Prohaska-Marchried, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 5 février 2020 (affaire R 1661/2018‑3), relative à une procédure de nullité entre Eternit Österreich et Eternit,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, E. Buttigieg et G. Hesse, juges,

greffier : Mme J. Pichon, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 10 avril 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 17 août 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 21 août 2020,

à la suite de l’audience du 21 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Eternit, est la titulaire du dessin ou modèle communautaire déposé le 15 septembre 2014 auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), et enregistré sous le numéro 2538140-0001.

2        Le dessin ou modèle contesté est représenté comme suit :

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3        Les produits auxquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être appliqué relèvent de la classe 25.01 au sens de l’arrangement de Locarno instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, du 8 octobre 1968, tel que modifié, et correspondent à la désignation suivante : « Panneaux [construction] ».

4        Le 12 décembre 2016, l’intervenante, Eternit Österreich GmbH, a introduit, en vertu de l’article 52 du règlement no 6/2002, une demande en nullité du dessin ou modèle contesté.

5        Le motif invoqué à l’appui de la demande en nullité était celui visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec les articles 4 à 8 de ce règlement.

6        L’intervenante a notamment fait valoir, dans sa demande en nullité, que le dessin ou modèle contesté n’était pas nouveau au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002, qu’il ne présentait pas de caractère individuel au sens de l’article 6 de ce règlement et que les caractéristiques de son apparence étaient exclusivement imposées par leur fonction technique au sens de l’article 8, paragraphe 1, du même règlement.

7        Le 28 juin 2018, la division d’annulation a adopté une décision par laquelle, d’une part, elle a conclu que l’intervenante n’avait pas démontré que le dessin ou modèle contesté se heurtait à l’exclusion de protection prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 et, d’autre part, elle a déclaré la nullité du dessin ou modèle contesté au motif qu’il était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002 par rapport à un dessin ou modèle divulgué le 4 mars 2013, c’est-à-dire avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, dans une brochure intitulée Lärmschutz, pour des panneaux de type « mur antibruit », accessible sur le site Internet « http ://www.rieder.at » , et qui était reproduit comme suit :

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8        Le 23 août 2018, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

9        Par décision du 5 février 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours, en concluant que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002, au motif que, pour l’utilisateur averti, il était globalement similaire au dessin ou modèle antérieur.

 Conclusion des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.

11      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

12      À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 6 du même règlement. Ce moyen est composé de trois branches, tirées d’erreurs d’appréciation que la chambre de recours aurait commises, premièrement, dans les définitions du secteur concerné et de l’utilisateur avisé, deuxièmement, dans la détermination du degré de liberté du créateur dans ledit secteur et, troisièmement, dans la conclusion relative aux impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit.

13      Il y a lieu de relever d’emblée que, au point 15 de la décision attaquée, la chambre de recours a indiqué que le dessin ou modèle antérieur avait été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. Cette constatation n’est pas contestée par les parties. Dès lors, c’est au regard du dessin ou modèle antérieur qu’il convient d’apprécier si le dessin ou modèle contesté est dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002.

 Sur la première branche concernant les définitions du secteur concerné et de l’utilisateur averti

14      Au point 18 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que les dessins ou modèles en conflit étaient des panneaux utilisés dans le secteur du bâtiment. Ainsi, indépendamment de la question de savoir si ces types de panneaux devraient être qualifiés de « murs antibruit », comme la requérante l’avait fait valoir pour le dessin ou modèle antérieur, ou de « panneaux de façade fibreux pour bâtiments », comme cela serait, selon la requérante, plus spécifiquement le cas pour le dessin ou modèle contesté, ils montreraient la même partie extérieure d’un produit, à savoir un panneau de construction. En outre, la chambre de recours a fait valoir que, conformément à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la protection conférée par un dessin ou modèle communautaire s’étendait à « tout dessin ou modèle » qui ne produisait pas sur l’utilisateur averti une impression globale différente et que, par conséquent, la protection d’un dessin ou modèle ne dépendait pas de la nature du produit dans lequel ce dessin ou modèle était incorporé ou auquel il était appliqué. Elle a fondé ce raisonnement sur l’arrêt du 21 septembre 2017, Easy Sanitary Solutions et EUIPO/Group Nivelles (C‑361/15 P et C‑405/15 P, EU:C:2017:720).

15      Aux points 19 à 21 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que l’utilisateur averti visé par l’article 6 du règlement no 6/2002 était, en l’espèce, le professionnel du secteur du bâtiment, par exemple un constructeur, un promoteur immobilier ou un architecte. Ce professionnel posséderait une certaine connaissance des différents panneaux de construction et ferait preuve d’un niveau d’attention relativement élevé. La chambre de recours a précisé à cet égard que la catégorisation préconisée par la requérante du secteur concerné par le dessin ou modèle contesté en tant que « panneaux de façade fibreux pour bâtiments » n’aurait pas d’influence significative sur la définition de l’utilisateur averti.

16      La requérante estime que la chambre de recours a commis une erreur de droit en ne définissant pas le secteur concerné et l’utilisateur averti de manière plus précise. Selon elle, il conviendrait de limiter le secteur concerné par le dessin ou modèle contesté à celui des « panneaux de façade pour bâtiments », lequel aurait des caractéristiques très spécifiques, plutôt qu’à celui des panneaux de construction en général. L’utilisateur averti serait alors celui des « panneaux de façade pour bâtiments » qui procéderait généralement à une comparaison directe des dessins ou modèles en cause en lisant des magazines et des sites Internet ou en inspectant les produits ou des échantillons dans les points de vente.

17      La requérante estime, en outre, que les enseignements de l’arrêt du 21 septembre 2017, Easy Sanitary Solutions et EUIPO/Group Nivelles (C‑361/15 P et C‑405/15 P, EU:C:2017:720), s’appliqueraient uniquement à l’expression « secteur concerné » figurant à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, de sorte qu’ils devraient être compris comme indiquant qu’il n’est pas nécessaire que l’utilisateur averti du produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est incorporé ou auquel il est appliqué connaisse le dessin ou modèle antérieur, lorsque ce dernier est incorporé dans un produit d’un secteur industriel différent de celui concerné par le dessin ou modèle contesté ou est appliqué à un tel produit. Or, si tous les dessins ou modèles, y compris ceux appartenant à des secteurs différents, devaient être pris en considération afin d’examiner le caractère individuel du dessin ou modèle contesté, cette prise en considération ne serait pertinente que dans le cadre de la quatrième et dernière étape de l’analyse, à savoir celle relative à la comparaison des impressions globales des dessins ou modèles en conflit. En revanche, les trois premières étapes de l’analyse, relatives à l’identification du secteur concerné, de l’utilisateur averti et du degré de liberté dont dispose le créateur dans ce secteur, ne devraient être effectuées que par rapport au dessin ou modèle contesté. Par ailleurs, ledit arrêt permettrait, voire imposerait, de prendre en compte les produits effectivement commercialisés dans lesquels le dessin ou modèle contesté est incorporé ou doit être appliqué.

18      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

 Principes applicables

19      À titre liminaire, il y a lieu de préciser, au regard des argumentaires divergents des parties à cet égard, le cadre analytique de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002. En particulier, il convient de clarifier si le secteur concerné, l’utilisateur averti et le degré de liberté du créateur doivent être définis par rapport au seul dessin ou modèle contesté. Il importe, en outre, de préciser si les produits effectivement commercialisés dans lesquels les dessins ou modèles en conflit sont incorporés ou auxquels ils sont appliqués revêtent une pertinence dans le cadre de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

20      En premier lieu, s’agissant du cadre analytique de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 prévoit notamment qu’un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement. L’article 6, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 précise que, pour apprécier le caractère individuel d’un dessin ou modèle, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration de celui-ci.

21      L’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au sens de la disposition susmentionnée procède, selon une jurisprudence constante, en substance, d’un examen en quatre étapes. Cet examen consiste à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention aux similitudes et aux différences dans la comparaison des dessins ou modèles, troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, dont l’influence sur le caractère individuel est en proportion inverse et, quatrièmement, en tenant compte de celui-ci, le résultat de la comparaison, directe si possible, des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public, pris individuellement [voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 66 et jurisprudence citée].

22      Il convient de préciser que si la première étape de l’analyse, à savoir la détermination du secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, ne ressort pas explicitement du libellé de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, cette étape est en réalité un préalable nécessaire pour définir l’utilisateur averti et la liberté du créateur, ces dernières notions étant explicitement reprises par l’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement no 6/2002. À cet égard, le Tribunal a déjà eu l’occasion de relever que l’identification du produit visé par le dessin ou modèle en cause permettait de déterminer l’utilisateur averti et le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle [arrêts du 18 mars 2010, Grupo Promer Mon Graphic/OHMI – PepsiCo (Représentation d’un support promotionnel circulaire), T‑9/07, EU:T:2010:96, point 56, et du 21 juin 2018, Haverkamp IP/EUIPO – Sissel (Tapis de sol), T‑227/16, non publié, EU:T:2018:370, point 39].

23      En deuxième lieu, s’agissant de la question de savoir à quelle étape de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002 il y a lieu de prendre en considération chacun des dessins ou modèles en conflit, il convient de souligner que, dès lors que l’objet de l’appréciation au titre de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, en relation avec l’article 25, paragraphe 1, sous b), du même règlement, est le caractère individuel du dessin ou modèle contesté, il est logique de déterminer le secteur concerné, l’utilisateur averti et le degré de liberté du créateur dans son élaboration au regard des produits auxquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou appliqué.

24      En effet, il ressort du considérant 14 du règlement no 6/2002 que l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle devrait consister à déterminer s’il existe une différence claire entre l’impression globale qu’il produit sur un utilisateur averti qui le regarde et celle produite sur lui par le patrimoine des dessins ou modèles, compte tenu de la nature du produit auquel « le dessin ou modèle » s’applique ou dans lequel « celui-ci » est incorporé et, notamment, du secteur industriel dont « il » relève et du degré de liberté du créateur dans l’élaboration « du dessin ou modèle ». La référence, au singulier, au « dessin ou modèle » afin de déterminer le secteur industriel dont « il » relève et le degré de liberté du créateur dans son élaboration, par opposition à l’emploi de la notion de « patrimoine des dessins ou modèles », laquelle englobe la pluralité des dessins ou modèles existants, indique clairement que ce n’est que par rapport au dessin ou modèle dont le caractère individuel est apprécié, en l’espèce le dessin ou modèle contesté, que les trois premières étapes de l’analyse, à savoir celles relatives à la détermination du secteur concerné, de l’utilisateur averti et du degré de liberté du créateur, doivent être effectuées.

25      En revanche, le dessin ou modèle antérieur n’entre pas en ligne de compte dans l’examen des trois premières étapes de l’appréciation rappelée au point 21 ci-dessus. En effet, le caractère individuel du dessin ou modèle contesté peut être détruit par un dessin ou modèle antérieur destiné à être appliqué à des produits relevant d’un secteur tout à fait distinct de celui dont relèvent les produits concernés par le dessin ou modèle contesté. Ainsi, il ressort du libellé de l’article 7, paragraphe 1, première phrase, du règlement no 6/2002 que cette disposition fait uniquement dépendre l’existence d’une divulgation d’un dessin ou modèle au public des modalités factuelles de cette divulgation et non pas du produit dans lequel ce dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auquel il est destiné à être appliqué (arrêt du 21 septembre 2017, Easy Sanitary Solutions et EUIPO/Group Nivelles, C‑361/15 P et C‑405/15 P, EU:C:2017:720, point 99). La Cour a précisé que rien dans cette disposition ne permet de considérer qu’il soit nécessaire que l’utilisateur averti du produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est incorporé ou auquel il est appliqué connaisse le dessin ou modèle antérieur, lorsque ce dernier est incorporé dans un produit d’un secteur industriel différent de celui concerné par le dessin ou modèle contesté ou est appliqué à un tel produit (arrêt du 21 septembre 2017, Easy Sanitary Solutions et EUIPO/Group Nivelles, C‑361/15 P et C‑405/15 P, EU:C:2017:720, point 131). Partant, étant donné que le dessin ou modèle antérieur peut relever d’un secteur tout à fait différent, caractérisé par un utilisateur averti et une liberté du créateur distincts, il est dépourvu de pertinence aux fins de la détermination du secteur concerné par le dessin ou modèle contesté, de l’utilisateur averti de celui-ci et de la liberté de son créateur.

26      La requérante a donc raison de soutenir que les trois premières étapes de l’analyse s’effectuent par rapport au seul dessin ou modèle contesté, ce que, au demeurant, l’EUIPO admet également.

27      Quant à la quatrième et dernière étape de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté, il convient de tenir compte tant du dessin ou modèle contesté que du dessin ou modèle antérieur. En effet, comme cela est rappelé au point 21 ci-dessus, cette étape consiste à comparer les impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit, ce qui implique la prise en compte de chacun d’entre eux.

28      En troisième lieu, s’agissant de la question de savoir si les produits effectivement commercialisés dans lesquels les dessins ou modèles en conflit sont incorporés ou auxquels ils sont appliqués revêtent une pertinence dans le cadre de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002, il convient de constater que, comme le fait valoir à juste titre la requérante, la jurisprudence admet, sous conditions, la possibilité de prendre en compte les produits effectivement commercialisés qui sont concernés par les dessins ou modèles en conflit.

29      En effet, selon la jurisprudence, il n’est pas erroné de prendre en compte, lors de l’évaluation de l’impression globale des dessins ou modèles en cause, les produits effectivement commercialisés et correspondant à ces dessins ou modèles [voir, en ce sens, arrêts du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 73, et du 29 avril 2020, Bergslagernas Järnvaru/EUIPO – Scheppach Fabrikation von Holzbearbeitungsmaschinen (Outil pour fendre le bois), T‑73/19, non publié, EU:T:2020:157, point 39].

30      Toutefois, la prise en compte, à titre d’illustration lors de la comparaison des impressions globales, des produits effectivement commercialisés ne vaut que dans la mesure où les produits correspondent aux dessins ou modèles tels qu’enregistrés [arrêts du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, points 73 et 74, et du 6 juin 2019, Porsche/EUIPO – Autec (Véhicules motorisés), T‑209/18, EU:T:2019:377, point 76].

31      Il convient de rappeler, en outre, que, conformément à l’article 3, sous a), du règlement no 6/2002, un « dessin ou modèle » est défini comme « l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation ». La protection d’un dessin ou modèle au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 consiste donc en la protection de l’apparence d’un produit. Il ressort à cet égard du considérant 12 du règlement no 6/2002 que la protection ne devrait pas être étendue aux pièces qui ne sont pas visibles lors d’une utilisation normale d’un produit, ni aux caractéristiques d’une pièce qui ne sont pas visibles lorsque celle-ci est montée [voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2014, Biscuits Poult/OHMI – Banketbakkerij Merba (Biscuit), T‑494/12, EU:T:2014:757, points 22 à 24, et du 3 octobre 2014, Cezar/OHMI – Poli-Eco (Insert), T‑39/13, EU:T:2014:852, point 40].

32      Ainsi, si la représentation graphique ou photographique du dessin ou modèle en cause ne permet pas, à elle seule, de déterminer quels aspects de celui-ci seraient visibles ou la façon dont le dessin ou modèle sera perçu sur le plan visuel, il est loisible de tenir compte, précisément à cette fin, des produits effectivement commercialisés ou de leur mode d’utilisation.

33      Il s’ensuit que les produits effectivement commercialisés auxquels les dessins ou modèles en conflit sont appliqués ou dans lesquels ils sont incorporés ne peuvent être pris en considération qu’à des fins illustratives, pour déterminer les aspects visuels desdits dessins ou modèles. Une telle prise en considération n’est toutefois permise qu’à condition que les produits effectivement commercialisés correspondent aux dessins ou modèles tels qu’enregistrés. Ainsi, il ne saurait être tenu compte d’un produit effectivement commercialisé si le dessin ou modèle qui lui est appliqué ou auquel il est incorporé diverge du dessin ou modèle tel qu’enregistré ou s’il laisse apparaître des caractéristiques qui ne ressortent pas clairement de la représentation graphique dudit dessin ou modèle, telle qu’enregistrée.

34      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient de procéder à l’examen de la première branche du moyen unique.

 Sur le secteur concerné

35      Ainsi qu’il ressort du point 21 ci-dessus, la première étape de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté consiste à déterminer le secteur des produits concernés par ce dessin ou modèle.

36      À cette fin, il convient de tenir compte de l’indication des produits dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, telle qu’elle figure dans la demande d’enregistrement. En effet, conformément à l’article 36, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, la demande d’enregistrement doit contenir l’indication des produits dans lesquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué.

37      Il convient de tenir compte également, le cas échéant, du dessin ou modèle lui‑même, dans la mesure où il précise la nature du produit, sa destination ou sa fonction. En effet, la prise en compte du dessin ou modèle lui‑même peut permettre d’identifier le produit au sein d’une catégorie de produits plus large indiquée lors de l’enregistrement et, par conséquent, de déterminer effectivement l’utilisateur averti et le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle (arrêts du 18 mars 2010, Représentation d’un support promotionnel circulaire, T‑9/07, EU:T:2010:96, point 56, et du 21 juin 2018, Tapis de sol, T‑227/16, non publié, EU:T:2018:370, point 39).

38      En l’espèce, premièrement, il ressort de la description accompagnant la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté que les produits visés par celui-ci étaient décrits comme des « panneaux [construction] », relevant de la classe 25.01 au sens de l’arrangement de Locarno. La requérante a donc elle-même choisi de ne pas limiter l’enregistrement du dessin ou modèle contesté aux seuls panneaux de façade pour bâtiments. En effet, les « panneaux [construction] », indiqués dans ladite demande, se rapportent sans limitation au secteur du bâtiment au sens large.

39      Deuxièmement, s’agissant des représentations du dessin ou modèle contesté, reproduites au point 2 ci-dessus, force est de constater qu’elles ne font pas davantage apparaître la nature des produits dans lesquels ce dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, leur destination ou leur fonction. En effet, aucun élément dudit dessin ou modèle n’indique que celui-ci est destiné à être appliqué uniquement sur des panneaux de façade pour bâtiments, à l’exclusion de tout autre panneau de construction.

40      Dans ces conditions, la chambre de recours a pu considérer, sans commettre d’erreur, que le secteur concerné était celui des panneaux de construction.

41      La requérante cherche à remettre en cause cette conclusion, en insistant, en substance, sur le fait que les produits qu’elle commercialise sur le marché et auxquels elle applique le dessin ou modèle contesté seraient exclusivement des panneaux de façade pour bâtiments. Cet argument repose ainsi sur la prémisse selon laquelle le secteur concerné par le dessin ou modèle contesté doit être déterminé en fonction exclusivement des produits effectivement commercialisés sur le marché.

42      Toutefois, cette prémisse ne saurait être retenue. En effet, d’une part, une telle prémisse ne repose sur aucune disposition du règlement no 6/2002. Qui plus est, elle aurait pour conséquence de priver de toute pertinence les indications qui doivent obligatoirement figurer dans la demande d’enregistrement, telles qu’énumérées à l’article 36, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, en les remplaçant par des informations tirées de la situation momentanée du marché. Or, cette dernière a, par définition, vocation à évoluer, la gamme des produits, tels qu’effectivement commercialisés, pouvant varier considérablement dans le temps en fonction d’une multitude de facteurs, tels que la stratégie commerciale du titulaire, l’offre et la demande ou encore le succès ou l’échec sur le marché d’un produit donné.

43      D’autre part, si, conformément aux principes rappelés aux points 29 à 33 ci-dessus, il n’est pas erroné de prendre en compte les produits effectivement commercialisés sur le marché, cette prise en compte n’est permise qu’à titre d’illustration afin de déterminer les aspects visuels du dessin ou modèle en cause, et à condition que lesdits produits correspondent au dessin ou modèle tel qu’enregistré. Ainsi, si l’examen du dessin ou modèle contesté, tel qu’enregistré, fait lui-même apparaître qu’il s’agit d’une catégorie particulière au sein d’une catégorie de produits plus large indiquée lors de l’enregistrement, il est permis de tenir compte de cette catégorie particulière (arrêt du 18 mars 2010, Représentation d’un support promotionnel circulaire, T‑9/07, EU:T:2010:96, points 59 et 60). En revanche, si l’examen du dessin ou modèle contesté ne fait pas lui-même apparaître qu’il vise une catégorie de produits plus restreinte, comme en l’espèce, la seule référence aux produits effectivement commercialisés sur le marché ne saurait conduire à définir autrement le secteur concerné.

44      La requérante observe en outre, à juste titre, que la chambre de recours s’est erronément référée, lors de la définition du secteur concerné, aux points 17 et 18 de la décision attaquée, tant au dessin ou modèle contesté qu’au dessin ou modèle antérieur. Or, comme il ressort des points 23 à 27 ci‑dessus, lors de la première étape de l’analyse, il convient de s’en tenir au seul dessin ou modèle contesté, ce que, au demeurant, l’EUIPO ne conteste pas.

45      Toutefois, cette imprécision n’a pas d’impact sur la légalité de la décision attaquée, pour autant que la chambre de recours a défini correctement le secteur concerné pour l’examen du caractère individuel du dessin ou modèle contesté, à savoir celui des panneaux de construction, ainsi que cela ressort des points 36 à 40 ci-dessus.

46      Partant, il convient d’écarter les arguments de la requérante concernant la définition du secteur concerné par le dessin ou modèle contesté.

 Sur l’utilisateur averti

47      Selon la jurisprudence, la notion d’utilisateur averti doit être comprise comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui, en général, n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d’homme de l’art, expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’un niveau d’attention moyen, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 53).

48      Par ailleurs, la notion d’utilisateur averti, créée précisément pour les besoins de l’analyse du caractère individuel d’un dessin ou modèle sur le fondement de l’article 6 du règlement no 6/2002, ne saurait être définie que de manière générale, en tant que référence à une personne qui présente des qualités standard, et non pas au cas par cas par rapport à une utilisation particulière du dessin ou modèle contesté (voir, par analogie, arrêt du 6 juin 2019, Véhicules motorisés, T‑209/18, EU:T:2019:377, point 37).

49      S’agissant plus précisément du niveau d’attention de l’utilisateur averti, si celui-ci n’est pas le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé qui perçoit habituellement un dessin ou un modèle comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails, il n’est pas non plus l’expert ou l’homme de l’art capable d’observer dans le détail les différences minimes susceptibles d’exister entre les dessins ou modèles en cause. Ainsi, le qualificatif « averti » suggère que, sans être un concepteur ou un expert technique, l’utilisateur connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d’un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement et, du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d’un niveau d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise (voir arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 59 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, au vu de la jurisprudence rappelée aux points 47 à 49 ci‑dessus, et dès lors que le secteur concerné par le dessin ou modèle contesté est celui des panneaux de construction, la chambre de recours pouvait considérer à juste titre que l’utilisateur averti était le professionnel du secteur du bâtiment, par exemple un constructeur, un promoteur immobilier ou un architecte, qui possédait une certaine connaissance des différents panneaux de construction et faisait preuve d’un niveau d’attention élevé.

51      L’argument de la requérante tendant à définir l’utilisateur averti comme étant celui « des panneaux de façade pour bâtiments » doit donc être rejeté pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 38 et 39 ci-dessus.

52      Par ailleurs, si la requérante considère que le secteur concerné devait être déterminé de manière plus restreinte en tant que celui des seuls panneaux de façade pour bâtiments, elle ne fait pas valoir, en revanche, que l’utilisateur averti ainsi défini aurait un niveau d’attention différent de celui du professionnel du secteur du bâtiment.

53      Il s’ensuit que la chambre de recours pouvait considérer, sans commettre d’erreur d’appréciation, que l’utilisateur averti en l’espèce était le professionnel du secteur du bâtiment, faisant preuve d’un niveau d’attention élevé.

54      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche du moyen unique comme étant non fondée.

 Sur la deuxième branche relative au degré de liberté du créateur du dessin ou modèle contesté

55      La chambre de recours a considéré, au point 24 de la décision attaquée, que la liberté du créateur dans l’élaboration de panneaux de construction était restreinte dans une certaine mesure par le fait que lesdits panneaux remplissaient la fonction technique consistant à fournir une résistance aux intempéries ou avaient d’autres propriétés, par exemple des propriétés acoustiques, de résistance au feu et des propriétés structurelles, par le fait qu’ils devaient être solidement fixés au mur, sur la façade ou sur le toit et par le fait qu’ils devaient améliorer l’esthétique d’un bâtiment. Cependant, le créateur disposerait d’un degré de liberté considérable en ce qui concerne les types, les formes, les couleurs et les motifs de surface. La chambre de recours a en outre estimé que la requérante n’avait pas prouvé l’existence d’une saturation de l’état de l’art antérieur. La chambre de recours a relevé, au point 35 de la décision attaquée, que les caractéristiques communes des dessins ou modèles en conflit concernaient des éléments à l’égard desquels le créateur jouissait d’un degré moyen de liberté.

56      La requérante fait valoir que la liberté du créateur doit être appréciée en fonction du secteur des « panneaux de façade pour bâtiments ». Ainsi, le dessin ou modèle contesté serait largement dicté par les fonctions de ces panneaux. Ces contraintes auraient une incidence sur la conception de la surface des panneaux, laquelle devrait nécessairement être assez plate et contenir généralement un jeu de lignes et de couleurs. Le nombre de couleurs étant limité, de même que les motifs « lorsqu’on travaille avec des lignes », la liberté du créateur ne serait pas illimitée ou considérable. Selon la requérante, il semblerait y avoir une certaine saturation de l’état de l’art pour les panneaux de façade pour bâtiments avec un dessin linéaire. Dès lors, la liberté dont disposerait le créateur des panneaux de façade pour bâtiments serait, au mieux, moyenne.

57      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

58      Selon la jurisprudence, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est défini à partir, notamment, des contraintes liées aux caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ou d’un élément du produit, ou encore des prescriptions légales applicables au produit. Ces contraintes conduisent à une normalisation de certaines caractéristiques, devenant alors communes à plusieurs dessins ou modèles appliqués au produit concerné (arrêt du 18 mars 2010, Représentation d’un support promotionnel circulaire, T‑9/07, EU:T:2010:96, point 67).

59      La liberté du créateur est, dans ce contexte, un facteur qui permet plutôt de nuancer l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté, et non un facteur autonome déterminant la distance requise entre deux dessins ou modèles pour que l’un d’eux puisse se prévaloir d’un caractère individuel. Autrement dit, le facteur relatif au degré de liberté du créateur peut renforcer ou, a contrario, nuancer la conclusion quant à l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par chaque dessin ou modèle en cause (voir arrêt du 6 juin 2019, Véhicules motorisés, T‑209/18, EU:T:2019:377, point 48 et jurisprudence citée).

60      L’influence du facteur lié à la liberté du créateur sur le caractère individuel varie en fonction d’une règle de proportionnalité inverse. Ainsi, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. À l’inverse, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. En d’autres termes, un degré élevé de liberté du créateur renforce la conclusion selon laquelle les dessins ou modèles sans différences significatives produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti et, partant, le dessin ou modèle contesté ne présente pas de caractère individuel. À l’inverse, un faible degré de liberté du créateur favorise la conclusion selon laquelle les différences suffisamment marquées entre les dessins ou modèles produisent une impression globale dissemblable sur l’utilisateur averti et, partant, le dessin ou modèle contesté présente un caractère individuel (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 76 et jurisprudence citée).

61      En l’espèce, premièrement, il convient de constater que, pour les raisons exposées aux points 35 à 54 ci-dessus, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en examinant la liberté du créateur de « panneaux de construction » et non celle du créateur de « panneaux de façade pour bâtiments ».

62      Deuxièmement, la requérante considère elle‑même que la liberté de créateur de panneaux de façade pour bâtiments serait moyenne, ce que la chambre de recours a également relevé, en substance, aux points 24 et 35 de la décision attaquée, quant à la liberté du créateur de panneaux de construction.

63      Troisièmement, l’argument de la requérante selon lequel la surface des panneaux en cause contient généralement un jeu de lignes et de couleurs et selon lequel, « lorsque l’on travaille avec des lignes », la liberté du créateur ne serait pas illimitée ou considérable ne saurait prospérer. En effet, la requérante ne démontre pas que les panneaux pour bâtiments, ni d’ailleurs les panneaux de façade pour bâtiments, doivent nécessairement comporter des dessins linéaires, sous la forme de crêtes et de creux linéaires, et certaines couleurs, à l’exclusion donc de toute autre forme ou couleur. S’il ne pouvait pas être exclu qu’il existe une telle tendance générale en matière de design des panneaux pour bâtiments, y compris les panneaux de façade pour bâtiments, cette circonstance ne peut être considérée comme un facteur de limitation de la liberté du créateur, dès lors que c’est précisément cette liberté du créateur qui lui permet de découvrir de nouvelles formes, de nouvelles tendances, ou encore d’innover dans le cadre d’une tendance existante [arrêt du 13 novembre 2012, Antrax It/OHMI – THC (Radiateurs de chauffage), T‑83/11 et T‑84/11, EU:T:2012:592, point 95].

64      Par ailleurs, la question de savoir si un dessin ou modèle suit ou non une tendance générale en matière de design est pertinente, tout au plus, concernant la perception esthétique du dessin ou modèle concerné et peut donc, éventuellement, exercer une influence sur le succès commercial du produit dans lequel ce dernier est incorporé. En revanche, une telle question est sans pertinence dans le cadre de l’examen du caractère individuel du dessin ou modèle concerné, qui consiste à vérifier si l’impression globale produite par ce dernier se différencie des impressions globales produites par les dessins ou modèles divulgués antérieurement, indépendamment des considérations esthétiques ou commerciales [arrêts du 22 juin 2010, Shenzhen Taiden/OHMI – Bosch Security Systems (Équipement de communication), T‑153/08, EU:T:2010:248, point 58 ; du 4 février 2014, Sachi Premium-Outdoor Furniture/OHMI – Gandia Blasco (Fauteuil), T‑357/12, non publié, EU:T:2014:55, point 24, et du 17 novembre 2017, Ciarko/EUIPO – Maan (Hotte de cuisine), T‑684/16, non publié, EU:T:2017:819, point 58].

65      Au demeurant, si la requérante soutient qu’il existe une saturation de l’état de l’art, il suffit de constater, à l’instar de la chambre de recours au point 25 de la décision attaquée, que la requérante n’a pas démontré, par des éléments de preuve concrets et pertinents, l’existence d’une telle saturation.

66      Partant, la deuxième branche du moyen unique doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la troisième branche relative à la comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit

67      En l’espèce, les dessins ou modèles à comparer sont les suivants :

Dessin ou modèle contesté

Dessin ou modèle antérieur

1.1Image not found

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1.2Image not found


1.3Image not found


1.4Image not found


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68      La chambre de recours a estimé, aux points 31 à 35 de la décision attaquée, que les dessins ou modèles en conflit partageaient les caractéristiques suivantes : a) des surfaces linéaires planes définies par les multiples crêtes et creux parallèles ; b) des crêtes et des creux placés dans des proportions égales et parallèlement sur toute la surface ; c) une structure identique en flancs ascendants et descendants abrupts reliant le creux à la crête ; d) une suite identique de flancs ascendants vers la crête et de flancs descendants vers le creux ; et e) des largeurs similaires entre les crêtes et les creux. Ainsi, selon la chambre de recours, les dessins ou modèles en conflit produisaient la même impression globale sur l’utilisateur averti.

69      En premier lieu, la requérante met en exergue plusieurs différences entre les dessins ou modèles en conflit, lesquelles créeraient des impressions globales différentes, à savoir :

–        premièrement, le dessin ou modèle contesté contiendrait beaucoup plus de lignes (crêtes et rainures) par unité de surface ;

–        deuxièmement, le dessin ou modèle contesté présenterait des crêtes ou des protubérances qui émergeraient subtilement des plaques (2 mm), en marquant un angle obtus vers les rainures d’environ 100 degrés, ce qui créerait une structure légèrement trapézoïdale alors que le dessin ou modèle antérieur ne présenterait pas une telle structure trapézoïdale ;

–        troisièmement, dans le dessin ou modèle contesté, les surfaces planes supérieures des crêtes seraient un peu plus petites par rapport aux dimensions des rainures plates selon un ratio d’environ 1/1,5 alors que dans le dessin ou modèle antérieur les crêtes seraient au moins aussi grandes que les rainures (ratio de 1/1) ;

–        quatrièmement, dans le dessin ou modèle contesté, la hauteur des crêtes (2 mm) serait nettement inférieure aux dimensions des rainures plates (12 mm), alors qu’il semblerait que dans le dessin ou modèle antérieur les crêtes seraient beaucoup plus visibles ;

–        cinquièmement, le dessin ou modèle contesté présenterait une texture laineuse (fibres-ciment) dans des nuances de gris contrastées, alors que le dessin antérieur semblerait consister en une surface lisse à l’aspect clinique, exécutée dans une couleur vert kaki et,

–        sixièmement, les produits réels auxquels les dessins ou modèles en conflit sont appliqués montreraient clairement que ceux-ci auraient des dimensions et des mesures entièrement différentes, les crêtes du dessin ou modèle antérieur étant beaucoup plus larges que celles du dessin ou modèle contesté.

70      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

71      Selon une jurisprudence constante, le caractère individuel d’un dessin ou modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de « déjà vu », du point de vue de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte de différences demeurant insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale, bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables [voir arrêt du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 53 et jurisprudence citée].

72      La comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit doit être synthétique et ne peut se borner à la comparaison analytique d’une énumération de similitudes et de différences. Cette comparaison doit prendre pour base les caractéristiques divulguées du dessin ou modèle contesté et doit porter uniquement sur les caractéristiques protégées, sans tenir compte des caractéristiques, notamment techniques, exclues de la protection. Ladite comparaison doit porter sur les dessins ou modèles, en principe, tels qu’enregistrés, sans qu’il puisse être exigé du demandeur en nullité une reproduction graphique du dessin ou modèle invoqué, comparable à la représentation figurant dans la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 84 et jurisprudence citée).

73      En l’espèce, tout d’abord, il convient de relever, à l’instar de la chambre de recours, que les deux dessins ou modèles partagent une forme très similaire et contiennent des éléments analogues, disposés de manière comparable, à savoir une surface linéaire plate striée contenant de multiples crêtes et creux parallèles. Ensuite, les impressions des proportions entre les crêtes et les creux, notamment leurs largeurs, placés parallèlement sur la surface, sont très similaires. Enfin, la structure en flancs ascendants et descendants reliant le creux à la crête est très similaire.

74      Quant aux différences entre les dessins ou modèles en conflit mises en exergue par la requérante, il convient de relever que les première à quatrième et la sixième différences, mentionnées au point 69 ci-dessus, portent sur les dimensions, l’inclinaison et les proportions alléguées des différents éléments des dessins ou modèles en conflit.

75      À cet égard, d’une part, dans la mesure où la protection demandée porte sur des dessins ou modèles, indépendamment des dimensions concrètes des produits auxquels ces dessins ou modèles sont destinés à être appliqués, des allégations liées à de telles dimensions sont dépourvues de toute pertinence dans le cadre de la comparaison des impressions d’ensemble produites par les dessins ou modèles en conflit (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2012, Radiateurs de chauffage, T‑83/11 et T‑84/11, EU:T:2012:592, point 67).

76      D’autre part, et fait essentiel, les différences alléguées ne ressortent pas avec suffisamment de clarté de la comparaison des représentations des dessins ou modèles en conflit. En particulier, les dimensions et les proportions du dessin ou modèle contesté, invoquées par la requérante, ne ressortent pas de la représentation de celui-ci, telle qu’enregistrée.

77      En tout état de cause, comme la chambre de recours l’a relevé à juste titre au point 32 de la décision attaquée, l’utilisateur averti ne prêtera pas une attention particulière aux proportions exactes entre les crêtes et les creux ou encore au degré des différents angles. Cet utilisateur prêtera plutôt une attention particulière à la forme globale des dessins ou modèles et à leurs caractéristiques communes qui, dans leur ensemble, donnent une impression de similitude des dessins ou modèles comparés, à savoir la surface linéaire plane définie par une suite visuellement analogue de plusieurs crêtes et creux, de structure semblable et de proportions, qui, même différentes, ne sont pas à même d’éviter toute impression de « déjà vu » au sens de la jurisprudence rappelée au point 71 ci-dessus.

78      Certes, comme cela est souligné aux points 29 à 33 ci-dessus, les produits réellement commercialisés auxquels les dessins ou modèles en conflit sont destinés à être appliqués peuvent être pris en compte, à titre illustratif, lors de cette étape de l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté, afin de déterminer les parties visibles de ceux-ci et la façon dont ils seront perçus. À cet égard, force est de constater, à l’instar de la chambre de recours, que les modèles ou modèles en conflit sont normalement observés d’une certaine distance, qu’il s’agisse de façades de bâtiments ou de murs antibruit. Par conséquent, les différences éventuelles dans le nombre de lignes et dans la proportion des dimensions des crêtes ou de protubérances joueraient un rôle mineur dans les impressions globales créées par les dessins ou modèles en conflit.

79      Quant à la cinquième différence invoquée au point 69 ci-dessus, relative à la texture du dessin ou modèle contesté, il n’est certes pas exclu, comme le fait valoir la requérante, que l’image no 1.3 de celui-ci, qui offre une vue latérale dudit dessin ou modèle, puisse être interprétée, à la suite d’un examen particulièrement minutieux, comme faisant apparaître une texture laineuse, laquelle est absente dans la représentation du dessin ou modèle antérieur. Cependant, en l’absence de toute autre indication dans la demande d’enregistrement, ladite image peut également suggérer que le panneau en cause a été découpé, de sorte que la texture « laineuse » mise en exergue par la requérante pourrait aussi paraître, sur ladite image, tout simplement comme des surfaces légèrement froissées sur les parties latérales à la suite d’un découpage, ou, comme le fait valoir l’EUIPO, comme de simples défauts dans le matériau utilisé. Par ailleurs, ainsi que le souligne à juste titre la chambre de recours au point 33 de la décision attaquée, la face supérieure des dessins ou modèles en conflit est la seule surface visible une fois les panneaux fixés sur des bâtiments ou des murs, de sorte que la vue latérale no 1.3 était moins pertinente.

80      Dans ces circonstances, et ainsi que le souligne à juste titre l’EUIPO, la représentation du dessin ou modèle contesté, telle qu’enregistrée, et en l’absence de toute autre indication en ce sens dans la demande d’enregistrement, ne permet pas de détecter de manière suffisamment claire l’existence alléguée d’une telle texture.

81      Au demeurant, comme l’a indiqué à bon droit la chambre de recours au point 33 de la décision attaquée, l’utilisateur averti est vraisemblablement conscient du fait que la texture de la surface d’un panneau de construction peut dépendre du matériel utilisé et, par conséquent, la possibilité de l’emploi de différents matériaux ne saurait suffire à créer une impression globale différente.

82      Par ailleurs, quant à l’argument de la requérante tiré d’une différence dans les couleurs des dessins ou modèles en conflit, l’EUIPO a raison de soutenir que, étant donné que le dessin ou modèle contesté est enregistré en noir et blanc, toute couleur utilisée dans le dessin ou modèle antérieur est dénuée de pertinence aux fins de leur comparaison dans la mesure où aucune couleur n’a été revendiquée pour le dessin ou modèle contesté [voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2011, Sphere Time/OHMI – Punch (Montre attachée à une lanière), T‑68/10, EU:T:2011:269, point 82, et du 7 février 2018, Şölen Çikolata Gıda Sanayi ve Ticaret/EUIPO – Zaharieva (Boîte présentoir à cornets), T‑793/16, non publié, EU:T:2018:72, point 67].

83      En second lieu, la requérante fait valoir que la chambre de recours a commis une erreur en omettant de prendre en compte les produits réels dans lesquels les dessins ou modèles en conflit sont incorporés ou sont destinés à être appliqués afin de définir avec précision le dessin ou modèle antérieur.

84      Force est de constater à cet égard que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, la chambre de recours a tenu compte des produits auxquels les dessins ou modèles en conflit sont appliqués et de leur mode d’utilisation. En effet, par exemple, comme cela est relevé au point 79 ci-dessus, la chambre de recours a constaté que la face supérieure des dessins ou modèles en conflit était la seule surface visible une fois les panneaux fixés sur des bâtiments ou des murs, de sorte que la vue latérale no 1.3 était moins pertinente. De même, au point 34 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que l’utilisateur averti savait pertinemment que les panneaux de construction pouvaient être découpés bord à bord pour s’adapter à la taille et à la forme du bâtiment afin de former une surface homogène et qu’il n’avait donc aucune raison de compter le nombre exact de crêtes. Ces considérations reposent ainsi sur le mode d’utilisation des produits visés par les dessins ou modèles en conflit, dans la mesure où il a une incidence sur la façon dont lesdits dessins ou modèles sont visualisés par l’utilisateur averti.

85      Partant, force est de conclure, à l’instar de la chambre de recours, que, compte tenu du degré moyen de liberté du créateur du dessin ou modèle contesté, ce dessin ou modèle produit, pour l’utilisateur averti, une impression globale de « déjà vu » par rapport au dessin ou modèle antérieur.

86      Sur la base de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le moyen unique de la requérante et, par voie de conséquence, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

87      En application de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par l’EUIPO et l’intervenante, conformément à leurs conclusions.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Eternit supportera ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et par Eternit Österreich GmbH.

Kornezov

Buttigieg

Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 novembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.