Language of document : ECLI:EU:T:2019:502

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

11 juillet 2019 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans les affaires jointes T‑244/16 et T‑285/17,

Viktor Fedorovych Yanukovych, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par M. T. Beazley, QC, Mme E. Dean et M. J. Marjason-Stamp, barristers,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme P. Mahnič et M. J.-P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2016/318 du Conseil, du 4 mars 2016, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 76), et du règlement d’exécution (UE) 2016/311 du Conseil, du 4 mars 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2016, L 60, p. 1), et, d’autre part, de la décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 34), et du règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 1), dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 octobre 2018,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Les présentes affaires s’inscrivent dans le cadre des mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Viktor Fedorovych Yanukovych, est l’ancien président de l’Ukraine.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption de mesures de gel des fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par ces actes apparaissent sur la liste, identique, figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑346/14, ayant pour objet notamment une demande d’annulation de la décision 2014/119 et du règlement no 208/2014, en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des personnes visées par le gel des fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes : 

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

14      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, modifié l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a modifié en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien président de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Le 8 avril 2015, le requérant a adapté ses conclusions, dans le cadre de l’affaire T‑346/14, de sorte que celles-ci visaient également l’annulation de la décision 2015/143, du règlement 2015/138 ainsi que des actes de mars 2015, en tant que ces actes le concernaient.

17      Par courrier du 6 novembre 2015, le Conseil a communiqué au requérant une lettre du 3 septembre 2015 émanant du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») et adressée au haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Par lettre du 26 novembre 2015, le requérant a présenté ses observations.

18      Par courrier du 15 décembre 2015, le Conseil a communiqué au requérant une lettre du BPG du 30 novembre 2015. Dans cette lettre, le Conseil l’a informé qu’il entendait maintenir les mesures restrictives à son égard, en lui précisant quel était le délai fixé afin de présenter des observations aux fins du réexamen annuel. Par lettre du 4 janvier 2016, le requérant a présenté ses observations.

19      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

20      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015.

21      Par courrier du 7 mars 2016, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard, puis a répondu aux observations formulées par celui-ci dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes de mars 2016. En outre, il a indiqué le délai pour lui présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien du nom du requérant sur la liste.

22      Par arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497), le Tribunal a annulé la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, en ce qu’ils visaient le requérant, et rejeté la demande d’annulation, contenue dans l’adaptation de la requête, concernant, d’une part, la décision 2015/143 et le règlement 2015/138 et, d’autre part, les actes de mars 2015.

23      Le 23 novembre 2016, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne, enregistré sous le numéro C‑598/16, contre l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497).

24      Par courrier du 12 décembre 2016, le Conseil a informé les représentants du requérant qu’il envisageait de renouveler les mesures restrictives à l’égard de ce dernier et a annexé deux lettres émanant du BPG, datées l’une du 10 août 2016 et l’autre du 16 novembre 2016, en rappelant quel était le délai fixé pour lui présenter des observations en vue du réexamen annuel des mesures restrictives. Le requérant a présenté de telles observations au Conseil par lettre du 11 janvier 2017.

25      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

26      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015 et de mars 2016.

27      Par courrier du 6 mars 2017, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes de mars 2017. En outre, il a indiqué le délai pour lui présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien du nom du requérant sur la liste.

 Procédure et conclusions des parties

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2016, le requérant a introduit un recours en annulation, enregistré sous le numéro T‑244/16, contre les actes de mars 2016.

29      Le 12 septembre 2016, le Conseil a déposé le mémoire en défense dans l’affaire T‑244/16. Le 19 septembre 2016, dans le cadre de cette affaire, il a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête ainsi que certains paragraphes du mémoire en défense ne soient pas cités dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

30      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle l’affaire T‑244/16 a, par conséquent, été attribuée.

31      Dans l’affaire T‑244/16, la réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal le 28 octobre 2016 et le 13 janvier 2017.

32      Le 13 janvier 2017, la phase écrite de la procédure, dans l’affaire T‑244/16, a été close.

33      Le 20 janvier 2017, le Conseil a présenté une demande analogue à celle visée au point 29 ci-dessus, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la duplique dans l’affaire T‑244/16 ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

34      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 février 2017, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries dans l’affaire T‑244/16.

35      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 1er mars 2017, le requérant a, au titre de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, versé au dossier de l’affaire T‑244/16 de nouvelles preuves. Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 3 avril 2017, le Conseil a présenté ses observations sur ces nouvelles preuves.

36      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2017, le requérant a introduit un recours en annulation, enregistré sous le numéro T‑285/17, contre les actes de mars 2017.

37      Par arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil (C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786), la Cour a rejeté le pourvoi du requérant visant à obtenir l’annulation partielle de l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497).

38      Le 27 octobre 2017, le Tribunal a demandé aux parties de prendre position, d’une part, sur l’incidence que pourrait avoir l’arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil (C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786), sur l’affaire T‑244/16 et sur l’affaire T‑285/17 et, d’autre part, sur l’éventuelle jonction de celles-ci aux fins de la phase orale de la procédure et de l’arrêt.

39      Les réponses des parties à ces mesures d’organisation de la procédure ont été déposées, respectivement, par le requérant, le 9 novembre 2017 et, par le Conseil, le 10 novembre 2017. S’agissant de l’éventuelle jonction des affaires T‑244/16 et T‑285/17, le requérant estime qu’elle peut être justifiée, le cas échéant, aux seuls fins de la phase orale de la procédure. Le Conseil s’en remet à la sagesse du Tribunal.

40      Le 9 novembre 2017, le Conseil a déposé le mémoire en défense dans l’affaire T‑285/17.

41      Dans le cadre de cette affaire, le 20 novembre 2017, le Conseil a présenté une demande analogue à celle visée au point 29 ci-dessus, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête ainsi que certains points du mémoire en défense ne soient pas cités dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

42      Le 24 novembre 2017, le Tribunal a décidé qu’un deuxième échange de mémoires dans l’affaire T‑285/17 n’était pas nécessaire. Par lettre du 6 décembre 2017, le requérant a présenté une demande motivée, au titre de l’article 83, paragraphe 2, du règlement de procédure, visant à ce que le Tribunal autorise les parties à compléter le dossier par une réplique et par une duplique. Par décision du 19 décembre 2017, le Tribunal a décidé d’accéder à cette demande et a fixé la date à laquelle la réplique devait être déposée.

43      La réplique et la duplique dans l’affaire T‑285/17 ont été ainsi déposées au greffe du Tribunal le 22 janvier 2018 et le 8 mars 2018.

44      Le 8 mars 2018, la phase écrite de la procédure, dans l’affaire T‑285/17, a été close.

45      Le 16 mars 2018, le Conseil a présenté une demande analogue à celle visée au point 29 ci-dessus, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la duplique dans l’affaire T‑285/17 ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

46      Par décision du président de la sixième chambre du Tribunal du 10 juillet 2018, l’affaire T‑244/16, Yanukovych/Conseil, et l’affaire T‑285/17, Yanukovych/Conseil, ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure et de la décision mettant fin à l’instance, sur le fondement de l’article 68 du règlement de procédure, les parties ayant été entendues à cet égard.

47      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 28 septembre 2018, le requérant a déposé des observations sur le rapport d’audience.

48      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 3 octobre 2018, qui, à la demande du Conseil, le requérant entendu, s’est déroulée partiellement à huis clos.

49      Lors de l’audience, le Conseil a présenté des observations sur le rapport d’audience, dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

50      Par arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), la Cour a annulé l’arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479), ainsi que les actes de mars 2015, en ce qu’ils visaient la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt.

51      En raison de l’impact potentiel de la solution retenue par la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), dans les présentes affaires, par ordonnance du 7 janvier 2019, le Tribunal (sixième chambre) a décidé la réouverture de la phase orale de la procédure en application de l’article 113, paragraphe 2, sous b), du règlement de procédure, afin de permettre aux parties de s’exprimer à cet égard.

52      Ainsi, le 10 janvier 2019, le Tribunal a invité les parties, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, à lui présenter leurs observations sur les conséquences à tirer, dans les présentes affaires, de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031). Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

53      Le requérant conclut dans l’affaire T‑244/16 et dans l’affaire T‑285/17 à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes de mars 2016 et ceux de mars 2017 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

54      À la suite des précisions fournies lors de l’audience, en réponse à des questions du Tribunal, le Conseil conclut à ce qu’il plaise à ce dernier :

–        rejeter les recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du renvoi à d’autres écrits

55      Il y a lieu de relever que le requérant renvoie, dans ses écritures visant la demande d’annulation des actes de mars 2016, aux écritures déposées devant le Tribunal dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑346/14, EU:T:2016:497), et, dans ses écritures visant la demande d’annulation des actes de mars 2017, auxdites écritures ainsi qu’à celles déposées dans le cadre de la demande d’annulation des actes de mars 2016, qu’il joint en annexe.

56      Or, ainsi que le souligne à juste titre le Conseil, il convient de rappeler que, aux fins de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, pour qu’un recours soit recevable, il faut que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent du texte de la requête elle-même. Selon une jurisprudence bien établie, si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels qui, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, doivent figurer dans la requête elle-même (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2017, Al-Faqih e.a./Commission, C‑19/16 P, EU:C:2017:466, point 54 et jurisprudence citée, et du 18 janvier 2012, Djebel – SGPS/Commission, T‑422/07, non publié, EU:T:2012:11, point 42 et jurisprudence citée).

57      Par conséquent, le renvoi global opéré par le requérant à ses écritures déposées dans le cadre soit d’affaires antérieures soit de l’affaire T‑244/16, s’agissant de l’affaire T‑285/17, doit être considéré comme étant irrecevable.

 Sur le fond

58      À l’appui de ses demandes d’annulation des actes attaqués, le requérant invoque sept moyens, tirés, le premier, d’une absence de base légale, le deuxième, d’un détournement de pouvoir, le troisième, d’un défaut de motivation, le quatrième, du non-respect des critères d’inscription sur la liste, le cinquième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le sixième, de la violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif et, le septième, de la violation du droit de propriété.

59      Il convient d’examiner, tout d’abord, le quatrième moyen, tiré du non‑respect des critères d’inscription du nom du requérant sur la liste.

60      Dans le cadre de ce moyen, le requérant soutient, en substance, que les motifs d’inscription de son nom sur la liste ne remplissent pas les critères d’application des mesures restrictives définis par les actes attaqués.

61      En particulier, le requérant fait valoir que l’émission d’un avis de suspicion ou l’ouverture d’une simple enquête préliminaire à son égard ne sont pas suffisantes pour considérer qu’il est responsable du comportement allégué. Dans la mesure où le respect du droit procédural par les enquêtes préliminaires est contrôlé par le BPG, qui, selon le requérant, ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises, le Conseil aurait dû également exercer des vérifications supplémentaires à cet égard. Par ailleurs, le requérant souligne l’absence de progrès dans les enquêtes préliminaires dont il fait l’objet depuis l’adoption des mesures restrictives en cause et réfute l’allégation du Conseil selon laquelle cette absence de progrès résulterait de son propre comportement. En effet, malgré l’existence d’une autorisation d’ouvrir une enquête in absentia à son égard dans une des procédures pénales le concernant, aucun progrès n’aurait été constaté et aucune preuve n’aurait été recueillie contre lui.

62      D’ailleurs, les lettres du BPG sur lesquelles s’est appuyé le Conseil ne démontreraient pas non plus que le requérant relève de l’une des catégories de personnes identifiées par l’arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil (T‑256/11, EU:T:2014:93). Même à supposer que, en l’espèce, il y ait eu une intervention judiciaire d’un niveau suffisant, en ce qui concerne notamment les saisies de biens du requérant et l’autorisation des mesures de détention préventive à l’encontre de celui-ci, une telle intervention ne saurait être considérée comme fiable et adéquate au sens de cette jurisprudence, dans la mesure où le système judiciaire ukrainien ne présenterait pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises, même à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »).

63      Selon le requérant, la circonstance que le Conseil ne serait pas à même d’apprécier sa culpabilité ou le bien‑fondé des enquêtes le concernant ne l’exonère pas de l’obligation de respecter les droits et les principes garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans le cadre de l’exercice de ses compétences et, par conséquent, de vérifier si et dans quelle mesure ses droits fondamentaux ont été ou sont protégés en Ukraine.

64      Le respect par le Conseil de l’obligation d’entreprendre un contrôle complet et rigoureux et de s’assurer que toute décision imposant une mesure restrictive soit adoptée sur un fondement factuel suffisamment solide serait d’autant plus crucial en l’espèce, compte tenu du fait que l’Ukraine n’est pas un État membre de l’Union européenne, de la motivation politique des accusations portées à l’encontre du requérant, de l’absence de progrès significatif dans les procédures pénales sur lesquelles repose l’inscription de son nom sur la liste, de l’absence de procédure décisionnelle équilibrée ou équitable précédant la formulation des accusations en Ukraine ainsi que du délai dont le Conseil a disposé pour vérifier les preuves et les informations justifiant la réinscription du nom du requérant.

65      En réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 52 ci-dessus), le requérant précise que le raisonnement et la solution retenus par la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), revêtent une importance cruciale en l’espèce, dès lors que les circonstances ayant déclenché l’obligation de vérification du Conseil dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt sont, en substance, identiques à celles ayant caractérisé l’adoption des actes attaqués. Ainsi, premièrement, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir vérifié, en estimant qu’il n’était pas tenu de le faire, si la décision des autorités ukrainiennes, sur laquelle il entendait se fonder afin de maintenir son nom sur la liste, avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Deuxièmement, il reproche au Conseil de ne pas avoir indiqué, dans les motifs justifiant le maintien de son nom sur la liste, les raisons pour lesquelles celui-ci considérait que ladite décision des autorités ukrainiennes avait été adoptée dans le respect desdits droits. Au demeurant, les courriers du Conseil des 7 mars 2016 et 6 mars 2017, notifiant au requérant le renouvellement des mesures restrictives le concernant, omettraient de mentionner de telles raisons.

66      Le Conseil rétorque que la décision d’inscrire, puis de maintenir le nom du requérant sur la liste, sur le fondement des informations contenues dans les lettres du BPG, satisfait aux critères d’inscription et repose sur une base factuelle suffisamment solide permettant d’établir que le requérant fait l’objet de procédures pénales pour détournement de fonds publics.

67      S’agissant de l’allégation selon laquelle le BPG ne présenterait pas les caractéristiques judiciaires d’indépendance et d’impartialité requises, le Conseil réplique que l’enquête préliminaire, qui est menée par le BPG sous le contrôle de l’autorité judiciaire, constitue une phase de la procédure pénale. Par ailleurs, la finalité des mesures restrictives ne serait pas atteinte s’il n’était pas possible de les adopter à l’encontre de personnes faisant l’objet d’une enquête préliminaire pour participation à des infractions, telles que celles dont fait l’objet le requérant.

68      En réponse à l’allégation selon laquelle il ne saurait valablement se fonder sur une procédure pénale sans avoir préalablement vérifié dans quelle mesure les droits fondamentaux du requérant avaient été protégés en Ukraine, le Conseil fait valoir, premièrement, que ce dernier n’a pas démontré que ses droits avaient effectivement été violés. Deuxièmement, il ne ressortirait pas de la jurisprudence que le Conseil soit tenu de vérifier le respect du droit à une protection juridictionnelle effective par l’État tiers dont relève l’autorité judiciaire qui a délivré les attestations sur lesquelles le Conseil se fonde pour adopter des mesures restrictives, telles que celles en cause. Troisièmement, le requérant serait toujours en droit de se défendre dans le cadre des procédures pénales le concernant et de la procédure devant la Cour EDH, ce qui n’empêcherait pas le Conseil, dans l’attente de l’issue de telles procédures, de se fonder sur l’existence des procédures en cours lorsqu’il décide d’imposer des mesures restrictives.

69      Enfin, s’agissant de l’argument du requérant tiré de l’absence de progrès significatif des procédures pénales le concernant, le Conseil rétorque que ce qui importe est que les procédures soient en cours au moment de l’adoption des actes attaqués et qu’une telle absence de progrès est, d’ailleurs, imputable au requérant, qui se serait soustrait à la justice.

70      De façon plus générale, le Conseil rappelle que, aux termes de la jurisprudence, il n’est pas tenu d’entreprendre systématiquement ses propres investigations ou d’opérer des vérifications afin d’obtenir des précisions supplémentaires lorsqu’il se fonde sur des éléments fournis par les autorités d’un État tiers pour prendre des mesures restrictives à l’égard de personnes qui en sont originaires et qui y font l’objet de procédures pénales. De telles vérifications ne seraient nécessaires que lorsque les informations reçues se révèlent insuffisantes ou incohérentes. En l’espèce, le Conseil estime avoir effectivement vérifié le bien-fondé de la décision de gel des fonds concernant le requérant au regard des procédures pénales ukrainiennes pour détournement de fonds.

71      En réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 52 ci-dessus), le Conseil fait valoir que, même s’il ne l’a pas précisé dans l’exposé des motifs, il savait qu’un contrôle judiciaire avait été exercé en Ukraine durant la conduite des enquêtes pénales concernant le requérant. En effet, il ressortirait des lettres du BPG mentionnées aux points 17, 18 et 24 ci-dessus que plusieurs décisions judiciaires sont intervenues en Ukraine à l’égard du requérant, telles que des saisies de ses biens ordonnées par le tribunal de district de Petschersk (Kiev) ainsi qu’un ordre de la cour d’appel de Kiev de le placer en garde à vue à titre préventif. Le fait que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés, ainsi qu’effectivement exercés par le requérant, serait, en outre, démontré par la décision dudit tribunal de Petschersk du 27 juillet 2015 selon laquelle le juge d’instruction aurait décidé, dans le cadre d’une des procédures pénales concernant le requérant, en audience publique et avec la participation des avocats de celui-ci, de faire droit à la demande du parquet visant à autoriser le procureur à conduire une enquête préliminaire spéciale in absentia. Il en irait de même en ce qui concerne la décision du même tribunal, en date du 22 avril 2016, d’accueillir partiellement la réclamation présentée par la défense du requérant au regard d’une prétendue omission de la part du BPG de tenir compte d’une demande visant à ce qu’une mesure procédurale soit prise dans le cadre de ladite procédure.

72      D’après le Conseil, ces exemples démontrent que, lorsqu’il s’est fondé sur les décisions des autorités ukrainiennes mentionnées dans les lettres du BPG, il a pu vérifier que celles-ci avaient été prises dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

73      Or, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 20 et 21 et jurisprudence citée).

74      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés (voir arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 22 et jurisprudence citée).

75      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers, reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 25).

76      Aussi, si, en vertu du critère d’inscription, tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 26, 27 et 35).

77      À cet égard, la Cour précise que l’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers, sur lesquelles il entend se fonder, ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel des fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de telle sorte, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 28 et 34 et jurisprudence citée).

78      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour EDH, des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 77 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 36).

79      La Cour considère également que le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 29 et 30 et jurisprudence citée).

80      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives, telles que celles en l’espèce, sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part de la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à la protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits.

81      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’examiner si le Conseil a respecté ces obligations.

82      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le requérant fait l’objet de nouvelles mesures restrictives adoptées par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel qu’il a été précisé dans la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel qu’il a été précisé dans le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère prévoit le gel des fonds des personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

83      Il est constant que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet d’une « procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics », qui était établie par les lettres du BPG des 3 septembre et 30 novembre 2015, en ce qui concerne les actes de mars 2016, et par celles des 10 août et 16 novembre 2016, en ce qui concerne les actes de mars 2017.

84      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, à l’instar de ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), sur la décision du BPG d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

85      Or, en premier lieu, force est de constater que la motivation des actes attaqués relative au requérant (voir points 15, 20 et 26 ci-dessus) ne comporte pas la moindre référence au fait que le Conseil aurait vérifié le respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui‑ci et que, dès lors, une telle absence de motivation constitue une première indication de ce que le Conseil n’a pas procédé à une telle vérification.

86      En deuxième lieu, il convient de relever qu’aucune information contenue dans les lettres, presque identiques, du 7 mars 2016 (voir point 21 ci-dessus), s’agissant de l’affaire T‑244/16, et du 6 mars 2017 (voir point 27 ci-dessus), s’agissant de l’affaire T‑285/17, ne permet de considérer que le Conseil disposait d’éléments relatifs au respect des droits en question par les autorités ukrainiennes en ce qui concerne les procédures pénales visant le requérant et, encore moins, que le Conseil ait apprécié de tels éléments, afin de vérifier si lesdits droits avaient été suffisamment respectés par l’administration judiciaire ukrainienne lors de l’adoption de la décision d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale portant sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part du requérant. En effet, dans ces lettres, à l’instar de ce qui avait été fait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 24), le Conseil s’est borné à indiquer que les lettres du BPG, communiquées préalablement au requérant (voir points 18 et 24 ci-dessus), établissaient que ce dernier continuait à faire l’objet de procédures pénales pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. Au demeurant, la circonstance que l’Ukraine compte au nombre des États ayant adhéré à la CEDH, expressément mentionnée par le Conseil dans ses lettres ainsi que dans ses écritures, ne saurait rendre superflue la vérification du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant (voir point 78 ci‑dessus).

87      En troisième lieu, il doit être observé que, contrairement à ce que prétend le Conseil, celui-ci était tenu d’effectuer ladite vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, sa situation personnelle avait été affectée par les problèmes qu’il identifiait concernant le fonctionnement du système judiciaire en Ukraine. En tout état de cause, bien que le requérant ait fait valoir à maintes reprises, en apportant des éléments de preuve spécifiques, que l’administration judiciaire ukrainienne n’avait pas respecté ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective et que la situation prévalant en Ukraine était généralement incompatible avec l’existence de garanties suffisantes à cet égard, le Conseil n’a pas fait état de ce qu’il avait vérifié le respect de tels droits. Au contraire, celui-ci a itérativement affirmé dans ses écritures qu’il n’était soumis à aucune obligation en ce sens et qu’une telle obligation ne découlait pas non plus des principes jurisprudentiels dégagés par l’arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE (C‑599/14 P, EU:C:2017:583), invoqués par le requérant.

88      En quatrième lieu, dans la réponse à la question ayant trait à l’incidence de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), sur les présentes affaires, le Conseil n’a avancé que les arguments résumés au point 71 ci-dessus.

89      À cet égard, premièrement, il doit être constaté que le Conseil admet que la motivation des actes attaqués ne traite pas la question du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective au regard de la décision d’engager et de mener les procédures pénales ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste.

90      Deuxièmement, il y a lieu de relever que le Conseil prétend qu’il ressort clairement des dossiers des présentes affaires qu’un contrôle judiciaire était exercé en Ukraine durant la conduite des enquêtes pénales. Plus particulièrement, selon le Conseil, l’existence de plusieurs décisions judiciaires adoptées dans le contexte des procédures pénales visant le requérant démontre que, lorsqu’il s’est fondé sur la décision des autorités ukrainiennes mentionnée dans les lettres du BPG, d’une part, il a pu vérifier que celle-ci avait été prise dans le respects des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective et, d’autre part, il s’est assuré qu’un certain nombre de décisions judiciaires prises dans le cadre desdites procédures pénales l’avaient été dans le respect de ces droits.

91      Or, toutes les décisions judiciaires mentionnées par le Conseil s’insèrent dans le cadre des procédures pénales ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes au regard de celles-ci, dans la mesure où elles sont de nature soit conservatoire, soit procédurale. Il est vrai que ces décisions sont susceptibles de corroborer la thèse du Conseil concernant l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, à savoir le fait que, conformément au critère d’inscription, le requérant faisait l’objet de procédures pénales portant, notamment, sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien. Toutefois, de telles décisions ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer, ainsi que le prétend le Conseil, que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener lesdites procédures pénales, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

92      En tout état de cause, le Conseil n’est pas en mesure de mentionner la moindre pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné les décisions des juridictions ukrainiennes qu’il invoque à présent et qu’il a pu en conclure que les droits de la défense du requérant et son droit à une protection juridictionnelle effective avaient été respectés dans leur substance.

93      Il ne saurait donc être conclu que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne avait été prise en respectant lesdits droits du requérant.

94      Par ailleurs, à cet égard, il convient également de relever, ainsi qu’il a été précisé dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), que la jurisprudence de la Cour selon laquelle, notamment, en cas d’adoption d’une décision de gel des fonds telle que celle concernant le requérant, il appartient au Conseil ou au Tribunal de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 77 ; du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑599/16 P, non publié, EU:C:2017:785, point 69, et du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786, point 72), ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption de mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 40 et jurisprudence citée).

95      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, a vérifié le respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

96      Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués, en ce qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments soulevés par ce dernier ainsi que les demandes de traitement confidentiel présentées par le Conseil.

 Sur les dépens

97      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2016/318 du Conseil, du 4 mars 2016, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2016/311 du Conseil, du 4 mars 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, ainsi que la décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2017/374 du Conseil, du 3 mars 2017, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Viktor Fedorovych Yanukovych a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Yanukovych.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.