Language of document : ECLI:EU:T:2021:779

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

10 novembre 2021 (*)

« REACH – Substances extrêmement préoccupantes – Établissement d’une liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 – Décision identifiant la substance 4-tert-butylphénol comme substance remplissant les critères prévus pour l’inclusion dans la liste – Article 57 du Règlement (CE) no 1907/2006 – Approche de la force probante des éléments de preuve – Erreur manifeste d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑661/19,

Sasol Germany GmbH, établie à Hambourg (Allemagne),

SI Group – Béthune, établie à Béthune (France),

BASF SE, établie à Ludwigshafen-sur-le-Rhin (Allemagne),

représentées par Mes C. Mereu et P. Sellar, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. R. Lindenthal et K. Mifsud-Bonnici, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. D. Klebs, J. Möller, Mmes S. Heimerl et S. Costanzo, en qualité d’agents,

et par

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mme M. Heikkilä, MM. W. Broere, S. Mahoney et Mme A. Hautamäki, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2019/1194 de la Commission, du 5 juillet 2019, relative à l’identification du 4-tert-butylphénol (PTBP) en tant que substance extrêmement préoccupante conformément à l’article 57, [sous] f), du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil (JO 2019, L 187, p. 41),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, R. Barents et J. Laitenberger (rapporteur), juges,

greffier : Mme E. Artemiou, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les requérantes, Sasol Germany GmbH, SI Group – Béthune et BASF SE, sont des fabricants, fournisseurs et utilisateurs de 4-tert-butylphénol (ci-après le « PTBP »). Le PTBP est une substance chimique essentiellement utilisée en tant que monomère dans le cadre d’une synthèse chimique, par exemple pour produire du polycarbonate, des résines phénoliques et des résines époxy. Le PTBP fait objet d’une classification harmonisée au titre du règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1). Le PTBP a été classé comme substance toxique pour la reproduction de catégorie 2, causant des irritations cutanées de catégorie 2 et provoquant des lésions oculaires de catégorie 1. Depuis le 1er mai 2020, le PTBP est d’ailleurs classé parmi les substances de toxicité aquatique chronique de catégorie 1.

2        Le 15 juin 2016, la République fédérale d’Allemagne a effectué une analyse de la meilleure option de gestion des risques et a recommandé l’identification du PTBP en tant que substance extrêmement préoccupante conformément à l’article 57, sous f), du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, rectificatif JO 2007, L 136, p. 3).

3        Le 30 août 2016, en vertu de l’article 59, paragraphe 3, du règlement no 1907/2006, la République fédérale d’Allemagne a présenté un dossier élaboré conformément à l’annexe XV dudit règlement (ci-après le « dossier élaboré conformément à l’annexe XV ») proposant l’identification du PTBP en tant que substance extrêmement préoccupante en application de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006, à savoir en tant que substance possédant des propriétés perturbant le système endocrinien pour laquelle il est scientifiquement prouvé qu’elle peut avoir des effets graves sur l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement.

4        Ayant reçu des observations relatives à l’identification du PTBP de la part de certains États membres et de plusieurs parties intéressées, y compris les requérantes, dans le cadre de la consultation publique organisée au titre de l’article 59, paragraphe 4, du règlement no 1907/2006, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a renvoyé le dossier au comité des États membres de l’ECHA (ci-après le « CEM »), conformément à l’article 59, paragraphe 7, dudit règlement.

5        Le 15 décembre 2016, le CEM a rendu son avis sur le dossier élaboré conformément à l’annexe XV. Alors que la majorité de ses membres a considéré que le PTBP devait être identifié en tant que substance extrêmement préoccupante en application de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006, le CEM n’a pu parvenir à un accord unanime. Deux membres de ce comité, à savoir le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la République tchèque, ont exprimé des doutes sur la fiabilité de l’étude scientifique clé et étaient d’avis que les preuves disponibles ne permettaient pas de conclure à l’existence d’un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement. L’évaluation du PTBP sur laquelle repose l’opinion majoritaire figure dans un document intitulé document d’appui (ci-après le « document d’appui »).

6        Le 17 janvier 2017, conformément à l’article 59, paragraphe 9, du règlement no 1907/2006, l’ECHA a transmis l’avis du CEM à la Commission européenne pour que celle-ci se prononce sur l’identification du PTBP sur la base de l’article 57, sous f), dudit règlement.

7        Le 5 juillet 2019, la Commission a adopté, en application de la procédure visée à l’article 133, paragraphe 3, du règlement no 1907/2006, la décision d’exécution (UE) 2019/1194, relative à l’identification du PTBP en tant que substance extrêmement préoccupante conformément à l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 (JO 2019, L 187, p. 41, ci-après la « décision attaquée »).

8        Les considérants de la décision attaquée disposent :

« (4) La Commission partage l’avis du CEM et exprime son accord unanime sur l’existence de preuves scientifiques des effets néfastes sur les poissons liés à un mode d’action œstrogénique du PTBP, ce qui démontre que la substance répond à la définition d’un perturbateur endocrinien établie dans le programme international sur la sécurité des substances chimiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS/PISCC). L’exposition au PTBP produit des effets néfastes graves et irréversibles sur le développement sexuel des poissons, notamment une inversion sexuelle totale et irréversible dans les populations de poissons touchées conduisant à leur féminisation complète. La conclusion selon laquelle le PTBP agit comme un perturbateur endocrinien est, par ailleurs, étayée par des références croisées avec d’autres substances appartenant à la même classe chimique des alkylphénols que le PTBP. C’est pourquoi la Commission conclut qu’il existe pour le PTBP des preuves scientifiques d’effets graves probables sur l’environnement.

(5)      La Commission considère que les effets néfastes sont d’une gravité similaire à ceux observés pour d’autres substances identifiées comme extrêmement préoccupantes conformément à l’article 57, [sous] f), du règlement (CE) no 1907/2006, en raison de leurs propriétés perturbant le système endocrinien et pouvant avoir des effets graves sur l’environnement. Les effets observés chez les poissons sont irréversibles et sont susceptibles de concerner les populations d’animaux sauvages. La majorité des membres du CEM était d’avis que, sur la base des informations disponibles, il semble difficile de déterminer un niveau sûr d’exposition permettant d’évaluer correctement les risques, bien qu’un tel niveau puisse exister. La Commission est d’accord avec cette évaluation. Elle considère par conséquent que les préoccupations suscitées par les effets néfastes sont d’un niveau équivalent à celles suscitées par les substances visées à l’article 57, [sous] a) à e), du règlement (CE) no 1907/2006. Ces préoccupations sont d’autant plus fortes que les effets néfastes sur le développement sexuel des poissons ont été observés dans l’étude clé à de faibles niveaux de concentration (concentration minimale avec effet observé : 1 μg/l). »

9        Selon l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, le PTBP « est identifié comme une substance extrêmement préoccupante conformément à l’article 57, [sous] f), du règlement (CE) no 1907/2006, en raison de ses propriétés perturbant le système endocrinien et pouvant avoir des effets graves sur l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées aux [dispositions sous] a) à e) de l’article 57 dudit règlement. ». En outre, l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée dispose que le PTBP « est inclu[s] dans la liste des substances candidates visée à l’article 59, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1907/2006 […] ». Selon son article 2, cette décision est adressée à l’ECHA.

10      À la suite de la décision attaquée, l’ECHA a adopté la décision ED/71/2019, par laquelle elle a mis à jour la liste des substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement no 1907/2006 (ci-après la « liste des substances candidates »), en y incluant notamment le PTBP. Cette décision porte la date du 4 juillet 2019 et a été publiée sur le site Internet de l’ECHA le 16 juillet 2019.

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2019, les requérantes ont introduit un recours fondé sur l’article 263 TFUE tendant à l’annulation de la décision ED/71/2019, que le Tribunal a rejeté comme irrecevable par ordonnance du 14 juillet 2020, Sasol Germany e.a./ECHA (T‑640/19, non publiée, EU:T:2020:336).

 Procédure et conclusions des parties

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 septembre 2019, les requérantes ont introduit le présent recours.

13      Le 20 décembre 2019, la Commission a déposé le mémoire en défense au greffe du Tribunal.

14      Par actes, respectivement, déposés au greffe du Tribunal les 3 et 22 janvier 2020, la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

15      Par actes déposés au greffe du Tribunal les 3 et 14 février 2020, les requérantes ont présenté leurs observations sur les demandes d’intervention de la République fédérale d’Allemagne et de l’ECHA.

16      Par décision du président de la huitième chambre du Tribunal du 11 février 2020, la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

17      Le 25 mars 2020, les requérantes ont fait parvenir au greffe du Tribunal leur mémoire en réplique.

18      Par ordonnance du 3 avril 2020, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis l’ECHA à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

19      Le 18 mai et le 17 juin 2020, la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA ont respectivement déposé leurs mémoires en intervention au greffe du Tribunal.

20      Le 9 juin 2020, la Commission a déposé le mémoire en duplique au greffe du Tribunal.

21      Les 11 et 14 septembre 2020, les parties principales ont respectivement présenté leurs observations sur les mémoires en intervention de la République fédérale d’Allemagne et de l’ECHA.

22      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 20 avril 2021.

23      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable et fondé ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens de la procédure.

24      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

25      À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’une « violation des critères relatifs à la perturbation endocrinienne et l’approche de la force probante des éléments de preuve ». Dans le cadre du deuxième moyen, les requérantes reprochent à la Commission une violation de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 dans la détermination du niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006. Le troisième moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation du fait de « la non-prise en considération attentive de toutes les informations pertinentes et en particulier des données relatives à l’exposition ». Le quatrième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité en raison du fait que les options les moins contraignantes n’auraient pas été retenues. Le cinquième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité en raison du fait qu’aucune analyse de la meilleure option de gestion des risques tenant compte des mesures de gestion des risques déjà mises en place n’aurait été effectuée.

 Sur le premier moyen, tiré d’« une violation des critères relatifs à la perturbation endocrinienne et de l’approche de la force probante des éléments de preuve »

26      Par le premier moyen, qui s’articule autour de trois branches, les requérantes invoquent une « violation des critères relatifs à la perturbation endocrinienne et de l’approche de la force probante des éléments de preuve ».

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une méconnaissance de « l’approche de la force probante des éléments de preuve »

27      Dans le cadre de la première branche du premier moyen, les requérantes affirment que l’identification en tant que substance extrêmement préoccupante en vertu de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 doit reposer sur la prise en compte de toutes les informations disponibles obtenues dans le cadre de l’application de « l’approche de la force probante des éléments de preuve » (ci-après l’« approche de la force probante des éléments de preuve »). En dépit de l’absence de critères relatifs aux propriétés perturbant le système endocrinien dans le règlement no 1907/2006, cette approche fournirait des indications quant à la manière d’évaluer les propriétés intrinsèques d’une substance présentant des propriétés perturbant le système endocrinien et, dès lors, constituerait une composante essentielle de la procédure visant à établir les propriétés d’une substance. Cette approche constituerait une méthode largement appliquée d’évaluation des dangers au titre du règlement no 1907/2006.

28      Premièrement, les requérantes invoquent à cet égard le paragraphe 3 de l’annexe XIII du règlement no 1907/2006 qui énonce que, en vue de l’identification des substances visées à l’article 57, sous d) et e), de ce règlement, à savoir, d’une part, les substances persistantes, bioaccumulables et toxiques et, d’autre part, les substances très persistantes et très bioaccumulables (ci-après, prises ensemble, les « substances PBT et vPvB »), l’ensemble des informations disponibles est pris en considération pour déterminer leur force probante. Dès lors, cette approche imposerait que « toutes les informations disponibles » relatives à la substance soient rassemblées et évaluées.

29      Deuxièmement, les requérantes renvoient au règlement no 1272/2008 qui disposerait à la section 1.1.1 de son annexe I que l’approche des éléments de preuve doit être appliquée pour identifier les propriétés d’une substance. De même, l’article 9, paragraphe 3, de ce règlement prévoirait qu’il peut être nécessaire, aux fins de la classification d’une substance en raison de ses dangers, de pondérer toutes les informations disponibles.

30      Troisièmement, le guide pratique de l’ECHA sur les alternatives aux essais sur les animaux (version 2.0 de juillet 2016) indiquerait que l’approche de la force probante des éléments de preuve est une composante essentielle de la procédure de prise de décision sur les propriétés d’une substance et que cette approche implique de rassembler toutes les informations disponibles. De même, la version précédente du « guide pour la préparation d’un dossier annexe XV pour l’identification des substances extrêmement préoccupantes de juin 2007 » aurait reflété cette approche dans la mesure où elle aurait spécifié qu’une évaluation des perturbateurs endocriniens nécessitait l’application d’une approche des éléments de preuve tenant compte, notamment, des effets observés dans des essais in vitro et in vivo, de la puissance ainsi que de l’exposition environnementale.

31      En outre, s’appuyant sur l’arrêt du 20 septembre 2019, PlasticsEurope/ECHA (T‑636/17, sous pourvoi, EU:T:2019:639), les requérantes soutiennent que l’ECHA est liée par le principe d’excellence scientifique lorsqu’elle procède à une analyse des propriétés intrinsèques d’une substance.

32      Or, selon les requérantes, la Commission n’a fourni aucune preuve indiquant qu’elle a appliqué l’approche de la force probante des éléments de preuve. Elle n’aurait pas tenu compte de toutes les informations disponibles dans le cadre de cette approche. Elle n’aurait donc pas démontré l’existence de preuves scientifiques des effets probables sur l’environnement d’une manière suffisante, comme l’exigerait l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006.

33      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments.

34      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 exige, pour l’identification de substances autres que celles répondant aux critères d’identification visés à l’article 57, sous a) à e), du même règlement, qu’il soit établi, au cas par cas, sur la base d’éléments scientifiques, d’une part, que les substances concernées peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement et, d’autre part, que ces effets suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances visées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006. S’agissant de la condition liée à la constatation d’effets graves sur la santé humaine ou l’environnement, elle requiert une analyse des dangers liés aux propriétés intrinsèques de la substance considérée. S’agissant de la condition relative à l’existence d’un certain niveau de préoccupation, elle exige que la démonstration selon laquelle les effets graves sur la santé humaine ou l’environnement de la substance considérée suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances visées à l’article 57, sous a) à e), du même règlement soit fondée sur l’analyse des dangers issus des propriétés intrinsèques des substances concernées sans pour autant interdire la prise en compte d’autres données (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA, C‑324/15 P, EU:C:2017:208, points 26, 27 et 40). En particulier, afin qu’une substance puisse être identifiée comme étant un perturbateur endocrinien extrêmement préoccupant, il est nécessaire qu’il soit établi, au cas par cas, sur la base d’éléments scientifiques, d’une part, qu’une substance ayant des propriétés perturbant le système endocrinien peut avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement et, d’autre part, que ces effets suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances visées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006.

35      Il s’ensuit que la jurisprudence exige que l’analyse des propriétés intrinsèques d’une substance se fasse sur la base d’éléments scientifiques et dans le respect du principe d’excellence scientifique. Partant, lorsque l’ECHA et la Commission procèdent à une analyse des propriétés intrinsèques d’une substance, elles sont liées par le principe d’excellence scientifique, ce qui implique qu’elles doivent respecter les meilleures normes scientifiques actuelles. En revanche, il ne ressort pas de la jurisprudence que toute évaluation est tenue de suivre une approche méthodologique spécifique et uniforme. Plus particulièrement, il ne ressort pas de la jurisprudence que l’application formelle de l’approche de la force probante des éléments de preuve est exigée pour toute évaluation.

36      L’existence d’une obligation pour l’ECHA et la Commission de suivre cette approche aux fins de l’identification d’une substance telle que le PTBP au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006, à savoir en tant que perturbateur endocrinien, ne ressort pas non plus des dispositions ou documents invoqués par les requérantes.

37      Premièrement, s’agissant de l’annexe XIII invoquée par les requérantes, il convient de relever qu’elle concerne les critères d’identification des substances PBT et vPvB, telles que visées à l’article 57, sous d) et e), du règlement no 1907/2006. Dès lors, ils ne sauraient, en tant que tels, guider l’ECHA ou la Commission dans l’identification des substances visées à l’article 57, sous f), dudit règlement.

38      Deuxièmement, s’agissant du règlement no 1272/2008, celui-ci a, selon son article 1er, paragraphe 1, pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, ainsi que la libre circulation des substances, des mélanges et des articles visés à son article 4, paragraphe 8, en harmonisant notamment les critères de classification des substances et des mélanges, ainsi que les règles relatives à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges dangereux. Ainsi, ce règlement ne vise pas l’identification des substances extrêmement préoccupantes en vue de leur inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement no 1907/2006, de sorte que les dispositions contenues dans le règlement no 1272/2008 ne sauraient non plus obliger l’ECHA ou la Commission à suivre une approche méthodologique spécifique aux fins d’une telle identification.

39      Troisièmement, il y a lieu de relever que le guide pratique de l’ECHA sur les alternatives aux essais sur les animaux s’adresse, selon son point 1.1, aux fabricants et aux importateurs de substances soumis à l’obligation d’information dans le cadre de la procédure d’enregistrement de substances et vise à éviter les essais inutiles sur les animaux vertébrés. Ainsi, ce guide ne saurait lier l’ECHA ou la Commission dans l’identification des substances extrêmement préoccupantes. Même à supposer que ce guide soit contraignant pour l’ECHA et/ou la Commission, il convient de relever que ce guide, certes, considère l’approche de la force probante des éléments de preuve comme un élément important de l’évaluation de la sécurité chimique, mais qu’il la conçoit seulement comme une approche possible parmi d’autres, suivant les spécificités du cas d’espèce.

40      Dès lors, contrairement à ce que semble alléguer les requérantes, ni l’ECHA ni la Commission n’étaient obligées de suivre formellement l’approche de la force probante des éléments de preuve, de sorte que cet argument des requérantes ne peut qu’être rejeté. La seule obligation méthodologique qui s’impose à elles est celle d’effectuer une analyse sur la base d’éléments scientifiques dans le respect du principe d’excellence scientifique.

41      Or, les requérantes ne sont pas parvenues à démontrer que l’ECHA ou la Commission avaient méconnu cette obligation.

42      À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort du document d’appui, l’ECHA et la Commission se sont fondées, aux fins de l’identification du PTBP, sur un certain nombre d’études scientifiques dont elle a évalué les résultats à la lumière de lignes directrices établies par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les essais de produits chimiques tout en tenant compte de leur fiabilité scientifique évaluée à l’aide de l’échelle de cotation de Klimisch (telle que décrite dans un article de Klimisch, H. J., Andreae, M., et Tillmann, U., « A Systematic Approach for Evaluating the Quality of Experimental Toxicological and Ecotoxicological Data », Regulatory Toxicology and Pharmacology, Elsevier, 1997, vol. 25, p. 1 à 5) (ci-après l’« échelle de cotation de Klimisch »), pour trancher la question de savoir si le PTBP répondait à la définition d’un perturbateur endocrinien telle que donnée par l’OMS et acceptée par le « Groupe consultatif d’experts sur les perturbateurs endocriniens » du Centre commun de recherche de la Commission.

43      Dès lors, l’ECHA et la Commission se sont fondées sur des éléments à caractère scientifique tout en respectant dans son approche méthodologique de base le principe d’excellence scientifique.

44      Au demeurant, bien que ni le document d’appui ni la décision attaquée ne mentionnent de manière expresse l’approche de la force probante des éléments de preuve, l’approche suivie aux fins de l’évaluation du PTBP telle que décrite au point 42 ci-dessus équivaut du point de vue méthodologique à une approche fondée sur la force probante des éléments de preuve, comme l’a d’ailleurs expliqué la République fédérale d’Allemagne dans son mémoire en intervention et comme l’a confirmé l’ECHA lors de l’audience. Selon le point 1.2 de l’annexe XI du règlement no 1907/2006, cette approche est caractérisée par le fait que l’hypothèse qu’une substance possède ou non une propriété dangereuse particulière peut être confirmée valablement par des éléments de preuve provenant de plusieurs sources d’informations indépendantes. En l’occurrence, l’hypothèse que le PTBP agit comme perturbateur endocrinien ayant des effets graves sur l’environnement a été confirmée par plusieurs données in vitro et in vivo respectivement susceptibles de fournir des informations sur les propriétés de perturbateur endocrinien du PTBP et sur ses effets sur l’environnement, qui ont été évaluées dans le cadre d’un examen d’ensemble tout en prenant en compte leurs forces et leurs faiblesses respectives.

45      Dans ces conditions, il convient de constater que l’évaluation des propriétés intrinsèques du PTBP et de ses effets sur l’environnement était conforme au principe d’excellence scientifique, de sorte qu’il convient de rejeter comme non fondée la première branche du premier moyen visant une prétendue méconnaissance de l’approche de la force probante des éléments de preuve.

 Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée d’un défaut de prise en compte de toutes les informations disponibles

46      Par la deuxième branche du premier moyen, les requérantes font valoir, plus spécifiquement, que la Commission n’a pas pris en considération, aux fins de l’évaluation des propriétés intrinsèques du PTBP, toutes les informations disponibles.

47      Tout d’abord, ni la République fédérale d’Allemagne, qui a soumis l’analyse de la meilleure option de gestion des risques ainsi que la proposition d’identification dans le dossier élaboré conformément à l’annexe XV, ni le CEM n’auraient pris en considération la puissance, la persistance et la bioaccumulation dans le « dossier annexe XV », et ce en dépit du fait que le Royaume-Uni et la République de Finlande auraient considéré ces éléments comme pertinents aux fins de l’appréciation des propriétés du PTBP comme perturbateur endocrinien. D’ailleurs, ni la République fédérale d’Allemagne ni le CEM n’auraient tenu compte de l’exposition environnementale au PTBP, pour laquelle la dégradabilité et la surveillance environnementale feraient état d’une exposition effective très faible. Or, selon les requérantes, toutes les informations disponibles, y compris l’exposition, doivent être prises en considération en vue de l’identification des propriétés d’une substance au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006.

48      En outre, les requérantes soutiennent que l’affirmation contenue dans le dossier élaboré conformément à l’annexe XV selon laquelle le PTBP « pourrait pénétrer dans l’environnement en concentrations résiduelles », n’a pas été spécifiée davantage. La République fédérale d’Allemagne n’aurait soumis aucune évaluation qualitative ou quantitative des concentrations résiduelles ni expliqué dans quelle mesure ces présumées concentrations résiduelles pourraient avoir des effets néfastes sur l’environnement.

49      Par ailleurs, la République fédérale d’Allemagne aurait omis de prendre en considération les mesures d’atténuation des risques et les conditions d’exploitation recommandées dans les scénarios d’exposition figurant dans le rapport sur la sécurité chimique relatif au PTBP élaboré par les requérantes conformément à l’article 14, paragraphe 6, du règlement no 1907/2006.

50      Enfin, les requérantes renvoient à l’annexe XV du règlement no 1907/2006 qui prévoirait à la section 2 intitulée « Contenu des dossiers », sous le titre « informations concernant les expositions, les substances de remplacement et les risques » qu’ « [i]l y a lieu de fournir les informations disponibles en matière d’utilisation et d’exposition et des informations concernant les substances et les techniques de remplacement ». Par conséquent, la Commission n’aurait pas pris en considération toutes les informations disponibles et pertinentes aux fins de l’identification du PTBP.

51      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments.

52      À titre liminaire, il y a lieu de constater que les institutions, organes ou organismes de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’identification des substances extrêmement préoccupantes au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006. À cet égard, il convient de relever que ce large pouvoir d’appréciation des autorités de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des mesures à prendre, mais également, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Toutefois, le contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que les autorités de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 53 et jurisprudence citée).

53      L’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 exige, pour l’identification de substances autres que celles répondant aux critères d’identification prévus sous a) à e) du même article, qu’il soit établi, au cas par cas, sur la base d’éléments scientifiques, d’une part, qu’il est probable que les substances concernées aient des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement et, d’autre part, que ces effets « suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées [sous a) à e)] ». S’agissant de la première condition, celle-ci exige que les effets de la substance sur la santé humaine ou l’environnement puissent, en raison, par exemple, de leur importance ou de leur caractère irréversible, être considérés comme « graves ». L’examen de cette condition repose sur une évaluation des dangers pour la santé ou pour l’environnement, sur la base des éléments qui relèvent des parties pertinentes des sections 1 à 4 de l’annexe I du règlement no 1907/2006, ainsi qu’il est énoncé à la section 2 de l’annexe XV de ce règlement. Il est donc manifeste que cette première condition prévue à l’article 57, sous f), dudit règlement requiert une analyse des dangers issus des propriétés intrinsèques de la substance considérée (arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA, C‑324/15 P, EU:C:2017:208, point 27).

54      Il résulte de ce qui précède que, dans le cadre de la première condition prévue à l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006, seules les informations qui permettent une analyse des dangers liés aux propriétés intrinsèques d’une substance en raison desquelles elle est soumise à une procédure d’identification sont pertinentes aux fins de l’identification d’un perturbateur endocrinien ayant des effets graves sur l’environnement et doivent dès lors nécessairement et obligatoirement être prises en considération par l’autorité qui procède à cette identification.

55      À cet égard, il y a d’ailleurs lieu de constater que, en l’occurrence, la Commission a identifié le PTBP au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 en raison de ses propriétés perturbant le système endocrinien. Or, il ressort du libellé même de l’article 57 dudit règlement que de telles substances présentant des propriétés perturbant le système endocrinien sont à distinguer, aux fins de leur identification en vue de leur inclusion à terme dans la liste des substances candidates, des substances possédant des propriétés persistantes et bioaccumulables. D’une part, les substances PBT ainsi que les substances vPvB sont visées respectivement à l’article 57, sous d) et e), dudit règlement. D’autre part, l’article 57, sous f), dudit règlement distingue à titre illustratif entre les substances possédant des propriétés perturbant le système endocrinien et « celles possédant des propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables, qui ne remplissent pas les critères visés [sous] d) ou e) [de l’article 57 dudit règlement] ». Il s’ensuit que la persistance et la bioaccumulation constituent des propriétés d’une substance permettant une identification autonome et distincte d’une identification en raison des propriétés perturbant le système endocrinien. Dès lors, les informations portant sur la persistance et la bioaccumulation ne peuvent pas être considérées comme pertinentes aux fins de l’identification d’une substance comme perturbateur endocrinien au titre de l’article 57, sous f), dudit règlement et, partant, ne devaient pas obligatoirement être prises en considération par la Commission aux fins de l’identification du PTBP.

56      Toute autre interprétation de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 ferait de cette disposition une simple duplication des dispositions de l’article 57, sous d) et e), du même règlement, ce qui priverait d’effet utile la disposition de l’article 57, sous f), dudit règlement en ce qu’il vise les substances possédant des propriétés perturbant le système endocrinien. Une telle interprétation irait ainsi, notamment, à l’encontre de l’objectif du règlement no 1907/2006, énoncé à son article 1er, paragraphe 1, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, dans la mesure où cette interprétation conduirait à une situation dans laquelle les substances jugées extrêmement préoccupantes en raison de leurs propriétés perturbant le système endocrinien, mais ne présentant pas les propriétés visées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006 ne pourraient pas être identifiées en tant que telles. Or, selon le libellé même de l’article 57, sous f), dudit règlement, cette disposition couvre, notamment, les substances « qui ne remplissent pas les critères visés [à l’article 57, sous d) et e), dudit règlement] » (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, PlasticsEurope/ECHA, T‑207/18, sous pourvoi, EU:T:2020:623, point 225).

57      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait dû prendre en considération l’exposition environnementale et, par ailleurs, aurait dû analyser davantage les concentrations résiduelles dans l’environnement, il convient de relever que ces considérations ne portent pas sur une propriété intrinsèque du PTBP. Comme il ressort notamment du point 5 de l’annexe I du règlement no 1907/2006, l’exposition se réfère à la concentration d’une substance à laquelle l’environnement est ou peut être exposé en fonction notamment de son utilisation. Ainsi, l’exposition peut avoir un impact sur la décision ultérieure d’exempter, au titre de l’article 58, paragraphe 1er, dudit règlement, certaines utilisations de la procédure d’autorisation. En revanche, les considérations liées à l’exposition environnementale ne sauraient affecter l’analyse des dangers liés aux propriétés intrinsèques du PTBP sur laquelle repose son identification au titre de l’article 57, sous f), dudit règlement en tant que substances possédant des propriétés perturbant le système endocrinien. Dès lors, l’exposition environnementale ne saurait constituer une information pertinente que la Commission aurait dû prendre en considération à ces fins.

58      L’annexe XV du règlement no 1907/2006, invoqué à cet égard par les requérantes, ne saurait remettre en cause cette analyse. Certes, cette annexe, qui définit les principes généraux d’élaboration des dossiers visant à proposer et à justifier l’identification d’une substance extrêmement préoccupante, prévoit au point 2 de la section 2 intitulée « Contenu du dossier » qu'« [i]l y a lieu de fournir les informations disponibles en matière d’utilisation et d’exposition » dans le document proposant l’identification d’une substance extrêmement préoccupante. Néanmoins, il ressort du même point que ces informations ne font pas partie de la justification de la proposition d’identification. Selon les indications figurant sous le titre intitulé « Justification » dans la section 2 de l’annexe XV, une telle justification doit porter sur une évaluation des dangers d’une substance et non des risques liés à son utilisation. Dans ces conditions, la prise en considération de données relatives à l’exposition permet certes d’affiner les éléments sur la base desquels le recours à la procédure d’autorisation apparaît le mieux adapté (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA, C‑324/15 P, EU:C:2017:208, point 41). Néanmoins, ces informations ne sauraient être considérées comme pertinentes aux fins de l’identification d’une substance au titre de l’article 57, sous f), dudit règlement, de sorte qu’elles devraient obligatoirement et nécessairement être prises en considération à cet égard.

59      En ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’aurait pas pris en considération la puissance du PTBP, il y a lieu de relever, à l’instar de la République fédérale d’Allemagne, que la puissance d’une substance perturbant le système endocrinien représente la concentration de cette substance, dans un organisme spécifique ou dans un système test, qui est nécessaire pour qu’un effet spécifique soit observable. En tant que telle, la puissance informe non pas sur les propriétés intrinsèques perturbant le système endocrinien, mais sur les risques que ces propriétés peuvent avoir pour l’environnement en fonction de la concentration d’une substance dans des organismes. Dès lors, la puissance ne constituait pas non plus une information qui devait nécessairement et obligatoirement être prise en considération aux fins de l’identification du PTBP en raison de ses propriétés intrinsèques perturbant le système endocrinien.

60      Ceci dit, rien ne s’opposait à ce que la Commission s’appuie, à titre supplémentaire, sur des considérations liées à la puissance pour démontrer que les effets du PTBP suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les autres substances visées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006. À cet égard, il ressort en l’occurrence du considérant 5 de la décision attaquée que la Commission a considéré que le fait que des effets sur le développement sexuel des poissons avaient été observés dans l’étude Demska-Zakęś (2005) à la faible concentration de 1μg/l renforçait la préoccupation suscitée par le PTBP. Dès lors, la puissance du PTBP a bel et bien été prise en considération lors de la détermination du niveau de préoccupation sans que les requérantes eussent démontré dans quelle mesure la puissance du PTBP s’opposait à l’identification du PTBP comme substance extrêmement préoccupante.

61      Enfin, en ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait dû prendre en considération les mesures d’atténuation des risques et les conditions d’exploitation telles que recommandées dans les scénarios d’exposition figurant dans le rapport sur la sécurité chimique relatif au PTBP qu’elles avaient élaboré, il y a lieu de relever que, étant donné que l’identification des substances extrêmement préoccupantes se fait sur la base des dangers liés aux propriétés intrinsèques de la substance, l’article 57 du règlement no 1907/2006 n’exige pas qu’il soit procédé, à l’égard des substances concernées, à une évaluation des risques analogues à celle requise, dans le cadre de la procédure d’évaluation, à la section 6 de l’annexe I de ce règlement ou, dans le cadre de la procédure d’autorisation, à l’article 64, paragraphe 4, dudit règlement ou s’agissant de la procédure de restriction, à l’article 70 du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA, C‑324/15 P, EU:C:2017:208, point 25).

62      À cet égard, il convient également de relever qu’il y a lieu de différencier entre les dangers et les risques. L’évaluation des dangers constitue la première étape du processus d’évaluation des risques, laquelle représente un concept plus précis. Ainsi, une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques d’une substance ne doit pas être limitée en considération de circonstances d’utilisation spécifiques, comme dans le cas d’une évaluation des risques, et peut être réalisée de manière valable indépendamment du lieu d’utilisation de la substance, de la voie par laquelle pourrait se produire le contact avec celle-ci et de niveaux éventuels d’exposition à la substance (arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, points 74 et 75).

63      Dès lors, les mesures d’atténuation des risques ainsi que les conditions d’exploitation telles qu’elles figurent dans le rapport sur la sécurité chimique relatif au PTBP élaboré par les requérantes ne constituaient pas des informations pertinentes aux fins de l’analyse des dangers liés aux propriétés intrinsèques du PTBP. Celle-ci pouvait s’effectuer indépendamment des considérations portant sur l’utilisation concrète du PTBP.

64      En effet, il ressort de l’article 60, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006 que le fait que les effets négatifs d’une substance liés à son utilisation peuvent être contrôlés de manière appropriée n’empêche pas son identification comme une substance extrêmement préoccupante. Cela est confirmé par l’article 58, paragraphe 2, du règlement no 1907/2006, selon lequel des utilisations ou des catégories d’usages peuvent être exemptées de l’obligation d’autorisation, à condition que, compte tenu de la législation de l’Union spécifique existante, qui impose des exigences minimales en ce qui concerne la protection de la santé humaine ou de l’environnement en cas d’utilisation de la substance, le risque soit bien maîtrisé (arrêt du 30 avril 2015, Hitachi Chemical Europe e.a./ECHA, T‑135/13, EU:T:2015:253, point 68).

65      Dans ces conditions, la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la troisième branche du premier moyen, tirée d’un manque de fiabilité de l’étude clé Demska-Zakęś (2005) concernant les présumés effets néfastes sur l’environnement

66      Par la troisième branche du premier moyen, les requérantes font valoir que l’étude Demska-Zakęś (2005) est entachée de plusieurs défauts graves qui remettent en cause la fiabilité de cette étude et s’opposent, dès lors, à son utilisation en tant qu’étude clé dans l’identification du PTBP. À cet égard, les requérantes soutiennent que l’étude Demska-Zakęś (2005) aurait dû se voir attribuer plutôt un niveau de fiabilité 3 selon l’échelle de cotation Klimisch (correspondant à une étude non fiable) ou un niveau de fiabilité 4 (correspondant à une étude non attribuable) au lieu d’un niveau de fiabilité 2 (correspondant à une étude fiable avec restrictions) tel qu’attribué par la République fédérale d’Allemagne à cette étude.

67      Les critiques des requérantes vis-à-vis de l’étude Demska-Zakęś (2005) s’articulent autour de neuf points qui mettent en évidence le fait que cette étude ne suivait pas la ligne directrice 234 de l’OCDE et ne respectait pas les bonnes pratiques de laboratoires (ci-après les « BPL »). À cet égard, elles renvoient notamment à l’absence d’une analyse des concentrations réelles lors de l’essai, la densité élevée d’élevage, le nombre limité de répliques ainsi qu’au fait que les résultats de l’étude n’ont jamais été reproduits. En outre, elles font valoir que le ratio des sexes est biaisé, car un fait de cannibalisme, dont ferait d’ailleurs état l’étude Colchen et al. (2019), se serait produit lors de l’essai.

68      Vu la fiabilité contestable de l’étude Demska-Zakęś (2005), la République fédérale d’Allemagne et la Commission auraient dû tenir compte, selon les requérantes, d’autres sources d’information, à savoir notamment de l’étude Krueger et al. (2008) qui serait plus fiable en raison de sa conformité avec la ligne directrice 210 de l’OCDE et parce que les résultats observés dans cette étude auraient été confirmés.

69      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments.

70      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la limitation du contrôle du juge de l’Union dans un domaine comme celui de l’identification des substances extrêmement préoccupantes, dans lequel la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation, n’affecte pas le devoir de celui-ci de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence ainsi que de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêt du 9 septembre 2011, France/Commission, T‑257/07, EU:T:2011:444, point 87 et jurisprudence citée).

71      En l’occurrence, les requérantes invoquent plusieurs prétendus défauts entachant la fiabilité de l’étude Demska-Zakęś (2005) qui s’opposaient, selon elles, à son utilisation en tant qu’étude clé aux fins de l’identification du PTBP.

72      À cet égard, il convient de constater qu’il ressort des considérants 2 et 5 de la décision attaquée que la Commission a considéré l’étude Demska-Zakęś (2005) comme étude clé aux fins de l’identification du PTBP. Par ailleurs, le document d’appui lui attribue une note de fiabilité 2 sur l’échelle de cotation de Klimisch. Or, selon les requérantes, cette étude aurait dû se voir attribuer une note de fiabilité 3, voire 4.

73      Selon l’échelle de cotation de Klimisch, la cotation « 1 = fiable sans restrictions » est attribuée notamment aux études ou données réalisées ou obtenues conformément à des lignes directrices validées et/ou internationalement reconnues, de préférence conformément aux BPL, mais également à des études où tous les paramètres sont fortement comparables à une ligne directrice. La cotation « 2 = fiable avec restrictions » est attribuée aux études ou données généralement non réalisées ou obtenues conformément aux principes de BPL, dans lesquelles les paramètres d’essai documentés ne sont pas entièrement conformes à la ligne directrice spécifique, mais sont suffisants pour accepter les données, ou dans lesquelles les recherches décrites ne sont pas couvertes par une ligne directrice sur les essais, mais sont bien documentées et scientifiquement acceptables. En revanche, la cotation « 3 = non fiable » est attribuée aux études ou données qui ont fait l’objet d’interférences entre le système de mesure et la substance testée ou dans lesquelles les organismes/systèmes d’essai utilisés ne sont pas pertinents au regard de l’exposition (par exemple, voies d’application non physiologiques) ou qui ont été réalisées ou obtenues suivant une méthode qui est insuffisamment documentée en vue d’une évaluation, qui n’est ni acceptable ni convaincante selon un jugement d’expert. Enfin, la cotation « 4 = pas assignable » est attribuée aux études ou données qui ne donnent pas suffisamment de détails expérimentaux.

74      En l’occurrence, il est constant que l’étude Demska-Zakęś (2005) n’est pas entièrement conforme à la ligne directrice 234 de l’OCDE. Or, le fait qu’une étude ne suive pas des méthodes validées ne signifie pas nécessairement qu’elle serait entachée de faiblesses qui s’opposent à son utilisation à des fins réglementaires (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, PlasticsEurope/ECHA, T‑207/18, sous pourvoi, EU:T:2020:623, point 86). Pour les mêmes raisons, rien ne s’oppose par principe à ce qu’une telle étude puisse se voir attribuer la note de fiabilité 2, de sorte qu’elle peut être considérée comme fiable avec restrictions.

75      Dès lors, il convient d’analyser les arguments avancés plus particulièrement à l’égard de l’étude Demska-Zakęś (2005) afin de savoir s’ils sont de nature à remettre en cause sa fiabilité aux fins de l’identification du PTBP.

76      Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel l’étude Demska-Zakęś (2005) présente des lacunes par rapport aux exigences de la ligne directrice 234 de l’OCDE et ne respecte pas les BPL, il y a lieu de renvoyer aux considérations figurant au point 74 ci-dessus. Il en ressort que le fait qu’une étude ne soit pas entièrement conforme à une méthode validée au niveau international ne s’oppose pas à ce que cette étude soit néanmoins jugée fiable et utilisée à des fins réglementaires. En l’occurrence, il y a lieu de relever que les déviations par rapport à la ligne directrice précitée expliquent notamment l’attribution de la note de fiabilité 2 sur l’échelle de cotation de Klimisch, compte tenu du non-respect des BPL dans l’exécution de l’étude qui n’est pas contesté par la Commission. À cet égard, il convient également de relever qu’il n’existe pas de règle absolue selon laquelle seules les études respectant les BPL devraient être considérées comme fiables. Ceci ressort notamment du point 1.1.2 de l’annexe XI du règlement no 1907/2006 qui dispose que les données concernant les propriétés relatives à l’environnement, provenant d’expériences qui n’ont pas été effectuées conformément aux BPL, sont considérées comme étant équivalentes à des données produites par les méthodes d’essais validées si certaines conditions relatives notamment aux paramètres utilisés, à la durée d’exposition et à la description de l’étude sont remplies.

77      En l’occurrence, une analyse détaillée de l’étude Demska-Zakęś (2005) est fournie dans l’annexe II du document d’appui. Il en ressort que l’attribution de la note de fiabilité 2 sur l’échelle de cotation de Klimisch, en dépit des déviations par rapport à la ligne directrice précitée, s’explique par le fait que cette étude à long terme a été bien effectuée dans la mesure où le nombre de poissons était élevé, les résultats étaient cohérents, tous les paramètres physico-chimiques ont été contrôlés et les poissons ont fait l’objet d’une inspection histologique. Dès lors, l’attribution de la note de fiabilité 2 sur l’échelle de cotation de Klimisch à cette étude ne peut être considérée comme entachée d’une erreur manifeste d’appréciation qui remettrait en cause son utilisation aux fins de l’identification du PTBP. En tout état de cause, les requérantes n’ont pas démontré quelle déviation par rapport à la ligne directrice 234 de l’OCDE ou aux BPL serait de nature à entacher cette évaluation d’une telle erreur.

78      Deuxièmement, s’agissant de l’argument selon lequel l’étude Demska-Zakęś (2005) ne contiendrait aucune analyse des concentrations réelles, mais se limiterait à signaler des concentrations nominales, force est de constater que l’annexe II du document d’appui, certes, mentionne que l’absence de mesure des concentrations au cours de l’étude est susceptible de créer certaines incertitudes quant aux concentrations réelles. Néanmoins, cette annexe explique en même temps que les concentrations nominales peuvent être considérées, dans des conditions semi-statiques comme celles de l’étude Demska-Zakęś (2005), comme l’hypothèse du cas le plus défavorable étant donné que des phénomènes de dégradation et d’absorption contribueraient à une diminution de la concentration réelle. Au vu de cette explication, qui n’est d’ailleurs pas remise en cause par les requérantes, la présomption que les concentrations réelles étaient nécessairement inférieures aux concentrations nominales ne semble dès lors pas entachée d’une erreur manifeste, de sorte que celles-ci se présentent comme la concentration maximale possible. En tout état de cause, l’étude Demska-Zakęś (2005) a fait état d’effets du PTBP sur le ratio des sexes à partir d’une concentration nominale de 1 μg/l. Ainsi, il ressort de l’étude Demska-Zakęś (2005) que le PTBP agit en tant que perturbateur endocrinien et possède dès lors des propriétés perturbant le système endocrinien. La question de savoir à quelle concentration les effets d’une substance sont observables porte sur le critère de la puissance d’une substance. Or, ainsi qu’il a été relevé au point 59 ci-dessus, la puissance ne doit pas nécessairement et obligatoirement être prise en considération au stade de son identification. Partant, l’absence de toute indication sur les concentrations réelles dans l’étude Demska-Zakęś (2005) ne s’oppose pas à ce que cette étude permette de tirer des conclusions sur les propriétés perturbant le système endocrinien du PTBP.

79      Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel le ratio des sexes dans l’étude Demska-Zakęś (2005) était biaisé, car, d’une part, des poissons auraient été insérés dans les aquariums au début de l’étude, et, d’autre part, un fait de cannibalisme se serait produit lors de l’essai, il ressort de l’annexe II du document d’appui qu’un changement dans le ratio des sexes a uniquement été observé dans les quatre traitements (respectivement à une concentration de 1 μg/l, 10 μg/l, 100 μg/l et 200 μg/l) et non dans les témoins, à savoir chez les poissons qui n’ont pas été exposés au PTBP dans les tests de contrôle. Dans ces derniers, le ratio des sexes est resté à 1 :1 lors de l’essai. Dans ces conditions, il est raisonnable de considérer, à l’instar de la Commission, que le biais du ratio des sexes est un effet causé par le PTBP. Dès lors, il semble peu plausible, d’une part, que le ratio des sexes ait été biaisé par l’insertion d’un nombre plus important de poissons femelles que de mâles dans les aquariums au début de l’étude, et, d’autre part, qu’un fait de cannibalisme se soit produit uniquement dans les quatre traitements et non dans les témoins. Par ailleurs, comme l’a relevé la Commission, il ressort de l’annexe II du document d’appui que le biais du ratio des sexes observé dans l’étude Demska-Zakęś (2005) augmentait progressivement à mesure que la concentration était plus élevée. Cette dépendance observée de l’effet vis-à-vis de la concentration s’oppose à l’hypothèse selon laquelle le cannibalisme aurait joué un rôle dans cette étude. Enfin, à l’instar de la Commission, il convient de considérer qu’un fait de cannibalisme aurait dû contribuer à une augmentation de la mortalité. Or, une telle augmentation n’a pas été observée dans l’étude Demska-Zakęś (2005).

80      Dans ces conditions, l’argument relatif au prétendu fait de cannibalisme qui se serait produit chez les sandres doit être rejeté.

81      Quatrièmement, s’agissant de l’argument selon lequel la densité d’élevage de 38 kg de biomasse/m³ était trop élevée par rapport aux valeurs recommandées et, dès lors, inadéquate pour la santé des poissons, il convient de rappeler que l’étude Demska-Zakęś (2005) n’était pas entièrement conforme à la ligne directrice 234 de l’OCDE, ce qui explique notamment l’attribution de la note de fiabilité 2 sur l’échelle de cotation de Klimisch. Par ailleurs, il ressort de l’annexe II du document d’appui que le dépassement de la valeur recommandée de 30 kg de biomasse/m³ n’a été jugé ni significatif ni crucial vu que les paramètres de qualité d’eau étaient respectés. Ainsi, il doit être considéré que ce dépassement de la valeur recommandée a été pris en compte par la Commission lors de l’évaluation de la fiabilité de cette étude.

82      Cinquièmement, s’agissant de la prétendue incertitude quant au niveau des statistiques en raison du nombre limité de répliques, il y a lieu de constater que, dans l’étude Demska-Zakęś (2005), les traitements à quatre concentrations ont été testés au moins en double. D’ailleurs, la Commission a expliqué que les doublons ont montré une cohérence des résultats ce qui n’est pas remis en cause par les requérantes. Dès lors, la Commission n’était pas tenue de douter de la fiabilité des résultats en raison du nombre limité de répliques. À cet égard, il convient également de relever qu’aucun effet sur le ratio des sexes n’a été observé chez les témoins dans le solvant et l’eau diluée, à savoir sans exposition au PTBP. Cette observation est, en tout état de cause, susceptible de renforcer la fiabilité des résultats observés par rapport aux effets sur le ratio des sexes dans les traitements à quatre concentrations du PTBP.

83      Sixièmement, l’argument selon lequel aucune analyse de contrôle des concentrations n’a été effectuée et que, dès lors, la concentration minimale d’exposition n’a pas pu être déterminée, correspond, en substance, à l’argument énoncé au point 78 ci-dessus, de sorte qu’il convient de renvoyer aux motifs énoncés audit point 78 ci-dessus, pour rejeter cet argument. Par ailleurs, il y a lieu de relever que les poissons ont été exposés à quatre concentrations, dont la moins élevée était de 1 μg/l. Partant, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en partant de l’hypothèse que, tel que cela ressort également du considérant 5 de la décision attaquée, la concentration minimale avec effet observé, c’est-à-dire la concentration d’essai la plus faible à laquelle il est observé que la substance exerce un effet, était de 1 μg/l.

84      Septièmement, l’argument selon lequel la surveillance de l’essai n’a pas respecté les BPL correspond à celui énoncé au point 76 ci-dessus, de sorte qu’il convient de renvoyer aux motifs énoncés aux points 76 et 77 ci-dessus, aux fins de rejeter cet argument.

85      Huitièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel les résultats de l’étude Demska-Zakęś (2005) n’ont jamais été reproduits, il y a lieu de relever que l’absence d’autres études ayant pour finalité de reproduire les résultats d’une étude ne saurait affecter ni la fiabilité de cette étude en soi, ni la cohérence interne des effets observés. Certes, l’existence d’études qui font état de résultats susceptibles de remettre en cause les résultats d’une étude particulière pourrait amener l’ECHA ou la Commission à revoir les conclusions qu’elles tirent de cette étude aux fins de l’identification d’une substance extrêmement préoccupante. Cependant, les requérantes n’ont invoqué aucune étude qui serait susceptible de remettre en cause les conclusions que la Commission a tirées de l’étude Demska-Zakęś (2005). Les requérantes semblent prétendre que l’étude Krueger et al. (2008) remettrait en cause les conclusions tirées de l’étude Demska-Zakęś (2005) dans la mesure où cette étude n’a pas fait état d’effets sur le ratio des sexes aux mêmes concentrations que celles utilisées dans l’étude Demska-Zakęś (2005). Néanmoins, l’étude Krueger et al. (2008) qui portait sur une autre espèce de poisson, à savoir le tête-de-boule (pimephales promelas), n’était pas censée reproduire les résultats de l’étude Demska-Zakęś (2005) et n’est dès lors pas susceptible d’invalider les conclusions tirées de cette étude.

86      Neuvièmement, en ce qui concerne l’argument selon lequel l’étude Demska-Zakęś (2005) n’a pas eu recours à une espèce de poisson recommandée par la ligne directrice 234 de l’OCDE, il convient de rappeler que, en attribuant la note de fiabilité 2 sur l’échelle de cotation de Klimisch à cette étude, le document d’appui et, par la suite, la Commission ont dûment tenu compte du fait qu’elle n’était pas entièrement conforme à cette méthode validée. En tout état de cause, cet argument ne remet pas en cause le fait que cette étude a constaté des effets à médiation endocrinienne chez une autre espèce de poisson.

87      Enfin, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait dû tenir compte de l’étude Krueger et al. (2008) dans la mesure où celle-ci serait plus fiable que l’étude Demska-Zakęś (2005) en raison notamment de sa prétendue conformité avec la ligne directrice 210 de l’OCDE, il convient de relever ce qui suit.

88      Tout d’abord, le document d’appui expose, aux pages 30 à 34, dans quelle mesure les données de l’étude Krueger et al. (2008) sont indicatives d’un mode d’action endocrinien du PTBP ayant des effets graves sur l’environnement et, partant, tient compte des résultats qui sont contenus dans cette étude. Vu sa conformité avec la ligne directrice 234 de l’OCDE alléguée dans le document d’appui ainsi que le respect des BPL, le document d’appui lui a attribué la note de fiabilité 1 sur l’échelle de cotation de Klimisch. Ainsi, l’argument des requérantes selon lequel cette étude n’a pas été prise en compte est dépourvu de tout fondement. De surcroît, il ressort du document d’appui que cette étude est révélatrice de plusieurs indicateurs d’un mode d’action endocrinien et de ses effets sur l’environnement, à savoir notamment une induction de la vittélogénine chez des poissons femelles, une féminisation des conduits gonadiques et des effets sur des caractéristiques sexuelles secondaires. Partant, cette étude n’est pas en contradiction avec l’étude Demska-Zakęś (2005), mais vient à l’appui des conclusions sur l’identification du PTBP en tant que perturbateur endocrinien ayant des effets néfastes sur l’environnement. Certes, la concentration pour laquelle l’étude Krueger et al. (2008) fait état d’effets sur le ratio des sexes, à savoir à une concentration de 500 μg/l, est sensiblement plus élevée que dans l’étude Demska-Zakęś (2005) qui a démontré de tels effets à une concentration de 1 μg/l. Néanmoins, ceci ne saurait être considéré comme une contradiction étant donné que les études ont été effectuées sur deux espèces de poisson différentes.

89      Au vu de ce qui précède, la troisième branche du premier moyen ne peut qu’être rejetée comme non fondée, tout comme ce moyen dans sa totalité.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 concernant le niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006

90      Dans le cadre du deuxième moyen, les requérantes font valoir que la République fédérale d’Allemagne, l’ECHA et la Commission ont commis trois erreurs entachant l’évaluation du niveau de préoccupation suscité par le PTBP. Premièrement, elles auraient collectivement omis de tenir compte d’autres facteurs pertinents. Deuxièmement, elles auraient erronément pris en compte un facteur non pertinent, à savoir la référence croisée avec d’autres substances. Troisièmement, elles se seraient appuyées sur une comparaison inappropriée entre le PTBP et d’autres substances figurant déjà sur la liste des substances candidates.

 Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d’un défaut de prise en considération d’autres facteurs pertinents

91      Par la première branche du deuxième moyen, les requérantes invoquent un défaut de prise en considération de tous les facteurs pertinents aux fins de la détermination du niveau de préoccupation suscité par le PTBP. La décision attaquée conclurait à tort que les présumés effets graves du PTBP sur l’environnement sont d’un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006, car cette conclusion ne tient pas compte, selon les requérantes, du fait que le PTBP se dégraderait rapidement. S’appuyant sur l’avis minoritaire du CEM, les requérantes font valoir que, si une substance ne remplit pas le critère de la persistance, elle ne saurait susciter un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances PBT et vPvB et, dès lors, devrait être considérée comme moins préoccupante de sorte qu’elle ne pourrait pas être identifiée en tant que substance extrêmement préoccupante.

92      À cet égard, s’appuyant sur les arrêts du 15 mars 2017, Polynt/ECHA (C‑323/15 P, EU:C:2017:207), et du 20 septembre 2019, PlasticsEurope/ECHA (T‑636/17, sous pourvoi, EU:T:2019:639), les requérantes font valoir que la détermination du niveau de préoccupation ne peut être restreinte aux seuls dangers issus des propriétés intrinsèques d’une substance concernée, mais devrait tenir compte d’autres facteurs comme notamment l’exposition reflétant les mesures de gestion des risques en vigueur. Ces facteurs additionnels seraient essentiels pour s’assurer que le régime d’autorisation, qui peut faire suite à l’inclusion d’une substance dans la liste des substances candidates, s’impose afin de parvenir à contrôler les risques issus de l’utilisation de cette substance. À cet égard, les requérantes soutiennent que l’identification d’une substance extrêmement préoccupante ne saurait se fonder sur un risque purement hypothétique ou sur un risque qui n’est pas suffisamment documenté sur la base des données scientifiques. S’appuyant par ailleurs sur l’arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil (T‑13/99, EU:T:2002:209), elles considèrent qu’une approche visant à exclure tout risque (approche « risque zéro ») serait contraire au principe de proportionnalité. Au soutien de ces arguments, d’une part, les requérantes renvoient à un document d’orientation de l’ECHA sur l’identification des substances extrêmement préoccupantes dont il ressortirait qu’il convient de tenir compte d’autres données que celles liées aux propriétés intrinsèques afin de démontrer que la substance suscite un niveau de préoccupation équivalent. D’autre part, elles renvoient, à titre d’exemple, à l’identification du bisphénol A en raison de ses effets sur la santé humaine.

93      La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments.

94      En réponse à cette première branche du deuxième moyen soulevée par les requérantes, il convient de rappeler d’emblée que l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 exige, pour l’identification de substances autres que celles répondant aux critères visés à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement, qu’il soit établi, au cas par cas, sur la base d’éléments scientifiques, d’une part, qu’il est probable que les substances concernées aient des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement et, d’autre part, que ces effets suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006, à savoir les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (ci-après les « substances CMR ») ainsi que les substances PBT et vPvB. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante doit être écartée dès lors que l’une de ces conditions fait défaut (arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA, C‑324/15 P, EU:C:2017:208, point 26).

95      S’agissant de la seconde condition énoncée à l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006, il convient de démontrer que ces effets « suscitent un niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité par les substances CMR, PBT ou vPvB. Or, comme l’a relevé la Cour au point 32 de l’arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA (C‑324/15 P, EU:C:2017:208), l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 ne fixe aucun critère et n’apporte aucune précision en ce qui concerne la nature des préoccupations qui sont susceptibles d’être prises en considération aux fins de l’identification d’une substance autre que CMR, PBT ou vPvB.

96      Dans ces conditions, il importe de déterminer, à la seule lumière des éléments pris en considération par la Commission, si cette institution a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination du niveau de préoccupation.

97      Tout d’abord, il y a lieu de constater qu’il ressort du considérant 5 de la décision attaquée que la Commission a considéré que les effets néfastes du PTBP sont d’une gravité analogue à ceux observés pour d’autres substances identifiées au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006. À cet égard, dans cette décision, la Commission renvoie notamment au fait que les effets observés chez les poissons sont irréversibles et susceptibles de concerner les populations d’animaux sauvages. En outre, la Commission partage l’avis exprimé par la majorité du CEM selon lequel il semble difficile de déterminer un niveau sûr d’exposition permettant d’évaluer correctement les risques, bien qu’un tel niveau puisse exister. Elle en conclut que les préoccupations suscitées par les effets néfastes sont d’un niveau équivalent à celles suscitées par les substances visées à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement. Elle y ajoute les considérations, liées à la puissance du PTBP, selon lesquelles ces préoccupations sont d’autant plus fortes que les effets néfastes sur le développement sexuel des poissons ont été observés dans l’étude clé Demska-Zakęś (2005) déjà à partir d’une concentration minimale de 1 μg/l.

98      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel le fait que le PTBP se dégrade rapidement s’opposait à la détermination d’un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006, premièrement, il y a lieu de renvoyer au point 56 ci-dessus, selon lequel l’interprétation avancée par les requérantes de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 dans son alternative visant les perturbateurs endocriniens, en substance, ferait de cette disposition une simple duplication des dispositions de l’article 57, sous d) et e), du même règlement, ce qui priverait d’effet utile les dispositions de l’article 57, sous f), dudit règlement en ce qu’il vise les substances possédant des propriétés perturbant le système endocrinien.

99      En ce qui concerne ensuite l’argument selon lequel la détermination du niveau de préoccupation doit nécessairement tenir compte des facteurs autres que ceux liés aux dangers issus des propretés intrinsèques comme notamment l’impact des mesures de gestion des risques en vigueur sur l’exposition environnementale, il y a lieu de souligner qu’il ressort de la jurisprudence que le champ d’application de l’article 57, sous f), dudit règlement englobe la possibilité, mais pas l’obligation, de prendre en considération, à des fins de comparaison, des éléments qui dépassent les seuls dangers issus des propriétés intrinsèques de la substance concernée afin de s’assurer que, parmi les différents régimes établis par ce règlement, celui de l’autorisation s’impose afin de parvenir à contrôler les risques nés de l’utilisation de cette substance (arrêt du 15 mars 2017, Polynt/ECHA, C‑323/15 P, EU:C:2017:207, points 34, 36, 40, 43 et 44). Ces autres facteurs susceptibles d’être pris en considération par l’ECHA et la Commission en vue de la détermination du niveau de préoccupation peuvent effectivement comprendre notamment la difficulté à évaluer de manière adéquate les risques posés par une substance lorsqu’il est impossible de déterminer avec la certitude requise un niveau dérivé sans effets ou bien des données liées à l’exposition environnementale reflétant des mesures de gestion des risques en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2017, Polynt/ECHA, C‑323/15 P, EU:C:2017:207, points 39 et 41).

100    En l’occurrence, la Commission ne s’est effectivement pas limitée, aux fins de la détermination d’un niveau de préoccupation équivalent, à une analyse des dangers issus des propriétés intrinsèques du PTBP. Au contraire, comme il ressort du considérant 5 de la décision attaquée, la Commission a notamment pris en considération les difficultés pour évaluer correctement les risques en raison des difficultés à déterminer un niveau sûr d’exposition tout en relevant également l’irréversibilité des effets, le fait qu’ils sont susceptibles de concerner les populations d’animaux sauvages ainsi que la puissance du PTBP exprimée par une concentration minimale avec effet observé de 1 μg/l.

101    Dans ces conditions, le simple renvoi à des mesures de gestion des risques en vigueur et à leur possible impact sur l’exposition environnementale tel qu’effectué par les requérantes n’est pas apte à remédier aux difficultés identifiées pour déterminer un niveau sûr d’exposition. Dès lors, même si la Commission avait pris en considération l’exposition environnementale et les mesures de gestion des risques en vigueur, ces données ne lui auraient pas permis de tirer d’autres conclusions sur le niveau de préoccupation suscité par le PTBP vu les difficultés entourant une évaluation correcte des risques. Autrement dit, si une évaluation correcte des risques n’est pas possible en raison des difficultés à déterminer un niveau sûr d’exposition, des données portant sur l’exposition environnementale ont une pertinence limitée dans la mesure où elles ne sauraient informer sur les risques et, partant, sur le niveau de préoccupation suscité par le PTBP.

102    Dès lors, la première branche du deuxième moyen doit être rejetée.

 Sur la deuxième branche du deuxième moyen, tirée de la prise en considération des références croisées

103    Par la deuxième branche du deuxième moyen, les requérantes invoquent le fait que la conclusion selon laquelle le PTBP présente un niveau de préoccupation équivalent repose, sans justification ou contexte valide, sur le critère exclusif des références croisées avec d’autres substances de la classe des alkylphénols (par exemple le 4-nonylphénol et le 4-tert-octylphénol). Or, à l’instar de l’avis minoritaire du CEM, il conviendrait de constater que le PTBP se distingue des autres alkylphénols et notamment du 4-tert-pentylphénol en ce qu’il se dégraderait rapidement. Partant, il pourrait en être déduit que l’effet perturbateur endocrinien du PTBP est moindre que dans le cas des autres alkylphénols. Or, la Commission aurait omis d’effectuer une évaluation critique de la biodégradabilité du PTBP avant de prendre en considération des références croisées.

104    À cet égard, les requérantes font également valoir que, en raison de sa moindre persistance, le PTBP aurait dû se voir attribuer une classification inférieure sur le plan de ses effets chroniques aquatiques, c’est-à-dire que le PTBP aurait dû être classé parmi les substances de toxicité aquatique chronique 2 et non les substances de toxicité aquatique chronique 1. Dès lors, en s’appuyant sur l’avis minoritaire du CEM ainsi que sur le règlement no 1272/2008, les requérantes estiment que le PTBP ne suscite pas le niveau de préoccupation le plus élevé ou un niveau de préoccupation entraînant une identification en tant que substance extrêmement préoccupante.

105    La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments.

106    À titre liminaire, il convient de relever qu’il ressort des considérants 4 et 5 de la décision attaquée que la Commission a considéré que « la conclusion selon laquelle le PTBP agit comme perturbateur endocrinien est, par ailleurs, étayée par des références croisées avec d’autres substances appartenant à la même classe chimique des alkylphénols que le PTBP ». C’est sur cette base que la Commission a conclu à l’existence de preuves scientifiques d’effets graves probables sur l’environnement qu’elle considère comme étant « d’une gravité similaire à ceux observés pour d’autres substances identifiées comme extrêmement préoccupantes conformément à l’article 57, [sous] f), du règlement [no 1907/2006] ». Selon le document d’appui, le recours à la méthode des références croisées s’explique, en l’occurrence, notamment par l’indisponibilité des données sur les effets à long terme et intergénérationnels d’une exposition au PTBP. Ce document explique que, pour le 4-nonylphénol et 4-tert-octylphénol, de telles données sont disponibles et que, en raison de la similitude entre les propriétés du PTBP, du 4-nonylphénol et du 4-tert-octylphénol, il est fort probable que de tels effets se produisent également à la suite d’une exposition au PTBP.

107    Il est établi que le règlement no 1907/2006 reconnaît le recours à la méthode des références croisées aux fins de l’évaluation des substances chimiques (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Nickel Institute, C‑14/10, EU:C:2011:503, point 77).

108    Selon l’article 13 du règlement no 1907/2006, les informations fournies en vue de l’évaluation des substances chimiques en ce qui concerne en particulier la toxicité pour l’espèce humaine doivent être obtenues, pour autant que possible, par d’autres moyens que les essais sur des animaux vertébrés, par le recours à des méthodes alternatives, par exemple les méthodes in vitro ou par des modèles de relations qualitatives ou quantitatives structure/activité ou par l’exploitation de données sur des substances structurellement proches (regroupement ou références croisées).

109    En outre, le point 1.5 de l’annexe XI du règlement no 1907/2006 prévoit expressément l’utilisation de la méthode des références croisées dans l’évaluation des substances chimiques. À cet égard, il est notamment prévu que les substances dont les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques sont probablement similaires ou suivent un schéma régulier en raison de leur similarité structurelle peuvent être considérées comme un groupe ou une « catégorie » de substances. L’application du concept de groupe exige que, notamment, les propriétés physico-chimiques ainsi que les effets sur la santé humaine et sur l’environnement puissent être prédits sur la base de données relatives à une ou plusieurs substances de référence appartenant au même groupe, par interpolation vers d’autres substances du groupe (méthode des références croisées).

110    Il s’ensuit que le recours à la méthode des références croisées se justifie, d’une part, par l’objectif d’éviter des essais sur des animaux vertébrés et, d’autre part, par la similitude entre les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques des substances appartenant au même groupe.

111    En l’occurrence, le fait que le PTBP fasse partie du groupe des alkylphénols et présente une similitude structurelle avec d’autres alkylphénols déjà identifiés n’est pas remis en cause par les requérantes. Néanmoins, elles estiment, à l’instar de l’avis minoritaire du CEM, que la moindre persistance du PTBP s’opposait au recours à la méthode des références croisées.

112    Or, comme l’a expliqué notamment l’ECHA lors de l’audience, la biodégradabilité rapide du PTBP en soi ne saurait remettre en cause la conclusion selon laquelle le PTBP présente une similitude structurelle avec les autres alkylphénols déjà identifiés en ce qui concerne les propriétés physico-chimiques et les effets à médiation endocrinienne. Aussi, comme l’a relevé la République fédérale d’Allemagne lors de l’audience, la biodégradabilité n’étant qu’un critère susceptible d’informer sur la période de temps pendant laquelle une substance reste dans l’environnement, elle ne constitue pas un facteur pertinent par rapport à la question de savoir si la substance a des effets graves sur l’environnement et le niveau de préoccupation qui en résulte. Même si une substance se dégrade rapidement, elle peut néanmoins avoir des effets graves sur l’environnement notamment si cette substance est introduite dans l’environnement de manière continuelle. Dans ces conditions, le constat de la biodégradabilité rapide du PTBP ne pouvait faire obstacle au recours par la Commission à des références croisées avec d’autres substances structurellement similaires au niveau des propriétés physico-chimiques dans le cadre de son identification en raison des effets à médiation endocrinienne.

113    Au demeurant, il convient de relever que la Commission s’est appuyée, dans le cadre de la détermination du niveau de préoccupation, notamment sur l’irréversibilité des effets sur l’environnement pendant tout le cycle de vie des organismes exposés à d’autres alkylphénols. Ces considérations sont étayées par le document d’appui qui indique qu’une exposition aux 4-nonylphénol et 4-tert-octylphénol durant des stades critiques de la vie des poissons peut causer des effets qui demeurent irréversibles non seulement dans les organismes exposés pendant le cycle de vie, mais également dans les générations suivantes, de sorte que ces effets persistent même après une exposition. Il s’ensuit que les effets graves du PTBP sur l’environnement ne dépendent pas du fait que le PTBP reste dans l’environnement, mais, au contraire, subsistent même après l’exposition. Partant, la biodégradabilité rapide du PTBP dans l’environnement ne saurait remédier aux préoccupations liées à l’irréversibilité des effets qui subsistent même après que le PTBP se soit dégradé.

114    Dans ces conditions, le fait que le PTBP diffère des autres alkylphénols dans la mesure où il est rapidement dégradable dans l’environnement, en soi, ne s’opposait pas à ce que la Commission s’appuie, moyennant l’approche des références croisées, sur les conclusions tirées des autres alkylphénols identifiées sur l’irréversibilité des effets chez les poissons exposés aux fins de la détermination du niveau de préoccupation.

115    Par ailleurs, il y a lieu de relever qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission a utilisé les références croisées uniquement pour étayer les conclusions selon lesquelles le PTBP agit comme un perturbateur endocrinien ayant des effets graves sur l’environnement suscitant un niveau de préoccupation équivalent. Cette conclusion a été tirée en premier lieu des diverses données in vitro et in vivo, à savoir notamment l’étude clé Demska-Zakęś (2005). En ce qui concerne plus particulièrement le niveau de préoccupation, la décision attaquée renvoie notamment aux difficultés de déterminer un niveau sûr d’exposition permettant d’évaluer correctement les risques. Aussi, il ressort de la décision attaquée que les préoccupations suscitées par le PTBP sont d’autant plus fortes que les effets néfastes sur le développement sexuel des poissons ont été observés dans l’étude clé à de faibles niveaux de concentration. Dans ces conditions, il convient d’écarter notamment l’argument des requérantes selon lequel la Commission se serait fondée de manière exclusive et décisive sur des références croisées avec d’autres alkylphénols afin d’identifier le PTBP en tant que substance extrêmement préoccupante.

116    Enfin, il y a lieu de souligner que les requérantes ne sauraient remettre en cause, dans le présent recours, la classification du PTBP au titre du règlement no 1272/2008 en raison de sa toxicité aquatique chronique étant donné qu’elle n’a pas été harmonisée par la décision attaquée. Même si la classification du PTBP s’avérait incorrecte et si cette substance aurait plutôt dû être classée parmi les substances de toxicité aquatique chronique 2 au lieu de 1, une telle classification, en soi, ne s’opposerait pas, en tant que telle, au constat d’un niveau de préoccupation équivalent au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 qui n’est pas conditionné par une telle classification.

117    Dans ces conditions, la deuxième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la troisième branche du deuxième moyen, tirée de la comparaison avec d’autres substances déjà inscrites sur la liste des substances candidates

118    À l’appui de la troisième branche du deuxième moyen, les requérantes font observer qu’il ressort de la décision attaquée que le PTBP est une substance extrêmement préoccupante étant donné qu’il suscite un niveau de préoccupation équivalent « à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées [aux dispositions sous] a) à e) de l’article 57 dudit règlement ». Ainsi, la généralité du libellé de l’article 1er de la décision attaquée permettrait de penser, selon les requérantes, que le PTBP a également été identifié en tant que substance suscitant un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances CMR telles que visées à l’article 57, sous a) à c), du règlement no 1907/2006. Or, tandis que le dossier élaboré conformément à l’annexe XV ainsi que l’avis du CEM auraient concentré leur évaluation sur les propriétés PBT et vPvB de la substance, la Commission n’aurait apporté aucune évaluation scientifique à l’appui de son affirmation figurant à l’article 1er de la décision attaquée selon laquelle le PTBP suscite un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances CMR. L’objectif de l’identification des substances extrêmement préoccupantes de fixer des obligations de partage des informations sur les substances extrêmement préoccupantes au sein de la chaîne d’approvisionnement et avec les consommateurs, aurait mieux été atteint, selon elles, si la décision attaquée avait fait apparaître de manière précise les raisons justifiant l’inclusion.

119    La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments.

120    À titre liminaire, il y a lieu de constater que, par la troisième branche du deuxième moyen, les requérantes remettent en cause, en substance, la formulation utilisée par la Commission dans la décision attaquée selon laquelle « les préoccupations suscitées par les effets néfastes sont d’un niveau équivalent à celles suscitées par les substances visées à l’article 57, [sous] a) à e), du règlement [no 1907/2006] ». Les requérantes estiment que la Commission aurait dû expliquer en quoi les effets du PTBP suscitaient un niveau de préoccupation qui pouvait être considéré comme équivalent à celui suscité spécifiquement par les substances visées à l’article 57, sous a) à c), dudit règlement, à savoir les substances CMR.

121    Or, l’argument des requérantes repose sur une interprétation erronée du libellé de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006.

122    L’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 exige, pour l’identification de substances autres que celles répondant aux critères visés à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement, qu’il soit établi, au cas par cas, sur la base d’éléments scientifiques, d’une part, qu’il est probable que les substances concernées aient des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement et, d’autre part, que ces effets suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement no 1907/2006, à savoir les substances CMR, PBT et vPvB. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante doit être écartée dès lors que l’une de ces conditions fait défaut (arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA, C‑324/15 P, EU:C:2017:208, point 26).

123    Selon la seconde condition énoncée à l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006, il convient de démontrer que ces effets « suscitent un niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité par les substances CMR, PBT ou vPvB. Or, comme l’a relevé la Cour au point 32 de l’arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA (C‑324/15 P, EU:C:2017:208), l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 ne fixe aucun critère et n’apporte aucune précision en ce qui concerne la nature des préoccupations qui sont susceptibles d’être prises en considération aux fins de l’identification d’une substance autre que les substances CMR, PBT ou vPvB.

124    La seconde condition n’exige ni que la substance en cause à identifier au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 partage les mêmes propriétés intrinsèques que les substances visées sous a) à e) du même article, ni que les préoccupations suscitées par cette substance soient identiques aux préoccupations suscitées par chaque catégorie des substances visées sous a) à e). Toute autre interprétation ferait de l’article 57, sous f), une simple duplication des dispositions de l’article 57, sous a) à e), du même règlement et irait ainsi, notamment, à l’encontre de l’objectif du règlement no 1907/2006, énoncé à son article 1er, paragraphe 1, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, PlasticsEurope/ECHA, T‑207/18, sous pourvoi, EU:T:2020:623, point 225).

125    En l’occurrence, la Commission a suivi l’avis majoritaire du CEM tel qu’il ressort du document d’appui. Or, il ressort du document d’appui que cet avis a estimé que le niveau de préoccupation suscité par le PTBP était équivalent au niveau de préoccupation suscité par les substances PBT et vPvB visées à l’article 57, sous d) et e), du règlement no 1907/2006. Certes, selon le considérant 5 de la décision attaquée, la Commission « considère par conséquent que les préoccupations suscitées par les effets néfastes sont d’un niveau équivalent à celles suscitées par les substances visées à l’article 57, points a) à e), du règlement (CE) no 1907/2006 ». Néanmoins, il convient de relever que ce libellé général reprenant le libellé de l’article 57, sous f), dudit règlement, se trouve également dans la partie « conclusions » du document d’appui et correspond à une pratique courante de formulation des décisions d’identification des substances extrêmement préoccupantes. Il ne saurait en être déduit que la Commission a également considéré que les préoccupations suscitées par le PTBP étaient équivalentes à celles suscitées par les substances CMR visées sous a) à c) dans cet article.

126    En tout état de cause, la Commission, au considérant 5 de la décision attaquée, a mentionné les considérations qui l’ont amenée à considérer que la condition du niveau de préoccupation équivalent était remplie. À cet égard, en s’appuyant sur des références croisées avec d’autres substances appartenant à la classe des alkylphénols, ladite décision renvoie notamment à la gravité des effets, leur irréversibilité ainsi que le fait que les effets néfastes sur le développement sexuel des poissons ont été observés dans l’étude clé déjà à partir d’une concentration minimale avec effet observé de 1 μg/l.

127    En outre, contrairement à ce que semblent alléguer les requérantes, la décision attaquée est formulée d’une manière qui permet aux fournisseurs et aux utilisateurs du PTBP de se conformer aux obligations d’information telles qu’établies par le règlement no 1907/2006. En effet, les obligations d’information tout au long de la chaîne d’approvisionnement telles que déclenchées par l’identification d’une substance et son inclusion dans la liste des substances candidates portent sur ses propriétés dangereuses. Ainsi, les fiches de données de sécurité doivent contenir, conformément à l’article 31, paragraphe 6, du règlement no 1907/2006, des informations portant sur l’identification de la substance, ses dangers et ses propriétés physiques et chimiques. En l’occurrence, la décision attaquée fournit l’information nécessaire à cet égard dans la mesure où elle indique clairement que le PTBP est identifié au titre de l’article 57, sous f), dudit règlement, en raison de ses propriétés de perturbateur endocrinien ayant des effets néfastes sur l’environnement liés à un mode d’action œstrogénique du PTBP.

128    Au vu de ce qui précède, la troisième branche du deuxième moyen doit être rejetée, tout comme ce moyen dans sa totalité.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation du fait de la « non-prise en considération attentive de toutes les informations pertinentes et en particulier des données relatives à l’exposition »

129    Dans le cadre d’un troisième moyen, les requérantes, s’appuyant sur l’arrêt du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission (T‑75/06, EU:T:2008:317), invoquent une erreur manifeste d’appréciation au motif que la Commission aurait omis d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments prétendument pertinents aux fins de l’identification du PTBP, à savoir notamment la puissance, la biodégradabilité, la bioaccumulation et l’exposition environnementale du PTBP.

130    La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments. Elle considère que ce troisième moyen est, en substance, une répétition, d’une part, de la deuxième branche du premier moyen, dans la mesure où il concernerait un défaut de prise en compte de toutes les données disponibles pour la réalisation de la première condition prévue à l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 et, d’autre part, de la première branche du deuxième moyen, dans la mesure où il concernerait un défaut de prise en compte d’autres facteurs aux fins de la détermination d’un niveau de préoccupation équivalent.

131    Interrogées sur la teneur autonome de ce troisième moyen lors de l’audience, les requérantes ont expliqué que ce moyen se distingue de la deuxième branche du premier moyen ainsi que de la première branche du deuxième moyen dans la mesure où ce troisième moyen vise en particulier le défaut d’un examen effectué avec soin et impartialité des facteurs évoqués au point 129 ci-dessus.

132    En réponse à cet argument, il convient de relever qu’il ressort du point 84 de l’arrêt du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission (T‑75/06, EU:T:2008:317), invoqué par les requérantes à l’appui du troisième moyen, que le juge de l’Union doit contrôler si l’institution en cause a examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce.

133    Or, comme relevé aux points 54 à 59 et 112 ci-dessus, dans le cas d’espèce de l’identification d’une substance au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006 en raison de ses propriétés perturbant le système endocrinien, les facteurs concernant lesquels les requérantes allèguent un défaut d’examen avec soin et impartialité, à savoir la biodégradabilité, la bioaccumulation, la puissance et l’exposition environnementale, ne constituent pas des informations qui doivent être considérées comme pertinentes aux fins d’une telle identification. Dès lors, la Commission n’était pas dans l’obligation de les prendre en considération lors de l’identification du PTBP, de sorte qu’il ne peut pas lui être reproché un défaut d’examen avec soin et impartialité de ces facteurs.

134    Partant, il convient de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité du fait que les options les moins contraignantes n’auraient pas été retenues

135    Par le quatrième moyen, les requérantes font valoir que l’identification du PTBP en tant que substance extrêmement préoccupante est disproportionnée dans la mesure où l’identification constituerait la mesure la plus contraignante parmi d’autres et présenterait des inconvénients démesurés par rapport à l’objectif du règlement no 1907/2006, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement.

136    À cet égard, les requérantes expliquent qu’elles ont effectué une évaluation de la sécurité chimique du PTBP dans le cadre de la procédure d’enregistrement conformément à l’article 14 du règlement no 1907/2006. Cette évaluation aurait compris une évaluation des dangers pour l’environnement, des scénarios d’exposition ainsi qu’une caractérisation des risques. Sur la base de cette évaluation, les requérantes auraient appliqué des mesures appropriées de contrôle des risques identifiées dans le rapport sur la sécurité chimique.

137    Dans ces conditions, la Commission aurait dû, selon elles, analyser soigneusement le rapport sur la sécurité chimique et les mesures de gestion des risques que les requérantes avaient proposées avant de décider sur l’opportunité d’identifier le PTBP en tant que substance extrêmement préoccupante. Par ailleurs, de l’avis des requérantes, il aurait été plus approprié d’évaluer le PTBP dans le cadre de la procédure d’évaluation prévue au titre VI du règlement no 1907/2006.

138    À la lumière des mesures précitées, l’identification du PTBP et son inclusion dans la liste des substances candidates constituerait la mesure la plus contraignante. Or, l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement aurait pu être atteint par l’application de mesures de gestion des risques qui constituaient, selon les requérantes une approche moins contraignante, mais néanmoins adéquate pour contrôler les risques associés au PTBP.

139    La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments.

140    À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que le principe de proportionnalité, qui est énoncé à l’article 5, paragraphe 4, TUE et qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige, selon une jurisprudence constante, que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante. En ce qui concerne le contrôle juridictionnel de ces conditions, il y a lieu de reconnaître à la Commission un large pouvoir d’appréciation dans les domaines dans lesquels elle est appelée à effectuer des appréciations complexes. Seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que le législateur entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, points 124 et 125 et jurisprudence citée).

141    Il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006 que ce règlement vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. Eu égard au considérant 16 de ce règlement, il convient de constater que le législateur a fixé comme objectif principal le premier de ces trois objectifs, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement (arrêt du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a., C‑558/07, EU:C:2009:430, point 45). Pour ce qui est plus spécifiquement du but de la procédure d’autorisation, dont relève la procédure d’identification visée à l’article 59 du règlement no 1907/2006, l’article 55 dudit règlement prévoit qu’elle vise à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant que les risques résultant de substances extrêmement préoccupantes seront valablement maîtrisés et que ces substances seront progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables (arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA, T‑93/10, EU:T:2013:106, point 116).

142    Les requérantes font valoir que la décision attaquée dépasse les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis dès lors que l’évaluation du PTBP et l’application des mesures de gestion des risques telles qu’identifiées dans le rapport sur la sécurité chimique établi conformément à l’article 14 du règlement no 1907/2006 constitueraient des mesures moins contraignantes.

143    À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ne ressort aucunement du règlement no 1907/2006 que le législateur entendait subordonner la procédure d’identification menée conformément à l’article 59 dudit règlement, qui fait partie de la procédure d’autorisation d’une substance visée au titre VII de ce règlement, à la procédure d’enregistrement prévue au titre II du même règlement et dont relèvent les obligations visées à l’article 14 de ce règlement ou à la procédure d’évaluation visée aux articles 44 à 48 du même règlement. Il est exact que la procédure d’enregistrement et la procédure d’évaluation, qui est conçue comme un suivi de l’enregistrement selon le considérant 20 du règlement no 1907/2006, servent également à améliorer l’information du public et des professionnels sur les dangers et les risques d’une substance, ainsi qu’il ressort des considérants 19 et 21 de ce règlement. Toutefois, alors que les substances enregistrées devraient pouvoir circuler sur le marché intérieur, ainsi qu’il ressort du considérant 19 du règlement no 1907/2006, l’objectif de la procédure d’autorisation, dont relève la procédure d’identification visée à l’article 59 dudit règlement, est notamment de remplacer progressivement les substances extrêmement préoccupantes par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables. En outre, ainsi qu’il ressort du considérant 69 du règlement no 1907/2006, le législateur a voulu accorder une attention particulière aux substances extrêmement préoccupantes (arrêt du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 114).

144    Par conséquent, contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, ni l’évaluation d’une substance prévue aux articles 44 à 48 du règlement no 1907/2006 ni les mesures de gestion des risques proposées en vertu de l’article 14, paragraphe 6, de ce règlement ne constituent des mesures appropriées à la réalisation des objectifs poursuivis par ledit règlement relatifs au traitement des substances extrêmement préoccupantes et ne sont donc des mesures moins contraignantes en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, Bilbaína de Alquitranes e.a./ECHA, T‑93/10, EU:T:2013:106, points 123 à 126).

145    Par ailleurs, il convient de relever que le Tribunal a jugé que l’objectif de la liste des substances candidates relatif au partage des informations sur les substances extrêmement préoccupantes au sein de la chaîne d’approvisionnement et avec les consommateurs l’emporte sur les inconvénients résultant notamment d’une application de l’article 31, paragraphe 9, et de l’article 34 du règlement no 1907/2006 (arrêt du 11 juillet 2019, PlasticsEurope/ECHA, T‑185/17, non publié, EU:T:2019:492, point 64). Dès lors, les requérantes ne sauraient prétendre que l’identification du PTBP présenterait des inconvénients démesurés par rapport aux objectifs poursuivis par le règlement no 1907/2006.

146    Dans ces conditions, le quatrième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité du fait qu’aucune analyse de la meilleure option de gestion des risques tenant compte des mesures de gestion des risques déjà mises en place n’aurait été effectuée

147    Par le cinquième moyen, les requérantes font valoir que le principe de proportionnalité a été violé, car, avant l’identification du PTBP en tant que substance extrêmement préoccupante, l’instrument le plus approprié n’aurait pas été examiné dans le cadre de l’analyse des options de gestion des risques telle qu’effectuée par la République fédérale d’Allemagne.

148    À cet égard, les requérantes renvoient à la feuille de route pour 2020 sur les substances extrêmement préoccupantes de la Commission (ci-après la « feuille de route sur les substances extrêmement préoccupantes ») ainsi qu’au plan de mise en œuvre de la feuille de route. Selon ce dernier, l’analyse de la meilleure option de gestion des risques doit permettre de déterminer si une substance répondant aux critères énoncés à l’article 57 du règlement no 1907/2006 est pertinente en vertu de la feuille de route et, dès lors, si la procédure d’autorisation, dont l’identification de la substance comme extrêmement préoccupante constitue la première étape, doit être lancée ou s’il convient de poursuivre une autre option réglementaire de gestion des risques, comme par exemple la recommandation d’une restriction au titre de l’article 69 dudit règlement. La feuille de route accorderait une priorité notamment aux substances qui ne sont pas exclusivement enregistrées pour des utilisations intermédiaires et dont les informations disponibles ne laissent pas apparaître à première vue l’existence d’un risque non adéquatement contrôlé, tandis qu’en cas de risque prouvé lié à l’utilisation, une procédure de restriction devrait être entamée conformément à l’article 69 dudit règlement.

149    Dans la réplique, les requérantes font valoir qu’en adoptant la feuille de route, la Commission aurait « limité son pouvoir de privilégier une position divergente ». En s’appuyant sur l’arrêt du 17 mai 2018, BASF Agro e.a./Commission (T‑584/13, EU:T:2018:279), dans lequel le Tribunal aurait considéré que la Commission avait violé le principe de précaution, car elle avait omis d’effectuer une analyse d’impact des mesures envisagées, alors qu’une telle analyse est prévue dans la communication sur le recours au principe de précaution, les requérantes affirment que la Commission n’aurait pas dû s’écarter des dispositions de la feuille de route sur les substances extrêmement préoccupantes sans donner de raisons adéquates.

150    Dans ce contexte, les requérantes affirment que le PTBP n’aurait pas dû être identifié en tant que substance extrêmement préoccupante, car les critères établis par la feuille de route ne seraient pas remplis. D’une part, le PTBP serait essentiellement utilisé en tant qu’intermédiaire et, d’autre part, les risques liés au PTBP auraient, selon elles, pu être contrôlés par les mesures de gestion des risques qu’elles ont déjà mises en place telles qu’elles figurent dans le rapport sur la sécurité chimique relatif au PTBP. En outre, elles affirment que la République fédérale d’Allemagne aurait dû évaluer l’opportunité de lancer une procédure de restriction avant de recommander l’ouverture de la procédure d’identification de la substance en tant que substance extrêmement préoccupante. Or, cet État membre, dans l’analyse de la meilleure option de gestion des risques effectuée pour le PTBP, n’aurait pas évalué l’option la moins contraignante, à savoir la procédure de restriction et, par conséquent, aurait recommandé à tort l’ouverture de la procédure menant à l’inclusion du PTBP dans la liste des substances candidates. Interrogées sur cet argument lors de l’audience, les requérantes ont expliqué qu’elles estiment que l’identification d’une substance extrêmement préoccupante débouche inévitablement sur sa soumission au régime d’autorisation ce qui équivaut, en substance, à une interdiction de mettre cette substance sur le marché, sauf en cas d’autorisation octroyée conformément à l’article 60 du règlement no 1907/2006. Par ailleurs, même si une telle autorisation est octroyée, une substance incluse dans l’annexe XIV devrait progressivement être remplacée par d’autres substances. En revanche, une restriction ne signifierait pas nécessairement une interdiction absolue d’utiliser une substance. Ainsi, une restriction pourrait être déterminée en fonction des niveaux de concentration du PTBP posant un risque pour l’environnement, de sorte que la substance puisse être utilisée dans le cadre défini par une telle restriction.

151    Selon les requérantes, la République fédérale d’Allemagne aurait simplement conclu que d’autres éléments étaient nécessaires pour déterminer les mesures de gestion des risques les plus appropriées sans néanmoins préciser quels étaient ces autres éléments. Or, l’analyse de la meilleure option de gestion des risques aurait notamment omis de prendre en considération les données d’exposition existantes, les mesures d’atténuation des risques et les conditions d’exploitation figurant dans le rapport sur la sécurité chimique relatif au PTBP reprenant les niveaux sûrs d’exposition. Par conséquent, la décision attaquée reposerait sur des informations tronquées et serait aussi disproportionnée par rapport aux objectifs visés. À cet égard, les requérantes font également valoir qu’une approche du « risque zéro » n’est pas reconnue par la jurisprudence et qu’une telle approche serait contraire au principe de proportionnalité.

152    La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA, conteste ces arguments.

153    Par le cinquième moyen, les requérantes font valoir, en substance, que le PTBP n’aurait pas dû être identifié en tant que substance extrêmement préoccupante conformément aux recommandations de l’analyse de la meilleure option de gestion des risques étant donné que cette analyse aurait omis d’évaluer notamment les mesures de gestion des risques les plus appropriées en prenant en considération notamment les données d’exposition existantes, les mesures d’atténuation des risques et les conditions d’exploitation figurant dans le rapport sur la sécurité chimique relatif au PTBP reprenant les niveaux sûrs d’exposition. Dans ces conditions, selon elles, l’analyse des options de gestion des risques n’aurait pas pu conclure à la recommandation de procéder à une identification du PTBP qui d’ailleurs serait contraire aux critères établis par la feuille de route sur les substances extrêmement préoccupantes.

154    À titre liminaire, il y a lieu de relever que la feuille de route sur les substances extrêmement préoccupantes a été développée par la Commission en collaboration avec l’ECHA et visait à définir une procédure permettant d’identifier et d’inclure dans la liste des substances candidates toutes les substances extrêmement préoccupantes jugées pertinentes (« relevant ») jusqu’à 2020. La feuille de route est explicitement sans préjudice des dispositions légales du règlement no 1907/2006. Bien que l’analyse des options de gestion des risques soit conçue comme une étape critique dans la détermination de la pertinence d’une substance extrêmement préoccupante, elle demeure néanmoins un exercice volontaire. D’ailleurs, en l’espèce, l’analyse des options de gestion des risques est effectuée par un État membre, en l’occurrence, la République fédérale d’Allemagne. Il s’ensuit que la Commission n’était aucunement liée par cette analyse dans sa propre identification du PTBP.

155    Au demeurant, il convient de constater que, pour les raisons exposées ci-après et contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, l’identification du PTBP n’est pas contraire aux orientations que donne la feuille de route sur les substances extrêmement préoccupantes.

156    Premièrement, il ressort de la feuille de route sur les substances extrêmement préoccupantes que la Commission estime que, dans le cas spécifique des perturbateurs endocriniens, une identification formelle en tant que substance extrêmement préoccupante peut être prévue indépendamment des recommandations de l’analyse des options de gestion des risques.

157    Deuxièmement, bien qu’il soit considéré dans la feuille de route qu’une substance extrêmement préoccupante jugée pertinente aux fins d’une identification formelle devrait être une substance qui n’a pas été exclusivement enregistrée pour des utilisations intermédiaires, il est constant que le PTBP est utilisé non seulement à des fins intermédiaires, mais aussi à des fins non-intermédiaires. Par ailleurs, la feuille de route reconnaît explicitement que, même si une substance est enregistrée exclusivement pour des utilisations intermédiaires, cela n’empêche pas que la substance soit néanmoins considérée comme pertinente aux fins d’une identification en tant que substance extrêmement préoccupante.

158    Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel l’analyse des options de gestion des risques aurait dû évaluer l’option de recourir à la procédure de restriction, il convient de constater, d’une part, que cet argument repose sur une mauvaise interprétation de la feuille de route et des dispositions du règlement no 1907/2006 dans la mesure où les requérantes semblent estimer que l’identification et la procédure de restriction sont mutuellement exclusives. Or, tel n’est pas le cas. Ainsi, il ressort de la feuille de route elle-même que, notamment dans le cas spécifique des perturbateurs endocriniens, une telle substance peut être incluse dans la liste des substances candidates même si une restriction est prévue car l’identification formelle en tant que substance extrêmement préoccupante peut éviter de discuter de nouveau des propriétés dangereuses lors de la procédure de restriction. D’autre part, la jurisprudence a déjà confirmé que le simple fait qu’une substance figure dans la liste des substances candidates n’empêche pas de soumettre cette substance à des restrictions (voir, en ce sens, arrêt du 25 septembre 2015, PPG et SNF/ECHA, T‑268/10 RENV, EU:T:2015:698, points 90 et 91).

159    Enfin, il y a lieu de constater que les requérantes partent de l’hypothèse erronée selon laquelle la restriction constitue une mesure moins contraignante que l’identification d’une substance. Or, l’identification d’une substance, en vertu de l’article 59 du règlement no 1907/2006, déclenche essentiellement des obligations d’information telles que prévues notamment à l’article 7, paragraphe 2, à l’article 31, paragraphe 1, sous c), à l’article 31, paragraphe 3, sous b), ainsi qu’à l’article 33, paragraphes 1 et 2, dudit règlement. En revanche, la procédure de restriction initiée conformément à l’article 69, paragraphe 1er, ou à l’article 69, paragraphe 4, dudit règlement peut aboutir à une restriction de la fabrication, la mise sur le marché ou l’utilisation d’une substance. Dans la mesure où les requérantes semblent alléguer que l’identification d’une substance extrêmement préoccupante débouche inévitablement sur l’inclusion de cette substance dans l’annexe XIV et la soumission de cette substance au régime d’autorisation, il y a lieu de relever que l’inclusion d’une substance identifiée en tant que substance extrêmement préoccupante dans l’annexe XIV, au titre de l’article 58 du règlement no 1907/2006, constitue une décision autonome par rapport à la décision d’identification prise conformément à l’article 59 de ce règlement. Ainsi, il ressort de l’article 58, paragraphe 2, dudit règlement que la décision sur l’inclusion de la substance dans l’annexe XIV peut notamment prévoir que certaines utilisations ou catégories d’usages sont exemptées de l’obligation d’autorisation. Dans ces conditions, les requérantes ne sauraient prétendre que la décision d’identifier une substance en tant que substance extrêmement préoccupante entraîne nécessairement une interdiction absolue de mettre sur le marché et d’utiliser la substance en cause et que, partant, une restriction constituerait une mesure moins contraignante que l’identification du PTBP comme extrêmement préoccupante au titre de l’article 57, sous f), du règlement no 1907/2006.

160    Dès lors, il ne peut pas être affirmé, au soutien d’une prétendue violation du principe de proportionnalité, que la restriction constitue une mesure moins contraignante que l’identification d’une substance en vertu de l’article 59 du règlement no 1907/2006.

161    Au vu de ce qui précède, le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

162    Par conséquent, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

163    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

164    Selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Selon l’article 1er, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure, le terme « institutions » désigne les institutions de l’Union visées à l’article 13, paragraphe 1, TUE ainsi que les organes ou organismes créés par les traités ou par un acte pris pour leur exécution et qui peuvent être parties devant le Tribunal. Selon l’article 100 du règlement no 1907/2006, l’ECHA est un organisme de l’Union. Il s’ensuit que la République fédérale d’Allemagne et l’ECHA supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Sasol Germany GmbH, SI Group – Béthune et BASF SE supporteront, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne.

3)      La République fédérale d’Allemagne et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) supporteront leurs propres dépens.

Svenningsen

Barents

Laitenberger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 novembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.